La vie ecclésiastique se manifeste sous deux formes distinctes : le clergé séculier s'occupe du gouvernement spirituel des paroisses ; le clergé régulier peuple les abbayes et les couvents. L'idée de se retirer du monde, de se mettre en marge de la vie courante, pour travailler plus aisément à son salut, est une idée extrêmement ancienne dans le christianisme et qui prit, dans tous les pays chrétiens, un immense développement. La vie en commun, et toute comprise en vue de fins spirituelles, parut tout d'abord plus conforme aux préceptes évangéliques. On se crut plus pur, parce qu'on renonçait aux affections les plus légitimes ; on se crut plus désintéressé, parce qu'on faisait vœu de pauvreté personnelle ; on sa crut aussi plus intelligent, parce qu'aux joies passagères de ce monde on préférait les délices de la spiritualité. Peut-être y avait-il un peu d'égoïsme au fond de ce calcul ; mais les temps étaient si durs, la barbarie se faisait si atroce, que l'on comprend l'effroi des &mes délicates en face de l'horrible société qu'avaient faite les guerres civiles romaines et les invasions germaniques. An Moyen-Age, les abbayes furent l'asile précieux et tutélaire des pacifiques, le reliquaire de l'antiquité, le dernier, l'unique foyer de la vie intellectuelle. Pendant le long règne de l'Eglise, l'activité monastique se manifesta dans tous les champs de la vie et présenta par toute l'Europe un si noble et magnifique spectacle, que les dons affluèrent, et que les maisons communes des pauvres Frères de Saint-Benoît ou de Saint-Bernard prirent des airs de forteresses et de palais, et que les chapelles des abbayes rivalisèrent de splendeur avec les cathédrales. L'antinomie entre la règle austère des ordres religieux et la magnificence de leurs maisons ne tarda pas à frapper les foules. Devant ces entreprises colossales, qui allaient croissant et s'enrichissant chaque jour, les jalousies et les convoitises s'allumèrent. Incapable de comprendre la beauté mystique de la vie contemplative, écrasé par la concurrence intelligente des ordres laborieux, le peuple recueillait avidement les calomnies qui couraient sur les moines, tremblait sous leurs férules, vivait de leurs charités, et les haïssait le plus souvent parce qu'ils étaient savants tandis qu'il était ignare, intelligents tandis qu'il était sot et riches tandis qu'il était pauvre. Au seizième siècle, une première crise bouleversera la vie monastique en Allemagne, en Scandinavie, aux Pays-Bas, en Angleterre et en Ecosse. — Les abbayes devinrent des châteaux, et en place des abbés, presque toujours humains et charitables, s'installèrent des barons, dont le joug pesa plus durement sur les campagnes. Les pays latins gardèrent leurs couvents ; de nouveaux ordres se fondèrent ; le dix-septième siècle vit partout une recrudescence de ferveur religieuse ; l'Autriche, la France, l'Italie et l'Espagne semblèrent prendre à cœur de compenser par un redoublement de zèle les perles que l'hérésie avait fait éprouver à la fortune des ordres. Mais ce ne fut qu'un feu de paille, et le dix-huitième siècle vit languir presque toutes les institutions fondées au siècle précédent. Les conditions de la vie générale avaient changé. La paix publique était partout assez assurée pour que les pacifiques n'eussent plus besoin de chercher un refuge derrière les murs des couvents. La culture moderne avait rendu à la société laïque l'intelligence et le respect des choses de l'esprit. Les sciences et les arts s'étaient développés en dehors de l'Eglise, et paraissaient fleurir plus abondamment à l'air libre que dans la pénombre des cloîtres. En dépit des abus, des violences, des misères de tout genre dont souffrait le monde européen, la vie du siècle devenait chaque jour plus active, plus brillante, plus attrayante. Tout s'élargissait, tout s'éclairait ; un souffle de liberté passait sur les cités ; les couvents, muets au milieu des rues bruyantes, produisaient l'effet de ces bastilles inutiles et menaçantes que Richelieu avait fait détruire sur les collines de France. Longtemps protecteurs des couvents, les rois avaient fini par les voir, eux aussi, d'un œil moins bienveillant, et par penser que leurs richesses pourraient étre plus utilement employées. Malgré ses scrupules et ses appréhensions, Louis XV avait laissé ses Parlements dissoudre et exproprier la Compagnie de Jésus, le plus robuste et le plus vivant de tous les ordres religieux du royaume. Celui-là disparu, il semblait qu'il n'y eét pas de raison pour conserver les autres. Beaucoup se mouraient de langueur et semblaient n'attendre que le coup de grâce. Un consciencieux travail, dû à l'un de nos étudiants, M. Brunet[1], va nous permettre de dresser la liste complète des communautés religieuses de Clermont et de Montferrand, à la date de 1789. Les deux villes comptaient, à cette époque, 16 couvents d'hommes et 10 couvents de femmes, pour une population totale d'environ 25.000 habitants. L'Abbaye royale de Saint-Alyre remontait au moins
au XIe siècle et possédait droit de haute et basse justice sur tout le
quartier de Saint-Alyre. Elle était en commende depuis près d'un siècle et
taxée à 10.000 livres[2]. Les moines
n'avaient cessé de réclamer contre cette imposition et s'étaient engagés dans
d'interminables procès, qui aboutirent en 1787 à la mise sous séquestre des
biens de l'abbaye. Saint-Alyre, qui avait encore en 1720 vingt-deux pères de
chœur et trois frères servants, ne renfermait plus en 1789 que onze
religieux, dont six ne résidaient pas ordinairement à l'abbaye. Quand les
portes du couvent s'ouvrirent devant eux, un seul, le P. Savignat, âgé de 82
ans et infirme, demanda à rester dans la maison ; les autres moines se
déclarèrent heureux d'une solution qu'ils n'osaient entrevoir par respect
pour leur dignité, mais qui leur apportait un véritable soulagement, car la solitude et la mort leur paraissaient, chaque jour,
plus pénibles à envisager dans cet immense couvent. Les revenus de
l'abbaye étaient estimés, en 1790, à 61.140 livres. Il lui était dû 6.828
livres sur ses loyers et fermages, et la vente des denrées qui emplissaient
ses magasins donna une somme de 40.000 livres. L'Abbaye royale des chanoines réguliers de Saint-André, bâtie sur l'emplacement actuel de l'école normale d'instituteurs, avait été fondée en 1120 par Guillaume V, premier dauphin d'Auvergne. Sou église possédait le cœur du roi Louis Viii et les tombeaux de plusieurs dauphins d'Auvergne. Patronne de nombreux bénéfices dans la province, l'abbaye les faisait servir par ses chanoines, et ne renfermait plus, en 1789, que six ecclésiastiques résidants, qui se déclarèrent tous disposés à se retirer dans leur pays, moyennant une pension. Maîtres d'un domaine de près de 100 kilomètres carrés, les chanoines n'en tiraient plus, en 1789, qu'un méchant revenu de 17.500 livres, par suite de leur mauvaise administration et des abus de la commende. Ils percevaient encore une curieuse redevance féodale de 13 deniers sur chaque mariage célébré dans les églises de Clermont et de Chamalières. Les Carmes anciens, dont la jolie chapelle est devenue l'église paroissiale de Saint-Genest, avaient perdu depuis longtemps leur caractère primitif d'ordre mendiant. C'était une communauté de prêtres vivant des revenus de leur couvent. Ils étaient encore au nombre de huit en 1789, plus trois frères convers, tous d'un âge assez avancé. Leurs revenus, très dispersés et provenant d'une foule de menues redevances, montaient à 15.334 livres ; il leur était dû 7.659 livres, par différentes personnes, et leurs caves renfermaient 450 pots de vin d'Auvergne, estimés à 3 fr. le pot. Les Carmes déchaux de Saint-Pierre de Chantoingt avaient depuis longtemps cessé d'observer la règle ; ils vivaient d'assez maigres revenus, évalués à 4.340 livres, et qui leur laissaient, charges déduites, 3.220 livres pour les besoins de la communauté. Le couvent contenait, en 1790, douze pères et quatre frères convers, qui demandèrent tous à sortir du cloître et furent les premiers réguliers de Clermont à prêter le serment constitutionnel. Les Augustins réformés, établis sur l'emplacement actuel de la place Saint-Hérem, étaient en 1789 réduits à une véritable misère, n'ayant plus que 140 livres à se partager entre quatre religieux. Leur chirurgien, aux gages de 13 livres par an, leur réclamait 5 années d'appointements. Les Minimes, installés en 1620 à Clermont, y bâtirent l'église paroissiale de Saint-Pierre et rendirent pendant longtemps de grands services aux populations pauvres du quartier de Jaude. En 1789, leur couvent n'abritait plus que cinq frères, dont le plus jeune avait passé la cinquantaine. Ne sachant que faire des vastes locaux dont ils disposaient, ils en avaient loué une partie à un imprimeur. Ils possédaient plusieurs maisons à Clermont, des redevances utiles, la seigneurie de Comaneaux, la haute et la basse justice de Bromont et de Gelles. Ils tiraient de tout cela 8.822 livres de rentes. Les Récollets n'étaient plus, en 1789, qu'an nombre de trois, tous très âgés. Ils ne possédaient rien et vivaient d'aumônes. La Congrégation de l'Oratoire comptait à Clermont, en 1789, dix profès et trois novices. Ses revenus ne dépassaient pas 4.300 livres. Les Cordeliers, dont le couvent, aux trois quarts rebâti, est occupé aujourd'hui par la préfecture du Puy-de-Dôme, avaient formé, pendant longtemps, une des congrégations les plus prospères de Clermont. Le monastère renfermait encore en 1725 quatre-vingt-dix-neuf prêtres, trois frères clercs et trois domestiques. Ses revenus en argent montaient à 11.000 livres. Ses redevances en nature suffisaient à la subsistance des Pères et alimentaient, en outre, les marchés de la ville. Ils possédaient douze œuvres de vignes à Chanturgue et à Montjuzet. En 1790, la population du couvent était tombée à huit personnes. Le plus jeune de ces religieux avait 41 ans, et il n'y avait pas un seul novice. Les revenus étaient réduits à 3.000 livres, le couvent menaçait ruine, et les moines, menacés de périr avec lui, quittèrent sans regret une maison qui était devenue si inhospitalière. Les Dominicains ou Jacobins, appelés ainsi de leur maison de la rue Saint-Jacques, à Paris, étaient établis à Clermont depuis 1221, et avaient eu dans cette ville une assez glorieuse histoire. Un de leurs maîtres, Durand de Saint-Pourçain, avait été considéré comme un des plus savants théologiens de son temps. Ils avaient donné plusieurs évêques à l'église de Clermont et aux églises voisines. Mais cette prospérité avait, depuis longtemps, disparu. Au moment où va commencer la Révolution, il n'y a plus an couvent des Jacobins de Clermont que huit prêtres, qui depuis longtemps ne suivent plus la règle de leur ordre et ne vivent plus en commun. Les revenus de la maison montaient encore, à cette époque, à 10.000 livres en argent, avec force redevances en nature, dont une de 1500 pots de vin sur les domaines de la Croix-Chapon, de Loradoux, de Brézé, de Chanteranne et du Haut-Chanturgue. Ils possédaient une rente de 330 livres, répartie sur 120 titres différents. Les Charitains ou religieux de l'ordre de Saint-Jean-de-Dieu, établis à Clermont à la fin du XVIIIe siècle, avaient bâti en dehors des murs de la ville un grand couvent, dont les derniers débris viennent de disparaître sous la pioche des démolisseurs, pour faire une entrée nouvelle au jardin Lecoq. Congrégation vouée au soin des malades, les Charitains restèrent populaires jusqu'à la Révolution et ne disparurent qu'en 1793. Ils étaient encore au nombre d'une vingtaine, et leur institut était doté d'une dizaine de mille livres de revenu. Les Capucins réformés avaient été appelés à Clermont, en 1609, par Jacqueline de La Fayette, veuve de Guy de Daillon, comte de Pontgibaud, et s'étaient rendus populaires par leur dévouement aux malades pendant la peste de 1631. Le couvent, qui avait encore quarante-cinq moines en 1725, n'en avait plus que douze en 1790. Tous étaient d'un âge avancé et demandèrent d'eux-mêmes à quitter le couvent, excepté un paralytique octogénaire, qui obtint d'y achever ses jours. Depuis trente ans, aucun novice n'était entré au couvent. Montferrand possédait trois monastères, dont le principal était celui des Antonins de la Commanderie de Malte, institué en 1199. En 1790, les Antonins n'étaient plus qu'au nombre de cinq chanoines et un novice, et leurs revenus ne dépassaient guère 3.000 livres. Ils possédaient cependant cinq maisons à Montferrand, 86 journaux de pré, 32 journaux de terre de labour, 91 œuvres de vignes à Chanturgue et à Montjuzet ; mais tout cela, affermé à bail emphytéotique, ne donnait presque rien. Les Cordeliers de Montferrand n'étaient plus que quatre. La communauté avait 1.200 livres de rente et 26.550 livres de dettes. Les Récollets de Montferrand avaient fait beaucoup parler d'eux pendant tout le XVIIIe siècle, et paraissent avoir été très peu estimés de leurs concitoyens. Leur prieur avait été accusé de faire la fraude du tabac et du poivre. On les accusait de mœurs très relâchées et de violences envers diverses personnes. Ils n'étaient plus que trois, en 1790, et prétendaient n'avoir pas plus de 600 livres d'argent et quelques redevances en blé. On voit que la situation de tous ces monastères est lamentable, et que ces institutions ne répondent vraiment plus à aucun besoin social. Il en allait un peu différemment des couvents de femmes, restés plus vivants, parce qu'ils avaient su rester plus utiles. Le grand monastère de filles de Clermont était l'Abbaye royale de l'Eclache, de l'ordre de Saint-Bernard. Fondée d'abord au village de l'Eclache, près du Puy-de-Dôme, elle avait été transférée à Clermont en 1636, et établie en 1647, entre la rue actuelle de l'Eclache et le cours Sablon. L'abbaye, qui s'occupait de l'éducation des jeunes filles de la noblesse, fut un moment très prospère. Elle eut, en 1666, jusqu'à cinquante-six religieuses de chœur, huit sœurs converses, deux tourières, huit filles de service, onze valets et cent vingt pensionnaires ; mais les religieuses se ruinèrent en bâtiments. Il y eut, un instant, de graves désordres au couvent. La maison perdit 1900 livres de rente dans la banqueroute de Law, et, en 1783, le roi fit mettre l'abbaye sous séquestre. En 1790, elle avait encore dix religieuses, toutes d'un âge avancé, et 41.411 livres de rente, dont 33.423 livres étaient absorbées par le service des dettes. Les Ursulines, reçues à Clermont par acte délibératoire du corps de ville en date du 30 mars 1615, s'établirent rue Neyron, dans les bâtiments actuels du Bon Pasteur, et se consacrèrent à l'éducation des jeunes filles de la bourgeoisie. En 1723, elles avaient cent quatre-vingts pensionnaires, trois novices, douze converses et cinquante-trois professes de chœur. Elles avouaient 9.933 livres de rente, sans compter les redevances en nature et les pensions des enfants, et l'intendant déclarait leur situation excellente. En 1790, malgré la décadence générale des maisons religieuses, la communauté comprenait encore trente-cinq membres et ses revenus étaient montés à 11.600 livres. Plus fidèles que bien d'autres à leur institut, les religieuses Ursulines demandèrent toutes à continuer leur vie monastique. Les Hospitalières de Lorches, de l'ordre de Saint-Augustin, avaient été introduites à Clermont en 1642, et s'étaient d'abord consacrées au service de l'Hôtel-Dieu. Puis elles avaient émigré vers le quartier des Jacobins et avaient bâti un couvent particulier, où elles avaient établi une salle pour malades payants réservée aux gens de bonne famille. La communauté perdit 40.000 livres dans la banqueroute de Law ; mais quelques dots avantageuses réparèrent le dommage, et le couvent avait encore, en 1789, vingt-huit religieuses et 9.000 livres de revenu. Comme les Ursulines, elles demandèrent à continuer la vie commune. L'Abbaye royale de Sainte-Claire, de la règle de Saint-François, fondée en 1280, avait eu, au Moyen-Age, une grande prospérité ; mais une peste et deux incendies, au XVIe siècle, et un nouvel incendie en 1702 l'avaient complètement ruinée. A la Révolution, il ne s'y trouvait plus que onze religieuses, qui demandèrent à rentrer dans la vie civile. Les revenus de l'abbaye montaient à 3.065 livres, sans compter les redevances en nature des domaines de Clermont, de Plauzat et de Châtel-Guyon. Les Bénédictines de Clermont, venues de Billom en 1650 et reconnues par le corps de ville et par le roi en 1666, occupaient un couvent voisin de l'abbaye de l'Eclache. Vouées presque toutes à l'enseignement primaire, elles étaient encore au nombre de dix-neuf au moment de la Révolution, avec un revenu net de 5.550 livres, sans compter les pensions des élèves. La Maison du Refuge, bâtie sur l'emplacement actuel de la poste, avait servi d'abord d'hôpital pour certaines classes d'incurables ; on y avait ajouté, plus tard, un asile de Madelonnettes. On y trouva, en 1790, une supérieure, trois religieuses et trois gouvernantes. Les revenus ne s'élevaient qu'à 2.306 livres ; les dépenses atteignaient 3.233 livres ; le déficit était couvert par des aumônes. La communauté enseignante du Bon Pasteur s'était établie à Clermont dès le XVIIe siècle, mais n'avait point pris alors le développement qu'elle a atteint de nos jours. Ses revenus s'élevaient à 5.000 livres, en 1790. La Visitation de Clermont, colonie de la Visitation de Montferrand, fut fondée en 1649 et se maintint assez prospère jusqu'à la fin du 'unie siècle. Les Sœurs de Nevers, établies rue Saint-Laurent, tenaient une école populaire, une maison de retraite et un bureau de bienfaisance. Clermont avait encore des Filles de la Charité et des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, qui desservaient l'hôpital Saint-Genest et les bureaux de bienfaisance des paroisses. Montferrand possédait, comme Clermont, un couvent d'Ursulines et un couvent de la Visitation. Les Ursulines de Montferrand, établies dans cette ville en 1639, avaient encore en 1'790 un effectif considérable : 64 religieuses et 140 pensionnaires. Leurs revenus en argent dépassaient 17.000 livres, sans compter les faisances et les pensions. Elles tinrent tête, pendant deux ans, à l'orage et ne furent licenciées qu'en 1792. Les sœurs de Sainte-Marie de la Visitation, admises à Montferrand en 1630, étaient en pleine prospérité en 1789. Leur couvent comptait 61 religieuses et de nombreuses élèves. Les revenus s'élevaient à 17.840 livres. L'éducation qu'y recevaient les jeunes filles de la bourgeoisie était très vantée, et cela explique la prospérité de cette maison. L'épuration des ordres religieux s'opérait ainsi d'elle-même, sans qu'aucun droit fût lésé. Vingt-cinq ou trente ans encore, et les congrégations agonisantes seraient mortes de leur mort naturelle, faute de congréganistes ; les congrégations bien vivantes, savantes ou hospitalières, se seraient développées à mesure que l'éducation et la bienfaisance auraient davantage attiré l'attention publique. L'Etat avait eu raison de reporter à vingt et un ans l'âge des vœux ; il aurait pu le reporter à vingt-cinq ans. Il avait raison de prendre l'administration des communautés en déconfiture. La loi lui donnait le droit de dissoudre les couvents où le petit nombre des moines rendait l'observance de la règle impossible ; il aurait pu profiter de cette faculté et prononcer la réunion des couvents moribonds à ceux qui présentaient encore quelque vie. Les cours de justice auraient pu se montrer plus vigilantes et contrôler d'un peu plus près la comptabilité monastique. Les intendants et les évêques auraient dû pousser le clergé régulier à sortir de sa torpeur et à faire œuvre utile à la société. Richelieu avait bien imposé la réforme aux Bénédictins, et n'avait pas craint de leur envoyer les archers quand ils avaient fait appel à la violence. Mais la Révolution voulut tout faire en un jour, et il faut bien reconnaître qu'elle fut amenée à la suppression des ordres monastiques par le spectacle même qu'ils présentaient alors, par les instances d'un grand nombre de cahiers et par l'impolitique intransigeance du haut clergé. Les cahiers des trois ordres reflètent au sujet du clergé régulier des sentiments bien divers. Ceux du clergé réclament la conservation de l'état monastique comme indispensable au fonctionnement de la vie de l'Église. Ils demandent avec instance que le recrutement des couvents soit facilité ; ils veulent qu'il ne soit plus prononcé de suppression, ni de réunion d'une maison à une autre sans l'avis des autorités ecclésiastiques. Cependant, si optimistes qu'ils veuillent paraître, on sent parfois percer chez eux quelque inquiétude. C'est par des arguments trop pratiques qu'ils s'ingénient à défendre l'institution monastique. Ils font observer, par exemple, que les familles honnêtes trouvent dans les ordres religieux un moyen d'établir leurs enfants. Ils vantent les services rendus par le clergé régulier à l'enseignement. Ils indiquent leur désir de voir l'instruction nationale confiée aux religieux. Il leur échappe de dire que ce sera un moyen de les rendre plus utiles. On voit qu'ils plaident une cause, qu'ils ne sont plus très sûrs de la gagner, qu'ils mettent en avant tons les arguments possibles, les médiocres, et même les mauvais, avec les bons. La noblesse, ordre conservateur par excellence, a partie
liée avec le clergé, et se garde bien de jeter de trop grosses pierres dans son
jardin. Cependant quelques cahiers témoignent d'une hardiesse extraordinaire.
La noblesse de Montargis vote pour la suppression
totale et absolue des ordres mendiants et monastiques, propose
d'admettre à la sécularisation tous ceux qui annonceront ce vœu et de réunir
les autres dans les maisons de leur ordre jusqu'à leur extinction. La noblesse de Montreuil-sur-mer condamne les commendes et
semble se prononcer contre les vœux monastiques prématurés,
souvent involontaires et toujours barbares... dès
qu'ils outragent la nature... et contrastent
avec cette précieuse liberté, qu'aucune loi divine n'a pu enchaîner. La noblesse de Pamiers vote la
suppression de quelques abbayes pour augmenter le nombre des établissements
propres à l'éducation de la jeune noblesse sans fortune. Les cahiers du Tiers-Etat sont franchement hostiles aux communautés religieuses. Nantes prévoit la suppression de nombreux monastères et propose qu'il n'y ait désormais, dans chaque ville, qu'un couvent de chaque ordre. Les ordres mendiants seront abolis. Nérac veut que les communautés ecclésiastiques, séculières ou régulières, qui sont inutiles, soient abolies, et que leurs revenus soient employés à prévenir la mendicité et à améliorer le sort des ecclésiastiques utiles. Pamiers applique aux besoins de l'Etat les revenus des commendes, aussitôt après la mort des titulaires actuels. Chartres-en-Brie supprime les abbés commendataires et
demande l'abolition des ordres monastiques qui
seront jugés les plus inutiles. Montaigut veut séculariser certains
ordres qui, s'étant éloignés de leur première institution, sont devenus
inutiles à la société, et qui pourront la servir utilement en redevenant
citoyens. Le cahier ajoute tranquillement : On
devrait pensionner tous les religieux et le surplus de leurs immenses revenus
servirait à amortir une partie des dettes de l'Etat. Saint-Pierre-le-Moutier vote la suppression de tous les bénéfices sans charge d'âmes, qui ne sont d'aucune utilité dans l'ordre hiérarchique. Saint-Quentin supprime également les commendés, met les évêchés et les abbayes au régime de la pension et verse le surplus des revenus ecclésiastiques dans les caisses du roi. Le cahier de la paroisse de Chevreuse se fait remarquer
entre tous par son radicalisme. Les députés proposent, Lotit d'abord, de distinguer l'intérêt du clergé et celui de la religion.
Ils déclarent que les archevêques, évêques, curés et vicaires sont les seuls
ecclésiastiques indispensables. Ils demandent la suppression des confréries
inutiles. Ils proposeront et examineront la c
question de savoir si, dans le clergé comme dans les autres classes de la
nation, il est utile d'avoir des corps stagnants, s'ils ne pèsent pas sur les
corps actifs et n'en ralentissent pas les mouvements, en absorbant une partie
des biens ecclésiastiques destinés au service des paroisses ; s'il dépend de la
volonté de quelques citoyens fondateurs de créer et de multiplier des corps
et des établissements contemplatifs en nombre disproportionné aux besoins et
à l'intérêt de la religion et de l'Etat. Ils examineront si ces corps
remplissent l'objet de leur fondation ; si, nonobstant l'institution légale
et utile à l'époque de leur établissement, le changement des rapports et des
intérêts de la nation n'exige pas aussi quelques changements ou réformes dans
ces corps. Ils combineront l'existence des ordres rentés et spéculatifs avec
celle des ordres actifs et mendiants, et examineront si les ordres mendiants
doivent continuer d'exister ; si les ordres stagnants doivent fournir à la
subsistance des corps actifs qui acquittent le service... En cas de suppression ou de réforme, ils s'occuperont du
soin de pourvoir au sort des individus, de manière qu'aucun ne soit lésé. Ils
demanderont que les ordres ou corps conservés se rendent tous utiles au
public pour les différents objets compatibles avec leur état ; que les prix
des biens des ordres ou maisons supprimés sera appliqué aux besoins de
l'Eglise et des hôpitaux pauvres, et subsidiairement aux besoins de l'Etat. Le cahier de Chevreuse est certainement un des plus remarquables parmi les mémoires rédigés par le Tiers-Etat. Il peut être considéré comme traduisant avec une grande hardiesse les opinions courantes au sujet des ordres religieux, et il trace tout un programme d'action, si bien combiné et si logique, que l'Assemblée constituante semble l'avoir pris pour règle de sa politique. Dès le 28 octobre, l'Assemblée décréta la suspension des vœux monastiques. Le 9 novembre, elle décida qu'il serait sursis à la nomination aux bénéfices, excepté toutefois pour les curés. Le 13 du même mois, le jurisconsulte Treilhard fit décider que tous les possesseurs de bénéfices devraient, dans un délai de deux mois, faire par-devant les juges royaux et municipaux une déclaration détaillée des meubles et immeubles dont ils avaient l'administration. Toute déclaration frauduleuse devait entraîner pour le fraudeur perte de tous droits aux bénéfices et à toutes pensions ecclésiastiques. Le 18 novembre, le marquis de Montesquiou proposa de mettre en vente pour 400 millions de biens ecclésiastiques. Le 17 décembre, le comité des finances présenta à ce sujet un rapport décisif, portant création d'une caisse extraordinaire alimentée par la mise en vente immédiate de 400 millions de biens nationaux. Le même jour, Treilhard demanda, au nom du comité ecclésiastique, la fermeture des couvents inutiles. Les religieux devaient être libres de sortir de leurs monastères ou de continuer à y vivre ; ceux qui quitteraient la vie monastique recevraient une pension annuelle variant de 700 à 1.000 livres et pourraient être employés comme vicaires ou comme curés. Les autres seraient réunis, au nombre d'une quinzaine au minimum, dans les maisons conservées, qui recevraient une rente annuelle de 800 francs par chaque religieux. Treilhard ne réclamait point la fermeture des couvents de femmes et laissait subsister toutes les maisons consacrées à l'éducation de la jeunesse et au soin des malades. Il allait jusqu'à permettre à ces ordres de recevoir des novices ; les autres devaient s'éteindre par le décès de leurs membres actuels. Les biens des couvents supprimés — qui représentaient pour Paris seulement une valeur de 150 millions — seraient aliénés les premiers, et l'on ne toucherait qu'ultérieurement aux autres biens ecclésiastiques. Le clergé aurait dû s'empresser d'accepter cette solution, réellement modérée, et peut-être la plus favorable qu'il pût espérer. Mais il s'entêta dans la défense des ordres monastiques et ne fit que redoubler contre lui la mauvaise humeur de tous les partisans de la Révolution. La mise eu train de la nouvelle organisation
administrative de la France retarda la discussion de la loi jusqu'au li
février 1790. Les débats furent extrêmement violents. L'évêque de Clermont,
M. de Bonal, regretta que l'Etat renonçât à la glorieuse
prérogative d'être le garant des engagements formés envers le ciel. M.
de la Fare, évêque de Nancy, crut faire merveille en demandant que la
religion catholique, apostolique et romaine, fût reconnue comme religion
nationale. S'il eût obtenu ce vote, il n'eût plus été possible au législateur
de toucher aux ordres religieux ; mais la législation française tout entière
eût été dominée par un principe théocratique, que l'Assemblée ne voulait pas
admettre, et qu'aucun esprit moderne ne lui reprochera d'avoir repoussé. La
prétention de l'évêque de Nancy fut combattue en termes modérés par Dupont de
Nemours. Charles de Lameth osa parler des vils
intérêts d'argent que dissimulait mal le saint zèle de l'évêque de
Nancy. L'effet de la proposition fut déplorable. En face de l'intransigeance
épiscopale, les exigences du Tiers se firent plus absolues et plus
impératives. Le 13 février, sur la proposition de Barnave et de Thouret,
l'Assemblée décréta, comme article constitutionnel, que la loi française ne
reconnaissait pas les vœux monastiques et que les
ordres et congrégations religieuses étaient et demeureraient supprimés en
France, sans qu'il pût en être établi d'autres à l'avenir[3]. Provisoirement, et pour ménager les transitions,
l'Assemblée déclara qu'elle laisserait les religieuses dans leurs monastères,
et qu'un certain nombre de maisons seraient laissées à la disposition des
moines qui ne voudraient pas rompre leurs vœux. Les propositions de Treilhard
relatives aux pensions furent acceptées avec quelques modifications ; les
établissements d'instruction et les hôpitaux restèrent ouverts jusqu'à ce qu'il fût pris un parti sur cet objet (19 et 20 février et 19 mars 1790). On peut
imaginer quel retentissement eurent, dans toute la France, et même dans toute
l'Europe, des décrets aussi extraordinaires. Regardés par les uns comme une
manifestation effrayante de l'impiété du siècle, ils étaient salués par les
autres comme l'aurore de la régénération nationale. Michelet a écrit sur ce sujet une de ses plus belles pages : Ce qui témoigne en 89 contre l'Eglise,
c'est l'état d'abandon complet où elle a laissé le peuple. Elle seule, depuis
deux mille ans, a eu charge de l'instruire... Les
pieuses fondations du Moyen Age, quel but avaient-elles, quels devoirs
imposaient-elles au clergé ? Le salut des âmes, leur amélioration religieuse,
l'adoucissement des mœurs, l'humanisation du peuple... Il était votre disciple,
abandonné à vous seuls, maîtres, qu'avez-vous enseigné ? Depuis le douzième
siècle, vous lui parlez une langue qui n'est plus la sienne ; le culte a
cessé d'être un enseignement pour lui. La prédication suppléait ; peu à peu,
elle se tait : on parle pour les seuls riches. Vous avez négligé les pauvres,
dédaigné la tourbe grossière... Grossière ?
Elle t'est par vous. Par vous, deux peuples existent ; celui d'en haut, à
l'excès civilisé, raffiné ; celui d'en bas, rude et sauvage, bien plus isolé
de l'autre qu'il ne le fut dans l'origine... Que
sont, en 89, vos fameux monastères, vos écoles antiques ? Pleines d'oisiveté
et de silence. L'herbe y pousse et l'araignée y file... Et vos chaires ? Muettes. Et vos livres ? Vides. Le
dix-huitième siècle passe, un siècle d'attaques, où, de moment en moment, vos
adversaires vous somment en vain de parler, d'agir, si vous êtes vivants
encore... Vous ne disiez plus rien au peuple,
n'ayant rien à dire ; vous aviez vécu vos âges... tout passe et se transforme ; les cieux mêmes passeront...
Sortez du temple. Vous y étiez pour le peuple, pour
lui donner la lumière ; sortez, votre lampe est éteinte. Ceux qui bâtirent
ces églises et vous les prêtèrent vous les redemandent. Qui furent-ils ? La
France d'alors ? Rendez-les à la France d'aujourd'hui. C'est là d'admirable éloquence ; mais le droit est encore plus beau. Que les ordres religieux fussent languissants, qu'ils dussent se transformer sous peine de périr, c'est chose évidente par elle-même ; mais l'Assemblée ne les laissa ni mourir de leur mort naturelle ni travailler à leur réformation. Pouvant choisir entre deux partis légitimes, elle préféra en adopter un troisième, assurément plus expéditif. Elle ne fit aucune distinction entre les ordres religieux ; elle n'eut égard ni à l'ancienneté des origines, ni aux gloires historiques, ni aux services rendus à la science ou à l'humanité ; elle tailla, elle coupa, elle faucha et confondit tout dans la même proscription. Pour pouvoir accomplir son œuvre, elle ne craignit pas de faire appel aux passions populaires. Des pamphlets innombrables représentèrent les moines sous les traits les plus abjects ou les plus atroces ; le théâtre sembla les vouer à la haine ou au ridicule. C'est alors que le mot de calotin commença à être en vogue. Les jours où l'Assemblée devin discuter quelque motion intéressant le clergé, les tribunes se remplissaient d'une foule à l'aspect étrange, et, plus d'une fois, des députés furent hués et menacés, à la sortie de l'Assemblée, par des bandes d'énergumènes qui faisaient dire à un Anglais : Ce sont des ivrognes, qui veulent avoir la clef de la cave. Tout en déclarant n'avoir en vue que le bien de la nation, la plupart des députés philosophes rêvaient, en fait, la ruine de l'Eglise et l'anéantissement du catholicisme ; ils accusaient leurs adversaires de fanatisme et se montraient fanatiques, à leur tour, dans la guerre qu'ils poursuivaient contre le clergé ; l'un d'eux alla jusqu'à dire : Nous pourrions, si nous le voulions, changer la religion. La loi qui fut votée par ces hommes mit dans la rue, au milieu d'un peuple hostile, 23.000 religieux de tout âge et de toute condition, expulsés de 2.489 monastères, et menaça du même sort 37.000 religieuses habitant 1.500 maisons. Parmi les moines, un certain nombre rentrèrent dans la vie civile ; d'autres trouvèrent à s'employer dans le service des paroisses ; d'autres se retirèrent dans leur lieu natal, l'esprit rempli de trouble, et se demandant quelle tempête sévissait sur la France. Il y en eut que la colère jeta dans la lutte politique, et qui y portèrent d'âpres désirs de représailles, de barbares espoirs de vengeance. Il y en eut qui moururent de douleur. Il y en eut même qui se tuèrent de désespoir. Ceux qui avaient opté pour la vie religieuse se virent bientôt en butte à diverses tracasseries. On les réunissait au nombre de quinze ou vingt dans une même maison, mêlant tous les ordres, les contemplatifs et les enseignants, les charitables et les prédicants. On leur ôtait ainsi toute possibilité d'observer leur règle. On les obligeait à élire, tous les deux ans, un supérieur commun, qui devait être approuvé par la municipalité. C'était l'autorité municipale qui approuvait le règlement de la maison, et qui veillait à son exécution ponctuelle. La politique pénétrait dans le couvent, en bannissait toute soumission et toute paix. Les couvents de femmes étaient soumis aux mêmes lois et souffraient des mêmes embarras. L'Assemblée ayant supprimé les costumes monastiques et décidé que chaque religieux s'habillerait comme il l'entendrait, certaines administrations interdirent aux religieux le droit d'user leurs habits et les contraignirent à prendre le costume civil. Enfin la vie matérielle des moines et des religieuses, que la loi avait promis d'assurer, se trouva bientôt menacée elle-même. Les pensions devaient être, en moyenne, de 800 livres ; il y en avait de 1000 livres ; il y en avait de 350. Le chiffre de 800 livres représentait, à peu près, l'ancienne congrue des curés de campagne. Nous savons déjà que tout le monde la jugeait insuffisante, et le curé vivait à la campagne et était logé. Que pouvait faire, avec d'aussi maigres ressources, un religieux obligé de pourvoir à tous ses besoins, sans aucune expérience de la vie pratique, sans aucune idée du prix des logements et des denrées ? Et cette pension même, quand et combien de temps fut-elle payée ? Les pensions devaient, d'après la loi, courir du 1er avril 1790 ; mais, comme les caisses étaient vides, on en retarda le paiement au 1er janvier 1791. Les religieux étrangers furent renvoyés dans leur pays sans indemnité ni moyens de retour. Les nationaux ne tardèrent pas à se trouver dans une véritable détresse. Dès 1791, commencent à se faire entendre leurs doléances. Les hôpitaux du Nord, qui avaient 480.000 Livres de revenu, en ont gardé 10.000, et les communes ne leur donnent aucune ressource. Les Ursulines d'Ornans vivent d'aumônes. Les Bernardines de Pontarlier ne subsistent que des charités du district. L'argent manque dans toutes les caisses pour payer les pensions ecclésiastiques, et déjà certaines administrations rognent le chiffre de la pension légale. Le département du Doubs réduit la pension des Visitandines à 101 livres pour les religieuses de chœur et à 50 pour les sœurs converses (Taine, la Révolution, t. Ier). Pendant toute la période révolutionnaire, il en sera ainsi ; ce sera bien souvent la famine qui jettera l'ex-religieux ou le prêtre insermenté dans la révolte et la guerre civile. Pendant que les moines se voient ainsi réduits aux plus dures extrémités, les monastères tombent sous la pioche des démolisseurs ou sont transformés en hôpitaux, en casernes, en prisons, en magasins, en halles, en écuries. Toutes les œuvres savantes dont s'occupaient les ordres laborieux sont interrompues. Le tome XIII du Recueil des Historiens des Gaules et de La France, qui venait d'être achevé, est presque entièrement détruit avant d'avoir été mis en vente. La Gallia christiana est arrêtée au XIIIe volume. L'Histoire littéraire de la France reste à son XIIe volume. Les Acta Sanctorum s'arrêtent au tome LIV. Les archives des monastères sont confisquées, comme tout le reste. Un décret du 24 août 1790 ordonne leur transfert à la municipalité, de la municipalité au district, du district au chef-lieu du département. Les déménagements et les transports, confiés à des ignorants, se font dans de déplorables conditions et entraînent. la perte d'un nombre incalculable de documents. Pendant dix ans an moins, les pièces d'archives restent à l'abandon, surtout en province, où personne ne s'intéresse à leur conservation. Les lois du 12 septembre 1790 et du 7 messidor an II portent bien que les archives nationales seront ouvertes aux travailleurs ; mais les liasses et les volumes encombrent à tel point l'hôtel Soubise, qu'on n'entrebâillera sa porte qu'en 1812 et qu'on ne l'ouvrira toute grande qu'en 1830. Les bibliothèques n'auront guère un sort meilleur. Bien classées et bien ordonnées, tenues à peu près au courant du mouvement historique et littéraire, les bibliothèques monastiques vont former, presque partout, le premier noyau des bibliothèques municipales ; mais il se passera presque toujours de longs mois entre le moment où les livres sortiront du couvent supprimé et le jour où ils se trouveront réinstallés dans les armoires de la bibliothèque de la ville. Pendant ce temps, que de pertes et que de dégâts ! La suppression des monastères désorganise, à peu près partout, les établissements d'instruction publique. Les collèges municipaux, laissés sans ressources, ferment peu à peu leurs portes. Il n'y aura pas de reprise avant la création des Ecoles centrales, et, quand Napoléon rétablira l'Université, la France aura perdu depuis dix ans l'habitude de la vie intellectuelle. Les auteurs de la loi du 13 février 1790 ne pouvaient, il est vrai, prévoir toutes les catastrophes qui allaient atteindre la France ; il n'en reste pas moins certain que la loi qui fut votée contre le clergé respire l'esprit de parti, qu'elle apporta un trouble profond dans les consciences, qu'elle fut pour un grand nombre de particuliers la source de malheurs et de souffrances imméritées, qu'elle arrêta des travaux scientifiques considérés comme les plus beaux du siècle et qu'elle désorganisa pour dix ans l'enseignement public. A toutes ces raisons, un politique nous répondit un jour : Si l'on pensait à tout cela, on ne ferait jamais rien ! Nous préférons le mot de Sieyès : Quand on veut être libre, il faut savoir être juste. |
[1] Paul Brunet, Les Congrégations religieuses à Clermont-Ferrand avant la Révolution, mémoire pour le diplôme d'études supérieures d'histoire.
[2] Almanach royal, 1788.
[3] Nous résumons ces faits d'après l'ouvrage de M. Debidour : Histoire des rapports de l'Église et de l'État en France de 1789 à 1810, Paris, 1898, in-8°.