L'EMPEREUR CLAUDE

 

I. — FAMILLE DE CLAUDE.

 

 

Sa naissance, sa jeunesse, sa vie sous les règnes de Tibère et de Caligula[1].

 

Après les guerres sanglantes de Marius et de Sylla, après les terribles proscriptions d'Antoine et d'Octave, il restait bien peu à Rome de ces antiques maisons patriciennes qui remontaient aux premiers temps de la cité, et dont les noms rappelaient au peuple porteur de toge la soumission d'un roi, la conquête d'une province ou la destruction d'une cité rivale. Depuis longtemps déjà les descendants des patriciens n'étaient plus assez nombreux pour garnir les bancs augustes du sénat, et cette vénérable assemblée en était réduite à se recruter d'hommes nouveaux (novi homines) comme les Catons et les Cicérons.

Parmi les rares familles patriciennes qui, sous le principat d'Auguste, figuraient encore sur les registres des censeurs, il en était une qui, grâce à des alliances avec la famille Julia[2], n'avait rien perdu de son lustre ni de sa puissance : c'était la famille des Claudius d'où Tibère était sorti pour entrer par adoption dans la maison des Césars, et qui n'était plus représentée que par son frère Drusus, fils comme lui de la célèbre Livie.

Peu de familles assurément pouvaient se vanter d'une aussi longue suite d'ancêtres : les Claudius étaient bien réellement contemporains de la fondation de la République ; vers l'époque de l'expulsion des rois, le premier de leur race, Atta Clausus ou Claudius, chef d'une tribu sabine, alla se fixer dans cette cité qu'avait fondée Tatius, prince des Sabins, devenu, après le célèbre enlèvement des Sabines, le collègue du roi Romulus. A ce premier Claudius les deux consuls donnèrent une vaste étendue de terre s'étendant au delà de l'Anio, et où il installa toutes les familles qui composaient sa gens[3]. Il eut même pour lui et pour ses descendants le droit de sépulture au pied du Capitole, honneur qui ne fut accordé qu'aux vestales et qu'à un très-petit nombre des plus illustres maisons patriciennes.

Jusqu'à l'époque de l'empereur Claude, la famille Claudia obtint successivement cinq dictatures, vingt-huit consulats, sept censures, sept triomphes et deux ovations. Quelque page de l'histoire romaine qu'on puisse ouvrir, on est sûr de rencontrer un Claudius. Successivement nous voyons apparaître Claudius Caudex, le premier qui apprit aux Romains dans leur lutte avec les Carthaginois à monter sur des vaisseaux et à aller provoquer ces rivaux détestés sur l'élément où jusqu'alors ils avaient régné sans partage.

Claudius Néro, qui vainquit Asdrubal Barca sur les bords du Métaure et qui fit jeter sa tête dans le camp d'Annibal.

Appius Claudius, le fameux décemvir dont l'insolence amena la mort de Virginie et la chute d'un pouvoir abhorré.

Appius Claudius Cacus, à qui Rome dut la célèbre voie Appienne.

Claudius Drusus, qui, formant une armée de ses clients et de ses serviteurs, aspira à régner sur l'Italie entière.

Claudius Pulcher, ce grand seigneur sceptique, qui, commandant une flotte romaine sur la mer de Sicile, fit jeter à l'eau les poulets sacrés qui refusaient d'annoncer un triomphe, disant qu'il les fallait faire boire puisqu'ils ne voulaient pas manger ; vaincu devant le port de Drépane, Claudius Pulcher n'en montra pas moins d'arrogance, et forcé par le sénat de remettre le pouvoir à un dictateur qu'il devait lui-même désigner, il fit choix pour cette redoutable fonction, alors qu'il s'agissait du salut de la patrie, de son coureur Glicia.

Claudius (Clodius)[4], le célèbre ennemi de Cicéron, Claudius, ce Mirabeau de l'antiquité, qui renonça comme le nôtre aux droits de sa naissance, qui rejeta sa noblesse comme un fardeau trop lourd et se fit plébéien pour pouvoir se venger.

Enfin Tibérius Claudius, questeur de César, dont il commanda les flottes, pontife, préteur, mais plus connu encore pour avoir été le premier mari de Livie et le père de Tibère et de Drusus.

Trois femmes, également de cette forte race claudienne, ont laissé leurs noms gravés profondément sur le marbre de l'histoire. La première est l'héroïne d'une pieuse et poétique légende : un vaisseau, qui portait à Rome une statue vénérée de Cybèle, la Bonne Déesse si respectée des Romains, s'était échoué sur un banc de sable du Tibre ; on ne pouvait le remettre à flot, tous les efforts étaient inutiles. Claudia s'approche, elle écarte les robustes mariniers, elle repousse les câbles de chanvre, les fortes cordes de jonc tressé ; elle entre dans le fleuve, à la proue du navire elle attache un frêle ruban, sa ceinture qu'on l'accusait d'avoir trop souvent dénouée, et elle invoque à haute voix les dieux justes et compatissants ; elle leur demande de lui donner la force d'arracher le lourd navire du lit qu'il s'est creusé dans le sable du fleuve : ce sera la preuve de son innocence et de sa chasteté. Et à peine avait-elle terminé sa prière que le vent enfla les voiles du vaisseau ; doucement il suivit la frêle impulsion que lui donnait le ruban de la jeune femme, et bientôt, aux applaudissements de la foule, l'esquif, remis dans la bonne route, allait témoigner à la ville tout entière de la pureté de Claudia et de la puissance de Cybèle.

Bien différente fut la seconde Claudia ; c'était la sœur de ce Claudius Pulcher, qui perdit ses navires à la bataille de Drépane ; orgueilleuse et fière, elle est restée dans l'histoire, grâce à quelques mots de colère qui faillirent lui coûter la vie : Claudia, dit Tite-Live, sœur de P. Claudius qui, méprisant les aruspices, avait subi une défaite, Claudia s'écria un jour au retour des jeux publics, tandis qu'elle se trouvait arrêtée et pressée par la foule : Plût aux dieux que mon frère fût encore de ce monde pour commander une autre flotte ! Une troisième Claudia, qui était vestale, monta, au dire de Suétone, sur le char d'un de ses frères, dont les tribuns du peuple voulaient empêcher le triomphe, et elle l'accompagna ainsi jusqu'au Capitole pour que le respect qu'on portait aux vestales empêchât d'arrêter la cérémonie triomphale.

On voit que la famille des Claudius n'était pas une des moins illustres de Rome, et que l'empereur Claude a pu légitimement tirer quelque vanité d'en être le dernier descendant.

Tibérius Claudius Néro (Claude) naquit à Lyon, dans les Gaules, aux calendes d'août, l'an de la fondation de Rome 744, dix ans avant l'ère chrétienne. Son père, Drusus, qui fut successivement chargé de conduire les armées d'Auguste en Rhétie et en Germanie, habitait souvent les Gaules et de préférence la ville de Lyon, alors le point central de la puissance romaine au delà des Alpes. Ce Claudius Drusus était très-aimé du peuple et de l'armée : beau-fils d'Auguste comme Tibère et de plus peut-être même son fils, il aurait été, s'il avait vécu, un redoutable concurrent pour son frère aîné, Tibère, le fils adoptif d'Auguste ; le bruit courait dans les Gaules et dans toute l'Italie que Drusus aimait la liberté, et Drusus lui-même ne dissimulait pas son attachement pour l'antique forme de gouvernement qui avait élevé si haut la majesté du nom romain.

Un an après la naissance de son fils Claude, il mourut brusquement, les uns ont dit des suites d'une chute de cheval, les autres du poison donné par Auguste ; hâtons-nous de dire que Suétone lave l'époux de Livie de cette triste accusation ; mais s'il y eut poison, ce qui paraît probable, ne pourrait-on pas en accuser Tibère, qui devait voir en Drusus un rival pour la future succession d'Auguste ? le vieil axiome du droit romain : crimen fecit is cui crimen profuit, n'est assurément pas toujours bien juste, mais je crois que quand il s'agit de Tibère, on peut l'appliquer sans scrupule.

Claude entra donc dans la vie privé de l'appui paternel : sa mère Antonia ne l'aimait point ; toute son affection s'était portée sur son fils aîné Germanicus, l'enfant gâté de la famille. Quant à Livie, sa grand'mère paternelle, elle était trop la mère de Tibère pour chérir le fils de Drusus. Il semble qu'il y ait eu dans tout l'entourage d'Auguste je ne sais quel complot contre Claude. Livie et ses amis, qui voulaient voir Tibère succéder au vieil Auguste, faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour déconsidérer aux yeux du maître et au profit du fils adoptif celui que Livie savait peut-être bien cependant être le véritable sang d'Auguste. Quelques lettres, quelques mots rapportés par Suétone montrent à quel point Livie et Antonia détestaient le pauvre Claude ; quand une grand'mère et quand une mère parlent ainsi de leur enfant, ce ne sont plus que des marâtres et leur témoignage est nul à nos yeux.

Auguste, au contraire, homme de sens et d'une profonde intelligence, bien que bercé dans cette idée que Claude n'était qu'une monstruosité de la nature, une ébauche d'homme (portentum hominis), comme disait sa mère Antonia, paraît bien avoir compris qu'il y avait là quelque intrigue, que le Claude qu'on lui montrait n'était pas le vrai Claude, et que sous cette écorce rendue grossière par l'indifférence et la haine, que dans ce corps chétif, tremblant sans cesse de ne pas se sentir aimé, il y avait une âme et une âme bonne, élevée ; et un jour il écrit à Livie, sa femme : Pour moi, j'inviterai tous les jours à souper, pendant votre absence, le jeune Claude, afin qu'il ne soupe pas toujours seul avec son Sulpicius et son Athénodore, moi qui voudrais tant qu'il choisît avec plus de soin et moins de légèreté quelqu'un dont il pût s'attacher à imiter la tournure, la manière d'être et la démarche. Les choses sérieuses ne sont pas l'affaire du pauvre cher enfant, mais lorsqu'il n'est pas distrait, on voit assez briller la noblesse naturelle de son âme.

Que prouve cette lettre, si ce n'est que Claude ne soupait pas toujours en famille, que, repoussé par les siens, il était bien réduit à faire sa société du rhéteur Sulpicius et du Grec Athénodore, qu'enfin il fallait en quelque sorte l'absence de Livie pour qu'Auguste l'invitât à cette table de famille où sa place aurait dû être marquée tous les jours ; que lui reproche Auguste, d'être distrait ; mais personne ne nie, même les plus grands détracteurs de Claude, qu'il n'ait été dès sa jeunesse un érudit, un antiquaire, un savant ; or, je volis le demande, serait-ce un vrai savant celui qui ne serait pas un peu distrait ?

Puis, quel pouvait bien être cet Athénodore dont Auguste reproche la société au petit-fils de Livie ? C'était, comme son nom l'indique, un de ces pauvres Grecs, rhéteurs ou sophistes, chassés par la misère de leur patrie, que dévastait l'avidité des proconsuls, et qui venaient à Rome polir, en échange du pain quotidien, l'esprit, inculte des jeunes patriciens, des fils des chevaliers enrichis ; d'abord méprisés, puis écoutés, ils finirent par gagner pour ainsi dire leur droit de cité. Arbitres du bon goût, ils devaient devenir plus tard les favoris des grands seigneurs romains, qui daignaient s'occuper de littérature ou de beaux-arts, distraction moins dangereuse sous les Césars que la politique ou la guerre, à la condition toutefois de ne pas faire de vers meilleurs que ceux de Néron, à la condition surtout de ne pas avoir de tableaux ni de statues qui pussent faire envie à une maîtresse ou à un affranchi bien en cour. Les Grecs comme Athénodore étaient, sous le règne d'Auguste, les maîtres des profondes études et de l'art de bien dire ; nous dirons même plus : en leur qualité de peuple vaincu, déshérité, opprimé, c'étaient les représentants de l'esprit de liberté d'alors ; rien d'étonnant qu'Auguste eût préféré pour Claude aux entretiens avec le Grec Athénodore la société d'un courtisan docile ou la conversation d'un centurion dévoué, mais on nous fera difficilement croire qu'aimer à s'occuper des choses de l'intelligence, des grands problèmes de la science, des chefs-d'œuvre de l'esprit humain, ce soit une preuve d'imbécillité ou de sottise, même pour un futur César.

Dans une autre lettre, Auguste écrit confidentiellement à Livie : Il faut prendre un parti, savoir enfin ce que nous voulons faire de Claude ; car s'il est entier et pour ainsi dire complet, pourquoi tarder à le faire passer par la même filière, par les mêmes degrés que son frère ? Mais si, au contraire, nous pensons qu'il est imparfait et maltraité de la nature pour l'âme et pour le corps, il faut se garder de donner l'occasion de le tourner en ridicule, lui et nous, les hommes n'étant que trop disposés à se moquer et à rire de ces sortes de choses.

N'y a-t-il pas là d'abord un véritable embarras de la part d'Auguste : Claude est-il complet ou bien, au contraire, ne jouit-il pas de la plénitude de ses facultés ? la chose est douteuse pour le prince ; mais n'y a-t-il pas aussi là un avis détourné à Livie de cesser de travailler à cet abaissement systématique de son petit-fils ?

Malgré toute la haine de l'altière Augusta, malgré tous les moyens qu'elle emploie 'pour rabaisser, pour annihiler Claude, par moments Auguste ne peut se laisser convaincre ; il ne trouve ni si gauche ni si maladroit ce bouffon dont rit toute sa famille, et il écrit ceci : J'ai été charmé, ma chère Livie, de la manière dont j'ai entendu déclamer votre petit-fils Claude, et que je meure si je n'en suis pas tout surpris, car lui qui parle avec si peu de clarté, comment peut-il, quand il déclame, dire si clairement ce qu'il faut dire ?

Remarquons que lorsque Claude fait quelque chose de bien, c'est toujours quand Livie et Antonia sont loin, quand sa mère Antonia — si tendre pour sa murène favorite qu'elle ornait de pendants d'oreilles en pierres précieuses — n'est pas là pour le traiter de monstre, quand son aïeule Livie n'est pas là pour lui envoyer par des intermédiaires quelque avis menaçant ou sévère qu'elle traçait sur ses tablettes de son style dur et laconique.

Donc, repoussé par les siens, il avait bien fallu que le jeune Claude cherchât une consolation ; il avait choisi la plus noble, le désir d'apprendre, aidé en cela par Auguste qui lui avait donné pour précepteur le plus grand écrivain de la Rome d'alors, l'historien Tite-Live. Aussi, tandis que la famille impériale allait assister en pompe aux jeux de l'amphithéâtre, tandis qu'on faisait asseoir sur le devant du pulvinar sa sœur Livilla et son frère Germanicus, Claude restait au palais en compagnie de son précepteur, assistant à cette résurrection des vieux temps de la république que le style de Tite-Live faisait revivre pour l'histoire ; ou bien, en compagnie du grand écrivain, il se glissait, timide adolescent, la tête couverte du capuchon des malades, dans une de ces grandes bibliothèques dont Auguste venait d'enrichir les portiques d'Apollon, de Livie et d'Octavie, et qui étaient ouvertes à tout le monde : là trônaient, sur le siége élevé des procurateurs des livres, les successeurs de Varron, le vieux poste : Hyginus, le brillant rhéteur, Mélissus, l'inventeur de la comédie Trabeata. Ovide ne devait guère y venir ; les bibliothèques ne sont pas bien utiles pour écrire l'Art d'aimer ; on n'y voyait sans doute plus Virgile, ni Horace, qui d'ailleurs ne sortait volontiers de sa petite maison du faubourg que pour aller souper chez Mécène ; mais on y rencontrait Plotius et Rabirius, deux poètes, célèbres alors, Messala, l'historien, Vitruvius Polio, l'illustre architecte.

Et pendant que dans ces tranquilles asiles de la science, le pauvre enfant impérial, Claude le délaissé, écoutait d'une oreille avide les discours de ces grands hommes, les autres membres de la maison des Césars, réunis dans la loge du cirque, abrités par le velarium de pourpre, d'une simple contraction du pouce faisaient nonchalamment vivre ou mourir des hommes ! Du moins, dans ce partage des plaisirs, notre Claude avait le beau lot

L'Argiletum, les arcades de Vertumne, les péristyles du temple de la Paix, les trois endroits de la ville où se réunissaient les vendeurs et les copistes de manuscrits, c'étaient là les promenades favorites de Claude, promenades qu'il devait prolonger le plus possible, car, rentré au palais, il se retrouvait en face de son aïeule et de sa Mère, en face de ses ennemis. Dès ce moment, Claude avait le désir d'écrire ; la vie commune avec son maître Tite-Live avait développé ses instincts naturels d'écrivain et d'érudit ; Tite-Live lui-même lui conseilla d'entreprendre la relation des guerres civiles ; or, s'il avait eu réellement l'esprit faible, Tite-Live, qui se connaissait en hommes, ne lui aurait pas donné ce conseil. Mais les guerres civiles, c'était un sujet bien délicat pour un auteur qui, par son aïeule Livie, touchait de près à Auguste, et qui, par sa mère Antonia, était le petit-fils de Marc-Antoine ; sa mère et sa grand'mère le forcèrent à abandonner ce projet, et il lui fallut attendre d'être empereur pour pouvoir écrire en homme libre.

Ce fut à quinze ans, en l'an 5 de l'ère chrétienne, que Claude débuta dans la vie publique en présidant à un combat de gladiateurs donné en l'honneur de son père Drusus ; à ce moment-là , Tite-Live venait de le quitter pour se retirer à Padoue, sa patrie, et la tendresse de Livie n'avait pas su trouver de meilleur remplaçant qu'un ancien intendant des haras d'Auguste, que Claude accusait plus tard de l'avoir maltraité ; aussi, triste et souffrant, la tête cachée sous le cucullum[5], le pauvre jeune homme fut-il complètement éclipsé par son frère, le brillant Germanicus, dont la riche robe prétexte relevait la bonne mine naturelle, et qui, plus habitué que Claude aux jeux du cirque, savait plus habilement y composer son maintien et sa tournure. Cependant, peu de temps après, Claude fut élevé par Auguste à la dignité du sacerdoce augural, et il ne faut pas croire, malgré les railleries de Cicéron, que l'institution des augures fût tombée dans le discrédit universel ; quelques gens sensés n'avaient assurément pas la plus. grande confiance en ces divinateurs souvent malheureux dans leurs prédictions, mais la masse du peuple les vénérait ; ils ne se recrutaient que dans les premières familles de l'Etat et, de plus, dans beaucoup de cérémonies publiques, leur présence était nécessaire ; bref, leur position, leur importance correspondaient à celles des vestales.

Une lettre d'Auguste à Livie, citée par Suétone, indique même que ce prince songea à nommer Claude préfet de Rome, place des plus importantes sous l'empire, et qui ouvrait à son titulaire l'accès si désiré du sénat. Malheureusement pour Claude, Auguste, âgé de soixante-seize ans, vint à tomber sérieusement malade ; circonvenu dans ses derniers moments par, Livie, qui ne pensait qu'aux intérêts de Tibère, il ne put rien faire pour le fils de Drusus, et à l'ouverture du testament on y trouva seulement en faveur de Claude, porté au troisième rang des, héritiers, un mince legs de 800.000 sesterces (154.000 francs environ), ce qui était peu de chose pour le petit-fils d'un empereur. Néanmoins, Claude, qui n'était ni intéressé ni avare, regretta sincèrement l'empereur défunt ; à la tee de l'ordre équestre, il alla demander aux consuls la faveur de porter à Rome le corps d'Auguste qui était resté dans sa villa de Nole ; et en effet, le cercueil, transporté à bras par les décurions des municipes de Nole à Bovines (à six lieues de Rome), fut confié, à partir de cette dernière ville, aux soins de Claude et des chevaliers qui le déposèrent dans le vestibule de la demeure impériale du Palatin.

Quelque temps après, lorsque Auguste reçut les honneurs divins, sur la déclaration de Numérius Atticus, ancien préteur, qui déclara avoir vu l'ombre du César défunt monter de son bûcher vers le ciel, et que le sénat eut voté en l'honneur du nouveau dieu l'érection d'un temple et la création d'un collège de pontifes, Claude, toujours reconnaissant des quelques bontés du mari de son aïeule, s'empressa de demander à en faire partie. Tibère ne vit pas d'un bon œil cette demande de son neveu : il n'aimait pas qu'on regrettât trop son prédécesseur ; cependant il n'osa pas refuser à Claude l'honneur qu'il sollicitait, fatal honneur, du reste, qui, plus tard, amena la ruine du nouveau pontife, forcé d'abandonner ses biens pour payer ses frais d'installation, lors de la dédicace du temple qui n'eut lieu que sous Caligula.

Tibère, plutôt par respect pour le nom des Claudius que par sympathie pour Claude, voulut néanmoins, de son propre mouvement, lui décerner les ornements consulaires ; mais lorsque Claude, encouragé par cette faveur, se hasarda à lui demander le droit de jouir des prérogatives consulaires, droit qui n'avait jamais été refusé à un proche parent de l'empereur, Tibère ne répondit même pas à sa demande ; il se contenta de lui écrire qu'il lui avait envoyé quarante pièces d'or pour fêter les Saturnales et que cela devait lui suffire.

Vers la même époque, le sénat, de son propre mouvement, voulut autoriser Claude à entrer dans ses rangs et à s'asseoir par honneur au banc des personnages consulaires, mais cette proposition irrita vivement Tibère qui s'y opposa assez énergiquement pour ôter aux pères conscrits toute envie de la renouveler. C'est que Tibère redoutait ceux en qui il pouvait voir un successeur ou même un remplaçant ; voici le moment où il va frapper ses plus nombreuses victimes, les choisissant de préférence dans sa propre famille : Drusus, son fils, périt empoisonné par Séjan ; Germanicus, son fils adoptif, le frère de Claude, succombe soigné par Pison ; il lui reste quatre petits-fils : trois, Néron, Drusus et Caïus qui sont les enfants de Germanicus ; le quatrième est le fils de Drusus ; il s'appelle Tibère, comme son aïeul, et est encore au berceau ; les trois premiers sont plus connus du peuple et de l'armée ; un jour la fatalité veut que le sénat et le peuple fassent des vœux pour leur conservation ; donc on les aime, donc on serait heureux de les voir remplacer Tibère ; Tibère réfléchit dans sa retraite de Caprée, et quelque temps après, Néron meurt dans l'île Pontia où on l'a relégué ; Drusus est jeté dans la prison du palais, et là, au-dessous même des salles où les Césars donnaient leurs banquets, au-dessous des grandes galeries où s'épanouissait l'orgie, dans le cachot du Palatin, Drusus, l'héritier du maître du monde ; du prince clément et juste, expire lentement et d'une mort horrible, de faim ; pendant neuf longues journées, la force de la jeunesse le fait lutter contre le trépas ; il s'indigne de mourir si jeune, avec un si splendide avenir ; il se raie dit contre la faim, ramasse dans son cachot tout ce qui peut se broyer sous les dents, il ne veut pas mourir et il meurt ; il meurt en désespéré, la bouche pleine encore de la bourre qu'il a arrachée de son grabat et qu'il a vainement essayé de manger ; un seul des trois frères échappe à la haine de Tibère : malheureusement pour le genre humain, ce fut Caligula.

On comprend que, voyant ces terribles exemples, Claude ait tâché de se faire oublier : de lui-même il se retira loin du palais, fuyant ces honneurs mortels que l'affection du peuple voulait lui décerner : et plus tard, arrivé au faîte du pouvoir, empereur à son tour, il racontait en souriant avec bonhomie que sous ses deux prédécesseurs il n'avait échappé au trépas qui le menaçait sans cesse qu'en contrefaisant l'imbécile et le distrait. C'était une grande habileté de sa part : pour vivre il fallait persuader à Tibère qu'on émit incapable de régner, que personne ne pourrait jamais songer à vous pour remplacer l'empereur vivant. Il alla habiter une modeste villa de la Campanie ; là, protégé par sa vie obscure et retirée, il tâcha de se faire oublier. Ce fut du reste le plus beau moment de son existence : sa fortune, quoique médiocre, suffisait largement à tous ses besoins : il pouvait se livrer à son aise à ses goûts d'antiquaire et d'érudit ; installé aux portes mêmes de Pompéi, sur les bords de cette poétique mer Tyrrhénienne, toute remplie des souvenirs de la fable et de l'histoire, respirant l'air embaumé de Pœstum aux champs de roses, il travaillait à ses chères études, cherchant à reconstituer l'histoire du peuple disparu des Etrusques ; maniant le grec comme le latin, c'était en cette première langue, cette alma parens des belles lettres qu'il écrivait souvent ses ouvrages. A son histoire des Etrusques il joignit un autre grand travail sur les Carthaginois, et même, de peur sans doute de passer pour un écrivain trop sérieux, un petit traité sur les jeux de hasard et sur le jeu de dames dont il était un amateur passionné ; disons aussi pour sa plus grande gloire que tous ses ouvrages, malheureusement perdus, eurent parmi les contemporains une véritable réputation, et cela avant même que le maître du monde se nommât Claude.

Suétone et Tacite reprochent bien à cet exilé volontaire d'avoir été, pendant cette période de sa vie, en rapport avec des personnages peu recommandables : ils citent notamment Julius Pélignus qui obtint cependant plus tard ' la charge importante de gouverneur de la Cappadoce. Il n'est guère étonnant que Claude, haï du maître suprême, n'ait pas eu autour de lui Délite des sénateurs ou des gens en place.

Ce fut pendant cette période de calme qu'il épousa Plautia Urganilla, fille de Plautius, général romain qui s'était illustré par ses exploits en Pannonie. Deux fois déjà, dans son adolescence, Claude avait été fiancé : d'abord à Æmilia Lépida qu'Auguste et Livie le forcèrent à abandonner avant la célébration du mariage, ensuite à Livia Médullina qui mourut le jour même fixé pour ses noces ; Urganilla lui donna deux enfants, Drusus et Claudia : Drusus mourut tout enfant dans la villa paternelle, étranglé par une poire qu'il s'amusait à jeter en l'air et à recevoir dans sa bouche : il était déjà destiné, par l'ordre de Tibère, à. devenir, malgré sa jeunesse, l'époux de la fille du favori Séjan. Quant à Claudia, Claude ne la reconnut jamais pour sa fille ; du reste à sa naissance il. avait déjà répudié sa femme, qu'il remplaça par Ælia Pétina, fille d'un ancien consul qui appartenait à l'illustre famille des Tuberons. Il en eut une fille nommée Antonia qui, digne héritière du sang des Claudius, se tua plus tard pour ne pas devenir la femme de Néron. Il quitta du reste bientôt Ælia Pétina

 

[manquent les pages 34 et 35...]

 

bourgs, et qu'il se rendait aux jeux du cirque, tous les spectateurs se levaient spontanément, ôtant leurs surtouts, ce qui était la manière de saluer des anciens, et l'accueillant de leurs applaudissements. Un jour la pauvre maison où se cachait son obscurité vint à être détruite par un incendie ; aussitôt le sénat déclare qu'elle sera relevée aux frais de l'Etat ; mais cette fois encore Tibère s'y opposa, et ne voulant sans doute pas que son neveu eût l'honneur d'habiter une demeure qui eût été un témoignage de l'affection du peuple romain, il déclara qu'il prendrait la dépense à sa charge, promesse qui du reste ne fut jamais réalisée.

Cependant le temps marchait : la conspiration de Séjan venait d'épouvanter Tibère, il se voyait seul, sans autre famille que Caligula qu'il avait deviné ; le seul autre petit-fils qui lui restait, Tibère Gemellus, n'était qu'un enfant, et l'empereur prévoyait que la vie de cet infortuné devait être courte. Profitant d'une démarche officielle que Claude fit auprès de lui au nom des chevaliers (car il n'était encore que membre de l'ordre équestre) pour le féliciter d'avoir si heureusement échappé aux intrigues de Séjan, il semble avoir voulu se rapprocher de ce neveu que jusqu'alors il avait systématiquement tenu à l'écart ; sans doute voyait-il en lui un protecteur pour le jeune Tibère qui était peut-être la seule créature qu'il aimât, et qui était destiné à partager son redoutable héritage avec Caligula. Pendant quelque temps il songea sérieusement à changer l'ordre de succession, à laisser l'empire à Claude, mais, dupe des modestes dehors qu'avait adoptés ce dernier, il craignit de ne pas rencontrer chez lui assez d'activité d'esprit ; Tacite lui-même qui est l'ennemi acharné de la mémoire de Claude raconte le fait en termes fort honorables pour lui : Tibère eut des projets sur Claude parce qu'il était d'un âge mûr et rempli de bonnes intentions, mais l'affaiblissement de son esprit le fit exclure.

Tibère, en effet, ne donna pas suite à ce projet ; il se contenta de léguer à Claude deux millions de sesterces (407.583 fr. 34 cent.) et de le recommander dans son testament au sénat, au peuple et aux armées, comme ce qu'il avait de plus cher, tardive réparation pour le paisible érudit si longtemps haï et méprisé.

A peine Tibère avait-il expiré, étouffé sous l'oreiller qu'avait pressé sur ses lèvres haletantes la main meurtrière de Macron, que Caligula fut désigné par le sénat et par le consentement unanime du peuple comme unique successeur du César défunt, au détriment du jeune Tibère Gemellus que l'empereur avait dans son testament associé à Caligula. Le nouveau règne cependant s'annonçait pour Claude comme devant être plus doux et plus clément ; Caligula nommé consul aux calendes de juillet et prié de désigner son collègue déclara ne pas pouvoir mieux choisir que son oncle Claude : ainsi s'ouvrirent pour ce dernier les portes du sénat que lui avait obstinément tenues fermées le précédent empereur. Pendant quelque temps Caligula combla son oncle d'attentions et de faveurs, il voulut qu'il vint habiter le palais impérial, il l'emmenait avec lui à toutes les fêtes, à toutes les cérémonies. Souvent même il le chargea de présider à sa place aux jeux du cirque, où le peuple l'accueillait aux cris de : Vive Claude, vive l'oncle de César, vive le frère de Germanicus ! Les dieux eux-mêmes semblaient sourire à Claude : le jour où il parut pour la première fois sur le Forum, précédé des licteurs portant les faisceaux consulaires, un aigle vint se poser sur son épaule droite, heureux présage de domination, trop heureux même sous le règne de Caligula. En effet ce bonheur de Claude ne dura pas plus de sept mois : brusquement Caligula changea de caractère : déjà Claude dans son court consulat de deux mois avait manqué d'être destitué, en apparence pour avoir mis trop de lenteur à .faire ériger les deux statues de Néron et de Drusus, frères de l'empereur, et probablement en, réalité à cause du présage que nous avons rapporté plus haut ; mais bientôt ce ne furent plus ses places, ce fut sa vie qui fut en danger ; les délateurs commençaient leur sinistre métier : une pluie de dénonciations et de calomnies vint s'abattre sur tous les personnages marquants de l'Etat, et Claude n'échappa qu'à grand'peine à ce nouveau péril.

En 790 (l'an 37 du Christ), Caligula fit la dédicace de ce temple d'Auguste dont Claude avait demandé à être le pontife et que Tibère n'avait pas achevé ; à cette occasion le prince donna un gigantesque banquet aux sénateurs et aux chevaliers ainsi qu'à toutes leurs familles, et chaque citoyen reçut un don de trois cents sesterces (61 fr. 14 cent.). Cette libéralité ne ruina pas Caligula, il ordonna à son oncle de lui payer pour son installation dans son pontificat une somme énorme que Claude, qui n'avait que peu de fortune, était hors d'état de donner ; les biens du malheureux Claude furent à cette occasion vendus à l'encan par ordre de l'empereur.

Claude cependant devait se trouver heureux d'en être quitte pour la perte de ses biens, car tout autour de lui le sang coulait à flots : le jeune Tibère est poignardé par un centurion : invité à se donner la mort, Silanus, beau-père de Caligula, s'ouvre la gorge avec un rasoir ; le roi Ptolémée, fils du roi Juba, petit-fils de Marc-Antoine et par conséquent cousin germain de l'empereur, est envoyé au supplice parce que dans une cérémonie publique l'éclat de sa robe de pourpre attirait plus les regards que la toge impériale : on immole le vieux Macron lui-même et sa femme Ennia, bien qu'ils eussent en quelque sorte donné à Caligula son pouvoir.

Aussi l'on commence à murmurer à Rome, et pendant une absence de l'empereur, occupé à sa ridicule expédition contre l'Océan, dont les trophées se bornèrent à quelques coquillages ramassés sur la plage de Gesoriacum ( Boulogne-sur-Mer), des conspirateurs s'agitent et méditent de se débarrasser du monstre qui menace perpétuellement leur existence ; l'un d'eux est le propre beau-frère de l'empereur, E. Lepidus, d'une des plus illustres maisons de Rome ; malheureusement ils sont découverts, et Caligula exaspéré ne met plus de bornes à sa fureur. Son oncle Claude envoyé avec une députation pour le féliciter d'avoir échappé au danger arrive dans un de ces accès de folie furieuse ; Caligula ne veut seulement pas l'entendre et il le fait jeter à l'eau tout habillé.

Claude n'en mourut pas ; mais ses malheurs n'étaient point terminés ; s'il conserva la vie, on verra à quel prix ce fut. Devenu le bouffon de la table impériale, où, ruiné comme il l'était, il fallait bien qu'il allât s'asseoir, s'il ne voulait pas aller en parasite quêter de porte en porte le repas de chaque jour, tout le monde avait le droit, de l'ordre même du maître, de rire de lui et de le tourmenter ; si par malheur il se présentait en retard pour souper on ne le recevait que par grâce ; s'endormait-il après le repas, comme c'était son habitude, on le criblait de noyaux de dattes et d'olives, on alla jusqu'à le réveiller brusquement d'un grand coup de fouet ; les favoris de l'empereur s'amusaient à le déchausser et à lui mettre ses brodequins aux mains, puis le réveillaient en sursaut pour que dans son trouble il s'en frottât le visage.

 

Cependant la haine qu'on portait à Caligula augmentait de jour en jour ; une nouvelle conspiration se forma ; Cassius Chéréas, tribun des prétoriens, Valerius Asiaticus, les deux préfets du prétoire, quelques tribuns des- soldats et quelques sénateurs conçurent le projet de rétablir l'ancienne république.

Le 24 janvier 41, Caligula, après avoir passé la journée au théâtre, se décida vers le soir à rentrer pour se mettre au bain ; on venait de jouer la tragédie de Cynire, la même qui fut représentée devant le roi Philippe de Macédoine le jour où il fut assassiné. Pour aller agit Thermes du palais, Caligula s'engagea dans une grande galerie souterraine où s'exerçaient quelques jeunes gens amenés d'Asie pour paraître dans les jeux scéniques. Caligula s'arrêta un instant pour leur parler : Claude était à ses côtés, mais le reste de son escorte ne se composait en grande partie que de conjurés et de sénateurs indifférents, très-peu dévoués sauf en apparence. A ce moment un des conspirateurs, Corn. Sabinus, tribun militaire, écarte Claude et repousse quelques sénateurs pour s'approcher du prince et lui demander le mot d'ordre de la nuit. Jupiter, répondit Caligula. A peine finissait-il de prononcer ce mot que Chéréas qui était resté derrière lui s'écria : Tu vas recevoir une marque de sa colère ! Caligula se retourne étonné et au même moment le glaive de Chéréas lui fend la mâchoire. Caligula tombe sous le coup, mais il se relève en trébuchant, il s'écrie qu'il vit encore, il appelle du secours ; alors tous les conjurés se précipitent sur lui, ils le frappent de tous côtés, et bientôt l'empereur expire percé de plus de trente blessures.

Tout cela n'avait duré qu'un instant ; à peine Caligula rendait-il le dernier soupir que les porteurs de sa chaise, armés de leurs bâtons, et les Germains de sa garde avec leurs glaives accoururent dans la galerie ; là, au milieu d'un effroyable désordre, se livra une sorte de combat ; plusieurs des conjurés et quelques sénateurs innocents y perdirent la vie ; la garde germaine, furieuse de la mort de l'empereur, qui l'avait comblée de ses faveurs, se répandit dans la ville voyant des conjurés partout et massacrant indistinctement tous les passants.

Repoussé d'abord par Sabinus puis par les autres conspirateurs, Claude avait pu sortir de la galerie au moment où Caligula tombait sous les premiers coups ; épouvanté de ce qu'il venait de voir, il s'était réfugié dans un pavillon isolé du palais, nommé l'Hermæum : là, entendant les cris des victimes, les clameurs terribles des Germains, il fut saisi d'une indicible terreur. Ne se croyant pas en sûreté dans son asile, il monte dans les combles du palais, entre dans un belvédère, et se dissimule du mieux qu'il peut derrière une tenture de tapisserie. Déjà les prétoriens, accourus en toute hâte de leur camp du Viminal, envahissaient le palais ; ils erraient au hasard dans les grandes salles, dans les immenses galeries, effrayés de sentir Rome sans prince et de se voir sans maître protecteur ; un d'entre eux, Gratus, monte par hasard jusqu'au belvédère où Claude avait cherché un refuge ; il entre brusquement, l'épée nue à la main ; il aperçoit une tapisserie derrière laquelle il croit distinguer une forme humaine ; pensant que c'est un conjuré qui se cache sous cette tenture, il la soulève d'une main menaçante ; Claude sans armes, tout troublé, se croyant destiné au même trépas que Caligula se jette à ses pieds en lui demandant la vie, et le soldat le relève empereur !

 

 

 



[1] Tite-Live, liv. II, XIX et XXVII. — Aurelius Victor, 3. Aulu-Gelle, XIII, 22 — Velleius, II. — Sénèque, Brièv. de la vie, XIII. — Florus, II. — Valère Maxime, I, 4, 3. — Dion Cassius, XLII, LIX et LX. — Suétone, Tibère, Caligula. — Josèphe, Antiquités juives, liv. 19. — Jean Tristan, Commentaires, Caïus et Claude, Paris, 1664.

[2] Généalogie des Césars. Auguste, adopté lui-même par César, épouse Livie déjà mère de Tibère : elle accouche trois mois après cette union d'un second fils nommé Drusus : le père de ces deux enfants était Tibérius Claudius Néron, qui avait été questeur de César.

Tibère est adopté par Auguste.

Drusus, qui continua le nom des Claudius, obtint le surnom de Germanicus pour lui et ses descendants. Il épousa Antonia la jeune, petite-fille du triumvir Antoine, en eut une fille Livilla et deux fils :

L'aîné nommé d'abord Germanicus fut adopté par Tibère;

Le second Tiberius Claudius Drusus fut l'empereur Claude: il prit le surnom de Germanicus après l'adoption de son frère aîné par Tibère qui était cependant père d'un fils nommé Drusus, né de sa femme.

Germanicus, le fils adoptif de Tibère, laissa de sa femme la première Agrippine :

Trois fils, Néron, Drusus, et Caïus Caligula. Drusus, le vrai fils de Tibère, n'eut qu'un enfant mâle appelé Tibère comme son grand-père.

Tous ces enfants périrent jeunes et misérablement, à l'exception de Caïus Caligula qui succéda à l'empereur Tibère.

Après l'assassinat de Caligula, la ligne directe adoptive des Césars était donc éteinte : Claude n'était qu'allié de la famille d'Auguste.

L'empereur Néron descendait d'Auguste par Agrippine, petite-fille d'Agrippa gendre d'Auguste : Les empereurs suivants sont tout à fait étrangers à cette première famille impériale,

Remarquons aussi que l'adoption était si bien entrée dans les mœurs et dans les lois romaines qu'un fils adoptif était considéré par tout le monde comme un véritable fils.

Le nom de César et le surnom d'Auguste se donnent indistinctement à tous les empereurs; ce ne fut qu'à partir de Dioclétien que le nom de César devenu un titre fut subordonné au surnom d'Auguste devenu également la marque de la puissance souveraine.

Le mot imperator qui n'était qu'un titre d'honneur pour les consuls et les généraux victorieux, et que porta même le peu belliqueux Cicéron, se mettait avant le nom : Imperator Marcus Tullius Cicero. Plus tard, mis après le nom il désigna cette nouvelle puissance, immense et mal définie, de ces chefs d'État que nous appelons les empereurs romains. Le vrai titre serait plutôt celui d'Auguste ou celui de prince ; on dit du reste le principat d'Auguste pour le règne d'Auguste.

Mélange de tous les pouvoirs, depuis celui du consul jusqu'à celui du tribun du peuple, le pouvoir impérial était une sorte de dictature mal définie.

[3] Le mot gens qu'on traduit par famille indique cependant une idée plus vaste : les clients, les affranchis pouvaient entrer dans la gens, qui parfois était ainsi composée de patriciens et de plébéiens : c'était la maison dans un sens plus étendu encore.

[4] Ce Clodius se fit adopter par un plébéien appelé Clodius ; c'est pour cela que nous voyons son nom écrit d'une autre manière que celui de tous les autres membres de la famille patricienne des Claudius.

[5] Cucullum, sorte de capuchon réservé aux malades et aux infirmes : les courtisanes le portaient aussi quelquefois.