HISTOIRE DU PASSAGE DES ALPES PAR ANNIBAL

 

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE XIV.

 

 

Fin du récit de Polybe. - Repos de l'armée au pied des Alpes.  - Prise de Turin. -  Bataille du Tésin.

 

L'armée carthaginoise étant arrivée an pied des Alpes, le premier soin d'Annibal fut de ranimer le courage de ses soldats, et de leur fournir ce qui était nécessaire pour réparer leurs forces et celles des chevaux.

Lorsqu'ils furent suffisamment remis, Annibal invita d'abord les Taurini à faire une alliance, et à se liguer avec lui. Cette nation, située au pied des Alpes, faisait alors la guerre aux Insubres, et se méfiait des Carthaginois. Comme ils ne prêtèrent point l'oreille à ses propositions, il alla camper devant leur ville principale, l'emporta en trois jours, et fit passer au fil de l'épée tous ceux qui s'étaient opposés à lui. Par cet exploit, il répandit une telle terreur parmi les Barbares du voisinage, qu'ils vinrent tous d'eux-mêmes se rendre à discrétion.

Les autres Gaulois qui habitaient ces plaines, auraient bien voulu se joindre à lui, comme c'était d'abord leur intention ; mais les légions romaines ayant déjà traversé une grande partie de leur pays, et ayant échappé à leurs embuscades, ces Gaulois crurent qu'il était plus prudent de rester tranquilles ; il y en eut même quelques-uns qui furent forcés de prendre les armes pour les Romains.

Annibal, jugeant donc qu'il n'avait point de temps à perdre, s'avança dans le pays avec son armée, pour gagner et affermir par quelque exploit la confiance d'un peuple qui était si bien disposé en sa faveur.

Chap. 61. Dans ce temps, il reçut la nouvelle que Scipion avait fait voile depuis l'embouchure du Rhône, avec une partie de ses troupes, et les avait débarquées à Pise, dans l'Etrurie ; que pendant sa marche vers le Pô, il avait pris sous son commandement les troupes des préteurs Manlius et Attilius ; qu'il avait traversé ce fleuve, et qu'il était à peu de distance.

Chap. 62. Lorsqu'Annibal et Publius furent près l'un de l'autre, ils encouragèrent leurs troupes par les exhortations les plus convenables à la conjoncture présente. Annibal, après son discours, donna les ordres pour que son armée se mît en marche le lendemain à l'aube du jour.

Publius Scipion, pendant le même temps, avait déjà passé le Pô, et, voulant passer le Tésin, avait ordonné à des gens experts de jeter un pont sur cette rivière. En attendant qu'il fût achevé, il assembla le reste de ses troupes et les harangua.

Le lendemain, les deux généraux s'avancèrent le long de la rive du Tésin qui regarde les Alpes, les Romains ayant la rivière à leur gauche, et les Carthaginois l'ayant à leur droite. Au second jour, les fourrageurs, de part et d'autre, ayant donné avis que l'ennemi était proche, on campa chacun dans l'endroit où l’on se trouvait.

Au troisième jour, Publius avec sa cavalerie, soutenue des troupes armées à la légère, et Annibal avec sa cavalerie seule, s'avancèrent, chacun de son côté, dans la plaine, pour reconnaître leurs forces réciproques. Quand on vit à la poussière qui s'élevait, que l’on n'était pas loin les uns des autres, on se rangea en bataille.

Le consul romain ayant été blesse dangereusement dans le combat de cavalerie, qui fut à l'avantage des Carthaginois, se hâta de traverser les plaines pour gagner le pont du Pô et le faire passer à son armée. Il ne se croyait pas en sûreté dans un pays plat, près d'un ennemi qui lui était de beaucoup supérieur en cavalerie.

Annibal attendit quelque temps que Publius fit avancer son infanterie, mais voyant qu'il se retirait, il le suivit jusqu'au pont du Pô. Il ne put pas aller plus loin, parce que le consul, après avoir passé le pont, en avait fait enlever les planches. Il fit prisonniers environ six cents hommes que le général romain avait postés à la tête du pont pour favoriser sa retraite.