Menaces de représailles. — La ville en est préservée par son nouvel évêque, Henri Arnauld. — Réconciliation du maréchal de Brézé avec les Angevins. (Avril-septembre 1649.)Après une révolte si bruyante et si prolongée, les Angevins devaient s'attendre à un rigoureux châtiment. Abandonnés par La Trémoille et La Boulaye, qui, la paix faite, étaient partis sans même payer leurs dettes de cabarets[1], les insurgés de la veille tombèrent tout à coup dans le plus profond abattement. Plus de noblesse pour les défendre. Plus de maire pour les représenter et parler an nom de la ville : ils venaient de le chasser. Le vice-maire, Moynard, n'avait ni l'autorité, ni l'influence, ni peut-être le courage nécessaires pour les préserver du péril. Le peuple angevin, tout à l'heure menaçant, maintenant consterné, sentait que le traité de Rueil n'avait pas été fait pour lui. Du reste, avaient-ils bien le droit d'en réclamer le bénéfice, ceux qui avaient protesté si brutalement contre la paix en poursuivant dans les rues l'infortuné Cupif et le forçant à quitter la ville ? Au milieu de l'abattement presque général, quelques nobles cœurs se vouèrent à la tâche ingrate d'apaiser les colères et de conjurer les vengeances que venaient de provoquer les Angevins. Les magistrats, chefs de ce parti qui avait fait tant d'efforts pour prévenir la révolte, ne voulurent plus voir dans les anciens frondeurs que des concitoyens et des frères. Leur fidélité bien connue au gouvernement royal leur permettait de parler haut. Mais il y avait de leur part, il faut l'avouer, courage et générosité à confondre leur sort avec celui de leurs ennemis malheureux, et à revendiquer en face d'un maître prêt à punir une solidarité qu'ils avaient eu la sagesse de repousser devant la rébellion triomphante. Dans quelles dispositions d'esprit était le maréchal de Brézé ? Dans quelle mesure se proposait-il de châtier la ville ? Son caractère, sa conduite en janvier 1648, sa lettre à Jalesnes du 25 mars, faisaient craindre qu'il ne se portât aux dernières violences contre cette ingrate cité. Il allait venir sans doute de Saumur avec des troupes, le fer et le feu à !a main — c'étaient ses propres expressions[2] — et se venger cruellement de l'affront que ce peuple lui avait fait en recevant M. de La Trémoille. Il fallait au plus vite le voir, le supplier, essayer de l'adoucir. Dès le 9 avril, deux magistrats, Goureau et Verdier, qui faisaient partie du Corps de Ville, lui furent députés par le Conseil, pour le remercier d'avoir envoyé la déclaration du Roy pour la paix et pour luy faire des offres de services du général et particulier et le supplier de nous conserver sa bonne volonté et protection[3]. Le lendemain, le Présidial chargea encore d'une mission semblable trois de ses membres les plus respectés, le premier président Lanier de Saint-Lambert et les conseillers de La Bigotière et Audouin[4]. L'intervention de Lanier, qui jouissait d'un certain
crédit auprès du maréchal, pouvait être décisive. Pourtant les deux
députations n'obtinrent rien du gouverneur. Verdier et Goureau revinrent
tristement, le 12 avril, rapporter au Corps de Ville que Brézé n'avait point
voulu faire de promesses. Rien n'avait pu désarmer sa colère. Le même jour,
Jalesnes sommait le vice-maire de faire mener au
chasteau quantité de provisions, de farine, bleds, chairs, sel, vins et
autres. Enfin, une lettre, arrivée de La Flèche, augmentait encore,
s'il était possible, la consternation des Angevins. L'excellent Cupif qui,
dans sa disgrâce, ne songeait qu'à rendre le bien pour le mal, écrivait à ses
collègues que le marquis de Jarzé, seigneur d'Anjou, fort attaché au prince
de Condé, était à Montmirail avec quantité de
troupes, et qu'il se dirigeait vers la ville[5]. Le pauvre maire
offrait encore ses bons offices. Mais que pouvait-il faire en cette
circonstance ? La nouvelle qu'il annonçait n'était que trop vraie. Le
gouvernement était fort irrité de l'insurrection angevine qui, du reste,
avait été démesurément grossie par de faux rapports. On croyait, à
Saint-Germain, le château d'Angers rasé par les révoltés, ou du moins près de
l'être[6]. Aussi après la
pacification de Paris, s'était-on hâté d'envoyer au secours de Jalesnes et de
Brézé une petite armée, bien pourvue d'artillerie et commandée par un homme
qui connaissait à merveille l'Anjou, Angers et les Angevins. Jarzé avait,
disait-on, commission de démanteler la ville, luy
oster ses privilèges et la rendre taillable[7]. Après
l'exécution qu'ils avaient subie en 1648 pour un simple retard dans le
paiement des taxes, les Angevins pouvaient en effet s'attendre à ce
redoublement de rigueur. Les rumeurs les plus sinistres circulèrent. On se
représenta d'avance toutes les horreurs d'une ville prise d'assaut : le
pillage, l'incendie, les supplices, les proscriptions. Un contemporain nous montre
les habitants effarez et songeant au délogement des
femmes et filles ou au desménagement, ou se déterminant à la résistance en
cas de violence[8]. C'en était fait sans doute des libertés municipales d'Angers, et la ville eût été frappée d'un tel coup qu'elle ne s'en fût jamais relevée, s'il ne s'était trouvé juste à ce moment un homme de grand caractère et de grand cœur pour la sauver. L'abbé de Saint-Nicolas, Henri Arnauld, récemment promu à l'évêché d'Angers, obtint par ses prières et son insistance la grâce que Saint-Lambert avait vainement sollicitée du maréchal. Cet ange de paix[9], dont l'Anjou doit à jamais vénérer et bénir la mémoire, ce prélat doux et ferme, qui, pendant une vie de près d'un siècle, donna l'exemple de toutes les vertus, de tous les dévouements, de tous les sacrifices, devait à ses services non moins qu'à son nom le crédit dont il jouissait en haut lieu. Fils du grand avocat Antoine Arnauld, frère du célèbre controversiste qui porta le même nom, ainsi que d'Arnauld d'Andilly, il s'était montré de bonne heure digne de sa race. Distingué, à 23 ans, par le cardinal Bentivoglio, qui l'avait emmené à Rome, il avait fait sous ce maitre habile l'apprentissage de la diplomatie. Plus tard, protégé par Richelieu, il avait obtenu la riche abbaye de Saint-Nicolas d'Angers et avait été désigné plusieurs fois pour l'épiscopat. Mais il avait montré peu d'ambition. Mazarin, qui appréciait aussi ses talents et sa probité, dut presque violenter sa modestie pour lui faire accepter en 1645 l'ambassade de Rome. Durant trois années, Arnauld remplit avec autant d'adresse que d'énergie la délicate mission dont il avait été chargé auprès du Saint-Siège. Mais n'aspirant qu'à la retraite, il ne cessait de demander son rappel. Le gouvernement dut céder à ses vœux, mais non sans lui témoigner bien haut son entière satisfaction (1648). L'abbé de Saint-Nicolas eut, du reste, bientôt après, une preuve éclatante de la reconnaissance royale. Le siège épiscopal d'Angers, le seul qu'il ambitionnât, étant devenu vacant en janvier 4649, Aime d'Autriche et Mazarin le lui conférèrent sans hésitation. Ils ne pouvaient donner cette place à un sujet plus loyal ni à un meilleur chrétien. Au commencement d'avril, Henri Arnauld, qui n'avait pas encore été sacré — n'étant qu'évêque désigné —, n'avait pas le droit de prendre possession de son diocèse. Mais il avait hâte de le venir visiter ; car il savait que sa présence y pouvait faire beaucoup de bien. Aussi le voyons-nous, dès cette époque, se diriger vers l'Anjou, dont la capitale était encore occupée par le duc de La Trémoille. Il dut s'arrêter d'abord à Saumur, et le fit sans cloute volontiers, car il y pouvait voir le maréchal et intercéder en faveur des Angevins. L'arrivée de ce haut personnage dans la province fit renaître un peu d'espoir dans la ville. Le 12 avril, sur le rapport de Verdier et de Goureau, un troisième échevin dut aller à Saumur supplier le prélat, dit le Registre des Conclusions, d'employer son credit auprès de M. le Mareschal pour destourner l'orage dont nous sommes menacez par les troupes du sieur de Jarzé[10]. Cette démarche était inutile. Le bon prélat avait adressé déjà bien des prières au gouverneur. Il les renouvela. Mais Brézé était encore trop prévenu et trop irrité contre les Angevins pour les écouter. Henri Arnauld, craignant de l'exaspérer en prolongeant ses instances, dut le quitter sans avoir pu tirer de lui aucune parole satisfaisante. L'évêque désigné entra tristement à Angers, le 14 avril au soir, et alla loger dans son abbaye. Le lendemain, tous les corps de la ville allèrent le complimenter et le remercier[11]. Mais au lieu de la joie qu'en d'autres circonstances ils eussent manifestée à sa vue, ils ne purent exprimer qu'une terreur profonde, trop justifiée par l'imminence du péril. Les troupes de Jarzé avançaient toujours. Le 16 avril, elles étaient à Saint-Maixent, près Montmirail. Le maire Cupif faisait de vains efforts pour retarder la marche de cette armée dévastatrice, devant laquelle les paysans affolés fuyaient de toutes parts. Le Corps municipal résolut d'implorer une dernière fois la miséricorde du maréchal. M. de Saint-Lambert, les échevins Girault et Verdier et le greffier de l'hôtel de Ville, Gaspard le Poitevin, furent chargés d'aller le trouver et de faire tous leurs efforts pour le fléchir[12]. L'accueil qu'il fit à cette députation ne fut pas de nature à relever le courage des Angevins. M. de Saint-Lambert et ses collègues, partis le 17 avril, trouvèrent, presque au sortir de la ville, le gouverneur, qui était venu prendre possession des Ponts-de-Cé. Le premier Président luy fit les excuses, les soumissions de la ville, mais avec tant d'affection que les larmes accompagnoient ses paroles. Brézé répondit qu'il s'étonnait de ce que celuy qui avoit esté auparavant en grande presse, menasse du pillage, contraint de se faire garder, intercédoit pour des mutins, que néantmoings il lui donneroit ce qu'il pourroit. Il fallut se contenter de cette assurance équivoque. Le maréchal, sans vouloir entrer à Angers, partit pour le château du Verger, sur la route de La Flèche, afin de se rapprocher de Jarzé. Les députés, voulant faire leur devoir jusqu'au bout, l'y suivirent, plus morts que vifs. Ils y trouvèrent un auxiliaire puissant en la personne de
l'abbé de Saint-Nicolas, qui, n'y tenant plus, s'était, lui aussi, remis en
campagne et voulait à tout prix sauver les Angevins. Le château du Verger
était alors la résidence du prince et de la princesse de Guéméné, qui
s'étaient hautement prononcés contre la Fronde. L'un et l'autre cependant
joignirent leurs instances à celles du Prélat et des Angevins. Tout fut
inutile. Le maréchal répondit seulement qu'il aviserait lorsqu'il serait à La
Flèche et qu'il aurait conféré avec le marquis de Jarzé. Ce que voyant
Arnauld déclara qu'il ne le quitterait pas. Ainsi firent les députés. A La
Flèche, le gouverneur essaya de se dérober aux sollicitations en prétextant
les affaires qui l'accablaient. L'évêque le vainquit enfin en opiniâtreté. Il eut une patience de huit heures entières pour
l'attendre, et enfin après une longue conférence obtint qu'en cas que les
habitans luy rendissent les déférences deues
à un gouverneur, il leur feroit voir sa bienveillance[13]. Cette bienveillance était, il est vrai, toute relative, car le maréchal ne renonça point à l'idée de faire occuper militairement la ville. Mais il promit que de toutes les troupes de Jarzé il n'entrerait à Angers que le régiment d'infanterie de la Reine et le régiment de cavalerie de Villette. Force fut donc de se contenter de cette grâce incomplète. Le prélat et les députés la reçurent avec la joie la plus vive et la reconnaissance la plus sincère. Ils se disaient que la réaction bienveillante qui commençait à se produire dans l'âme de Brézé ne s'arrêterait pas là ; que le maréchal était à demi-gagné ; et que ce cœur violent, mais loyal et impressionnable, ne résisterait pas longtemps à de bons procédés et à des attentions délicates. Ils coururent sans retard vers la ville pour y annoncer la bonne nouvelle. Dans la matinée du 20 avril, ils allèrent par les rues d'Angers, à cheval, répétant et commentant le message dont ils étaient porteurs. Ils assuraient que la garnison serait peu nombreuse, qu'elle ne commettrait ni violences ni désordres, que le maréchal serait là du reste, pour la surveiller et la contenir ; mais qu'il fallait le bien recevoir ; qu'il était surtout urgent que les lois reprissent leur empire, que le trafic du sel, qui continuait ouvertement malgré de récentes ordonnances et causait chaque jour des rixes et des meurtres, fût entièrement abandonné[14]. Il va sans dire que ces conseils furent écoutés avec soumission. Les Angevins n'en étaient plus à marchander leur obéissance. On se prépara immédiatement à recevoir le gouverneur, qui devait arriver dans l'après-midi du même jour. Il vint en effet à quatre heures et fut presque porté en triomphe. Mille ou douze cents bourgeois, montés sur de beaux chevaux et ayant à leur tête l'abbé de Saint-Nicolas, étaient allés au-devant de lui jusqu'à trois ou quatre lieues d'Angers. Le Corps municipal tout entier le reçut à la porte Saint-Michel. Le vice-maire Moynard le harangua, lui présenta les clefs de la ville et lui offrit les présents ordinaires de bougies et de vin. Le peuple, qui remplissait les rues, l'escorta aux cris mille fois répétés de : Vive le Roi et Monseigneur le Maréchal ! jusqu'au logis Barrault, dont la porte était ornée des armes de Brézé[15]. Cette réception sympathique, cette joie naïve de toute une ville qui l'accueillait en père après l'avoir si longtemps traité en ennemi, cet hommage rendu à sa magnanimité, touchèrent si fort le maréchal qu'à partir de ce moment il se déclara presque l'ami des Angevins. Ces enragez que, la veille encore, il parlait de châtier avec la dernière rigueur, lui paraissaient maintenant dignes de son estime et de ses égards. Il se fit présenter le docteur Voisin et le conseiller Lemarié — l'ex-major des milices insurgées —. Il voulut même voir la compagnie dite des Loricards, formée des artisans et bateliers du quai Ligny, des rues Baudrière, de la Poissonnerie, etc. C'étaient les frondeurs les plus déterminés et les plus compromis. Loin de leur faire des reproches, il leur dit qu'il estimoit leur résolution. Ces braves gens le quittèrent ravis de sa bonhomie. Quelques jours après (27 avril), ils vinrent le prier de poser la première pierre d'une pyramide qu'ils voulaient faire bâtir en son honneur à l'entrée du port Ligny. Il se rendit de bonne grâce à leurs désirs, descendit dans la foncée et mist douze pistoles sur ladite pierre. Le monument fut construit aux frais communs des Loricards et du Corps de ville ; et l'on grava sur une de ses faces cette inscription, qui remplit d'aise le Maréchal : Magne Brezæo, Franciæ
polemarcho, Andegaviæ moderatori, hoc
monumentum Strenna Loricardi proies
erexit, Cujus ipse fundamenta jecit 4 Cal. Maii, anno reparatæ
salutis 1649, regnante Lud. XIV a Deo dato[16]. Brézé ne fut pas moins sensible à la marque de déférence qui lui fut donnée le ter mai par le corps électoral. Le mandat du maire Jean Cupif allait expirer. Le maréchal avait témoigné le désir qu'on lui donnât pour successeur un conseiller au Présidial, Audouin de la Blanchardière, dont il appréciait l'esprit à la fois ferme et modéré. L'unanimité des suffrages se porta sur ce candidat, et Brézé eut encore la satisfaction de voir nommer comme échevins deux tic ses protégés, un ancien magistrat, Audouin de bannes, et un marchand nommé du Port[17]. Il ne faut donc pas s'étonner du soin qu'il prit d'épargner à la ville les représailles et les brutalités militaires qu'il lui avait prodiguées en 1648. D'abord il mit en liberté un certain nombre d'habitants que les archers de la Gabelle avaient arrêtés à la Pointe[18]. Quant aux troupes, il ne voulut pas qu'elles vécussent à discrétion. Six à sept cents fantassins et quatre cents cavaliers entrèrent à Angers, du 21 au 24 avril. Ils furent logés presque tous chez les hôteliers et cabaretiers. La ville dut s'engager à payer chaque jour 756 livres pour le régiment de la Reine et 1.600 livres pour le régiment de Villette. Elle dut aussi fournir quotidiennement 800 pains de 24 onces chacun pour la nourriture des troupes. Ceux des habitants qui avaient à loger des soldats ou des officiers étaient déchargés de la taxe. Beaucoup d'autres cherchèrent à s'en faire exempter. Mais pour couper court aux réclamations, le maréchal déclara qu'il paierait lui-même sa part de l'impôt comme habitant de la paroisse de Saint-Michel-la-Palud, et il fist bailler aux collecteurs 150 livres, qu'il les força de prendre[19]. Dès ses premières entrevues avec les officiers municipaux (21, 22 avril), il leur avait offert ses bons
offices pour obtenir des ministres d'Estat le
deslogement des troupes au plus bref temps possible. En attendant la
réponse que devait rapporter de Paris son envoyé, M. de Monac, il donnoit bonne assurance que le tout se passeroit sans
aucun désordre, et que s'il en arrivoit quelqu'un, il feroit faire chastiment
exemplaire. Effectivement, quelques soldats ayant maltraité M. de la
Boulaye, procureur du Roi au Présidial, il les fit mettre en prison. Il ne
les remit en liberté qu'à la prière de ce magistrat, et après leur avoir
adressé une rude réprimande. Le maréchal
partit pour Milly le 5 mai. Le jour même, trois soldats dévalisèrent et
tuèrent un jeune écolier d'Ancenis. Mais les instructions du gouverneur
furent sévèrement exécutées. Deux des meurtriers purent être arrêtés. L'un
fut décolé, à cause qu'il estoit cavalier, et
l'autre fut pendu. Cet exemple suffit ; les troupes se tinrent dès lors dans
le devoir[20]. Malgré ces adoucissements, l'occupation militaire, qui se prolongea près de quatre semaines, était très-douloureuse à une ville presque ruinée par les exactions des années précédentes. Le Corps de ville avait chargé les délégués des paroisses de lever la taxe ordonnée pour l'entretien des troupes d'après le rôle des Subsistances de 1643. Mais les sommes sur lesquelles il avait compté furent loin de rentrer en entier. Les deux régiments ne reçurent que 40.000 livres en numéraire. La moitié des habitants étaient sans ressources[21]. La municipalité aux abois, dut s'adresser au clergé, qui, cédant à ses instances, offrit 2.400 livres (14 mai) par aumone et charité pour le soulagement de beaucoup de familles qui n'avoient aucun moyen de payer les taxes. Le Corps de ville dut, d'ailleurs, reconnaître que le dit clergé n'y estoit tenu, et que cette concession ne tirerait pas à conséquence[22]. La misère publique augmentait chaque jour. Le blé se vendait, comme l'année précédente, 20 francs le setier[23]. Le Maire et les Echevins réitéraient vainement leurs injonctions aux collecteurs de la taxe. Ceux-ci mettaient autant de négligence à percevoir que les contribuables en témoignaient à payer. Les esprits, un instant rassérénés, recommençaient à s'assombrir. Le 13 mai, une rixe entre un soldat de garde au logis Barrault et des habitants du quartier de la Vieille-Chartre faillit amener une collision générale. Les troupes coururent aux armes. Les Angevins en firent autant. Fort heureusement l'abbé de Saint-Nicolas et M. de Saint-Lambert, s'étant trouvés par hasard sur le lieu du tumulte, rétablirent la paix et prévinrent une catastrophe[24]. Les ordres que Brézé avait fait demander à la Cour arrivèrent enfin, et la garnison sortit d'Angers le 17 mai. Il était temps. Les Angevins perdaient patience. Une plus longue occupation les eût sans doute poussés au désespoir. Le curé frondeur de Sainte-Croix, qui a consigné sur son journal les principaux faits de cette histoire, ne peut retenir un soupir de joie et de soulagement en rappelant le départ des soldats. Deus custodiat exitum eorum ex hoc nunc et osque in sœculum[25]. C'est le cri du cœur ; et tous les Angevins le poussèrent d'un même élan. Quoi qu'il en soit, on voit que la ville avait été relativement bien traitée. Une révolte déclarée en 1649 lui avait coûté moins d'argent et de pleurs que n'avait fait, en 1648, un simple retard dans le paiement de l'impôt. Le maréchal de Brézé avait subi malgré lui la douce et charitable influence de l'abbé de Saint-Nicolas. Il faut dire aussi, sans diminuer le mérite de ce prélat, que le beau-frère de Richelieu, boudeur incorrigible, voué par caractère au rôle de mécontent, était peut-être plus porté qu'il ne le croyait lui-même à s'entendre avec les Frondeurs. Blessé dans son amour-propre, plutôt que dans ses convictions, par la préférence que les Angevins avaient accordée au duc de La Trémoille, il leur pardonna dès qu'ils s'adressèrent à sa vanité et qu'ils surent le flatter. Plusieurs lettres de lui, écrites durant cette période de la guerre civile, montrent qu'il vivait en assez mauvais termes avec Mazarin et qu'il ne tenait ce ministre qu'en médiocre estime. Quelques mois plus tard, il devait se donner ouvertement à la Fronde. Il faut enfin remarquer que Brézé, quoique âgé seulement de 52 ans, était de fait un vieillard ; que la maladie et les chagrins[26] avaient ruiné ce corps, autrefois si vigoureux, et détendu cette âme, jadis si énergique. Le maréchal se sentait mourir. Dégoûté depuis longtemps de son gouvernement, il avait hâte de le quitter. Mais il semblait tenir à ce que les Angevins gardassent de lui une bonne impression et un souvenir sympathique. Il reparut encore une fois dans le chef-lieu de sa province. Nous l'y retrouvons le 9 juillet 1649. Son humeur impérieuse semble un instant sur le point de renaître. Il exige que les clefs de la ville lui soient portées chaque soir au logis Barrault. Mais le maire Audouin qui, pour avoir accepté, peu auparavant, une candidature officielle, n'avait pas entendu aliéner son indépendance, s'oppose, au nom de la Charte municipale, à cette prétention. Le Corps de ville représente énergiquement à Monseigneur l'interest qu'a cette compagnie de conserver le droit de garder les clefs des portes de la ville, comme le principal des privileges attachez à MM. les Maire et Eschevins, et duquel ils ne se peuvent départir sans honte et prévarication[27]. Rien ne prouve que le maréchal ait pris cette résistance en mauvaise part. En tout cas la bonne intelligence entre lui et le Corps de ville ne fut pas longtemps troublée. Car dans le courant du mois d'août, comme il allait partir pour les eaux de Pougues, une députation municipale alla le voir à Milly, pour le remercier encore une fois de ses bons offices. Elle rapporta qu'elle l'avait trouvé disposé à faire tout ce qu'il pourrait pour le bien et advantage de cette ville et pour le soulagement des habitans. Nous avons lieu de croire que ce furent les derniers rapports du maréchal avec les Angevins. Le 10 septembre 1649, son successeur au gouvernement de l'Anjou était nommé. Malheureusement la province n'allait guère gagner au change. Le nouveau gouverneur, quoique plus doux que Brézé, devait faire plus de mal que lui à un pays et à une ville déjà si cruellement éprouvés. |
[1] V. les réclamations adressées, à ce sujet, au Corps de ville, le 15 juin 1649. Archives anciennes de la Mairie, série BB, registre 82, fol. 22.
[2] Mémoires de l'abbé Arnauld, dans la collection Petitot, 2e série, t. XXXIV, p. 283.
[3] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 303.
[4] Registre du Présidial, p. 9, 10.
[5] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 303.
[6] Journal de Jousselin, p. 441.
[7] Journal de Jousselin, p. 441, 442.
[8] Journal de Jousselin, p. 443.
[9] Expression de l'abbé Arnauld.
[10] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 303.
[11] Journal de Jousselin 441. — Registre du Présidial, 10.
[12] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 304.
[13] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 306, 307. — Journal de Jousselin, 442, 443.
[14] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 307. — Journal de Jousselin, 441-443.
[15] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 307. — Journal de Jousselin, 443. — Barthélemy Roger, Histoire de l'Anjou, 505, 506.
[16] Journal de Jousselin, 443, 444. — Barthélemy Roger, Hist. de l'Anjou, 503, 506. — Arch. anc. de la Mairie, BB, 82, fol. 11, 12.
[17] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 82, fol. 3. — Barthélemy Roger, Hist. de l'Anjou, p. 368.
[18] Journal de Jousselin, 443.
[19] Journal de Jousselin, 444. — Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 308-313.
[20] Journal de Jousselin, 445. — Arch. anc. de la Mairie, BB, 81, fol. 308-313.
[21] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 82, fol. 4, 7, 9, 11, 12, etc.
[22] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 82, fol. 5, 7, 11, 12.
[23] 19l 19s 3d en moyenne pendant l'année 1649. Arch. anc. de la Mairie, série HH, 2 (Mercuriales).
[24] Journal de Jousselin, 445, 446.
[25] Journal de Jousselin, 446.
[26] Il avait perdu en 1646 son fils unique Armand de Maillé-Brézé, duc de Fronsac, tué d'un boulet de canon au siège d'Orbitello.
[27] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 82, col. 32.