ESSAI SUR MARC-AURÈLE D'APRÈS LES MONUMENTS ÉPIGRAPHIQUES

 

NOTE 1.

 

 

L'exactitude des noms, quand il s'agit de personnages historiques, a une véritable importance, et, sous ce rapport, l'épigraphie a corrigé bien des textes fautifs. Malheureusement ces corrections, consignées pour la plupart dans des mémoires isolés ou dans des recueils spéciaux, arrivent tard à la connaissance du public. C'est ainsi que les travaux les plus récents publiés en France sur Marc-Aurèle continuent à lui donner pour mère Domitia Calvilla, bien que depuis longues années cette erreur du texte de Capitolin ait été signalée en Italie par le savant épigraphiste de Saint-Marin, M. Borghesi. En effet, un grand nombre d'empreintes de briques, tuiles ou autres objets en terre cuite, qui portent toutes le nom de Domitia Lucilla, femme de Verus, ont été reconnues comme appartenant à la mère de Marc-Aurèle, femme de Publius Annius Verus, et sur les propriétés de laquelle existaient plusieurs briqueteries ou fours à poteries dont de nombreux produits sont parvenus jusqu'à nous. Non-seulement sur toutes ces inscriptions on ne lit jamais que les noms de Domitia Lucilla, mais ces mêmes noms lui sont donnés par Spartien dans la vie de Didius Julianus (chap. 1), et par son fils Marc-Aurèle lui-même dans ses Pensées (l. VIII, c. 25). Capitolin, dans un des passages où il en parle, l'appelle aussi Domitia Lucilla ; mais, comme au commencement de la vie de Marc-Aurèle il dit que la mère de ce prince s'appelait Domitia Calvilla, ajoutant qu'elle était fille de Calvisius qui avait été deux fois consul, on s'est obstiné à préférer ce seul témoignage à tant d'autres qui ont d'autant plus de valeur que la plupart d'entre eux, c'est-à-dire les monuments épigraphiques, sont contemporains et directs, n'ayant pas subi l'épreuve toujours dangereuse qui consiste à passer par les mains d'un copiste souvent inexact ou infidèle. On n'a pas réfléchi qu'en tous cas, si elle avait porté le nom de son père, elle aurait dû s'appeler Calvisilla, et non pas Calvilla qui serait le diminutif féminin de Calvus. Déjà Marini avait dit, dans son livre sur les figulines ou terres cuites, livre qui existe en manuscrit à la Vaticane : Je suis entièrement convaincu que le mot Calvilla s'est trouvé écrit dans le livre de Capitolin contre sa volonté et par suite d'une erreur. Il voulait mettre Domitia Lucilla Calvisii filia, et, entraîné par ce mot Calvisii, le copiste ou lui-même auront écrit Calvilla. Ces sortes d'erreurs dans les noms propres où la consonance du mot suivant influe sur le mot qui précède, sont fréquentes dans les manuscrits et ont été plus d'une fois relevées par les critiques. Ajoutons à l'appui de cette opinion du savant épigraphiste qu'il serait contraire à l'usage suivi chez les Romains que la mère de Marc-Aurèle eût eu à la fois les deux noms de Calvilla et Lucilla, comme l'ont voulu Eckhel, E.-Q. Visconti et quelques autres, attendu que ces noms ont tous deux la forme du gracieux diminutif qui ne s'employait que pour celui des noms de la jeune fille dont on l'appelait de préférence. Ainsi aucun autre exemple ne se retrouve, dans toutes les inscriptions de l'antiquité latine, de deux noms de cette forme appliqués à la même femme. Si la mère de Marc-Aurèle avait eu un troisième nom, elle se serait appelée Domitia Calva Lucilla, et non pas Domitia Calvilla Lucilla (voyez le Mémoire de M. Borghesi intitulé : Figulina di Domitia Lucilla, madre dell' imperatore M. Aurelio, 1er vol. du Giornale arcadico, p. 359-369).