La Fronde du Parlement et des Princes à Paris. — Grande effervescence à Angers. — Vains efforts du Corps municipal pour prévenir une révolte. — Soulèvement populaire. — Les Angevins et le duc de la Trémoille. — La ville assiège le château. — Paix de Rueil. — Prolongation de la guerre civile à Angers. (Janvier-avril 1649.)La guerre civile éclata, comme on sait, à Paris, et par suite, dans presque tout le royaume, au commencement de 1649. Après quelques semaines employées à gagner le prince de Condé par le don de quelques villes, la Cour quitta nuitamment la capitale (6 janvier), sous le prétexte absurde que plusieurs membres du Parlement s'entendaient avec l'Espagne et voulaient lui livrer le Roi. Le lendemain cette compagnie tout entière reçut l'ordre de se transporter à Montargis. La députation qu'elle envoya à Saint-Germain pour demander à la Reine quelques éclaircissements n'obtint même pas l'honneur d'être reçue. Anne d'Autriche voulait la guerre. Le Parlement l'accepta résolument. Pendant que le vainqueur de Lens faisait venir ses vieux régiments de Flandre et les disposait autour de la ville pour l'affamer, les quatre Cours souveraines, d'accord avec le Prévôt des Marchands et les Echevins, prenaient d'énergiques mesures de défense, votaient un million pour lever des troupes, mettaient les compagnies bourgeoises sur le pied de guerre, exigeaient de chaque maison un cavalier ou un fantassin, enfin s'emparaient de la Bastille et la confiaient au vieux Broussel (8-13 janvier). Malheureusement les magistrats se hâtèrent trop d'accepter l'alliance des seigneurs mécontents, qui ne pouvait que les compromettre. Leur cause n'avait rien à gagner en s'unissant à celle des ambitieux qui, tant de fois déjà sous le prétexte de la religion ou du bien public, avaient ensanglanté le royaume et augmenté la misère générale. Mais les noms de Conti, Beaufort, Longueville, Bouillon, La Rochefoucauld, Elbeuf, fascinèrent les bourgeois. On s'estima trop heureux d'avoir des princes pour généraux ; on se crut bientôt invincible. L'audace des pamphlétaires qui, chaque jour, couvraient de honte et de ridicule la Régente et son ministre, alla si loin, que le Parlement lui-même dut essayer, mais vainement, de la réfréner. Bientôt Paris fit appel à la France. Par une lettre circulaire du 18 janvier, la capitale invita les villes de province à se joindre à elle pour la revendication des libertés publiques. La Régente répondit, il est vrai, en transférant aux Présidiaux la juridiction souveraine du Parlement et en convoquant les Etats-Généraux pour le 15 mars. Mais presque nulle part les tribunaux inférieurs n'osèrent exercer les attributions nouvelles dont on les dotait provisoirement. D'un autre côté, la nation ne prit pas au sérieux cette promesse de la consulter qui n'était pas sincère, et qui, à supposer qu'elle le fût, n'assurait au Tiers-Etat qu'une déconvenue semblable à celle de 1615. Aussi le ministère eut beau renouveler ses sommations aux Parisiens (2 février) ; Condé eut beau prendre d'assaut le village de Charonton et gêner les arrivages (8 février) ; les Frondeurs tinrent bon ; et le Parlement, sur l'avis de Broussel, refusa de recevoir un héraut qui venait de la part de la Reine (10 février)[1]. A ce moment, en effet, l'insurrection gagnait chaque jour du terrain. L'Espagne, impatiente, comme autrefois, de se mêler à nos troubles civils et d'exploiter nos discordes, expédiait à Paris un agent que, malheureusement, les princes n'allaient pas rougir de recevoir et d'écouter. Les magistrats, moins coupables que leurs alliés, sollicitaient les provinces et les entraînaient les unes après les autres dans la révolte. Déjà les Parlements d'Aix et de Rouen avaient fait leur jonction avec celui de Paris (janvier). La Provence, la Picardie, la Normandie étaient en feu. La Guyenne et le Languedoc commençaient à remuer. Le Poitou était agité par des meneurs actifs et entreprenants. Le duc de La Trémoille, entre autres, se faisait fort de soulever en quelques semaines toutes les provinces de l'Ouest[2]. Il n'était peut-être pas en France de ville mieux préparée qu'Angers à la guerre civile. Si les Angevins ne prirent pas les armes dès le mois de janvier, c'est qu'ils ignorèrent pendant plusieurs semaines les nouvelles de Paris, ou ne les surent qu'imparfaitement. Un des moyens qu'employa Mazarin pour circonscrire la révolte dans la capitale fut d'interrompre le service des postes[3]. Mais avant même qu'il eût pris cette décision, les magistrats et le Corps de ville d'Angers s'étaient, à ce qu'il semble, donné la tâche de prévenir tout désordre en gardant pour eux seuls les nouvelles et les pièces qu'ils recevaient de la capitale. Le Présidial — dont faisaient partie le maire Cupif et plusieurs conseillers ou échevins influents, les Lanier par exemple — formait, comme nous l'avons montré plus haut, une aristocratie toujours portée à contrecarrer la faction populaire, qui cherchait elle-même à l'exclure de l'administration municipale. Ajoutons que les magistrats angevins gardaient un profond ressentiment de l'arrêt de 1601, par lequel le Parlement de Paris avait rétabli dans leur ville la liberté des élections. Aussi se montrèrent-ils dès le début de la guerre civile aussi dévoués à la royauté qu'hostiles au parti de la Fronde ; attitude fort à remarquer ; car dans presque tout le royaume, à cette époque, les tribunaux inférieurs firent cause commune avec les Cours souveraines. Le maire Cupif et ses collègues du Présidial surent sans doute dans la première quinzaine de janvier les événements qui venaient de s'accomplir à Paris. Mais ils les tinrent cachés. Le public angevin n'apprit que par de vagues rumeurs les troubles dont la capitale était alors le théâtre. Mais la réserve des magistrats et les précautions prises par le gouvernement pour arrêter les nouvelles suffisaient pour montrer au peuple que le ministère courait quelque grave péril. Le maréchal de Brézé vint bientôt, en sonnant l'alarme, confirmer l'opinion générale. Du fond de sa retraite de Milly, ce personnage suivait depuis longtemps les progrès de l'orage qui s'amoncelait sur la tête de Mazarin. Il ne portait, il est vrai, qu'un intérêt fort médiocre à la fortune du Cardinal. Mais il détestait par-dessus tout les factions populaires. Des bourgeois en révolte contre une autorité établie lui paraissaient clignes des plus rigoureux châtiments. Il écrivait peu auparavant[4] à M. de Serrant — l'ancien intendant de Tours —, à propos de je ne sais quelle mutinerie : ... Je vous puis assurer que quand vous ordonnerez je feray une si honneste distribution de coups de poin, qu'il y en aura mainte dent incommodée. Aussi, à peine informé de ce qui venait de se passer à Paris, ne manqua-t-il pas de prendre ouvertement des mesures pour empêcher la rébellion de se propager dans sa province. Il prescrivit notamment au Corps municipal d'Angers de mettre sur pied la milice urbaine, d'organiser la garde des portes, de préserver enfin la ville d'un coup de main (17 janvier)[5]. Grand fut l'embarras du Conseil à la lecture de cet ordre. Le maréchal n'avait pas l'air de se clouter qu'appeler aux armes les compagnies bourgeoises, c'était les provoquer à l'insurrection. Il était évident, en effet, que, loin de défendre la cause royale, elles passeraient à la première occasion sous les drapeaux du Parlement. L'Echevinage déclara donc qu'il serait sursis à la mesure réclamée par le gouvernement, à cause des dangers qui en pouvaient résulter. Eu attendant de nouveaux ordres, le Maire se fit remettre chaque soir les clefs des portes de la ville, prescrivit aux hôteliers de lui apporter quotidiennement les noms de leurs hôtes, et défendit la vente de la poudre et du plomb à aulcunes personnes qu'aux habitans d'Angers (19 janvier)[6]. Faire voir au peuple qu'on le redoutait, c'était l'enhardir. Les officiers municipaux s'estimèrent bientôt heureux que les compagnies bourgeoises ne courussent pas d'elles-mêmes aux armes. Brézé n'osa trop les blâmer de leur prudence. Mais peut-être les soupçonna. t-il de secrète connivence avec leurs concitoyens. Tout au moins trouva-t-il que leur zèle pour la cause royale n'était ni assez éclatant ni assez efficace. Il voulut, en tout cas, les contraindre à se déclarer hautement pour la Régente. Une députation du Corps de ville alla, sur sa demande, le trouver à Milly dans les derniers jours de janvier. Le 5 février, les envoyés étaient de retour. Le maréchal avait dit qu'il estoit necessaire de deputer vers le Roy pour asseurer Mrs du Conseil de la fidélité des habitans et leur très-humble obéissance et service. La perplexité de l'Echevinage alla croissant. Que faire ? se rendre au désir du maréchal, c'était provoquer dans la ville une protestation presque générale, peut-être un soulèvement. Refuser, c'était s'exposer à la colère de Brézé, attirer sur une cité déjà si éprouvée de nouvelles rigueurs. Le Conseil municipal eût bien voulu se dispenser de répondre, ou échapper à la responsabilité de la décision qu'il lui fallait prendre en appelant à y concourir les députés des paroisses. On a vu qu'elle les convoquait dans toutes les occasions importantes. Mais dans le cas présent il était trop dangereux de les consulter. Les mandataires des paroisses auraient sûrement rejeté la demande du maréchal. Le Conseil s'abstint donc d'en faire part à la population. Il s'adressa seulement an corps judiciaire. Le Présidial, la Prévôté, l'Election envoyèrent leurs représentants à l'hôtel de ville. Les Juges des marchands y vinrent aussi (9 février). Cette assemblée sans mandat, qui avait à décider de la paix ou de la guerre, se montra naturellement fort timorée. N'osant répondre ni oui ni non, elle se tira d'embarras par un faux-fuyant. La necessité et pauvreté des habitans ne pouvant, conclut-elle, supporter les poix et depance d'une telle deputation extraordinaire... et les Estatz-Généraux ayant esté indiquez à tenir à peu de jours, pour lesquelz il est mandé de députer, les mesmes deputez rendront l'asseurance au Roy et à Nosseigneurs de son Conseil de la submission au service de Sa Majesté. Il était fort douteux que les Etats-Généraux dussent se réunir, malgré la convocation du 22 janvier. En tout cas, ils ne devaient s'ouvrir que le 15 mars. En attendant, la fortune pouvait, en se prononçant soit pour Paris, soit pour Saint-Germain, permettre aux Angevins de se déclarer, sans se compromettre, pour l'un ou l'autre parti[7]. La réponse du Corps de ville était trop politique pour plaire à Brézé. Elle n'était pas non plus de nature à calmer l'impatience et l'irritation des habitants. La population d'Angers commençait à se rendre un compte exact des circonstances et à apprécier l'opportunité qu'il y avait pour elle à seconder les mouvements de Paris. Des cris de guerre se faisaient entendre en pleine rue. Des gentilshommes accouraient de tous les points de l'Anjou, pour exciter les bourgeois à la révolte, et retournaient dans leurs châteaux, après avoir fait bonne provision d'armes et de munitions. Le Maire s'efforçait vainement d'empêcher l'exportation de la poudre[8]. Le public manifesta bientôt si hautement sa sympathie pour la cause parlementaire, que la magistrature crut devoir, pour sa propre sûreté, se départir de son mutisme et de sa réserve. Le Présidial avait reçu depuis longtemps la circulaire envoyée le 18 janvier par le Parlement à tous les tribunaux de France. Mais il avait d'abord refusé d'y répondre et ne s'était même pas expliqué sur le contenu de cet acte important. Le 19 février, sommé de se prononcer, il conclut qu'il serait écrit à Mrs du Parlement, en la personne de M. le premier Président, pour l'assurer de la fidélité de cette compagnie au service du Roy et de son respect aux Arrests de la Cour[9]. Cette réponse ambiguë montre de quels ménagements des magistrats si dévoués à l'autorité royale étaient obligés d'user vis-à-vis d'une population tout entière portée vers la Fronde. Le feu qui couvait depuis si longtemps dans la ville était près d'éclater. Les officiers municipaux le sentaient. Leur autorité était à toute heure méconnue. Le rétablissement de l'ordre ne dépendait plus d'eux. Il n'était même pas au pouvoir du commandant royal du château, M. de Jalesnes, de tenir la population en respect. Ce gentilhomme n'avait ni assez de soldats ni assez de munitions. A peine se trouvait-il en sûreté derrière les hautes murailles qu'il avait à défendre. La milice bourgeoise frémissait d'être retenue dans l'inaction. Les Angevins demandaient hautement à prendre les armes. Quel usage en allaient-ils faire ? Cupif ne le savait que trop. Aussi, ne pouvant résister davantage à leurs sommations, informa-t-il Brézé de la situation critique dans laquelle il se trouvait. Le maréchal, qui méprisait le populaire, répondit qu'il ne blâmait pas que les compagnies urbaines fussent chargées de la garde des portes ; que, du reste, il était sur le point de se rendre à Angers. Le Maire, désireux avant tout de rejeter sur un autre la responsabilité qui pesait sur lui, n'eut plus en tête que de retarder la prise d'armes jusqu'à l'arrivée du Gouverneur. On était au 23 février. Le Conseil décida que les habitants feraient la garde, comme ils le désiraient, mais seulement à partir du 28[10]. En temps de révolution, on ne peut faire au peuple sa part. Il la prend d'ordinaire et dépasse bien vite les limites entre lesquelles ses chefs espèrent le contenir. En apprenant le délai que le Corps municipal imposait à leur impatience, les Angevins s'ameutèrent. On protesta de toutes parts, avec violence, contre le retardement de faire la garde. Les habitants déclarèrent bientôt que quoy qu'il eust esté conclud par le Corps de ville, ils la feroient absolument plus tost, que mesme des le soir de ce jour ils commenceroient. Et en effet ils commencèrent. Il ne resta plus au Maire qu'à faire légaliser par un vote cette espèce d'insurrection qu'il n'avait pu empêcher. A partir du 24 février, les compagnies bourgeoises se tinrent aux murailles, prêtes à faire feu sur les troupes royales, si elles osaient se présenter devant la place. En vain, le 26, Cupif détermina quelques capitaines, qui étaient de ses amis, à lever la garde. Les miliciens s'obstinèrent à rester aux portes. Le commandeur de Jalesnes se vit bientôt bloqué clans le château — qui domine, comme on sait, la partie centrale de la ville —. Il lui restait la rivière pour communiquer avec le dehors ; les habitants la barrèrent en y établissant à demeure un bateau chargé d'hommes et de munitions[11]. Malgré ces dispositions menaçantes, les Angevins n'avaient point encore ouvertement et sans retour embrassé le parti de la Fronde. Ils se tenaient sur la défensive, mais n'attaquaient pas le gouvernement royal. C'est ce que l'Echevinage s'efforçait de faire remarquer au maréchal, qui témoignait, paraît-il, quelque mauvaise humeur de ce qu'on mit mis tant de précipitation à prendre les armes. Une députation municipale l'alla trouver à Milly et entreprit la tâche honorable, mais difficile, de lui donner le change sur les sentiments du peuple d'Angers. D'après les envoyés de l'Hôtel de Ville, si les bourgeois avaient fermé leurs portes, s'ils montaient la garde avec tant de vigilance sur les remparts, c'était pour défendre leur cité contre les ennemis du roi, pour empêcher les seigneurs de la faction rebelle de s'en rendre maîtres[12]. De fait, ils ne mentaient pas — à ce moment — en assurant que leurs concitoyens restaient étrangers aux menées et insensibles aux provocations de la noblesse. Les Angevins ne confondaient pas encore leur cause, comme ils le firent un peu plus tard, avec celle des princes. Des rixes éclataient même quelquefois entre le peuple et les gentilshommes qui, depuis quelque temps, affluaient dans la ville. Deux seigneurs, MM. de Crissé et de Scépeaux, qui, en état d'ivresse, avaient insulté la milice urbaine, furent fort malmenés et faillirent être mis en pièces par la foule (26 février)[13]. Les habitants ne s'opposaient point à ce que les officiers municipaux arrêtassent et missent sous le séquestre les armes et munitions de guerre que les châtelains de l'Anjou venaient se procurer dans la ville. Bref, s'ils étaient en réalité prêts à la guerre, ils semblaient vouloir la faire seuls et s'abstenir de toute alliance compromettante. Ces considérations calmèrent sans doute pour un temps l'inquiétude et l'irritation du maréchal. Aussi ne crut-il pas devoir se rendre à Angers, comme il l'avait promis, négligence qu'il devait peu après amèrement regretter. Il pensa peut-être qu'une indifférence ou une confiance affectée ferait plus que des menaces pour éteindre une ardeur belliqueuse qui n'était, à ses yeux, qu'un feu de paille. Il faut ajouter, pour expliquer son inaction, que les nouvelles qu'il recevait à ce moment de Paris et de Saint-Germain lui faisaient regarder comme prochaine la fin de la guerre civile. Or, le Parlement s'accommodant avec la Cour, comment supposer que les Angevins fissent un pas de plus dans la voie de la rébellion ? Des négociations venaient, en effet, de s'ouvrir, le 22 février, entre le parti de la Fronde et celui de Mazarin. Le Parlement commençait à regretter d'avoir accepté le concours intéressé de princes et de grands seigneurs qui subordonnaient le bien public à leurs ambitions personnelles et se montraient disposés à tout, même à la trahison, pour atteindre le but de leurs convoitises. Les émissaires des Gondi et des Bouillon s'efforçaient de soulever, contre le gouvernement qu'ils combattaient, des armées françaises alors engagées contre l'étranger pour le salut du pays. Le maréchal de Turenne, cédant à ces coupables incitations, détournait ses regards de l'Allemagne et essayait d'entraîner ses troupes sur le chemin de Paris. tin agent de l'Espagne, c'est-à-dire de l'ennemi, venait faire aux frondeurs des offres de service ; et les princes ne rougissaient pas de conclure avec l'Escurial un traité secret, dont les conséquences fatales eussent été l'invasion, la ruine et le démembrement de la France. Le patriotisme des Cours souveraines s'indigna, comme on sait, à la pensée de ce honteux compromis. Le premier président Mathieu Molé, qui dirigeait les négociations entamées avec la Régente, prit hardiment sur lui de signer la paix de Rueil (11 mars). La fureur du peuple et des seigneurs ne troubla pas cette âme stoïque. Les calculs de l'aristocratie frondeuse fuirent dévoilés. Le Parlement, entièrement détrompé sur les sentiments et la conduite de ses anciens alliés, admit en principe l'accommodement conclu par Molé (15 mars). Il ne resta plus aux grands, que tout le monde abandonnait, qu'à traiter de leur côté avec la Reine-mère et à vendre le plus cher possible leur soumission. C'est ce qu'ils firent, et l'acte qui rétablissait la paix, à peu près sur la base de l'édit de Saint-Germain, fut reconnu et enregistré au Parlement le 1er avril 1649[14]. Malheureusement, les provinces n'étaient pas à l'unisson de Paris. Au moment même où dans la capitale les esprits tendaient à la paix, de regrettables malentendus les poussaient ailleurs à la guerre. Ce fut justement dans le temps où les négociations de Rueil touchaient à leur terme, que la ville d'Angers, prise d'une sorte de vertige, se jeta à corps perdu dans la rébellion. Cupif et ses collègues de l'échevinage s'étaient flattés de l'espoir que leurs concitoyens resteraient jusqu'au bout sourds à l'appel des grands qui les incitaient à prendre l'offensive. Ils purent même croire, le 2 mars, que les Angevins étaient las de jouer aux soldats. Car ils réduisirent, sans que le public protestât, à une seule compagnie l'effectif de la garde[15]. La ville était redevenue relativement calme. Mais les meneurs du parti populaire ne cessaient d'exciter, en dessous, les pauvres gens, contre la petite aristocratie municipale, qu'ils représentaient comme vendue à la Cour. Ils leur faisaient craindre les fureurs — déjà trop connues— du maréchal. L'arrivée de Brézé, plusieurs fois annoncée, n'était, d'après eux, retardée que par les préparatifs d'une exécution militaire bien plus cruelle que celle de janvier 1648. Comment éviter cette catastrophe ? En invoquant ou en acceptant la protection d'un seigneur assez puissant pour tenir tête au redoutable gouverneur de l'Anjou. Telle fut bientôt dans la ville l'opinion générale. Le défenseur, le sauveur, s'offrait, du reste, de lui-même, en la personne du duc de La Trémoille qui, comme nous l'avons vu plus haut, avait un des premiers donné le signal de la guerre civile dans les provinces de l'Ouest. Par les immenses domaines qu'il possédait dans le Poitou, l'Anjou et le Maine, par ses relations personnelles et par sa valeur propre, c'était bien l'homme le mieux fait pour diriger l'insurrection nobiliaire dans cette partie de la France. Il avait commencé par lever quelques troupes aux environs de Thouars et de Loudun. De là il avait passé à Laval, et, sa petite armée grossissant chaque jour, il avait offert ses services au Parlement, mais en dictant ses conditions. La Cour souveraine, ne sachant encore comment se termineraient les négociations de Rueil, lui conféra, par arrêt du 11 mars, le commandement supérieur des provinces que ses bandes étaient en train de ravager et même de quelques autres où elles n'avaient pas encore pénétré. Par ce semblant de légalité, le Poitou, la Bretagne, le Maine, l'Anjou, la Touraine, devinrent sa proie. Ce fut à lui à arracher ces malheureux territoires aux gouverneurs royaux, et à y établir, comme il pourrait, son autorité suprême[16]. Il ne tarda pas à se diriger vers Angers, qu'il considérait avec raison comme le chef-lieu stratégique de la vaste contrée où il prétendait dominer. Juste au même moment, cette ville était l'objectif d'un autre frondeur, que le hasard semblait avoir amené tout exprès dans ce pays pour en faire le lieutenant de La Trémoille. Le marquis de La Boulaye, gentilhomme hardi, sans scrupules[17], très-dévoué au parti des princes, était sorti de Paris, dans le courant de janvier, pour recruter des soldats et recueillir des vivres qu'il se proposait de ramener dans la capitale. Lorsqu'il y voulut rentrer, il trouva la route barrée par l'armée de Condé. Désespérant de forcer cet obstacle, il prit bravement son parti et se dirigea avec sa troupe vers Chartres et le Mans, levant partout des contributions et forçant les villes qui se trouvaient sur son passage à se déclarer pour le Parlement. Quand il eut connaissance des progrès de La Trémoille, il résolut d'aller le rejoindre. Ces deux chefs, dont les intérêts se confondaient, n'eurent pas de peine à s'entendre. Vers le milieu de mars, l'un et l'autre n'étaient plus qu'à quelques étapes du chef-lieu de l'Anjou. Cette province, loin de leur opposer la moindre résistance, était prête à les recevoir et se déclarait presque tout entière en leur faveur. La noblesse riche et puissante qui la peuplait inclinait en grande partie vers la Fronde et s'était mise depuis longtemps en mesure de prendre les armes au premier signal. Les La Barre[18], les Soucelles, bien d'autres, avaient muni leurs châteaux. Les du Bellay, les Cossé-Brissac suivaient sans hésitation la bannière du célèbre coadjuteur Paul de Gondi, leur parent et leur ami ; des liens de famille rattachaient les d'Avaugour aux Montbazon, qui tenaient une place importante dans les conseils de la Fronde. Bref, la plupart des nobles Angevins attendaient avec impatience l'arrivée de La Trémoille et de La Boulaye pour se mettre eux aussi en insurrection. Beaucoup d'entre eux s'étaient rendus à Angers, sous le vain prétexte des élections pour les États-Généraux, mais en réalité pour entraîner dans la révolte qu'ils méditaient les bourgeois, qu'ils savaient de longue date disposés à se mutiner. Ces excitations aristocratiques finirent par porter leurs fruits. Le 16 mars, le Corps municipal venait de tenir paisiblement séance ; les conseillers de ville se retiraient ; le Maire traversait les Halles pour regagner son domicile, lorsqu'une foule menaçante lui barra le passage en lui intimant l'ordre de retourner sur-le-champ dans la maison commune. A la tête du peuple était un homme dont le nom reparaîtra plusieurs fois dans nos récits. C'était le docteur Claude Voisin, professeur de droit en l'Université d'Angers, personnage recommandable par son savoir, fougueux et mordant avocat, qui avait acquis depuis quelques années une bruyante popularité par son zèle pour le bien public[19]. Il s'était fait d'office le défenseur des contribuables contre le fisc. C'était un orateur passionné, un écrivain violent, un meneur turbulent, toujours porté à l'attaque, incapable de retenir le peuple et de s'arrêter lui-même sur la pente de la rébellion. Cupif, intimidé, dut obéir aux injonctions de ce factieux et remonta en tremblant dans la salle des délibérations municipales. Il y trouva plusieurs échevins et conseillers, qu'un autre meneur, nommé La Touche-Chéreau, avait arrêtés comme lui et forcés de rebrousser chemin. La foule envahit l'hôtel de ville et entra pêle-mêle avec ces malheureux magistrats, criant qu'elle ne voulait plus être trompée, qu'il fallait sur l'heure placer la milice urbaine sous le commandement d'un major, qui n'eût pas d'ordres à recevoir du maire. Elle désignait pour cette fonction le sieur Lemarié, conseiller au Présidial, que sa profession n'empêchait pas, paraît-il, de jouir des sympathies populaires. Les officiers municipaux, plus morts que vifs, votèrent, au milieu d'un tumulte épouvantable, la décision que l'émeute était venue leur dicter[20]. Le nouveau chef militaire de la ville aurait bien voulu se dérober au périlleux honneur qui lui était conféré. Mais lui aussi dut subir la violence. Ses excuses, ses allégations de jeune age et d'inexpérience pour le fait de la guerre ne peurent empescher que le peuple ne l'enlevast et portast à la maison de ville pour y prestes serment davant M. le Maire, qu'on fit de sa maison retourner aud. hostel à cet effect[21]. Grâce à ce coup d'État populaire, les Angevins pouvaient disposer souverainement de leur cité et l'ouvrir aux frondeurs, ce qui était bien leur intention. Le maréchal de Brézé eût vainement frappé aux portes ; elles étaient fermées pour lui ; et il n'avait pas de troupes pour les forcer. Qu'on juge de sa colère ! A la première nouvelle de la petite révolution qui venait d'éclater dans la ville, il écrivit aux officiers municipaux, leur reprochant leur faiblesse, et leur enjoignant, s'ils ne pouvaient faire davantage, de lui dénoncer au moins les meneurs du parti populaire qui venait de triompher. L'infortuné Cupif, que ses concitoyens accusaient de trahison, répondit noblement : Pour ce qui est des nouvelles de la ville, vous les apprendrez d'autres que de nous, qui sommes obligés par nos charges de faire et dire du bien de ceux qui nous déshonorent[22]. Mais cette lettre, qui était une belle action, n'eut d'autre effet que d'exaspérer le maréchal. Toute la population d'Angers était en armes. Les murailles et les portes étaient réparées. Les faubourgs étaient hérissés de barricades. Des préparatifs de défense on passa bientôt aux mesures d'attaque. Cent hommes furent envoyés en reconnaissance du côté de Brain-sur-l'Authion ; la garde de la Maine fut renforcée ; plusieurs des compagnies bourgeoises se détachèrent des remparts et se rapprochèrent du château, comme pour en faire le siège. Mais les Angevins attendaient, pour le commencer sérieusement, l'arrivée de La Trémoille et de La Boulaye. Ces deux seigneurs, instruits de tout ce qui venait de se passer, arrivaient à marches forcées. Le 24 mars, des cavaliers venant de leur part annoncèrent que sous peu de jours ils entreraient dans la ville. Ils présentèrent en même temps au maire et au major des lettres par lesquelles M. de La Trémoille les requérait de le recevoir, lui et ses troupes, et de le reconnaître comme gouverneur d'Anjou soubs l'autorité du Parlement. Ni l'un ni l'autre n'osèrent assumer une aussi grave responsabilité. Ils prirent le parti d'en appeler au Corps judiciaire et aux paroisses, dont les députés furent convoqués à l'hôtel de ville pour le lendemain[23]. Pendant ce temps, Brézé, réduit, dans sa solitude de
Milly, à une impuissance presque absolue, se répandait en invectives contre
les Angevins, enragez, disait-il, et bien opiniastres à procurer leur ruine. C'est
sur ce ton qu'il écrivait, le 25 mars, à M. de Jalesnes, l'adjurant sur
l'honneur de tenir ferme, de ne répondre qu'à coups de canon et de mousquet
aux sommations des rebelles, et de faire tirer sans relâche sur cette infame canaille. — Je
finis, ajoutait-il, en vous conjurant de vous
souvenir que vous servez Dieu, le Roy et un Roy mineur, et innocent, vostre
honneur et vostre conscience, et contre le plus maudit et ingrat peuple qui
soit soubs le ciel, et que je verré dans peu de temps chastié dans la dernière
rigueur comme il le mérite. Le maréchal demandait des nouvelles. Celles qu'il reçut
n'étaient pas de nature à calmer son irritation. Le jour même où il adressait
à Jalesnes la lettre dont nous venons de faire mention, les seize paroisses
d'Angers nommaient leurs députés à l'hôtel de ville, avec
tant d'ardeur, dit un contemporain, qu'on voulut que les charges fussent
exprimées ; qui estoient de déclarer qu'on feroit les submissions à M. de La
Trémoille pour l'exercice de ses commissions[24]... Le lendemain,
en effet, 26 mars, l'assemblée générale convoquée par le Maire se prononça
pour ce seigneur à l'unanimité. Les officiers municipaux avaient renoncé à
une opposition qui aurait pu leur être funeste. Une députation fut envoyée,
au nom de la ville, au duc de La Trémoille, pour luy
rendre très-humbles grâces du soing qu'il avoit pour les habitans... et le supplier donner ses ordres et esclaircir de ce qu'il
vouloit que l'on fist. Une autre — dont faisait partie le docteur
Voisin — dut aller trouver La Boulaye et le prier de ne rien entreprendre
contre l'autorité du nouveau gouverneur[25]. Le Présidial
lui-même, si attaché à la Régente et à Mazarin, céda forcément à
l'entraînement général, envoya faire ses compliments aux deux chefs des
rebelles et enregistra passivement l'arrêt du 11 mars, qui donnait à La
Trémoille le commandement des provinces de l'Ouest. Il lui fallut même aller
plus loin et publier comme légale la défense de
faire aucunes levées de gens de guerre sans commission du Roy et attache du
Parlement[26]. Le peuple angevin était en pleine révolte et n'avait plus rien à ménager. La liberté qu'il s'était donnée ne tarda pas à dégénérer en licence et en désordre. Dès le 16 mars, et avant même que l'assemblée de l'hôtel de ville eût achevé de délibérer, la foule se rua, furieuse et poussant des cris de mort, sur la demeure du capitaine des gabelles. Cet officier, nommé Grandet, s'était depuis longtemps rendu odieux par sa dureté envers les pauvres gens. On l'accusait à ce moment de recruter des soldats pour renforcer la garnison du château. Sa femme était aussi très-haïe. On l'appelait vulgairement Marie-Sans-Pitié. Il fallait, disait-on de toutes parts, être également sans pitié pour eux. Ils parvinrent à fuir. Mais tous les efforts du major Lemarié et de son lieutenant Dupas pour préserver leur maison du pillage demeurèrent impuissants. Tout fut enlevé, jusques aux grilles, vitres, fenestres et gouttières. Deux jours après, deux cents hommes, tant cavaliers que fantassins, coururent à la Pointe[27], retraite ordinaire des gabeleurs, qui ne s'y trouvèrent. Ne pouvant se donner le plaisir de les massacrer, ils délivrèrent du moins les prisonniers qui y étaient détenus pour faux-saunage, s'emparèrent du sel royal, et le ramenèrent triomphalement à Angers pour en faire gratuitement la distribution. Ils saisirent aussi dans la même localité un grand amas d'armes de guerre et de munitions, qu'ils rapportèrent dans la ville[28]. Ils en avaient besoin, car, dès la veille, le commandeur de Jalesnes, fidèle aux instructions de Brézé, avait commencé le feu contre les quartiers de la cité avoisinant le château. Aux premiers coups de canon, le pont des Treilles avait été emporté. Le corps de garde placé sur la rivière par la faction rebelle fut attaqué, dans la nuit du 27 au 28 mars, et laschement abandonné, dit Jousselin, par ceux qui sont vaillants en leurs cheminées ou à leur table. Toute la partie de la ville située entre la cathédrale et la forteresse fut barricadée et garnie de troupes, pour empescher surprise de la part du chasteau, de peur qu'en sortants les plus forts ils n'esgorgeassent le corps de garde et se saisissent de la Cité. Le 29, M. de Jalesnes fit savoir à la municipalité qu'il allait abattre tous les ponts, faire donner toute son artillerie et réduire Angers en ruines. Mais aussitôt les révoltés s'emparèrent de l'abbaye du Ronceray, située sur la rive droite de la Maine, presque en face de la citadelle, et y retinrent prisonnières les religieuses avec leur supérieure, qui se trouvait être une tante du maréchal de Brézé. On informa en conséquence le commandeur ou qu'on seroit obligé d'exposer lesd. dames aux volées de ses canons, ou qu'on ne pourroit empescher le peuple de faire violence sur lad. maison, puisqu'on avait assez de peine à le retenir. Le lieutenant de Brézé se le tint pour dit, et, sans interrompre absolument les hostilités, ne tarda pas à ralentir son feu[29]. La situation de cet officier devint d'autre part plus critique par l'arrivée de La Trémoille et de La Boulaye, qui, ce jour même (29 mars), firent solennellement leur entrée dans la ville. Le maire, les échevins, les compagnies bourgeoises et quantité de cavalerie étaient allés les attendre à une certaine distance d'Angers. Les plus grands honneurs furent rendus au gouverneur parlementaire de l'Anjou. Le Présidial alla — un peu à contre-cœur sans doute — lui offrir ses hommages dans le beau logis Louet, qu'il avait pris pour demeure[30]. La Trémoille et son lieutenant, après avoir entendu beaucoup de harangues et de compliments, déclarèrent qu'ils étaient venus pour pousser énergiquement le siège du château. Dès le 30, ils l'allèrent reconnaître. Jalesnes fit tirer sur eux ; les balles tombèrent entre les jambes de leurs chevaux. Le danger qu'ils avaient couru ne fit que redoubler l'ardeur qu'ils avaient d'en finir. Le due dit aux officiers municipaux et aux chefs de la milice qu'il fallait à tout prix que la place fût prise. Les habitants ne demandaient pas mieux, et tout le monde applaudit. Mais les acclamations n'étaient pas une monnaie dont ce grand seigneur fût disposé à se contenter. Les Angevins étant d'accord avec lui pour le siège, prise et rasement du chasteau, il les mit en demeure de lui fournir les ressources nécessaires pour mener à bonne fin cette entreprise. Vingt mille livres lui étaient, paraît-il, indispensables pour commencer. Tous les corps de la ville furent invités à s'entendre pour fournir cette somme (31 mars-1er avril). Les paroisses envoyèrent leurs députés à l'hôtel de ville et s'exécutèrent de bonne grâce (3-4 avril). Les membres de la justice et du Corps de Ville essayèrent vainement de biaiser. Le subside demandé par La Trémoille fut voté. Le Clergé lui-même consentit à en payer une partie, encores, fit-il remarquer, que le corps ecclésiastique ne se deust mesler de la guerre[31]. Ainsi l'insurrection angevine, loin de s'affaiblir, prenait chaque jour de nouvelles forces. Les hostilités entre la ville et le château avaient repris avec violence. La canonnade et les feux de mousqueterie étaient incessants. Le Maire, qui, à raison du danger, tenait à honneur de rester à son poste, était debout nuit et jour. Les habitants, pleins d'ardeur, encombraient les rues, les places, les églises, de leurs corps de garde. Ils surveillaient activement les alentours de la place assiégée, arrêtaient et menaçaient de mort quiconque était soupçonné de vouloir y introduire des armes, de la poudre ou des provisions. Ils en vinrent, le 5 avril, à s'établir à quelques pas des murailles, dans une maison nommée le Mont-Saint-Michel et dans quelques autres non moins rapprochées, d'où ils ouvrirent un feu terrible contre le château. Et tient-on que si on eust continué huit jours durant, on l'eust reduit aux abois, tant il avoit peu de monde et de provisions[32]. Déjà les habitants commentaient à miner une des tours de la vieille forteresse. Leur fureur s'en prenait même aux propriétés privées ; et, le 6 avril, ni le maire ni le major ne purent empêcher la foule d'aller piller, hors ville, plusieurs maisons appartenant à des soldats de M. de Jalesnes[33]. Comment les Angevins ne connaissaient-ils pas à ce moment la paix de Rueil signée depuis longtemps et enregistrée au Parlement de Paris ? Nous ne pouvons nous expliquer la prolongation de leur rébellion qu'en remarquant que ce traité ne leur avait pas encore été officiellement notifié. Ils savaient sans nul doute qu'un arrangement avait été conclu entre la Cour et les Frondeurs. Mais ils feignaient de l'ignorer, apparemment pour se donner le temps de prendre et de détruire le château. Il fallut bien cependant qu'ils en admissent l'existence, quand le maréchal de Brézé en eut informé directement le Présidial d'Angers (7 avril). Le Corps de Justice, heureux de pouvoir rentrer dans la légalité, donna immédiatement la plus grande publicité au traité de paix, le signifia au Conseil de Ville, à M. de Jalesnes, au duc de La Trémoille[34]. Ce dernier, qui ne portait aux Angevins compromis par lui qu'un fort médiocre intérêt, et qui avait fait en secret, comme les autres chefs de la Fronde, son accommodement particulier avec le ministère, ne demandait qu'à se laisser forcer la main pour accepter la pacification. Le peuple, au contraire, n'en témoigna pas de grands agréments, tant à cause des menasses qu'il viendroit bientost des soldats en ville, que de quelques paroles un peu haultes dites par aulcuns officiers du siège, qui desjà festoient pas trop bien voulus[35]. Les compagnies bourgeoises refusèrent d'abord de poser les armes. L'infortuné Maire, qui n'avait cessé de se dévouer pour le salut de ses concitoyens, fut assailli, dans la soirée, par une foule furieuse. Frappé, menacé de mort, poursuivi dans les rues, il se réfugia éperdu dans la demeure de M. de La Trémoille. Mais il n'y trouva pas plus grande sureté de sa personne à cause que la noblesse, que mon dit seigneur avoit fait venir en cette ville, luy demandoit instamment de l'argent. Quelques amis le tirèrent enfin du péril. Il sortit de la ville, au milieu de la nuit, et, dès le lendemain matin, fit porter au Conseil une lettre par laquelle, loin de menacer les Angevins, il offrait d'aller à Paris en qualité de député, pour les préserver des représailles ministérielles[36]. A ce moment, les esprits, si fort échauffés la veille, commençaient à se calmer. Les habitants d'Angers reconnaissaient l'impossibilité de prolonger une lutte dans laquelle ils ne devaient pas être appuyés par la noblesse. La Trémoille, à la prière du Corps municipal et du Présidial, faisait déjà chanter un Te Deum et allumer des feux de joie en l'honneur de la paix. Le jour suivant il partit avec toute sa noblesse, après avoir reçu les compliments de tous les ordres. Il déclara, d'un air fort désintéressé, que la ville avoit besoing d'assistance, à cause des grands ennemis qu'elle avoit au dedans et au dehors. Il crut sans doute avoir assez fait pour la malheureuse cité qu'il avait provoquée à la révolte, et qu'il laissait exposée aux vengeances du gouvernement royal[37]. |
[1] Mémoires de Retz. — Journal du Parlement en 1648 et 1649. — Registres de l'Hôtel de Ville, ap. Archives curieuses de l'Histoire de France, 2e série, t. VII.
[2] H. Martin, Histoire de France, t. XII, p. 318. — Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, t. V, p. 177-333.
[3] Journal de Jousselin, publié par C. Port, etc., p. 434.
[4] Le 30 décembre 1648. Archives de Maine-et-Loire, série E, 3250-3252.
[5] Archives anciennes de la Mairie, série BB, registre 81, fol. 270.
[6] Archives anciennes de la Mairie, série BB, registre 81, fol. 270.
[7] Archives anciennes de la Mairie, série BB, reg. 81, fol. 273-277.
[8] Archives anciennes de la Mairie, série BB, reg. 81, fol. 280.
[9] Registre du siège présidial d'Angers (de 1649 à 1782), p. 6. — Ce document, très-précieux pour l'histoire de la ville, se trouve en manuscrit à la bibliothèque municipale. Il a été publié en grande partie (1649-1738), avec des notes, par Bougler, dans la Revue de l'Anjou (année 1861).
[10] Archives anciennes de la Mairie, série BB, reg. 81, fol. 281, 282.
[11] Archives anciennes de la Mairie, série BB, reg. 81, fol. 282-284.
[12] Reg. 81, fol. 284, 285.
[13] Reg. 81, fol. 285, 286. — Le Conseil de guerre s'assembla le jour suivant, où on se contenta, en considération de la noblesse, qu'on ne voulut pas désobliger, de leur remontrer leur témérité, qui eust mérité un chastiment exemplaire, et de les obliger à faire satisfaction à la ville, en la personne de M. le Maire, et aux particuliers offensez. Jousselin, 434, 435.
[14] Henri Martin, Hist. de France, XII, 321-333.
[15] Jousselin, 485. — Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 286, 287.
[16] Reg. du Présidial, 7.
[17] V. les Mémoires de Retz, de Joly, etc.
[18] Anne de Chivré, marquis de la Barre, fut un des principaux lieutenants du duc de La Trémoille, qui lui donna commission de lever incessamment jusques à la concurrence de deus mil hommes de pied armez, de la meilleur des paroisses et communautez de cette province de Mayne et d'Anjou... desquelz il l'établit mestre de camp, avec pouvoir de les diviser par compaignie de 50 hommes chascune et d'y establir les officiers à son choix, lui attribuant en outre la charge de lieutenant du chasteau, ville et gouvernement de Chasteaugontier. Arch. de Maine-et-Loire, série E, 2010.
[19] Notamment dans l'affaire des Subsistances.
[20] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 292.
[21] Jousselin, 435.
[22] Cette lettre, qui est du 18 mars 1649, se trouve à la bibliothèque d'Angers (Mss. 874, pièce 6).
[23] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 293, 294. — Jousselin, 435.
[24] Jousselin, 435.
[25] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 295, 296.
[26] Reg. du Présidial, p. 7.
[27] Village situé au confluent de la Maine et de la Loire.
[28] Jousselin, 436, 437. — Arch. anc. de la Mairie, reg. 81, fol. 296, 297.
[29] Arch. anc. de la Mairie, série BB, reg. 81, fol. 296. — Jousselin, 436-438.
[30] Archives anciennes de la Mairie, série BB, reg. 81, fol. 298. — Jousselin, 437. — Registre du Présidial, 7, 8.
[31] Archives anciennes de la Mairie, série B13, reg. Si, fol. 39S-302. — Jousselin, 438. — Registre du Présidial, 8.
[32] Jousselin, 438, 439.
[33] Jousselin, 439, 440. — Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 82, fol. 15-20.
[34] Reg. du Présidial, 8, 9. — Jousselin, 440.
[35] Jousselin, 440.
[36] Jousselin, 140. — Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 302.
[37] Reg. du Présidial, 9. — Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 81, fol. 303. — Jousselin, 441.