HISTOIRE DE L’EMPIRE BYZANTIN

 

CHAPITRE VIII — L’empire byzantin sous les Paléologues (1261-1453).

 

 

I — LA SITUATION DE L’EMPIRE GREC EN 1261.

L’empire, tel qu’il se reconstituait sous la dynastie nouvelle des Paléologues, ne ressemblait plus guère à la monarchie sur laquelle avaient jadis régné les Comnènes. En Asie, l’empire de Trébizonde possédait la plus grande partie des provinces qui bordaient la mer Noire, et il formait un État indépendant, qui de plus en plus s’isola de Byzance et mena jusqu’au milieu du XVe siècle une existence parallèle à celle de l’empire grec. En Europe, le despotat d’Épire occupait le sud de l’Albanie et une partie de l’Étolie ; le duché de Néopatras ou de Grande Vlachie s’étendait sur la Thessalie, la Locride, la Phtiotide. A côté de ces États grecs, il y avait, dans la Grèce centrale, un duché latin d’Athènes et, dans le Péloponnèse, une principauté latine de Morée. Les Vénitiens étaient maîtres de la plupart des îles de l’Archipel ; les Génois tenaient Chios et avaient des colonies importantes sur le littoral d’Anatolie et dans la mer Noire. L’empire grec restauré ne comprenait plus que trois groupes de territoires : en Asie, les possessions de l’ancien empire de Nicée ; en Europe, Constantinople avec la Thrace et une partie de la Macédoine, dont Thessalonique était la ville principale ; quelques îles enfin, comme Rhodes, Lesbos, Samothrace et Imbros. Et en face de cet empire, territorialement diminué, financièrement épuisé, militairement faible, des États jeunes grandissaient, vigoureux et conscients de leur force, âpres à disputer à Byzance l’hégémonie que jadis elle possédait. C’étaient, dans la péninsule des Balkans, le second empire bulgare au XIIIe siècle, la Grande Serbie d’Étienne Douchan au XIVe. C’étaient surtout en Asie les Turcs, dont la menace devenait chaque jour plus redoutable. Le temps était loin où Constantinople était le centre du monde oriental et de la vie civilisée.

Le règne de Michel VIII Paléologue (1261-1282). — Pour restaurer l’empire byzantin dans son intégrité et sa splendeur d’autrefois, il eût fallu un prodigieux effort. Michel VIII (1261-1282) le tenta : et quoiqu’il n’ait point réussi pleinement à réaliser ses grandioses ambitions, il n’en apparaît pas moins, par le but qu’il se proposa, par son génie pratique, par sa souple habileté, comme le dernier des grands empereurs de Byzance.

Dès le lendemain de son avènement, Michel VIII marquait le dessein de reconquérir les provinces enlevées à l’empire, sur les Grecs aussi bien que sur les Latins. Il reprenait pied dans la Morée franque (fin 1261) ; il enlevait Janina aux Épirotes (1265), une partie de la Macédoine aux Bulgares (1264), plusieurs des îles de l’Archipel aux Vénitiens ; il réprimait l’insolence des Génois ; il replaçait sous l’autorité d’un prélat grec les Églises serbe et bulgare (1272). Mais bien vite il se heurta à l’hostilité de l’Occident. La papauté et Venise, en effet, ne renonçaient point à restaurer l’empire latin ; le nouveau souverain des Deux-Siciles, Charles d’Anjou, héritier par le traité de Viterbe (1267) des droits de l’empereur Baudouin II, suzerain de la principauté d’Achaïe par le mariage de son fils avec l’héritière de Villehardouin, avait du côté de l’Orient de plus vastes ambitions encore. Il conquérait Corfou (1267), occupait Durazzo et la côte d’Épire (1272), prenait le titre de roi d’Albanie, s’alliait à tous les ennemis de l’empire, aux Bulgares, aux Serbes, au prince de Grande Vlachie.

Ce fut, dans cette crise redoutable, l’habileté suprême de Michel Paléologue d’empêcher la coalition générale de l’Occident contre les Byzantins. Profitant des inquiétudes de la papauté, qui ne tenait pas à voir grandir outre mesure la puissance de Charles d’Anjou, flattant le désir qu’avaient toujours les souverains pontifes de rétablir sur l’Église grecque l’autorité de Rome, il conclut avec Grégoire X, au concile de Lyon (1274), l’accord qui soumettait à nouveau l’Église orientale à la papauté. Mais, en échange, Michel VIII obtenait l’assurance qu’on ne lui disputerait pas Constantinople, qu’il aurait en Orient les mains libres, qu’il lui serait permis d’y combattre les Latins mêmes. Et en effet, dès 1274, il prenait en Épire l’offensive contre les troupes angevines, intervenait en Thessalie, où il assiégeait Néopatras (1275), combattait les Vénitiens en Eubée, et poussait ses progrès en Achaïe, où la mort de Guillaume de Villehardouin (1278) affaiblissait grandement la principauté franque.

Malheureusement, l’hostilité irréductible des Grecs contre Rome traversa ces habiles combinaisons. Michel VIII avait imposé par la force l’union au clergé byzantin ; il voulut, d’accord avec le patriarche Jean Bekkos (1275), la réaliser par la force. Il ne réussit par là qu’à provoquer un schisme dans l’intérieur de l’Église orthodoxe, et l’antagonisme entre les deux mondes, qu’il s’était flatté d’apaiser, n’en devint que plus aigu et plus redoutable.

Charles d’Anjou d’autre part, fort mécontent, ne désarmait point. Il réorganisait sa domination en Épire (1278), regagnait à ses vues la papauté (1281), formait avec Rome et Venise iule ligue pour rétablir l’empire latin, à laquelle, par haine de Michel VIII, adhéraient les Serbes, les Bulgares et les Grecs mêmes de Thessalie et d’Épire. L’empereur byzantin fit front partout. Il battit à Bérat les généraux de Charles d’Anjou ; surtout, pour briser l’ambition angevine, il suscita les Vêpres siciliennes (mars 1282). Mais si par là, finalement, il tint en échec l’Occident, peut-être Michel VIII, trop exclusivement préoccupé de sa politique à l’égard des Latins, négligea-t-il à l’excès en Orient le péril turc qui grandissait en Asie Mineure, le péril serbe qui montait en Europe. L’agitation religieuse, qu’il avait par ailleurs déchaînée dans l’empire, était pour la monarchie une autre cause de faiblesse. Le règne de Michel VIII avait semblé marquer pour l’empire un commencement : de renaissance : la décadence allait suivre, rapide et inéluctable.

 

II — L’EMPIRE GREC SOUS LES DERNIERS PALÉOLOGUES (1282-1453).

On le vit bien sous les successeurs de Michel VIII, sous son fils Andronic II (1282-1328), prince instruit, beau parleur, ami des lettres et très pieux, mais incurablement faible et médiocre, et sous le petit-fils de celui-ci, Andronic III (1328-1341), intelligent, mais léger, turbulent et viveur ; on le vit sous le long règne de Jean V (1341-1391), malgré l’énergique direction que donna un moment aux affaires le souverain remarquable que fut l’usurpateur Jean VI Cantacuzène (1341-1355), et malgré les hautes qualités qu’apporta ensuite au trône le fils de Jean V, Manuel II (1391-1425), prince éminent, dont on a pu dire qu’en des temps meilleurs il aurait sauvé l’empire, si l’empire avait pu être sauvé. L’empire ne pouvait plus être sauvé. Jean VIII (1425-1448), Constantin Dragasès (1448-1453), ne purent arrêter la décadence ni empêcher la ruine, et le dernier ne sut que se faire tuer héroïquement sur les remparts de sa capitale prise d’assaut. Peu importe donc que, pendant ce siècle et demi, l’empire ait, parfois encore, eu à sa tête des hommes de valeur : les événements étaient plus forts que leur volonté ; au dedans comme au dehors, les causes de ruine étaient irrémédiables.

Les causes intérieures de la décadence. — Les guerres civiles. En face des périls extérieurs qui menaçaient la monarchie, il eût fallu que l’empire demeurât uni, tranquille et fort. L’époque des Paléologues, au contraire, fut pleine de révolutions et de discordes civiles. Contre Andronic II se soulevait son petit-fils, le futur Andronic III, que le vieil empereur prétendait dépouiller de ses droits légitimes au trône ; et pendant plusieurs années (1321-1328), la guerre, coupée de trêves passagères, désola l’empire, pour aboutir finalement à la prise de Constantinople par les révoltés et à la chute d’Andronic II. Pendant la régence d’Anne de Savoie et la minorité de Jean V Paléologue, Jean Cantacuzène, à son tour, se proclama empereur (1341), et pendant six années (1341-1347) le monde grec se divisa en deux partis, l’aristocratie tenant pour l’usurpateur, le peuple pour la dynastie légitime, jusqu’au jour où la capitale tomba, par une trahison, aux mains du prétendant. Pendant le règne de Jean Cantacuzène (1347-1355), les intrigues de Jean V Paléologue, à qui le nouvel empereur avait conservé sa part de pouvoir, troublèrent constamment la monarchie et amenèrent une révolution nouvelle qui renversa Cantacuzène. Puis ce furent les démêlés de Jean V avec son fils Andronic (1376), avec son petit-fils Jean (1391), qui, l’un et l’autre, réussirent à écarter momentanément du trône le vieux souverain. Et la chose grave, c’est qu’au cours de ces luttes, sans scrupules les adversaires appelaient à leur aide tous les ennemis de l’empire, Bulgares, Serbes, Turcs, payant leur concours de larges subsides, de cessions de territoires même et ouvrant ainsi la porte à ceux qui rêvaient la destruction de la monarchie. Tout patriotisme, toute intelligence politique même avaient disparu dans le conflit de ces ambitions exaspérées.

Les querelles sociales et religieuses. — Des antagonismes religieux et sociaux aggravaient la misère des discordes civiles. Vers le milieu du XIVe siècle, un vent de révolution sociale passait sur la monarchie : les classes inférieures s’insurgeaient contre l’aristocratie de naissance ou de richesse ; et pendant sept années (1342-1349), Thessalonique, la seconde ville de l’empire, était, par l’agitation des Zélotes, remplie de troubles, de terreur et de sang. La cité macédonienne se constitua en une véritable république indépendante, dont la tumultueuse histoire est un des épisodes les plus intéressants de la vie de l’empire grec au XIVe siècle ; et ce n’est point sans peine que Jean Cantacuzène rétablit finalement dans la ville qui avait pris parti contre lui l’ordre et la paix.

Les luttes religieuses, nées surtout de l’hostilité séculaire entre Grecs et Latins, augmentaient encore le désarroi. Michel VIII, par politique, avait cru sage de se rapprocher de Rome et de rétablir l’union entre les Églises ; il avait soulevé, par là, un mécontentement si grave que le premier soin de son successeur Andronic II fut de faire sa paix avec le clergé orthodoxe, en dénonçant l’accord conclu avec la papauté. L’antagonisme entre Latins et Grecs s’en était naturellement accru et, dans la monarchie même, l’opposition entre les partisans et les adversaires de l’union. Une ardente polémique entretenait cette agitation et transformait insensiblement toute sympathie pour les idées latines en une véritable trahison à l’égard de la patrie. Dans ces conditions, la moindre occasion déchaînait l’opposition du nationalisme byzantin contre l’Occident. Ce fut la raison profonde du débat, d’apparence purement théologique, qu’on nomme la querelle des Hésychastes et qui, pendant dix ans (1341-1351), troubla et divisa l’empire. Dans cette affaire, née en apparence des rêveries étranges de quelques moines de l’Athos, ce qui s’opposait en réalité, c’était l’esprit grec et l’esprit latin, le mysticisme oriental, que représentaient les Hésychastes et leur défenseur Grégoire Palamas, et le rationalisme latin, dont les tenants étaient un Barlaam et un Akyndinos, nourris de saint Thomas d’Aquin et rompus à la dialectique scolastique ; et c’est pour cela que la lutte prit fort vite une couleur politique, Cantacuzène prenant parti pour l’Athos et Anne de Savoie pour Barlaam.

Il en alla de même quand, par nécessité politique, Jean V (1369), puis Manuel II (1417), recommencèrent à négocier avec Rome et que, pour conjurer le péril turc, Jean VIII tenta un effort désespéré. L’empereur vint en personne en Italie (1437) et signa avec Eugène IV, au concile de Florence, l’accord qui mettait fin au schisme (1439). Comme Michel VIII, il se heurta à l’intransigeance farouche du clergé et du peuple orthodoxes, persuadés que, malgré toutes leurs promesses, les Latins ne poursuivaient que la destruction de la ville, de la race et du nom grec. Jean VIII et son successeur Constantin XI eurent beau essayer d’imposer l’union par la force ; l’émeute gronda jusque sous les voûtes de Sainte-Sophie (1452) ; à la veille de la catastrophe où allait sombrer Constantinople, on se passionnait dans la ville pour ou contre l’union, et certains hommes déclaraient qu’ils aimaient mieux voir régner à Byzance le turban des Turcs que la mitre des Latins.

La détresse financière et militaire. — Par là-dessus, c’était la détresse financière. Malgré la tyrannie fiscale, l’impôt foncier, dans un pays complètement ruiné par la guerre, ne rapportait plus au trésor que des ressources insuffisantes. Les douanes, depuis que le commerce de l’empire était tombé aux mains des Vénitiens et des Génois, diminuaient avec une rapidité croissante. Le gouvernement était réduit à altérer les monnaies, l’empereur à emprunter et à mettre en gage les joyaux de la couronne : l’argent manquait, le trésor était vide. La décadence militaire n’était pas moins grave : l’armée, numériquement faible, indisciplinée et mal tenue en main, était de plus en plus impuissante à défendre l’empire. Les mercenaires au service de la monarchie se révoltèrent contre elle, comme fit, sous Andronic II, la Grande Compagnie catalane qui, maîtresse de Gallipoli, bloqua pendant deux ans Constantinople (1305-1307) et promena ses étendards victorieux à travers la Macédoine et la Grèce (1307-1311) ; comme firent, au milieu du XIVe siècle, les auxiliaires serbes et turcs, qui ravagèrent et pillèrent l’empire sans merci. Sur mer, c’était la même faiblesse. Michel VIII avait essayé de reconstituer la flotte byzantine ; ses successeurs jugèrent la dépense inutile et abandonnèrent la domination des mers orientales aux escadres des républiques italiennes. L’empire s’en allait à l’abandon, sans force contre les périls qui le menaçaient à l’extérieur.

Les causes extérieures de la décadence. — Bulgares et Serbes. — Depuis la mort de Jean Asen (1241), l’empire vlaquo-bulgare, si redoutable pour Byzance depuis la fin du XIIIe siècle, s’était fort affaibli par suite des luttes intestines qui le déchiraient. La grave défaite que les Serbes infligèrent au tsar Michel à Velboujd (1330) acheva de ruiner sa puissance. Cependant les Bulgares demeuraient toujours pour l’empire des voisins inquiétants ; ils intervenaient dans les affaires byzantines, profitaient de l’appui qu’ils apportaient à Andronic II ou à Anne de Savoie pour exiger de larges cessions de territoires ; surtout, de leurs incursions incessantes, le pays grec sortait épouvantablement dévasté. Mais les Serbes surtout étaient devenus pour Byzance des adversaires terribles. Sous les successeurs d’Étienne Nemanya, Ouroch Ier (1243-1276), Dragoutine (1276-1282), Miloutine (1282-1321), la Serbie s’était agrandie aux dépens des Bulgares et des Grecs jusqu’à devenir l’État le plus important de la péninsule balkanique. Ouroch Ier avait conquis la haute vallée du Vardar (1272) ; Miloutine, s’appuyant sur l’alliance des Épirotes et des Angevins, avait occupé Uskub (1282), conquis la région de Serrés et de Christopolis, qui lui ouvrait l’accès de l’Archipel (1283), mis la main sur Ochrida, Prespa et toute la Macédoine occidentale, envahi l’Albanie du Nord (1296) et obligé Andronic II à lui reconnaître toutes ses conquêtes (1298) : et comme les Bulgares, les Serbes s’étaient mêlés sans cesse aux troubles intérieurs de l’empire grec.

Quand Étienne Douchan (1331-1355) monta sur le trône, la Serbie s’étendait de la Save et du Danube au nord jusqu’à Stroumitza et Prilep au sud, de la Bosna à l’ouest au Rilodagh et à la Strouma à l’est. Douchan voulut faire d’elle davantage encore : il rêva de réunir sous son autorité toute la péninsule des Balkans et de ceindre à Constantinople la couronne impériale. Habile diplomate, grand général, intelligent, volontaire et tenace, il commença par achever la conquête de la Macédoine occidentale (1334) ; puis, enlevant l’Albanie aux Angevins jusqu’à Durazzo et Valona, l’Épire aux Grecs jusqu’à Janina (1340), il poussa ses progrès en Macédoine, où les Byzantins ne conservèrent que Thessalonique et la Chalcidique, et où la frontière serbe atteignit vers l’est la Maritza (1345). Et en 1346, dans la cathédrale d’Uskub, Douchan se faisait solennellement couronner empereur et autocrate des Serbes et des Romains. L’empire serbe s’étendait maintenant du Danube à la mer Égée et à l’Adriatique : Douchan l’organisait sur le modèle de Byzance ; il lui donnait une législation (1349), il instituait à Ipek un patriarcat indépendant de Constantinople ; vainqueur des Grecs (en 1351 il assiégeait Thessalonique), des Angevins, du roi de Bosnie, du roi de Hongrie, il apparaissait comme le prince le plus puissant des Balkans, et le pape le proclamait le chef de la lutte contre les Turcs. Il ne restait plus à Douchan qu’à prendre Constantinople. Il le tenta (1355), conquit Andrinople et la Thrace, et mourut brusquement, — malheureusement pour la chrétienté, — en vue de la ville dont il rêvait de faire sa capitale. Lui mort, son empire se disloqua vite. Mais, de cette lutte de vingt-cinq ans, Byzance sortait un peu plus faible encore.

Les Turcs. — Pendant qu’ainsi, en Europe, l’empire grec diminuait sous l’assaut des États slaves, les Turcs Osmanlis progressaient en Asie, sous la conduite de trois grands chefs, Ertogrul, Osman (1289-1326) et Orkhan (1326-1359). Malgré les efforts, parfois heureux, d’Andronic II pour les arrêter, Brousse tombait en 1326 aux mains des Ottomans, qui y établissaient leur capitale. Nicée succomba ensuite (1329), puis Nicomédie (1337) ; en 1338 les Turcs atteignaient le Bosphore. Ils le franchissaient bientôt, sur l’appel des Byzantins eux-mêmes, qui sollicitaient avec empressement leur alliance dans leurs discordes civiles : en 1353, Cantacuzène, qui dès 1346 avait donné sa fille en mariage au sultan, récompensait ses services en lui cédant une forteresse sur la côte européenne des Dardanelles. L’année suivante (1354), les Turcs s’installaient à Gallipoli ; ils occupaient Didymotique et Tzouroulon (1357). La péninsule des Balkans leur était ouverte.

Mourad Ier (1359-1389) en profita. Il conquit la Thrace (1361), que Jean V Paléologue dut lui reconnaître (1363) ; il emporta Philippopoli et bientôt Andrinople, où il transporta sa capitale (1365). Byzance isolée, cernée, coupée du reste de la monarchie, attendait, retranchée derrière ses murailles, le coup suprême qui semblait inévitable. Pendant ce temps, les Ottomans achevaient la conquête de la péninsule balkanique. Ils écrasaient sur la Maritza les Serbes du sud et les Bulgares (1371) ; ils installaient leurs colonies en Macédoine et menaçaient Thessalonique (1374) ; ils envahissaient l’Albanie (1386), détruisaient l’empire serbe à la journée de Kossovo (1389), faisaient de la Bulgarie un pachalik turc (1393). Jean V Paléologue était obligé de se reconnaître le vassal du sultan, de lui payer tribut, de lui fournir un contingent de troupes pour prendre la dernière place que les Byzantins possédaient encore en Asie Mineure, Philadelphie (13g1).

Bajazet (1389-1402) agit plus vigoureusement encore à l’égard de l’empire. Il bloqua étroitement (1391-1395) la capitale grecque ; et quand eut échoué, à la bataille de Nicopolis (1396), le grand effort que l’Occident tenta pour sauver Byzance, il attaqua de vive force Constantinople (1397), en même temps qu’il envahissait la Morée. Heureusement pour les Grecs, l’invasion mongole et la défaite retentissante que Timour infligea aux Turcs à Angora (1402) donnèrent à l’empire vingt ans encore de répit. Mais, en 1421, Mourad II (1421-1451) reprenait l’offensive. Il attaquait, d’ailleurs sans succès, Constantinople, qui résista énergiquement (1422) ; il prenait Thessalonique (1430) que, depuis 1423, les Vénitiens avaient achetée aux Grecs ; un de ses généraux pénétrait en Morée (1423) ; lui-même portait ses armes en Bosnie, en Albanie, et imposait tribut au prince de Valachie. L’empire grec, aux abois, ne possédait plus, outre Constantinople et la région voisine jusqu’à Derkon et Selymbria, que quelques territoires épars sur le littoral, Anchialos, Mesembria, l’Athos, et le Péloponnèse qui, reconquis presque complètement sur les Latins, devenait alors comme le centre de la nationalité grecque. Malgré les efforts héroïques de Jean Hunyade, qui battit en 1443 les Turcs à Jalovatz, malgré la résistance de Scanderbeg en Albanie, les Ottomans poursuivaient leurs avantages. En 1444, à la bataille de Varna, le dernier grand effort que tentait en Orient la chrétienté était brisé ; le duché d’Athènes se soumettait aux Turcs ; la principauté de Morée envahie (1446) était obligée de se reconnaître tributaire ; Jean Hunyade était défait à la seconde bataille de Kossovo (1448). Constantinople seule survivait, citadelle inexpugnable, et elle semblait à elle seule constituer tout l’empire. Mais, pour elle aussi, la fin était proche. Mahomet II, en montant sur le trône (1451), avait le ferme dessein de s’en emparer.

Byzance et les Latins. — Au lieu d’aider à la défense de l’empire, les Latins établis en Orient, Vénitiens et Génois, n’avaient fait que profiter égoïstement de sa détresse et précipiter sa ruine.

Établis par Michel Paléologue à Galata, en face de Constantinople (1267), installés sur la côte d’Asie Mineure et dans la mer Noire, les Génois, selon l’expression d’un historien grec, avaient fermé aux Romains toutes les routes du commerce maritime ; et quoique, sous le règne d’Andronic III, les Grecs eussent momentanément reconquis sur eux Chios (1329), Lesbos (1336) et Phocée (1340), ces succès sans lendemain n’avaient diminué ni l’insolence ni l’âpreté au gain des marchands étrangers. Les Vénitiens, maîtres de l’Archipel, et rentrés bien vite à Constantinople et à Thessalonique, n’étaient pas moins redoutables. Les deux républiques se comportaient dans l’empire comme en pays conquis, bravant les souverains byzantins et leur imposant leur volonté par la force, remplissant la capitale de troubles et de meurtres, faisant pénétrer leurs escadres jusque dans la Corne d’Or, provoquant des révolutions dans la capitale (1375), se faisant céder par la menace des territoires ou accorder des privilèges, installant — comme firent les Génois en 1348 — une station navale dans le Bosphore, pillant les sujets grecs et attaquant Constantinople même, — comme firent les Vénitiens en 1305, les Génois en 1348, — quand ils croyaient avoir à se plaindre de l’empereur. Les Byzantins, tout en s’en indignant, acceptaient ces insolences, impuissants qu’ils étaient à les repousser par la force : et de cette situation Vénitiens et Génois profitaient pour exploiter la monarchie. Venise organisait son empire colonial dans les mers du Levant. Gènes créait, dans Chios reconquise (1347) la puissante société commerciale appelée la Mahone. Les Latins, selon le mot d’un historien byzantin s’étaient emparés de toutes les richesses des Byzantins et de presque tous les revenus de la mer, achevant ainsi la ruine économique de l’empire.

Le reste de l’Occident ne se préoccupait guère davantage de Byzance. Sans doute, la croisade de 1343 avait reconquis Smyrne pour quelques années, et celle de 1366 repris un moment Gallipoli aux Turcs. Sans doute, la chrétienté avait tenté en 1396 le grand effort qui aboutit au désastre de Nicopolis, et en 1444 celui qui aboutit au désastre de Varna ; et sans doute encore, pendant deux ans (1397-1399), le maréchal de France Boucicaut avait défendu avec courage Constantinople contre les attaques des Turcs. En fait, l’Occident se désintéressait de l’empire byzantin, ou ne songeait qu’à profiter de sa misère pour le dominer religieusement, le conquérir politiquement, l’exploiter économiquement. La papauté ne rêvait que de rétablir l’union, sans s’inquiéter des répugnances que les Byzantins en éprouvaient ; les princes d’Occident ne pensaient qu’à partager l’empire. Vainement Jean V en 1369, Manuel II en 1402, Jean VIII en 1439 vinrent en Italie, en France, en Angleterre, mendier des secours : ils n’obtinrent qu’un accueil courtois et de belles promesses. Et quand Mahomet II se résolut à en finir avec l’empire grec, Byzance, épuisée, abandonnée, n’avait plus qu’à bien mourir.

La prise de Constantinople par les Turcs. — C’est ce qu’elle fit. Dès son avènement, Mahomet II avait manifesté ses intentions, en construisant sur le Bosphore la forteresse de Roumili-Hissar, qui coupait les communications de Constantinople avec la mer Noire, en envoyant, d’autre part, une expédition en Morée (1452), pour empêcher les despotes grecs de Mistra de secourir la capitale. Bientôt, le sultan vint attaquer la ville (5 avril 1453). A la formidable armée turque, qui comprenait près de 160.000 hommes, l’empereur Constantin Dragasès pouvait opposer 9.000 soldats à peine, dont la moitié au moins étaient des étrangers ; les Grecs, par hostilité à l’union rétablie par leur souverain, firent, en général, assez mal leur devoir. Pourtant, malgré la puissance de l’artillerie turque et le canon formidable de l’ingénieur Orban, un premier assaut fut repoussé (18 avril). Mais Mahomet II réussit à faire passer sa flotte dans la Corne d’Or et à menacer ainsi un autre secteur des remparts. Cependant l’assaut du 7 mai échoua encore. Mais dans les remparts de la ville, aux abords de la porte de Saint-Romain, la brèche était ouverte. Dans la nuit du 28 au 29 mai 1453, l’attaque suprême commença. Deux fois, les Turcs furent repoussés ; alors Mahomet lança à l’assaut les janissaires. A ce moment, le Génois Giustiniani, qui avait été avec l’empereur l’âme de la défense, fut blessé grièvement et dut quitter son poste de combat, désorganisant par là la défense. L’empereur, cependant, continuait à se battre courageusement, lorsqu’un parti ennemi, forçant la poterne nommée Xyloporta, vint par derrière assaillir les défenseurs. C’était la fin. Constantin Dragasès se fit tuer en héros sur la brèche, mettant ainsi sur Byzance un dernier rayon de beauté. Mais les Turcs étaient maîtres de la ville. Ce fut alors, dans Constantinople prise, le pillage et le massacre ; plus de 60.000 personnes furent réduites en captivité. Et le 30 mai 1453, à huit heures du matin, Mahomet II faisait dans Byzance son entrée solennelle et venait dans Sainte-Sophie rendre grâces au Dieu de l’Islam.

 

III — LA CIVILISATION BYZANTINE A L’ÉPOQUE DES PALÉOLOGUES.

Pourtant telle était, jusqu’en sa décadence, la vitalité de cette civilisation byzantine, qu’une suprême renaissance, littéraire et artistique, pare d’un rayon de gloire mourante l’époque des Paléologues.

Dans le monde du XIVe et du XVe siècle, Constantinople demeurait toujours une des plus belles et des plus illustres cités de l’univers, la métropole de l’orthodoxie où affluaient les pèlerins de l’Orient grec et slave, la grande ville de commerce où se rencontraient les marchands de tout l’Occident, le centre magnifique et fécond d’une culture intellectuelle et artistique remarquable. Les écoles de la capitale byzantine étaient plus florissantes et plus fréquentées que jamais, et les grands professeurs de l’Université, les Planude, les Moschopoulos, les Triklinios, au commencement du XIVe siècle, plus tard les Chrysoloras ou les Argyropoulos, en y renouvelant l’étude des écrivains classiques, se montraient les dignes précurseurs des humanistes de la Renaissance. Auprès d’eux, les philosophes, les Gémiste Pléthon, les Bessarion, continuaient la tradition de l’étude des doctrines platoniciennes et se préparaient à les transmettre à l’Occident. Puis, c’était toute une pléiade de talents originaux et personnels, historiens comme Jean Cantacuzène ou Nicéphore Grégoras au XIVe siècle, comme Phrantzès, Ducas, Chalcondylès ou Critobule au XVe ; théologiens comme Grégoire Palamas ou les deux Cabasilas au XIVe siècle, comme Marcos Eugenikos ou Georges Scholarios au XVe siècle, orateurs comme Nicéphore Chumnos ou Démétrius Cydonès, essayistes comme Théodore Métochite ou Manuel Paléologue, poètes comme Manuel Philès, satiriques comme l’auteur anonyme de la Descente de Mazaris aux enfers. Les sciences, l’astronomie, la médecine, les sciences de la nature, étaient cultivées à l’égal des lettres, et on a pu dire justement des savants de ce temps qu’ils n’ont pas rendu moins de services qu’un Roger Bacon n’en rendit en Occident. Il semble vraiment qu’à la veille de succomber, Byzance rassemblât toutes ses énergies intellectuelles pour jeter un dernier éclat.

De même, à l’aube du XIVe siècle, l’art byzantin se réveillait pour une dernière renaissance. Revenant à ses sources les plus anciennes, à cette tradition alexandrine en particulier que remettaient en honneur les humanistes du temps, cet art perd son caractère abstrait pour se faire vivant et pittoresque, tour à tour ému, dramatique ou charmant. L’iconographie s’enrichit et se renouvelle, plus pathétique et plus passionnée. La couleur, harmonieuse et savante, est d’une technique presque impressionniste. Des écoles se forment, diverses d’inspiration et de style : école de Constantinople, dont les mosaïques de Kahrié-djami (commencement du XIVe siècle) sont le chef-d’œuvre ; école macédonienne, dont les maîtres ont décoré les églises de la Macédoine, de la Vieille Serbie et les plus anciennes églises de l’Athos, et dont le fameux Manuel Pansélinos est peut-être, au XVe siècle, le dernier représentant ; école crétoise, dont les fresques de Mistra sont sans doute le chef-d’œuvre. Ainsi Byzance, en apparence épuisée, retrouve, au XIVe siècle comme jadis au Xe, au contact de la tradition antique, une vigueur nouvelle ; et par ce puissant mouvement d’art, comparable à la Renaissance italienne du XIVe siècle, et qui cependant ne lui doit rien, une fois encore l’influence de Byzance s’étend sur tout le monde oriental, chez les Serbes, chez les Russes, chez les Roumains.

Le despotat de Mistra. — Entre ces divers centres de culture intellectuelle et artistique, Mistra mérite une mention particulière.

Fondée par Guillaume de Villehardouin, au-dessus de la plaine où fut Sparte, devenue ensuite la résidence des despotes grecs du Péloponnèse, Mistra, avec ses églises toutes décorées de fresques, ses murailles, ses maisons, ses palais, est, comme on l’a dit justement, une Pompéi byzantine. Après qu’en 1262 la ville fut revenue au pouvoir des Byzantins, Andronic Il s’appliqua à la peupler et à l’embellir et il y fit bâtir plusieurs églises. Jean Cantacuzène plus tard s’y intéressa davantage encore. Il fit de la province de Morée, progressivement reconquise sur les Francs, un apanage pour son fils cadet Manuel, qui reçut le titre de despote (1348) ; et sous le gouvernement de ce prince, comme sous celui des cadets de la dynastie des Paléologues qui lui succédèrent (à partir de 1383), Mistra fut le centre d’une cour brillante, artiste et lettrée, véritable foyer d’hellénisme et d’humanisme, et refuge de la nationalité grecque expirante.

C’est en effet un trait digne d’attention que, dans cette Byzance, qui si longtemps s’était désintéressée de la Grèce antique, brusquement, à la veille de la catastrophe, reparaît le souvenir des lointaines origines helléniques. Sur les lèvres des gens du XVe siècle, se rencontrent de façon inattendue les grands noms des Périclès et des Thémistocle, des Lycurgue et des Épaminondas, dont on se plait à rappeler ce qu’ils firent jadis pour la chose publique, pour la patrie. Les hommes les plus éminents du temps, un Gémiste Pléthon, un Bessarion, voient dans le réveil de la tradition hellénique le levain qui sauvera l’empire, et ils adjurent le souverain de prendre, au lieu du titre suranné de basileus des Romains, le nom nouveau et vivant de roi des Hellènes, qui à lui seul suffira, disent-ils, pour assurer le salut des Hellènes libres et la délivrance de leurs frères esclaves. Bessarion rappelle au dernier des Paléologues les exploits des Spartiates d’autrefois et le supplie de se mettre à la tête de leurs descendants pour affranchir l’Europe des Turcs et reconquérir en Asie l’héritage de ses pères. Pléthon propose à Manuel II tout un programme de réformes — à la veille de la catastrophe suprême — pour l’Hellade régénérée. Et si vaines que semblent ces illusions, au moment où Mahomet II est aux portes, ce n’en est pas moins un fait remarquable que cette reprise de conscience de l’hellénisme qui ne veut pas mourir, que cette vue prophétique d’un avenir lointain olé, selon le mot d’un écrivain du XVe siècle, Chatcondylès, quelque jour un roi grec et ses successeurs restaureront un royaume ou les fils des Hellènes réunis administreront eux-mêmes leurs affaires en formant une nation.

C’est à la cour de Mistra surtout que se sont exprimées ces aspirations, et pareillement c’est dans les églises de Mistra, à la Métropole (commencement du XIVe siècle), à la Peribleptos (milieu du XIVe siècle) à la Pantallassa (XVe siècle), que se rencontrent quelques-uns des chefs-d’œuvre de la Renaissance artistique de ce temps. On y observe une rare entente du sens décoratif, une recherche du pittoresque, du mouvement, de l’expression, un goût remarquable de l’élégance et de la grâce, un sens admirable de la couleur, délicate et vigoureuse à la fois, un art savant et libre tout ensemble. Les mêmes qualités se retrouvent dans les fresques des églises de Macédoine comme dans les peintures les plus anciennes des monastères de l’Athos. Elles montrent de quelle originalité créatrice l’art byzantin était capable encore et jettent sur l’époque des Paléologues une suprême splendeur.

L’empire grec de Trébizonde. — A l’autre extrémité du monde byzantin, au fond de la mer Noire, l’empire lointain de Trébizonde offrait vers le même temps un autre centre intéressant de civilisation hellénique.

Au commencement du XIIIe siècle, Alexis Ier (1204-1222), de la famille des Comnènes, avait fondé, malgré les attaques des souverains de Nicée et des Turcs Seldjoucides, un État qui comprenait tout l’ancien Pont Polémoniaque et s’étendait vers l’est jusqu’au Phase. Mais isolé aux extrémités de l’Orient, perdu entre les Turcs et les Mongols, troublé à l’intérieur par les querelles de sa turbulente noblesse féodale, exploité par les Gênois, jalousé par les souverains grecs de Constantinople, le nouvel empire mena une existence souvent difficile. Il connut pourtant des jours prospères, sous le règne d’Alexis II (1297-1330), sous le long gouvernement d’Alexis III (1340-1390), qui embellit sa capitale d’églises et de monastères. Étagée au-dessus de la mer, parmi les eaux courantes et la verdure, prodigieusement riche par le grand commerce qu’elle faisait avec l’intérieur de l’Asie, célèbre par son luxe et par la beauté de ses princesses, Trébizonde était alors une des plus belles villes de l’Orient et un des grands marchés du monde. Sur le plateau qui dominait le rivage, le palais des princes était une merveille d’élégante magnificence, et la renommée de la cité, tête et œil de l’Asie tout entière, était répandue dans tout le ronde oriental. Sans doute, à partir du commencement du XVe siècle, une démoralisation profonde troubla la cour des Comnènes et la remplit d’intrigues sanglantes et de tragiques aventures. Il n’en subsista pas moins, grâce à l’empire de Trébizonde, au fond du Pont-Euxin, un reflet des gloires de Byzance, et pendant deux siècles et demi, la nationalité grecque trouva là un de ses refuges.

Le despotat de Morée et l’empire de Trébizonde devaient survivre quelques années à peine à la chute de Constantinople. Dès 1453, l’insurrection albanaise dans le Péloponnèse avait amené les Turcs en Morée, et les despotes, frères de Constantin XI, après avoir appelé les Ottomans à leur aide, avaient dû se reconnaître les vassaux du sultan. Lorsque en 1459 Thomas refusa le tribut, ce fut plus grave. Mahomet II en personne parut en Morée, brisant toutes les résistances, sans réussir pourtant à emporter Mistra. Les despotes encore une fois durent se soumettre, mais bientôt à nouveau ils se soulevèrent. Alors le sultan marcha droit à Mistra, déposa le despote Démétrius qu’il emmena prisonnier ; l’autre prince grec s’enfuit en Italie, et la Morée devint une province turque (1460).

David Comnène, le dernier empereur de Trébizonde, succomba en 1461. Vainement il avait essayé de s’appuyer sur le mari de sa nièce, le prince turcoman Ouzoun Hassan. En 1461 Mahomet II paraissait en Anatolie, battait les troupes d’Hassan, puis se retournait contre Trébizonde, qui dut capituler. Ce qui restait de la famille impériale fut interné par ordre du sultan près de Serrés en Macédoine. C’était la fin du dernier État grec d’Orient.

 

Ainsi finit l’empire byzantin, après plus de mille ans d’existence, et d’une existence souvent glorieuse, après avoir été, durant des siècles, le champion de la chrétienté contre l’Islam, le défenseur de la civilisation contre la barbarie, l’éducateur de l’Orient slave, après avoir, jusqu’en Occident, fait sentir son influence. Mais alors même que Byzance fut tombée, alors qu’elle eut cessé d’exister en tant qu’empire, elle continua d’exercer dans tout le monde oriental une action toute-puissante, et elle l’exerce encore aujourd’hui. Des extrémités de la Grèce au fond de la Russie, tous les peuples de l’Europe orientale, Turcs et Grecs, Serbes et Bulgares, Roumains et Russes, ont conservé le souvenir vivant et les traditions de Byzance disparue. Et par là cette vieille histoire, assez mal connue, un peu oubliée, n’est point, comme on le croit trop volontiers, une histoire morte ; elle a laissé jusqu’en notre temps, dans le mouvement des idées comme dans les ambitions de la politique, des traces profondes, et elle contient toujours en elle pour tous les peuples qui ont recueilli son héritage, des promesses et des gages d’avenir. C’est par là que la civilisation byzantine mérite doublement l’attention, autant pour ce qu’elle fut en elle-même que pour tout ce qui reste d’elle dans l’histoire de notre temps.