HISTOIRE DU PASSAGE DES ALPES PAR ANNIBAL

 

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE IV.

 

 

Narration de Polybe, contenant la marche d'Annibal depuis le passage du Rhône jusqu'à l'entrée des Alpes. Description du pays qu'on appelait l'Isle. — Annibal dans sa route affermit sur le Trône un Prince Allobroge.

 

Chap. 47. LORSQUE les éléphants eurent été transportes de l'autre côté, Annibal les plaça avec la cavalerie, à l'arrière-garde. Il les conduisit le long du fleuve, laissant la mer derrière lui, se dirigeant vers l'est, et, pour ainsi dire, vers l’intérieur de l'Europe.

Le Rhône prend sa source au-dessus du golfe Adriatique, inclinant vers l'ouest, dans cette partie des Alpes qui s'abaisse vers le nord. Il coule vers le couchant d'hiver[1], et se jette dans la mer de Sardaigne. Il suit pendant longtemps une vallée, dont le côté nord est habité par les Ardues Celtæ, tandis que le midi est bordé par ces pentes des Alpes qui descendent vers le nord. Les plaines sur le Pô, dont nous avons déjà beaucoup parle, sont séparées de la vallée du Rhône par les sommets des montagnes ci-dessus mentionnées, qui s'étendent depuis Marseille jusqu'au fond du golfe Adriatique. Ce fut en passant ces sommités qu'Annibal entra en Italie, depuis les bords du Rhône[2].

Chap. 49. Trois jours après que les Carthaginois eurent levé leur camp, le consul romain arriva à l'endroit où les ennemis avaient traversé le Rhône. Il fut extrêmement surpris qu'ils eussent pris cette route pour aller en Italie, car il ne croyait pas qu'ils fussent assez téméraires pour l'entreprendre. Il retourna sur-le-champ vers ses vaisseaux, se rembarqua avec son armée, et retourna en Italie, pour atteindre, le pied des Alpes avant Annibal.

Annibal ayant fait une marche de quatre jours depuis le passage du fleuve, arriva à ce qu'on appelle l’Isle, qui est un pays peuplé et fertile en blé. Il tire son nom des particularités de sa situation ; car le Rhône d'une part, et le Scôras de l'autre, chacun coulant le long d'un de ses côtés, lui donnent une figure en pointe à leur confluent.

Ce pays ressemble beaucoup, pour la grandeur et pour la forme, à ce qu’on appelle le Delta en Egypte, excepté que Ta hier et les bouches des fleuves[3] ferment un des côtés de ce dernier, et qu’un des côtés du premier est fermé par des montagnes d'une approche et d'une entrée difficiles : nous pourrions dire même qu'elles sont presque inaccessibles.

A son arrivée dans ce pays, Annibal trouva deux frères qui se disputaient la souveraineté, et qui étaient campés l’un devant l'autre. L'aîné vint à lui, et lui demanda son assistance pour le maintenir dans son gouvernement. Annibal, voyant d'une manière évidente tous les avantages qui en résulteraient pour lui, prêta une oreille favorable à sa demande. Il joignit ses forces à celles de ce prince, et chassa l'autre.

Pour prix de ce service, l’aîné, non-seulement fournit libéralement l’armée de provisions et d'autres choses nécessaires, mais encore il donna aux soldats des armes neuves, à la place de celles qui étaient vieilles et usées. Il fournît de plus à la plupart d'entr’eux, des vêtements et même des chaussures, pour les mettre en état de passer les montagnes.

Ce qui fut pour eux un service plus essentiel, c'est que ce prince forma avec ses troupes l'arrière-garde des Carthaginois, pour mettre à l'abri de tout danger, pendant qu’ils traversaient le territoire des Gaulois appelés Allobroges. Il protégea et assura ainsi leur marche, jusqu'à l'entrée dans les Alpes.

Chap. 50. Annibal ayant marché pendant dix jours le long du fleuve, et ayant parcouru une distance de 800 stades, commença la montée vers les Alpes : c'est alors qu'il fut exposé à de très-grands dangers. Tant que son armée fut dans le plat pays, les chefs inférieurs des Allobroges s'étaient tenus éloignés, craignant la cavalerie, ou les Barbares qui escortaient l'armée.

Nous suspendrons une seconde fois la narration de Polybe, pour déterminer la route que suivit Annibal jusqu'à l’entrée des Alpes, pour comparer les distances, pour chercher qu’elle est la rivière que Polybe appelle Scôras, et quelle partie de l'ancien Dauphiné était comprise dans le pays qu'on appelait l'Isle.

 

 

 



[1] C'est-à-dire vers le sud-ouest.

[2] Le chapitre 48 se trouvera cité dans une autre partie de l’ouvrage.

[3] Les embouchures des deux bras du Nil.