La puissance tribunitienne, ce pouvoir dont Auguste avait
imaginé le nom, nous dit Tacite, pour éviter de prendre celui de roi onde
dictateur, et se réserver toutefois un titre supérieur aux autres dignités (Ann., l. III, § 56), se renouvelait,
comme on le sait, tous les ans, et servait ainsi à dater, par sa progression
numérique, les années de chaque règne. Les empereurs l'accordèrent
quelquefois, de leur vivant, à ceux qu'ils voulaient désigner comme leurs
successeurs. Tibère fut associé par Auguste à la puissance tribunitienne,
Titus par Vespasien, Trajan par Nerva, Ælius César puis Antonin par Adrien,
enfin Marc-Aurèle par Antonin. Toutefois, comme la puissance tribunitienne
était plus qu'un titre et conférait des droits réels à l'exercice du pouvoir,
les souverains n'accordèrent pendant longtemps cette part de l'empire à leurs
enfants légitimes ou d'adoption, que quand ils avaient atteint la maturité de
la vie. Les jeunes princes Caïus et Lucius César, quoique désignés par
Auguste comme ses successeurs, n'eurent point part à la puissance
tribunitienne, et Tibère avait quarante-cinq ans lorsqu'elle lui fut
accordée. Plus tard, Tibère, écrivant au sénat pour la demander en faveur de
son fils Drusus, rappelait que, ce prince ayant été décoré d'un triomphe et
de deux consulats, ayant une femme, trois enfants, et étant parvenu à l'âge
où lui-même avait été appelé à cet honneur par Auguste, on ne pouvait accuser
son choix de précipitation (Tacite, l. c.).
La jeunesse de Néron fut sans doute la cause pour laquelle Claude, en
l'adoptant, ne l'admit point au partage de la tribunitia
potestas. Trajan, Ælius César, Antonin, arrivés à l'âge mûr
lorsqu'ils furent adoptés, le premier par Nerva, les deux autres par Adrien,
purent obtenir en même temps la puissance tribunitienne. Enfin Marc-Aurèle,
quelque tendresse qu'Antonin lui eût témoignée, ne fut appelé par lui à
porter ce titre qu'après huit années d'adoption. Devenu César, l'an de Rome
891 (de J.-C. 139), à l'âge de dix-huit
ans, c'est seulement en l'an 900 (de J.-C.
147), et par conséquent à vingt-six ans, ainsi que nous l'apprenons
par le chiffre de ses puissances tribunitiennes, qu'il obtint ce que Vopiscus
appelle pars maxima regalis imperii (Vie de l'empereur Tacite, c. I).
Malheureusement ces exemples de sagesse dans le choix d'un collègue ne furent
pas imités par le plus sage des empereurs. Marc-Aurèle fut le premier à
enfreindre la loi que s'étaient imposée ses prédécesseurs de ne confier l'exercice
du pouvoir qu'à des esprits mûris par les années. Nous le verrons, dans sa
faiblesse coupable pour son fils si peu digne de lui, accorder la puissance
tribunitienne à Commode alors qu'il n'avait pas encore quinze ans. On a
longtemps agité la question de savoir si les Augustes renouvelaient la
puissance tribunitienne au jour même où elle leur avait été concédée avec
l'empire, ou bien à une époque donnée, la même pour tous les empereurs.
Eckhel, s'appuyant sur l'examen des nombreuses médailles impériales qui
portent à la fois la date de la puissance tribunitienne et le consulat, croit
devoir conclure, d'une manière trop absolue toutefois, que, depuis Auguste
jusqu'à Antonin, les empereurs avaient changé le chiffre de la tribunitia potestas au jour commémoratif de
leur avènement, tandis qu'à partir d'Antonin, c'était aux calendes de janvier
que se faisait le changement. C'est ainsi que Marc-Aurèle investi, dans le
courant de l'année de Rome 900, de la puissance tribunitienne, et parvenu à
l'empire le 7 mars 914, année dans laquelle il avait pris son troisième
consulat aux calendes de janvier, porte sur les monnaies frappées dans les
deux mois de janvier et de février de cette même année 914 (c'est-à dire alors qu'il n'était encore que César)
les titres de AVRELIVS
CÆSAR.TR.P.XV.COS.III. Évidemment, s'il n'eût pas changé le chiffre de
la puissance tribunitienne aux calendes de janvier, en même temps qu'il prit
le consulat, il aurait compté au commencement de 914 sa quatorzième puissance
tribunitienne, qu'il avait encore à la fin de l'année 913, alors qu'on
inscrivait sur les monnaies : COS.II.DESIG.III
(voyez Eckhel, t. VII, p. 48). D'autre
part, devenu Auguste par la mort d'Antonin, il ne change point le chiffre XV.
On lit sur les monnaies de cette année postérieures au 7 mars : IMP. CÆS. M. AVREL. ANTONINVS
AVG.TR.P.XV. COS.III. Il n'avait donc pas renouvelé la puissance
tribunitienne à son avènement, contrairement à ce que fit Trajan, par
exemple, qui ayant été adopté à la fin d'octobre 850 par Nerva et investi en
même temps de la tribunitia potestas,
la renouvela à la mort de son père adoptif, le 28 janvier 851, et compte dès
lors sa seconde puissance, puis sa troisième au bout d'une année, le 28
janvier 852, ainsi qu'on peut le constater par le rapprochement des monnaies
et des inscriptions suivantes : Gruter, p. 128, 3 ; — Orelli, 278 ; —
Mommsen, Inscr. helv., 321 ; — Muratori, 329, 8 ; — Donati, p. 472, 13
; — Arneth. Archeol.
Analecten, Wien,
1851, t. XI, 22 ; — Gruter, 246, 4 ; — Mommsen, I .R. N., 5205,
Orelli, 444 ; — Murat., 448, 6. |