L'ÉGLISE ET L'ÉTAT EN FRANCE

TOME SECOND. — DEPUIS LE CONCORDAT JUSQU'A NOS JOURS (1801-1906)

 

L'AVENIR DE L'ÉGLISE.

 

 

Les adversaires de l'Église catholique croient à sa perte prochaine en France, parce qu'une Église dépouillée de ses biens leur parait destinée à mourir d'inanition, et parce qu'une Église privée des honneurs officiels leur semble incapable de s'imposer aux respects de la foule. Nous croyons, au contraire, que le catholicisme a encore devant lui, s'il le veut, un avenir dans notre pays ; nous croyons aussi qu'il ne peut espérer ces victoires futures qu'a certaines conditions, et ces conditions, la longue étude que nous venons de faire de notre histoire religieuse nous permettra justement de les déterminer.

Qu'avons-nous vu au cours de ces trois siècles d'histoire religieuse qui ont passé sous nos yeux ? Quel est le fait capital qui se dégage de cette révision ? Il semble bien que ce soit la lutte du principe de liberté contre le principe d'autorité ; la lutte de la pensée libre contre le dogmatisme, et ne disons pas contre le dogmatisme immuable, car il a changé, disons contre le dogmatisme sans cesse aggravé de l'Église romaine.

La liberté religieuse apparaît dans notre histoire avec l'Edit de Nantes, et tout aussitôt le catholicisme médite la ruine de l'Edit et le rétablissement de l'unité doctrinale.

L'histoire religieuse du dix-septième siècle tient tout entière dans cette idée.

L'Église française recouvre alors une vigueur extraordinaire ; elle bataille tout un siècle et elle triomphe de tous les ennemis de l'unité : des protestants, des jansénistes, des quiétistes, de Mme Guyon, de Fénelon. Non seulement l'hérésie est frappée ; mais tout catholicisme qui n'est pas entièrement, absolument, régulièrement orthodoxe, est condamné. Et, jusqu'à la Révolution, l'Église de France triomphante jouit de sa victoire et dort sur son lit de lauriers.

Pendant son sommeil, la liberté se réveille, non plus sous une forme, mais sous mille formes ; elle se répand partout ; elle s'infiltre jusque chez les clercs ; elle règne dans les écrits et surtout dans la conversation et dans les mœurs. Quand vient la grande crise, l'Église, qui marche à la bataille avec d'innombrables légions, les voit avec stupeur passer presque toutes à l'ennemi. Elle se trouve bientôt presque seule en face de la liberté et tombe sous ses coups.

C'est pour se relever presque aussitôt, parce qu'il y a en elle une force incomparable ; c'est pour ressusciter sous les yeux mêmes de la liberté victorieuse.

Un moment, les deux adversaires ont été sur le point de faire la paix. Bonaparte est venu et les a enchaînés l'un et l'autre pour quinze ans.

A la chute de l'Empire, l'Église et la liberté sont sorties de prison presque ensemble ; mais le souvenir de leurs anciennes luttes les a empêchées de se réconcilier.

L'Église, auréolée par la persécution. est rentrée à Rome plus forte qu'elle n'en était sortie ; elle a trouvé en France aide et protection auprès du trône, elle a eu en de Maistre, Lamennais, Chateaubriand, des défenseurs tels qu'elle n'en connaissait plus de pareils depuis un siècle, et elle a nourri la coupable pensée de supprimer à son tour la liberté, qui lui a répondu par la révolution de 1830.

A ce moment encore, on a pu croire que le malentendu allait finir. Lamennais, mûri par la réflexion, était passé au camp libéral et entreprenait la noble tache de réconcilier les sœurs ennemies : l'Église et la liberté. S'il n'avait eu devant lui que l'Église de France, il aurait réussi ; mais il trouva devant lui Rome, et il échoua. L'encyclique Mirari vos est le premier symptôme très grave de l'antilibéralisme de la papauté.

Lacordaire et Montalembert essayèrent encore de rester libéraux en restant orthodoxes, et ils eurent un instant l'illusion d'avoir réussi. On se rappelle le cri de joie et d'espérance qui salua de tous les coins du monde l'avènement du pape libéral Pie IX ; on se rappelle le cordial accueil fait par le clergé de France à la République de 1848.

Mais cette même année marqua, au contraire, la brouille définitive entre l'Église et la liberté. Les journées de juin en France, le meurtre de Rossi à Rome, éloignèrent plus que jamais des idées libérales et l'épiscopat français et le pontife romain ; et le second Bonaparte enchaîna la liberté française et la donna à garder à l'Église de France, qui fut une geôlière soupçonneuse et tyrannique.

Quand la liberté et l'Église se retrouvèrent face à face, le 4 septembre 1870, elles étaient bien changées l'une et l'autre. Vingt ans de captivité avaient enlevé à la liberté toutes ses illusions, et I Église avait elle-même étrangement vieilli. La prélature italienne, qui la gouverne, n'avait pas su éviter la ruine temporelle de la papauté ; mais elle avait entrepris d'exalter jusqu'à un point inouï sa puissance spirituelle. Le pape avait, de sa propre autorité, ajouté un dogme nouveau à la liste des dogmes orthodoxes. Le pape avait condamné la plupart des principes sur lesquels repose le droit des nations modernes. Le pape s'était fait reconnaître infaillible par un concile. Le gouvernement de l'Église, qui avait jadis été républicain, puis était devenu monarchique, puis monarchique absolu, avait été changé en un véritable tzarisme spirituel ; un seul homme ayant qualité pour penser pour tous.

La lutte entre l'Église et la liberté recommença en France dès le lendemain de l'avènement de la République. Nous avons indiqué les phases principales de cette longue lutte, et nous savons que les derniers événements ont constitué pour l'Église une défaite telle qu'elle n'en avait pas éprouvé de comparable depuis la Révolution.

L'histoire en main, nous sommes en droit de dire que, si l'Église a été vaincue et ainsi traitée, c'est pour avoir, pendant trente ans, fait la guerre à la liberté, au nom du Syllabus et de l'infaillibilité pontificale.

Il est vrai, et incontestablement vrai, de dire qu'entre le catholicisme du Syllabus et de l'infaillibilité et la liberté il existe une antinomie irréductible et absolue. Ces choses s'excluent mutuellement.

L'infaillibilisme prend, chaque jour, sous nos yeux, un caractère plus tranchant et plus alarmant. Il entend maintenir tous les dogmes, et il a le droit légal d'ajouter indéfiniment de nouveaux dogmes aux dogmes déjà reconnus. On l'accuse avec raison de vouloir tuer les idées à coups de bâton (A. Loisy). Ses décisions n'inspirent d'ailleurs aucune confiance aux savants, car elles méconnaissent les résultats les plus indiscutables de la philologie et de l'exégèse. Un des maîtres de l'histoire religieuse écrivait l'an dernier à l'un de nos amis : Je ne nie pas la possibilité de la foi, ce qui serait absurde, puisqu'elle existe ; je nie seulement qu'elle puisse se fonder sur des faits historiquement solides et sans suppléer par l'imagination à la pauvreté des certitudes. Loisy me parait avoir, la mort dans l'âme, dit les mots définitifs sur la question. L'immense domaine métaphysique reste ouvert à la foi ; celui de l'histoire lui est fermé. Il est impossible d'aboutir à une autre conclusion, quand on écoute parler les textes, sans essayer de leur faire dire ce qu'ils ignorent. Entreprendre de justifier un dogme quelconque par des arguments historiques est une duperie, à laquelle peut seule se laisser prendre la prodigieuse naïveté monovisuelle d'un catholique. Les protestants, qui voient mieux le péril, s'en gardent avec un soin de plus en plus prudent, et ils ont bien raison. L'exégèse ne donne pas des certitudes historiques ; mais elle pose d'inébranlables négations dogmatiques, parmi lesquelles le croyant ne peut que s'égarer, s'il est aveugle, ou désespérer, s'il voit clair. Saint Paul, quia prévu bien des choses, pourrait bien avoir entrevu cet inconvénient de la science du dehors, quand il a recommandé aux fidèles de la fuir. La paix de l'âme est à ce prix, strictement. J'entends la paix de l'âme de celui qui peut réfléchir.

Le Syllabus est tout aussi inconciliable que l'infaillibilisme avec la mentalité française moderne. Espérer que le Syllabus pourra devenir, un jour, la règle de conduite des Français est une espérance tout à fait vaine : c'est là une de ces choses rares, dont on peut dire à priori qu'elles sont impossibles.

On a peine à s'imaginer les colères qu'a déchaînées ce malencontreux document. Nous avons cherché à en parler sans passion ; mais tous les rationalistes n'ont pas nos scrupules, et voici comment parle du catholicisme du Syllabus un des meilleurs et plus modernes historiens de l'histoire religieuse de la Révolution : Pour moi, dit-il, je vois un antagonisme profond, irréductible, nécessaire, entre la société moderne fondée sur la liberté, la raison, la science, et la religion, quelle qu'elle soit, qui est essentiellement l'autorité, le mystère et l'absurde. La religion m'apparaît aujourd'hui comme le principal obstacle au progrès de la race, ce qui ne m'empêche pas de reconnaître les services qu'elle a pu rendre autrefois à des moments de l'histoire. Entre toutes les religions, le catholicisme est une des plus nuisibles, parce qu'une des plus antinaturelles, antiraisonnables, anti- progressistes. Plus que toute autre, il contribue à tenir dans la résignation, dans la nuit et dans la misère l'humanité hébétée et souffrante. C'est plus qu'il n'en faut pour légitimer, pour glorifier plutôt les efforts de ceux qui le combattent par les armes de la persuasion, les seules qui soient permises et efficaces. A l'État, nous ne demandons qu'une chose, c'est qu'il super prime à l'ennemi les privilèges légaux dont il jouit indûment et dont il se soutient. Et, quand on en sera là, la campagne devra continuer encore par les moyens permis, par la propagande et par la presse.

Cette lettre, qui nous a été écrite le 12 mars 1907, n'émane pas d'un politicien, mais d'un érudit, à la science très dire et à l'esprit très libre. Nous n'en admettons pas, pour notre part, les conclusions ; mais nous la citons, parce qu'elle résume avec une netteté frappante les grandes objections de principe que font les hommes d'aujourd'hui aux représentants du catholicisme actuel, tel que l'ont fait le Syllabus et l'infaillibilisme. Le Syllabus a pris soin de déclarer que le pontife romain ne doit pas se réconcilier et se mettre d'accord avec le progrès, avec le libéralisme et avec la civilisation moderne. Or le libéralisme, qui est l'âme de la civilisation moderne et l'instrument indispensable du progrès, ne reculera certainement pas devant l'anathème du pontife romain, et il faut bien se dire qu'il a pour lui l'immense majorité des penseurs de toutes les nations civilisées.

La lutte ne peut finir que par la défaite du Syllabus et de l'infaillibilisme, qui entraînera avec elle la ruine du pontificat romain, ou par l'abandon du Syllabus et de l'infaillibilisme par le pontificat lui-même, converti au progrès, au libéralisme et à la civilisation.

La ruine du pontificat romain, nous ne voulons pas la prévoir ; quoiqu'une révolution italienne puisse, quelque jour, rendre impossible le maintien du Saint-Siège à Rome et changer ainsi le caractère de la monarchie ecclésiastique, même reconstituée ailleurs.

Un changement dans l'attitude du pontificat romain paraît aujourd'hui bien improbable, mais n'est nullement impossible. On peut le prévoir logiquement, et on doit le désirer.

L'Église se vante d'être un pouvoir universel et son gouvernement est tout italien. Depuis la mort d'Adrien VI (1523), tous les papes ont été italiens, et étaient choisis, le plus souvent, parmi les natifs de l'État pontifical. Non seulement le pape est italien ; mais la plupart des cardinaux, des prélats romains, des généraux d'ordre et des membres des congrégations romaines appartiennent à cette nationalité et sortent des séminaires italiens ou des grandes écoles romaines : Académie des nobles ecclésiastiques, université grégorienne, séminaire romain, collège romain, collège Capranica, collège de la Minerve, collège de la Sapience. Sur 373 noms propres, cités dans un récent ouvrage sur Rome, l'organisation et l'administration générale de l'Église, 280 sont des noms italiens, et, parmi les autres, figurent les ambassadeurs des différentes puissances mondiales et les chargés d'affaires des ambassades.

Les orthodoxes considèrent cet italianisme du gouvernement pontifical comme une excellente chose. Ils vantent la culture classique et l'enseignement théologique donné dans les écoles romaines. Ils disent que la vie à Rome, la pratique de l'administration, l'éducation graduelle de l'intelligence dans le milieu romain, assurent à l'Église un corps politique plus homogène, plus uni, plus puissant, que si chaque nation y apportait son tempérament particulier. Comme l'idéal des orthodoxes est éminemment conservateur, leur opinion est logique ; mais il n'en est pas moins vrai que la prédominance presque exclusive d'un seul élément national, au détriment de tous les autres, donne à l'Église un caractère plus étroit que ne le voudrait son titre d'Église universelle. On a dit qu'il y aurait quelque chose de changé dans le monde le jour où un cardinal américain, anglais, allemand, ou même français, parviendrait au suprême pontificat, et c'est là une incontestable vérité. On voit, toue les jours, la différence qui peut exister entre un pape italien et un autre pape italien ; que serait-ce si, au lieu de voir le cardinal Sarto succéder au cardinal Pecci, on allait voir un Gibbons ou un Ireland s'asseoir sur la chaire de saint Pierre ? Cette éventualité ne s'est pas encore réalisée ; elle peut se réaliser, elle se réalisera très probablement un jour ou l'autre.

Il est bien certain qu'il n'y pas unanimité absolue dans le Sacré Collège ; que cette assemblée a ses réactionnaires et ses libéraux, et rien ne dit que l'élément réactionnaire soit destiné à l'emporter toujours ; il a déjà subi, avec Léon XIII, une éclipse de vingt-cinq ans ; il a repris le pouvoir, mais il peut le reperdre de nouveau, et un pontife, plus hardi encore que Léon XIII, peut rouvrir devant l'Église la voie, actuellement fermée, du libéralisme, du progrès et de la civilisation. Assurément, ce jour-là, l'infaillibilisme et le Syllabus resteront bien gênants, bien encombrants, et il n'est pas à croire que le Saint-Siège puisse jamais les désavouer solennellement ; mais il pourra les considérer comme des ornements hors d'usage, et les reléguer respectueusement dans quelque coffre-fort dont on aura soin de perdre la clef. On n'en parlera plus ; on fera le silence sur ces erreurs d'un jour, comme on l'a fait sur bien d'autres choses, même au Vatican.

Nous avouons souhaiter ardemment que cette révolution pacifique s'accomplisse, parce qu'elle marquera la victoire du catholicisme libéral, si cruellement persécuté jusqu'ici, et le seul viable désormais.

Ce que sera le catholicisme libéral, le catholicisme Je l'avenir, on peut déjà s'en faire une idée en contemplant le catholicisme américain.

En 1775, les États de la Nouvelle-Angleterre comptaient trois à quatre millions d'habitants, parmi lesquels il n'y avait guère plus

de trente mille catholiques. Le 15 août 1790, le docteur John Carroll fut sacré évêque de Baltimore et fut le premier évêque américain. Aujourd'hui, la république des États-Unis compte plus de 9 millions de catholiques sur 75 millions d'habitants, et l'influence catholique semble grandir tous les jours.

L'Église catholique américaine[1], vivant dans un milieu où existe réellement et pratiquement la liberté des cultes, est aussi tolérante que notre catholicisme français a été jusqu'ici jaloux et fermé. Quand Mgr de Cheverus, qui avait été évêque de Boston, mourut archevêque de Bordeaux, les Bostoniens se rappelèrent leur ancien prélat, et tous les temples protestants sonnèrent le glas. Un saint de l'Église américaine, le R. P. Hecker, disait : Je voudrais aider les catholiques de ma main gauche et les protestants de ma main droite. Je voudrais ouvrir les portes de l'Église aux rationalistes ; elles me semblent fermées pour eux. Je sens que je suis le pionnier qui ouvrira la voie. Un de ses biographes nous dit : Il aurait voulu abolir la douane, faire l'entrée de l'Église facile et large à tous ceux qui n'auraient conservé que leur raison pour guide.

Les disciples du P. Becker, les Paulistes, se sont efforcés de montrer à leurs compatriotes que le catholicisme, avec tous ses ordres et toutes ses ramifications, est la plus multiple, et pratiquement la plus élastique, la plus individuelle des religions. Le catholicisme, qui, en Europe, vante toujours son unité, en Amérique célèbre sa variété ; il donne toutes les religions en une ; il se plie à toutes les personnalités ; il admet, en quelque sorte, autant de catholicismes que d'individus. Le cardinal Gibbons a acquis la sympathie générale par le respect qu'il témoigne aux autres confessions chrétiennes ; il ne néglige aucune information, aucune bonne volonté, il ne s'inféode à aucune école. Mgr Ireland, archevêque de Saint-Paul, prêche sans cesse la marche en avant et conquiert partout son auditoire par la conviction et la chaleur de son éloquence. Mgr Spalding est un poète et un philosophe, qui émaille ses sermons de citations empruntées aux auteurs modernes et surtout aux Allemands.

Tous ces prélats se vantent d'être de libres citoyens américains, et entendent jouir de toutes les libertés de droit commun.

Tandis qu'un prêtre français n'oserait se montrer au théâtre en habit ecclésiastique et commence à peine à s'aventurer à parler hors de l'église, le prêtre américain, vêtu à l'ordinaire de la redingote civile, n'endosse la soutane que pour dire la messe, parait dans les cercles, dans les théâtres, dans les réunions publiques. En juillet 1895, l'archevêque de New-York a présidé au théâtre de Plattsburg les exercices de l'Ecole d'été. En 1898, à l'occasion de son jubilé épiscopal, il a assisté à une soirée donnée à l'Opéra de New-York où il fut complimenté comme citoyen par les notables de la ville, sans distinction d'opinions politiques ou religieuses. En 1902, le cardinal Gibbons a assisté, à l'Opéra de Baltimore, à une conférence du député irlandais John Dillon.

Le prêtre américain est avant tout un homme d'action, un propagandiste et un administrateur. Il a, vis-à-vis du dogme, une attitude à la fois très correcte et très hardie. Il ne conteste rien, il admet tout ce qu'admet Rome ; mais il parle de toutes ces choses le moins possible. Le dogme n'est pas pour lui la partie essentielle du christianisme, et il traite volontiers les questions dogmatiques de discussions byzantines. Mgr Spalding entretient ses auditeurs de toutes sortes de questions actuelles et pratiques, et il leur serait bien souvent impossible après la conférence de dire à quelle secte appartient le très révérend gentleman qui vient de parler. Ce procédé, qui semblerait scandaleux à beaucoup de nos prêtres, est tout à fait recommandable, parce qu'il met en lumière toutes les idées qui peuvent rapprocher les hommes, et laisse pieusement dans l'ombre tout ce qui risquerait de les diviser.

La religion qu'il nous faut, disait Mgr Ireland, ne consiste pas à chanter de belles antiennes dans des stalles de cathédrale, vêtus d'ornements brodés d'or, tandis qu'il n'y a de multitude ni dans la nef ni dans les bas-côtés, et qu'au dehors le monde meurt d'inanition spirituelle et morale. Cherchez les hommes, parlez-leur, non en phrases montées sur des échasses, ou par sermons dans le style du dix-septième siècle, mais en paroles brûlantes qui trouvent le chemin de leurs cœurs en même temps que de leurs esprits.

Ces prêtres, si peu amateurs de curiosités théologiques, sont agents d'affaires, tiennent des bureaux de placement, créent des écoles et des patronages, bâtissent des églises, parlent, écrivent, enseignent, administrent les revenus de leurs paroisses, ne considèrent aucune besogne licite comme interdite à leur activité.

L'Église catholique d'Amérique ressemble ainsi à une grande organisation de charité, et s'intéresse à la question sociale sous toutes ses formes.

Mgr Ireland voit, dans l'histoire de l'Église, l'histoire de l'affranchissement des esclaves, de la répression des tyrans, de la défense du pauvre, du peuple, de la femme et de tous les êtres sociaux que l'orgueil et la passion se plaisent, à opprimer... On ne répète pas assez que les principes qui servent d'appui au mouvement social de notre époque, dans tout ce qu'il a de légitime, sont des principes constamment enseignés par les écoles de théologie catholiques... Le résultat de la civilisation, si nous continuons de marcher dans la voie du progrès, doit être d'assurer à tous un travail qui, avec le nécessaire et le confortable, donne à chacun sa part de joie et de consolation, de force, de pureté et de lumière. Quand ce jour-là sera venu, le XIXe siècle ne paraîtra guère supérieur au IXe, car une société où des milliers d'individus sont condamnés à un travail abrutissant, sous peine de mourir de faim, est une société de barbares... C'est la doctrine même de l'Église que la terre a été donnée à l'homme pour qu'il la soumette à ses besoins... On ne saurait dénaturer plus grossièrement la vérité chrétienne qu'en attribuant à l'Evangile l'idée que, pour parvenir à la béatitude éternelle, il faille se rendre malheureux en ce monde. Ceux qui suivent le Sauveur marchent dans la paix et dans la joie. Ici, en Amérique, plus que partout ailleurs, les temps nouveaux s'annoncent riches en opportunités. Ici, l'œuvre n'est que commencée ; nous n'avons fait que frayer des voies, dessécher des marais, jeter des ponts sur les rivières ; nous n'avons qu'éclairci les forêts et assaini l'atmosphère pour une race appelée à des pensées plus hautes et à des œuvres autrement divines. Notre siècle est un siècle d'action par excellence. Tout est à l'action autour de nous ; dans le monde matériel, dans le monde social, dans le monde de l'intelligence... et, cependant, il en est qui restent timides et indolents... Il en est qui érigent leur apathie en une véritable doctrine religieuse : habitués à ne rien faire et à ne voir rien faire autour d'eux, ils en arrivent à croire que l'inaction est l'état normal voulu du ciel, et que le service de Dieu consiste à blâmer ceux qui font preuve d'activité... Travaillez pour la patrie et pour l'Église, travaillez avec énergie et persévérance, travaillez quand d'autres travaillent avec vous, travaillez encore si vous êtes seuls, travaillez selon la volonté de Dieu. Là où il n'y a pas de travail, il n'y a pas de vie ; là ou il n'y a pas de vie, c'est la mort.

Cette Église de l'action libre ne demande rien à l'État. Le régime de la séparation est le régime légal des États-Unis, et est très sincèrement accepté par les catholiques : C'est un état de choses, dit Mgr Spalding, que les catholiques de langue anglaise acceptent sans réserves, sans défiance et sans vains regrets ; les droits communs dont nous jouissons, au sein d'une liberté universelle, ont éveillé en nous une énergie de pensée et d'action qui nous a conduits, dans le siècle admirable qui s'achève, à des triomphes inconnus ailleurs. Mais bâtons-nous d'ajouter que la séparation des Églises et de l'État n'implique, de la part de l'État américain, aucune pensée d'hostilité contre aucune Église chrétienne. Le christianisme, entendu dans un sens large, est considéré par lui comme la religion du pays, et le président de la République ne craint pas de convier toutes les Églises remercier Dieu, avec lui, de toutes les faveurs qu'il a accordées à la nation américaine.

Trouvant dans un droit commun, bien plus large et bien plus généreux que le nôtre, toutes les libertés nécessaires à son développement, le catholicisme américain adhère sans réserve à la démocratie, et vit de la pleine vie civile, en communion d'idées politiques avec tous les citoyens de l'Union.

Si j'avais le pouvoir, disait le cardinal Gibbons, de modifier la constitution des États-Unis, je n'en effacerais pas ou n'en modifierais pas un seul paragraphe, une seule ligne, un seul mot. La constitution est admirablement adaptée à la croissance et à l'expansion de la religion catholique, et la religion catholique est admirablement adaptée au génie de la constitution. Elles sont faites l'une pour l'autre, comme deux anneaux de la même chaîne.

République d'Amérique, dit à son tour Mgr Ireland, reçois le tribut de mon amour et de ma loyauté. Je prie de tout mon cœur pour que ta gloire ne soit jamais diminuée. Esto perpetua ! Tu portes dans ta main les espérances de la race humaine. Ta mission, reçue de Dieu, est de montrer aux nations que les hommes sont capables des plus hautes libertés civiles et politiques. Sois à jamais libre et prospère ! Que par toi la liberté triomphe sur toute la terre du levant au couchant : Esto perpetua ! Souviens-toi que la religion et la moralité peuvent seules donner la vie à la liberté et lui conserver une jeunesse qui ne se flétrit point... Crois-moi, il n'y a pas de cœurs à t'aimer plus ardemment que les cœurs catholiques, pas de langues à célébrer mieux tes louanges que les langues catholiques. Dans la guerre et dans la paix, pour défendre tes lois et tes institutions, aucunes mains ne s'élèveront plus volontiers et plus vaillamment que les mains catholiques. Esto perpetua !

Comme le catholicisme américain comprend que les libertés publiques sont les puissantes mais les seules garanties de ses propres libertés, il est libéral lui-même et ne conteste à personne les droits dont il profite, et dont il entend bien ne pas se laisser dépouiller. Il a su éviter tout grave conflit politique ou social et n'est point entré en lutte avec la science profane.

Jésus-Christ, disait en 1901 Mgr Spalding, n'a enseigné ni la littérature, ni la philosophie, ni l'histoire, ni la science, et, par conséquent, ce n'est pas pour enseigner ces choses qu'il a établi son Église. C'est une Église qu'il a fondée et non une académie. Sages paroles, s'il en fut, qui font à chacun sa part et mettent l'Église en dehors des querelles scientifiques.

L'américanisme n'a pu prendre une physionomie si nouvelle et heurter tant de préjugés sans susciter bien des oppositions et des attaques. Même en Amérique, le libéralisme a des ennemis ; en France, il a trouvé d'ardents apologistes et de furieux contradicteurs. A Rome, il a été tout particulièrement mal vu ; ses détracteurs, qui ne sont pas loin d'y voir une hérésie, ont fiai par arracher à Léon XIII une sorte de blâme adouci, un conseil de prudence : la lettre du 22 janvier 1899 au cardinal Gibbons. Mais cette lettre elle-même n'a condamné ni le républicanisme, ni le libéralisme, ni l'activité de l'Église américaine, qui n'a d'ailleurs rien changé à son langage ni à ses habitudes, et a même laissé entendre que des exigences plus précises de la part. du Saint-Siège rendraient impossible la prédication du catholicisme aux États-Unis.

C'est un régime analogue qui peut encore s'établir en ce pays. C'est la libre et large Église que nous rêvons pour la France, et beaucoup de bons citoyens, beaucoup de prêtres, nous le savons, la rêvent avec nous.

Pourquoi l'Église de France ne se réconcilierait-elle pas, un jour, avec la démocratie ? Quelle monarchie peut-elle regretter ? Celle de Louis XV on du voltairien Louis XVIII ? celle de Louis XVI ou de Charles X, qui perdirent la monarchie et faillirent perdre la religion ? celle de Louis-Philippe, le roi bourgeois et concordataire, qui refusa à l'Église la liberté de l'enseignement ? celle de Napoléon ter, bourreau du pape ? celle de Napoléon III, parjure à ses serments, et auteur responsable de la ruine et du démembrement de la France ? Quel monarque l'Église pourrait-elle, aujourd'hui, souhaiter à la France ? quel élu porte sur son front le signe de la grâce et du salut ?

Bien trop longtemps l'Église de France s'est attardée aux regrets superflus et aux vaines espérances ; il est temps pour elle d'abandonner cette situation intenable. Qu'elle tourne définitivement le dos an passé ; qu'elle regarde l'avenir en face : il aura ses beautés et ses gloires.

Il n'est pas besoin que l'Église se convertisse bruyamment à la démocratie ; elle n'a qu'à l'accepter simplement, sans arrière-pensée, comme un fait accompli, sur lequel il n'est ni possible ni désirable de revenir. Elle n'a surtout qu'à renoncer à toute action politique ; c'est la politique qui a été la cause efficiente de sa ruine. La politique a été la mauvaise fée qui a retourné contre elle jusqu'au bien qu'elle a pu faire ; que l'Église rompe avec cette mauvaise conseillère, qu'elle s'accommode de la démocratie, et, du jour où celle-ci ne verra plus en l'Église une ennemie, elle ne lui marchandera plus la liberté.

La liberté ! voilà le grain de sénevé d'où sortira le grand arbre qui ombragera, un jour, la terre entière. On a commis bien des crimes en son nom ; on ne lui rend encore qu'un culte idolâtre ; on l'avoue des lèvres et on ne l'a point dans le cœur ; mais elle vit, elle grandit malgré les criminels et les sacrilèges, et c'est à son ombre seule que pourront désormais vivre et croître la justice et le droit.

L'Église a droit à la liberté, à toutes les libertés : à la liberté du culte, à la liberté de la parole et de la presse, à la liberté de l'enseignement, à la liberté de la propagande, à la liberté du commerce, de l'industrie, de la propriété, de la charité ; mais qu'elle veuille bien reconnaître que si, un jour, le peuple lui a contesté tous ces droits, c'est qu'elle les avait elle-même, pendant longtemps, contestés à ses adversaires. Il faut qu'elle reconnaisse que les dissidents, que ses adversaires, que ses ennemis ont le même droit qu'elle à toutes les libertés. Il faut qu'elle tolère ces libertés, non pas comme un mal inévitable et passager, mais comme un droit indiscutable et absolu. Pour que personne ne s'avise de lui envier ses libertés, il faut qu'elle soit toujours prèle à défendre celles d'autrui.

Nous touchons ici au point le plus délicat de la conscience catholique : Quoi ! diront les orthodoxes, l'Église, seule en possession de la vérité révélée, de la foi divine, qui seule assure le salut, devra pactiser avec l'hérésie, avec le schisme, avec l'infidélité ? Et nous répondons : Oui, parce que les droits de l'hérésie, les droits du schisme, les droits de l'infidélité, sont dans le monde moderne les mêmes que ceux de l'Église, et, en défendant les droits de l'hérésie, du schisme et de l'infidélité, l'Église défendra les droits de l'orthodoxie, de l'unité et de la foi.

Les anciens docteurs interprétaient à la lettre la terrible parole : Hors de l'Église, point de salut ! Aujourd'hui, les prêtres les plus chrétiens enseignent que tout homme de foi et de devoir, à quelque religion qu'il appartienne, est avec l'âme de l'Église et peut trouver grâce devant Dieu. Et c'est là la vraie vérité chrétienne ; mais, s'il en est ainsi, ne voit-on pas que l'hérétique, le schismatique, l'infidèle même, peuvent être avec l'âme de l'Église, tandis que tel ou tel orthodoxe n'y sera point ? Voilà pourquoi il faut admettre tout le monde à la liberté. Que tous vivent, et vivent libres : Dieu saura bien reconnaître les siens !

Que tous vivent libres, même et surtout l'homme de science, qui ne peut faire œuvre utile que dans l'absolue liberté. Ode l'Église le laisse libre, comme nous lui demandons de laisser libre l'hérétique, le schismatique et l'infidèle. Qu'elle lui permette même de dire parfois quelques folies, en pensant à tout ce que l'orthodoxie farouche lui en a fait dire à elle-même aux siècles passés.

Mais, dira-t-on encore, que deviendra le dogme au milieu de toutes ces libertés ? Il en est qui répondraient : Le dogme deviendra ce qu'il pourra. Nous ne le dirons pas. Le dogme restera ce qu'il est, la manne de l'âme et chaque fidèle en prendra suivant ses besoins. Les forts en feront leur pain quotidien ; les humbles y goûteront avec modestie ; les difficiles en savoureront une portion choisie ; les petits enfants en ramasseront joyeusement les miettes. Pourquoi rejetterait-on hors du temple celui qui aime Dieu par-dessus toutes choses et son prochain comme lui-même, pour l'amour de lui ? N'est-ce pas là toute la loi ? Pourquoi n'admettrait-on même pas celui qui aime la justice et désire son triomphe parmi les hommes ? N'est-il pas déjà plus qu'à moitié chrétien ? Est-ce en le repoussant qu'on augmentera sa foi ? Elargissez l'Église ; faites-la assez vaste et assez ample pour que tous les hommes de bon vouloir y puissent entrer. Nos vieilles cathédrales ont trois portes majeures, Bourges en a cinq, Chartres en a .neuf ; faites une église aux cent portes, et que l'humanité presque tout entière y puisse pénétrer. Faites une Église vraiment universelle, toute douceur et toute charité, qui ne saura que bénir et bien faire et dont tous les fils des hommes célébreront à l'envi la beauté. Et en attendant que nous puissions Cous redevenir catholiques dans cette Église élargie et régénérée, restons chrétiens, parce qu'il y va réellement du salut de ce grand pays.

La France a quitté la vieille route royale où elle avait si longtemps cheminé, et s'est lancée, à travers les précipices, à la poursuite de la liberté. Elle a eu raison, mais il ne faut pas qu'elle s'égare, qu'elle aille à cette contrefaçon de la République qu'on a appelée la Démocratie du moindre effort.

Le peuple, devenu souverain, a ses flatteurs comme les avaient les anciens monarques. Aux conseillers prudents qui crient sans cesse : Travaille, surveille-toi, arme-toi ! les flatteurs répondent : Fais-en le moins possible, jouis, et moque-toi du reste. Si la nation venait jamais à les écouter, c'en serait fait de la France.

Contre toutes ces tentations, l'esprit chrétien reste le plus sûr des antidotes. Ceux qui attaquent la morale du christianisme comme surannée, intéressée ou mesquine la connaissent mal ; elle est de toutes la plus claire, la plus pratique et la plus humaine. Elle a réduit ses principes en axiomes si simples et si frappants, qu'il n'est aucun homme qui ne les puisse comprendre et retenir. Elle ne demande pas à l'homme une perfection inaccessible, mais seulement de ne pas faire à autrui ce qu'il ne voudrait pas qui lui fût fait. On a trouvé cette maxime insuffisante en sa forme négative, et l'on a voulu la remplacer par cette autre : Fais à autrui tout ce que tu voudrais qui te fût fait. C'est peut-être plus beau, mais c'est impraticable ; il est toujours en mon pouvoir de m'abstenir du mal, et il ne m'est jamais possible de faire tout le bien que je rêve, parce que mes ressources et mes forces ne suffisent pas à l'immensité de la tâche. La morale chrétienne est douce et indulgente, car elle ne demande à chacun de nous que ce qu'il peut donner ; chacun n'aura à rendre compte que du talent qui lui aura été confié. Elle propose, il est vrai, une récompense à l'homme vertueux, et elle menace le criminel d'un châtiment ; mais elle montre par là quelle profonde connaissance elle a du cœur de l'homme et ses enseignements ne se bornent pas à prêcher la crainte de l'Enfer et l'espoir du Paradis. En nous proposant l'amour divin comme mobile et la perfection divine comme modèle, elle coïncide avec la sagesse hellénique, qui demandait à la vertu de chercher la ressemblance avec la divinité.

Il est plus sain pour l'homme de croire que la terre est un champ d'épreuve que de s'imaginer qu'elle est un lieu de plaisir. Oui, la vie est bonne et vaut d'être vécue, mais non pas à cause des satisfactions, des succès, des voluptés, qu'y peuvent donner la richesse ou le pouvoir ; elle est bonne et vaut d'être vécue, quand elle est une montée vers l'idéal, un effort généreux vers une plus grande valeur morale, et cette vie de la conscience, l'esprit chrétien est plus apte que tout autre à la développer, parce qu'il enseigne à chacun à se dévouer pour autrui, à se dévouer par grâce et par amour.

Les nouveaux moralistes opposent à l'antique charité une vertu nouvelle, qui remplacerait toutes les autres ; la solidarité. Mais la solidarité est un fait et n'est pas une vertu. S'il est vrai, d'une manière très générale, que les hommes soient solidaires les uns des autres, le sentiment de ce fait ne pourrait devenir une vertu que s'il développait en chaque individu le sens altruiste ; mais le développement d'un altruisme général est impossible, parce que la vie restera toujours une lutte, ou, tout au moins, une rivalité, et l'homme n'aura jamais ni le pouvoir, ni le droit de s'oublier soi-même, ce qui serait se livrer sans défense à ses rivaux. Au lieu donc d'éteindre l'émulation entre les hommes, mieux vaut créer pour les batailles de la vie de bons soldats, à la fois vaillants et généreux, pleins d'ardeur mais remplis de charité, forts comme les lions, mais doux comme les colombes. C'est par le perfectionnement de l'individu qu'on parviendra, s'il est possible, au perfectionnement de la masse.

La vie n'est pas seulement un champ de travail ; elle est aussi un foyer de passion, et l'esprit chrétien a apporté au redoutable problème de l'union des sexes la solution la plus digne et la meilleure. Le mariage, fondé sur l'amour vrai et désintéressé, sur la mutuelle estime et sur le sentiment réciproque du devoir, est la chose la plus noble qui soit sur la terre. Il y a assurément beaucoup de mauvais mariages, mais c'est que ni l'amour, ni l'estime, ni le devoir, n'ont présidé à leur naissance. Faisons tous nos efforts pour qu'ils y président le plus souvent possible ; au lieu de célébrer bassement et vilainement les beaux mariages qui unissent des titres ou des sacs d'écus, réservons nos sympathies pour les unions fondées sur l'amour et sur l'honneur ; n'allons pas, sous prétexte que les mauvais mariages engendrent la tyrannie, pousser la femme vers la tyrannie cent fois plus pesante et dégradante de l'union libre, dont Zola résumait jadis ainsi tout le programme : On se plaît, on se prend ; on ne se plaît plus, on se quitte. Cette union là n'a pas de nom dans la langue des honnêtes gens.

Restons chrétiens, non seulement parce que la valeur morale de notre pays en dépend, non seulement parce que la dignité de la famille française l'exige, mais encore parce que la sécurité de la patrie le commande impérieusement.

La patrie n'est pas un mot creux et sonore : c'est la plus objective des réalités ; c'est le grand vaisseau qui porte la fortune et l'avenir de la nation ; c'est la garantie suprême de nos libertés et de nos droits. Le patriotisme, c'est la solidarité poussée jusqu'à l'héroïsme, jusqu'au sacrifice de toue les intérêts particuliers, jusqu'au sacrifice de la vie ; mais cette solidarité-là, bon nombre de solidaristes ne veulent pas en entendre parler, parce que leur solidarité n'est qu'égoïsme. Le chrétien parle moins de solidarité et comprend mieux ses devoirs envers son pays. Il n'y a pas de sans-patrie parmi les chrétiens et aucun d'eux ne désertera son poste quand viendra le jour du danger.

Restons chrétiens, enfin, parce qu'en dehors et au-dessus de tout ce qui se constate, de tout ce qui se dose, se pèse, et se mesure, de tout ce qui change et de tout ce qui meurt, de tout ce qui nous blesse et nous attriste, s'étend l'Haineuse et intangible domaine du rêve et de l'espérance, le royaume de l'absolue beauté et de l'éternelle justice, le royaume de Dieu, dont le Christ seul nous a montré le chemin.

 

FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME

 

 

 



[1] Cf. A. Houtin, L'Américanisme, Paris, 1904, in-12.