Si les hommes étaient plus intelligents et meilleurs qu'ils ne le sont, la vérité s'imposerait par sa seule force à leurs esprits, et ils n'auraient pas besoin de combattre pour la faire triompher ; mais ce monde a été livré aux disputes ; la vérité n'apparaît claire et lumineuse à aucun homme, et ceux qui croient la posséder, et sont assez charitables pour ne la pas vouloir garder à leur usage personnel, sont obligés, dès qu'ils veulent la répandre, d'enfler ta voix, de grossir les idées, de les présenter sous un certain jour, vêtues — et presque toujours travesties — un peu au goût du moment ; car, même en ces hautes questions, la mode fait sentir son empire, et les hommes n'aiment entendre que la langue dont ils usent eux-mêmes. Nous avons étudié l'idée chrétienne dans la poésie, dans le livre et dans la chaire, et, si l'on veut avoir une notion vraie de sa beauté, c'est là qu'il faut aller la chercher ; mais les nécessités de la vie sociale, le besoin de se défendre contre les attaques injustes ou passionnées, le désir de combattre pour la vérité, de la démontrer aux plus incrédules, d'en assurer le triomphe, de lui conquérir dans le monde toute l'influence à laquelle elle a droit, l'enthousiasme, l'esprit de propagande et de discussion, ont fait descendre les catholiques de leur cabinet de travail ou de leur chaire, et les ont jetés dans la presse, en pleine bataille. Ils ont reçu force horions ; ils les ont rendus avec usure ; ils ont compté dans leurs rangs de redoutables jouteurs et comptent leurs grands polémistes au nombre de leurs hommes les plus éminents. L'un des premiers journaux à tendances purement catholiques fut l'Avenir de Lamennais. Nous connaissons déjà son étonnante fortune, son éclat éphémère et sa disparition soudaine, derrière un nuage venu d'au delà des monts. Après l'Avenir surgit une revue mensuelle : l'Université catholique. Malgré le talent et l'entrain de ses rédacteurs, Gerbet, Salirais, Montalembert, elle disparut au bout de quelques mois. En 1834, parut l'Univers, appelé à prendre une place tout à fait à part au milieu des journaux religieux ; mal vu des évêques, mais très lu dans les presbytères, l'Univers fut l'organe de l'intolérantisme orthodoxe, avec certaines tendances démocratiques, qui le rendaient suspect à l'autorité. Le Monde, plus modéré mais moins intéressant, le Français, journal bourgeois, catholique et libéral, la Défense, créée en 1876, ne réussirent pas à donner à l'opinion catholique une direction suivie et réellement pratique. En province, beaucoup de journaux prirent l'étiquette catholique, mais servirent surtout les intérêts du parti monarchiste, et tirent ainsi plus de tort que de bien à la cause qu'ils prétendaient soutenir. Les Semaines religieuses ne furent trop souvent que des organes d'information de sacristie et d'adulation épiscopale (Lecanuet). Une tentative plus intéressante fut la création du journal catholique populaire : La Croix. Le tirage de La Croix de Paris atteignit 200.000 exemplaires pour l'édition quotidienne et 600.000 pour l'édition hebdomadaire. Cent huit éditions provinciales portaient par toute la France l'ardente parole, parfois très goûtée des masses populaires, dans sa saveur amère et capiteuse. D'autres petits journaux, Le Pèlerin, La Vie des Saints, atteignirent des tirages respectables, de 250 à 550.000 exemplaires. Beaucoup plus sérieuses, mais bien moins puissantes sur l'opinion, furent les revues scientifiques inspirées par l'esprit ultramontain, comme les Etudes religieuses de la Compagnie de Jésus ; par l'esprit catholique conservateur, comme Le Correspondant ; par l'esprit catholique libéral, comme La Quinzaine, qui vient de mourir, ou la revue lyonnaise Demain, dont le cardinal Coullié a interdit la lecture à ses séminaristes. Il s'est dépensé, dans cette presse catholique, beaucoup de talent, et surtout beaucoup d'énergie, et les hommes de ferme volonté qui s'y sont employés n'ont cependant pas encore réussi à créer un parti vraiment catholique, dégagé de toute compromission avec tout parti politique et avec toute réaction. L'homme culminant de la presse catholique contemporaine s été certainement Louis Veuillot. Son nom est, pour les uns, celui d'un grand saint, et, pour les autres, celui d'un énergumène sans vergogne ; nous l'étudierons sans parti pris, dans sa vie et dans ses œuvres, lui laissant presque toujours la parole et nous efforçant de le peindre tel que nous le voyons, tel que nous le comprenons[1]. Veuillot était du peuple, et du petit peuple ; son père
était ouvrier tonnelier et ne savait pas lire. Il vint à Paris de bonne
heure, fut élève de l'école mutuelle, puis saute-ruisseau, puis, avant même
d'avoir vingt ans, journaliste à Rouen, puis à Périgueux, journaliste
ministériel, juste milieu, affreusement bourgeois... il fallait vivre I
Beaucoup de gens, à sa place, se fussent estimés heureux, et se seraient crus
sur le chemin de la fortune ; son métier l'écœura ; le mensonge officiel lui
pesait ; il se sentait des envies terribles de sauter à la gorge des
philistins qu'il était chargé de prôner ; il se demandait anxieusement s'il
valait beaucoup mieux qu'eux. Il traversait une crise morale, qui,
aujourd'hui, le pousserait peut-être au socialisme ; il alla à Rome et en
revint catholique, et ne lâcha plus l'idée qui lui était apparue comme la
sauvegarde de sa moralité. Il fut, dit M.
Jules Lemaître, un des grands catholiques de ce
temps, le plus grand peut-être, si l'on considère la puissance et l'ardente
et amoureuse combativité de son talent ; le plus original, si l'on fait
attention à l'absolue pureté de son catholicisme, rare et neuf par cette
pureté même et cette simplicité. Ce catholicisme, aussi original qu'intransigeant, l'a exposé à toutes les calomnies. On n'a pas manqué de le traiter de Tartufe, — une accusation qui ne tient pas debout, car Tartufe se découvre tôt ou tard, et Veuillot ne s'est jamais démenti. On l'a blâmé de sa violence : on a dit qu'il distribue l'eau bénite comme de vitriol et qu'il manie le crucifix comme un gourdin. On l'a comparé à un homme adossé à la porte d'une église et jetant des pierres à quiconque lui déplaît. Il s'est comparé lui-même à un suisse, qui met à la porte de l'église les chiens et les ivrognes. Et, en tout cela, il y a du vrai ; mais ce n'est point, à notre sens, le fond de l'âme de Louis Veuillot. Veuillot est pour nous, avant tout, un grand cœur simple d'homme du peuple, épris de sincérité et de vie morale ; c'est un moraliste, qui ne voit pas les hommes en beau et qui leur dit leurs vérités avec la verve d'un satirique de premier ordre. Epris de vie morale, il l'a montré par sa vie même, qui fut remplie par l'amour de la famille, par le travail, par la lutte incessante pour son idéal. Il a laissé à tous ceux qui l'ont connu le souvenir d'une âme très fière et très haute, très tendre aussi, ouverte à tous les sentiments doux et purs. Il a parlé de l'amour en termes exquis, en homme qui l'avait profondément senti et goûté : Tout homme a senti, ne fût-ce qu'un jour, cette étrange ivresse. Il y a eu un visage dont l'éclat illuminait ses insomnies et des yeux dont il a cherché le regard comme la plante cherche l'air et le soleil ; une voix entre toutes a fait tressaillir les cordes intimes de son âme, et il a cru que ce visage, ce regard, cette voix étaient nécessaires à sa vie. Qui n'a passé, le soir, sous une fenêtre endormie, avec l'espérance obstinée d'y voir seulement glisser une ombre ? Qui n'a ramassé une fleur tombée ou jetée, pour la garder toujours ? On a été jaloux, on a versé des larmes dont on se souvient encore, dont on savoure encore l'amertume chère, longtemps après avoir oublié l'objet de tant de douleurs... Quelque but que l'on ait voulu poursuivre, à l'heure radieuse de ces premiers élans oui l'on croit tout atteindre, on s'est dit : Une seule âme, un seul esprit, un seul regard, me suivront dans la carrière ; un cœur, un seul cœur fera des vœux pour moi, se réjouira si je triomphe, souffrira si je succombe !... Et, de tous les rêves de gloire, ç'a été le plus doux. Tous ses amis ont toujours vanté sa bonté, et il a pris
soin lui-même d'affirmer avec force que la haine était un sentiment étranger
à son âme : Les haines personnelles, je les ignore.
Nul homme n'avancera dans la vie sans connaître qu'il doit être indulgent
envers les autres hommes... L'idée que je me
fais de la haine est celle d'une étrange bassesse, par laquelle le haineux
s'asservit stupidement au haï. Toute espèce de haine me semble totalement
ridicule, sauf une, qui est totalement abominable : celle du bien. Qu'il ait été sincère, nul n'en peut douter, en lisant ses
lettres et ses confessions après sa conversion : Le
combat a réellement commencé à l'acte qui devait le finir... Evidemment, cette lutte doit se terminer par le triomphe
du bien ; mais elle est longue et douloureuse, en raison du mal qu'on a
commis, car on n'a pas fait une faute, si odieuse soit-elle, qu'on ne désire
la faire encore, et faire pis. Chaque vice de la vie passée laisse au cœur
une racine immonde, qu'il faut en arracher avec des tenailles ardentes. Cela
semble une chose épouvantable d'être tenu à une vie honnête et réglée par le
grand devoir divin... Ces actes, ces fautes,
ces plaisirs, pour lesquels on avait du mépris, on s'y laissait entraîner :
maintenant qu'ils inspirent un attrait
horrible, qu'ils vous donnent une soif d'enfer, vous n'y cédez pas. C'est la
récompense ! L'homme qui a pu s'analyser avec cette froide
exactitude et qui a jeté ce beau cri de victoire, est éminemment un sincère ;
jamais Tartufe n'a soupçonné une telle vertu. Comme journaliste et polémiste, l'œuvre de Veuillot est
immense et forcément inégale. On lui a reproché, avec raison suivant nous,
l'intransigeance de ses opinions et le ton violent de sa polémique,
absolument dénuée de toute charité. Il a été l'ardent apologiste du pouvoir
temporel, du Syllabus, de l'infaillibilité ; il a poursuivi,
pourchassé, lapidé, non seulement des hommes comme le P. Hyacinthe, mais des
orthodoxes comme le P. Gratry, comme Lacordaire, comme Mgr Dupanloup. Il a
poussé si loin le sarcasme et l'insulte, que Mgr Perraud, évêque d'Autan,
disait, un jour, que, s'il avait un million, il l'emploierait à ruiner le
journal de Veuillot. L'Univers fut suspendu pour deux mois, en 1874,
sous le ministère du duc de Broglie, pour avoir reproduit le mandement de
l'évêque de Nimes, qui excita si fort la colère de Bismarck. Le jugement de
suspension déclarait que l'Univers avait
porté une grave atteinte à la dignité de la presse française, compromis nos
relations extérieures, troublé la paix publique, provoqué au mépris des
gouvernements établis par d'inqualifiables outrages. Veuillot
poussait, parfois, la colère vertueuse jusqu'aux plus condamnables
extrémités. Il s'avisa, un jour, de signaler à l'animadversion des fidèles un
mercier qui n'observait pas le repos dominical, et le tribunal de la Seine
lui infligea fort justement, à ce propos, une condamnation à 4.000 francs de
dommages-intérêts. Nous préférons à Veuillot journaliste Veuillot écrivain. Romans, nouvelles, récits de voyage, pamphlets, ouvrages d'édification ou de polémique, poésie même, il a fait de tout, et, si son œuvre a des parties faibles et très faibles, elle en a aussi d'excellentes, elle appareil souvent souple et nerveuse, pleine de rêve et débordante de vie. Satirique impitoyable, doublé d'un homme très tendre, il a manqué peu de chose à Veuillot pour faire un poète très original. Ce n'est pas comme poète qu'il restera ; son art manque de finesse et d'éclat, et cependant la force de la pensée communique souvent à ses vers un charme austère et pénétrant, qu'on ne trouvera nulle part mieux exprimé que dans ce portrait de l'honnête femme : Aucun mensonge ! Rien, sur la toile vivante, Au modèle muet ne semblait ajouté. C'était son buste frêle et sa lèvre indolente, C'était Ra chevelure atone et peu savante, Son œil sans flamboiements, — et c'était la Beauté. Je regardais encore : oh l'aimable visage ! Comme, parfois, sous l'herbe on devine la fleur ! L'art du peintre faisait chanter dans cette image Je ne sais quel reflet dame profonde et sage Et faite pour tout vaincre, — et c'était la Douceur. Le corsage fermé par la pudeur jalouse, Le fidèle regard sur le ciel arrêté, Promettaient à l'amour plus que la volupté : C'était la vierge encor qui vivait dans l'épouse, C'était l'honneur, la paix, — c'était la Chasteté. Et je compris les pleurs que l'amant dut répandre, Et je compris l'époux qui chantait son bonheur, Et je connus aussi la femme forte et tendre Qui, hors de sa maison, sur la boue et la cendre, Savait ne rien verser des choses de son cœur. Ses Pèlerinages en Suisse mêlent trop souvent aux récits
de voyage les instructions spirituelles ou les diatribes contre les
protestants ; la lecture en est cependant attachante, et mille traits
imprévus viennent, à chaque instant, surprendre et amuser le lecteur, tout à
fait dérouté par les frasques de cet esprit opiniâtre el capricieux, de ce
prêcheur fantasque, tout prêt à éclater de rire à chaque ridicule qui passe.
Il voyage bien tranquillement, en diligence, sur les bords du lac de Genève,
avec d'insignifiants compagnons et une grosse dame, d'apparence on ne peut
plus prosaïque : Tout à coup, quelqu'un, montrant un
clocher, nous dit : Voyez, Vevey !
Et voilà cette grosse femme qui se jette à la portière
avec un mouvement si rapide que nous avançâmes tous la main pour la retenir,
mais il n'y avait pas de danger : deux massives épaules l'arrêtaient
suffisamment de chaque côté ; la tête seule pouvait passer. Après avoir
longtemps regardé, elle se rassit pensive, soupirant comme un soufflet de
forge ; et nous eûmes l'incroyable spectacle d'un sentiment de mélancolie
dans les petits yeux et sur le petit front d'une Héloïse de quarante-cinq
ans, car il s'agissait d'Héloïse au fond de ce cœur tendre : la grosse femme
n'avait à Vevey ni ses enfants, ni son mari, ni sa caisse à chapeau. Sa correspondance n'est pas exempte de maniérisme, mais le
révèle si brave homme, si attaché aux siens, qu'on lui passe volontiers son
grain de pédantisme. Il conte à merveille l'anecdote. Il est, un jour, chez
un gentilhomme propriétaire, qui le promène une heure et demie sous la pluie,
dans ses herbages ; il rentre pour écrire un article ; impossible de trouver
une plume au château ; enfin son ami découvre un
reste de canif à ongles avec lequel il taille un cure-dents et
l'apporte à Veuillot avec toute la gravité d'un
ancien préfet devenu ministre. — Il habille très drôlement ses hôtes
et leurs amis. Il a lu deux chapitres de Fleurange, par Mme Craven. Elle sait son métier de romancière, comme si elle l'avait
fait toute sa vie ; ce que j'ai lu n'est pas mauvais ; il y a même des traces
de bon sens. — Il fait deux grabuges par jour. Je n'en gagne qu'un, dit-il ; mais
c'est parce que je ne suis pas assez cancre. Sous ce rapport, mon adversaire
est prodigieux ! C'est le cas de le dire, je profite à son école : vous verrez
du beau ! — M. de C. a un château fort sérieux, en beau style Louis
XIII : il a des sapins hauts comme des clochers et
des chênes plus hauts que les sapins ; il a des étangs peuplés de carpes, des
bois peuplés de lièvres et de chevreuils ; il a cent vaches ; il a des poules
en vieille faïence ; il a cinq ou six plats chinois ; il a 400.000 livres de
rente et il se meurt d'ennui et de tristesse, quoiqu'il soit le plus galant
homme du monde, bon chrétien et abonné de l'Univers... — Mme de R. m'écrit, dimanche matin, qu'elle désire me
servir jeudi au déjeuner de l'évêque ; qu'il faut partir à six heures,
arriver à huit, attendre le déjeuner Dieu sait où, causer, poser, errer et a
revenir le soir. Grand Dieu ! avec une grâce, avec un esprit, avec une
douceur que j'admirerai toujours, je refuse. Le diable se serait rendu, mais
une bâtisseuse d'églises ? Et nous voilà brouillés... ou peu s'en faut. Au milieu de tous ses bons mots, il n'oublie pas ses
rancunes. S'il va à Ferney-Voltaire, il admire comment le gredin était bien logé. Il envoie à Mme de
Pitray, très bonapartiste, cette amusante profession de foi : Je vous le dirai, Madame, avec la noble indépendance du
citoyen français : nous devons aimer l'empereur, nous devons le servir, nous
devons l'adorer. Il est grand, il est sage, il est pieux, et aucun souverain
n'a une si belle police. Vive l'empereur, Madame, vive l'empereur ! Que vos
bœufs, que vos vaches, que vos ânes apprennent à répéter ce cri des sous-préfets.
Vive l'empereur ! voilà ce que nous entendrons dans le ciel. Ce serait la béatitude, si nous pouvions ne pas
envier le sort de nos enfants, qui vivront en ce bas monde sous les lois de
notre empereur... Si vous ouvrez ma lettre,
brillez-la sitôt lue, jetez les cendres dans un puits, comblez ce puits,
élevez sur le puits comblé une statue de l'empereur, vendez vos terres et
allez vous établir en Russie. Tout cela est amusant, mais ne vaut pas le satirique sérieux. Un des plus beaux livres de Veuillot est celui qu'il a
écrit, en 1884, sous le titre : Les Libres Penseurs. C'est un livre
incomplet, parce que la nature même de son esprit l'a empêché de comprendre
la haute dignité, la noblesse de la pensée libre, consciente, sincère et
pure, mais livre étonnant de vérité, quand on pense à la foule vulgaire des
soi-disant libres-penseurs qui ne pensent pas, ou qui n'ont jamais pensé qu'à
eux, à la satisfaction de leurs intérêts, de leurs appétits et de leurs
rancunes. Pour ceux-là, le livre de Veuillot est une satire aussi sanglante
que le sont, en politique, les Châtiments de Victor Hugo ; et, si la
note est moins éclatante, elle est aussi plus profonde et plus juste : J'ai dit ma pensée, dit-il lui-même, j'ai confessé ma foi, j'ai honoré mes dieux, j'ai combattu
sans calcul et sans ménagements pour moi-même. Je n'y ai gagné qu'une chose,
mais d'un prix immense : c'est de pouvoir relire tant de pages écrites tous
les jours depuis vingt-deux ans, sans me prendre à rougir de celles où je me
suis trompé... Je souhaite à la liberté
beaucoup d'écrivains qui se servent d'elle avec le même scrupule et qui la
servent avec le même dévouement. Enfant du peuple, Veuillot n'a jamais aimé la bourgeoisie
; ce qu'il y a chez elle de louche et de lâche l'a toujours profondément
dégoûté. Les portraits vengeurs abondent dans son livre : M. Un Tel, poète, philosophe, humanitaire et concubinaire,
fait un livre, dont la belle pièce est une peinture de certain couvent. Il connait
bien la maison... Il n'oublie qu'une chose :
que ces moines qu'il déchire l'ont accueilli, l'ont, soigné, l'ont consolé,
l'ont empêché de mourir de faim et de vermine... Quand tu feras la seconde
édition de ton livre, drôle, puisque tu veux peindre le couvent, décris donc aussi
ce personnage, dis son orgueil et sa bassesse. M. Pigeot, banquier, peut trouver
dans Paris, du jour au lendemain, un million sur sa signature. Il est adjoint
au maire de son arrondissement, lieutenant-colonel de la garde nationale,
vice-président d'un comité de bienfaisance, officier de la Légion d'honneur, seigneur de village en Normandie, mari de Mme
Pigeot qui voit des gens de lettres, père de Mlle Pigeot, déjà refusée à deux
jeunes fils du faubourg Saint-Germain. — On
le connaît à la cour ; il tutoie un ministre... ses idées... sont claires
et arrêtées. La question religieuse ne le prend pas au dépourvu. Officiellement,
il respecte l'Église et tient qu'il faut une religion pour le peuple ; mais
il déteste la superstition. Point de moines : ce sont de pieux fainéants ;
point d'associations religieuses : ce sont des clubs où l'on conspire pour
Henri V ; point de collèges ecclésiastiques : le caractère français s'y
abâtardit ! Pigeot, encore, n'aime pas ces réunions pieuses où les
femmes se rendent, négligeant leurs ménages, où l'on veut attirer les ouvriers,
au grand détriment du travail. Qu'il méprise ces mômeries ! Qu'il est
agréable et fécond, lorsqu'il vient à parler de ces associations aux noms
ridicules, et le Sacré-Cœur, et l'Archiconfrérie, et les frères de la Bonne
Mort, et les pénitents bleus, et les pénitents gris, et les pénitents
verts ! Pour lui, Pigeot, il ne manque à aucune des séances de la
Société des aimables pourceaux, dont il est membre fondateur. Dur aux bourgeois, il est terrible au prêtre qui garde l'esprit mondain ; il lui a consacré une page qui eût certainement fait songer Molière : Pour Dieu, Monsieur l'abbé, ou ne
dites plus la messe et ne portez plus ce titre d'abbé, ou habillez-vous en
prêtre et vivez en prêtre... Convient-il
qu'on vous rencontre à minuit, le manteau sur le nez, comme un chercheur
d'aventures, et que les gens du quartier, vous voyant entrer si tard, se
disent en riant : C'est ce prêtre !... Quel avantage trouvez-vous
à paraître en habit laïque, botté comme un joueur de lansquenet, sanglé comme
un acteur ? Croyez-vous être joli ?... Vous
êtes ridicule... et vous n'avez pas le droit
d'être ridicule. Un prêtre doit être propre, mais propre de cette façon !...
Soyez plutôt râpé, fripé, rapiécé, soyez plutôt sale ! Il y a des
prêtres dont les soutanes font pitié. Dans la rue, un jour, je suivais une de
ces soutanes, mal faite et fatiguée, propre néanmoins ; mais la brosse, à
force de trotter, l'avait lustrée et blanchie. Elle battait des souliers
rougis par le temps ; elle était surmontée d'un chapeau... ah ! Monsieur l'abbé, je ménage vos nerfs et je ne
décris pas ce chapeau. Bon Dieu ! me dis-je, voilà un pauvre prêtre à
qui l'on ferait bien de donner une soutane ! Cependant les passants
saluaient avec respect ce prêtre mal vêtu ;
après l'avoir salué, ils se retournaient pour le voir encore. Je doublai le
pas, je saluai à mon tour. C'était le P. de Ravignan. Qui dira combien sont
tombées de larmes consolantes et salutaires sur la soutane usée de Ravignan ?
Mais qui voulez-vous, Almaviva de sacristie, qui aille pleurer sur votre
justaucorps chargé de fanfreluches ? Vous n'y tenez pas, je le sais bien !
mais alors que faites-vous dans l'Église ? Vous direz que vous y ôtes et que
vous n'en pouvez sortir ! Vous pouvez du moins vous cacher... Ne savez-vous pas que l'impiété ne sera vaincue et le
monde sauvé que par un sacerdoce humble, pauvre, laborieux, mortifié, et
qu'au milieu d'une société, chargée de tous les vices que le christianisme
vint combattre, il faut aller au combat avec la foi et la bure des apôtres !...
Malheur à vous, qui êtes un argument dans la bouche
de l'impie ! Malheur à vous, dont il peut dire, pour échapper à la vérité qui
le presse : Voyez ce prêtre ! Ce morceau est de très haute allure. Veuillot est cependant allé plus haut encore, quand il nous a peint, de main de maître, l'horreur qui saisit devant son œuvre un pornographe resté au fond honnête homme. Rien de plus dramatique et de plus poignant que cette confession d'un enfant du siècle : Je bâclai une bacchanale
effrontée, même pour le théâtre de bacchanales auquel je la destinais...
Quand il fallut lire cela aux comédiens, en vérité,
je n'osais pas... Dix fois dans le cours des
répétitions, je fus tenté de reculer... Je
retirai mon nom et je laissai jouer la pièce. J'étais curieux d'en faire
l'expérience, de voir comment le public prendrait cette injure. Le public
n'hésita pas un moment... Deux cents
représentations ne satisfirent pas cet appétit d'abjection. Je devins le grand
homme du boulevard... Les acteurs, lancés par le succès, ne jouaient plus ma
pièce, mais la leur. J'avais fait une polissonnerie impardonnable ; leur
propre génie et leur mimique en avaient fait une ordure sans nom. C'était
cette ordure qu'on applaudissait, qui sans cesse rappelait et rajeunissait la
foule. J'abhorrais ce spectacle at je ne sais quelle force me contraignait
d'en chercher l'amertume. J'avais la rougeur au front, la terreur dans l'âme...
J'ai connu la vile et inénarrable tristesse des
histrions ; j'ai craint, j'ai senti le glaive de la justice divine. J'avais
déjà des enfants : je me disais qu'un jour peut-être, par représailles de
Dieu, ou mon fils ou ma fille tomberaient dans cette fange du théâtre et
joueraient devant cette foule immonde des
rôles semblables à ceux-là... Je m'avouai que
j'étais un corrupteur public. Chaque jour, je voyais dans la salle d'imbéciles
honnêtes gens, qui venaient là en famille.et qui restaient jusqu'à la fin.
Oui, oui, ils restaient là, le mari à côté de l'épouse, le père et la mère à
côté de leurs enfants l Ils comprenaient et ils ne s'en allaient pas ; ils
restaient à cet enseignement de dérision, d'impiété, d'adultère, de luxure...
Oh ! les sauvages ! Je voyais l'étonnement,
l'embarras, la malice, la passion bestiale, passer tour à tour sur les jeunes
fronts ; je voyais la fange indélébile envahir les jeunes cœurs, et je me
disais : Je serai puni. Voilà, n'est-il pas vrai, une page digne d'un grand moraliste, et ceux qui regardent Veuillot comme un des maîtres de la prose française ne disent encore que la moitié de la vérité. Ce rude batailleur, qui ne pécha que par excès de logique et de conscience, ne fut au fond ni un aristocrate, ni un réactionnaire, ni même un monarchiste. Il voulait que la première place fût occupée par un représentant héréditaire de la nation ; mais son roi n'était pas le sauveur, dont tout le pays devait attendre le salut, son roi n'était pas une idole : c'était une nécessité et une sauvegarde politique ; il voyait, dans le roi, le meilleur gardien de la liberté. Il eût voulu un État souple et décentralisé, où eussent trouvé place les libertés provinciales et les libertés corporatives.. Au fond, ce catholique avait l'âme d'un démocrate et d'un républicain ; mais il ne pouvait comprendre la chose publique sans le sentiment du devoir, sans le sentiment de l'honneur, sans le sentiment de la morale, et il avait cent fois raison. Personne ne peut, dans la presse catholique, être comparé à ce géant tout d'une pièce, si bien d'aplomb sur son cheval de bataille, la visière toujours levée, la lance toujours au poing. Cependant il est un homme qui, même auprès de lui, émerge de la foule des polémistes : c'est Mgr Freppel, l'ardent et colérique évêque d'Angers. Parmi tous les ouvrages qu'a composés ce grand travailleur, aucun peut-être n'eut un aussi grand retentissement que la brochure consacrée par lui à la Révolution française, à l'occasion du centenaire de 1789. Partisan avéré du Syllabus et de l'infaillibilité pontificale, Mgr Freppel est pour la Révolution un juge très sévère et très partial ; mais son style vigoureux ne comporte aucune violence incongrue, et ses raisons sont parfois très hautes et très sérieuses. Quelques extraits suffiront pour nous donner une idée de sa manière et de la valeur de son livre : Lisez, nous dit-il, la Déclaration des droits de l'homme. Voyez quelle idée
l'on se forme à ce moment-là des pouvoirs publics, de la famille, du mariage,
de l'enseignement, de la justice el des lois ; à lire tous ces documents, à
voir toutes ces institutions nouvelles, on dirait que, pour cette nation,
chrétienne depuis quatorze siècles, le christianisme n'a jamais existé, et
qu'il n'y a pas lieu d'en tenir le moindre compte. Attributions du clergé en
tant que corps politique, privilèges à restreindre ou à supprimer, tout cela
est d'intérêt secondaire ; c'est le règne social de Jésus-Christ qu'il s'agit
de détruire et d'effacer jusqu'au moindre vestige. La Révolution, c'est la
société déchristianisée ; c'est le Christ refoulé au fond de la conscience
individuelle, banni de tout ce qui est public, de tout ce qui est social,
banni de l'État, qui ne cherche plus dans son autorité la consécration de la
sienne propre, banni des lois, dont sa loi n'est plus la règle souveraine,
banni de la famille constituée en dehors de sa bénédiction, banni de l'école
où son enseignement n'est plus l'âme de l'éducation, banni de la science où
il n'obtient plus pour tout hommage qu'une sorte de neutralité non moins
injurieuse que la contradiction, banni de partout, si ce n'est, peut-être,
d'un coin de l'âme, où l'on consent à lui laisser un reste de domination. La
Révolution, c'est la nation chrétienne débaptisée, répudiant sa foi
historique, traditionnelle, et cherchant à se reconstruire, en dehors de
l'Evangile, sur les bases de la raison pure, devenue la source unique du
droit et la seule règle du devoir. Une société n'ayant plus d'autre guide que
les lumières naturelles de l'intelligence, isolées de la révélation, ni
d'autre fin qui le bien-être de l'homme en ce monde, abstraction faite de ses
fins supérieures et divines : voilà, dans son idée essentielle, fondamentale,
la doctrine de la Révolution. Cette laïcisation complète de l'État, Mgr Freppel la
trouve infiniment regrettable, et il en donne cette raison : L'idée de Dieu une fois disparue, il fait nuit dans l'âme
humaine, et on peut y prendre au hasard le vice pour la vertu et le crime
pour la légalité. Les conséquences de la Révolution lui paraissent tout
aussi condamnables que son principe. Il est l'adversaire absolu de l'omnipotence
de l'État : J'entends bien les doctrinaires de la
Révolution française déclarer solennellement que tous les hommes naissent et
demeurent libres ; mais c'est là une vaine déclamation, qui ne tient pas
debout devant l'idée révolutionnaire de la toute-puissance de l'État. On
n'est pas libre, quand, de quelque côté que l'on se tourne, on vient se
heurter à ce pouvoir omnipotent, qui prétend ne rien laisser en dehors de sa
sphère d'action. Le suffrage universel ne trouve pas en lui un admirateur
plus enthousiaste que la Déclaration des droits de l'homme : Ce qui est inadmissible, c'est que, sous prétexte
d'égalité, le nombre seul devienne la loi suprême d'un pays... et qu'en un jour d'élection, où se posent les questions
les plus difficiles de droit constitutionnel, de relations avec l'étranger,
des questions de vie ou de mort pour un peuple, le suffrage d'un individu
sachant à peine lire et écrire, ou recueilli dans un dépôt de mendicité, pèse
d'un même poids dans la balance des destinées nationales que celui d'un homme
d'État rompu aux affaires par une longue expérience. Il n'est pas de sophisme
qui puisse colorer d'un prétexte spécieux une pareille absurdité. Un pays qui
sacrifie son existence à une utopie aussi dangereuse, court au-devant de
toutes les aventures. Il flagelle encore l'esprit de parti dans une page qu'on
ne saurait trop méditer : Je suppose un régime sous
lequel un parti politique, arrivé au pouvoir, jouit exclusivement de tous les
avantages de la situation, se réserve à lui seul toutes les places et tous
les emplois, sans admettre à aucune fonction publique ceux qu'il traite
d'adversaires, si tant est qu'il ne les mette pas hors la loi, en leur
refusant ce qui est équitable et juste ; un régime où tout est vexation pour
les uns et faveur pour les autres ; où il suffit que les parents soient en
défiance auprès du parti dominant pour que leurs enfants voient se fermer
devant eux les carrières de la magistrature, de l'administration et des
finances ; où il n'est même pas possible d'arriver à un poste de juge
suppléant, eût-on tous les diplômes et tous les mérites, du moment que l'on a
fait ses études dans telle maison d'éducation plutôt que dans telle autre ;
où la moitié des contribuables se trouvent exclus des bénéfices de la
communauté, bien que les charges soient les mêmes pour tous ; est-ce
sérieusement qu'un pareil régime d'oppression pour ceux-ci, de privilège pour
ceux-là, pourrait être appelé un régime d'égalité ? Il condamne enfin, avec véhémence, en homme qui combat
pour ses autels, les préjugés anticléricaux des gouvernants républicains : Est-ce calomnier nos modernes jacobins de dire que leur hostilité à l'égard des pires ennemis de la France
n'est pas comparable à celle qu'ils témoignent à un Français, du moment que
ce Français porte une soutane de prêtre ou une robe de religieux ?... La Révolution a développé chez ce peuple, si généreux par
nature et si chevaleresque, des instincts de brutalité qui sont devenus
l'étonnement du monde entier... Prenons le
libéralisme révolutionnaire aux époques où, condamné à une modération
relative par l'esprit du temps, il consent à se renfermer dans la persécution
légale ; chaque fois qu'il remonte au pouvoir, après 1830, après 1848, après
1879, son premier mouvement est de restreindre la liberté des catholiques. On
le dirait rivé à ce genre de despotisme par la fatalité de son principe.
Quelques jésuites ou quelques dominicains, se réunissant pour prier en
commun, pour enseigner ou pour prêcher, le mettent en émoi, plus que ne
sauraient faire des menaces parties de l'étranger. On sent que la liberté
religieuse est tout ce qu'il y a de plus antipathique à ces publicistes et à
ces hommes d'État. — Confisquer les biens
ecclésiastiques pour dépouiller le clergé du droit de propriété, sans lequel
il n'y a pas de vraie liberté ; empêcher le plus possible les manifestations
extérieures du culte ; entraver les rapports des évêques entre eux et avec le
Saint-Siège ; les subordonner à l'autorisation préalable d'un conseil d'État
composé d'incroyants en majeure partie, sinon en totalité ; remplacer les
bénéfices stables et permanents par un salaire variable, contesté et discuté
périodiquement dans des débats sans honneur et sans dignité : c'est ainsi que
la Révolution, même sous sa forme la plus modérée, a toujours compris la
liberté des catholiques. Si fier que soit un pareil réquisitoire, il nous sera cependant permis de penser qu'un langage si amer n'est peut-être pas tout à fait celui qui convient le mieux à un évêque ; et nous avouerons délibérément préférer aux rancœurs du prélat les très hautes et très dignes paroles imprimées tout récemment par quelques simples prêtres de notre Auvergne dans de modestes bulletins de paroisse, où nous ne nous attendions pas à trouver de si simple, si naturelle et si vraiment chrétienne éloquence. Le bulletin paroissial de Servant se préoccupe de la
situation faite au clergé par les lois actuelles et répond vaillamment aux
pessimistes : On dit qu'il faut, à tout prix, sauver
nos églises ; on a raison, puisqu'elles sont la maison de notre Dieu et celle
du peuple chrétien. Mais n'aurions-nous ni temples, ni presbytères, ni séminaires, — les
apôtres n'en avaient pas, — l'Église vivrait,
c parce que l'Église, c'est l'âme humaine, qui ne meurt ni par le glaive ni
par la persécution. Après qu'on aura tout dérobé, et nos immeubles, et les
ressources dont vivaient nos œuvres et nos pauvres, et notre influence
sociale, et notre popularité, il nous restera assez devant Dieu et devant les
honnêtes gens, et nous vivrons si nous gardons les âmes : Da mihi animas,
cætera tolle tibi ! (3 mars 1907.) Mais, pour garder les âmes, il faudrait un miracle, disent
les timides ; et les forts répondent : Faites le
miracle que firent nos ancêtres des premiers siècles : le paganisme était
corrompu, ils furent purs et chastes ; — il
était égoïste, ils furent généreux ; — il
était sensuel, ils furent austères et détachés ; — il recommandait la haine des ennemis, ils en
recommandèrent l'amour. (17 mars 1907.) Le Messager de Brassac, œuvre personnelle du curé de
cette importante paroisse, est une intéressante petite feuille, remplie de
bon sens et de charité, et les conclusions du curé de campagne sont dignes
d'un disciple de saint Jean : Un des maux les plus
funestes dont souffre la société, c'est la haine... qui fait descendre l'homme au-dessous de la bête, car les
loups ne se mangent pas entre eux... Il y a
des hommes — Dieu les éclaire et les
convertisse ! — qui emploient leurs talents
et leurs ressources à la propager, rejetant l'amour mutuel qui caractérise le
christianisme, barrant la route à la marche civilisatrice et ascensionnelle
de l'Évangile, détruisant à la fois la vérité qui délivre et la religion de
bonté inaugurée par le Sauveur. Qu'opposerons-nous à ce fléau déprimant et
rétrograde ? La diffusion de l'amour fraternel. (Avril 1903.) Cette religion de l'amour, M. le curé de Brassac la veut ample et active : Ce que les ennemis de l'Église
appréhendent, c'est le catholicisme agissant par la sympathie, favorable aux
causes nationales et populaires, allant à la démocratie et entrant au cœur de
la nation... Ils ne comprennent qu'une
religion purement cultuelle, décrépite, emmaillotée dans le conservatisme,
tournée uniquement vers les dévots et le petit piétisme replié sur lui-même.
Le Concordat n'est pas un principe de mal, pas plus que la séparation ne sera
une source de renaissance. C'est l'effort, l'effort plein et contenu, c'est
l'effort cordial et généreux, qui fera luire les prochaines aurores ! Voilà, enfin, une parole douce et lumineuse, et qui n'a besoin ni d'artifice ni de tapage pour se faire entendre : elle sort naturellement d'une belle âme simple I Comme ces cris du cœur sont plus émouvants que les plus éclatantes satires de Veuillot, ou les plus savantes discussions de Freppel ; et comme l'on comprend, en les écoutant, que le Christ se soit mieux plu en la société des humbles qu'en celle des grands ! |