L'ÉGLISE CATHOLIQUE ET L'ÉTAT

TROISIÈME PARTIE. — L'ESPRIT NOUVEAU (1889-1899)

 

CHAPITRE III. — TARTUFE CHEZ ORGON (1894-1897).

 

 

I. Casimir-Perier, l'Antisémitisme et l'Affaire Dreyfus. — II. La Banqueroute de la Science. — III. Félix Faure, le ministère Ribot et la loi d'Abonnement. — IV. Un intermède radical : le ministère Bourgeois. — V. Débuts du ministère Méline. — VI. La démocratie chrétienne en 1896. — VII. Audaces fortuna jurat. — VIII. Le péril clérical en 1897.

 

I

Les trois années qui suivirent la mort de Sadi Carnot furent le triomphe de l'esprit nouveau. On vit en effet durant cette période la République — malgré quelques velléités passagères de résistance — se laisser envahir par la marée montante du cléricalisme de façon telle qu'elle n'eût peut-être pas tardé à être submergée si le clergé, divisé, comme on l'a vu, par la politique du ralliement, ne fût resté vis-à-vis d'elle partagé en deux courants qui s'affaiblissaient et se faisaient tort par leur divergence.

En appelant — par une très forte majorité[1] — Casimir-Perier à la Présidence, le Parlement avait, de fait, donné un nouveau gage à cette politique hésitante, timide et en somme peu prévoyante dont la formule et la théorie avaient été récemment fournies par cet homme d'État, ainsi que par son ami Spuller. Nous ne voulons pas dire par là que le Président fût homme à trahir jamais la République ; bien loin de là. Il l'avait aimée, servie fidèlement depuis sa jeunesse, et sa loyauté bien connue écartait l'idée qu'il pût manquer en quoi que ce soit à ses devoirs constitutionnels. Mais sa naissance, son éducation, ses relations de famille, ses amitiés faisaient de lui le champion résolu de la République conservatrice. Il avait autant d'éloignement pour l'anticléricalisme militant et soupçonneux du parti radical que pour la politique aventureuse et utopique du parti socialiste. S'il ne l'eût déjà prouvé par ses actes et ses discours antérieurs, il l'eût fait comprendre par le message qu'il adressa aux Chambres le 3 juillet et où les questions religieuses n'étaient même pas effleurées. Il le prouvait d'ailleurs en maintenant aux affaires le ministère Dupuy, qu'il y avait trouvé et dont le chef, très modéré lui aussi, très madré, du reste, n'était pas homme à l'empêcher de se rendre impopulaire[2]. Impopulaire, il ne tarda pas à l'être et le fut d'autant plus qu'il avait parlé plus haut dans son message de sa responsabilité personnelle, de ses droits présidentiels[3] qu'il ne voulait pas laisser prescrire et qu'il fut bientôt regardé comme l'inspirateur principal de la politique de résistance pratiquée par ses ministres. La loi restrictive de la liberté de la presse que motivait le crime de Caserio et qui fut votée peu après son avènement fut dénoncée par les partis avancés comme son œuvre. Dès cette époque une campagne violente, injurieuse, menaçante fut menée contre lui par les journaux de ces partis, qui le représentaient à l'envi comme un réacteur passionné et un ennemi du peuple. Vainement protestait-il, en septembre, dans un discours public, de son loyalisme républicain, de sa sollicitude pour les classes laborieuses, de son désir de réformes sociales qui pussent améliorer sérieusement leur condition. Les attaques, les outrages dont il était l'objet n'en continuèrent que de plus belle. Les ménagements relatifs qu'avait pour lui — peut-être par calcul et pour le compromettre — la presse conservatrice et. catholique ne faisaient naturellement que le rendre plus suspect aux hommes de gauche et d'extrême-gauche. Il est certain que les factions réactionnaires et l'Église en particulier croyaient pouvoir compter sinon sur son alliance formelle ou sa complicité, du moins sur son indulgence pour leurs menées. Cette opinion, très fausse, ou du moins fort exagérée, aide à faire comprendre la recrudescence d'audace dont ils commencèrent à faire preuve au lendemain de son avènement et dont on trouve à cette époque la marque la plus éclatante dans les monstrueuses iniquités de l'affaire Dreyfus.

L'influence des prêtres et des moines, surtout celle des Jésuites — rentrés depuis longtemps dans les maisons d'où on les avait expulsés en 1880 —, se répandait de plus en plus dans toutes les classes de la société française, particulièrement dans ce qu'on  appelle les classes dirigeantes, et dans les services publics. Les soldats de Loyola élevaient dans leurs collèges et dressaient soigneusement pour le bon combat les fils de la noblesse — vraie ou fausse — et ceux de la riche bourgeoisie qui se croit noble parce qu'elle a renié la religion de 89. Ils peuplaient de leurs élèves le barreau, la magistrature, les professions libérales, le haut commerce, la grande industrie, les écoles spéciales de l'État, l'armée, la marine, les administrations civiles et financières. Ces élèves, devenus hommes, ils les suivaient dans la vie, les protégeaient, les mariaient, les retenaient par les femmes, qu'ils confessaient et dirigeaient, dans leur clientèle et leur dépendance. Ils savaient les secrets des familles par leurs pénitentes, dont ils se servaient pour répandre sans bruit le mot d'ordre de l'Église, discipliner les biens pensants, surveiller et intimider les autres. Dans le inonde militaire ils régnaient à peu près sans partage. Ce n'était un secret pour personne que, sur nos vaisseaux de guerre, il n'y avait d'avancement et d'avenir — quels que pussent être les ministres — que pour les officiers qui, à l'exemple des amiraux, s'inféodaient aveuglement à leur politique. Il en était à peu près de même dans l'armée de terre. Tout militaire dénoncé comme anticlérical et républicain était voué à l'oubli, pour ne pas dire à la persécution, et végétait la plus grande partie de sa vié dans les gracies inférieurs. Quel que pût être son mérite, si quelque note secrète l'avait signalé comme mal pensant, il était écarté, tenu indéfiniment en quarantaine et en suspicion. Les bureaux de la rue Saint-Dominique[4], cousine ceux de la rue Royale[5] n'étaient plus guère que des officines jésuitiques où les bons Pères, sans se montrer, régnaient souverainement. L'État-major général de l'armée était particulièrement contaminé par leur influence. On se souvient qu'à la tête de ce grand service le trop éclectique Freycinet avait rappelé Miribel, fidèle serviteur de la Congrégation, qui l'avait rempli de ses créatures. On y voyait maintenant un petit-fils d'émigré, Lemouton de Boisdeffre, qui, ainsi que son principal collaborateur, le général Gonse, avait pour directeur de conscience un jésuite bien connu, le Père du Lac, et allait de temps en temps lui demander des instructions, en même temps que le comte de Mun. Les officiers qui servaient sous Boisdeffre affichaient presque tous, par conviction, bassesse ou ambition, autant d'aversion que de dédain pour les non-catholiques. Leur intolérance se manifestait surtout à l'égard des Juifs qui, si l'on eût écouté certains d'entre eux, eussent dû comme indignes être honteusement exclus de l'armée. L'entrée dans leurs rangs du capitaine Dreyfus, qui avait passé brillamment par l'Ecole polytechnique et par l'Ecole de guerre, mais qui appartenait à la religion maudite, avait été pour eux un vrai scandale. Ils se délectaient avec ostentation des feuilles antisémites, telles que la Libre Parole et la Croix. Persuadés, ou affectant de l'être, que les officiers juifs ne pouvaient être que de mauvais Français, beaucoup d'entre eux étaient portés d'avance à regarder comme licite à leur égard l'emploi des moyens d'expulsion les plus irréguliers et même les plus coupables. Si l'on se représente enfin que ceux qui servaient dans le trop fameux Bureau des renseignements[6], où ils ne subissaient que trop l'influence avilissante d'agents extérieurs sans délicatesse ni moralité, ne s'étaient que trop familiarisés, par la pratique du contre-espionnage militaire, avec celle du mensonge et du faux en écritures, on se rendra pleinement compte de l'état d'esprit qui leur rendit possible le crime auquel nous venons déjà de faire allusion.

Un jour — c'était en septembre 1894 — le commandant Henry, qui appartenait à ce service, reçoit d'un des agents sus-mentionnés une lettre non signée, que ce dernier venait de dérober à l'ambassade d'Allemagne à Paris, et dont l'auteur — un officier français, on n'en pouvait douter — annonçait à l'attaché militaire prussien Schwartzkoppen l'envoi de plusieurs documents de nature à l'instruire de diverses particularités de notre organisation militaire. Ladite lettre ne constituait guère qu'une sorte de bordereau indicatif des documents en question ; mais elle était suffisamment claire pour qu'on ne pût y voir qu'un acte de trahison. Le public n'a su que beaucoup plus tard que cette pièce émanait d'un commandant d'infanterie nommé Esterhazy, qui était alors en garnison à Rouen et qui, dénué de tout patriotisme et de tout sens moral, n'était que trop bien préparé par les désordres antérieurs de sa vie au métier d'espion, qu'il faisait depuis un an pour le compte de l'Allemagne. Mais Henry, qui était depuis longtemps en relations d'amitié avec ce personnage et qu'on a pu soupçonner d'avoir été son complice, reconnut certainement dès le premier jour son écriture, qui lui était depuis longtemps familière. N'osant faire disparaître la pièce, parce qu'elle avait été lue par un autre que par lui, il s'attacha résolument dès le début à détourner les soupçons dans une direction telle qu'ils ne pussent atteindre Esterhazy. Suivant lui et les officiers de son entourage qui subirent son influence, l'auteur du bordereau ne devait être recherché que dans le personnel des bureaux du ministère de la Guerre. Cette fausse piste fut indiquée quelques jours après avec encore plus de précision par le colonel d'Aboville, qui, ayant lu la lettre, déclara magistralement qu'elle ne pouvait émaner que d'un officier d'artillerie et d'un officier attaché comme stagiaire à l'État-major général. S'il eût été plus instruit et plus réfléchi, il eût conclu, tout au contraire, qu'elle ne pouvait être l'œuvre que d'un officier de troupe et d'un officier étranger au service de l'artillerie. Quoi qu'il en soit, d'Aboville ayant prononcé cet oracle, on prend aussitôt la liste des stagiaires de l'État-major. Le nom du capitaine Dreyfus saute à tous les yeux. Dès lors, tout devient facile. C'est Dreyfus, c'est le Juif, c'est lui seul qui peut être le coupable. On fait venir de son écriture et par un hasard extraordinaire il se trouve qu'elle présente certaines ressemblances avec celle du bordereau. On ne veut pas voir les différences, qui sont pourtant fort notables. On affirme qu'il y a identité absolue. On ne fait même pas cette réflexion fort simple que l'auteur de la lettre est manifestement un besogneux qui s'offre à l'étranger pour un salaire misérable et qui ne lui procure que des documents de valeur assez contestable ; que Dreyfus au contraire est fort riche et que cet officier jeune, distingué, avec un bel avenir devant lui, n'irait pas sottement se vendre pour quelques louis. Non, le Juif, a priori, doit être coupable ; il faut qu'il le soit.

Le ministre de la Guerre prescrit dans le plus grand secret des expertises d'écriture qui, finalement, ne prouvent rien. Il n'en persiste pas moins à suivre la fausse piste où ses subordonnés viennent de l'engager. Ce ministre était alors le général Mercier, militaire vaniteux, entêté, qui, sentant, à la suite de certains incidents parlementaires et de certaines fausses manœuvres[7], son autorité quelque peu ébranlée, voulait regagner la faveur publique par cet étalage de patriotique vigilance. Sans instruire de l'affaire ses collègues du Cabinet, non plus que le Président de la République, autrement que par de vagues déclarations, d'où il ressort qu'il y a un coupable et qu'il le tient, il prend sur lui de faire tout à coup arrêter Dreyfus, qui ne s'attendait à rien de semblable et qui, conduit mystérieusement à la prison du Cherche-Midi le 15 octobre, ne sachant pas au juste ce dont on l'accuse, y subit pendant quinze jours et dans un secret absolu des interrogatoires captieux et perfides qui rappellent véritablement ceux de l'Inquisition. Cependant ni l'ingéniosité raffinée ni la malveillante ténacité de l'officier de police judiciaire chargé de cette besogne ne peuvent établir contre lui de charges nouvelles, et vers la fin du mois cet officier lui-même — du Paty de Clam, un marquis enragé d'antisémitisme — est obligé de conclure piteusement qu'il n'y a contre lui que le bordereau et que cette pièce ne paraît pas assez probante pour entraîner sa condamnation. Mercier, décontenancé, parait sur le point de bicher prise.

Mais c'est alors que l'affaire, jusqu'alors ignorée du public, lui est tout à coup révélée avec une précision bien singulière par les feuilles antisémites — la Libre Parole, la Pairie, la Cocarde, le Pèlerin, etc. — qui nomment Dreyfus en toutes lettres, représentent tous les juifs comme solidaires de son crime et menacent ouvertement le ministre de la Guerre de le traiter comme son complice s'il ne le livre pas immédiatement à la justice militaire[8]. Et misérablement, dès le 3 novembre, ledit ministre donne l'ordre d'informer. Le malheureux capitaine est maintenant officiellement inculpé de trahison. Mais il est toujours tenu au secret, n'a pas encore d'avocat, n'est confronté avec aucun de ceux qui le chargent et se débat toujours dans les ténèbres. Pourtant il se défend et si bien que Mercier, toujours vilipendé et menacé par la presse antisémite, et voyant bien qu'il le sera tant qu'il n'aura pas pris des mesures pour rendre certaine la condamnation de l'infortuné, imagine de faire constituer par Henry et d'autres — qui peut-être lui en ont suggéré l'idée, comme ils ont d'autre part subrepticement déchaîné la presse contre Dreyfus — un dossier secret qui sera communiqué au Conseil guerre à l'insu de l'accusé et de son défenseur et où figureront, à côté d'un commentaire calomnieux de ses antécédents et services militaires, plusieurs pièces accusatrices qui, ou bien ne pouvaient en bonne justice s'appliquer à lui, ou constituaient véritablement des faux. Tout aussitôt, les feuilles antijuives, averties sans doute par leurs mystérieux amis de l'État-major, cessent, comme par enchantement, d'injurier ou de menacer le ministre de la Guerre. Mais elles demandent maintenant à grands cris que le procès du traître ait lieu à huis clos. Il faut que les juges, pendant cette épreuve, ne puissent subir l'influence ambiante de l'opinion publique. Pour qu'il en soit ainsi, l'on met en avant la nécessité de ne pas provoquer, par des révélations compromettantes, les susceptibilités de l'ambassade d'Allemagne et de l'empereur Guillaume. On exploite honteusement la lâcheté publique, la peur de la guerre. Et le gouvernement cède encore : les débats auront lieu sans publicité !

Ces débats s'ouvrent enfin (19 décembre) et l'avocat de Dreyfus, Demange, qui, comme lui, ne connaît que le bordereau, s'attache uniquement à démontrer qu'il n'en est pas l'auteur. Mais quelle valeur peuvent avoir les arguments d'un avocat, d'un civil, aux yeux de sept militaires qui viennent d'entendre un des leurs, le commandant Henry, affirmer sous la foi du serment qu'un homme digne de foi — que le secret professionnel l'empêche de nommer[9] — lui a fait connaître Dreyfus comme le coupable ? Puis, comment ces juges improvisés, gens d'honneur assurément, mais qui ne savent rien de la loi et qui habitués à croire toujours leurs chefs sur parole, auraient le courage de se faire tuer, niais n'ont pas celui de raisonner et de discuter, ne regarderaient-ils pas comme des preuves sans réplique de la culpabilité de l'accusé les pièces du dossier secret qui leur sont communiqués après les débats en chambre du Conseil` ? L'idée ne leur vient pas que ces pièces peuvent ne rien prouver du tout et qu'en tout cas il y aurait lieu d'en examiner l'authenticité, le caractère, la portée. Ils ne se disent même pas qu'en condamnant un homme sur des chefs d'accusation qu'il ignore, ils commettent une illégalité monstrueuse, une véritable forfaiture. Et c'est à l'unanimité, la conscience en repos, qu'ils le déclarent convaincu de trahison et le condamnent à la déportation dans une enceinte fortifiée.

Les abominables manœuvres dont le capitaine Dreyfus venait d'être victime étaient et devaient rester longtemps encore ignorées du public. Le public à cette époque ne douta nullement de la culpabilité de cet officier. Il fallait, croyait-on, qu'elle fût plus claire que le jour pour qu'elle eût été ainsi proclamée par des militaires portant l'épaulette et jaloux par devoir, par patriotisme, par intérêt, de l'honneur de l'armée. On s'étonna seulement qu'un crime pareil à celui de Dreyfus ne fût pas puni de mort ; on s'en indigna même, et Jaurès, qui devait plus tard prendre avec tant d'éclat la défense de l'innocent injustement condamné, se fit l'interprète de ce sentiment par le discours enflammé qu'il tint à la Chambre dans la séance du 24 décembre. Aussi le pauvre condamné eut-il beau persister dans ses protestations d'innocence et se refuser avec énergie aux aveux que Mercier — qui avait sans douté quelques remords ou quelques craintes — lui fit demander dans sa prison par du Paty de Clam. La réprobation populaire ne fit que grandir autour de ce malheureux. Aucune torture, aucune humiliation, aucun outrage ne lui furent épargnés. N'était-il pas juif et pouvait-on se montrer trop dur envers un juif ? On voulut qu'il l'Ut dégradé publiquement, et il le fut, le 5 janvier 1895, à l'École militaire, en présence de nombreux assistants, qui ne répondirent à ses protestations d'innocence et à ses sanglots que par des huées et des cris de mort. Après quoi, et tandis qu'on l'emmenait à l'île du Diable[10], la presse réactionnaire et cléricale passa encore plusieurs semaines à réclamer la proscription de la race juive qu'elle déclarait tout entière coupable comme lui et tout entière atteinte par sa condamnation[11].

L'affaire que nous venons de retracer sommairement, et dont les conséquences les plus graves ne devaient avoir lieu que quelques années plus tard, eut aussi une suite immédiate que nous devons signaler ici. On peut en effet affirmer qu'elle ne contribua pas peu à la retraite si prématurée de Casimir-Perier qui, au grand étonnement de la France et du inonde entier, renonça tout à coup, dès le 15 janvier 1895, à la présidence de la République. Ombrageux, autoritaire et nerveux comme il l'était par tempérament, très irrité de n'avoir pas été tenu régulièrement par ses ministres, particulièrement par Dupuy et par Hanotaux, au courant des incidents diplomatiques que l'affaire avait provoqués ; très humilié d'avoir été obligé, sur la demande de l'empereur Guillaume, de dégager l'ambassade d'Allemagne de toute solidarité avec le traître qui venait d'être condamné[12] ; n'ayant plus pour le retenir au pouvoir, qu'il n'avait pas recherché[13], son ami Bursleau dont la mort récente l'avait frappé d'un profond découragement, il profita de la démission — quelque peu machiavélique[14] — de son ministère pour donner aussi la sienne et se retira, non sans récriminer, avec plus d'amertume que de dignité, contre les collaborateurs qui, disait-il, lui avaient manqué, et contre les détracteurs qui l'avaient poursuivi depuis son avènement d'attaques si violentes, si peu mesurées, si peu justifiées.

La République ne devait malheureusement rien gagner au choix de son successeur. Ce successeur, élu dès le 17 janvier, eût pu être soit un radical comme Henri Brisson, dont l'intégrité et la fermeté républicaine étaient depuis longtemps éprouvées ; soit un opportuniste de grand talent comme Waldeck-Rousseau, qui, rentré depuis peu au Parlement, eût fait revivre avec éclat les traditions de Gambetta et de Jules Ferry, dont il avait été jadis le plus brillant collaborateur. Malheureusement ce dernier, ayant obtenu au premier tour de scrutin sensiblement moins de voix que Brisson, eut la fâcheuse inspiration de faire au second tour reporter ces voix sur un troisième candidat qui, désigné déjà par un certain nombre de suffrages, obtint ainsi la majorité. C'est grâce à cet appoint que Félix Faure, favorisé du reste par la droite de l'Assemblée nationale, devint président de la République. C'était un parvenu sans réel mérite, qui venait d'occuper obscurément le ministère de la marine et que sa médiocrité même fit élire parce qu'il ne portait ombrage à personne ; avec cela vaniteux à l'excès, ridiculement attaché aux marques extérieures du pouvoir, vrai bourgeois gentilhomme à qui l'honneur de frayer avec des souverains et des grands seigneurs ne devait pas tarder à tourner la tête, trop sensible à la flatterie, enfin plus accessible qu'il n'eût fallu aux influences cléricales qui dominaient malheureusement dans son entourage familial.

 

II

Le procès et la condamnation de Dreyfus étaient une preuve de l'énorme influence que l'Église exerçait directement ou indirectement sur toutes les classes de la société et en particulier sur l'armée. Mais cette preuve ne fut pas d'abord très sensible aux contemporains. Ils n'en furent frappés que plus tard. Pour le moment, c'est-à-dire au commencement de 1895, ils semblaient attacher plus d'importance à certaines manifestations de presse qui dénotaient avec éclat un retour offensif de l'idée catholique contre la société moderne émancipée, telle que la Révolution et la science l'avaient faite. L'une d'elles, et la plus retentissante, fit d'autant plus de bruit qu'elle émanait d'un homme de talent qui, tout en s'inspirant des passions religieuses fomentées par la cour de Rome, ne portait pas l'habit ecclésiastique. Nous voulons parler de Ferdinand Brunetière, critique et professeur, qui, converti de la libre-pensée au catholicisme, ne se contentait plus des lauriers que lui avaient valu ses études sur la littérature française et s'offrait maintenant à son pays comme directeur de conscience. Maître de conférences à l'École normale supérieure, où il s'était efforcé d'orienter la jeune université vers les idées de réaction politique et religieuse qui lui étaient chères, c'était dans le même sens que, comme directeur de la Revue des Deux Mondes, il cherchait à entraîner aussi le grand public. C'était un esprit vigoureux et pénétrant, mais étroit, dogmatique et autoritaire ; un orateur énergique et puissant à ses heures, un écrivain solide, non sans lourdeur et sans pédantisme ; avec cela très ambitieux de gloire et d'influence, très désireux de jouer un rôle en rapport avec l'idée qu'il se faisait de son talent et de l'excellence de ses théories. A force de lire Bossuet et de vouloir entrer à l'Académie française, il avait fini par prendre le catholicisme sous sa protection et par s'ériger en Père de l'Église. En novembre 1894 il avait cru devoir se rendre à Rome et aller faire visite à Léon XIII, soit pour lui demander des conseils, soit peut-être aussi pour lui en donner. Le vieux pape, qui ne voyait que profit à se servir de lui, l'avait fort bien reçu, et Brunetière avait cru devoir instruire le monde des résultats de son entretien avec le Saint-Père. De' là l'article bruyant qu'il publia peu après (1er janvier 1895) dans sa Revue, sous le titre de : Une visite au Vatican, véritable déclaration de guerre non seulement à la libre-pensée, niais à la science, qu'il accusait délibérément d'avoir fait banqueroute parce qu'elle ne nous avait pas fait connaître l'origine et la destinée de l'homme — ainsi que du monde —, et parce qu'à son sens elle était incapable de fonder une morale. De ce fait que la science, qui du moins fournit les preuves de ce qu'elle sait, ne sait pas tout, ce singulier raisonneur concluait à la nécessité de s'abandonner sans réserve à la religion — à la catholique, cela va sans dire —, qui ne sait absolument rien, puisqu'elle affirme toujours sans preuves. Quant à la prétention philosophique d'affranchir la morale des dogmes religieux, c'était, à l'en croire, le comble de la sottise. D'après lui la foi seule pouvait donner aux hommes des règles de conduite quelque peu sûres et aux peuples des principes capables de les sauver. Il fallait donc se soumettre au pape, régulateur vivant et souverain de la foi. Les Français y étaient d'autant plus tenus que le Saint-Siège, dans la personne de Léon XIII, venait de prouver avec éclat sa bienveillance pour cette nation, pour les institutions qu'elle s'était données, qu'il s'intéressait passionnément aux ouvriers français, bref que la France n'avait pas de meilleur ami que lui. Il s'étendait du reste complaisamment sur cette idée que, de toutes les formes qu'avait pu affecter le christianisme, la forme catholique était la seule qui fût parfaite. L'Église catholique était, disait-il, supérieure à toutes les autres parce qu'elle constituait un gouvernement, c'est-à-dire une autorité organisée, par laquelle les peuples avaient tout intérêt à se laisser mener.

Ces outrecuidantes affirmations, qui avaient fait grand bruit, ne tardèrent pas à être magistralement réfutées. Elles le furent par un des hommes de France — et du monde — les mieux qualifiés pour parler au nom de la science, c'est-à-dire par le grand chimiste Berthelot, vieil ami de Renan et serviteur dévoué de la République, qui lui répondit avec éclat, le 1er février 1895, par un article publié dans la Revue de Paris sous ce titre : La science et la morale.

Dans ce travail l'illustre savant posait en principe que, si les religions se sont approprié la morale, elles ne l'ont pas créée, et qu'elles en ont trop souvent combattu l'évolution et le progrès. La civilisation, d'après lui, découle toujours des progrès de la science, et la morale de ceux de la civilisation. La religion est la transformation — toujours au fond anthropomorphique — des données de la science constatées à un certain moment et l'exploitation de prétendus mystères ou miracles qui ne peuvent trouver place dans la science, parce qu'elle ne s'attache qu'aux phénomènes bien constatés et tend surtout à déterminer la relation des causes aux effets. La religion, exploitée par les hommes qui se sont constitués ses chefs, a pour effet d'immobiliser la science, de lui interdire au besoin par l'emploi de la force — tout progrès, toute évolution. La science au contraire ne vit que de progrès et d'évolution. La science proprement dite, c'est le savoir acquis, bien acquis et qui ne saurait être contesté. Les généralisations et les hypothèses nécessaires pour amener de nouvelles découvertes ne sont pas la science ; elles ne sont que des instruments ou moyens d'action de la science, qui y renonce quand elles ne produisent pas le résultat cherché. La science, si elle n'exclut aucune recherche, aucun problème, pas même ceux de l'origine et de la fin des choses, n'a jamais prétendu résoudre de pareilles questions ; elle ne l'a jamais promis, elle ne le promet pas. Par conséquent, c'est faire preuve d'ignorance ou de mauvaise foi que de l'accuser d'avoir à cet égard fait banqueroute. L'origine et la fin du monde, ainsi que de l'homme, ne nous sont pas connues. La religion ne nous les révèle nullement. En cette matière, comme en beaucoup d'autres, elle affirme simplement, sans apporter aucune preuve de son dire. Or, la religion consistant essentiellement dans de pareilles affirmations, il s'ensuit qu'elle ne peut donner naissance à la morale, car la morale ne saurait découler de connaissances que nous n'avons pas. Elle ne découle que des notions chaque jour plus approfondies que les progrès de la science nous apportent sur notre nature, nos besoins, nos ressources, sur les nécessités sociales et sur la solidarité qui unit les hommes entre eux.

Berthelot insistait avec une grande force sur cette idée que la science n'a jamais promis ce qu'elle ne pouvait donner. Ce n'est pas la science, disait-il, qui a prononcé le mot de création et retracé a priori l'histoire de la fabrication du soleil et de la lune, dans l'ignorance la plus complète du système général du ciel ; ce n'est pas la science qui a proclamé l'époque future et prochaine de la destruction de toutes choses et qui en a retracé le plan chimérique : Peritura per ignem ; ce n'est pas la science qui a subordonné l'univers à notre microscopique globe terrestre et qui lui a donné pour fin l'enfer égyptien, le paradis persan avec ses anges et ses démons, les songes messianiques et apocalyptiques d'il y a deux mille ans. Jamais les dogmes religieux n'ont apporté aux hommes la découverte d'aucune vérité utile ni concouru en rien à améliorer leur condition. Ce ne sont pas eux qui ont inventé l'imprimerie, le microscope, le télescope, le télégraphe électrique, le téléphone, la photographie, les matières colorantes, les agents thérapeutiques, la vapeur, les chemins de fer, la direction méthodique de la navigation, les règles de l'hygiène. Ce ne sont pas eux qui ont dompté et tourné à notre usage les forces naturelles.

Ce ne sont pas davantage les dogmes religieux qui ont institué le sentiment de la patrie et celui de l'honneur, aboli l'esclavage et la torture, proclamé le respect de la vie humaine, la tolérance et la liberté universelles, l'égalité et la solidarité des hommes...

Revenant en particulier sur la question de la morale : Pas plus que la science, dit Berthelot, elle ne reconnaît une origine divine ; elle ne procède pas des religions. L'établissement de ces règles a été tiré du domaine interne de l'observation. Ce sont au contraire les religions ou, pour préciser davantage, quelques-unes d'entre elles et les plus pures qui ont cherché à prendre leur point d'appui sur le fondement solide d'une morale qu'elles n'avaient pas créée. Mais en vertu de cette même transposition illusoire née d'un procédé purement logique que nous rencontrons partout, les religions ont déduit de la morale certains symboles, certaines idoles divines, auxquelles elles ont attribué ensuite la vertu d'avoir créé les notions mêmes qui avaient au contraire servi à les imaginer...

... L'homme trouve la morale en lui-même et il l'objective en l'attribuant à la divinité ; tandis que c'est lui-même qui n'a cessé de la perfectionner dans le cours des tiges et des peuples, par la généralisation de l'idée du devoir et de celle de la solidarité. Il a trop longtemps attribué ces progrès à des révélations religieuses dont il était le véritable constructeur. C'est cette objectivation perpétuelle de la morale dans les religions, attestée par l'histoire et variable avec les temps et les lieux, qui a fait naître les diversités et les oppositions attestées par la phrase célèbre : Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà Mais cette phrase ne s'applique pas en réalité à la science, elle s'applique uniquement aux croyances et à la morale religieuse. En effet, la première conséquence d'une semblable transposition des origines positives de la morale a été d'en arrêter le développement, celui-ci étant désormais figé et comme cristallisé dans les moules dogmatiques au degré même de l'évolution où il avait été saisi. De là a procédé l'esprit d'intolérance naturel aux gens qui croient posséder le bien et la vérité absolus et qui, redoutant d'être ébranlés dans leur foi par la critique, veulent interdire aux autres le droit même de la discuter. C'est par là également que la notion plus haute et plus noble de la solidarité humaine a été si longtemps paralysée par celle de la charité chrétienne, noble et touchante aussi, mais qui représente un point de vue inférieur et désormais dépassé.

C'est ainsi que la vieille chanson de la résignation mystique a pesé sur le moyen tige et sur ses successeurs et suspendu le progrès social, en refusant aux masses populaires tout droit théorique à l'amélioration de leur condition. Ç'a été une des grandes victoires de la Révolution française de proclamer les principes d'une nouvelle morale sociale, dont les conséquences se poursuivent et se poursuivront désormais dans l'humanité ; non sans obstacle, d'ailleurs, les progrès ayant toujours été accomplis jusqu'ici au milieu des catastrophes provoquées par le conflit entre l'obstination aveugle des conservateurs et l'élan brutal des révolutionnaires...

Cet éloquent et noble plaidoyer en faveur de la science libre transporta d'enthousiasme quiconque en France n'admettait pas que la société moderne, en plein essor, en plein travail, dût se laisser arrêter et atrophier par les exclusivismes et les intolérances dogmatiques d'autrefois. Un grand nombre de savants et d'hommes politiques appartenant aux diverses fractions du parti républicain s'unirent pour manifester publiquement leur admiration et leur sympathie à l'homme de génie qui venait de faire à Brunetière une si triomphante réplique. Dans un banquet célèbre qui eut lieu le 4 avril 1893, et où Berthelot, résumant sa doctrine, renouvela de vive voix le viril enseignement qu'il avait donné aux lecteurs de la Revue de Paris, des hommes d'État — Poincaré, Goblet, d'autres encore — le louèrent comme il convenait d'avoir si victorieusement relevé le gant jeté par le rédacteur de la Revue des Deux Mondes. Ils s'attachèrent à mettre en lumière le service qu'il venait de rendre à la cause de la Révolution, à la République ; et l'un d'eux, non des moins respectés, Henri Brisson, fit particulièrement applaudir les paroles suivantes : ... Les auteurs des écrits où il est traité de la banqueroute de la science donnent crûment comme motif de leur préférence pour une religion donnée que cette religion est un gouvernement tout fait. Il s'agit donc bien d'un dessein politique et non d'une thèse sans conséquence. Quel coup de fortune, en effet, pour nos adversaires et quel péril pour nous si, en discréditant la science, ils parvenaient à troubler l'âme contemporaine, à jeter le doute là où régnait la confiance, à désagréger l'armée démocratique et libérale, à préparer par le scepticisme la génération nouvelle à ces surprises dont la nôtre a vu des exemples !...

 

III

Les hommes comme Brisson se jugeaient d'autant plus fondés à pousser le cri d'alarme qu'ils ne croyaient guère à l'énergie défensive du gouvernement que la République venait de se donner. Ils savaient bien que le cléricalisme ne trouverait jamais en Félix Faure un adversaire très redoutable. Quant aux hommes politiques que le nouveau président venait d'appeler aux affaires, ils appartenaient, à l'exception de deux ou trois radicaux, fort enclins eux-mêmes à l'opportunisme, aux fractions les plus modérées, les moins hardies du parti républicain[15]. Leur chef, Alexandre Bibot, orateur de grand talent, était certes loyalement attaché à la République, et avait maintes fois protesté qu'il la protégerait de son mieux contre les entreprises cléricales. Mais il ne fallait pas s'attendre à ce qu'il employa pour cela d'autres armes que les armes concordataires. Car le maintien du Concordat était à ses yeux, comme à ceux de ses amis, la condition sine qua non de celui de la paix publique. Encore n'était-il pas homme à recourir pour le faire respecter aux mesures de rigueur et, comme Freycinet, dont il avait été naguère le collaborateur, était-il plus porté à négocier qu'à combattre et à tolérer qu'à punir. Ajoutons que la majorité parlementaire qui le soutenait était connue lui pour les moyens doux. Dès le 28 janvier, comme don de joyeux avènement de la nouvelle Présidence, elle venait de voter une amnistie politique qui permit à Rochefort de rentrer en France et dont bénéficièrent les ecclésiastiques qui dans les derniers temps avaient été frappés de suspension de traitement. Plus que jamais, au Palais-Bourbon comme au Sénat, on paraissait désireux d'écarter ce qu'on appelait les questions irritantes. Au premier rang de ces questions était, bien entendu, la séparation des Églises et de l'État. La séparation, qui en parle maintenant ? avait dit récemment Waldeck-Rousseau. De fait, quand quelques importuns de l'extrême-gauche, comme Gras, Chauvin, Naquet, profitèrent de la discussion du budget pour demander l'abolition du Concordat, la confiscation des biens monastiques, ou des lois préparatoires à la séparation, leurs propositions furent promptement écartées, et à d'énormes majorités. Vainement aussi Maurice Faure remit-il en avant j'idée d'une loi sur le droit d'association. Ribot répondit qu'on y penserait plus tard, mais qu'à son sens il ne devrait être question que d'une loi fort générale, qui ne fût pas un acheminement à la rupture des liens existant entre l'Église et l'État (février 1895). Par contre, elle l'approuva aussi quand il refusa de s'associer aux motions de certains membres de la droite qui, enhardis sans doute par l'affaire Dreyfus, s'élevaient avec violence contre le péril juif et demandaient des mesures spéciales pour en préserver non seulement l'Algérie, mais la métropole (février-mai 1895).

En somme le Parlement et le nouveau ministère se montraient animés à l'égard de l'Église des sentiments les plus libéraux et les plus conciliants. Pourtant leur longanimité et leur complaisance n'allaient pas jusqu'à consentir à désarmer complètement l'État devant un clergé qui refusait ouvertement obéissance aux lois ou les tournait avec autant de succès que de persistance. C'était particulièrement en matière fiscale qu'ils prenaient la liberté grande de revendiquer les droits toujours méconnus de l'autorité publique. On se rappelle les lois de 1880 et 1884, par lesquelles les congrégations religieuses, reconnues ou non reconnues, avaient été astreintes à un droit d'accroissement que justifiait amplement la rapide augmentation de leur fortune, ainsi que le principe de l'égalité des citoyens devant la loi. Mais on se souvient aussi du mauvais vouloir, des chicanes de tout genre, des subtilités sans fin par où elles n'avaient cessé de braver le fisc ou de se dérober à ses exigences. Grâce à des jurisconsultes retors, que secondaient souvent les agents mêmes de l'enregistrement, administration où l'Église avait de nombreux amis[16], le droit d'accroissement n'avait été pour l'État, jusqu'en 1895, qu'une espérance, ou, pour mieux dire, un véritable leurre. Aussi à cette époque les Chambres et le ministère jugèrent-ils bon de le remplacer par une taxe nouvelle dont l'assiette et le recouvrement leur paraissaient devoir être plus faciles. C'était une taxe annuelle dite d'abonnement, dont le taux était très modéré — 30 centimes pour 100 francs sur la valeur des biens possédés par les congrégations autorisées, 50 centimes sur ceux des congrégations non autorisées — et dont le poids devait encore être allégé par cette réserve que les biens affectés à des œuvres d'assistance ou aux œuvres des missions à l'étranger seraient exempts de l'impôt en question[17]. En bonne justice, rien n'était mieux fondé qu'une pareille exigence. Pourtant le clergé jeta les hauts cris et la loi nouvelle provoqua une agitation qui se prolongea pendant toute l'année 1895 et même au delà Si certaines congrégations, qui avaient besoin de la bienveillance et de l'appui du gouvernement[18], se soumirent sans trop de peine, il n'en fut pas de même de beaucoup d'autres qui, n'existant qu'au mépris et en dehors de la loi, constituaient comme des troupes de guerre armées contre l'État et qui se mirent aussitôt à prêcher une sorte de croisade. Les Eudistes, sous le commandement du belliqueux Père Le Doré, prirent la tête du mouvement. Les Assomptionnistes, qui avaient paru quelque temps incliner vers la politique du ralliement, mais qui, regagnés par les réfractaires, faisaient maintenant feu de toutes pièces contre la République et les républicains, les suivirent et les dépassèrent. La Croix et ses succursales fomentèrent dans toute la France la résistance au fisc. Les royalistes[19] s'associaient, du reste, activement à cette campagne et pesaient de toutes leurs forces sur les congrégations par la menace de leur retirer un concours pécuniaire qui leur était précieux[20]. C'est par le même moyen qu'ils s'efforçaient de déterminer le clergé séculier à faire cause commune avec les moines et à prendre leur défense. Et ce n'était pas sans succès. Beaucoup d'évêques, très attachés à cette clientèle lucrative et heureux d'avoir un prétexte nouveau pour vilipender la République, protestaient avec hauteur contre la taxe d'abonnement, qu'ils signalaient comme une mesure de spoliation et un véritable sacrilège. Ils laissaient leurs prêtres dénoncer en chaire la loi nouvelle ou l'attaquer publiquement avec la dernière violence dans des manifestes collectifs qui constituaient autant d'infractions à la législation concordataire. L'un d'eux, Sonnois, archevêque de Cambrai, à qui le ministre des Cultes demandait quelles mesures il comptait prendre pour les empêcher de violer ainsi la légalité, répondait insolemment qu'il ne comptait en prendre absolument aucune (mai 1895). D'autres encore — par exemple les évêques de Vannes, de Saint-Brieuc, du Mans, de Châlons, etc. — mettaient le même ministre dans la nécessité de les rapporter également à l'ordre. Toutes ces rébellions amenaient, en juillet, le radical Goblet[21] à interpeller le gouvernement sur les menées cléricales et à conclure à la nécessité de préparer enfin sérieusement le divorce de l'Église et de l'État. Mais le Cabinet, par l'organe de Poincaré, écartait encore formellement cette solution, déclarait qu'il avait fait son devoir, déféré les délinquants au Conseil d'État[22], que son intention était de défendre le Concordat, et les Articles organiques si souvent méconnus, etc., etc. ; après quoi la Chambre, se déclarant confiante dans le gouvernement, l'invita platoniquement à faire respecter les lois, maintenir les droits de l'État laïque et assurer le respect de l'autorité civile[23]. Peut-être eût-elle mieux fait de ne rien dire ; car elle avait tant de fois tenu ce langage, sans passer aux actes, qu'il n'était guère à espérer que le clergé le prît au sérieux.

Le Parlement, en somme, se dérobait. Le gouvernement, tenu en échec par une bonne partie du corps ecclésiastique, trouvait, en fait, moins d'appui réel dans les Chambres que dans la fraction de l'Église, qui, pour diverses raisons, faisait encore campagne pour la politique du ralliement. L'abbé Naudet, par exemple, et Ses collaborateurs du Monde[24] soutenaient la thèse de la soumission à la taxe contre la Croix et d'autres feuilles congréganistes qui lui faisaient une guerre au couteau. Quelques prélats, qui depuis longtemps, ménageaient le gouvernement, soutenaient aussi cette thèse que, bien que la taxe Mt manifestement injuste, il fallait la payer pour éviter un plus grand mal. C'était notamment l'avis de Fuzet, évêque de Beauvais, qui devint un peu plus tard archevêque de Rouen[25] ; de Boyer, archevêque de Bourges, qui devint cardinal ; de Meignan, archevêque de Tours, qui était depuis longtemps la bête noire des réfractaires et qui, représentant b. ses collègues de l'épiscopat que leurs intérêts étaient loin de se confondre avec ceux des congrégations, les détournait d'imiter les veuves du Malabar qui s'immolent sur la tombe de leurs maris. Ledit Meignan — sollicité peut-être officieusement par le ministère — suppliait le pape de lui faire connaître ses intentions. Mais le cauteleux Léon XIII, qui ne voulait se brouiller ni avec le gouvernement français ni avec les congrégations, évitait d'abord de répondre lui-même et chargeait le fidèle Rampolla d'écrire à sa place. Ce cardinal adressait donc (le 3 mai) à l'archevêque de Tours une lettre volontairement ambiguë où, après avoir déclaré que la question était extrêmement délicate à cause des aspects divers qu'elle présentait, il invitait simplement les évêques et les supérieurs de congrégations à la considérer à tous les points de vue, avec un esprit calme et débarrassé des premières impressions. Il ne leur sera pas difficile, ajoutait-il, d'éviter des résolutions résignées et prématurées...

C'était bien là parler pour ne rien dire. De fait les évêques, qui tinrent quelque temps après, une réunion, assez nombreuse à Clermont pour discuter la question, purent interpréter dans les sens les plus opposés cette singulière consultation. On demanda de nouveau des instructions au Saint-Père. Tout ce qu'on put obtenir de lui, ce fut l'avis suivant, que le nonce Ferrata fit connaître à l'épiscopat vers la fin de juillet : En ce qui concerne la conduite à tenir vis-à-vis de la loi fiscale, le Saint-Siège entend laisser aux supérieurs des ordres religieux le soin de prendre eux-mêmes la décision qu'ils estiment la plus convenable, conformément à la lettre du cardinal Rampolla à l'archevêque de Tours. Il semblait bien ressortir de cette déclaration que Léon XIII n'était pas personnellement pour la résistance. Mais il ne voulait pas le dire. Vainement insista-t-on auprès de lui pour qu'il s'exprimât en termes plus clairs. Cette insistance finit par l'impatienter et, en novembre, quelqu'un qui le pressait encore de s'expliquer nettement sur la question en litige, n'obtint de lui — au dire de la Vérité française[26] — que cette boutade : Lasciate mi in pace ; mi pare che sarebbe tempo !

En fin de compte, la loi d'abonnement, acceptée de mauvaise grâce par les uns, ouvertement repoussée par les autres, ne paraissait pas devoir être beaucoup mieux observée que les lois qu'elle était destinée à remplacer. Nombre de congrégations se dérobaient encore avec succès à ses exigences vers la fin de 1895 et le ministère Ribot mourut de sa belle mort avant d'avoir pu les amener h s'y soumettre.

 

IV

Ce serait nous écarter de notre sujet que d'exposer ici en détail les faits qui amenèrent la retraite de ce cabinet. Il nous suffira de dire que, si le malaise causé dans le pays par la résistance de l'Église à la taxe d'abonnement fut peut-être pour quelque chose dans cet événement, le mécontentement provoqué par la gravité et la longue durée de certaines grèves[27], par les mécomptes de l'expédition de Madagascar[28], enfin par certains scandales financiers comme ceux des chemins de fer du Sud, fut la principale raison de son affaiblissement devant la Chambre des députés. Mis en minorité le 28 octobre, le ministère Ribot démissionna le jour même. Alors, par un revirement qui surprit un peu, c'est au parti radical que Félix Faure — qui pourtant ne l'aimait guère — demanda de former une nouvelle administration en chargeant de ce soin un de ses chefs les plus distingués et les plus jeunes, Léon Bourgeois[29]. Agit-il ainsi simplement par correction parlementaire, le parti radical ayant plus que tout autre contribué à la chute du ministère Ribot ? Avait-il aussi l'arrière-pensée que ce parti s'userait rapidement au pouvoir et que l'y appeler en ce moment était un sûr moyen de le discréditer à bref délai et pour longtemps ? C'est bien possible. Ce qu'il y a de certain, c'est que le cabinet entièrement radical, formé par Bourgeois le 1er novembre[30], ne pouvait avec ses seuls amis constituer une majorité et qu'il lui fallait pour cela faire alliance avec le groupe socialiste. Il devait donc dès le début avoir contre lui le Sénat, que les ardeurs dé ce groupe effarouchaient. Et le concours de la Chambre ne lui était point assuré pour longtemps s'il donnait au socialisme des gages trop apparents de son bon vouloir. Or ces gages il ne pouvait les lui refuser ; et, de fait, il lui fallut dans le programme gouvernemental qu'il présenta bientôt au Parlement faire une très large place aux réformes sociales, parler longuement des retraites ouvrières, de la loi sur les accidents du travail, de l'impôt global et progressif sur le revenu, etc. Quant à la question religieuse, qui préoccupait moins ses alliés que la question économique, il se contenta de promettre un projet de loi sur les associations, nécessaire, disait-il, pour préparer, quel qu'en soit le caractère, le règlement définitif des rapports entre les Églises et l'État souverain[31]... Mais le temps ne devait pas lui permettre de tenir cet engagement et le cabinet Bourgeois devait quitter les affaires sans que le dit projet eût été élaboré et que rien de sérieux eût été entrepris pour réagir contre la politique de l'esprit nouveau.

Le clergé, pour sa part, était, à ce qu'il semble, bien convaincu que le nouveau ministère ne durerait pas. Aussi ne faisait-il preuve d'aucun découragement et son attitude ne devenait-elle point plus rassurante que par le passé pour la République. Nombre de congrégations persistaient dans leur résistance à la loi d'abonnement. La majorité des évêques restait hostile. Ceux mêmes qui, récemment promus à l'épiscopat, avaient protesté le plus hautement, pour y être appelés, de leur loyalisme républicain, n'épargnaient pas plus que les autres, dans leurs écrits ou dans leurs discours, le gouvernement, les lois et les amis de la République. De ce nombre était le nouvel évêque d'Angers, Désiré Mathieu[32], qui, après avoir promis de travailler de tout son pouvoir à concilier la République et l'Église, déclaré qu'il n'y avait pas de plus belle triche, qu'il y mettrait sa vie de bon cœur, après avoir affirmé bien haut qu'il n'était pas de ces coureurs d'antichambre qui, arrivés, insultent ceux qui les ont poussés venait de s'inféoder à Brunetière, qu'il croyait fort capable de le servir en cour de Rome, et, haranguant son clergé le 1er janvier 1896, s'exprimait en ces termes sur le gouvernement de son pays :

... Ce pouvoir si étendu et si redoutable dépend de l'opinion, qui est faussée par une presse détestable et représentée par un corps de législateurs qu'il semble impossible de calomnier, tant les mauvaises passions y disputent l'empire à la médiocrité. C'est du Palais-Bourbon que sont sorties toutes les lois dont nous souffrons ; c'est là que se préparent les mesures qui peut-être détruiront nos congrégations religieuses et enlèveront au prêtre le morceau de pain que, depuis quelques années, on lui mesure avec tant de parcimonie et de mauvaise humeur. Évidemment rien ne sera changé en France tant que le suffrage universel ne sera pas amélioré ou réformé, tant que la liberté de la diffamation, du blasphème et de l'obscénité ne sera pas restreinte, tant que de grandes libertés locales ne seront pas concédées et que les écoles, les fabriques, les établissements de charité ou d'éducation resteront à la merci du pouvoir central et de la bureaucratie qui les tiennent asservis et ligotés[33]...

Le gouvernement ne crut pas devoir employer contre l'évêque qui tenait de tels discours la ridicule et impuissante procédure du recours pour abus au Conseil d'État. Il se préoccupa seulement des moyens d'améliorer, s'il était possible, pour l'avenir, le recrutement du personnel épiscopal. Le nouveau ministre des Cultes, Émile Combes[34], qui connaissait bien l'Église, pour avoir été élevé par elle et pour l'avoir servie, était depuis longtemps converti à l'anticléricalisme, qu'il servait avec l'énergie tenace dont il a depuis donné tant de preuves. Songeait-il dès cette époque à préparer la séparation des Églises et de l'État et la croyait-il possible ? On ne saurait l'affirmer. En tout cas, il croyait avec ses collègues que, si la République devait pour le moment s'en tenir à la politique concordataire, il fallait du moins que le Concordat fût strictement respecté par l'autorité religieuse comme il l'était par l'autorité civile. Il n'avait accepté le portefeuille qu'il détenait qu'à la condition de pouvoir exiger du clergé, qui les méconnaissait depuis si longtemps, la rigoureuse exécution des lois. Il faisait remplacer à Rome l'ambassadeur Lefebvre de Béhaine, qui depuis si longtemps y faisait les affaires de l'Église de France plutôt que celles de la République ; d'autre part il revendiquait énergiquement vis-à-vis du nonce les droits de l'État en matière de nomination d'évêques. On sait que, par la Vielleuse habitude que Jules Simon avait laissé prendre aux représentants du Saint-Siège, ces derniers avaient véritablement usurpé en France une initiative qui ne devait appartenir qu'au gouvernement. Aux termes du Concordat, les évêques, avant d'être institués canoniquement par le Pape, devaient être nommés par le chef de l'État. Mais en fait il y avait bien des années que ce dernier ne faisait plus que revêtir de sa signature les présentations du nonce. Combes surprit et scandalisa bien Ferrata le jour où, sans entente préalable, il lui présenta une liste de huit nouveaux évêques que, fort de son droit, il entendait faire nommer par le président de la République. Le représentant du pape se récria, se débattit. Mais le ministre des Cultes tint bon et, après de longs débats, ne consentit à retrancher qu'un seul nom de ladite liste. Combes voulut aussi, malgré les prétentions du nonce, faire admettre le droit du gouvernement de transférer — sauf institution canonique, bien entendu — un évêque ou un archevêque d'un siège à un autre. — La Cour de Rome soutenait qu'il n'appartenait qu'à elle de faire changer un prélat de diocèse et qu'en cette matière le gouvernement français ne pouvait adresser au pape qu'une prière. — Il s'agissait en l'espèce du siège archiépiscopal de Toulouse, où le ministre voulait faire monter Fonteneau[35], archevêque d'Albi, prélat conciliant, modéré, qui était pour lui persona grata, mais qui ne l'était nullement à la Cour de Rome. Le désaccord qui s'ensuivit entre Ferrata et Combes obligea le gouvernement à mettre en branle son ambassade auprès du Vatican. Et la négociation fut longue, pénible, si bien qu'elle n'était pas terminée en avril 1896, quand le cabinet Bourgeois fut à son tour obligé de se retirer.

 

V

Comme on avait pu le prévoir dès le premier jour, c'est à l'opposition que rencontra sa politique économique et sociale que Léon Bourgeois dut de ne pouvoir rester aux affaires. Le projet d'un impôt global et progressif sur le revenu, présenté par lui au Parlement en février 1896, fut la principale cause de sa chute. L'idée de cette innovation, fort mal accueillie au Sénat, médiocrement encouragée à la Chambre, avait été désapprouvée par la majorité des conseils généraux. Finalement, le Sénat, par un brutal refus de crédits (21 avril), mit le ministère dans la nécessité de démissionner ; et cette fois Félix Faure put constituer un gouvernement selon son cœur.

Ce gouvernement fut formé le 30 avril sous la présidence de Méline[36], ancien collaborateur de Jules Ferry, homme d'affaires habile et laborieux, mais politique timoré, qui, plus encore que son ancien patron, croyait depuis longtemps que le péril était à gauche et ne dissimula pas son intention d'orienter la République dans le sens des principes conservateurs. Renonçant à l'équivoque politique de concentration qui avait été si longtemps pratiquée, il voulut être, comme son prédécesseur, à la tête d'un ministère homogène ; mais au lieu de n'y appeler, comme Bourgeois, que des radicaux, il n'y fit entrer que des hommes décidés comme lui à pratiquer une politique de résistance et d'esprit nouveau. Aussi, tandis que Bourgeois, pour se constituer une majorité, avait dit faire alliance avec les socialistes de l'extrême-gauche, il lui fallut bien, pour former la sienne, s'appuyer en fait sur les conservateurs de la droite — bonapartistes, royalistes, cléricaux — ; et sans avoir le moins du monde l'intention de trahir ou d'ébranler la République, il se trouva condamné, comme Rouvier l'avait été en 1887, à user envers les ennemis du régime établi de ménagements que les amis de la République ne pouvaient point ne pas lui reprocher amèrement.

C'est ce que Goblet, qui l'interpella dès le 30 avril à la Chambre des députés sur sa politique générale, ne manqua pas de faire remarquer, lui représentant qu'il ne pouvait être que le prisonnier des prétendus ralliés et de l'Église. Vainement le nouveau président du Conseil repoussa-t-il avec énergie toute imputation de ce genre et soutint-il que les véritables amis de la République étaient ceux qui, comme lui, ne voulaient faire qu'une politique de conciliation et de tolérance. Il était bien difficile que les radicaux et lui s'entendissent sur la mesure de tolérance qu'il convenait de ne pas dépasser envers ce cléricalisme que Gambetta jadis avait dénoncé avec tant d'éclat comme l'ennemi capital de la République. De fait, le clergé montrait bien par son attitude et par ses discours qu'il se voyait maintenant assuré de la plus large indulgence et prenait avec la constitution, le gouvernement et les lois, des libertés que beaucoup, même parmi les modérés, pouvaient trouver excessives.

L'archevêché de Toulouse étant encore vacant, connue on l'a vu plus haut, à l'époque où s'était formé le cabinet Méline, le nouveau ministre des Cultes, Alfred Rambaud[37], avait cru devoir, pour complaire à la cour de Rome non seulement renoncer à la candidature Fonteneau, mais désigner pour ce poste l'évêque Mathieu, dont les récentes et inconvenantes sorties contre le Parlement et les lois républicaines ne pouvaient être oubliées. Il est vrai que ce prélat était son ami personnel. Mais une pareille nomination n'en était pas moins scandaleuse. Elle le parut d'autant plus que le lendemain même du jour où elle avait été signée, Mathieu crut devoir répondre à la nouvelle faveur qu'il venait de recevoir de la République en présidant avec éclat dans sa ville épiscopale d'Angers à la première communion du duc de Montpensier, frère du duc d'Orléans, et en prononçant devant la comtesse de Paris, mère de ce jeune prince, qui assistait à la cérémonie avec de nombreuses notabilités du parti royaliste, une allocution où, non content de célébrer en termes hyperboliques les mérites de son défunt époux et de son beau-frère le duc de Chartres, il exprimait le regret qu'en cette France qui tue ses prophètes et oublie ses traditions elle ne pût porter la couronne (31 mai 1896).

Cette grossière inconvenance ne pouvait évidemment passer inaperçue. Aussi le député radical Rivet vint-il dès le 6 juin la dénoncer au Palais-Bourbon par une interpellation qui donna lieu à un débat fort animé sur les progrès manifestes du cléricalisme. Rambaud, qui n'était pas orateur, défendit si piteusement son ami Mathieu, que Méline dut venir à son secours. Tant bien que mal, il le tira d'embarras[38] et, protestant toujours de la correction de son attitude et de ses intentions à l'égard du clergé, arracha finalement à la Chambre un ordre du jour pur et simple. Les évêques se prévalurent naturellement de cette nouvelle victoire, et certains d'entre eux, comme Sonnois[39], en profitèrent pour se permettre de nouvelles insolences envers une République si longanime, si accommodante, si bénévole.

 

VI

Mais ce n'étaient pas seulement les évêques qui manifestaient alors les sentiments politiques du clergé. L'hostilité ouverte de l'épiscopat était peut-être moins dangereuse pour la République que les agissements des prêtres ralliés ou soi-disant tels qui avaient la prétention de former une démocratie chrétienne, embrigadée par l'Église, c'est-à-dire une armée de contre-révolution. Si quelques-uns, comme Lemire, pouvaient être regardés comme sincères et vraiment attachés à l'idée républicaine — aussi étaient-ils honnis de l'épiscopat et des réfractaires qui les traitaient presque comme des renégats —, le plus grand nombre ne voyaient guère, au fond, dans la République, qu'une formule à exploiter pour regagner, s'il était possible, la confiance et la faveur populaires. C'étaient des prêtres jeunes, ambitieux et hardis, très désireux de jouer un rôle et qui, interprétant largement, au gré de leurs fantaisies ou de leurs désirs, les instructions pontificales, faisant au besoin volontiers appel à la démagogie-socialiste, comme le sans-culotte Jésus, tendaient à constituer une démocratie qui eût ressemblé singulièrement à celle de la Ligue. L'abbé Six, qui dirigeait à Lille depuis 1894 une feuille déjà bien connue[40], la répandait de son mieux parmi les populations ouvrières du Nord. À Paris, Naudet faisait campagne dans le Monde, avec une activité infatigable, secondé par Fesch, qui naguère encore avait eu son journal à lui — la Cocarde[41] —, et par d'autres ecclésiastiques non moins remuants et non moins hardis. Il se multipliait, par la polémique quotidienne, par le livre[42], la conférence publique, l'enseignement, rivalisant en cela avec l'entreprenant abbé Garnier, qui, après avoir collaboré si bruyamment à la Croix, avait fondé pour son compte le Peuple français et formait ; sous le nom d'Union nationale, une ligue électorale dans toute la France. L'abbé Dabry écrivait aussi fort assidûment dans diverses feuilles et cherchait à attirer l'attention sur lui en organisant à l'hôtel des Sociétés savantes des conférences où ses amis et lui s'efforçaient de prouver à la République qu'elle avait tout intérêt à s'abandonner sans réserve aux directions de l'Église. L'abbé Gayraud, ex-dominicain, qui, comme beaucoup d'autres, rêvait de devenir député, et qui ne devait pas tarder à l'être, se montrait partout où l'agitation catholique paraissait faiblir, utilisant sans relâche au milieu des foules l'aplomb et la faconde dont la nature l'avait doué. Bien d'autres encore, tels que les Soulange-Bodin, les Dehon, etc., travaillaient, soit dans la capitale, soit en province, à remuer les masses ouvrières par la parole, à les embrigader et à les grouper en associations qui, mues par le clergé, pussent bientôt servir de leviers pour ébranler le suffrage universel. Le concours de certains laïques, puissants et riches, comme L. Harmel, le manufacturier bien connu du Val-des-Bois, ne faisait pas défaut à cette démocratie en soutane. Aussi, grâce à tant d'efforts, voyait-on naître et grandir en diverses parties de la France de prétendues ligues ouvrières qui n'étaient au fond que des agences de propagande cléricale dont l'action régionale se manifestait de temps à autre assez bruyamment par des publications ou par des congrès. C'est ainsi que s'étaient constituées en 1894 l'Union démocratique du Nord de la France et l'Union démocratique des Ardennes ; l'année suivante, la Fédération des travailleurs chrétiens du Centre et de l'Ouest, puis l'Union démocratique de Paris. En 1896, on voulut faire mieux et l'on entreprit de coordonner toutes ces œuvres pour en faire un parti national qui pût parler et agir au nom de toute la France ouvrière. C'est de cette idée que sortit le Congrès ouvrier chrétien qui fut à cette époque tenu à Reims[43] et où deux cent treize associations locales furent représentées (24-26 mai). Cette assemblée, soigneusement préparée par une commission dont les travaux n'avaient pas duré moins de cinq mois, et aux délibérations de laquelle prirent part non seulement des prêtres comme Lemire, mais des orateurs laïques comme le comte de Mun, se prononça sur tous les points d'un programme fort vaste[44], qui avait pour but de catholiciser la réforme sociale. Elle demanda notamment : que la personnalité civile complète et sans restriction fût accordée aux syndicats ; que les petits métiers et les petits commerces fussent particulièrement protégés ; que des lois fussent votées pour assurer le respect des droits de l'individu et de la famille, le respect de l'Église ; que la législation ouvrière sauvegardât la justice sans porter atteinte à la liberté ; que l'Église s'efforçât de créer des œuvres utiles, s'attachât à enseigner la morale sociale, à reconquérir la popularité, par la parole, par la presse, par les œuvres, et qu'elle exerçât sur le Parlement une surveillance et un contrôle sérieux. Enfin le Congrès ne voulut pas se séparer sans avoir institué la grande fédération nationale qu'on appela dès lors le Parti démocratique chrétien et à la tête de laquelle fut placé un Conseil d'administration formé de deux délégués de chacune des unions régionales existantes, avec un secrétaire général résidant à Paris et chargé pour ainsi dire du pouvoir exécutif du parti.

Un congrès ouvrier, c'était bien, mais les abbés démocrates voulaient mieux encore. Ils s'étaient mis en tête de réunir aussi à Reims un Congrès ecclésiastique, c'est-à-dire de faire appel aux masses profondes du clergé français et de les convier à faire librement connaître leurs vues sur l'organisation, le fonctionnement, le rôle social de l'Église dans la France républicaine[45]. Depuis le mois de janvier 1890, les Lemire, les Dabry et autres promoteurs de cette entreprise sans précédent répandaient leurs circulaires, leurs appels et dressaient le plan des travaux de la future assemblée. Il va sans dire que, sans parler de la presse réfractaire, que leurs tendances démocratiques inquiétaient, ils eurent contre eux un grand nombre d'évêques, qui, sans s'opposer formellement à la réunion du Congrès[46], furent loin de l'encourager, non seulement parce qu'ils craignaient de voir la politique du ralliement en bénéficier, mais parce qu'ils se disaient que si les curés de France prenaient l'habitude de se réunir et de discuter entre eux, ils pourraient bien perdre celle d'obéir et deviendraient moins respectueux de l'autorité épiscopale. Il résulta de cette attitude du haut clergé-que le clergé des paroisses fut en immense majorité intimidé et n'osa pas répondre à l'appel des organisateurs du Congrès comme il l'eût fait s'il y eût été invité ou cordialement autorisé par ses chefs.

L'assemblée n'en fut pas moins Tenue à l'époque indiquée ('...14 août 1896) et dans la ville de Reims. Le cardinal Langénieux. avait bien voulu qu'elle tint ses séances dans son palais archiépiscopal, parce qu'il pensait peut-être qu'elle échouerait misérablement. Il la fit présider par son vicaire général Péchenard, qui comptait qu'elle ne comprendrait guère qu'une cinquantaine de membres. Elle en comprit en réalité plus de 600, ce qui n'était guère si l'on considère le nombre total des prêtres qui forment en. France le clergé des paroisses, mais ce qui était suffisant pour que le Congrès ne parût pas avoir avorté. Ses travaux, qui durèrent trois jours et qui ont depuis été publiés en un gros volume par les abbés Lemire et Dabry, eurent pour objets : 1° l'action sacerdotale, c'est-à-dire l'ensemble des moyens d'action du clergé sur la société — ministère ecclésiastique, prédication, presse religieuse, enseignement, œuvres pieuses, charitables ou sociales, etc. — ; 2° la science, c'est-à-dire le mode d'enseignement qui convient pour former les prêtres ; 3° enfin l'organisation du clergé, c'est-à-dire le recrutement du personnel, les institutions diocésaines, la vie paroissiale, les associations de prêtres, etc. Sur tous ces points il fut tenu des discours qui prouvaient surtout le désir qu'avaient les jeunes prêtres de prendre part à la vie publique et de pouvoir, tant par une instruction plus large et plus positive que celle qu'on leur avait donnée jusqu'alors que par une plus grande liberté d'action, exercer sur les classes populaires l'influence prédominante qui, suivant eux, était due à l'Église.

En somme les organisateurs et les membres du Congrès ecclésiastique de Reims eussent voulu que le clergé des paroisses se mit résolument à la tête de la démocratie chrétienne. Mais outre que la grande majorité de ce clergé n'osait ou ne voulait pas les suivre, la grande majorité des évêques, demeurée fidèle au parti réfractaire, les royalistes et les cléricaux — riches et puissants qui marchaient encore avec eux, ne songeaient qu'à arrêter ou à faire dévier ce mouvement. On le vit bien notamment en novembre 1896 au nouveau Congrès que la Fédération nationale instituée à Reims au moi de mai précédent vint tenir à Lyon et où — sans parler des bagarres que certains de ses membres provoquèrent dans tes rues par des manifestations tapageuses[47] — il fut beaucoup plus question de combattre les juifs et les francs-maçons que d'améliorer la condition des ouvriers[48].

 

VII

Au milieu de ce double courant d'agitation catholique, que devenait le gouvernement ? Le gouvernement laissait faire, laissait passer. Félix Faure et ses ministres avaient à ce moment la bonne fortune d'avoir trouvé un dérivatif assez puissant pour détourner l'attention publique des intrigues des ralliés, de celles des réfractaires et de la marée montante du cléricalisme. Ce dérivatif, c'était l'alliance russe, depuis si longtemps annoncée et qui, proclamée enfin sans détours, tournait littéralement la tête au peuple français. La République s'était jadis pâmée d'aise en apprenant qu'Alexandre III, à Cronstadt, avait fait à la Marseillaise l'honneur de l'écouter tête nue. Depuis, l'amiral et les officiers que ce souverain avait envoyés visiter notre capitale y avaient entendu des acclamations et reçu des marques de sympathie dont l'intempérance confinait au ridicule (1893). La France libre n'avait reculé devant aucun sacrifice pour s'assurer l'amitié d'un gouvernement abominable, dont le monde civilisé ne pouvait constater qu'avec horreur la barbarie et la corruption. A chaque politesse que le tsar voulait bien lui faire, quelques milliards de plus sortaient de son épargne et prenaient le chemin de Saint-Pétersbourg. Récemment, elle s'était aveuglément associée à son imprévoyante politique en Extrême-Orient[49] et pour lui complaire n'avait protesté que du bout des lèvres contre les massacres d'Arménie[50]. Maintenant l'autocrate, ayant encore besoin de beaucoup d'or, faisait aux Parisiens l'extraordinaire faveur de les venir saluer en personne, avec la tsarine (octobre 1896). Cette fois l'enthousiasme populaire devint un véritable délire. Nicolas II, qui ne songeait à rien moins qu'à nous venger de nos malheurs passés et que préoccupait seulement l'idée d'un nouvel emprunt, fut reçu comme un général vainqueur qui nous eût rapporté l'Alsace et la Lorraine. Toutes les classes, tous les partis s'unirent pour le fêter et l'acclamer. Arthur Meyer, le juif converti du Gaulois, l'ancien courtier de Boulanger, l'ancien protégé des duchesses, rivalisait d'empressement avec les ministres pour faire aux augustes visiteurs les honneurs de notre capitale.

Au milieu de ces effusions patriotiques ou soi-disant telles, sous l'impression toute vive des paroles d'amitié que Nicolas avait daigné nous faire entendre, la France ne songeait guère à demander compte au gouvernement de ses complaisances pour l'Église. Quand le député Mirman crut devoir appeler l'attention de la Chambre sur la longanimité avec laquelle le ministère avait laissé se réunir et délibérer le Congrès ecclésiastique de Reims, Méline n'eut pas beaucoup de peine à faire approuver la large tolérance dont il avait couvert cette assemblée, ainsi que pas mal d'autres analogues ; l'abbé Lemire put, sans soulever d'orage, exposer très franchement les projets et les espérances de l'Église. Il s'agissait, disait-il, d'une action électorale à entreprendre. La chose, ajoutait-il, n'a rien qui doive surprendre. On a décidé bruyamment une chose visible comme le monde... on a décidé qu'on cesserait d'attendre je ne sais quel sauveur qui ne vient jamais et qu'on appliquerait l'adage : aide-toi, le ciel t'aidera ; va, parle, agis et la République te sera ouverte. (12 novembre 1896).

Que la République dût être ouverte aux catholiques militants, c'était bien. Mais cela ne suffisait pas. Nombre d'entre eux eussent voulu qu'elle fût fermée aux mal pensants. Ils demandaient, par l'organe du vicomte d'Hugues, la suppression des facultés de théologie protestantes. Vers la même époque et un peu plus tard (novembre 1896, mars et avril 1897), ils dénonçaient avec indignation comme un péril national les entreprises et les progrès des missions protestantes en Algérie et surtout à Madagascar, alors qu'il était avéré que, dans cette île, sous le gouvernement du général Gallieni, il n'y avait d'encouragements et de faveurs que pour les missionnaires catholiques, particulièrement pour les Jésuites. L'audace des meneurs du cléricalisme grandissait avec leurs succès. La basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, où cinq à six mille pèlerinages s'étaient portés depuis vingt ans et d'où essaimaient d'innombrables confréries qui combattaient le bon combat dans toute la France[51], était devenue comme la citadelle de la contre-révolution. Vainement au Palais-Bourbon (séance du 20 janvier 1897) Gérault-Richard et Rouanet, appuyés par Viviani, Goblet et d'autres encore, en demandèrent-ils la désaffectation. Le nouveau ministre des cultes, Darlan, la défendit et la fâcheuse loi de 1873, à qui elle devait l'existence, ne fut pas abrogée. Au Sénat, le catholique Fresneau proposait — sans succès, il est vrai — de rendre aux communes le droit d'avoir à leur choix des instituteurs publics laïques ou congréganistes (22 janvier). Les évêques redevenaient provocants dans leurs écrits comme dans leurs discours. A peine assis sur son siège archiépiscopal de Toulouse, Mathieu, qui ne voulait pas être oublié, rappelait sur lui l'attention publique par un mandement de carême où il revendiquait hautement pour le clergé une pleine liberté d'action sur le terrain politique[52] (février 1897). A peu près dans le même temps, le clergé breton montrait pratiquement quel usage il entendait faire de cette liberté en imposant aux paysans  du Finistère la candidature législative de l'abbé Gayraud[53] qui, soutenue publiquement dans les églises, et recommandée par les prêtres à domicile ou au confessionnal, avec menace de refus d'absolution, remporta sans trop de peine une éclatante victoire (janvier). Le député Hémon, qui était du pays et qui avait vu de près ces agissements, les signala dans un discours vigoureux, qui eût les honneurs de l'affichage (4 mars). Il parvint même à faire invalider l'élection de l'entreprenant abbé. Mais il ne devait pas l'empêcher d'être réélu, et par les mêmes moyens, quelques mois après[54]. Enfin l'interpellation par laquelle, en avril, le sénateur Joseph Fabre vint demander quelles mesures le gouvernement avait prises ou comptait prendre en présence des menées cléricales et des directions pontificales n'eut d'autre effet que d'amener Méline à renouveler une fois de plus les déclarations banales et platoniques déjà formulées par tant de ministres, à savoir qu'il n'était pas clérical ; que le cléricalisme était un parti qui n'avait rien de commun avec la religion ; qu'il n'entendait pas que l'idée religieuse fût mêlée à la politique ; qu'il ne voulait pas que le clergé se jetât dans l'arène électorale, transformât sa chaire en tribune. Il ne pouvait, il est vrai, ajoutait-il, empêcher le prêtre de se présenter devant le suffrage universel. Mais il exprimait le vœu qu'il ne fût pas abusé de ce droit et se disait convaincu que tel était le sentiment des chefs éclairés du clergé.

Or ce clergé, qu'il rappelait à l'ordre avec tant de ménagements, se croyait si peu tenu pour sa part à rendre la pareille au gouvernement que, peu après, au lendemain d'une, grande calamité publique, un orateur ecclésiastique n'hésita pas à braver, par des paroles dune cruelle insolence, non seulement des familles en deuil qui n'attendaient de lui que des prières, mais le chef de l'État venu pour leur témoigner sa sympathie. L'incendie du Bazar de la Charité, où, depuis quelques semaines, une société riche et généralement bien pensante affluait pour s'associer à une œuvre de bienfaisance, fit périr, on s'en souvient, dans la journée du 4 mai 1897, plus d'une centaine d'hommes et de femmes du monde, dont quelques-unes appartenaient à d'illustres familles — la duchesse d'Alençon, la comtesse d'Hunolstein, la marquise Maison, la baronne de Vatimesnil, etc. —. A la nouvelle de cette catastrophe, l'émotion fut profonde dans toute la France, dans toute l'Europe, dans tout le monde civilisé. Quand, quatre jours après, eurent lieu à Paris, dans les temples des diVers cultes salariés par l'État, des services funèbres en l'honneur des victimes, qui étaient en grande majorité catholiques, le gouvernement tint à assister à celle de ces cérémonies qui devait avoir le plus d'éclat, c'est-à-dire à celle qui devait avoir lieu dans l'église Notre-Darne. Il eût pu sans scandale s'en abstenir. En tout cas, venant rendre hommage par cette démarche au sentiment religieux, il ne pouvait s'attendre à l'espèce d'affront qui lui fut infligé par un prédicateur fanatique et malappris, sans respect pour son auditoire, comme pour le lieu où il parlait. Il est vrai que, moins complaisant pour l'Église et mieux avisé, le président Félix Faure n'eût pas permis qu'en sa présence, en celle des présidents des Chambres, en celle des ministres et de délégués de tous les grands corps de l'État, un moine appartenant à une congrégation non autorisée et légalement dissoute — celle des dominicains — fut admis à monter en chaire, étant donné surtout que ce religieux, le Père Ollivier, s'était depuis longtemps fait connaître par son intempérance de langage qui bravait souvent toute convenance, ainsi que toute légalité. Il eût été sage à lui, tout au moins, d'exiger que le discours qui devait être prononcé par le moine en question lui fût communiqué à l'avance. Cette précaution n'ayant pas été prise, Ollivier put insulter à son aise à la douleur des familles qui se pressaient pour l'entendre en développant devant elles, comme devant les pouvoirs publics et les ambassadeurs des puissances étrangères — de l'Allemagne en particulier —, cette thèse barbare et monstrueuse que la catastrophe du 4 mai n'était qu'un châtiment divin de l'orgueil de ce siècle ; que la justice céleste voulait que les innocents périssent pour racheter les crimes des coupables ; que tant de bons Français qui étaient morts vingt-sept ans auparavant en défendant leur patrie n'avaient pas constitué une expiation suffisante, que des victimes encore plus, pures manquaient à l'holocauste, bref que le Dieu de nos pères devait être béni d'avoir cru leurs enfants capables de payer la rançon de leurs fautes, si lourde que fût la delle et si dur que dût are le paiement.

Cette immorale et inepte théorie de la justice divine souleva d'indignation tout l'auditoire, tout Paris, toute la France. Le président de la République, qui se fût honoré en ne laissant pas le moine achever un pareil discours ou en se retirant pour ne plus l'entendre, écouta au contraire et sans sourciller ces divagations impies et féroces. Si l'humanité, le bon sens, l'honneur de la République furent vengés, ce ne fut pas par lui, ce fut par le président de la Chambre des députés, Henri Brisson, qui, peu de joies après (18 mai), se fit un devoir de prononcer ces fortes et sévères paroles :

... La France a reçu des marques de sympathie du monde entier. Ces témoignages de la fraternité entre les hommes nous mettent bien loin et planent fort au-dessus de la conception d'un Dieu qui, non content d'avoir frappé notre pays il y a vingt-six ans, aurait encore pris une centaine de généreuses femmes en otages de nos crimes et qui poursuivrait la France de sa colère jusqu'à ce qu'il l'ait forcée à rétablir chez elle l'unité d'obédience. Ce langage ne nous troublera pas dans notre respect pour les croyances... En se démasquant à contre-sens de l'émotion universelle, le fanatisme n'aura pas seulement groupé les républicains dans le combat engagé pour l'indépendance de ce pays, il aura réuni dans la même révolte tous les cœurs accessibles à la pitié...

 

VIII

La France applaudit sans doute en très grande majorité à ce noble langage. Mais le discours de Brisson ne suffit pas pour lui faire ouvrir les yeux sur le péril clérical qui grandissait tous les jours. fallait de nouveaux et plus criants scandales pour qu'elle en mesura enfin toute la gravité, de nouvelles audaces de l'ennemi pour qu'elle en vint à le regarder en face et à se défendre sérieusement. On vit donc bien des mois encore le ministère Méline, encouragé par Félix Faure — qui avait des raisons personnelles pour ne pas le pousser à la guerre —[55] couvrir d'une ignorance voulue et d'une indulgence de jour en jour plus large les progrès et les empiètements de la réaction catholique. Plus que jamais les congrégations reconstituées au mépris des lois bravaient impunément le fisc et la justice. Plus que jamais les évêques encourageaient leurs prêtres à méconnaître l'autorité civile[56]. Vainement la presse républicaine jetait-elle le cri d'alarme et, en termes de plus en plus vifs, reprochait-elle à un cabinet qui se disait et se croyait républicain son inconcevable complaisance pour les ennemis de la République. Vainement le Convent maçonnique de Paris publiait-il, en septembre, un manifeste par lequel il invitait les membres du Parlement à favoriser le mouvement républicain par le remplacement d'un ministère qu'il qualifiait hautement de gouvernement réactionnaire et clérical. Méline et ses collègues ripostaient en protestant bien haut de la pureté de leurs intentions et de la correction de leur politique[57]. La campagne de discours qu'ils firent dans toute la France au cours des vacances parlementaires de 1897 avait pour but de démontrer au public qu'eux seuls, en tendant la main, comme ils le faisaient, aux ralliés, servaient intelligemment la République, dont les radicaux et les socialistes étaient au contraire les ennemis les plus dangereux. A les entendre, c'était en s'abandonnant à ces deux partis qu'on rendait inévitable une nouvelle réaction et un nouveau Seize-mai. Ils se défendaient avec indignation de favoriser les adversaires du régime établi. Et voici comment l'un d'eux[58], racontant quelque temps après leur histoire, s'efforçait de justifier l'attitude et les compromissions qui leur étaient si fort reprochées :

... Ils accueillaient les hommes de bonne foi que leur patriotisme éclairé, las de vaines expériences et d'agitations impuissantes, amène à la République. Et ils se refusaient à admettre que l'adhésion à nos institutions ne fût sincère que sous les espèces radicales ou socialistes, et que certains citoyens n'eussent pas le droit de faire, dans un but de conservation sociale, ce qu'il serait loisible à d'autres de faire dans un but de révolution sociale. A l'égard du cléricalisme, avec lequel on l'accusait toujours de pactiser, le gouvernement n'avait pas changé d'attitude : il respectait la religion et admettait son libre exercice, mais ne souffrait pas qu'elle devînt l'instrument plus ou moins déguisé des agitations et des ambitions politiques et que le prêtre sortit de son rôle pour jeter l'autorité de son sacerdoce dans la lutte des partis. Il voulait que le clergé se renfermât rigoureusement dans sa haute mission et observât le Concordat dans sa lettre et dans son esprit...

Il est bien possible que l'auteur de ces lignes et ses collègues fusent sincères et, de bonne foi, ne se rendissent pas compte qu'ils dépassaient la mesure des complaisances qu'un ministère républicain pouvait se permettre envers le clergé sans compromettre la République. Mais à coup sûr, s'ils ne cherchaient pas à tromper, on peut affirmer qu'ils se trompaient. Nous en avons pour preuve les témoignages de reconnaissance à eux rendus par des écrivains catholiques, qui, ayant fort à cœur le triomphe de l'Église, ont cru devoir rappeler publiquement tout ce que la bonne cause avait gagné à leur passage aux affaires.

L'esprit nouveau, dit l'un d'eux[59], rendit possible la constitution et la durée du ministère Méline... Et c'est à la faveur du souffle libéral que les catholiques purent travailler avec succès, de 1894 à 1900, à étendre et à faire progresser leurs œuvres ; que leurs collèges et leurs écoles se remplirent ; que les ordres religieux, victimes des expulsions de 1880, achevèrent de reconstituer leurs maisons, de rouvrir leurs chapelles et reprirent ouvertement la direction d'établissements scolaires...

... Soyons justes, déclare loyalement un autre[60], Félix Faure a tout fait pour répondre aux avances du saint Pontife et des catholiques. M. Méline est entré dans ses vues. La diplomatie romaine a reçu de celui-ci des services appréciés. Il a, dans l'intérieur de la France, fermé les yeux sur la violation des lois existantes, en laissant un grand nombre de maisons religieuses rouvrir leurs portes, se fonder et prospérer. Cet air de liberté avait jeté ses premiers souffles depuis quelque temps déjà Mais il ne fut jamais aussi abondant et aussi chaud que sous son ministère. Rome et tous ceux qui avaient suivi ses directions s'abandonnaient aux douceurs de la confiance. On attendait tout de M. Méline. Le ralliement triomphait[61]...

Voilà qui est fort clair assurément. Si, du reste, on voulait plus de détails, et des détails plus précis, plus concrets, on en trouverait de fort instructifs et de fort probants, non seulement dans les ouvrages de polémique anticléricale que nous avons indiqués en tête de ce chapitre et dont nous avons cru pouvoir faire usage, mais dans d'autres livres, écrits pour la glorification de l'Église et que nous avons lus avec le plus grand profit. Nous citerons notamment le fort intéressant volume où l'abbé Baunard a pris soin de retracer le relèvement et les conquêtes du clergé catholique au cours et particulièrement à la fin du XIXe siècle. On y verra qu'au dire de cet auteur, particulièrement bien informé, toutes les entreprises catholiques étaient, dans notre pays, à l'époque qui nous occupe, en progrès notable et en voie de prospérité. Le pieux apologiste de l'Église constate avec une satisfaction bien naturelle que, sans parler de leurs établissements d'enseignement secondaire, dont la réouverture est depuis longtemps un fait accompli et dont les élèves contribuent pour un quart ou un tiers au recrutement des grandes écoles du gouvernement[62], les congrégations religieuses, qui ne disposaient que de 11.754 écoles primaires en 1886, en dirigent 16.129 en 1897 ; que le nombre des élèves de ces écoles s'est élevé pendant la même période de 907.246 à 1.477.310, et qu'elles ne coûtent pas moins de 56 millions par an aux catholiques qui les entretiennent[63].

Les diverses classes de la société, particulièrement les classes populaires, sont, à cette époque, enveloppées et pour ainsi dire ligotées dans un réseau d'œuvres pieuses que Baunard énumère complaisamment et qui, prenant le chrétien à peine né, le suivent et le retiennent pendant toutes les phases de sa vie. Pour la première enfance et l'enfance proprement dite, il y a les œuvres de charité maternelle, la Société des berceaux, l'Association des mères de famille, la Maternité Sainte-Anne, la Société des Crèches, les Salles d'asiles, les Ecoles maternelles, les Ecoles chrétiennes, l'Œuvre des faubourgs, celle de l'Adoption, celle des Enfants trouvés, la Société de protection pour l'enfance abandonnée ou coupable, l'Association des jeunes économes, l'Œuvre des catéchismes, celle de la première communion, celle de l'Enfant. Jésus, celle de la première communion des ramoneurs, celles des Enfants de la Voirie, des Bateliers, des Forains, etc. — Pour l'adolescence, ce sont les Orphelinats, les Apprentissages, les patronages de la Congrégation de Dom Bosco, la Société des amis de l'enfance, les Œuvres de Sainte-Rosalie, de Saint-Jean, l'Association pour le placement et le patronage des enfants, les Ateliers chrétiens, l'Œuvre des apprentissages catholiques des jeunes filles. — Pour l'âge mûr, les Cercles catholiques, les associations d'employés ou d'ouvriers, l'Office central des institutions charitables. — Parmi les Œuvres de bienfaisance, citons l'Assistance paroissiale, les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, le Vestiaire des pauvres, l'Œuvre de la Miséricorde pour les pauvres honteux, la Caisse des loyers, les Fourneaux économiques, la Marmite des pauvres, l'Hospitalité de nuit, l'Œuvre de Bethléem. — Pour les malades ou les vieillards, l'Église dispose d'un très grand nombre d'hôpitaux et d'hospices privés. Elle a les Petites sœurs des pauvres, elle a l'Œuvre de la visite des pauvres malades, les Religieuses auxiliatrices des Darnes du Purgatoire, les Sœurs servantes des pauvres, les Sœurs franciscaines, les Sœurs du Très-Saint-Sauveur, les Petites sœurs de l'ouvrier, les Sœurs garde-malades, l'Œuvre du Pansement, les dispensaires de la Charité, les Sœurs de Notre-Dame — pour les femmes en couches —, les Sœurs de la Charité maternelle, les Petites sœurs de l'Assomption, etc. — Enfin l'on ne peut oublier les œuvres purement sociales et morales, comme le Secrétariat du peuple, le Bon-Pasteur — avec ses quarante maisons —, Notre-Dame de la Miséricorde de Laval, les Refuges de Sainte-Madeleine ; les Œuvres d'instruction et d'encouragement au bien — Bibliothèques populaires, Œuvre de Saint-Michel, Bibliothèques paroissiales, Œuvres de Saint-Paul — ; et les œuvres de l'Au-delà comme celle des Sœurs auxiliatrices des âmes du Purgatoire[64].

Les œuvres d'assistance et d'instruction religieuse n'étaient pas les seules qui se fussent multipliées et eussent grandi vers la fin du XIXe siècle. Les œuvres de mysticisme et de pure dévotion prenaient aussi chaque jour le développement le plus inquiétant. Les Pèlerinages, les Retraites, les exercices automatiques de piété étaient plus que jamais en faveur, au grand profit du clergé[65]. Les congrégations, comme on le verra plus loin, ne faisaient que grandir en nombre et en richesse. Enfin, sans parler de l'armée, de la marine et des grandes administrations, où le haut personnel était encore, en général, à la dévotion de l'Église, il n'était pas jusqu'à l'Université où, sous l'in fluence d'un personnel administratif trop souvent dénué de courage et sous celle de certains maîtres foncièrement cléricaux ou asservis à des influences cléricales — Brunetière, Ollé-Laprune, etc. —, on ne vit se former et grandir chaque jour un groupe réactionnaire qui, à côté de catholiques sincères et profondément estimables — comme les Goyau, les J. Guiraud, etc. — commençaient à se remuer de vulgaires ambitieux, pour qui l'idée religieuse n'était que prétexte ou instrument d'agitation.

En somme la République avait laissé s'introduire chez elle ses pires ennemis. S'ils eussent été prudents et eussent su attendre, ils eussent peut-être fini par se rendre maîtres de la place. Heureusement, ils ne furent pas sages. Aussi, grâce à leur excès d'audace et d'impudence, n'allait-elle pas tarder, comme jadis Orgon vis-à-vis de Tartufe, à se ressaisir. Et franchement, il n'était que temps.

 

 

 



[1] 451 voix, contre 195 à Brisson et 97 à Charles Dupuy.

[2] Dupuy venait de poser vis-à-vis de lui sa candidature à la Présidence de la République et, n'ayant pas réussi, ne renonçait pas à la poser de nouveau plus tard.

[3] Aussi longtemps, disait-il, qu'elles (les destinées de la France) me seront confiées, respectueux de la volonté nationale et pénétré du sentiment de ma responsabilité, j'aurai le devoir de ne laisser ni méconnaître ni prescrire les droits que la Constitution me confère.

[4] Ministère de la Guerre.

[5] Ministère de la Marine.

[6] Où, sous le titre de section de statistique, fonctionnait le service de l'espionnage et du contre-espionnage militaire. Ce service avait alors pour chef le colonel Sandherr, qui avait sous lui le commandant Cordier et ce commandant (plus tard colonel) Henry, à qui l'affaire Dreyfus devait faire une si triste célébrité.

[7] Il s'était fait du tort par le sot entêtement avec lequel, se vantant de son flair d'artilleur, il avait dédaigneusement repoussé les propositions de l'inventeur Turpin (Chambre des députés. 21 mai 1891), et plus récemment par l'imprudent licenciement de 60.000 hommes des classes de 1891 et 1892, mesure prise par lui spontanément et dont il n'avait morne pas fait part au Président de la République. Ce dernier acte lui faisait craindre une interpellation et il cherchait une diversion.

[8] Qu'on le fusille, dit la Libre Parole le 2 novembre. — Qu'on le fusille et qu'on se taise, dit un peu plus tard la Cocarde. On propose, de le mettre dans une cage de fer et de le faire défiler devant les régiments avant de l'exécuter. On attaque violemment le député Joseph Reinach, son coreligionnaire, qu'on accuse de l'avoir imposé au ministère de la Guerre. On s'en prend hautement à toute la juiverie. Drumont, le 6 novembre, signale le grand complot juif qui nous livrerait pieds et poings liés à l'ennemi si on ne se décidait, au moulent où la guerre deviendra imminente, à prendre des mesures de salut public... Quelques innocents, ajoute-t-il, se trouveront peut-être confondus avec les coupables. Mais il pense sans doute, comme le pieux égorgeur du XIIIe siècle, que Dieu saura reconnaître les siens. Le même Drumont prend soin, du reste, de publier la liste des officiers juifs, c'est-à-dire des futures victimes. D'ailleurs, ce n'est pas, dit-il, Dreyfus qui est criminel, c'est sa race ; il ne pouvait pas faire autrement que de trahir. Le Pèlerin (10 novembre) dit que le tsar avait l'intelligence de la situation quand il excluait les Juifs en masse de son armée et de son empire. — Le Juif, dit le Triboulet (11 novembre), n'est qu'un mélange de voleur, de ruffian et de porc. — Quoi ! s'écrie la Croix, le déicide, dont ils portent la malédiction perpétuelle, ne toucherait plus notre génération !

[9] On n'a su que plus tard qu'il faisait allusion à un Espagnol qui vivait Paris des basses besognes de l'espionnage.

[10] Guyane française.

[11] Drumont, par exemple, demande l'expulsion de tous les Juifs : Hors de France les Juifs ! La France aux Français ! Rendant compte de la dégradation de Dreyfus, le 6 janvier, la Libre Parole ajoute : Puissance du symbole : ce n'était pas un homme qu'on dégradait pour une faute individuelle, mais toute une race dont on mettait la honte à nu. En même temps que ce journal, la Croix, le Pèlerin, la Terre de France, la Gazette de France, l'Intransigeant, la Cocarde, etc., ne cessent de répéter que les Juifs ne sont pas des Français et ne doivent pas être traités comme tels. Urbain Gohier, du Soleil, qui plus tard prendra le parti du condamné, parle alors comme Drumont et déclare que Dreyfus a obéi, en trahissant, à la fatalité de sa race. Les socialistes accablent aussi le malheureux officier, parce qu'il est juif et riche. Certains publicistes représentent. Mercier comme un héros, d'autres reprochent au gouvernement d'avoir voulu sauver le traître et de ne l'avoir pas fait condamner à mort.

[12] L'ambassade d'Allemagne ne mentait pas en affirmant qu'elle ne connaissait pas Dreyfus. Elle n'en eût pas dit autant d'Esterhazy. Elle ne savait pas, du reste, que la pièce pour laquelle Dreyfus venait d'are condamné, pièce qui ne lui était pas parvenue, fût d'Esterhazy.

Quant au gouvernement français, il ignorait alors les rapports de ce dernier avec l'Allemagne. Casimir Perier put bien croire que les dénégations de l'ambassadeur et de l'empereur, dont il était obligé de se contenter, manquaient, au fond, de sincérité.

[13] Burdeau, qui n'avait pas peu contribué à lui faire accepter la Présidence de la République, dont il ne voulait pas, venait de mourir, à 43 ans, 12 décembre 1894.

[14] A la suite d'un débat où la Chambre s'était prononcée contre les grandes Compagnies de chemins de fer, auxquelles Casimir Périer passait pour être favorable, Dupuy s'était hâté de, donner sa démission et on a pu croire qu'en agissant ainsi il n'avait pas été fâché de le mettre dans l'embarras (15 janvier 1895).

[15] Le nouveau ministère, constitué le 27 janvier 1895, était ainsi composé : Présidence du Conseil et finances, Ribot ; Justice, Trarieux ; Affaires étrangères, Hanotaux ; Intérieur, Leygues ; Instruction publique, Poincaré ; Commerce, André Lébon ; Agriculture, Gadaud ; Travaux publics, Dupuy-Dutemps ; Colonies, Chautemp ; Guerre, général Zurlinden ; Marine, amiral Desnard.

[16] Un certain nombre d'évêques, réunis à Paris en 1890 pour organiser la résistance à la loi, avaient, dit Guillibert (dans sa vie du Cardinal Bayer), pris conseil de l'homme le plus compétent de tous en cette matière, l'ancien receveur de l'enregistrement de Rouen, M. Robert. — Mgr de Clermont, dit le même auteur, se félicitait d'avoir dans sa ville épiscopale des représentants de l'administration parfaits chrétiens et dignes de la réputation que les fonctionnaires de l'enregistrement, hommes intègres et sûrs entre tous, se sont généralement acquise. On gagna du temps. Jusqu'en 1895, les procès ouverts trairaient et la direction générale... n'osait aller de l'avant... Guillibert, Le Cardinal Bayer, 259-261.

[17] Loi du 16 avril 1895.

[18] Celles des Écoles chrétiennes, du Saint-Esprit, de Saint-Lazare, de Saint-Sulpice et des Missions étrangères. Elles se soumirent relativement, c'est-à-dire qu'elles déclarèrent se borner aux moyens légaux de résistance.

[19] Le parti, quelque peu désorganisé et en désarroi par suite de la mort du t'ointe de Paris (décédé en septembre 1894) était en train de reconstituer ses cadres et ses moyens d'action sous son nouveau chef, le duc d'Orléans, qui, fort heureusement pour la République, devait se montrer plus incapable encore que son père de relever en France la cause du trône et de l'autel.

[20] Un supérieur de communauté disait à Meignan, archevêque de Tours (qui n'était pas pour la résistance) : Si nous résistons, c'est un travail de cinquante ans pour s'établir en France à jamais inutile. De leur côté, les catholiques qui nous font vivre nous disent en nous donnant leurs vingt francs : Ce sera la dernière pièce si vous ne résistez pas. — Sur cette affaire de la loi d'abonnement, voir Boissonnot, le cardinal Meignan, 515-521, et Ricard, le cardinal Bourrel. — On allait de couvent en couvent, dit l'abbé Naudet, menacer de tarir la source des aumônes ; on terrifiait surtout les pauvres religieux... On faisait intervenir le pape. On dénaturait ses paroles et ses actes ; on lui prêtait une action à double face, on distinguait sa pensée privée de sa pensée, publique...

[21] Qui était rentré à la Chambre en 1893.

[22] Qui ne manqua pas, naturellement, de les déclarer coupables d'abus.

[23] Ordre du jour du 12 juillet 1895.

[24] L'abbé Naudet, signalé depuis 1891, grâce à ses conférences et à ses écrits, comme un des partisans les plus remuants et les plus hardis du catholicisme social, était devenu, le 1er octobre 1891, directeur du Monde, où, aidé de Levé, Fonsegrive, Goyau, Turmann, Klein, J. des Tourelles, etc., il menait une vigoureuse campagne pour la nouvelle école. Nais les réfractaires, non contents de le combattre par la controverse, organisèrent contre lui une campagne de désabonnement qui ne tarda pas à ruiner cette feuille. Le Monde dut, en juillet 1896, se fusionner avec l'Univers, qui n'était pas beaucoup plus florissant que lui.

[25] Fuzet (Edmond-Frédéric), né à Bauvert (Gard) le 9 septembre 1839 ; secrétaire général des facultés catholiques de Lille (1875) ; évêque de Saint-Denis de la Réunion (12 octobre 1887) ; évêque de Beauvais (25 novembre 1852 ; archevêque de Rouen (8 décembre 1899).

[26] N° du 5 novembre 1895.

[27] Notamment par celle de Carmaux qui dura deux mois (août-octobre) et qui, surexcitant les passions révolutionnaires du parti socialiste, inquiéta fort, par contre, les partis modérés et conservateurs.

[28] Qui aboutit, il est vrai, à l'occupation de cette ile par les Français (septembre-octobre 1895), mais qui, par suite d'une organisation défectueuse et de beaucoup d'imprévoyance, entrains des sacrifices d'argent et surtout d'hommes tout à fait lions de proportion avec les difficultés réelles de l'entreprise.

[29] Né en 1851, Léon Bourgeois avait été successivement, à partir de 1877, secrétaire général de la Marne, sous-préfet de Reims, préfet du Tarn, de la Haute-Garonne, enfin préfet de police (novembre 1887). Député de la Marne (26 février 1888), il était devenu peu après sous-secrétaire d'État au ministère de l'Intérieur dans le cabinet Floquet (1888-1889). Réélu en 1889 et 1893, Rayait été ministre de l'Intérieur (1890), ministre de l'Instruction publique (1890-1892) et ministre de la Justice (1892-1893).

[30] Voici quelle était la composition de ce ministère : Présidence du Conseil et Intérieur, Léon Bourgeois ; Justice, Ricard ; Affaires étrangères, Berthelot ; Finances, Doumer ; Instruction publique, cultes et beaux-arts. Combes ; Commerce, industrie, postes et télégraphes, Mesureur ; Travaux publics, Guyot-Dessaignes ; Agriculture, Viger ; Guerre, Cavaignac ; Marine, Lockroy.

[31] Déclaration du 4 novembre 1893.

[32] Mathieu (François-Désiré), né à Einville (Meurthe-et-Moselle) le 27 mai 1839 ; prêtre en1859 ; professeur au petit séminaire de Pont-à-Mousson ; docteur ès lettres (1878) ; aumônier des dominicaines de Nancy (1879) ; curé de Pont-à-Mousson (1890) ; évêque d'Angers (3 janvier 1893) ; archevêque de Toulouse (30 mai 1896) ; cardinal de curie (19 juin 1899) ; membre de l'Académie française (1906).

[33] La Croix, n° du 11 janvier 1896.

[34] Combes (Justin-Louis-Émile), né à Roquecourbe (Tarn) le 6 septembre 1885 ; d'abord professeur, docteur ès lettres en 1860 ; docteur en médecine en 1867 ; établi en cette qualité à Pons (Charente-Inférieure) ; candidat malheureux aux élections législatives de 1881 ; sénateur de la Charente-Inférieure (1885), toujours réélu depuis.

[35] Fonteneau (Jean-Émile), né à Bordeaux le 14 avril 1825 ; vicaire général à Bordeaux, évêque d'Agen (14 novembre 1874), puis archevêque d'Albi (22 septembre 1884, mort le 23 mars 1899).

[36] Le ministère Méline était composé ainsi qu'il suit : Présidence du Conseil et agriculture, Méline ; Justice, Darlan ; Affaires étrangères, Hanotaux ; Intérieur, Barthou ; Finances, Cochery ; Guerre, général Billot ; Marine, amiral Besnard ; Colonies, André Lebon ; Instruction publique, cultes et beaux-arts, Rambaud ; Commerce, Boucher ; Travaux publics, Turrel.

[37] Rambaud (Alfred-Nicolas), né à Besançon le 2 juillet 1842 élève de l'École normale supérieure (1861) ; docteur ès lettres (1870) ; chargé de missions en Russie (1872, 1S74, 1877) ; professeur d'histoire aux Facultés des lettres de Caen (1871), de Nancy (1873) ; chef de cabinet de Jules Ferry (1879) : chargé de cours (1881), puis professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne (1883) ; auteur de divers ouvrages d'histoire moderne et contemporaine (notamment sur la Russie) qui ne manquent pas de valeur ; sénateur du Doubs (12 nov. 1893) ; ministre de l'Instruction publique (1896-1898) ; membre de l'Académie des sciences morales et politiques (11 décembre 1897) ; non réélu au Sénat en 1903 ; mort à Paris le 10 novembre 1905.

[38] Mais il jugea prudent peu après de lui retirer le ministère des Cultes pour ne lui laisser que celui de l'Instruction publique.

[39] Des curés de Roubaix ayant provoqué à cette époque (juin 1896) des désordres et des violences dans les rues de cette ville pour protester contre une interdiction de procession par l'autorité municipale, l'archevêque de Camerai leur adressa publiquement une lettre où l'on pouvait lire ces lignes : ... C'est bien, très bien même ! Point de discussions préalables et peu de paroles, mais des actes très positifs, très francs d'allure, très fermes dans leur suite. C'est le clairon qui sonne (ce n'est pas encore la bataille), il faut qu'on l'entende sur tout le front de bandière.

[40] La Démocratie chrétienne.

[41] Épave du boulangisme, recueillie après lui par Maurice Barrès.

[42] Il publiait cette année même sous le titre de : Vers l'Avenir un manifeste que bien des socialistes n'auraient pas désavoué, et demandait hautement l'impôt progressif, au grand scandale des conservateurs. — Ailleurs le même écrivain, s'élevant avec indignation contre l'égoïsme bourgeois et capitaliste qu'effarouchaient ses idées de réforme sociale, flétrissait cette riche oligarchie qui, puissante par le fait de ses richesses, ne veut rien relâcher de ce qu'elle croit son droit à la prééminence, soit dans le parti catholique, soit dans les affaires de l'État... (La Démocratie et les démocrates chrétiens, p. 65).

[43] Cette ville fut en 1896 le théâtre d'un grand nombre de congrès catholiques représentant les diverses œuvres auxquelles s'appliquait alors l'activité du clergé français. C'est sous prétexte de célébrer le quatorzième centenaire de la conversion de Clovis au christianisme qu'ils y furent convoqués. Les meneurs de l'Église voulaient profiter de l'occasion pour tenir ce qu'ils appelaient les Étals généraux de la France chrétienne.

[44] Ce programme était divisé en deux parties, dont la première comprenait trois sections consacrées : 1° au principe chrétien ; 2° au programme ouvrier ; 3° à l'organisation ouvrière ; et la seconde, quatre sections : 1° agriculture ; 2° petits métiers ; 3° grande industrie ; 4° employés.

[45] Plusieurs petites assemblées de prêtres avaient eu lieu dans les dernières années chez l'armai, au Val-des-Bois, et l'on y avait discouru de l'organisation, du fonctionnement et du rôle social de l'Église. Le nombre des assistants, à la dernière, était déjà d'une centaine. Plus récemment (9-14 septembre 1895), il s'en était tenue une autre à Saint-Quentin, chez l'abbé Dehon, et l'on y avait traité : 1° de l'éducation sociale du clergé : 2° de l'éducation sociale d.0 peuple par le clergé ; 3° des causes du mal social (et notamment de l'usure moderne) ; 4° des remèdes à apporter au mal social (relèvement de la famille, liberté d'association, syndicats professionnels, etc.).

[46] Quelques-uns, cependant, comme Isoard, évêque d'Annecy, la désapprouvèrent en termes exprès.

[47] Notamment par l'exhibition de drapeaux tricolores ornés de croix et d'inscriptions qui excitèrent la mauvaise humeur d'une partie du public.

[48] C'est principalement à la France libre, journal antisémite de Lyon, qu'était due l'organisation de ce Congrès. L'abbé Gayraud y prononça des discours retentissants et y réclama l'expulsion de tous les excréments sociaux et notamment de l'excrément juif. Congrès national de la démocratie chrétienne à Lyon, Compte rendu (1897), p. 78.

[49] En aidant la Russie à empêcher les Japonais de recueillir tous les fruits de leurs victoires sur les Chinois (1895). On sait quelle terrible revanche les dits Japonais devaient prendre de cette humiliation moins de dix ans après.

[50] Ces massacres de populations chrétiennes, auxquelles le Congrès de Berlin (1878) avait fait espérer la protection de l'Europe, s'étaient renouvelés pendant une année (1895-1896) au grand scandale du monde civilisé. Mais comme le réparation de ces crimes était particulièrement souhaitée par l'Angleterre, la Russie, rivale traditionnelle de cette puissance en Orient, s'en était montrée moins désireuse. Le cabinet de Saint-Pétersbourg jugeait utile à sa politique que les chrétiens de l'empire ottoman fussent toujours mécontents et ne devinssent pas indépendants. Il n'était peut-être ni fort intelligent ni fort honorable à la France de s'associer à une pareille politique.

[51] Ligue du Sacré-Cœur, — Messagers de Jésus, — Apostolat de la prière, etc., etc. — Plus de six mille églises en France étaient affiliées, vers la fin du XIXe siècle, à l'entreprise montmartroise. Le nombre des fidèles qui avaient souscrit pour la construction de la basilique atteignit dix millions en 1898. Celui des adorateurs de nuit était à la même époque de vingt mille. — Baunard, Un Siècle de l'histoire de l'Église, p. 101-209.

[52] ... Il y a, disait-il, pour les catholiques français une action légale é. exercer. Il faut que le chrétien se souvienne qu'il est citoyen, qu'il défende ses convictions religieuses à l'aide de ses droits politiques... Est-ce nous... qui nous occupons de politique ? N'est-ce pas au contraire la politique qui s'occupe de nous constamment et avec malveillance, qui guette chacune de nos réunions, chacune de nos paroles, pour les incriminer ?... On nous répète encore : Rendez à César ce qui appartient à César. Mais quand César prend ce qui ne lui appartient pas, quand il envahit le domaine de Dieu et opprime la conscience, nous avons le droit de lui résister légalement... Dans presque tout le monde civilisé les catholiques ont été amenés à s'en servir (de la liberté politique) dans l'intérêt de leur foi, c'est-à-dire en formant un parti organisé, à introduire leurs candidats dans le Parlement, à conclure des alliances, à traiter avec le pouvoir en faisant leurs conditions, et même à diriger les affaires en tant que parti. Presque partout le clergé se mêle des élections plus activement qu'en France... Ce langage reçut peu après l'approbation expresse du pape Léon XIII. Maxime Lecomte en fit vainement remarquer au Sénat toute l'inconvenance dans la séance du 3 avril 1897.

[53] En remplacement de d'Hulst, décédé le 7 novembre 1896.

[54] En juillet.

[55] Il y avait dans le passé de sa famille des souvenirs douloureux dont la Libre Parole avait pris prétexte, en 1895, pour ouvrir contre lui une campagne violente, interrompue depuis quelque temps et qu'il tenait, naturellement, à ne pas voir recommencer.

[56] L'évêque de Nevers, par exemple, félicitait publiquement un curé d'avoir enfreint un arrêté municipal interdisant les processions. Il ne lui en coûtait, bien entendu, qu'une platonique et impuissante déclaration d'abus (31 juillet 1897).

[57] Dans un grand discours prononcé à Remiremont le 10 octobre, le président du Conseil raillait l'anticléricalisme comme une tactique et un procédé du parti radical pour tromper la faim de ses électeurs et se dispenser de leur donner les réformes économique ou sociale qu'ils attendaient de lui : Heureusement, ajoutait-il, la comédie est trop visible et le pays ne s'y laisse plus prendre. Il ne suffit pas d'accuser un gouvernement de cléricalisme pour faire croire qu'il est clérical... Nos actes défient toute critique sérieuse. Nous faisons respecter le Concordat et les lois de l'Etat sans passion ni provocation, avec une fermeté impartiale... La seule chose que nous nous refusions à faire, c'est de déclarer la guerre à l'idée religieuse, parce que, si la France n'est pas cléricale, elle est dans sa grande majorité très tolérante... Au lieu de la guerre nous poursuivons l'apaisement dans le domaine religieux. L'histoire ne nous apprend-elle pas que les querelles religieuses sont toujours à l'intérieur et à l'extérieur une cause d'affaiblissement ?...

[58] André Lebon, dans l'Année politique, qu'il publiait depuis longtemps sous le pseudonyme d'André Daniel.

[59] Ch. Bota, dans La grande faute des catholiques, p. 49.

[60] De Cheyssac, dans le Ralliement, p. 110-115.

[61] L'auteur ajoute, il est vrai, que ce n'était encore qu'un triomphe apparent, ou bien incomplet, parce que les lois scélérates étaient encore mainte nues, du moins en principe, et que Méline, par peur d'interpellations malveillantes ou de fâcheuses élections, se croyait obligé de les déclarer intangible et d'avoir l'air de les appliquer.

[62] Des statistiques dressées par Desachy dans la France noire, il ressort qu'en 1897 les maisons d'enseignement congréganistes fournirent à l'Ecole polytechnique 57 élèves sur 231 ; à l'Ecole de Saint-Cyr 185 sur 550 ; à l'Ecole navale 30 sur 66 ; à l'Ecole centrale, 51 sur 253 ; à l'Institut agronomique, 2 sur 85.

[63] Hue, dans La loi Falloux (p. 271-279), donne des chiffres un peu différents, mais d'où il résulte aussi que l'enseignement congréganiste était manifestement en progrès. La laïcisation du personnel dans les écoles de l'État, prescrite par la loi de 1886, ne s'opérait, par la faute du ministère Méline, qu'avec une désespérante lenteur. En 1897, 5.837 écoles publiques étaient encore au pouvoir des congréganistes, qui y enseignaient au nombre de 9.016.

[64] L'enfant (dit Hue, dans la loi Falloux, p. 207-298) que l'école des congréganistes a saisi est une proie qui ne doit plus échapper à l'Église. Au sertir de l'école, de nouveaux hommes noirs le guettent. S'il est pieux, enclin au sacerdoce, il aura affaire à l'Œuvre des vocations religieuses ; s'il est apparenté et riche, on l'affiliera à l'Œuvre de persévérance pour les étudiants et jeunes gens du monde. Enrôlé sous les drapeaux, il sera enrôlé aux Œuvres militaires. Plus tard, quand il aura pignon sur rue, on le fera entrer à l'Œuvre des mariages ou à l'Œuvre des saintes familles. Est-il répandu, intrigant, avisé ? Il a sa place à l'Œuvre des renseignements et consultations, à l'Œuvre de la défense religieuse et de la propagation. Il sera des Œuvres d'assistance, des Œuvres de retraites et de pèlerinages. Il sera en même temps de l'Œuvre des catéchismes et premières communions, côté des adolescents ; et, côté des adultes, il sera des conférences de Saint-Vincent de Paul. — Est-il de condition plus humble ? Vit-il de son labeur ?, Le clergé lui ouvrira les Ecoles professionnelles catholiques, les Cercles d'ouvriers et d'employés de commerce. Il trouvera du travail aux Œuvres de placement. En attendant, il trouvera du pain b, l'Œuvre des fourneaux... — Voir : le Guide pratique des hommes d'œuvres, Rondelet éditeur ; — le Manuel général des Œuvres charitables et sociales, Poussielgue éditeur.

[65] V. les détails intéressants donnés par Baunard sur le culte de Marie, sur le Rosaire, sur l'Oraison mentale, sur la dévotion au Sacré-Cœur, sur les opérations du Tiers-ordre de saint François, sur celles des Frères mineurs, des Capucins, et sur diverses œuvres de propagande chrétienne, auxquelles l'auteur attribue des conversions importantes et récentes, comme celles de François Coppée, Paul Bourget, Brunetière, Huysmans, etc., etc. — Un siècle de l'histoire de l'Église, p. 490-500.