La période de dix ans qui s'étend de 1791 à 1801 fut, pour l'Église française, un temps de persécution, dont le point initial doit être cherché dans la constitution civile du clergé. Au mois de janvier 1791, quand le serment commença d'être requis, la constitution civile n'était pas encore condamnée par le pape ; mais on savait que le roi lui était contraire, que quatre évêques sur cent trente-cinq lui avaient donné leur adhésion, et que ceux qui avaient refusé le serment avaient déclaré la constitution entachée de schisme et d'hérésie. Tout ce qui, en France, tenait encore pour l'ancien régime fit bloc contre le serment ; tout ce qui tenait pour la Révolution poussa, de toutes ses forces, à l'acceptation de la nouvelle charte ecclésiastique. Trente archevêques ou évêques l'avaient, dès le 30 octobre 1790, attaquée dans un livre qui fit grand bruit : Exposition des principes sur la constitution civile. Dix-huit évêques constitutionnels répondirent par l'Accord des vrais principes de l'Église, de la morale et de la raison sur la constitution civile du clergé de France. Ils offrirent leur ouvrage au pape et terminèrent leur lettre par une citation de Bossuet très habilement choisie : Vous ne croirez, Très Saint-Père, que les conseillers amis qui vous diront, avec Bossuet, qu'il faut conserver inviolablement les droits primitifs donnés par Jésus-Christ à son église, maintenir de votre mieux ceux qui lui ont été accordés dans la suite, et vous relâcher à propos de ces droits acquis, et non primitifs, lorsque le bien et la paix de l'Église le demanderont. Dans le Puy-de-Dôme, le curé de Vernines, Dufraisse, se fit l'avocat convaincu de la constitution civile[1]. Dans l'Indre, le curé de Mouhers, André Doreau[2], publia une des plus habiles et vigoureuses apologies que l'on connaisse de la constitution civile et du serment ecclésiastique. La constitution eut une fortune bien différente suivant les régions. Elle échoua à peu près complètement en Flandre, en Artois, en Normandie, dans le Naine, l'Anjou et la Bretagne ; elle suscita des troubles en Poitou, à Bordeaux et en Lozère ; elle fut repoussée à Toulouse et à Toulon ; elle amena de graves désordres en Corse, en Provence, en Dauphiné, à Strasbourg (Sciout, Hist. de la constit. civile). Elle recueillit de nombreuses adhésions dans les grandes villes et dans le centre du royaume. Dans l'Indre, sur 339 curés ou vicaires, 291 prêtèrent le serment constitutionnel. Le Cher ne donna la majorité aux opposants que dans le district de Bourges ; dans les six autres districts, les constitutionnels l'emportèrent[3]. Le Puy-de-Dôme se partagea à peu près par moitié : 481 jureurs contre 434 opposants[4]. Quelques prêtres manifestèrent en signant une adhésion sincère et enthousiaste à l'Église constitutionnelle. Beaucoup prêtèrent le serment sans phrases. D'autres, en assez grand nombre, mirent des restrictions à leur acceptation, déclarant qu'ils n'entendaient pas, par ce serment, se séparer de l'Église ni rien faire de contraire à la foi. Bien des rétractations eurent lieu, lorsque le pape se fut prononcé. On ne peut pas savoir exactement quel fut le chiffre total des adhésions. Il y eut probablement un peu plus du tiers du clergé, et un peu moins de la moitié, à accepter les faits accomplis (Debidour, Rapports de l'Église et de l'État) ; mais le malheur voulut qu'il y eût aussitôt, entre ces deux fractions du clergé, scission profonde et irrémédiable, contradiction exaspérée jusqu'à la haine et au mépris. Il n'en faut pas faire un grief à l'Église : il ne pouvait pas en être autrement ; les passions politiques et religieuses, alors chauffées à blanc, devaient des deux côtés embraser les cœurs, les remplir de colère et d'indignation. Mettons-nous, un instant, à la place d'un jureur consciencieux et patriote. La Révolution a proclamé les grands principes chrétiens de liberté, égalité et fraternité, qui ont toujours fait la base du droit ecclésiastique ; elle a déposé les puissants et exalté les humbles ; elle a tiré les pasteurs des villes et des campagnes de dessous le joug épiscopal ; elle leur a donné l'aisance et la dignité de la vie ; elle les invite à collaborer avec tons les magistrats du royaume an triomphe de la justice et au bonheur de la nation. La constitution a pour elle l'immense majorité des représentants, elle a été sanctionnée par le roi ; et le serment que la loi vient demander à ce simple prêtre, il ne se reconnaîtrait pas le droit de le refuser, car c'est le serment de fidélité aux lois de la patrie, et un prêtre ne peut être ni un fauteur de séditions, ni un révolté. Entrons, maintenant, dans les raisons d'un réfractaire également droit et honnête. A cet homme, hier encore attaché à sa maigre cure, comme le serf d'autrefois à la glèbe, la loi vient offrir une situation pécuniaire des plus enviables et les perspectives les plus brillantes ; mais, pour toucher ce traitement de 2 ou 3.000 livres, pour jouir de ces prérogatives, il faut sanctionner par son serment l'expropriation de l'Église, la destruction des ordres religieux, l'invasion des monastères et des églises, la mainmise de politiques ambitieux sur les droits les plus précieux de l'Église ; il faut se séparer de l'épiscopat français presque tout entier, s'exposer peut-être à l'excommunication comme schismatique, comme hérétique, comme scandaleux. Et le prêtre, détournant ses regards des présents qu'on lui offre, accepte la misère, la calomnie et la persécution pour rester fidèle à son devoir et à sa foi. Est-il possible que deux hommes aussi différents se tolèrent, en un moment si solennel et si tragique ? N'est-il pas évident que, pour le jureur, le réfractaire n'est qu'un aristocrate et un mauvais citoyen, et que, pour le réfractaire, le jureur n'est qu'un renégat et un simoniaque ? — Traître ! s'écrie le premier Judas ! répond l'autre — et ces deux hommes, qui eussent vécu en paix sous une loi plus libérale, vont se combattre par tous les moyens, comme des frères ennemis. La foi exalte ceux qu'elle touche, comme fait l'amour de la patrie, comme fait la famille, comme font l'art, la science, la politique, comme fait tout ce qui passionne les hommes, tout ce qui les prend au cœur. Toutes les grandes idées ont leurs fanatismes, et, dans chaque homme de cœur, sommeille un fanatique, qu'un législateur prudent ne cherche pas à réveiller. Ces tristes luttes ont laissé dans les esprits des traces encore vivantes. Les écrivains révolutionnaires se montrent généralement favorables au clergé constitutionnel ; les écrivains catholiques lui dénieraient volontiers toute vertu. Le gros de l'armée assermentée,
dit Mortimer-Ternaux, se composait de curés timides et
naïfs, qui ne voulaient pas, sur une question qu'ils regardaient comme assez
indifférente, se séparer des ouailles qu'ils étaient habitués à conduire ;
d'ecclésiastiques qui convoitaient les places les plus élevées de la
hiérarchie sacerdotale, que le suffrage populaire, si étrangement appliqué en
pareille matière, allait attribuer désormais ; d'anciens moines défroqués qui
ne sortirent de leur cloître que pour se jeter sur les biens terrestres avec
d'autant plus d'avidité qu'ils avaient jadis fait profession de les mépriser,
et, enfin, de prêtres interdits qui vinrent de toutes les parties de l'Europe
s'abattre sur la France. (Hist. de
la Terreur, I, p. 16.) Qu'il y ait eu dans le clergé constitutionnel des timides,
des cupides, des ambitieux, c'est chose certaine. Il y eut même des
misérables, comme Lindet, évêque de l'Eure, qui osa faire dans un mandement
l'apologie des massacres de septembre. Il y eut aussi parmi eux des patriotes
hardis, qui ne désespérèrent jamais du salut de la France ni de la liberté,
comme l'évêque de Coutances, Bécherel, qui s'accommodait d'une statue de la
Liberté dans la nef de sa cathédrale : Cette statue,
mes frères, n'est point une déesse ni une idole : c'est uniquement l'emblème
de la liberté française, qui présente la constitution de l'an III à laquelle
nous avons juré attachement et fidélité ; c'est le signe de l'allégresse
publique à l'occasion des triomphes de la République et de la paix qui les
couronne. Il y eut des braves, comme Grégoire, qui siégea en costume
épiscopal sur les bancs de la Convention jusqu'à la fin de l'Assemblée. Il y avait encore, en 1801, deux ou trois mille prêtres constitutionnels fidèles à leur serment civique et à leur foi. Le clergé réfractaire montra dans la persécution une indomptable énergie, qui lui mérita l'estime de Carnot lui-même ; mais il y eut dans ses rangs, à côté de prêtres vraiment saints et apostoliques, des aristocrates effrénés, des conspirateurs sans vergogne, des aventuriers sans scrupules et sans merci. Il y eut, dans chaque champ, du bon grain et de l'ivraie. Une sage culture eût tendu à les séparer ; on fit tout, au contraire, pour étouffer les plantes utiles sous les végétations malsaines et dévastatrices. La tactique uniforme dans les deux partis fut la même : pousser sans relâche à la violence, aux excès, aux paroxysmes. L'histoire religieuse de cette période n'est qu'une furieuse bataille de dix ans, qui n'eut pas un jour de trêve. L'Assemblée Constituante n'avait d'abord exigé le serment civique que du clergé paroissial. Le 5 février 1791, elle l'imposa aux simples prédicateurs. Le 4 avril, elle donna l'ordre aux municipalités de poursuivre tous les réfractaires qui se seraient avisés de continuer leurs anciennes fonctions. Le 15 avril, elle soumit au serment les aumôniers des prisons et des hospices. Cependant, à côté du culte officiel qui s'exerçait dans les églises paroissiales, les réfractaires tentèrent d'organiser le culte orthodoxe dans des chapelles et des locaux loués par eux à des particuliers. Des violences odieuses furent exercées par la populace contre les femmes qui voulaient suivre ces offices. A Paris, le 9 avril 1791, des dames furent fouettées en pleine rue, sous les yeux narquois de la garde nationale. Des scènes du même genre se renouvelèrent, le 9 et le 17 avril. A Nantes, les dames du parti révolutionnaire envahirent avec une troupe de fouetteuses un couvent de religieuses qui se refusaient à recevoir l'évêque de la Loire-Inférieure. A Lyon, une pauvre jeune femme, fouettée à la porte de l'église et roulée dans la boue, mourut le lendemain des suites des mauvais traitements qu'elle avait reçus. A Bordeaux, deux sœurs de charité furent, à plusieurs reprises, plongées dans la Garonne et retirées du fleuve à demi noyées. Dans d'autres endroits, on faisait monter sur des ânes les fidèles qui persistaient à aller à la messe orthodoxe, et on les menait par les rues, la queue de la bête dans la main, au milieu des lazzi et des huées. Ces abominables excès tirèrent les autorités de leur torpeur. Comme le roi avait été insulté à la chapelle des Tuileries par un grenadier de service, qui lui reprochait d'entendre la messe d'un réfractaire, le directoire du département de la Seine déclara licite le culte réfractaire dans des locaux loués par les fidèles, et l'Assemblée approuva cette décision, le 7 mai 1791, tout en interdisant aux évêques réfractaires tout exercice de leur ministère et aux prêtres toute polémique. La liberté des cultes n'en était pas moins officiellement reconnue, et un modus vivendi tolérable enfin trouvé. Si l'Assemblée avait persisté dans cette voie, la France se serait peu à peu habituée aux mœurs de la liberté ; les deux Eglises eussent fini par se tolérer, et, avec le temps, le schisme se fût éteint de lui-même, ou l'Église nationale eût fini par triompher. Le voyage de Louis XVI à Varennes et les colères qu'il suscita ravivèrent toutes les persécutions contre les prêtres réfractaires. L'Assemblée n'osa pas les attaquer directement, mais les laissa à la merci des autorités départementales qui commirent mille excès. L'Assemblée législative se montra beaucoup plus anticléricale que la Constituante. Impatiente d'en finir avec l'opposition, elle ferma, dès le 27 novembre 1791, toutes les églises et chapelles aux prêtres réfractaires. Louis XVI refusa de sanctionner ce décret ; les directoires de département l'appliquèrent cependant, comme s'il avait été sanctionné. Le 6 avril 1792, les congrégations enseignantes, tolérées jusque-là disparurent, et l'Assemblée prohiba le port du costume ecclésiastique en dehors des temples. Le 13 mai, aux Jacobins, Legendre conseilla la noyade des réfractaires, comme le meilleur moyen d'en finir avec cette éternelle question. Le 27 mai, l'Assemblée vota la première loi de persécution véritable. Les directoires de département étaient autorisés à déporter les réfractaires sur la seule demande de vingt citoyens actifs d'un canton. Le roi opposa son veto ; mais cette loi n'en fut pas moins 'appliquée dans beaucoup de départements, grâce à l'anarchie générale qui laissait toute liberté aux révolutionnaires. L'Église constitutionnelle reçut elle-même le contre-coup de la mauvaise humeur de l'Assemblée. La procession de la Fête-Dieu sortit dans Paris comme d'habitude ; mais la garde nationale ne fit point la haie sur son passage, et les autorités n'y assistèrent pas en corps. L'Église constitutionnelle, dix-huit mois après sa création, n'était déjà plus considérée comme une institution officielle. Le 19 juillet, les évêchés furent mis en vente, et les évêques reçurent une indemnité de logement égale au dixième de leur traitement. Dans ce même mois, eurent lieu à Limoges et à Bordeaux les premiers assassinats de prêtres. Le 4 août, les derniers couvents furent licenciés, contrairement aux engagements pris par la Constituante à l'égard des religieux et religieuses qui avaient voulu continuer la vie commune. L'internement du roi au Temple, après le 10 août, amena l'incarcération d'un grand nombre de prêtres dans les prisons de Paris et de la province. Désespérant de les arrêter tous, l'Assemblée décréta, le 26 août, que tous les réfractaires devraient quitter le royaume dans le délai de quinze jours, sous peine d'être transportés à la Guyane. Tous les ecclésiastiques non assujettis au serment devaient être jugés d'après cette même loi, quand ils auraient occasionné des troubles, ou quand leur déportation serait réclamée par six citoyens domiciliés dans leur département. Du 2 au 6 septembre, les massacreurs nettoient les prisons de Paris en égorgeant un
millier de prisonniers, parmi lesquels beaucoup de prêtres et de religieux. Ni Danton ni aucun des gouvernants d'alors n'essayèrent de
punir les meurtriers ; on ne voulut pas risquer une guerre civile pour venger
des aristocrates. (Lavisse et Rambaud, Hist.
générale, t. VIII, p. 156, l'Ass. législative par M. Aulard.) Les 10 et 12 septembre, l'Assemblée ordonna la conversion en monnaie de tous les objets conservés dans les églises, à l'exception des vases sacrés et des ostensoirs. Cependant la France restait, en majorité, catholique. La plupart des assemblées électorales qui nommèrent les députés à la Convention s'ouvrirent par une messe et se terminèrent par un Te Deum. La Convention parut même, tout d'abord, moins hostile au clergé que l'Assemblée législative. Le 30 novembre 1792 et le il janvier 1793, elle déclara qu'elle n'avait jamais eu l'intention de priver le peuple des ministres du culte catholique, que la constitution civile du clergé lui avait donnés. Le 30 mai 1793, la veille de la grande émeute qui balaya la Gironde, les processions de la Fête-Dieu sortirent librement dans Paris. L'article 122 de la constitution du 24 juin 1793 garantit à chaque Français le libre exercice de son culte. Le 27 juin, la Convention reconnut solennellement que le traitement des ecclésiastiques faisait partie de la dette publique. Mais, si l'Assemblée acceptait le culte constitutionnel, elle menait toujours rude guerre contre les réfractaires. Le 14 février 1793, elle octroyait une prime de 100 livres à quiconque arrêterait un prêtre déportable. Le 18 mars, elle rappelait la loi en vertu de laquelle le prêtre exilé qui rentrait en France devait être exécuté dans les vingt-quatre heures. Le 21 avril, elle déclarait déportable à la Guyane tout ecclésiastique séculier ou régulier qui aurait refusé de prêter le serment de fidélité à la liberté et à l'égalité républicaines. Ceux mêmes qui avaient prêté ce serinent restaient passibles de la même peine pour incivisme. Les vieillards et les infirmes devaient être reclus. Ceux qui ne se soumettraient pas à la loi seraient mis à mort dans les vingt-quatre heures. L'Église constitutionnelle était à peine moins rudement traitée. La Convention poussait au mariage des prêtres, conservait leur place et leur traitement aux prêtres mariés (19 juillet-12 août), ordonnait la fonte des cloches pour en faire des canons (22 juillet), faisait briser la Sainte-Ampoule de Reims (7 octobre), retirait à tout ecclésiastique et à toute religieuse le droit de tenir école (28 octobre), étendait enfin aux prêtres constitutionnels eux-mêmes la terrible loi d'avril en cas d'incivisme (23 octobre). Il est aisé d'imaginer à quel arbitraire pouvait prêter une accusation aussi vague et aussi élastique. Les représentants en mission profitèrent aussitôt de cette loi pour déclarer suspect tout prêtre qui ne consentait pas à se marier ou à se déprêtriser. L'ex-bénédictin Laplanche, représentant en mission dans le
Cher et le Loiret, se vante d'avoir mis partout la terreur à l'ordre du jour
: Je n'avais pas d'instructions, dit-il : mon seul guide a été le génie révolutionnaire... Il faut couper des têtes... La Révolution ne peut s'affermir qu'autant que son pied baignera dans
le sang. Ce que Laplanche fait dans le Cher, l'ex-théatin Lanneau le fait dans le diocèse d'Autun ; l'ex-oratorien Fouché, dans la Nièvre. Il semble que l'Église n'ait pas de plus cruels ennemis que ces anciens fils, dont l'amour désabusé s'est tourné en haine furieuse. Quand la commune de Paris se décide brusquement à jeter le masque, les esprits ont été partout préparés et la déchristianisation de la France s'opère en apparence avec une rapidité stupéfiante. Le vieil édifice, sapé par la base depuis de longs mois, s'écroule, en quelques jours, au milieu de la joie sauvage des foules. Des mascarades indécentes promènent par les rues des ânes affublés de chasubles et coiffés de antres. La commune décrète la démolition des clochers qui, par leur domination sur les autres édifices, semblent contrarier les principes de l'égalité. Des évêques se déprêtrisent ; 2.000 prêtres se marient. Ceux qui s'obstinent à rester fidèles à leur foi sont suspects à l'autorité et deviennent bien vite les souffre-douleurs des tyranneaux de village. L'abbé Glaize, curé constitutionnel de Glux, dans la
Nièvre, est arrêté, dans la nuit du 8 au 9 brumaire, et conduit à Château-Chinon,
où on le mène à l'auberge au milieu d'une soixantaine d'ivrognes. Il est à
peine aperçu qu'on le traite de fanatique, de charlatan, de scélérat, sans le
connaître, sans savoir de quoi il est accusé, sans aucun motif particulier
d'animosité contre lui, uniquement par haine du prêtre et pour le plaisir de
l'insulter. A Corbigny, mêmes invectives et mêmes menaces. Si, par hasard, il
prononce le nom de Dieu, on lui dit que le bon Dieu
était trop vieux et qu'on veut en faire un tout neuf. Sur le chemin de
Nevers, les passants complimentent les gendarmes qui le mènent : Oh ! les bons chasseurs que vous êtes... le gibier est donc bien commun dans votre pays ?...
Emprisonné à Nevers, il obtient des autorités de Glux un certificat de
civisme ; deux de ses paroissiens viennent le réclamer à Fouché : Vous demandez votre curé ?... S'il aime bien les femmes, nous vous le rendrons,
dit le représentant ; si c'est un cagot, nous le
guillotinerons ! Il est, enfin, rendu à la liberté et renvoyé
dans sa cure, avec défense de faire le moindre acte cultuel. Au printemps de
1794, il regagne l'Auvergne, sa terre natale, déguisé en paysan. Il apprend
en chemin que l'évêque constitutionnel Goutte vient d'être arrêté et sera
guillotiné. On lui dit qu'un de ses amis, le curé de la Grande-Verrière, a
été arrêté la nuit dans son lit, traîné à demi nu jusqu'à Autun, et est
devenu fou de peur. Un commissaire de la Société populaire d'Autun se prend
d'amitié pour lui dans une auberge et lui raconte, pour le divertir, qu'il
vient de condamner huit prêtres à la déportation. Il ajoute, en riant : Je crois qu'ils n'iront pas loin ; les poissons en vont
bientôt faire un gueuleton. (Mémorial
de l'abbé Antoine Glaize, publié par l'abbé Edouard Peyron, Le Puy,
1901.) Cependant Robespierre s'était décidé à attaquer l'athéisme de la Commune. On l'entendit, le 1er frimaire an II, aux Jacobins, prendre la défense de la tolérance : La Convention n'a point, disait-il, proscrit le culte catholique... elle ne le fera jamais. Son intention est de maintenir la liberté des cultes... On a dénoncé des prêtres pour avoir dit la messe ; ils la diront plus longtemps, si on les empêche de la dire. Celui qui veut les empêcher est plus fanatique que celui qui dit la messe. Le lendemain, la Convention accorde des pensions de 800 à 1.200 livres aux évêques, curés et vicaires déprêtrisés. Le 16 frimaire, la Convention défend toutes violences contraires à la liberté. Le culte catholique se célèbre à huis clos dans des maisons particulières. Cette tolérance n'implique, du reste, aucun respect des
croyances chrétiennes. Le citoyen Etienne Barry, de la section Guillaume
Tell, se félicite de l'avènement de la Raison : Nous
ne nous battrons plus pour la religion de Jésus, fils de Dieu, Dieu lui-même
et homme tout ensemble, né dans une étable d'une vierge mortelle... mort sur une croix devant tout le monde et ressuscité
trois jours après devant personne ; mais nous n'empêcherons pas que ceux à
qui ces opinions paraissent claires, satisfaisantes, raisonnables, ne les
conservent pour leurs menus plaisirs. — Voilà l'opinion d'un jacobin
libéral et tolérant. Les conventionnels considèrent la religion catholique
comme une plaie du corps social, un danger permanent
pour la république et le genre humain (Mathiez,
p. 24). Les lois continuent donc à se montrer inexorables. Le recéleur de prêtres est puni de mort comme le prêtre lui-même (22 germinal-11 avril 1794). Le prêtre reclus qui s'évade est puni de mort (2 floréal-11 mai). La chute de Robespierre enraye la Terreur ; mais les thermidoriens continuent, en l'aggravant, la politique anticléricale de la Convention. La loi du 2e jour complémentaire de l'an II (18 sept. 1794) abolit les derniers vestiges de l'Église constitutionnelle. La république sert encore des pensions aux prêtres apostats et aux constitutionnels patriotes ; mais elle ne salarie plus aucun culte et maintient néanmoins toutes les lois précédentes contre les prêtres. Ces lois sont rappelées à l'attention des autorités républicaines par les décrets du 22 nivôse an III (11 janvier 1795) et du 12 floréal (1er mai). Les réfractaires restent proscrits pour avoir refusé d'adhérer à un culte qui n'existe plus. Les constitutionnels restent déportables pour incivisme. Dans ces jours terribles, le culte ne fut jamais totalement aboli. Quelques paroisses isolées en Bretagne gardèrent leurs pasteurs. Dans le diocèse de Bourges, le culte se perpétua çà et là Dans les Landes, les églises étaient fermées dans les villes ; les habitants se réunissaient dans les bois, au nombre de deux ou trois mille, pour assister à la messe d'un réfractaire. A Paris même, pendant tout l'hiver de 1795, l'office catholique fut célébré à l'église de Chaillot et dans trois chapelles situées rue d'Enfer, rue de Lourcine et rue Saint-Honoré. L'assistance remplissait souvent toute l'église et refluait jusque sur la chaussée. Des gens des environs de Paris faisaient six lieues à pied pour entendre la messe. On trouvait des prêtres avides de .martyre, prêts à rentrer en France pour y ranimer le zèle des fidèles. Voici des instructions données, à la fin de 1794, à six
prêtres déportables qui voulaient revenir en Savoie : Vous n'aurez ni bréviaire, ni papier, ni rien qui puisse déceler un
ecclésiastique. Vous ne direz pas votre nom sans nécessité ; vous ne ferez
connaitre ni le lieu d'où vous venez, ni celui où vous allez. Vous pourrez,
si vous le jugez prudent, vous présenter comme un petit marchand forain ou
comme un ouvrier qui demande du travail. Vous ne cheminerez que la nuit et
par des sentiers détournés. Vous logerez de préférence chez des personnes
pauvres, et, si les cas l'exigent, vous coucherez dans les granges, même à
l'insu des propriétaires, pour ne pas les compromettre. Vous ne demeurerez
auprès des malades que le temps nécessaire pour leur administrer les
sacrements. Pour célébrer la sainte messe, il faudra nécessairement avoir un
petit autel portatif, un calice, une patène et du pain azyme ; mais vous
pourrez, au besoin, vous passer de servant, en répondant vous-même, ou en
permettant à une femme de répondre de sa place. Vint-il parfois à la pensée d'un de ces prêtres proscrits que son Église avait jadis été bien dure pour les ministres protestants, qui allaient, eux aussi, il n'y avait pas encore trente ans, sur les routes de France, déguisés en colporteurs et en paysans, et tenaient, eux aussi, leurs assemblées dans les clairières des bois ? La loi du 3 ventôse an III (21 février 1795) amena une légère détente. La République ne salariait aucun culte, ne reconnaissait à aucun ministre le caractère public, ne fournissait aucun local pour la célébration d'un culte quelconque, défendait tout signe cultuel en dehors des temples, mais permettait le culte privé. Aussitôt l'Église constitutionnelle se réorganisa à la voix de quelques évêques dévoués, comme Grégoire, Saurine, Gratien, Royer et Dubois, qui fondèrent la Société de philosophie chrétienne et lui donnèrent un organe : les Annales de la Religion. Les réfractaires rentrèrent aussi de toutes parts, aigris par l'exil et la misère, et ne prêchèrent pas, on le comprend, l'amour de la République. Les populations, longtemps terrorisées, virent bien qu'il y avait quelque chose de changé et que le joug se desserrait. En maint endroit, les municipalités modérées remirent le clergé en possession des églises paroissiales. Impuissante à les faire fermer de nouveau, la Convention essaya du moins de régulariser la situation nouvelle. Après la condamnation des derniers montagnards (1er prairial — 20 mai 1795), la Convention rendit au culte les églises non aliénées, mais déclara qu'aucun prêtre ne serait reçu à y célébrer l'office sans avoir promis de se soumettre aux lois de la République. Une amende de 100 livres devait punir toute contravention à la loi (11 prairial an III — 30 mai 1795). Une circulaire du Comité de législation, en date du 29 prairial (16 juin), interpréta cet acte de soumission à la loi dans l'esprit le plus large : Observez bien, disait-elle, que cette soumission du déclarant ne se reporte nullement au passé ; ainsi, il ne doit être question d'aucune recherche ou examen sur la conduite ou les opinions politiques du déclarant. La loi n'exige de lui, à cet égard, qu'une seule chose : c'est qu'il demande acte de sa soumission aux lois de la République. Cette formalité étant remplie, l'administration qui reçoit sa déclaration n'a rien à demander au delà. On croirait, à lire cette pièce, que la persécution est définitivement terminée et que la Convention est, enfin, revenue aux vrais principes. Mais il ne faut pas perdre de vue que la loi de prairial, pas plus que les précédentes, n'abroge les lois terribles portées contre les réfractaires. Un membre de la Convention, Rewbell, a pris soin de le dire : Il faut poursuivre les prêtres réfractaires, non pas comme prêtres, mais comme séditieux, comme royalistes, qui prêchent la révolte. Ce sont des bêtes fauves qu'il faut exterminer. Il n'y avait donc à pouvoir profiter de la loi que les anciens constitutionnels ou les prêtres nouvellement ordonnés. Les anciens réfractaires ne pouvaient légalement choisir qu'entre deux situations : l'exil ou la déportation. Cependant l'esprit public avait bien changé depuis 1793, et la loi de prairial marqua, en fait, une résurrection presque merveilleuse du sentiment religieux. Les églises se rouvrirent en grand nombre. A Saint-Adjutory (Charente), la municipalité ayant refusé d'ouvrir l'église, les habitants l'enfermèrent dans l'édifice et ne consentirent à lui en ouvrir les portes que moyennant la permission officielle d'y célébrer le culte. Dans le diocèse de Bourges, les municipalités rouvrirent partout les églises et demandèrent des prêtres. L'arrondissement de Gaillac compta bientôt 110 églises ou chapelles. Le Lyonnais et le Dauphiné se remplirent de prêtres. Les réfractaires rentrèrent de tous côtés, appelés et défendus par les populations. Les administrations locales en libérèrent un grand nombre. Les prêtres âgés, reclus pendant la Terreur, sortirent de prison. Beaucoup de jureurs se convertirent et, très vite, l'armée sacerdotale se reforma. Ses chefs avaient peine à contenir l'ardeur réactionnaire qui l'animait. Dès le mois de mars 1795, M. de Mercy, évêque de Luçon, réfugié à Ravenne, trouvait que trop de prêtres rentraient en France et craignait de voir leurs imprudences raviver la persécution. Il y eut, en effet, parmi eux beaucoup de conspirateurs. On trouve la main du clergé dans l'insurrection de Bretagne (juin 1795), qui aboutit au désastre de Quiberon et aux horribles exécutions d'Auray, bientôt vengées par les massacres du camp de Belleville. La perte de la République se tramait ouvertement. Dans le Midi, les Compagnies de Jéhu ou du Soleil couvraient de brigandages des provinces entières. Des massacres royalistes eurent lieu à Tarascon, à Arles et à Lyon. Tous ces événements firent repentir la Convention de sa clémence. Le 20 fructidor (6 sept. 1795), elle rappela que peine de mort avait été portée contre tous les prêtres rentrés sur le territoire français. Elle exigea la promesse du 12 prairial de tous les prêtres exerçant le culte, même dans les maisons particulières. Le 7 vendémiaire an IV (29 sept. 1783), elle imposa à tous les prêtres un serment plus strict que celui de prairial : Je reconnais que l'universalité des citoyens est le souverain, et je promets soumission et obéissance aux lois de la République. Elle défendit à nouveau toute cérémonie religieuse en dehors des temples. Le 13 vendémiaire (5 octobre 1795), les royalistes de Paris marchèrent contre la Convention. L'Assemblée victorieuse rappela aussitôt (3 brumaire — 25 octobre) les anciennes lois de persécution et légua son anticléricalisme au Directoire. La plupart des membres du gouvernement directorial furent résolument antichrétiens et passionnément désireux d'extirper du sol français toutes les anciennes religions, pour les remplacer par une religion purement civile, philosophique et nationale, sans mystères, sans traditions et sans prêtres (Debidour, p. 158), dont le culte décadaire offrit le type achevé. Ces hommes considéraient les prêtres constitutionnels comme des niais ; et les réfractaires comme d'infâmes saltimbanques (André Dumont) et les pires ennemis de la République. A peine entré en charge, le nouveau gouvernement écrivait
aux commissaires nationaux dans les départements : Déjouez
leurs perfides projets. Par une surveillance active, continuelle,
infatigable, rompez leurs mesures, entravez leurs mouvements, désolez leur patience
; enveloppez-les de votre surveillance ; qu'elle les inquiète le jour,
qu'elle les trouble la nuit ; ne leur donnez pas un moment de relâche ; que,
sans vous voir, ils vous sentent à chaque instant. (22 brumaire an IV — 13 nov. 1795.) Le 23
nivôse (13 janvier 1796), le Directoire
rappelait les lois de persécution. Le 8 ventôse (27 février), il ordonnait de payer la prime légale de 100 livres à quiconque arrêterait un prêtre déportable. Le 22 germinal (11 avril), il interdisait la sonnerie des cloches. Mais les Conseils ne le suivaient que mollement, et le catholicisme regagnait chaque jour du terrain. En floréal an IV (avril 1796), trois cents prêtres constitutionnels ou rétractés exerçaient le culte catholique à Paris. Saint-Germain-l'Auxerrois avait 9 prêtres ; Saint-Eustache, 13 ; Notre-Dame, 19. Trente-trois églises ou chapelles étaient rouvertes. Les élections de 1797 donnèrent la majorité aux réactionnaires dans les Conseils de la République. La loi du 7 fructidor an V (24 août 1797) abolit des lois pénales portées contre les prêtres. La séparation de l'Église et de l'État fut alors un fait accompli, et la formule fameuse l'Église libre dans l'État libre fut une vérité. Mais ce régime libéral dura tout juste douze jours. Les directeurs s'inquiétèrent des dispositions réactionnaires témoignées par les Conseils, et tout porte à croire qu'ils ne s'inquiétèrent pas à tort. Sous couleur de modération, les royalistes s'apprêtaient à renverser la République et à rappeler Louis XVIII. Il n'est que juste de reconnaître que la plupart des réfractaires étaient royalistes et poussaient énergiquement à la contre-révolution. M. de Talleyrand-Périgord, archevêque de Reims, se préparait à rentrer en France et était le confident attitré du roi. (Sicard, La Restauration du culte avant le Concordat, Correspondant, 10 et 25 avril 1900.) Le coup d'État du 18 fructidor chassa Carnot et Barthélemy du Directoire, cassa les élections de quarante-huit départements et rendit la toute-puissance au vieux parti thermidorien, Dès le lendemain, 19 fructidor, le Directoire rétablit toutes les anciennes lois contre le clergé, obligea les prêtres à prêter le serment de haine à la royauté et à l'anarchie et ne permit de le prêter qu'aux prêtres nouvellement ordonnés et à ceux qui se trouvaient déjà eu règle avec les anciennes lois. L'article 24, étendu à tous les prêtres sans distinction, les déclara tous déportables par simple mesure administrative, sans jugement ni enquête préalable ; 7.213 prêtres belges et 1.756 prêtres français furent déportés par application de cette loi. La loi de fructidor est certainement la plus terrible de toutes les lois anticléricales de la Révolution. Elle mettait réellement les prêtres purs la loi. Elle les soumettait au despotisme absolu de l'autorité politique. Elle violait à leur préjudice les principes les plus élémentaires du droit. C'est la force pure qui parle dans ce texte. En même temps, les autorités commencent la guerre au dimanche et tentent d'imposer à tous les citoyens l'observance du décadi. Les prêtres constitutionnels sont invités à transférer les offices dominicaux au décadi, et à faire de la cérémonie religieuse l'accessoire de la fêle civique. Ils s'y refusent, et il y en a de déportés pour ce seul motif. Quelques-uns offrent alors de fêter à la fois le décadi et le dimanche ; leur offre est repoussée. Les administrations prennent le parti de fermer les églises le dimanche et de ne les rouvrir que le décadi. Le 14 germinal an VI (3 avril 1798), la vente du poisson n'est plus permise que les jours gras et est défendue les jours maigres. Cette loi absurde parait si bien trouvée qu'elle fait l'objet d'un rappel le 17 thermidor (4 août) et le 29 fructidor (9 septembre). Le 13 fructidor an VI (20 août), les églises sont accaparées chaque décadi par le culte civique pendant la plus grande partie de la journée. Le 19 germinal an VII (8
avril 1799), le Directoire proclame encore son
désir d'opposer dans chaque commune au culte chrétien le culte décadaire,
avec un ministre spécial, sur les débris de la superstition qu'il écraserait
par ses moyens et sur son autel. Le coup d'État de brumaire né met point fin lui-même à la
persécution. Les complices de Bonaparte appartiennent presque tous au parti
thermidorien et entendent bien continuer la lutte contre le clergé : Pour tous ces politiciens, ces préfets, ces proconsuls,
les gens d'Église sont des parias ; le clergé, un gibier qu'on traque depuis
dix ans et auquel on continuera à faire la chasse. Les violences accumulées
depuis si longtemps ont amené une sorte de déviation du sens moral, éteint,
avec la notion et le goût de la liberté, tout respect de son semblable,
surtout quand ce semblable est un prêtre. (Sicard,
Correspondant, t. CXCIX, p. 257.) Cependant, peu à peu, l'influence de Bonaparte amène un adoucissement de la persécution. Le 8 frimaire an VIII (29 nov. 1799), les ecclésiastiques constitutionnels détenus à Ré et à Oléron sont mis en liberté. Le 7 nivôse (28 déc.), les consuls déclarent que la liberté des cultes est garantie par la constitution, qu'aucun magistrat n'y peut porter atteinte, qu'aucun homme ne peut dire à un autre homme : Tu exerceras tel culte ; tu ne l'exerceras que tel jour. La loi du 11 prairial, qui laisse aux citoyens l'usage des édifices sacrés, sera exécutée. Mais les réfractaires restent toujours suspects au nouveau
gouvernement comme à l'ancien. Fouché prend soin de le dire dans sa
circulaire du 22 nivôse an VIII (13 janvier
1800) : Faire rentrer quelques prêtres
déportés a été un acte d'humanité et de morale. Le gouvernement a voulu
consacrer la liberté des opinions
religieuses, mais non la résurrection du fanatisme. Il a voulu ramener parmi
le peuple les précepteurs d'une morale antique et révérée, mais non des
réacteurs sanguinaires et des vengeurs superstitieux. Le 7 thermidor an VIII (29 juillet 1800), le décadi n'est plus obligatoire que pour les fonctionnaires ; mais les administrateurs continuent à taquiner les prêtres. On voit encore, le 17 janvier 1801, le curé de Villepassans condamné à un an de prison pour avoir fait sonner les cloches. Ce ne sont donc pas les jacobins qui ont désarmé ; c'est la nation qui les a désarmés, l'opinion publique, qui, plus forte que leurs haines et leurs rancunes, a fini par prévaloir contre leur tyrannie. Car, malgré la loi de fructidor, malgré les arrestations, les chasses au prêtre à travers les bois et les montagnes, malgré les déportations en masse, la renaissance du christianisme n'avait pu être arrêtée en France depuis 1795. L'Église constitutionnelle, épurée par la persécution et réduite à 3.000 prêtres, se réorganisait sous la direction de ses meilleurs évêques. Elle tenait un concile national à Paris, au moment du 18 fructidor. Elle le continua après le coup d'État, prêta serment de haine à la royauté et à l'anarchie, et compléta, autant qu'elle le put, ses cadres disloqués par la Terreur et l'apostasie. Quinze départements ne purent être pourvus d'évêques, et, presque partout, les prêtres constitutionnels se trouvèrent en face de réfractaires, bien plus nombreux et bien plus puissants. Ces hommes avaient pour eux l'auréole de la persécution.
On voyait en eux les représentants de l'orthodoxie pure, les héros que rien
n'avait pu faire céder. L'empire qu'ils exercent sur
le peuple est si fort, écrivaient les autorités du Doubs, qu'il n'est pas de sacrifices qu'il ne fasse, pas de
ruses, pas de moyens qu'il n'emploie pour les conserver et éluder la rigueur
des lois qui les concernent. Le peuple, mandait-on de
la Dordogne, est si attaché au culte catholique que
les paysans font deux lieues entières pour accourir à la messe. Dans l'Orne, des présidents, des
membres d'administrations municipales, au lieu d'arrêter et de faire traduire
devant les tribunaux les prêtres réfractaires, les admettent à leur table,
les couchent et les rendent dépositaires des secrets de l'administration.
(Sicard.) En Alsace, l'arrivée des gendarmes mettait les bourgs en émoi, et les populations descendaient en armes dans les rues pour laisser aux réfractaires le temps de se sauver. En Haute-Loire, les constitutionnels étaient insultés et battus, et les réfractaires, soutenus par des nuées de déserteurs, étaient les maîtres du pays. Beaucoup de diocèses continuaient à être gouvernés par leurs anciens évêques, réfugiés à l'étranger, et représentés par des vicaires généraux ou des délégués. L'archevêque de Vienne, M. .d'Aviau, avait regagné la France dès 1797, et parcourait toute la région du Rhône déguisé en marchand, toujours traqué, jamais pris. Le pape Pie VI, détrôné le 25 février 1798 par le gouvernement de la République romaine, enlevé de Rome, traîné à Sienne, à Florence, à Parme, à Turin, transporté en litière à travers les glaces du mont Genèvre, interné deux mois à Besançon et conduit enfin jusqu'à Valence, trouvait auprès des populations françaises du Dauphiné l'accueil le plus respectueux. Les gens de Gap vinrent à sa rencontre et lui tirent un accueil triomphal. A Vizille, il fut l'hôte d'un Genevois calviniste qui n'épargna rien pour lui témoigner sa vénération. A Grenoble, les habitants allèrent au-devant de lui jusqu'à une lieue de la ville, et obligèrent les autorités à permettre que le pape donnât au peuple sa bénédiction. Les dames se déguisaient en servantes, pour avoir l'honneur de servir les prélats qui l'accompagnaient. A Saint-Marcellin, les habitants lui offrirent des roses et lui souhaitèrent sa fête. L'affluence était si grande que les gendarmes, effrayés, le dirent malade pour éloigner le peuple. A Romans, la municipalité se porta au-devant du pape et le reçut avec distinction. Un jacobin farouche, qui devait le recevoir dans sa maison, s'attendrit à son aspect et tomba à ses genoux. Il arriva à Valence le 14 juillet 1799, et y mourut le 29 août suivant ; les habitants se portèrent en foule vers la chapelle où son cercueil avait été déposé, et en firent bientôt comme un lieu de pèlerinage. L'ordre d'inhumation ne fut donné que par Bonaparte, le 6 nivôse an VIII (27 déc. 1799). La liberté et la sécurité relatives qui suivirent l'établissement du gouvernement consulaire ne purent que favoriser la renaissance du catholicisme. La France retourna d'elle-même à sa vieille foi nationale, redevenue compatible avec ses institutions. Au moment où le Concordat fut signé, le culte catholique était exercé publiquement par 2.000 prêtres constitutionnels et par 18.000 réfractaires réconciliés avec les lois. Les deux communions n'étaient plus séparées que par une question d'amour-propre, et l'unité religieuse se serait probablement rétablie très vite si le régime eût duré plus longtemps. La France s'habituait à la liberté, n'éprouvait ni le besoin ni le désir de rattacher l'Église à l'État ; ce fut l'ambition de Bonaparte qui lui imposa le Concordat. |
[1] Réflexions sur la constitution civile du clergé, 1791.
[2] Réponse de M. André Doreau à une lettre que lui écrivait un curé pour le consulter sur les affaires présentes, 1791.
[3] Marcel Bruneau, Les Débuts de la Révolution dans les départements du Cher et de l'Indre, Paris, 1906, in-8°.
[4] Archives du Puy-de-Dôme. Listes de fonctionnaires publics qui ont obéi à la loi du 26 décembre, qui ont refusé le serment ou qui l'ont prêté avec restriction.