L'ÉGLISE ET L'ÉTAT EN FRANCE

TOME PREMIER — DEPUIS L'ÉDIT DE NANTES JUSQU'AU CONCORDAT (1598-1801)

 

LE JANSÉNISME.

 

 

Le Jansénisme a troublé la vie religieuse de la France pendant plus d'un siècle, et ses dernières traces apparaissent encore dans la constitution civile du clergé, qui fut, à notre avis. la faute capitale de la Révolution. Le Jansénisme est donc un fait extrêmement important de notre histoire religieuse. Si' l'on ajoute qu'il met en scène des hommes de premier ordre et nous donne le beau spectacle d'une lutte d'opinions en pleine période autocratique, on comprendra tout l'intérêt qui s'attache à son histoire.

On pensera, d'autre part, qu'il est impossible de rien comprendre à cette longue querelle si l'on n'en connaît très bien le point de départ et les motifs. Pour que la bataille ait été si acharnée, il faut que les principes en jeu aient été de la dernière gravité et conséquence. Cependant ces principes sont d'une telle nature qu'un esprit positif, tel que les études scientifiques en construisent tant de nos jours, se refuserait à leur attribuer la moindre valeur et le moindre intérêt et serait tenté de traiter de guerre folle toute l'histoire du Jansénisme. Tout lui paraîtrait s'y tourner en fumée et s'évanouir, ou se réduire du moins à une chose si vague, si imprécise, si complètement en dehors de notre connaissance et de notre entendement, qu'il se demanderait comment de pareilles questions ont jamais pu passionner les hommes et agiter le monde.

L'historien est tenu de se montrer plus compréhensif et plus libéral, et, bien que nous reconnaissions que la question débattue par le Jansénisme ne soit pas du domaine normal de la raison, nous ne lui dénierons pour cela rien de sa grandeur ni de son importance. Nous la prendrons au sérieux, comme il sied de le faire dans la patrie de Pascal, et quand on parle d'une doctrine pour laquelle ont lutté et souffert pendant de longues années un grand nombre d'hommes de grand caractère et de haute vertu.

Cornelis Jansen, évêque d'Ypres, était mort le 6 mai 1638 et avait laissé en manuscrit un grand ouvrage théologique, où il avait cherché à reproduire et à condenser tonte la doctrine de saint Augustin sur la grâce et la prédestination au salut. Il déclarait par testament qu'il ne pensait pas que l'on pût changer quelque chose à son ouvrage, que si pourtant le Saint-Siège y voulait quelque changement, il lui était un fils obéissant et soumis, ainsi que de l'Eglise, au sein de laquelle il avait toujours vécu jusqu'à ce lit de mort.

Ses exécuteurs testamentaires, jaloux de donner au public l'ouvrage monumental de leur ami, le firent imprimer en secret et à la hâte, et l'in-folio, revêtu de toutes les licences d'usage et dédié au cardinal-infant, frère du roi d'Espagne, parut à Louvain, à la fin de l'été 1640. Il eut grand succès en Allemagne. Les calvinistes de Hollande lui firent très bon accueil. Dès 1641, il était réimprimé à Paris. Saint-Cyran, prisonnier à Vincennes, le lisait avec délices, et ne voyait personne, après saint Paul et saint Augustin, qui eût parlé plus divinement de la grâce. Il l'appelait le livre de dévotion des derniers temps. Il disait que ce livre durerait autant que l'Eglise. Le nom de Jansénius triomphait dans le monde des doctes et des gallicans.

Il n'en était pas de même chez les Jésuites et leurs alliés. Avant même que le livre fût imprimé, les Jésuites l'avaient dénoncé à Rome et avaient supplié le pape d'en interdire la publication, Paul V ayant défendu jadis toute nouvelle controverse sur la grâce.

Quand le livre eut paru, les attaques recommencèrent. Dans trois sermons prêchés à Notre-Dame, M. Habert, théologal de l'église métropolitaine, dénonça l'Augustinus comme suspect d'hérésie et alla jusqu'à appeler Jansénius un Calvin rebouilli. La guerre était déclarée ; Saint-Cyran, enfin libre de prison, mobilisait contre Habert toutes les forces de son parti ; le Jansénisme entrait en scène.

Le livre qui commençait de faire tant de bruit n'apportait à la science théologique aucune nouveauté. Il consistait presque entièrement en une collection de textes de saint Augustin mis en ordre et en concordance et tendant à démontrer le premier état de santé, où a été la nature humaine, sa maladie et sa guérison. Il prétendait expliquer seulement la doctrine augustinienne, qu'il regardait comme le fondement de la religion et de la vraie piété.

L'homme a été créé libre, et a vécu libre dans le Paradis terrestre, mais le péché originel lui a fait perdre cette liberté ; ayant choisi une fois la voie du mal et de la mort, il y est resté engagé à jamais et, livré à ses propres forces, il court infailliblement à sa perte. Il est tellement perverti et gâté, qu'il ne peut, de lui-même, vouloir et faire que le mal. Il est, par nature, rebelle, méchant et damné.

Cependant la Rédemption a rendu son salut possible par l'application d'un remède surnaturel, qui est la grâce. Cette grâce, Dieu la donne à qui lui plaît. Ceux qu'il en juge dignes dans ses insondables jugements ne peuvent ni la refuser ni lui résister. Elle leur inspire un saint amour et un saint plaisir, qui leur font trouver leur bonheur à s'attacher à Dieu et à observer sa loi. Elle les conduit ainsi au salut. Ceux que Dieu laisse dans leur réprobation native y demeurent, et c'est- justice ; car l'homme n'a strictement droit qu'à la condamnation, et le salut est pour lui pure grâce et pur don.

Cette sombre doctrine, tout imprégnée de pessimisme et de misanthropie, pouvait convenir à la grandeur tragique de quelques âmes tout à la fois très hautes et très étroites, plus sensibles à l'imperfection et aux vices de la nature humaine qu'à la bonté de Dieu ; elle était manifestement contraire à l'idée que l'on doit se faire de la justice divine, elle enlevait à la moralité humaine son meilleur fondement ; en ôtant à l'homme son libre arbitre, elle risquait de le jeter dans le désespoir ou dans l'indifférence, puisque personne ne peut être sûr d'être en la grâce du ciel, et que dans le moment que l'on s'en croit le plus certain, l'orgueil et la présomption vous en éloignent davantage.

Les Jésuites n'eurent donc pas tort de s'élever contre la doctrine de Jansénius, et rendirent ainsi un réel service à la cause de la raison et de la morale ; mais il est étonnant que leur Société, si ennemie de toute liberté et si défiante des jugements humains, ait pris en cette affaire la défense du libre arbitre : nous allons voir que les raisons purement théologiques ne furent peut-être pas les seules qui les poussèrent à prendre le parti auquel on les vit s'arrêter.

Au moment où, sur leurs instances, Urbain VIII défendait la lecture de l'Augustinus aux fidèles, Antoine Arnauld, docteur en Sorbonne, le plus savant et le plus fougueux des jansénistes, publiait son traité De la fréquente communion (1643).

Dans les idées courantes des Jésuites, le salut pouvait s'obtenir par deux voies bien différentes : par la sanctification personnelle, qui portait l'homme à reconnaître ses fautes, à les détester, à prendre le ferme propos de n'y plus retomber. C'était la voie vraiment chrétienne. Mais, pour les esprits moins profonds et les cœurs plus faibles, il était une autre voie plus facile, où la simple crainte des châtiments éternels suffisait à assurer le salut du pécheur, pourvu qu'il y ajoutât la grâce résultant de la fréquentation des sacrements et de la pratique des bonnes œuvres.

Le P. Sesmaisons, directeur de la marquise de Sablé, était partisan de la dévotion aisée, mettait des coussins sous les coudes a des pécheurs et leur préparait un chemin de velours pour les conduire au Paradis. Il allait jusqu'à dire que plus on est dénué de grâce, plus on doit hardiment s'approcher de Jésus-Christ. C'est contre ce relâchement de la morale que s'éleva Antoine Arnauld. Il chercha à montrer combien il faut être renouvelé intérieurement déjà pour oser aborder les sacrements, et coin- bien il est sacrilège d'y venir chercher un remède superstitieux, cérémonial et comme mécanique, sans être déjà plus ou moins avancé dans la voie de la guérison spirituelle (Sainte-Beuve, Port-Royal).

Les Jésuites jetèrent aussitôt feu et flamme. Le P. Nouet prêcha contre le livre d'Arnauld à la maison professe de Saint-Louis, de la rue Saint-Antoine, et traita le docteur janséniste de mélancolique, de lunatique, de scorpion et de serpent ayant une langue à trois pointes.

Le P. Pétau écrivit contre Arnauld un gros livre, où il rappelait qu'en une certaine ville d'Italie, tout novateur devait paraître en public la corde au col, et qui voulait se prononcer contre ses nouveautés avait le droit de tirer la corde et de l'étrangler. Cette façon, ajoutait l'excellent Père, pourra sembler un peu trop rigoureuse ; mais l'intention en était louable, voire elle était nécessaire.

Beaucoup pensèrent, avec le maréchal de Vitry, qu'il fallait qu'il y eût quelque anguille sous roche et que les bons Pères ne s'échauffaient pas d'ordinaire si fort pour le pur service de Dieu.

Il y allait, en effet, de tous les intérêts temporels de la Société de Jésus. Elle avait pris comme l'entreprise du salut des gens du monde ; mais, pour qu'une large application de ses mérites vînt suppléer à l'insuffisance des leurs, il fallait que ses pénitents fréquentassent au moins ses églises, ses chapelles, ses confessionnaux, ses autels, la prissent pour directrice de leur conscience et distributrice de leurs aumônes. Si l'on allait prêcher une foi toute nue, donner à la vie intérieure et à la prière le pas sur les pratiques et sur les œuvres, on risquait de faire déserter les églises et d'ôter aux réguliers les aumônes qui leur étaient nécessaires pour développer leurs instituts religieux et charitables.

Saint Vincent de Paul, tout le premier, s'effrayait de cette crise possible de la dévotion : L'on ne voit plus, écrivait-il à l'abbé d'Horgni, cette hantise des sacrements qu'on voyait autrefois, non pas même à Pâques. Plusieurs curés se plaignent de ce qu'ils ont beaucoup moins de communiants que les années passées. Saint-Sulpice en a trois mille de moins... L'on ne voit quasi personne qui s'en approche les premiers dimanches du mois et les bonnes fêtes, ou très peu, et guère plus aux religions, si ce n'est encore un peu aux Jésuites. Le livre d'Arnauld lui paraissait n'avoir été fait qu'à dessein de détruire la messe et la communion.

Saint Vincent de Paul s'effrayait par piété, il est permis de croire que d'autres s'effrayèrent aussi des conséquences que pouvait avoir le livre d'Arnauld sur les intérêts de leur ordre, et n'en furent que plus animés à poursuivre la guerre contre les Jansénistes.

L'Augustinus n'avait encore été condamné que d'une façon générale et provisoire, comme ayant contrevenu à la loi du silence imposée par Paul V sur la question de la grâce. Les Jésuites rêvaient un triomphe plus complet, et furent fort aidés dans leur entreprise par la Compagnie du Saint-Sacrement, dont l'histoire nous est connue. Les plus intelligents de la Compagnie, dit le P. Rapin, qui connaissaient à fond les dangereuses suites de cette doctrine, résolurent de travailler à sa condamnation, et, s'étant adressés aux amis très zélés qu'ils avaient dans la Faculté de théologie de Paris, ils ne contribuèrent pas peu à les exciter.

Cette action de la Compagnie est d'autant plus notable qu'un certain nombre de confrères du Saint-Sacrement avaient eux-mêmes des tendances jansénistes. Il y avait scission morale dans la Compagnie. Une partie de ses membres attaquaient un système que d'autres membres considéraient comme la pierre angulaire de la religion. Et ce qu'il y eut de vraiment odieux, c'est que les confrères jansénistes furent tenus à l'écart de tout ce qui se faisait contre eux et leur parti. Ce fut comme une vaste intrigue, qui se joua dans l'ombre, qu'ils ne soupçonnèrent pas et qui devait avoir pour résultat de les expulser de la Compagnie. (R. Allier, La Compagnie du Saint-Sacrement.)

Le fer juillet 1649, Maitre Nicolas Cornet, syndic de la Faculté de théologie, dénonça comme hérétiques sept propositions tirées, disait-il, de l'Augustinus.

Un certain nombre de docteurs se rangèrent autour de lui, et il fut décidé que l'on rédigerait au nom de la Faculté une censure en forme, dont on demanderait au pape la confirmation.

Les Jésuites de Rome écrivirent à ceux de Paris que le pape accorderait volontiers la condamnation désirée, à condition qu'elle lui fût demandée par une portion du clergé.

La Compagnie marcha aussitôt en ce sens. Comme les pouvoirs de Nicolas Cornet expiraient, elle fit élire à sa place, le ter octobre 1650, un autre docteur, Hallier, favorable à la condamnation. Elle intrigua auprès des évêques réunis pour l'Assemblée du clergé, elle fit écrire aux autres ; elle se servit du zèle pieux de saint Vincent de Paul lui-même et le fit contribuer à ses desseins.

Au bout d'un an, elle avait réuni quatre-vingt-trois signatures d'évêques ; ces signatures ne représentaient, il est vrai, que des adhésions individuelles ; on en fit masse ; on les mit toutes au bas de la lettre écrite par M. Habert pour demander la condamnation, on lui donna l'apparence d'une requête adressée au Saint-Siège par l'épiscopat français presque tout entier.

Comme on manquait d'argent, on fit une collecte secrète, et, en 1652, trois docteurs de Sorbonne, Lagault, Loysel et Hallier, partirent pour Rome, où ils allaient presser le jugement de la cause.

Les Jansénistes envoyèrent de leur côté MM. de Saint-Amour, Brousse, de Lalane et Angran, auxquels se joignirent bientôt le P. Desmares, de l'Oratoire, et M. Manessier, docteur en Sorbonne.

Les théologiens jansénistes apprirent avec une certaine surprise qu'on s'occupait très peu de saint Augustin à Rome et que ses ouvrages y étaient même assez rares. Ils ne purent obtenir d'être entendus contradictoirement avec leurs adversaires, mais le pape consentit à les écouter à part et leur dit en les congédiant qu'ils avaient parlé avec vigueur, avec modestie, avec prudente et avec doctrine, et qu'ils avaient persuadé par de bonnes raisons tout ce qu'ils avaient dit. Ils se tenaient pour assurés de la victoire, quand ils apprirent qu'ils étaient condamnés.

Le pape se souciait, au fond, assez peu de Jansénius et de sa doctrine ; mais les Jésuites furent assez habiles pour lui montrer dans celte affaire une occasion providentielle de faire reconnaître son autorité par toute l'Eglise de France. L'idée lui parut si belle qu'il ne voulut même pas attendre pour trancher la question que les consulteurs eussent donné leur réponse sur la défense présentée par les docteurs jansénistes. Il raconta, plus tard, que le Saint-Esprit lui avait fait voir clairement la vérité et lui avait dévoilé, en un moment, les matières les plus difficiles de la théologie.

Cinq des propositions censurées par Cornet furent condamnées par le pape.

Voici le texte de ces fameuses propositions :

1. — Quelques commandements de Dieu ne peuvent être observés, même par les justes, parce que ceux-ci manquent de la grâce suffisante.

2. — L'homme ne peut résister à la grâce intérieure.

3. — Pour mériter ou démériter, il faut être affranchi de toute contrainte extérieure, mais non de la nécessité intérieure.

4. — Les semipélagiens erraient en prétendant que l'homme pouvait résister à la grâce ou la suivre.

5. — Il est semipélagien de dire que Jésus-Christ est mort pour tous les hommes.

Ces propositions, qui contenaient l'esprit de la doctrine janséniste, sacrifiaient le libre arbitre et changeaient le prédestiné en un automate, méritaient certainement d'être rejetées ; il est seulement regrettable que leur condamnation soit due surtout aux effets d'une intrigue et au zèle d'une coterie sournoise et peu scrupuleuse sur le choix des moyens.

La bulle de condamnation Cum occasione fut affichée à Rome le 9 juin 1653. Le 4 juillet, le gouvernement royal, aiguillonné en sous-main par la Compagnie, délivra des lettres patentes pour la faire recevoir dans tout le royaume, et les Conseillers du roi omirent même, cette fois, de faire suivre l'enregistrement des clauses restrictives d'usage.

Le 24 juillet, M. de Blampignon, directeur de la Compagnie, lui présenta la bulle. ... Elle fut reçue avec un grand respect, et l'on en dit le Te Deum, à la fin de l'Assemblée, pour rendre grâces à Dieu de ce qu'une dispute aussi importante à l'Eglise avait été terminée si heureusement ; et la bulle fut transcrite tout au long dans le registre de la Compagnie, pour marquer la soumission parfaite qu'elle avait au Saint-Siège et à ses décisions.

Le public, qui ne connaissait pas la Compagnie, attribua aux Jésuites tout l'honneur de la victoire de l'orthodoxie, et les Jansénistes virent en eux désormais leurs ennemis irréconciliables.

On vit alors combien l'esprit se moque des plus fortes barrières, et quelles ailes le font voler par-dessus.

Les Jansénistes se soumirent, mais gardèrent tous leurs sentiments et défendirent leur doctrine à l'aide d'une distinction si subtile que les Jésuites, leurs adversaires, eussent été sans doute bien empêchés d'en trouver une plus habile et plus politique.

M. Arnauld fit sa soumission comme tout le monde et protesta de ses respects infinis pour la bulle du pape. Il reconnut qu'en droit il n'y avait plus matière à discussion, puisque Rome avait parlé ; mais il soutint qu'en fait les fameuses propositions ne se trouvaient pas dans l'Augustinus.

Dès lors, toute l'argumentation des Jésuites tombait. Oui, ils avaient raison de condamner ces propositions vraiment hérétiques et scandaleuses ; mais, s'ils croyaient par là condamner Jansénius et sa doctrine, ils se trompaient du tout au tout, car jamais Jansénius n'avait avancé pareilles choses, et il s'en était tenu, comme s'y voulaient tenir ses amis, à la pure doctrine de saint Augustin, qui n'avait pas été, sans doute, taxé d'hérésie.

La colère des Jésuites fut grande, lorsqu'ils virent ainsi se relever d'un bond l'ennemi qu'ils croyaient avoir terrassé ; c'était l'hydre de la fable qui semblait reprendre des forces nouvelles chaque fois qu'on l'écrasait.

Ils entreprirent de condamner en Sorbonne la Lettre d'Arnauld à un duc et pair. Les débats furent si longs qu'ils triomphèrent jusque de la patience de Mazarin. Il disait à l'évêque d'Orléans qu'il était temps d'en finir, que les femmes ne faisaient que parler de cette affaire, quoiqu'elles n'y, entendissent rien, non plus que lui.

Arnauld fut condamné et accueillit sa condamnation par ces belles paroles : Il est quelque chose en moi où la fureur de la persécution ne peut atteindre, c'est l'amour pour mon Dieu qu'ils ne sauraient arracher de mon cœur.

Les Jansénistes, vaincus à Rome et à la Sorbonne, résolurent d'en appeler fièrement à l'opinion publique, grande idée, digne de ces vrais républicains qu'étaient Messieurs de Port-Royal ! Mais, pour lancer un projet si révolutionnaire, il fallait un clairon, et M. Arnauld, qui savait user de la massue, ne savait pas emboucher la trompette. Il rédigea une lettre et la vint lire à Port-Royal. Le silence de ses amis lui prouva que la lettre au public n'irait point à son adresse, et comme il n'était point jaloux de louanges, il se tourna vers un jeune homme qui était là et lui dit : Vous qui êtes jeune, qui êtes curieux, vous devriez faire quelque chose. Le jeune homme promit de s'y employer, et, le 23 janvier 1656, on colportait dans tout Paris une feuille in-quarto de huit pages d'impression, que l'on se passait de main en main, que l'on s'arrachait, et qui changeait bientôt en cris de rage les cris de triomphe des Jésuites et de leurs amis.

L'auteur de cette petite Lettre s'appelait Blaise Pascal. Il était né à Clermont, en Auvergne, il avait trente-deux ans et s'était adonné jusqu'alors à la mathématique et à la physique, où l'on savait qu'il excellait. Il n'avait encore rien écrit sur des matières qui ne fussent pas de science ; mais sa sœur, Mme Périer, nous apprend qu'il avait une éloquence naturelle, qui lui donnait une facilité merveilleuse à dire ce qu'il voulait. Il avait ajouté à cela des règles dont on ne s'était point encore avisé, dont il se servait si avantageusement qu'il étai maitre de son style ; en sorte que, non seulement il disait tout ce qu'il voulait, mais il le disait en la manière qu'il voulait, et son discours faisait l'effet qu'il s'était proposé.

Il y parut bien au prodigieux succès qu'obtinrent les Lettres de Louis de Montalte à un provincial de ses amis et aux Révérends Pères Jésuites sur le sujet de la morale et de la politique de ces Pères.

Ces lettres[1], imprimées en cachette, répandues par des amis dévoués et sûrs, finirent par être tirées à10.000 exemplaires, furent bientôt traduites en latin, condamnées par l'Index, par l'Inquisition d'Espagne, par le Conseil d'Etat de France, et imprimées en Allemagne, en Hollande, en France même, en dépit des prohibitions.

En lisant la première, le chancelier Séguier fut pris d'une telle fureur qu'il en pensa mourir. Il eut une congestion, il fallut le saigner sept fois pour le tirer de danger. A la septième, Mazarin éclata de rire. L'abbé Le Camus la lut à Louis XIV, le roi y prit lui-même un tel divertissement que le P. Annat lui interdit cette lecture, sous peine de damnation éternelle. La ville et la -Cour se passionnèrent pour ou contre. Les Pères ripostèrent vigoureusement, mais ne surent pas trouver dans leurs rangs un jouteur assez léger pour esquiver les horions de Pascal et lui porter à lui-même des coups sensibles. Il demeura maître du champ.

Les Provinciales sont au nombre de dix-huit et représentent une série de campagnes différentes entreprises par Pascal contre les Jésuites.

Les quatre premières, les moins intéressantes pour nous, sont consacrées à la discussion du cas de M. Arnauld et à disposer les gens qui avaient cru jusqu'alors, sur la foi publique, que les propositions étaient dans Jansénius, à se défier du contraire par le refus bizarre qu'on faisait de les montrer. De sorte qu'il était à craindre que cette censure ne fit plus de mal que de bien et qu'elle ne donnât à ceux qui en sauront l'histoire une impression tout opposée à la conclusion, car le monde, en vérité, devenait méfiant et ne croyait les choses que quand il les voyait.

Dès la cinquième lettre, le ton change et l'attaque se précise. Laissant là la question du fait et du droit, et Jansénius et Arnauld, Pascal se retourne contre l'adversaire et lui demande à son tour ses opinions, non plus sur la grâce ou la prédestination, puisqu'il est entendu qu'en ces matières les Jésuites ne sauraient errer, mais sur la morale, sur le permis et le défendu. Pascal feint d'abord de causer avec un Père Jésuite, puis il le congédie avec la dixième lettre et s'adresse dès lors à la Compagnie tout entière, qu'il rend responsable des écarts de ses docteurs. Enfin les lettres 17 et 18 sont adressées au P. Annat, confesseur du roi, reprennent la discussion du début sur la question de droit et la question de fait et lavent les Jansénistes de tout reproche d'hérésie.

C'est l'attaque contre la morale des casuistes de la Société de Jésus qui a fait le succès et. la popularité des Provinciales, c'est par là qu'elles nous intéressent encore, et il faut reconnaître que l'attaque a été menée avec une audace extrême et une merveilleuse adresse.

Pascal s'introduit au cœur de la place. Il met en scène un Jésuite, non point un de ces docteurs ou de ces diplomates qui faisaient la gloire de la Société, mais un simple Jésuite du commun, un de ces coadjuteurs spirituels, que la médiocrité de leur intelligence ou de leur instruction ne permettait pas d'admettre au sacerdoce, et qui demeuraient, à titre d'auxiliaires, dans les maisons de la Société.- Ce brave homme est sans malice et sans défiance, plein d'admiration pour la Société, la tenant pour la plus savante, la plus vertueuse, la plus puissante qui fut jamais. Pascal se fait introduire par ce bon serviteur jusque dans la bibliothèque des Pères, il se fait montrer par lui les bons livres, il se les fait ouvrir aux bons endroits, il lit avec une surprise parfaitement jouée les étonnantes assertions des docteurs jésuites sur les points en apparence les plus clairs et les plus incontestables de la morale.

Il se fait initier à la doctrine du probabilisme, d'après laquelle on ne saurait pécher mortellement, lorsque l'on a conformé sa conduite à une opinion regardée comme probable par les doctes. Et qu'est-ce qu'une opinion probable ? C'est parfois le sentiment isolé d'un seul docteur. Parfois, c'est moins encore. Il suffit pour vous absoudre que vous ayez suivi une opinion probablement probable. Les doctes sont si nombreux et si fertiles dans leurs inventions que vous seriez bien malheureux, si vous n'aviez un auteur derrière vous, et ainsi la diversité des opinions, dit le P. Escobar, permet de porter doucement le joug du Christ.

Les Pères ne sont inflexibles que sur un point ; ils rompent avec celui qui fait le mal pour le mal, qui a l'intention formelle de pécher pour seul dessein de pécher, ils regardent une telle perversité comme diabolique ; mais ils sont pleins d'indulgence pour le pécheur qui se laisse séduire par le plaisir ou les avantages du péché, ils lui enseignent qu'il peut suivre ses penchants en toute sécurité de conscience, pourvu qu'il sache diriger son intention. En dirigeant bien son intention et en s'attachant à quelque maxime probable, il est à peu près impossible d'errer et de tomber en la disgrâce du ciel.

S'il est, par exemple, un commandement absolu de la loi morale, c'est le Non occides du Décalogue. Tu ne tueras pas ! Voilà bien, ce semble, le type de l'impératif catégorique n'admettant ni si, ni mais, ni car. — Cependant les Pères ont découvert des cas où l'on peut tuer. En voici quelques-uns :

Il est permis de tuer celui qui veut donner un soufflet ou un coup de bâton, quand on ne le peut éviter autrement.

Mais ce qui est permis au gentilhomme ne l'est pas au vilain.

Encore que cette opinion qu'on peut tuer pour une médisance ne soit pas sans probabilité dans la théorie, il faut suivre le contraire dans la pratique, car il faut toujours éviter le dommage de l'Etat, dans la manière de se défendre. Or il est visible qu'en tuant le monde de cette sorte, il. se ferait un trop grand nombre de meurtres. On a donc, à la rigueur, le droit de tuer les médisants, on fera mieux de leur laisser la vie parce qu'on tuerait trop de gens.

On peut tuer un voleur, s'il tente de vous dérober une chose considérable ; mais quelle sera la limite au-dessous de laquelle on ne pourra tuer en conscience, et sans s'exposer à pécher ? Escobar la fixe, d'après Molina, à un écu d'or. De là cet étonnant axiome : On peut régulièrement tuer un homme pour la valeur d'un écu.

Si votre ennemi est disposé à vous nuire, vous ne devez pas souhaiter sa mort dans un mouvement de haine, mais vous le pouvez bien faire pour éviter votre dommage.

Voilà déjà une proposition bien étrange ; mais il y a mieux encore : Un bénéficier peut sans aucun péché mortel désirer la mort de celui qui a une pension sur son bénéfice.

Et voici qui dépasse toute créance : Un fils peut désirer la mort de son père et se réjouir quand elle arrive, pourvu que ce ne soit que pour le bien qui lui en revient, et non pas pour une haine personnelle.

On comprend, en face de pareilles monstruosités, l'indignation de Pascal :

Vraiment ! il me semble que je rêve, quand j'entends des religieux parler de la sorte. (Prov. V.)

Et l'on goûte très médiocrement la défense du Jésuite : Sachez que l'objet des Pères n'est pas de corrompre les mœurs ; ce n'est pas leur dessein, mais ils n'ont pas aussi pour unique but de les réformer : ce serait une mauvaise politique. Voici quelle est leur pensée. Ils ont assez bonne opinion d'eux-mêmes pour croire qu'il est utile et même nécessaire au bien de la religion que leur crédit s'étende partout et qu'ils gouvernent toutes les consciences, et parce que les maximes évangéliques et sévères sont propres pour gouverner quelques sortes de personnes, ils s'en servent dans ces occasions où elles leur sont favorables ; mais, comme ces maximes ne s'accordent pas au dessein de la plupart des gens, ils les laissent à l'égard de ceux-là, afin d'avoir de quoi satisfaire tout le monde... C'est par cette conduite obligeante et accommodante qu'ils ont ouvert les bras à tout le monde.

En plein succès, en pleine vogue, les Provinciales cessèrent de paraître, et l'on sait aujourd'hui pourquoi. Pascal s'est tu par scrupule de conscience, et la Mère Angélique faisait une neuvaine pour que les Jésuites revinssent à de meilleurs sentiments. Un bon serviteur de Dieu, dit-elle, a écrit à M. Dastin qu'il lui était venu en pensée que nous n'avions pas assez de charité pour nos adversaires... et que, jusqu'à cette heure, on s'est plus empressé à les combattre par la doctrine... et par autorité que par la charité, que nous devions donc à présent changer tous nos efforts dans la prière et la compassion.

La Mère Angélique avait raison. Ni les louables intentions de Pascal ni le mérite littéraire de son œuvre ne doivent nous empêcher de reconnaître que les Provinciales manquèrent leur but, firent appel à de fort tristes instincts et servirent dans la suite de modèle à presque tous ceux qui ont voulu attaquer le catholicisme.

Les Provinciales n'ont point réussi à gagner devant l'opinion la cause du Jansénisme, parce que les théories jansénistes étaient, nous l'avons vu, trop contraires à la sagesse moyenne contre laquelle rien ne peut aller ni prévaloir.

Elles ont, il est vrai, perdu de réputation la Société de Jésus, elles l'ont tuée moralement ; elles l'ont signalée à jamais à la haine des rigoristes et à l'invincible défiance de tous les hommes tant soit peu délicats et sincères.

Mais ce résultat ne s'est pas manifesté tout d'abord. Les Provinciales n'ont fait, sur le moment, qu'exaspérer la rage des Jésuites, et ce n'est que plus d'un siècle après que la défiance éveillée par les Provinciales a eu assez de force pour renverser la Société de Jésus, renversement qui a été la première atteinte sérieuse portée à l'Eglise depuis la Réforme.

Les attaques dirigées par Pascal contre la morale des Jésuites sont justes en elles-mêmes, mais il convient de faire remarquer qu'il a fait, lui aussi, de la casuistique sans paraître s'en douter.

Tandis qu'il s'attaque aux docteurs Jésuites, les nomme en toutes lettres et les livre à la risée, il demeure caché sous le pseudonyme assez pédant de Louis de Montalte.

Tandis que le libraire Savien, accusé à tort d'imprimer les Provinciales, est arraché à sa famille et mis en prison, Louis de Mon-talle écrit tranquillement ses lettres chez un ami.

Pascal reproche aux Jésuites leurs distinctions entre la théorie et la pratique, et trouve tout à fait légitime de distinguer la question de fait et la question de droit.

Il est allé jusqu'à dire : Ce n'est pas sur moi, mes Pères, que tombe le fort de cette accusation, mais sur Port-Royal, et vous ne m'en chargez que parce que vous supposez que j'en suis. Ainsi je n'aurai pas grand'peine à vous répondre... et à vous renvoyer à mes lettres, où j'ai dit : que je suis seul et en propres termes que je ne suis point de Port-Royal. Or il y a là une forte réticence. Pascal n'était pas de Port-Royal, en ce sens qu'il ne faisait pas régulièrement partie du petit groupe des solitaires ; mais il était connu de tous, il allait souvent les voir,

il était en étroite communauté de sentiments avec eux, et, si les hommes de Port-Royal ne l'avaient pas estimé des leurs, ils ne l'auraient sûrement pas chargé de leur défense. M. Brunetière dit avec raison que Pascal nous a donné le droit d'être scrupuleux pour lui. Il y a là une équivoque, qu'il est permis de trouver malheureuse.

Le public a paru partager l'indignation de Pascal contre la morale relâchée des casuistes ; mais il se pourrait bien faire qu'il y ait eu, dans cette vertueuse colère, beaucoup plus d'hypocrisie que de révolte du sens moral.

En réalité, la morale courante est beaucoup plus près des casuistes que des jansénistes.

Est-ce que les hommes observent plus scrupuleusement que les Pères le Non occides du Décalogue ? N'est-il pas permis de tuer à la guerre ? Ne déclare-t-on pas excusable en justice le meurtre du voleur pris en flagrant délit ? le meurtre de l'épouse adultère et de son complice ? le meurtre accompli en cas de légitime défense ? N'a-t-on pas tous les jours des trésors de miséricorde pour les crimes passionnels ? Nos jurés ne dosent-ils pas en véritables casuistes les circonstances atténuantes ?

Escobar permettait le duel, mais il ajoute : Est-ce que l'homme qui a reçu un soufflet n'est pas réputé sans honneur tant qu'il n'a pas tué son adversaire ? N'est-il pas juste d'observer ici qu'Escobar est Espagnol, que l'on tirait l'épée à Madrid pour le motif le plus futile, que l'hidalgo eût cent fois bravé la mort par simple point d'honneur, et qu'à ne point satisfaire au préjugé, il eût mené une existence méprisée et, intolérable ?

La plupart de ceux qui criaient au scandale eussent fait de la casuistique, sitôt qu'ils auraient été eux-mêmes en cause.

Alors pourquoi tout ce tapage ? pourquoi cet apparent courroux ?

Parce qu'au fond de l'âme humaine, est un mauvais ferment de haine jalouse, qui nous porte à nous réjouir du mal d'autrui ; surtout quand il s'agit d'hommes que l'estime publique a jusque-là mis sur un piédestal, et proposés au respect de chacun. Il y a dans cette gloire quelque chose qui nous offusque et qui nous gêne, et le jour où cette gloire est ternie et dissipée, une joie barbare nous envahit. Nous sommes des Vandales, nous aimons à renverser les statues des dieux.

Certes, les casuistes allèrent trop loin dans leur laisser-faire ; mais il y eut parfois dans leur indulgence une réelle charité et une vraie bonté.

Pascal et les Jansénistes condamnaient tout ce qui peut donner à la vie quelque attrait et quelque douceur. Une femme n'a point, d'après eux, le droit de se parer, si jeune, si charmante qu'elle soit. Combien n'aime-t-on pas mieux, en cette matière, l'opinion adoucie du bon Père Le Moyne : La jeunesse peut être parée, de droit naturel. Il peut être permis de se parer en un âge qui est la fleur et la verdure des ans. Mais il en faut demeurer là ; le contre-temps serait étrange de chercher des roses sur de la neige. Ce n'est qu'aux étoiles qu'il appartient d'être toujours au bal, parce qu'elles ont le don de la jeunesse perpétuelle. Le meilleur donc, en ce point, sera de prendre conseil de la raison et d'un bon miroir, de se rendre à la raison et à la nécessité et de se retirer quand la nuit approche.

N'est-ce point, à cette fois, du côté du casuiste qu'est la douceur et le bon sens ?

Le succès des Provinciales a été surtout un succès de scandale, dû en grande partie à ce qu'on n'avait encore jamais vu traiter si cavalièrement matières si graves et si hautes. Ce nouveau style fut très goûté ; mais le succès de Pascal devait lui susciter plus d'imitateurs qu'il ne le pensait, et le genre dont il avait donné le modèle devait être repris, un jour, par des hommes plus fins encore et infiniment moins religieux que lui.

Les Provinciales mirent les rieurs du côté de Pascal, mais l'autorité ecclésiastique resta très opposée au Jansénisme.

A la mort du pape Innocent X, le cardinal Chigi, très favorable aux Jésuites, fut élu, sous le nom d'Alexandre VII. Les Jésuites obtinrent de lui une confirmation solennelle de la bulle Cum occasione, où le pape affirmait, contrairement à la réalité, que les cinq propositions étaient bien extraites de l'Augustinus. Les Jansénistes, toujours en vertu de la distinction du fait et du droit, ne se crurent obligés qu'au silence respectueux vis-à-vis de la nouvelle bulle.

L'Assemblée générale du clergé la reçut avec soumission, le Conseil du roi l'approuva de même, et il fut décidé qu'un formulaire serait envoyé à tous les évêques de France, pour obliger les clercs à déclarer qu'ils condamnaient de cœur et de bouche la doctrine des cinq propositions de Jansénius, contenues dans son livre intitulé l'Augustinus. Le P. Annat eût voulu que tous les évêques de France reçussent, par lettre de cachet, exprès commandement de faire signer le formulaire à tous leurs prêtres ; mais Mazarin excédé lui répondit, avec humeur, que la Société de Jésus lui donnait à elle seule plus d'affaires que tout le royaume et que le roi avait déjà fait pour elle beaucoup plus qu'il ne devait.

Force fut bien au P. Annat d'attendre la mort de. Mazarin. Quand le cardinal fut mort, on reprit l'affaire et l'on présenta le formulaire aux religieuses de Port-Royal. Elles refusèrent de le signer sans restriction et opposèrent au formulaire officiel une déclaration que la Cour refusa d'admettre. L'archevêque de Paris, Hardouin de Beaumont de Péréfixe, les adjura par deux fois de se soumettre, s'emporta jusqu'à leur dire qu'elles étaient pures comme des anges, mais orgueilleuses comme des démons, et tira du monastère, pour les disperser en différents couvents, l'abbesse et onze religieuses. Un peu plus tard, il en bannit encore quatre autres. Il alla jusqu'à les menacer de leur interdire les sacrements si elles persistaient dans leur résistance.

Pour en finir avec la question janséniste, on demanda au pape d'envoyer lui-même un formulaire qui aurait, on le pensait du moins, plus de succès que celui des évêques.

Les religieuses refusèrent encore de le signer. Une ou deux signèrent pour se rétracter quelques jours plus tard, et, de guerre lasse, l'archevêque les fit toutes reconduire à Port-Royal, où elles furent tenues comme prisonnières pour avoir cru qu'il vaudrait mieux s'exposer aux plus grands supplices que de faire un léger mensongeet que d'attester qu'on croit ce qu'on ne croit pas est un crime horrible devant Dieu et devant les hommes.

Quatre évêques, MM. d'Alet, de Beauvais, d'Angers et de Pamiers, refusaient, comme elles, d'avouer comme certain et véritable ce qu'ils tenaient pour faux.

Enfin la mort d'Alexandre VII et l'élection du cardinal Rospigliosi, sous le nom de Clément IX, amenèrent une détente souhaitée depuis longtemps par tous les gens sages. Dix-neuf évêques pressèrent le pape de donner la paix à l'Eglise. Clément IX finit par y consentir et accorda la paix sous forme d'une lettre affectueuse aux quatre évêques opposants, qui avaient fini par accepter le formulaire avec explication.

Le Jansénisme parut ainsi éteint, après avoir troublé l'Eglise pendant 27 ans ; mais le P. Annat, interprète des Jésuites, entreprit de démontrer à Louis XIV qu'il y allait de la perte de la religion et de son Etat.

Pour ce qui est de la religion, répondit le roi, c'est l'affaire du pape ; s'il en est content, nous devons l'être vous et moi. Et pour ce qui est de mon Etat, je ne vous conseille pas de vous en mettre en peine ; je saurai bien y faire ce qu'il faudra.

 

 

 



[1] Cf. le Cours de M. Gazier à la Sorbonne : Pascal pamphlétaire et Pascal apologiste, publié par la Revue des Cours et Conférences (1905).