BRUNEHAUT

 

PAR LUCIEN DOUBLE.

PARIS - SANDOZ ET FISCHBACHER – 1878

 

 

AVANT-PROPOS.

I. — 566-568.

II. — 568-575.

III. — 575-576.

IV. — 575-584.

V. — 584-587.

VI. — 587-596.

VII. — Les lois de Brunehaut.

VIII. — 596-605.

IX. — 606-607.

X. — 610.

XI. — 611-612.

XII. — 612-613.

XII. — L'opinion de l'histoire.

 

AVANT-PROPOS.

 

Devant l'éternité les siècles ne sont même pas des secondes, et des milliers d'années ne sont, pour des êtres mieux organisés et plus durables que l'homme, que les heures fugitives de quelque gigantesque journée.

Depuis les âges historiques deux jours à peine se sont écoulés ; le premier naît avec Homère ; sur les mers vierges de l'Archipel flottent les navires de Grèce ; par une guerre, la guerre de Troie, s'ouvre l'histoire de nos races européennes, et le casque brillant d'Achille a comme un reflet d'aurore.

Le soleil monte à l'horizon : c'est le matin : tout reluit, tout resplendit, c'est Périclès qui gouverne, c'est Socrate qui raisonne, Alcibiade qui déraisonne, Phidias qui sculpte, Apelle qui peint, et Léonidas qui meurt. L'humanité semble à son printemps.

Puis vient le midi, vient l'été, la chaleur lourde du jour ; on la sent dans cette majesté romaine qui pèse sur le monde ; de chauds rayons de grand soleil illuminent les Colisée, les Panthéon ; alourdie, l'humanité semble se reposer et sur son affaissement veille l'œil fauve des Césars.

Mais voici qu'à l'horizon, au delà des montagnes assombries, au delà des grands fleuves

du Rhin et du Danube dont les eaux glauques sous le souffle du crépuscule coulent frissonnantes et froides, apparaissent formidables les nuages des invasions.

Le soleil décline : c'est le crépuscule et c'est l'automne ; Rome succombe, je ne sais quel vent de mort et de froidure souffle sur l'Europe entière ; les Césars ont disparu dans les boues de Ravenne, et les rois barbares règnent sur les ruines de l'empire.

Plus tard va venir la nuit, l'hiver de cette triste époque improprement nommée le moyen âge. C'est le temps des longues nuits, des grandes neiges et des grands fléaux ; les guerres sont des guerres de cent ans, les danses des danses macabres ; tout est noir ; les seules lueurs qu'on distingue sont celles des bûchers de Jeanne d'Arc et de Jean Huss.

Enfin va se lever un nouveau jour ; du chaud pays d'Italie nous vient la Renaissance ; aux bords du fleuve de Loire, dans la brume transparente des matinées de printemps, j'entends déjà du Bellay chanter sa villanelle à la chaleur du jour, bien mieux à la clarté de l'esprit ; celle qu'on avait crue morte sous les coups du fanatisme, ensevelie à jamais sous la pierre froide des gothiques cathédrales, la Pensée va refleurir dans toute l'Europe ; déjà la science se réveille, et l'humanité, se hâtant, va marcher de progrès en progrès jusqu'aux grands siècles des Pascal, des Arnauld, des Voltaire et des Diderot ; mais l'épanouissement ne sera pas complet ; je ne sais quel fol amour d'une mensongère liberté vade nouveau bouleverser le genre humain ; pour des chimères on se déchirera, et l'imbécile échafaud de Quatre-vingt-treize voudra remplacer la Pensée, cette éternelle et calme souveraine ; puis les grandes guerres reviendront comme aux temps barbares ; des temps présents, je ne veux pas parler, grand Dieu ! sommes-nous déjà arrivés à la fin de notre journée, aux affres d'un second hiver ?

Dans toutes ces heures de l'histoire que nous venons d'effleurer ensemble, une surtout nous a frappé ; c'est cette heure crépusculaire, cette époque douteuse qui n'est plus l'histoire romaine, qui n'est pas encore l'histoire du moyen âge. De grands esprits avant nous, l'auteur des Martyrs, comme celui des Récits des temps mérovingiens, avaient ressenti la même impression de charme étrange que nous-même avons éprouvée.

Quand on parcourt les vieux chroniqueurs des temps des Clotaire et des Chilpéric, on ressent en réalité une très-vivante impression de nuit qui tombe et d'automne qui vient — le sec Frédégaire avoue lui-même que le soleil décline et que le monde se fait vieux —. Ce n'est plus certes ce sentiment de chaleur orageuse qu'on éprouvait en traversant les plaines desséchées où brillaient au grand soleil d'Italie les statues d'airain des Césars de Rome.

On se croit sur une route déserte ; le ciel est bas, le temps est gris, nuageux ; tout près est la grande forêt dangereuse au voyageur ; au loin un profil grêle de clochers et de tourelles se dessine vaguement sur l'horizon embrumé ; l'on serre son manteau et l'on presse le pas ; on sent l'obscurité qui va venir, et, cependant, l'on se surprend, malgré la rudesse du chemin, l'âpreté du ciel inclément, à savourer en soi-même la douceur mélancolique, peut-être la plus grande de toutes, de ces dernières heures d'automne qui ont pour elles le charme poignant du regret.

Dans ce premier automne, dans ce premier crépuscule de l'histoire humaine, un épisode nous a surtout frappé, c'est la vie de Brunehaut ; tout le monde connaît la lutte acharnée qu'elle soutint contre sa rivale Frédégonde ; mais c'est à peu près tout ce que sait d'elle la masse des lecteurs : Frédégonde, au contraire, a plus de réputation ; l'auteur des Récits des temps mérovingiens l'a mise en pleine lumière, laissant dans l'ombre la figure de Brunehaut. La pauvre reine, et c'est là son plus grand crime, n'a, depuis bien longtemps, pour elle que les inconnus, les ignorés. Il y a des siècles qu'un moine sans nom, la prenant en pitié, recommandait l'âme de Brunecheul à la vraye indulgence de Dieu, comme nous recommandons sa mémoire à l'indulgence de l'histoire. Indulgence ! Est-ce là cependant, grande reine et fière victime, ce que tu aurais demandé ? Indulgence, grâce, pardon, ces mots qui consolent les faibles, les humbles, les timides, tu les aurais, quoique chrétienne, sans doute repoussés bien loin ; et, dans ta fierté stoïcienne, héritière inconsciente des Socrate et des Caton d'Utique, acceptant loyalement, pour le mal comme pour le bien, la responsabilité de tes actes, tu aurais demandé, non l'indulgence, faveur qu'on implore, mais la justice, droit qu'on exige.