ESSAI SUR MARC-AURÈLE D'APRÈS LES MONUMENTS ÉPIGRAPHIQUES

 

NOTE 15.

 

 

On a découvert, il y a peu d'années, dans un manuscrit syriaque de la bibliothèque du British Museum, une partie de l'apologie adressée à Marc-Aurèle, en faveur des chrétiens, par Méliton, évêque de Sardes, apologie dont quelques phrases seulement, les plus importantes, il est vrai, sous le rapport historique, nous étaient parvenues avec l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe. Le texte syriaque de ce précieux fragment a été publié à Londres par M. Cureton, qui l'a accompagné d'une traduction anglaise dans son Spicilegium Syriacum, et à paris par M. Renan, avec une traduction latine dans le Spicilegium Solesmense, t. II, p. XXXVII-LI. Après avoir appelé l'attention de l'empereur sur les vérités du christianisme, après avoir exposé tout ce qu'il y a de contraire à la saine raison dans un polythéisme ridicule, sur lequel il donne de curieux détails à propos des divinités de l'Asie ou de la Grèce, Méliton se plaint des perfides conseillers ou délateurs qui cherchent à obtenir de nouveaux décrets pour persécuter en Asie des hommes pieux et s'enrichir aux dépens d'innocents indignement calomniés : On peut être injuste en votre nom, dit-il à Marc-Aurèle, mais on ne saurait l'être par vos ordres ; car vous aimez la justice. Nous ne vous demandons que d'examiner par vous-même ce que sont ces hommes qu'on accuse d'une invincible opiniâtreté, et de décider ensuite, dans l'équité de votre jugement, s'ils méritent la mort ou s'ils doivent être renvoyés absous. S'il est vrai cependant que cet édit, inouï jusqu'à présent et qu'on ne lancerait pas contre de barbares ennemis, ne vient pas de vous, nous vous conjurons, à plus forte raison, de ne pas souffrir que nous soyons persécutés plus longtemps avec une si indigne violence. La religion que nous professons a pris naissance chez les barbares, mais elle est née en même temps que l'empire romain, comme un présage de sa gloire, sous le règne de cet Auguste qui fut l'un de vos ancêtres. Depuis lors, la grandeur du peuple romain, confiée maintenant à votre haute sagesse, s'est accrue constamment, et la prospérité de l'empire s'étend et se développe avec nos doctrines sans avoir été troublée par aucune disgrâce, preuve évidente que ces doctrines sont loin d'être contraires à la félicité de l'État. De tous les empereurs, deux seulement, Néron et Domitien, entraînés par des imposteurs, ont accusé notre religion, et la calomnie se répandant parmi le peuple, toujours disposé à croire le pire, ces rumeurs mensongères ont obtenu quelque créance. Vos ancêtres cependant se sont efforcés de corriger l'erreur, et par des rescrits impériaux ont réprimé l'audace de ceux qui nous persécutaient. Parmi eux, votre aïeul Adrien a écrit en notre faveur à Fondanus, proconsul d'Asie, ainsi qu'à quelques autres légats. Votre père Antonin, alors même que vous partagiez avec lui les soins du gouvernement, s'est adressé aux habitants de La-risse, de Thessalonique, d'Athènes, à tous les Grecs, en un mot, pour réprimer les séditions qu'on voulait exciter contre nous. Nous avons donc confiance en vous, dont la sagesse et l'humanité surpassent encore la leur. Tertullien rend aux sentiments d'humanité de Marc-Aurèle une justice encore plus éclatante : Consultez vos annales, dit-il aux magistrats romains, vous y verrez que les princes qui ont sévi contre nous sont de ceux qu'on tient à honneur d'avoir eus pour persécuteurs. Au contraire, de tous les princes qui ont connu les lois divines et humaines nommez-en un seul qui ait persécuté les chrétiens. Nous pouvons même en citer un qui s'est déclaré leur protecteur, le sage Marc-Aurèle. Qu'on lise la lettre où il atteste que la soif cruelle qui désolait son armée en Germanie fut apaisée par la pluie que le ciel accorda aux prières de ceux de ses soldats qui étaient chrétiens. S'il ne révoqua pas ouvertement les édits contre nos frères, il en détruisit l'effet par les peines sévères qu'il établit contre leurs accusateurs. Il est vrai qua la lettre de Marc-Aurèle, qui confirme le miracle de la pluie dans le pays des Quades, lettre qu'on trouve en grec après la première apologétique de saint Justin, puis en latin dans Baronius et Onuphre, a été généralement regardée comme apocryphe. (Voyez entre autres la note XV de Tillemont sur la vie de Marc-Aurèle, H. des emp., t. II, p. 560.) Mais le témoignage de Tertullien n'en est pas moins précieux et vient s'ajouter comme une preuve nouvelle à tout ce que nous savons du caractère humain de Marc-Aurèle. Il nous confirme dans l'opinion qu'il faut rejeter la responsabilité des cruautés exercées contre les chrétiens pendant son règne sur les gouverneurs de provinces qui, dans leur zèle fanatique et leur terreur d'une révolution sociale, se servaient des anciens édits contre les sociétés secrètes comme d'une arme, et trompaient la justice du prince par de faux rapports.