L'ÉGLISE ET L'ÉTAT EN FRANCE

TOME PREMIER — DEPUIS L'ÉDIT DE NANTES JUSQU'AU CONCORDAT (1598-1801)

 

LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ.

 

 

Le clergé avait été supprimé comme ordre distinct dans l'État, avait perdu sa dotation foncière, avait été amputé de tous ses ordres monastiques : il était, désormais, impuissant et désarmé dans la main de l'État.

C'était bien là ce que les Constituants avaient voulu ; c'était bien le but qu'ils avaient, dès longtemps, assigné à leurs efforts.

Les Constituants ne sont pas seulement les disciples de Voltaire et de Rousseau, ce sont aussi des Français façonnés par de longs siècles d'absolutisme royal et par deux cents ans d'éducation classique.

Voltaire leur a ôté le respect et jusqu'au sens de la religion. Ils sont devenus sourds à ses enseignements. Ils se moquent des mystères, et, s'ils croient encore en Dieu, c'est par un reste d'habitude et pour ne s'en occuper jamais. Leur humeur n'est pas de s'intéresser à ce qui ne peut se prouver par les procédés ordinaires du raisonnement, Dieu ne se voit pas, ne se mesure pas, ne se pèse pas... Qu'est-ce que cela ? N'est-ce point celte chose incompréhensible et folle qu'on appelle la métaphysique ? S'en occupe qui voudra ! Pour eux, ils ont à hâter le règne de la philosophie.

Ils sont, d'autre part, trop pratiques pour méconnaître que la religion peut mettre un frein à certains appétits de la foule ; ils n'ont pas besoin de ce frein, eux, les philosophes ; mais le vulgaire serait dangereux, s'il avait perdu toute crainte et toute espérance. Ils sont donc tout prêts à maintenir pour les autres cette divinité à laquelle ils ne croient plus. Ils redisent volontiers le vers fameux :

Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer.

Et, comme Dieu n'existe pas pour eux, ils l'inventent ; ils font un dieu à leur image : simpliste, logicien, philanthrope et autoritaire, qui est une abstraction, un symbole philosophique. L'éducation classique a fait de ces hommes des citoyens de Sparte, d'Athènes ou de Rome. Ils ne connaissent les civilisations antiques qu'à travers la rhétorique des historiens et des beaux esprits. Ces rudes sociétés, fondées sur l'esclavage et sur la guerre, ils les prennent naïvement pour des États libres, d'une structure bien plus rationnelle que les États modernes.

Les héros grecs et romains leur apparaissent comme des archétypes de sagesse et de vertu. Il ne leur vient pas un instant à la pensée que l'âme humaine se soit agrandie et purifiée depuis Alexandre et César et que le christianisme ait marqué dans l'histoire un immense progrès moral. Ils opposent sans cesse les vices du monde où ils vivent aux perfections du monde antique, et comme ce monde ne connaissait ni religion positive ni clergé, comme le culte n'était dans ces cités qu'une des formes de la puissance publique, comme le magistrat y était prêtre, ils rêvent aussi de donner à la France un culte officiel de l'État divinisé, dont ils seront, eux et leurs successeurs, les ministres et les pontifes. En attendant, obligés de pactiser avec la superstition régnante, ils veulent au moins la tenir en mains, la tenir de très court, pour réprimer ses moindres écarts.

De l'histoire de France, ils ne savent bien qu'une chose c'est que si veut le roi, si veut la loi, et maintenant que la nation est souveraine, il leur parait tout naturel qu'elle commande avec le même absolutisme que Louis XIV. Ils condamnent la politique du roi, parce qu'elle a servi les intérêts de l'Église et de l'aristocratie, et qu'ils détestent l'une et l'autre ; mais ils sont prêts à user de la même autorité et de la même tyrannie pour faire triompher leur propre idéal.

Rousseau croyait au pouvoir dogmatique de l'État et portait des peines terribles contre quiconque se refuserait à l'admettre : Il y a, disait-il, une profession de foi purement civile, dont il appartient au souverain de fixer les articles ; sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l'État quiconque ne les croit pas ; il peut le bannir, non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d'aimer sincèrement les lois et la justice et d'immoler sa vie à ses devoirs. Que si quelqu'un, après avoir reconnu publiquement ces dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu'il soit puni de mort : il a commis le plus grand des crimes ; il a menti aux lois ! — Ce passage porte en lui l'explication de la cruauté de Robespierre qui n'a fait qu'appliquer à la lettre les idées du théoricien.

Pour Garat, l'État est si bien le maître de la religion, qu'il aurait le droit d'abolir le christianisme et ses ministres.

Pour Barnave, le clergé existant pour la nation, celle-ci peut le détruire ou le conserver à son gré.

Pour Camus, l'Église est dans l'État ; l'Assemblée aurait certainement le pouvoir de changer la religion, à plus forte raison a-t-elle le pouvoir de la réglementer.

Mirabeau la réglemente et expose dans toute sa simplicité la théorie du prêtre fonctionnaire. Pour lui, les prêtres sont des officiers de morale, comme les lieutenants et les capitaines sont des officiers de guerre, comme les magistrats sont des officiers de justice. Et de même que l'État fait agir suivant ses fins particulières ses officiers de guerre et de justice, il a le droit d'imposer sa direction à ses officiers de morale. L'Assemblée doit trouver dans sa sagesse un moyen de faire agir le ressort de la religion suivant une détermination concentrique au mouvement du patriotisme et de la liberté.

Pour atteindre ce résultat, l'Assemblée a confié à un comité spécial l'étude du nouveau statut ecclésiastique, car il convient que le clergé se fasse à son nouveau rôle de serviteur salarié de l'État.

Le comité ecclésiastique, élu le 20 août 1789, se composait de quinze membres : sept de la droite : Grandin, de La Lande, prince de Robecq, Sallé de Choux, Vaneau, de Bonal, évêque de Clermont, de Mercy, évêque de Luçon, et huit de la gauche : Lanjuinais, d'Ormesson, Martineau, Treilhard, Legrand, Durand de Maillane, Despatis de Courteilles, de Bouthillier.

Ce comité parut un peu tiède ; on lui adjoignit, le 7 février 1790, quinze nouveaux membres : dom Gerle, Dionis du Séjour, abbé de Montesquiou, Guillaume de la Coste, Dupont de Nemours, Massieu, Expilly, Thibaut, Gassendi, Chasset, Boislandry, Fer-mon, dom Breton, La Poule. La majorité était désormais assurée aux réformateurs.

Ce fut le 29 mai 1790 que la commission présenta son œuvre à l'Assemblée. Les ultramontains essayèrent aussitôt de poser la question préalable. Ils demandèrent le renvoi de la constitution civile devant un concile national, ou l'ouverture de négociations avec la cour de Rome.

Ces deux solutions étaient également soutenables ; la première était plus gallicane, la seconde plus orthodoxe. L'Assemblée les écarta l'une et l'autre et passa, dès le ter juin, à la discussion des articles. Le 12 juillet, avant-veille de la Fédération, la constitution civile du clergé fut votée et placée au rang des lois constitutionnelles du royaume.

La constitution civile du clergé simplifie l'organisation ecclésiastique et établit entre elle et l'organisation administrative une parfaite concordance. Elle édicte des lois nouvelles pour la nomination aux bénéfices. Elle fixe les traitements des ministres du culte. Elle les oblige à la résidence et détermine leurs droits politiques. C'est une grande loi d'administration publique, dont on ne peut s'empêcher de reconnaître dès l'abord la clarté et la savante ordonnance.

Le titre Ier traite des Offices ecclésiastiques. Il n'est plus question des ordres monastiques. La loi ne reconnaît plus que trois degrés dans la hiérarchie : vicaires, curés, évêques. Toutes les autres dignités séculières ou régulières sont abolies. Les particuliers gardent toutefois la faculté d'avoir auprès d'eux un chapelain. Les sociétés de prêtres existant auprès de certaines églises sont conservées ; mais leurs membres perdent toutes les prérogatives dont ils pouvaient jouir sous l'ancien régime, et il est défendu à ces sociétés de remplacer ceux de leurs membres qui viendront à décéder.

Les anciennes circonscriptions diocésaines sont abolies, et remplacées par des diocèses départementaux rigoureusement calqués sur les circonscriptions administratives. Dix églises épiscopales ont le titre de métropolitaines : Rouen, Reims, Besançon, Rennes, Paris, Bourges, Bordeaux, Toulouse, Aix et Lyon.

Comme certains pays français se trouvaient soumis à l'autorité de prélats étrangers, tels que l'évêque de Bâle et l'évêque de Spire, l'article 4 défend à toute église ou paroisse de France et à tout citoyen français de reconnaître, en aucun cas et sous quelque prétexte que ce soit, l'autorité d'un évêque ordinaire ou métropolitain dont le siège serait établi sous la domination d'une puissance quelconque, ni celle de ses délégués résidant en France ou ailleurs : le tout sans préjudice de l'unité de foi et de communion, qui sera entretenue entre le chef visible de l'Église universelle, ainsi qu'il sera dit ci-après.

Le territoire des paroisses devait être remanié, comme celui des diocèses, sur l'avis de l'évêque et des administrateurs de district. Tout bourg et toute ville au-dessous de 6.000 habitants ne devait former qu'une seule paroisse ; mais les villes au-dessus de 6.000 âmes ne devaient pas forcément en comprendre plusieurs. Il n'en devait pas être créé d'inutiles. Les biens des fabriques des églises supprimées devaient être réunis aux fabriques des églises conservées les plus voisines. II était permis de garder des chapelles pour le service des hameaux écartés. Les nouvelles circonscriptions des paroisses devaient être soumises à l'Assemblée nationale et approuvées par elle.

Chaque cathédrale devenait paroisse et avait son évêque pour curé.

En place des chapitres abolis, les évêques devaient être assistés de vicaires cathédraux, au nombre de 12 dans les villes au-dessous de 10.000 âmes, et de 16 dans les villes plus peuplées.

Auprès de chaque siège épiscopal, et le plus près possible de la demeure de l'évêque, devait être établi un séminaire diocésain, présidé par un vicaire supérieur et trois vicaires subordonnés. Ces vicaires et les jeunes ecclésiastiques du séminaire étaient agrégés au clergé de la cathédrale.

Les vicaires cathédraux et les vicaires du séminaire formaient le conseil habituel et permanent de l'évêque, qui ne pouvait faire aucun acte de juridiction sans en avoir conféré avec son synode. Les mesures d'ordre qu'il pouvait être appelé à prendre dans ses tournées épiscopales, n'avaient qu'une valeur provisoire avant d'avoir été confirmées par le synode. Les décisions du synode diocésain lui-même étaient susceptibles d'appel auprès du synode métropolitain.

La hiérarchie se trouvait ainsi extraordinairement simplifiée ; plus de prêtres libres ou habitués, plus de bénéficiers sans charge d'âmes, plus de chapitres collégiaux ni cathédraux, plus de chanoines, de prébendés, de semi-prébendés, de rationnaires. Un évêque et ses vicaires à la tête du diocèse. Des curés el leurs vicaires à la tête des paroisses.

L'évêque voyait son autorité s'étendre sur toutes les paroisses de son diocèse, et n'avait plus à compter, comme autrefois, avec l'opposition des chapitres, avec la puissance des abbayes, avec les chicanes des patrons laïques des églises. Mais il ne pouvait plus détenir arbitrairement dans son séminaire tout curé coupable de lui avoir déplu ; il ne pouvait faire acte de juge que dans son synode, et voyait ses décisions synodales soumises à l'appel au synode métropolitain. Sa puissance se trouvait ainsi étendue et diminuée tout à la fois.

Le titre II traitait de la Nomination aux bénéfices et organisait un mode de collation tout nouveau.

Dorénavant, les évêques et les curés devaient être nommés à l'élection populaire par les assemblées de département et de district.

En cas de vacance d'un évêché, le procureur général syndic du département donnait avis de la vacance aux procureurs syndics des districts. Les électeurs étaient convoqués au chef-lieu pour le troisième dimanche, au plus tard, après la lettre d'avis.

L'élection épiscopale avait lieu à l'issue de la messe paroissiale, à laquelle tous les électeurs étaient tenus d'assister.

Pour être éligible, le candidat évêque devait appartenir au clergé du diocèse et y compter quinze ans de ministère. Les évêques dont les sièges étaient supprimés pouvaient être élus même dans d'autres diocèses que les leurs.

La proclamation de l'élu était faite par le président de l'assemblée électorale, dans l'église même où l'élection avait été faite, en présence du peuple et du clergé, et avant de commencer la messe solennelle d'actions de grâces.

Le procès-verbal de l'élection était envoyé au roi.

Dans le mois qui suivait l'élection, le nouvel élu se présentait au métropolitain, ou, s'il s'agissait d'un élu au siège métropolitain, au plus ancien évêque du ressort, et le suppliait de lui accorder la confirmation canonique.

Le métropolitain ou le doyen des évêques pouvait examiner l'élu, devant son synode, sur sa doctrine et sur ses mœurs, et lui refuser la confirmation canonique par déclaration écrite et motivée, signée de lui et des membres de son conseil. Un décret du 15 novembre donna au nouvel élu le droit de se pourvoir contre ce refus devant les tribunaux de district.

Dans le cas où le métropolitain confirmait l'élection, le nouvel évêque faisait entre ses mains profession solennelle de la religion catholique, apostolique et romaine. Il était sacré dans sa propre cathédrale par le métropolitain, assisté des évêques des deux diocèses voisins. Il prêtait serment de fidélité à la nation, à la loi, au roi, et jurait de maintenir de tout son pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi. Il lui était interdit de s'adresser au pape pour obtenir de lui aucune confirmation ; mais il était autorisé à lui écrire comme au chef visible de l'église universelle, en témoignage de l'unité de foi et de communion qu'il devait entretenir avec lui.

L'évêque choisissait lui-même ses vicaires parmi les ecclésiastiques de son diocèse ayant au moins dix ans de ministère. Il ne pouvait les destituer qu'après délibération et sur décision conforme de son synode.

Les curés étaient, comme les évêques, nommés à l'élection. Ils étaient élus dans chaque district par l'assemblée électorale de district, qui procédait chaque année à la provision de toutes les cures vacantes.

Pour être éligible à une cure, il fallait avoir rempli les fonctions de vicaire de paroisse ou d'hôpital dans le diocèse pendant au moins cinq ans.

Le curé élu requérait de son évêque l'institution canonique. L'évêque pouvait la lui refuser, sur l'avis de son conseil, et le curé évincé pouvait en appeler comme d'abus.

Le curé prêtait entre les mains de l'évêque serment de fidélité à la religion, et, à son entrée dans son église, il jurait devant la municipalité et le peuple fidélité à la nation, à la loi, au roi et à la constitution.

Il avait le droit de choisir ses vicaires parmi les prêtres ordonnés par l'évêque ou admis par lui dans son diocèse. Le vicaire, une fois choisi, ne pouvait plus être révoqué que pour causes légitimes, jugées tilles par l'évêque et son conseil.

Les auteurs de la constitution civile avaient ainsi calqué l'organisation des magistratures ecclésiastiques sur celle des magistratures civiles, leur avaient donné aux unes et aux autres même origine et avaient cru par là assurer leur parfaite entente. Ils avaient, en même temps, cherché à soustraire les subordonnés à l'arbitraire des supérieurs, tout en maintenant entre eux le lien d'une sérieuse discipline.

Le titre IV, de la Résidence, astreignait les vicaires et curés à habiter leur paroisse et les évêques leur diocèse. L'évêque qui voulait s'absenter plus de quinze jours devait avoir la permission du directoire de département, le curé l'autorisation de l'évêque et du directoire de district.

Les évêques, curés et vicaires pouvaient être élus membres du conseil général de la commune, du district ou du département, mais ne pouvaient être ni maires, ni officiers municipaux, ni membres du directoire de département.

On avait voulu, par ces lois, réagir contre l'absentéisme systématique des prélats d'ancien régime, maintenir la séparation des administrations laïques et ecclésiastiques, et donner en même temps aux prêtres un moyen de prendre part à la vie publique et de s'intéresser aux choses de leur temps.

Le titre III déterminait les Traitements du clergé. Les vicaires touchaient, suivant les paroisses, de 700 à 2.400 livres, les curés de 1.200 à 6.000 livres, les évêques de 12.000 à 20.000 livres ; l'évêque de Paris était renté à 50.000 livres. Une loi du 24 juillet 1790 accorda en outre des pensions aux évêques démissionnaires, aux évêques dépossédés, aux curés dont les paroisses étaient supprimées, aux chanoines, aux prieurs, aux abbés. Certaines de ces pensions pouvaient atteindre jusqu'à 20.000 livres.

Si l'on admet qu'il faudrait augmenter ces chiffres des trois cinquièmes pour avoir leur valeur en monnaie actuelle, on pensera sans doute que les constituants avaient pu se croire généreux. Nos curés à 900 francs auraient envié les curés constitutionnels à 3.000 francs ; nos évêques à 12.000 francs, les évêques départementaux à 20.000 et à 50.000 francs.

Mais qu'étaient ces pauvres gages de 12.000 et de 20.000 livres pour des prélats qui avaient cumulé jusqu'à 400 et 600.000 livres de revenu ? Qu'était une misérable aumône de 6.000 livres pour un abbé qui en avait pu toucher jusqu'à 100.000 ?

Puis l'argent n'est pas tout ; ce dont l'Église se plaignait surtout, c'était justement d'être devenue une administration, d'avoir perdu avec ses biens toute indépendance.

La constitution civile du clergé réorganisait l'Église de France sur un plan si nouveau, qu'un corps d'essence aussi conservatrice qu'était le clergé ne pouvait que s'en montrer surpris et scandalisé.

Le janséniste Jabineau, prié de donner son avis sur la constitution, avait peine à se persuader qu'une Assemblée qui réunissait beaucoup d'hommes instruits des vrais principes eût pu former un projet qui les heurtait tous. Il faisait observer que la maxime alors à la mode : l'Église est dans l'État, était équivoque, en sorte que, vraie en elle-même, elle pouvait donner lieu à une application fausse et à des conséquences dangereuses, si l'on n'y ajoutait pas que, sous un autre rapport, un État chrétien était lui-même une portion de l'Église universelle répandue partout, et qu'en y entrant cet État avait, contracté l'engagement d'obéir à ses lois constitutives, qui existaient indépendamment de son admission.

Cela revenait à dire que l'Église chrétienne pouvait bien être liée à un État, mais seulement à un État chrétien, et l'État, tel que l'imaginaient les Constituants, n'était déjà plus l'État chrétien.

Ils déclaraient n'avoir excédé en rien leurs droits, parce qu'ils n'avaient atteint directement aucun dogme, et qu'ils laissaient subsister toutes les cérémonies ecclésiastiques, mais ils avaient touché à des matières si délicates qu'il y avait grande apparence qu'ils n'avaient pu s'en occuper sans empiéter sur les droits de la puissance spirituelle.

Ils avaient, d'un trait de plume, supprimé 63 diocèses ; ils en avaient créé 8. Ils avaient refondu tous les autres sans s'inquiéter du pape, auquel on avait toujours, jusque-là, reconnu le droit d'ériger, de modifier et de supprimer les diocèses.

Ils avaient détruit un grand nombre d'institutions ecclésiastiques, canoniquement établies et reconnues depuis des siècles.

Ils avaient modifié le droit canon, en créant pour les évêques un nouveau mode de nomination et d'administration, et en relâchant le lien spirituel qui rattache les églises particulières à l'Église de Rome.

Sous prétexte de rétablir les anciennes élections épiscopales, ils avaient abandonné le choix des évêques à un corps électoral où pouvaient figurer des hérétiques et des impies.

Ils avaient enfin méconnu les règles du droit ecclésiastique et étaient manifestement tombés dans l'hérésie, en donnant aux tribunaux civils le pouvoir d'examiner la doctrine des candidats aux fonctions épiscopales et les décisions dogmatiques des évêques.

Les écrivains les plus favorables à la Révolution conviennent aujourd'hui que la constitution civile du clergé fut l'erreur capitale de la Révolution et ne pouvait être acceptée ni par le haut clergé ni à plus forte raison par le Saint-Siège (Debidour, Histoire des rapports de l'Église et de l'État de 1789 à 1870, pp. 68 et 71).

Nous croyons, cependant, que le Saint-Siège eût capitulé, si on ne lui eût fait entrevoir la possibilité de retourner aisément contre la Révolution l'arme que la Révolution avait forgée contre lui.

Si étrange et si hardie qu'elle fût, la constitution civile du clergé avait des précédents dans l'histoire, et l'empereur Joseph II, frère de Marie-Antoinette, en avait pris encore plus à Won aise avec le Saint-Siège que ne faisait l'Assemblée.

Joseph II avait donné aux évêques le droit d'absoudre même des cas réservés au pape, et le droit d'accorder toutes dispenses matrimoniales. Il avait autorisé l'emploi de la langue allemande dans la liturgie. Il avait supprimé les séminaires diocésains, et fondé, sous le nom de séminaires généraux, cinq grandes écoles ecclésiastiques placées sous la tutelle des Universités de Vienne, Pesth, Fribourg, Louvain et Pavie. Il y avait placé des professeurs dévoués à ses idées et très contraires à la suprématie romaine. Il avait remanié les diocèses pour les mettre en harmonie avec les circonscriptions civiles. Il avait enfin supprimé tous les ordres contemplatifs et tous les ordres de femmes, fermé 600 couvents, confisqué leurs biens et mis des écoles à leur place. Les monastères conservés avaient reçu défense d'accepter des novices avant l'expiration d'un délai de douze ans, et de s'affilier à des couvents du même ordre situés à l'étranger.

Le pape Pie VI, très alarmé de toutes ces nouveautés, avait fait le voyage de Vienne pour essayer de traiter directement avec l'empereur. Les peuples lui avaient fait un accueil triomphal ; l'empereur l'avait reçu très froidement, avait interdit à ses sujets de parler au pape sans sa permission, avait fait murer toutes les portes du palais où le pape était descendu, sauf la porte d'entrée, gardée militairement. Quand le pape avait voulu lui parler affaires, il l'avait renvoyé à son conseil, et le ministre Kaunitz s'était montré grossier avec le pontife. Pie VI était parti de Vienne sans avoir obtenu aucune concession ; l'empereur lui avait fait seulement de vagues promesses, qu'il ne sut même pas tenir.

D'Autriche, le mouvement hostile à la papauté avait gagné une partie de l'Allemagne catholique. Le congrès d'Ems (1786), dirigé par les électeurs ecclésiastiques de Cologne, de Mayence et de Trêves et par l'archevêque de Salzbourg, avait entrepris de replacer l'Église allemande sous le régime des décrets du concile de Bâle, et de rendre à l'épiscopat des droits très étendus sur la discipline et l'administration des diocèses. Le mouvement avait échoué, il est vrai, mais seulement parce que les évêques allemands n'avaient pas suivi les électeurs.

Nous ne croyons pas émettre une opinion trop hasardée en disant que le Saint-Siège eût fini par accepter la constitution civile du clergé, si le roi, les évêques et les clercs de France l'eussent eux-mêmes acceptée sincèrement et eussent marqué leur ferme volonté de la faire vivre.

C'était l'espoir des Constituants ; et, si nous considérons l'esprit général du clergé en 1789, nous ne trouverons vraiment pas cet espoir mal fondé. Il semblait bien, à celte date, qu'il y eût quelque chose comme une Église de France, premier corps de l'État français, en possession immémoriale d'immunités particulières, les libertés de l'Église gallicane, et très peu disposée à renforcer les liens qui la rattachaient à l'Église de Rome.

Mais, au mois de juillet 1790, la situation avait déjà bien changé. La politique suivie par l'Assemblée constituante depuis le mois d'août 1789 n'avait été qu'une guerre sans trêve contre l'Église, et il fallait toute la candeur des Constituants pour croire que l'Église, combattue à outrance depuis dix mois, eût conservé à l'égard de la Révolution toute sa sympathie des premiers jours.

En réalité, le haut clergé était exaspéré et n'attendait qu'une occasion favorable pour témoigner sa colère. Toute la question était de savoir s'il réussirait à entraîner avec lui le gros de l'armée sacerdotale, les 60.000 curés pour lesquels le nouveau régime était, après tout, un régime de délivrance et un enrichissement inespéré.

Les Constituants espéraient fermement que les curés patriotes rendraient vaine la colère des prélats aristocrates. Il se trouva qu'ils n'avaient pas deviné juste, parce que leur loi, regardée d'un peu près, mettait en jeu une question de conscience, devant laquelle la majorité du clergé refusa de capituler.

Que cette question de conscience Mt absolument insoluble, que la constitution civile fût réellement schismatique et hérétique, comme on l'a dit, qu'il n'y eût pas moyen d'en espérer l'amendement par l'usage, nous ne le croyons vraiment pas ; nous pensons qu'aux mains d'un épiscopat chrétien et patriote cette institution aurait pu donner encore de glorieux jours à l'Église de France. Mais il faut avouer que c'est là une interprétation très bienveillante du texte. Des hommes qui n'avaient aucune raison de regarder l'œuvre des Constituants avec bienveillance, mais qui se croyaient, au contraire, cent bonnes raisons de la détester, pouvaient très bien, sans manquer à la bonne foi et sans donner d'entorse au texte, soutenir que cette loi séparait l'Église de France de la communion catholique, l'engageait dans la voie du schisme et de l'hérésie, et ne pouvait, par conséquent, être acceptée par aucun prêtre soucieux de son honneur sacerdotal.

C'est cette théorie que l'épiscopat finit par faire admettre de la majorité du clergé. La foi et la discipline furent plus fortes dans le cœur des prêtres que la voix de l'intérêt. Il y eut parmi les évêques qui les engagèrent à la résistance beaucoup plus de passion réactionnaire que d'enthousiasme religieux. Il 'y eut chez les pasteurs du second ordre une foi solide et touchante, un désintéressement véritable qui donne une haute idée de leur valeur morale.

Ce fut du roi que vint la première difficulté. Louis XVI, très effrayé de la marche rapide de la Révolution, très pieux et très timoré, n'osa pas prendre sur lui de sanctionner la constitution civile du clergé sans avoir pris l'avis du pape, et soumit au souverain pontife un acte où tout semblait réuni pour lui être odieux, et que l'Assemblée tenait presque pour une trahison de lui présenter.

Pie VI (1775-1799) a été l'un des pontifes les plus estimables du dix-huitième siècle. Pieux et affable, très instruit, ami des arts, il avait soutenu avec une grande dignité les droits du Saint-Siège dans ses conflits avec Joseph II et avec les évêques allemands, et l'on pouvait déjà être sûr qu'il essaierait de les défendre contre les entreprises de l'Assemblée constituante. Dans une déclaration du 29 mars 1790, il avait affirmé que son long silence sur les affaires de France ne devait pas être interprété comme une approbation et qu'il n'attendait qu'une occasion pour parler utilement.

Le 10 juillet, deux jours avant le vote définitif de la constitution, il avait mis Louis XVI en garde contre les dangers qu'il entrevoyait : Nous qui représentons Jésus-Christ sur la terre, nous à qui il a confié le dépôt de la foi, nous sommes spécialement chargé du devoir... de vous déclarer et de vous dénoncer de la manière la plus expresse que, si vous approuvez les décrets relatifs au clergé, vous entraînez par là même votre nation entière dans l'erreur, le royaume dans le schisme, et peut-être serez-vous la cause d'une cruelle guerre de religion.

Louis XVI essaya cependant d'obtenir l'assentiment du pape. Il envoya à son ambassadeur à Rome, le cardinal de Bernis, un long mémoire, où il cherchait, avant tout, à apitoyer Pie VI sur sa misérable position. Il était menacé par les factions, et le seul moyen de le sauver était d'accepter la constitution. Le pape rendrait hommage à la bonne foi du roi, dénoncerait les erreurs doctrinales renfermées dans la constitution, et cependant ne la condamnerait pas encore, parce que le concours du roi et les sentiments bien connus du clergé de France lui permettaient d'espérer un meilleur avenir. Pour le bien de la paix et pour éviter le scandale, il approuverait provisoirement la nouvelle répartition des diocèses et l'institution des vicaires épiscopaux. Sans se prononcer au sujet des élections, il approuverait par simple bref les nouveaux évêques, il leur accorderait toutes dispenses nécessaires et exhorterait enfin les fidèles à se bien mettre en garde contre les erreurs doctrinales, et à resserrer les relations de l'Église de France avec le Saint-Siège.

Ce singulier projet, qui trahit surtout les transes du pauvre Louis XVI, aurait eu peut-être quelque chance d'être accepté, si le pape eût connu très exactement la situation du royaume, et eût compris qu'il n'avait rien à attendre de l'Assemblée et de la nation ; mais Pie VI, qui voyait le roi hésitant, qui se trouvait harcelé par les instances des évêques aristocrates, et qui espérait un changement prochain dans la tournure des affaires, crut prudent de gagner du temps et donna le mémoire de Bernis à une commission de cardinaux.

Le roi, dépité, se crut abandonné par le pape à la fureur de ses ennemis, et sanctionna la constitution (24 août).

Cet acte excita la colère du haut clergé, qui y répondit, à la fin d'octobre, par un manifeste virulent : l'Exposition des principes sur la constitution civile du clergé. Cet ouvrage, écrit par l'archevêque d'Aix, M. de Boisgelin, contenait une réfutation très serrée des erreurs doctrinales de la constitution, et engageait résolument les prêtres et les fidèles à repousser la loi nouvelle, au nom de l'orthodoxie et des droits de la conscience. Tout l'épiscopat applaudit au hardi langage de l'archevêque, et quatre-vingt-dix-sept ecclésiastiques, membres de l'Assemblée nationale, se solidarisèrent avec lui.

L'Assemblée répondit à cette protestation par une mesure brutale et draconienne.

Le 25 novembre, le représentant Voidel proposa d'astreindre tous les membres du clergé à jurer fidélité à là constitution civile. Ceux qui refuseraient le serment devaient être privés de tout traitement, déclarés déchus des droits de citoyens actifs et incapables d'exercer aucune fonction publique. Les mêmes peines étaient applicables aux ecclésiastiques qui viendraient à se rétracter après avoir prêté le serment légal, et à toutes personnes, ecclésiastiques ou laïques, qui se coaliseraient pour combiner un refus d'obéir aux décrets de l'Assemblée nationale.

Dans la discussion, Voidel se montra agressif et passionné. Il gourmanda les Constituants de leur pusillanimité : Tous, dit-il, accusent la lenteur de votre justice ; ils vous conjurent de rendre enfin la loi redoutable à ceux à qui vous n'avez pu encore la faire respecter. Quel serait l'effet d'un silence coupable sur les protestations de ces évêques ! Bientôt nous nous verrions ramenés à cet absurde système qui érige deux autorités, deux souverains dans un État ; bientôt l'un usurperait sur l'autre une prééminence qu'il réclamerait au nom du ciel.

S'adressant aux ecclésiastiques, il leur reprocha leur pharisaïsme et leur cupidité : Ministres de la religion, cessez de vous envelopper de prétextes, avouez votre faiblesse. Vous regrettez votre antique opulence ; vous regrettez ces prérogatives, ces marques de distinction et de prétendue prééminence. Songez que la Révolution a fait de nous des hommes !... Il en est temps encore ; désarmez par une prompte soumission le peuple irrité de votre résistance. Le décret que je vais présenter est moins une loi sévère qu'une mesure d'indulgence !

En vain, l'évêque de Clermont, M. de Bonal, expliqua-t-il à l'Assemblée, dans le langage le plus ferme et le plus modéré, le cas de conscience que la constitution civile proposait au clergé : Ce n'est pas, dit-il, pour me plaindre du traitement qu'on prépare aux ecclésiastiques qui ne reconnaîtront pas vos maximes que je suis monté à cette tribune. Votre justice doit assurer notre subsistance, puisque vous avez cru devoir vous approprier nos biens... Dans cette constitution que vous avez organisée pour le clergé... nous n'avons pu méconnaître une autorité qui se trouve en opposition avec l'autorité spirituelle, telle qu'elle nous a été conservée par la tradition la plus générale et la plus constante. Nous devons vous le dire, parce que la vérité ne doit pas rester captive sur nos lèvres : Jésus-Christ nous a confié une autorité indépendante des hommes. Vous le savez comme nous, l'Église n'est soumise qu'à ses propres lois.

Dans la bouche d'un prélat convaincu comme de Bonal, ces paroles auraient dû faire impression sur l'Assemblée elles furent considérées par la majorité comme un langage factieux et intolérable ; la loi fut votée le r novembre, et portée aussitôt à la signature du roi.

Louis XVI essaya encore de gagner du temps ; mais l'Assemblée s'inquiéta, Paris sembla s'émouvoir, et, le 26 décembre, le roi, la mort dans l'âme, sanctionna le décret.

Pour entraîner les hésitants, l'Assemblée décida que les députés ecclésiastiques prêteraient serment dans son sein. Une centaine seulement sur trois cents consentirent à jurer. Quatre évêques sur cent trente-cinq jurèrent, et c'étaient les membres les plus décriés de l'épiscopat : Loménie de Brienne, archevêque de Sens, Talleyrand, évêque d'Autun, de Jarente, évêque d'Orléans, et Lafont de Savines, évêque de Viviers.

Le 21 janvier 1791, l'Assemblée vota une adresse à la nation, où elle cherchait à expliquer et à justifier sa politique. Ce fut comme un nouveau brandon jeté dans une fournaise.

La guerre était déjà moralement déclarée, et l'affaire du serment déchaînait partout des discordes et des violences, qu'une loi plus libérale eût toutes évitées.

Les évêques et les révolutionnaires, dit Ferrières, un contemporain, s'agitèrent et intriguèrent, les uns pour faire prêter le serment, les autres pour empêcher qu'on le prête. Leurs évêques se rapprochèrent de leurs curés, les dévots et les dévotes se mirent en mouvement. Les hommes les plus libres dans leurs opinions religieuses, les femmes les plus décriées par leurs mœurs, devinrent tout à coup de sévères théologiens, d'ardents missionnaires de la pureté et de l'intégrité de la foi romaine... Les dévotes colportèrent des écrits de maison en maison... On montrait aux uns le clergé triomphant, l'Assemblée dissoute, les ecclésiastiques prévaricateurs dépouillés de leurs bénéfices, enfermés dans leurs maisons de correction, les ecclésiastiques fidèles couverts de gloire, comblés de richesses. Le pape allait lancer ses foudres sur une Assemblée sacrilège et sur des prêtres apostats. Les peuples dépourvus de sacrements se soulèveraient, les puissances étrangères entreraient en France, et cet édifice d'iniquité et de scélératesse s'écroulerait sur ses propres fondements.

La prestation du serment ne fut rien moins que libre ; nous n'en citerons qu'un exemple, qui nous a paru le plus caractéristique de tous.

Les révolutionnaires de Paris tenaient beaucoup au serment de M. de Pansemont, curé de Saint-Sulpice. Le jour désigné pour la prestation, l'église se remplit de gens de mine suspecte, qui interrompirent la messe pour crier : Le serment ou la lanterne ! Au prône, le curé monta en chaire et expliqua les motifs qui l'empêchaient de prêter le serment. Les manifestants se jetèrent sur lui, et ses amis eurent toutes les peines du monde à l'arracher de leurs mains ; il était évanoui, et resta trois quarts d'heure dans la sacristie avant d'avoir repris ses sens. Bailly, qui était son ami particulier, vint le voir, s'informa avec intérêt de son état, mais le blâma d'avoir refusé le serment, et, comme M. de Pansemont objectait que sa conscience lui défendait d'y consentir, Bailly lui répondit sèchement : Monsieur, quand la loi parle, la conscience doit se taire. Le curé de Saint-Roch ayant cherché à lui faire comprendre en quoi la constitution était contraire à la doctrine canonique, Bailly finit par l'entendre, mais ajouta : Eh bien ! puisqu'il en est ainsi, la religion catholique n'existerait plus demain, si cela dépendait de moi.

Un historien protestant contemporain, M. de Pressensé, a jugé les choses autrement : Faire prêter le serment, dit-il, sur la constitution civile du clergé, c'est-à-dire sur une mesure qui blessait profondément la conscience d'un grand nombre de prêtres honorables, c'était transformer la résistance en un devoir sacré, et entrer dans une voie au bout de laquelle étaient la dictature et la proscription. (L'Église et la Révolution, 3e éd., p. 154.)

Devant ces orages, le pape n'hésita plus à parler. A la fin de février 1791, il écrivit à Loménie de Brienne une lettre de blâme pour avoir prêté le serment.

Le 10 mars, il adressa à l'épiscopat français un bref de protestation contre les innovations introduites par l'Assemblée nationale dans l'organisation de l'Église et dans sa discipline.

Le 13 avril, il lança contre la constitution civile une condamnation définitive. Il la déclarait schismatique et hérétique, frappait de nullité toutes les élections faites ou à faire, et donnait aux prêtres jureurs un délai de quarante jours pour se rétracter, faute de quoi ils seraient suspendus de toutes leurs fonctions ecclésiastiques. La constitution civile avait ainsi, quelques mois après son établissement, mis la France dans la situation la plus pénible et la plus dangereuse.

Le roi, bourrelé de remords, n'osait plus communier, songeait à s'enfuir de Paris et entrait en relations avec le roi de Prusse. Les évêques avaient dressé en face de la Révolution une opposition formidable, à laquelle se ralliaient d'instinct tous les partisans de l'ancien régime : les croyants pour venger la religion, les autres pour se conduire en vrais gentilshommes — mot de M. de Dillon, archevêque de Narbonne). Une bonne partie du clergé séculier s'était laissé entraîner par scrupule de conscience à la suite des évêques.

Et la nation, divisée entre les deux camps, semblait prête à se déchirer.