JEANNE DE FRANCE

DUCHESSE D'ORLÉANS ET DE BERRY (1464-1505)

 

CHAPITRE XII. — JEANNE DE FRANCE FAIT VŒU DE RELIGION. - SA MORT. - HONNEURS FUNÈBRES QUI LUI SONT RENDUS. - CULTE DE JEANNE DE FRANCE. - SON CORPS EST BRÛLÉ EN 1562. - ELLE EST DÉCLARÉE BIENHEUREUSE.

 

 

Comme le pauvre laboureur, lorsque le jour décline, quitte le sillon, regagne son abri et, assis devant la porte, oublie déjà le labeur de la journée, le regard noyé dans le ciel : ainsi, le soir se faisant dans la vie de Jeanne, son âme pleine d'espérance semblait faire halte au terme de la route et oublier les travaux de l'exil dans les visions de l'éternité. A mesure qu'elle approchait de la dernière heure de sa vie, sa piété prenait un caractère plus ardent, plus mystique que jamais. Jeanne ne vivait plus de la vie de ce monde, du pain et du vin matériels. Son confesseur, le P. Gilbert-Nicolas, et elle, semblaient transportés dans une sorte de sphère supérieure où l'on oublie tout le reste dans les ravissements de l'extase. Ils échangeaient une foule de petites notes pleines d'une ardente dévotion ; Madame Jeanne se bornait à y indiquer rapidement, en abrégé, én deux mots, sa pensée ; après sa mort ces billets furent recueillis et conservés avec le plus grand soin par les Sœurs de l'Annonciade et le P. Gilbert se chargea de les commenter. Comme si elle avait prévu qu'elle dût mourir, Madame Jeanne échangeait aussi avec son confesseur de pieux engagements qui s'étendaient jusqu'à l'autre monde[1]. Elle s'engageait notamment, si la vie du Père n'était pas exempte de reproches, à lui apparaître dans les dix jours qui suivraient sa mort afin de l'en avertir[2]. D'avance aussi elle lui léguait ses intentions à l'égard de l'ordre des Annonciades, sous la forme de dix phrases, brèves comme des formules, que le Père se chargea également de commenter et d'expliquer aux bonnes Sœurs, lorsque la duchesse ne fut plus là. Oubliant jusqu'à ce nom de « Jeanne de France » qu'elle avait toujours porté si haut, et s'abandonnant entièrement au céleste époux auquel elle engageait sa foi pour toujours et dont elle croyait entendre dans les profondeurs de son âme l'appel suprême, à la Vierge dont elle n'ambitionnait plus que d'être l'humble fille et la servante, la duchesse de Berry prend le nom de « Jehanne Marienne — Marienne Jehanne » ; elle se pare de ce nouveau titre d'une royauté d'outre-terre, nous la voyons inscrire cette signature autour et au-dessous d'une croix, indiquant par ce mystique blason quelle patrie et quelle famille ce cœur blessé a désormais trouvées[3]. Son confesseur imitait ses élans, tout en cherchant à les tempérer ; lui aussi voulut perdre le nom qu'il tenait de la nature, il adopta le titre de Gabriel-Maria afin de rappeler mieux et plus directement le mystère de l'Annonciation : dès lors on cessa de le connaître sous un autre nom et en 1518, lors du voyage du cardinal Numa de Forlignio à Bourges[4], le Père fit près de lui tous ses efforts pour en obtenir une attestation que le pape Léon X avait autorisé la nouvelle dénomination[5].

Cependant la construction du couvent de l'Annonciade avançait à grands pas. Le 31 janvier 1504, Jeanne de France avait encore acheté à Louis Séguier, conseiller au Parlement de Paris, par l'intermédiaire d'un des chanoines de la Sainte-Chapelle, Étienne du Vergier, la terre de Bailly-Monet (paroisse de Dun-le-Roy), pour le prix de 1.483 écus d'or[6] et le roi, au mois de mars de la même année[7], avait autorisé le couvent à acquérir pour 800 livres de rente en fiefs nobles, sans amortissement. Les lettres patentes, contresignées du cardinal d'Amboise, portent que le roi accorde cette faveur « à la supplication et requeste de rostre dite cousine, afin qu'elle ne soit frustrée de sa bonne et dévote intention, fondacion et dotacion, et par espécial à ce que nous et les nostres soyons comprins, participans et associez es prières, oraisons et biensfaiz et divin service qui se fait et fera cy apres esdits religion, couvent et monastaire. »

La duchesse de Berry n'y tint pas : affamée de sainteté, d'obéissance, malgré la promesse qu'elle s'était faite, elle ne résista pas au désir de se soumettre à la même règle que ses sœurs. Aux environs de la Pentecôte 1504, l'évêque d'Albi et Mme de Linières vinrent la voir et, comme elle les aimait beaucoup, elle ne manquait jamais de leur faire visiter les travaux du couvent et de leur montrer toutes ses filles. La chapelle était déjà presque finie ; cependant on n'y pouvait pas encore officier, et l'on célébra la fête dans la salle destinée plus tard au chapitre des Annonciades. La duchesse était entourée de ses deux invités et de toute sa maison ; le P. Gabriel-Maria prononça un discours et à l'issue de son sermon la duchesse de Berry sortit seule et se rendit dans une pièce attenante, où elle le manda. Lorsqu'il parut, elle se jeta à genoux, le Père voulut s'y mettre également et, les mains étendues et touchant celles du Père, Jeanne prononça les trois vœux de religion et le vœu de clôture : ainsi elle s'enchaînait volontairement sous l'obédience du Père et prenait l'engagement religieux de ne jamais sortir de Bourges sans sa permission. Le Père, tout ému, lui promit la vie éternelle : il lui dit que, pour l'époux temporel et mortel qui l'avait laissée, elle, trouvait à partir de ce jour un immortel époux qui ne l'abandonnerait jamais et qui lui donnerait éternellement son amour, sa vue, l'entière possession de lui-même. Il voulut t son tour faire profession dans les mains de la duchesse. Et puis on rentra dans la salle capitulaire où l'assistance ne se doutait de rien, mais le Père raconta ensuite ce qui venait de se passer et que le siècle comptait une princesse de moins, une religieuse de plus[8].

En effet, depuis ce jour, la duchesse ne fut plus qu'une religieuse couronnée. Sous ses vêtements ducaux elle portait une haire, une discipline et tous les vêtements de son ordre. Sa petite armée religieuse grossit ; sous les yeux de Madame Jeanne se groupe un pieux troupeau de vingt-et-une jeunes filles, amoureuses, comme leur maîtresse, de cloître et de virginité, et la fin de l'année 1501 se passe à admettre ces nouvelles recrues, à recevoir les professions, à revêtir des livrées de leur fidélité volontaire toutes ces fiancées du Seigneur. Au loin s'étendait la renommée de Madame Jeanne : au-delà des frontières elle allait répandre jusqu'en Allemagne les récits de l'œuvre nouvelle. Le cardinal-évêque de Gürk[9], légat du pape dans l'Empire, qui aspirait alors à jouer un grand rôle, envoya en France, en juillet 1504[10], une énorme collection de reliques précieuses à distribuer parmi certaines personnes du royaume, et notamment à la reine Anne, à Mesdames les duchesses de Bourbon, de Berry et d'Alençon, aux comtesses de Dunois et de Vendôme, à Mme de la Trémoille, à la Faculté de théologie de Paris, aux quatre nations de l'Université, aux cathédrales, collégiales, etc. Le cardinal annonçait par une lettre particulière[11] à Madame Jeanne l'envoi personnel qu'il lui destinait : « Un chef, prins de la noble compagnie des XI mille Vierges » de Cologne, « lequel chef sera pour le couvent de vos sainctes vierges qu'avez fondé, » et pour elle-même des reliques des saintes Barbe, Catherine, Marguerite et Cécile, de saint Sébastien, de saint Adrien et autres. Le cardinal lui offrait aussi tous ses bons offices près du nouveau pape, Jules II : « Ma très noble dame, disait-il, j'ai plus grande affection à vous pour le temps présent que jamais n'avoys eu[12]. »

Le moment vint de donner à l'œuvre de Jeanne une vie définitive et le sceau de la réalité. Les bâtiments étaient habitables, l'église à peu près achevée ; la duchesse éprouvait une pieuse hâte de tout régler et de contempler le monument qu'elle avait entrepris à la gloire de Dieu. Il fut convenu avec le P. Gabriel-Maria, qui maintenant ne quittait plus Bourges, qu'on choisirait la fête de la Présentation de la Vierge au Temple, le 21 novembre 1504, pour prononcer et célébrer la clôture définitive des jeunes professes. Il arriva enfin, ce grand jour qui faisait battre de joie le cœur de la duchesse : enfin, elle touchait à la réalisation de ses vœux, elle allait goûter un bonheur que personne n'était là pour lui disputer. Après avoir passé la nuit en prières, elle se leva entre trois et quatre heures du matin et alla entendre la messe et chanter l'office jusqu'à huit heures.

La veille, elle avait fait annoncer la cérémonie à son de trompe dans les rues de Bourges ; le crieur y conviait le peuple et avertissait tous ceux qui désiraient voir les sœurs de se rendre au couvent avant le lendemain, attendu que la clôture perpétuelle allait être prononcée. Une grande foule remplissait donc la nef de la chapelle, le parvis et les abords ; on ne put introduire dans la chapelle destinée aux Frères de Saint François[13] que M. et Mme d'Aumont et les principaux seigneurs et dames. Au milieu de cette foule, on vit arriver, venant en procession de leur petite maison, la suite des filles de l'Annonciade, marchant deux à deux, les mains jointes, avec une grande dévotion, sous la conduite du P. Gérard, et montant lentement, au chant du psaume In exitu Israel, les quinze degrés du sanctuaire, comme la Vierge Marie plus de quinze cents ans auparavant montait les quinze degrés du Temple de Salomon, le jour où on l'y présenta.

La duchesse prit alors la parole et déclara publiquement faire don à l'ordre de l'Annonciade de cette église, du couvent, du jardin, et elle remit à sœur Catherine Gauvinelle une charte de parchemin préparée d'avance à la date même du 21 novembre. On lisait sur ce parchemin : « Jehanne, fille et sœur de roys de France, duchesse de Berry, dame de Ponthoise, de Chasteauneuf-sur-Loire et de Chastillonsur-Indre, savoir faisons à tous présens et advenir, nous, continuans nostre intention et persistans en propoux de dévotion à l'onneur, gloire et louange de Dieu, le créateur de la glorieuse Vierge Marie, sa mère, des Trois-Boys, de sainct Gabriel archange, de sainct Jehan l'évangéliste et de tous les saintz et saintes de Paradis, et en compaignie desque]z nous desirons parvenir, et de l'auetorité, licence et permission du Saint-Siège apostolic, comme peut apparoir par bulles sur ce faictes, passées et à nous octroyées, avoir institué et fondé ung couvent et religion de sœurs en nostre esglise de saincte Marie de l'Annonciade, par nous construite et édiffiée par de nouvel en nostre ville et cité de Bourges près nostre hostel du pallays, pour en icelle esglise, par la mère ancolie et lesdictes-seurs et leurs successeures religieuses, chascun jour et nuyt perpétuellement servir à Dieu selon l'ordonnance à elle bailléd à nostre intention. » Jeanne, après ce préambule, déclarait, « en parolle de fille de Boy, » abandonner au couvent tous les biens qu'elle avait achetés pour le doter, c'est-à-dire les domaines de Mézières et de Bailly-Monet, 100 livres tournois de rente sur les biens du seigneur de Mareuil, et 63 livres sur les biens du sire de Buxy[14].

Ensuite Te vieil archevêque de Bourges. Guillaume de Cambray, âgé de 80 ans, célébra la grand'messe, assisté de ses deux neveux, Robert et Guillaume Cambray, archidiacres, l'un de Buzançais, l'autre. de Sologne. Puis on mit les sœurs en possession du couvent. Peu de temps après, le baptême de la cloche du couvent donna lieu à une nouvelle fête. C'était une grande cloche que les sœurs parèrent de beaux atours et qui fut baptisée, dans la chapelle des frères, par Guy Juvénal, abbé de Saint-Sulpice : Monseigneur d'Albi et M. d'Aumont en étaient les parrains, la marraine naturellement Madame Jeanne qui l'appela Marie. Autour de la cloche on voyait trois images incrustées dans l'airain : un Crucifix, une Vierge Marie et le grand sceau du couvent qui représentait une Annonciation, et on lisait l'inscription suivante, en grosse écriture : « Jeanne de France m'a nommée et à Marie si m'a donnée[15]. »

Madame venait voir souvent ses filles ; elle avait fait fermer l'ancienne porte du jardin et ouvrir près de la chapelle une petite porte par laquelle elle pouvait se rendre directement du palais au couvent ; aussi la voyait-on en toute circonstance et ses enseignements prenaient chaque jour un caractère plus touchant et plus élevé. Au jour de l'an elle se plut à donner aux sœurs de petites étrennes. Le jour de l'Épiphanie 1505, qui était un jour de fête particulièrement béni de Jeanne, elle apportait à ses enfants des présents symboliques ; dix pièces d'or, qu'elle avait fait frapper en souvenir de la fondation de l'Annonciade ; et l'or, disait-elle, c'est la charité, l'amour de Dieu et de ses semblables ; un peu d'encens, signe de piété ; et comme troisième présent, sa discipline.

Le jour de la fête de saint Vincent, la duchesse se sentit fort souffrante ; elle éprouvait une sorte de malaise général, mal aux dents, partout : « Mes filles, dit-elle aux bonnes sœurs, recommandez-moy à saint Vincent, il guérit du mal de cœur, » car elle avait souvent le cœur malade. Elle resta peu au couvent et se retira en disant encore aux sœurs : « Mes filles, priez bien Dieu et la Vierge pour moi, car je me sens fort mal. » Lorsqu'elle eut passé le seuil de la porte qui conduisait au palais, elle se retourna et ordonna qu'on la murât.

En rentrant, elle se mit au lit, et, quoique sa maladie ne présentât rien de grave, elle ne songea plus qu'à se préparer à quitter ce monde. Le 10 janvier[16] elle écrivit son testament ; tellement, que l'on tient pour certain qu'une vue surnaturelle l'avertissait des approches de la mort ; elle n’éprouvait rien qu'une vive douleur au cœur et aux dents et un malaise qui lui ôtait tout repos ; les médecins ne connaissaient trop sa maladie, car ils annonçaient la convalescence[17]. Mais il paraît que le P. de la Fontaine, l'ancien gardien des Franciscains d'Amboise, mort dernièrement en odeur de sainteté, apparut au P. Gabriel Maria pendant sa messe et lui révéla que Madame Jeanne mourrait dans dix jours. C'était dans toute la communauté une grande douleur et de vives prières. Seule, Jeanne, ferme dans sa foi et dans ses espérances, remerciait cordialement celles des sœurs qui venaient chercher des nouvelles et n'avait devant les yeux que le grand passage à l'éternité.

Elle remit au P. Gabriel Maria, le confident de toute sa vie, son guide assidu, son collaborateur intime, ses recommandations dernières, ce qu'on a appelé depuis son petit testament, témoignage intime des sentiments qui l'animaient, de cette mélancolie profonde et douce, de cette défiance du monde, de cette douloureuse expérience qu'elle devait à ses malheurs :

« Mon père, je n'ay fiance qu'en vous de ceux que je laisse sur la terre, et en mes sœurs. Je les vous recommande et dites à tels personnages pour elles ce que je vous ay dict. Et pour ce que vous me priez tant qu'avant mourir je vous die quelque chose de mes intentions, je vous prie que vous fassiez à vostre pouvoir accomplir mon vouloir et testament que je vous ay baillé, à ma sœur et à monseigneur d'Alby.

« Item, mon Père, je vous congnois bien ; vous vous donnez tout là où vous vous donnez. Je vous prie, ne desirez, ne veuillez jamais suivre la Court. Je la congnois mieux que vous et vous sçavez combien vous avez souffert pour me consoler et aidier, et comme le tout estoit pris de plusieurs à vostre désolation.

« Item, je vous prie que jamais ne vous meslez de mariage, tant bonne soit la personne, car souvent les choses tournent autrement qu'on ne s'attendoit.

« Item, je vous prie que jamais ne vous souciez de faire donner offices ny aussy bénéfices ; bien en parler, en la sorte qu'avons fait ensemble.

« Item, jamais, mon père, ne vous mettez à faire menées quelzconques en court ou autre part, si ce n'estoit menées de religion ou de chose spirituelle, pour le salut des âmes ; et vous sçavez les désolations, paroles et reproches que pour penser bien faire l'on vous a rendus.

« Item, je vous prie que jamais ne vueillez estre évesque ne prélat en l'Esglise ; et s'il advenoit qu'on vous en priast, refusez-le à vostre pouvoir, comme vous avez fait le temps passé.

« Item, mon père, je vous prie, ne vous meslez point des séculiers ni de leurs affaires et sachez bien à qui vous déclarerez votre cœur ; ne vous fiez point en tous, excepté les personnes qu'aurez au parfait congnu estre de l'Annonciade.

« Item, ne croyez point de léger à gens de court ni à autres, quand les paroles sont contre autruy. Gardez et faites garder à mes sœurs ce que m'avez fait garder, c'est de toujours excuser ceux contre qui l'on parle mal.

« Item, faites plus diligemment faire le bien aux autres que ne m'avez fait faire, car j'ay esté trop longue, et m'en repens.

« Mon père, je vous recommande mes sœurs ; ne les abandonnez jamais et ne les oubliez pas après ma mort. Je vous ay dict tout cecy et vous le donne comme mon testament, en vous disant adieu et à toutes mes sœurs. Elles ne doivent point estre tristes de ma mort, mais qu'elles soient bonnes filles de la Vierge Marie et vraies observatrices de la règle. Aussi la Vierge Marie leur sera bonne mère et les gardera et défendra et auront des biens assez ; car je congnois bien que je m'en vais mourir et qu'il me faut rendre compte devant Dieu ; mais j'espère que la Vierge Marie sera pour moi ; et à son Annonciade me recommande[18]. »

Le Père lui promit avec larmes de se conformer en tout à ses volontés.

Le jour de la Chandeleur, 2 février, l'état de Madame s'aggrava considérablement et le 4, au soir, Jeanne de France tomba dans un tel état d'anéantissement qu'il apparut alors qu'elle touchait au terme de son existence.

On fit sonner la grosse cloche de la cathédrale et, dans cette soirée obscure, les lugubres accents de ce bourdon étendaient sur la ville de Bourges comme des vibrations douloureuses. Le peuple voulait espérer encore, lorsque le bruit se répandit qu'on avait vu apparaître, sur le logis de Madame Jeanne, son étoile ; tout le monde pouvait aller la voir ; dès lors, on sentit bien qu'il n'y avait plus de remède.

Madame Jeanne, en cette angoisse suprême, se rappela le tumulte de cour et de gens au milieu duquel était morte sa mère Charlotte de Savoie et tout ce fracas affairé qui lui avait paru si pénible ; elle, qui avait vécu abandonnée, elle eut encore la force de vouloir s'ensevelir dans sa solitude. Jetant un regard sur le•P. Gabriel Maria qui se tenait à son chevet accablé de tristesse, elle lui fit comprendre qu'elle désirait rester seule un instant. Marie Pot, sa demoiselle d'honneur, qui la soignait, avait une lumière ; Madame Jeanne lui dit que cette lumière la gênait et la pria de l'écarter un peu ; Marie Pot alors passa dans la ruelle du lit, l'oreille attentive et prête à s'avancer au premier signal, et Madame Jeanne resta ainsi absolument seule, sur son lit, en tête à tête avec la mort.

Il y avait une heure environ que Marie Pot s'était écartée lorsqu'elle crut apercevoir comme une clarté qui brillait au-dessus du lit, au milieu des ténèbres. Elle se précipita et n'entendit rien dans la chambre, pas même le bruit d'une haleine. Elle prend sa lumière, elle appelle Madame Jeanne ; rien ne répond, rien ne remue. Madame Jeanne avait rendu son âme à Dieu.

C'était le 4 février 1505, à dix heures du soir.

Bientôt après la grosse cloche de la cathédrale s'ébranlait et répandait sur la cité de Bourges la lugubre nouvelle. Bien-Aimé Georges courut au couvent l'annoncer, il ne pouvait parler, mais déjà les sœurs la pressentaient en entendant les rumeurs du palais. L'émotion fut immense dans la ville ; on entendait des cris et des lamentations de la perte d'une si bonne princesse et si aimée ; mais le P. Gabriel Maria, les sœurs de l'Annonciade, le vénérable archevêque de Bourges étaient surtout plongés dans une vive douleur. Le reste de la nuit se passa en larmes et en prières et, vers minuit, plusieurs personnes, regardant vers l'église des sœurs, virent au-dessus une belle nuée blanche, très brillante et plaisante, qui s'y tint longuement, ce qui donnait à croire aux âmes pieuses que la bienheureuse duchesse avait atteint le séjour des élus et que son âme venait revoir et bénir ses lieux chéris. Dès l'aube, le P. Gabriel Maria vint au couvent ; mais quand il se trouva au milieu de ce pieux essaim de jeunes filles que le soin de la bienheureuse duchesse avait assemblées sous son aile, et maintenant orphelines désolées, son âme défaillit, à peine pouvait-il parler : « Hé, pauvres filles, disait-il, où est votre mère, que ferez-vous sans elle ?... Que puis-je faire à ce petit troupeau sans Madame ?...[19] »

On ne s'entretenait que des vertus de la défunte, de son humilité, de sa prudence, de sa pureté, de tout ce qui brillait dans cette sainte, et l'on disait que la terre n'était point digne de la porter. Et puis ensuite on célébrait des vigiles et des grand'messes pendant les trois jours qui suivirent.

Madame Jeanne resta longtemps sans aucun changement, la figure toute naturelle ; on n'aurait pas dit que son visage fût celui d'une trépassée. Le matin on habilla son corps et on le déposa sur un lit de parade en le couvrant d'un drap d'or et d'un drap de velours noir. Pendant la journée tout le monde put la voir ; sa chambre était pleine de peuple, de moines, de prêtres lisant des psaumes et des oraisons. C'est le soir seulement qu'on fit sortir la foule ; on embauma le corps, on le revêtit du premier costume de l'Annonciade, qu'elle avait fait faire comme modèle, et on le déposa dans la salle basse du palais, sous un grand catafalque entouré de cierges que surmontait l'effigie de la bienheureuse pareillement en costume d'Annonciade. Des autels s'élevèrent tout autour et pendant dix-huit jours ce n'était que prières.

Comme le carême venait de commencer, le P. Gabriel Maria prêchait le peuple, dans cette même chambre, à côté du corps même de la duchesse tant' aimée, et c'était pitié de voir sa tristesse. Elle parlait assez d'elle-même.

Chaque jour on servait la table de Jeanne, comme si elle eût vécu. Le P. Gabriel Maria et Mme de Chaumont prenaient tristement place à cette table dont le service était distribué aux pauvres.

Dès que la nouvelle de la mort de Madame Jeanne parvint à la cour, le roi exprima par plusieurs lettres sa volonté qu'on lui fît de pompeuses funérailles. Le 6 février, il adressait à Bourges des ordres dans ce sens ; il écrit aux habitants :

« Tres chiers et bien amez, nous avons sceu le trespas de feue nostre cousine la duchesse de Berry, dont sommes très desplaisant, et nous escripvons au sieur d'Aumont qu'il la fasse ensépulturer au lieu oit elle avoit le plus de dévotion durant sa vie, et escripvons à nos amez et féaux l'arcevesque de Bourges, les abbez de Saint-S ulpice et de la Prée, et semblablement à ceux de la Sainte-Chapelle qu'ils luy fassent, le jour de son obsecque, tout l'honneur que possible sera. Et vous prions et mandons que de vostre part vous le vueillez ainsi faire et vous y trouver ledit jour pour luy faire tout l'honneur et service que vous pourrez. Et vous nous ferez, ce faisant, très agréable plaisir. Donné à Paris le vi° jour de febvrier[20]. »

Comme on savait que le chapitre de la cathédrale et les chanoines de la Sainte-Chapelle du palais ne vivaient pas dans une harmonie parfaite, le roi, par des lettres séparées, les invita en termes formels à s'entendre pour rendre à la duchesse les honneurs qui lui étaient dus ; démarche heureusement inutile ; tout le monde se sentait pénétré du désir de rendre honneur à la bienheureuse duchesse. Le 20 février on transporta le corps avec beaucoup de solennité à la Sainte-Chapelle où le grand lustre, allumé pour la première fois depuis son inauguration, resplendissait de lumières et de torches, ce que nul vivant n'avait vu[21]. Le lendemain qui était un vendredi, un hérault invita à son de trompe tous les citoyens notables de Bourges à venir en deuil assister aux obsèques de la duchesse, et pour éviter à cette religieuse procession un concours de pauvres que l'on craignait devoir être extrême, on criait en même temps qu'une distribution de pain et de harengs aurait lieu à une heure aux Cordeliers, de manière à en détourner quelques-uns.

Après une messe très solennelle à la Sainte-Chapelle, les chanoines portèrent le cercueil sur une grande litière, pompeusement garnie d'un drap magnifique semé de fleurs de lys, et sur lequel se trouvait la représentation de la duchesse avec son chapeau et la couronne ducale. Au-dessus, s'élevait un magnifique pavillon ou dais, que portaient les quatre plus grands barons du Berry ; le baron de Linières, qui était maintenant Philibert de Beaujeu ; Jean de Culant, baron de Châteauneuf ; M. d'Aumont, baron de Châteauroux ; Messieurs de la ville de Bourges, en chaperons noirs et en longue robe traînante, représentaient le quatrième baron[22]. Celte litière, précédée de toutes les processions des églises de la ville et, entourée de la maison de Jeanne, s'avançait traînée par quatre mules qui portaient un harnachement de deuil et des garnitures de clochettes au son émouvant. La ville entière suivait, en grande paix et dans un silence profond, seulement troublé et dominé par le bruit de toutes les cloches qui joignaient aux plaintes de la cloche de l'Annonciade leur sourd tintement. Les serviteurs et sergents de la ville entouraient le cortège, portant des torches aux armes de la duchesse. La rue était tendue de draps traversés par des bandes de velours noir fleurdelisé ; un flot de population la remplissait.

A l'entrée de l'église de l'Annonciade, on vit le P. Gabriel Maria, nu-tête et sanglotant, recevoir le corps de sa bonne duchesse, que portaient les chanoines du palais. Toutes les sœurs étaient là, attendant l'arrivée de ce « cher trésor », dont Madame, par son testament, leur avait expressément confié la garde. Il y eut un moment de grande émotion, et les yeux ne pouvaient s'empêcher de se porter sur ces murailles non encore achevées, sur cet édifice dont la bonne duchesse avait souhaité avec tant d'ardeur de voir le couronnement et qu'elle n'avait pas eu la joie de terminer ; seul, l'édifice moral de l'Annonciade était complet.

A la suite du corps, entrèrent le duc de Bourbon[23], en grand deuil et vêtu d'une queue remarquablement longue, puis la maison de la duchesse et la foule. Après. de nouvelles et longues cérémonies qui eurent lieu avec un apparat royal, et auxquelles prenaient part l'archevêque de Bourges, l'évêque d'Albi Louis d'Amboise, François de Rohan, archevêque de Lyon, propre fils du maréchal de Gié, le cardinal de Bourbon et autres grands prélats, le corps fut descendu dans le tombeau qu'on lui avait préparé sous le chœur de l'église ; ce caveau était peint en rouge avec des fleurs de lys d'or ; dans le fond, se détachait l'écu de France. Quand le cercueil y fut placé, on ferma le treillis de fer qui formait par devant la clôture ; la clef fut remise à la mère ancelle et alors tous les serviteurs de la duchesse vinrent successivement devant cette grille lui dire un éternel adieu, prendre congé de leur bonne maîtresse ; leur douleur éclatait ; mais surtout l'écuyer Bien-Aimé Georges laissait paraître tout son désespoir ; de cette clôture, il brisait son bâton de maître d'hôtel, en jetait les morceaux dans la tombe et s'écriait : « Ha, ma bonne maistresse, je ne vous servira ? plus ! et je vous supplie ayez mémoire de vostre humble serviteur. Priez pour moy, s'il vous plaît[24]. »

Le lendemain, les deux chapitres réunis de la cathédrale et du palais, l'archevêque de Bourges, le cardinal de Bourbon, l'abbé de Saint-Sulpice voulurent encore officier solennellement ; des autels improvisés remplissaient la nef de l'église et il s'y disait chaque jour une multitude de messes.

Le peuple, depuis lors, ne cessa d'affluer clans l'église de l'Annonciade ; il révérait Jeanne comme une sainte et partout il n'était question que de miracles, que de faveurs surnaturelles obtenues par son intervention.

Un prêtre chargé de la surveillance des jardins du palais, nommé Mathurin, était depuis longtemps retenu au lit par une goutte terrible lorsqu'il entendit passer dans la rue l'enterrement de Jeanne. Il n'y put tenir : « Ma bonne maîtresse, s'écria-t-il, je ne vous verrai donc plus ! » Il appela un capitaine qui, accoudé à la fenêtre, regardait passer le funèbre cortège, et demanda à se traîner, avec son aide, en chemise, jusqu'à la fenêtre ; là, à genoux, il voyait la procession et priait sa bonne maîtresse de tout son cœur ; et lorsque, ensuite, le capitaine revint pour le prendre, Mathurin refusa de se faire aider ; il était debout, parfaitement portant ; il s'habilla, se fit voir, et le lendemain il commanda une grand'messe d'actions de grâces à l'Annonciade.

Mais ce n'était qu'un premier prodige ; bien (l'autres furent opérés par l'intercession de fa duchesse, qu'ont rapportés frère Antoine Basset et les personnes de son temps. La foule des malheureux, des impotents, des souffrants de tout sexe et de toute condition, venait, de bien loin se presser en l'église bénie de l'Annonciade, près de ce tombeau devenu une source de tant de faveurs ; l'église se tapissait d'ex-votos, de béquilles, de représentations de membres, que tout le monde a vues, et le bruit s'en répandait si communément par la France entière qu'il n'est pas un chroniqueur qui ne fasse mention des miracles de Madame Jeanne[25].

Par son testament écrit tout entier de sa propre main dès le 10 janvier, en présence de son secrétaire Chardon, et dont elle avait remis un double an P. Gabriel Maria', Jeanne instituait pour son héri-

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fière lee Amie de Bourbon, sa sœur, qu'elle priait instamment d'assurer un revenu de six cents livres au couvent de l'Annonciade, puisqu'elle mourait avant d'avoir pu suffisamment le doter ; et elle nommait ses exécuteurs testamentaires avec Madame Anne, M. d'Aumont et l'évêque d'Albi, priant ce dernier d'« accomplir la dévotion de feu Mgr d'Alby, son oncle, qui rn'avoit promis et s'estoit obligé de faire un couvent de la religion de la Vierge Marie[26] ». Elle réglait son enterrement, les gages de ses serviteurs et tous ses comptes, elle créait des bourses pour les étudiants pauvres au collège de Bourges qu'elle avait fondé, répandait ses modestes ressources en de nombreuses libéralités aux communautés et aux pauvres, spécialement aux pauvres gens de labeur qui ne mendient pas mais qui luttent contre la nécessité ou pauvreté, et fondait en un certain nombre d'églises des messes et des anniversaires. Louis XII n'y était pas nommé.

Mme Anne de Bourbon exécuta religieusement et avec une grande noblesse toutes les dispositions dernières et les vœux de sa pieuse sœur[27].

La renommée de Jeanne avait grandi avec le bruit de ses miracles. Tout ce qui venait d'elle, tout ce qui rappelait de près ou de loin son souvenir acquit dès lors, aux yeux des témoins de tant de vertus, une valeur infinie. Mme d'Aumont remit aux sœurs plusieurs des objets qui lui avaient appartenu ; Madame Jeanne avait ordonné qu'après sa mort on portât à son cher convent les objets qui venaient d'elle, mais cela ne se put ; ils étaient en proie à un pieux pillage ; on se les distribuait, on les gardait comme des reliques. Mme d'Amont ne put donc donner à l'Annonciade que plusieurs robes de Madame, une de toile d'or, une de velours violet, une de velours tanné, une de damas blanc, une de damas noir, pour en faire des chasubles ; elle remit aussi à l'église du couvent les tapisseries et les ornements de la chapelle de Madame Jeanne, qui étaient de damas rouge cramoisi semé de tigres. Le P. Gabriel Maria apporta le calice de sa chapelle et un petit coffre dont elle se servait habituellement.

Vingt-sept jours seulement après la mort de la duchesse, le roi vint reprendre possession de Bourges et y fit une entrée solennelle[28], Aime de Bretagne y entra le lendemain et reçut une harangue de bienvenue prononcée par Jacques de Treignac, avocat de la ville, l'un des conseillers de Madame Jeanne. On joua pendant deux jours des mystères, à l'occasion de l'arrivée des souverains[29].

D'après les traditions qu'ont recueillies les historiens de Jeanne[30], il paraît qu'une circonstance bien touchante marqua ce voyage ; Louis XII, en secret, sous un déguisement, voulut descendre dans le caveau où reposait sa victime et prier sur cette tombe à peine fermée ; et s'il y versa des larmes sincères, s'il implora d'un cœur pénétré le pardon de tant d'injustices, il put sortir plus calme de ce lieu consacré et se réconcilier avec lui-même.

A peine de retour à Blois, il y tomba dangereusement malade. Faut-il croire, dit M. Raynal, que les remords excités dans son âme par les souvenirs de la bonne duchesse, par la vue de ce palais, de ce monastère, de cette ville, encore tout pleins de sa vertu et de sa renommée, y contribuèrent pour quelque chose ? Le 20 avril, il écrivait de Blois aux habitants de Bourges pour leur annoncer sa convalescence et leur demander des prières :

« Chiers et bien amez, puis huit ou dix jours en ça, nous avons esté malade d'une fiebvre, laquelle nous a par aucun desdits jours très fort tourmenté. Toutefois, grâce à Dieu nostre créateur, elle nous a laissez et sommes très bien maintenant. A ceste cause, et que nous savons véritablement que comme nos bons, vrais et loyaux subjets et serviteurs, vous aura esté desplaisir et ennuy grand entendre les nouvelles qui en ont couru par nostre royaume, avons bien voulu vous en escripre et vous advertir de nostre bonne santé et convalescence, en vous priant très à certes que vous vueillez par processions générales et particulières el par prières et oraisons rendre et faire rendre grâces a nostre dit Créateur de ce qu'il luy a pieu nous restituer en santé et luy prier et requérir que en icelle il nous vacille longuement conserver et maintenir, ainsi que pour le bien de vous et de nostre royaume il est bien requis. En quoy faisant, vous nous ferez plaisir et service très agréable. Donné à Bloys le XXe jour d'apvril[31]. »

Il semblait que, par ces paroles, le roi en appelât lui-même aux prières et à l'intervention de la femme qu'il avait tant fait souffrir. Car le culte de Madame Jeanne de France était devenu le culte de Bourges. Bientôt l'image de la duchesse apparut sur les autels et elle attirait tous les vœux. Chaque année, le 1 février, anniversaire du jour de sa mort, la population se pressait dans les églises[32] ; Bourges fête son souvenir comme celui d'une des patronnes de la cité[33]. On compose des chants en son honneur et à partir de 4524, dit-on, vingt ans après la mort de Jeanne, le suffrage populaire l'élevait au rang des bienheureux en célébrant un office qui est parvenu jusqu'à nous, malgré les vicissitudes des temps, et que les âmes pieuses répètent encore.

Telle fut cette vie si remplie de peines et de travaux dans sa naïve et touchante simplicité. Après les plus rudes épreuves, Madame Jeanne s'est endormie doucement dans la paix ; pleine de confiance dans le juge suprême des consciences, bonne, ferme et calme envers la mort comme elle l'avait été toute sa vie à l'égard de l'adversité, elle vint humblement dormir de son dernier, de son éternel sommeil au sein de la grande postérité religieuse qu'elle s'était donnée, sous le pavé du sanctuaire érigé par ses soins, au milieu du culte et de la vénération de ses sujets qui maintenant voulaient attribuer à son intercession une efficacité divine.

Que ces nobles cendres reposent dans le calme suprême de l'autre vie ! Qu'elles goûtent enfin, qu'elles goûtent pour toujours, dans ce tombeau tranquille, la paix profonde qu'une existence pleine de tribulations a d'avance payée !...

Mais il était écrit qu'aucune trace ne devait rester de la modeste existence de Jeanne de France ; le tombeau lui-même devait lui être un insuffisant asile contre les entreprises des passions humaines ; suivant une pittoresque expression, il fallait qu'elle subît encore un « martyre posthume[34] », l'anéantissement de ses cendres elles-mêmes, que son corps fût jeté aux vents, qu'on ne respectât même pas cette sorte de royauté du souvenir qu'elle exerçait sur les cœurs.

Lorsqu'en 1506 le vénérable auxiliaire de Jeanne, Guillaume de Cambrai, mourut lui-même, chargé d'œuvres et de jours, les Berrichons attachés au souvenir de leur duchesse purent se livrer à de singulières réflexions en voyant élever à la dignité archiépiscopale de Bourges, sur les sollicitations instantes de Louis XII, un jeune étudiant de l'Université d'Orléans, à peine figé de vingt-deux ans, nommé Michel de Bussy, qui était un fils naturel du roi[35], né par conséquent pendant son mariage avec Jeanne.

Quand ce que croit un peuple est à ce point livré en pâture aux caprices des princes, quand, dans une ville où le souvenir de la malheureuse Jeanne de France prenait, aux yeux du peuple, place sur les autels, le prince pouvait faire élire par le chapitre de la cathédrale un pareil représentant pour présider au culte, on devait s'attendre à une explosion dans les âmes. Cette crise se produisit. Bourges fut une des villes que les guerres de religion atteignirent le plus profondément. Eu 1562, les Huguenots, maîtres de la ville, mirent à sac tous les établissements religieux et notamment l'Annonciade. Dans leur fureur de dévastation, quelques soldats descendirent au caveau respecté où Jeanne de France reposait ; ils ouvrirent cette tombe et en tirèrent le cercueil qu'elle renfermait. Ils brisèrent le cercueil de bois, puis le cercueil de plomb... A ce moment apparut, simplement vêtue du costume des Annonciades-et dépourvue de tout ornement susceptible de tenter la cupidité des malfaiteurs, la grande figure do Jeanne parfaitement conservée ; Jeanne avait les mains jointes. Les soldats, si durs qu'ils fussent, se sentirent glacés à cette vue. Ils voulurent emporter le plomb et soulevèrent le cercueil pour en faire sortir le corps. Mais on entendit comme un grand soupir. Ils perdirent la tête et s'enfuirent. Les restes de Jeanne, objet habituel de tant de respects, de tant de souvenirs reconnaissants, d'une si sincère vénération, demeurèrent ainsi jetés au hasard comme le plus vil cadavre, sur le sol de ce sanctuaire tout tapissé d'ex-votos ! C'est seulement quelque temps après que deux soldats d'une autre compagnie qui ne trouvaient plus rien à piller enlevèrent le cercueil de plomb et l'emportèrent, ce beau trophée ! Dans les moments de trouble, la lie des populations, remuée par de honteux désirs, semble remonter à la surface, on ne voit plus qu'elle, on n'aperçoit que certaines figures jusque-là inconnues. Il n'y avait personne à l'Annonciade pour défendre le dernier asile de la duchesse de Berry, mais, en revanche, c'était un ouvrier de Bourges, cardeur de profession, qui guidait les soldats. Une femme de Bourges piqua le bras du cadavre et il en sortit, dit-on, un liquide semblable à du sang[36], Il paraît qu'ensuite le corps de Jeanne de France fut tiré sur la place et brûlé[37].

Les soldats huguenots s'étaient mis en tête de convertir à leur religion et au mariage les Vierges de l'Annonciade ; on peut se faire une idée des discours qu'entendirent alors ces chastes oreilles[38]. Mais tout passe ; cette inondation soldatesque passa, sans succès, et, comme Jeanne de son vivant avait trouvé dans les plus cruelles épreuves sa glorification, ainsi la suprême injure faite à sa tombe sembla encore consacrer son culte. Son tombeau, désormais vide, devient plus que jamais le point de ralliement et le palladium du Berry. On conservait avec dévotion les quelques souvenirs qui avaient échappé au commun désastre, notamment les deux pierres sur lesquelles avait reposé pendant soixante ans le cercueil de la duchesse[39]. On plaça sur ces pierres une statue de la sainte et cette statue attira une énorme affluence. Bientôt on lui attribua une multitude de miracles et de grâces. Les malades, les infirmes recouvraient la vie, la santé, en la touchant, en la priant[40]. Et comme ce n'était pas assez aux pieux pèlerins d'en faire l'objet de leurs voyages, chacun, pour plus de dévotion, voulut en emporter chez soi une parcelle ; on fit si bien qu'en 1700 il ne restait plus de cette statue que quelques débris tout à fait informes et qu'il fallut en placer une nouvelle[41].

En même temps que se dessinait ce courant plus vif que jamais de dévotion envers Jeanne de France, on songeait à demander à Rome la consécration d'un culte aussi solennellement reconnu et de l'enthousiasme qu'excitait sa mémoire. En 161.1, en 1617, l'archevêque de Bourges, André Frémiot, frère de Mn° de Chantal, commença des informations sur la réputation de sainteté, sur les vertus, les miracles de la bienheureuse. Bientôt des voix puissantes et nombreuses s'élevèrent. Louis XIII, l'infante Eugénie, gouvernante des Pays-Bas[42], le prince de Condé, les Universités de Bourges et de Louvain, le maire et les échevins de Bourges, les sœurs de l'Annonciade réclamèrent en 1624, en 1625, en 1632, près du pape Urbain VIII, une instruction régulière sur la sainteté de Jeanne[43].

Mais Rome ne se montrait guère favorable aux superstitions populaires qui s'attachent à la mémoire de quelques serviteurs de Dieu et le pape Urbain VIII venait, en 1625, d'interdire toute sorte de culte qui ne serait pas spécialement autorisé, à. moins qu'il ne remontât à un siècle au moins en arrière. Tout l'effort des personnes attachées à glorifier la mémoire de Jeanne de France allait donc porter vers ce premier but : démontrer qu'un tribut public de respect était rendu à Jeanne au moins depuis 1524[44] ; le faire constater par le prélat diocésain, puis par la congrégation des Rites à Rome, et obtenir ainsi ce qu'on appela dans le langage ecclésiastique une béatification équipollente. Pour arriver à une déclaration de sainteté ou canonisation, il fallait ensuite établir la réalité de quatre miracles.

La procédure de béatification équipollente, la seule qui ait été accomplie pour Jeanne de France, a duré un siècle et demi, de 1632 à 1776 ; tant un siècle pèse peu clans la balance de l'Église Romaine ! Et cependant tous les rois de France successivement sollicitaient la cause avec activité[45].

Le 13 janvier 1632, la congrégation des Rites chargea officiellement l'archevêque de Bourges, les évêques d'Orléans et de Nevers, d'ouvrir une information pour constater l'ancienneté du culte rendu à Jeanne de France. L'information fut faite, mais à Rome on n'en tira point parti ; on la jugea très probablement insuffisante. Louis XIV et Anne d'Autriche, en 1661, écrivirent au Saint-Siège et au cardinal Barberini pour réclamer la suite de la canonisation et il en résulta l'ordre d'ouvrir à Bourges en 1661 une nouvelle enquête, qui n'eut pas lieu[46]. Les papes Alexandre VII, Innocent XI, Clément XI, dans des brefs de 1656, de 1680, de 1716[47], qualifiaient bien Jeanne de sainte, mais sans donner suite à la demande de canonisation, soit que l'argent manquât pour tant de démarches, soit que l'on apportât quelque tiédeur à les poursuivre. En 1739 pourtant, sur de nouvelles instances[48], Jérôme de Roye de la Rochefoucauld, archevêque de Bourges, reprit avec activité l'enquête ordonnée en 1664. On dressa d'énormes procès-verbaux d'enquêtes ; on forma un recueil complet de toutes les anciennes informations. Louis XV et Marie Leczynska en même temps recommandaient l'affaire au pape par des lettres personnelles que l'ambassadeur de France, le duc de Saint-Agnan, eut ordre de remettre dans les mains de Sa Sainteté[49].

Enfin, après une longue et compliquée procédure, sur les conclusions de Barthélemy Clerjault de la Chomelle, procureur de l'Annonciade, l'archevêque de Bourges prononça le 11 mai 1739 sa sentence définitive : il déclarait la preuve acquise[50] d'un culte public rendu à Jeanne de France cent ans et plus avant les décrets d'Urbain VIII, sous les yeux et avec la tolérance des archevêques, et par suite il constatait l'existence du cas privilégié admis par ces décrets. Le 17 avril 1742, la congrégation des Rites à Rome, après de nouvelles et longues informations, admit la sentence de l'archevêque de Bourges et le Pape la confirma par une bulle du 18 juin 1742 qu'on publia solennellement et qui fut l'occasion à Bourges, à Albi, partout où le culte de Jeanne de France florissait, d'éclatantes réjouissances. Une médaille commémorative en perpétua la mémoire.

Tel est le culte touchant que les Berrichons ont rendu à Jeanne de France. Divers brefs du Pape les autorisèrent et les encouragèrent à célébrer le 4 février la fête de leur duchesse[51].

Louis XV continua à défendre la gloire de son arrière grand-tante ; il demanda au Pape d'aller plus loin et d'en faire proclamer la sainteté. Les bonnes religieuses de l'Annonciade intéressèrent aussi à la cause de leur fondatrice la pieuse sœur du roi, Mme Louise de France, à laquelle elles firent don de leur plus précieux trésor, le chapelet de Jeanne[52]. Par une singulière vicissitude des choses, c'est un archevêque d'Albi, le cardinal de Bernis, qui, comme ambassadeur se trouvait chargé de réclamer à Rome le dernier jugement en faveur de celle que jadis un autre évêque d'Albi, au nom du Pontife Romain, avait frappée d'un verdict peut être immérité. On reprit donc l'œuvre de la glorification de Jeanne ; la congrégation des Rites exécuta de nouveau une énorme procédure résumée dans un volume in-folio fort compact, et le 28 février 1775 elle déclara solennellement avoir vérifié que les vertus de Jeanne de France avaient atteint le degré héroïque. Pour arriver à la canonisation, il restait à prouver l'existence de quatre miracles[53]. Mais on n'alla pas plus loin. Par brefs du 20 avril et du 21 juin, le Pape autorisa la célébration de l'office de Jeanne de France dans tous les États de Sa Majesté Très Chrétienne. L'époque ne paraissait pas être aux canonisations. L'esprit sceptique et léger du siècle, les railleries des philosophes semblèrent peut-être au cardinal de Bernis, lui-même quelque peu philosophe[54], un motif suffisant de laisser au temps, ce grand inspirateur des décisions romaines, le soin d'élucider définitivement les détails d'une dévotion plus touchante peut-être qu'éclairée. Mais ici le temps ne fit pas son office. Quinze ans après, la Révolution française éclate. L'Annonciade de Bourges est mise aux enchères et vendue à vil prix. Tous les autres monastères de l'ordre en France subissent le même sort. Dans cette tempête immense qui balaie le vieux trône de France, le culte de la fille des rois est lui-même emporté. Tout disparaît. Les souvenirs de Jeanne de France sont vendus à l'encan en 1793, son couvent devient une caserne ; il n'y a plus trace de son palais. Il semble que son nom et sa mémoire sont rayés pour toujours du souvenir des habitants du Berry.

Cependant à la suite de cette nouvelle tourmente le culte de Jeanne de France prit définitivement sa place dans la liturgie gallicane et la reine Jeanne n'a pas cessé de recevoir sur les autels l'état de bienheureuse.

 

« Bienheureuse ! » En vérité ce mot n'est-il pas une dérision ?

Maintenant que nous avons parcouru le long récit des douleurs qui ont abreuvé la vie de cette femme infortunée et que nous avons vu des tempêtes la poursuivre jusque dans son cercueil, arracher son corps de la tombe et le jeter sur la place publique, s'acharner sur sa mémoire, faire de son œuvre table rase, si nous nous arrêtons pour jeter un regard en arrière, nous ne voyons que des ruines ! Comment donc s'expliquer qu'aux yeux du peuple un tel sort se soit tout-à-coup divinisé et que la tradition l'ait toujours célébré comme le plus digne d'envie ?

Née au sommet de la société française, environnée de tout ce qui assure l'éclat et la grandeur, fille, sœur et femme de rois, duchesse souveraine, comblée de ce qui, aux yeux du vulgaire, paraît constituer la félicité, il a fallu pourtant qu'il ne restât rien de Jeanne de France, pas même une poignée de poussière, pas même un nom, pour que le vœu public nous ait invité à prononcer, en parlant d'elle, le mot : « bonheur. »

Tel est le monde...

« Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux ! »

Strafford désabusé disait, en mourant, cette parole amère : « N'allez pas vous confier aux princes, car ce n'est pas en eux qu'on peut trouver l'espérance ni le salut. »

Cette parole résume la vie de Jeanne et bien d'autres vies encore. Quelle que soit notre condition, trop souvent les morceaux de notre vie sortent du métier divin qui les tisse comme des trames serrées d'amertumes et de désillusions. Heureux s'il s'y est mêlé quelque fil d'or ou de soie !...

Mais notre âme a tellement soif de justice qu'elle ne se lassera pas d'en appeler k l'éternelle équité. Si c'est un rêve de penser, comme dit le Talmud[55], que la mort est un mystère aussi bien que l'enfantement, que cette vie n'est pas une vie définitive, mais que, portés, pour ainsi dire, dans le sein d'une mère périssable, le jour où les voiles se déchirent enfin et où nous nous sentons poussés à un grand inconnu, ce jour-là nous entrons dans la lumière, nous entrons dans la vie véritable, dans une vie belle, noble, délicieuse, au sein de perfections que nous n'avions même pas pu pressentir..., si c'est un rêve que cette vision de la justice dont nous avons soif, de la beauté suprême qui nous appelle, ah, laissez-nous-ce rêve ! Il est la sauvegarde de l'existence. Pour croire, comme nous le voulons, à la justice, pour goûter la paix, pour aimer, il nous faut la vie. « Notre Dieu n'est pas le dieu des morts, mais le dieu de vivants : tous vivent devant lui[56]. » Il est nécessaire de croire, d'aimer et de vivre.

Et certes, si dans notre temps, qui n'est point le pire, il se trouve tant d'hommes qui souffrent, et plus vivement peut-être qu'en des époques très violentes, c'est surtout parce qu'ils ne savent point lever la tête assez haut. L'amour du gain, il faut le dire, nous obsède et remplit la vie de presque tous. On va bien loin chercher le bonheur, on s'épuise à le réclamer sous toutes ses formes et jamais on ne le trouve : car il est en nous.

En ce sens, il n'est pas inexact de dire que Jeanne de France a eu la science du bonheur. J'admire sa constante fermeté au milieu des douleurs et cette hauteur d'âme qui l'a fortement soutenue au-dessus des coups du sort ! Jeanne de France avait en partage la grandeur, la fortune, l'illustration, tout ce qui rend la vie pompeuse et brillante, et, dans toutes ces splendeurs, son âme amèrement blessée et défaillante aurait succombé, si elle n'avait su trouver en elle-même, dans sa ferme croyance, dans ses immortelles espérances, l'appui suprême, contre lequel rien n'a prévalu.

 

*** NOTE ***

Il n'entre pas dans notre cadre de retracer les développements ultérieurs de l'œuvre de Jeanne de France : mais il est nécessaire d'indiquer ici, d'après les documents que nous avons puisés aux Archives du Cher, les mesures prises par Anne de France pour assurer les fondations de sa sœur et remplir ses pieuses intentions.

Anne, veuve depuis 4503, entra d'abord en possession de l'héritage de Jeanne, qui ne consistait que dans les biens de la famille d'Armagnac (Lettres du 17 et du 20 mars 1505, Guillaume de Ponceton, procureur. Arch. Nat. P. 1359 1, c. 689). Elle prit sous sa direction les œuvres de sa sœur.

Collège de Bourges. Lorsqu'Anne mourut, Charles de Bourbon, son gendre et son héritier, régla sa situation vis-à-vis du collège en assignant à cet établissement une rente de 100 livres sur la recette du Bourbonnais (Lett. pat. du 7 janv. 1522-1523, confirmation royale du.5 avril 1524, enregist. du 20 niai 1524. Copie aux Arch. du Cher, D. 33, reg. de Jacq. Thihoust). En reconnaissance de sa fondation, le collège de Bourges en 1763, décida de célébrer tous les ans une messe solennelle en l'honneur de Jeanne de France (Pallet, Nouvelle Histoire du Berry, t. V, p. 96 et 115).

ANNONCIADE. Organisation matérielle. Les Sœurs firent certifier par témoins que Madame Jeanne avait en la pensée de créer un couvent de trente Sœurs avec 1,000 livres de revenu (Certificat du Il mars 1504-5, Arch. du Cher, le Imprimés de la règle... de Sainte-Jeanne). Mazières et Bailly-Monet ne rapportaient que 256 liv. 15 s. Mais comme il n'y avait que vingt-cinq Sœurs, Anne crut suffisant de leur assurer, selon le vœu de Jeanne, un revenu total de 600 liv., et leur attribua en conséquence 343 liv. 5 s. de revenu sur les recettes d'Hérisson, Murat et Montluçon (Lettres des 13 octobre 1505,16 mai 1507, ratification de 1522-3 et 1524, reg. de J. Thiboust, D. 33). Le 13 octobre 1505, elle lit régler la juridiction des censitaires de l'Annonciade (Fonds de l'Annonciade, tit. ter, chap. 5, art. fer). Le 7 février 1505-6, le VI juin, le 9 septembre, le 8 octobre, etc. 1606, elle arrêta une transaction entre le chapitre de Montermoyen et l'Annonciade, le chapitre prétendant, en vertu des réserves de l'acte de vente de 1502, avoir droit de recueillir pour son compte, comme chapitre paroissial, toutes les aumônes faites an couvent. Amie recourut au légat et au pape qui, par le bref du 5 niai 1505, prescrivit une enquête. Le chapitre finalement dut céder son prétendu droit pour le prix de 50 liv. et un supplément de terrain pour le prix de 25 liv. (tit. Ier, c.hap. 3, art. 14,4', et chap. 12-13).

Organisation spirituelle. Le 12 des kal. de novembre (17 oct.) 1506, Georges d'Amboise chargea lis Frères mineurs de l'Observance de Saint-François d'administrer l'Annonciade (Arch. du Cher, faveurs spirituelles), et la conduite de l'Ordre leur fut maintenue par bref du pape du 31 mars 1514 et par décision du cardinal Forlignio du 9 août 1518 (ibid.). En 1508, Anne s'occupa de faire venir à Bourges des religieux dans ce but. (Mentionné dans un ancien Inventaire des bulles, brefs et lettres touchant le spirituel, fa 11, Arch. du Cher).

Indulgences et règles. Anne obtint pour l'Ordre naissant une profusion d'indulgences et le P. Gabriel-Maria s'occupa activement jusqu'a la fin de sa vie de fixer les points obscurs de la règle, de manière à défendre les Sœurs contre les prétentions de l'ordinaire diocésain et à apaiser leurs scrupules : « Que etsi nihil imminent de essentia regule, dit sa déclaration du 10 janvier 1508, tamen pacilicas reddunt sorores circa ordinarium ipsarum, et circa colores habituum, et circa abstinentias regule ipsarum, unde volti ut bec presentes littere annecterentur bulle, ut sciret munis caro salutare Dei nostri et quod auctoritote apostolica predicta farta fuerunt, sicut et statuta tradita sororibus tocius ordinis beate Marie \'irginis. volait auteur Sedes Apostolica quod preter supradicta nullus, quavis auctoritate fungens, presumeret alfa statuta sicut nec alia[m] regulam sororibus tradere posse. »

En janvier 1506, Jules Il accorda à l'Annonciade de Bourges un grand Pardon de la Passion, c'est-à-dire qu'il concéda des indulgences considérables à quiconque visiterait, pendant la semaine de la Passion, leur Calvaire (Arch. du Cher, faveurs spirituelles). Ce Pardon fut confirmé par bulle du 19 mars 1514 (liasse des Mélanges). Mais les religieuses étant trop pauvres pour faire publier ce Pardon comme il le fallait pour attirer les pèlerins, le pape y pourvut en 1515, et on obtint ensuite que l'archevêché de Bourges s'en chargerait (Mandement du doyen de Bourges, du 5 mars 1524, et autres, fonds des faveurs spirituelles).

Le 22 mai 1506, le cardinal d'Amboise, légat, accorda des indulgences de 3 ans et de 3 semaines aux pèlerins qui visiteraient l'Annonciade les jours de grandes fêtes de la Vierge, aux fêtes de saint Joseph et de la Dédicace, sous certaines conditions (ibid.).

Le pape Léon X, monté en 1513 sur le trône, accabla l'Annonciade de ses faveurs Un bref du 27 décembre 1514 porta de 10 jours à 10 ans l'indulgence de ceux qui ont reçu les dix insignia Ave-Maria et les ont dits une fois par jour et de 100 ans à 72.000 jours l'indulgence de ceux qui ont reçu les 72 insignes en l'honneur des 72 ans de vie de la sainte Vierge et ont récité 72 Ave-Maria 2 fois par jour (Tit. Ier, chap. 12-13 ; 5 copies authentiques de ce bref adressé à Anne de Bourbon). Plusieurs brefs de 1515, notamment du 19 juin 1515, accordent encore diverses indulgences (ibid.). Le 3 mars 1515, le pape reconnut au P. Gabriel-Maria le pouvoir de conférer les 10 Ave-Maria (ibid., collation de 1551) ; dès le 20 juin 1514, nous voyons le P. Gabriel-Maria (sous son ancien nom de Gilbert-Nicolas) conférer cette indulgence, solennellement et authentiquement, par acte contresigné de deux notaires, à Jacques Embrechtz, abbé des Prémontrés- de Saint-Michel d'Anvers (ibid.).

Jules Il, en 1506-7, Léon X, en 1513, approuvèrent la règle de l'Annonciade (ibid., et Vérification du 17 octobre 1507, à la requête d'Anne de Bourbon, pardi. cahier de 12 ibid. Gallia Christiana, t. Il, col. 130. Summarium de 1774, p. 27 et 28). Le 29 mars 1515, Léon X régla le mode de dire l'office des religieuses (ibid.) ; le 22 mai, il approuva solennellement la règle et fixa la couleur des habits des religieuses (deux grandes expéditions, orig., ibid. Publiée dans Labbe, Nov. bibl. manuscript., t. II, p. 395-402). Il y avait eu en effet quelques difficultés. Le 10 janvier 1508, le P. Gabriel-Maria déclara, par acte authentique, avoir reçu du Saint-Père le pouvoir de fixer les points accessoires de la règle (ibid., déclaration signée. « G Maria, manu propria »), et en effet il corrigea quelques points de la grande bulle de Léon X qui expose et approuve la dévotion des Dix Vertus (Labbe, Nov. bibl. manuscr., t. II, p. 402-409).

Le Il juin 1517, le pape le commit officiellement pour fondre en une seule règle « in nuum volumen » les deux règles de la Conception et de l'Annonciade, « ex duabus regulis sororum sen ancillarum Annuntiationis et Conceptionis Be Marie Virginis, que diverse erant.... (ibid.).

Une bulle du 6 juillet 1517 approuva les trois religions instituées en l'honneur de la Vierge Marie (orig., et copie authentique ibid.), et le 25 du même mois la règle de l'Annonciade (ibid.). Cela ne suffit pas encore. En 1518, le pape envoya à Bourges le cardinal Numa de Forlignio régler sur place les affaires de l'Annonciade. Le cardinal arrêta, le 9 août, que les religieuses porteraient un vêtement de couleur grise avec un petit manteau et une image de N.-D. et que le voile serait noir pour les professes, blanc pour les novices (Tit. ter, chap. 12-13). Mais en mai 1519 le légat permit encore au Père provincial de changer ou modifier ce qui lui semblerait expédient des offices ou des constitutions des religieuses (ibid.). En 1526, le pape approuva la règle de l'Annonciade définitivement (ibid. ; Cartulaire de Guill. de Cambray, mss. in-4° de 30 f°, relié en cuir noir, ibid., et liasse des Mémoires et imprimés divers. Le P. Gabriel-Maria mourut à Bordeaux en 1526, selon les uns, à Rodez en 1532, selon les autres. Néanmoins en 1548, le pape délégua encore un Frère mineur, Germain Aubert, pour revoir la règle des Annonciades en ce qu'elle n'a pas de substantiel ou en ce qui est superflu. (Tit. Ier, chap. 12-13). La règle des Annonciades a été imprimée à Paris en 1644 et en 1661 (in-12).

L'ordre de l'Annonciade prit un rapide essor. Peu de temps après la mort de Jeanne, le couvent d'Albi fondé par Louis d'Amboise, celui d'Agen par Vincent Billion, celui de Bordeaux par Jaquette de Laussac, femme d'Alexandre de Saint-Gelais (Gallia Christiane, t. Il, col.. 846, 929), attestent sa popularité dans le midi de la France. Le Père Gabriel Maria présida à la fondation de Bordeaux, il créa les monastères de Bruges et de Béthune, dans les Pays-Bas, et de Rodez. Le couvent de Paris fut érigé au XVIIIe siècle (Histoire des Ordres religieux, t. VII, p. 349. -Arch. du Cher, Fonds de Sainte-Jeanne, tit. ter, chap. 2. — Arch. Nat.). — A. Mire, en 1608, énumère trente maisons de l'ordre (Acta Sanctorum, 4 febr.) et l'Ordre a vécu de plus en plus florissant jusqu'à l'époque de la Révolution française. L'Histoire des Ordres religieux (1718) mentionne plus de quarante maisons (t. VII, p. 349) Il faut observer toutefois que les auteurs qui en parlent le confondent souvent avec l'ordre des Annonciades dites Célestes, qu'une sainte femme, nommée Marie-Victoire l'ornera, fonda en 1604, à Gênes, et qui eut également en France d'assez nombreuses maisons, notamment un monastère fondé à Lyon par Mme de Gadague et qui a fait l'objet de plusieurs publications. On le confond aussi avec les Annonciades de Lombardie ou religieuses de Saint-Ambroise et de Sainte-Marceline, qui remontent à 1408. Par bref du 5 avril 1819, Pie VII a confirmé les privilèges des Annonciades. Il en existe actuellement deux couvents, à Boulogne et à Villeneuve-d'Agen, mais le couvent de Villeneuve est le seul qui conserve l'observance primitive (Hébrard, Sainte Jeanne de Valois et... l'Annonciade, p. 253, 334, 339 et suiv.).

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Ces billets sont mentionnés dans l'Extraict dressé en 1647 par Sœur Jebanne Rougi, mère ancolie, comme il suit : « Vingt-neuf petits billets où sont escrits les dévotions de la bienheureuse Jeanne de France et les entretiens spirituels de ladite sainte dame et du Père Gabriel-Maria. » (Arch. du Cher, reg. pap. 4 ff°.). Ils sont publiés par Pierquin de Gembloux, p. 381 et suiv., d'après le Manuscrit de l'Annonciade.

[2] D'après le Manuscrit de l'Annonciade, le Père de la Fontaine, gardien d'Amboise, avait fait la même promesse au P. Gilbert.

[3] Orig. Trésor de la cathédrale de Bourges. — On conserve aussi à la cathédrale de Bourges et au Musée du Louvre de petits dessins sur vélin attribués à Jeanne ; l'un représente une couronne d'épines autour du monogramme de J.-C., un autre une croix sur le Calvaire, un autre le Sacré-Cœur. Ils sont réappliqués sur une peau de vélin. Les deux dessins du Louvre ont été acquis en 1853 par le Musée, de M. Dumoutet, comme les objets de Jeanne que nous avons indiqués plus haut. Ces dessins sont reproduits dans l'Histoire de Jeanne de Valois, par Pierquin de Gembloux.

[4] Le cardinal régla définitivement les affaires de l'Ordre des Annonciades, par décret du 9 août 1518 (Arch. du Cher).

[5] Arch. du Cher. La pièce est datée de Bourges, 26 juillet 1518. Il y a un projet de certificat qui n'a pas été rempli, mais le cardinal a écrit en face sur l'autre feuillet : « Ita esse fatemur, manu propria, Chr. Cardin., qui supra, » et apposé son sceau. La signature G. Maria du Père se trouve au bas d'une attestation de lui en date du 8 janvier (mêmes archives) ; en 1514, il signe Me Nicolaï (ibid. Procès-verbal de réception d'indulgences). Cf. Vie du R. P. Gabriel-Maria, par P. honoré Nicquet, Paris, 1655, in-8°.

[6] Arch. Nat., P. 1359 ¹, cote 613 (Titres de la maison ducale de Bourbon, n° 7,599).

[7] « Au moys de marze » 1503, « de notre règne le sixième. » Orig. Arch. du Cher.

[8] Le P. Gazet, Mon. de l'Annonciade, Acta Sanctorum. D'après le Summarium de 1774, p. 56, cette scène se serait passée en 1502 et d'après Dony d'Attichy, Hilarion de la Coste et autres en 1503.

[9] Raymond-Bertrand, adversaire d'Alexandre VI qui venait de mourir. Lui-même mourut en 1505 (Gains, Series episcorum, p. 279. Philippe de Commines, édit. Dupont, t. II, p. 385).

[10] Archives du Cher.

[11] Publiée par Pierquin de Gembloux, p. 399.

[12] Le cardinal, comme il le rappelle lui-même dans cette lettre, avait servi Louis XI et avait été envoyé par lui à Sixte IV.

[13] La cérémonie eut lieu dans cette chapelle, car la chapelle du couvent ne fut consacrée que plus tard, après la mort de Jeanne, par le cardinal d'Amboise. (Manuscrit de l'Annonciade).

[14] Arch. Nat., P. 1359 ¹, cote 614. Vidimus du avril 1505.

[15] Nous avons emprunté cette citation française et les suivantes à la copie française du Manuscrit de l'Annonciade, par M. de la Guère.

[16] Plusieurs auteurs disent à tort le 2 janvier.

[17] Manuscrit de l'Annonciade.

[18] Thesaurus novus anecdot., I, c. 854. — Raynal, III, 228. — Manuscrit de l'Annonciade.

[19] Même manuscrit.

[20] Raynal, t. III, p. 231, d'après l'orig. aux Archives de la Mairie de Bourges.

[21] Journal de Delacroix.

[22] Le corps de ville régla les obsèques par la délibération suivante :

Pour les obsèques et funérailles de feu madame la duchesse de Berry en ensuivant la conclusion de la dite ville, a esté admise par messieurs les maires et eschevins d'icelle ville, appelés avecques aulx, honorables hommes, maistre Guillaume Tournar,, Thomas Ronsard, Jacques Arronsard et Pierre Filz-de-Dame, de faire ce qu'il s'en suit :

Premièrement, touchant le deuil de madite dame, a esté ordonné que mesdits sieurs les maires et eschevins auront chascun cinq aulnes de dras pour, au pris de quatre livres VI s. VII d. l'aulne, pour faire robhes et chapperons, lesquelles robbes seront longues et traynans a terre.

Item, aux XXXII conseillers et officiers de ladite ville, estans en ladite ville, a esté ordonné qu'ils auront chascun quatre aulnes et demye de drap pour, au priz de cinquante sols, pour faire robbes et chapperons, lesquelles robbes seront de longueur de troys doiz au-dessus de la cheville du pié ; à la charge qu'ils et chascun d'aulx seront tenus de vestir ung homme, qui seront en deuil de drap pour tout neuf à leurs deppens, lesquelz auront leurs robhes longues de troys doiz au- dessoubs des genoubs.

Item, seront tenus lesdits serviteurs desdits conseillers et officiers porter chascun une torche, paisant deux livres de cire chascune torche, ausquelles sera asfiché les armes de madite dame et de ladite ville, le tout fait aux deppens d'icelle ville.

Semblablement aussi, auront les quatre portiers et sergens de ladite ville, ensemble les sergens du maire et sergents de la chambre d'icelle ville, chascun troys aulnes de noir au pris de XXX s., pour faire robbes et chapperons, lesquelles robbes seron troi dois au-dessoubs des geuoubs, à la charge d'avoir à leurs dépens chappes et bonnets noirs.

Item, a esté ordonné qu'il se fera quatre Brans torches, chascune torche paisant cinq livres de cire, et auront chascune torche un chappiteau pour servir de fleurs de lis aux armes de madite dame, et au dessoubs desdits chappiteaulx sera fiché sur chascune torche ung escu aux armes de ladite ville.

Item, jeudy prouchain, se trouveront les hommes dessus dits, maire, eschevins, conseillers et officiers de ladite ville, avecques manteaux, en l'ostel de ladite ville, a l'eure qui leur sera ordonnée.

Item, pour mectre ordre au peuple qui se pouroit trouver ausdis obsèques et funérailles de madite daine, chascun eschevin, en son quartier, advisera troys personnes que bon luy semblera, lesquelles ils bailleront par escript a messieurs Daumout et maistre d'ostel, lesquelles personnes seront habillez de robbes noires.

Item, a esté ordonné que la rue par laquelle l'on passera le corps de madite dame sera nettoyée le plus diligement que faire se pourra.

Fait le XIIIe jour de Féverier, l'an mil cinq cens et quatre, et quatre (sic). — Didault. »

(Arch. de la Mairie de Bourges, BB. 4. La copie est datée du « XXIIIe jour » de février, mais un renvoi rectifie cette date et la remplace par « XIIIe ») Comm. par M. de la Guère.

[23] C'était le gendre d'Anne de Bourbon, le fameux connétable tué au siège de Rome en 1527. Pierre de Bourbon, son mari, était mort le 8 octobre 1503, à 64 ans. (Moreri, t. II. p. 144).

[24] Manuscrit déjà cité.

[25] « La bonne duchesse de Berry, Jehanne de France, a toute sa vie vescu en saincteté, et a l'on voulu dire depuis son trespas que Dieu faisoit des miracles pour l'amour d'elle. » (Le Loyal Serviteur). — « Elle vesquit en si grant sainteté que après son décès Dieu a fait plusieurs miracles es personnes d'aucuns malades qui Dont priée et réclamée. » (Jean Bouchet). — « Et elle se tint en la ville de Bourges en toute saincteté, tellement que (ainsi que on dit) Dieu à sa requeste et par ses prières a fait plusieurs miracles depuis son trespas au lieu ofi son corps repose. » (Nicole Gilles). — Brantôme dit la même chose.

[26] Nous avons dit précédemment comment ce vœu fut rempli.

[27] Voir la note en fin de chapitre.

[28] Manuscrit de l'Annonciade.

[29] Il paraît qu'il ne voulut pas descendre au palais ducal ; il résida chez un riche particulier de Bourges, dans la famille Lallemant.

[30] La Thaumassière.

[31] Raynal, t. III, p. 245, d'après les Archives de la Mairie de Bourges.

[32] Par bref de 1517, le pape autorisa à célébrer, le 4 février, une fête des Dix-Vertus de la Vierge (Raynal).

[33] Pro beata colitur. Godefroy, Hist. de Charles VIII, p. 257. Mézeray, Hist. de France, édit. de 1685, f° 886.

[34] Catherinot, Les Églises de Bourges.

[35] Labbe, Nov. Bibl. Manusciqpt., t. II, p. 143.

[36] V. l'enquête de 1614, Summarium de 1742, p. 60.

[37] Catherinot, Le Siège de Bourges.

[38] Raynal, t. IV, p. 43. — Summarium de 1774, p. 480 et suiv.

[39] Summarium de 1742, p. 118.

[40] Dony d'Attichy et autres. — Miracles surprenants qui se voient chaque jour... au tombeau de la B. Jeanne de France, en l'église des Annonciades de Bourges (par Frère Joseph Miricault, secrétaire des mineurs de l'Observance de Paris), Paris, Jacquin, 1615, in-8°. A. Mire dit qu'on vient en foule au tombeau de la sainte, on y allume des cierges, on offre des vœux, des miracles s'opèrent. — Chenu, Antiquités de Bourges, Paris, 1621, p. 54, l'Hortus Pastorum du Père Jacq. Marchantion, Lyon, 1626, p. 80, disent que beaucoup de malades de fièvres et autres recouvrent la santé au tombeau de Jeanne. V. aussi Lemaire, Antiquités de la ville... d'Orléans, p. 134.

Le Summarium de 1774, p. 499-514, indique 158 miracles : d'autres encore p. 58.

[41] Summarium de 1742, p. 121-122. Cette statue de 1700, seul souvenir qui reste à Bourges du culte de Jeanne de France, est actuellement conservée en l'église de N.-D. de Bourges, ainsi qu'une inscription de cuivre placée à la môme époque au-dessus du tombeau. L'église N.-D. e tenu à honneur de conserver le dépôt de la mémoire de Jeanne de France. On y a érigé une statue de Jeanne, par Chanu. — Le culte de Jeanne de France subsiste aussi à Bordeaux dans l'église Sainte-Eulalie, qui a succédé à l'ancienne Annonciade de cette ville (M. l'abbé Allen, Revue Catholique, n° du 16 décembre 1881).

[42] Le culte de Jeanne de France avait pris de bonne heure une grande extension dans les Pays-Bas. On a vu que Standouk, exilé à la suite du divorce, avait précisé à Louvain, et nous disons plus loin que le P. Gabriel-Maria conféra à Anvers les indulgences des. Ave Maria. L'ordre de l'Annonciade passa de bonne heure en Belgique et y devint particulièrement florissant, notamment à Louvain et à Anvers. (Corn. a Lapide, Commentaires sur les quatre prophètes, Paris, 1622, col. 616). Le P. Gabriel-Maria fonda, de son vivant, les couvents de Bruges et do Béthune (Hist. des Ordres religieux, t. VII, p. 349).

[43] Raynal, Hist. du Berry, t. III, p. 236. — Summarium de 1774, p. 69.

[44] Ou depuis 1521 (Summarium de 1742, p. 148). Cela a entraîné quelquefois à attribuer trop légèrement à la date de 1524 des faits postérieurs ou douteux. Ainsi le Procès de canonisation indique (et Œttinger le répète) comme de 1524 la publication d'Anvers De vita et miraculis, etc., qui est de 1624. On trouva plusieurs manuscrits de l'office de Jeanne au couvent de Bourges ; deux d'entre eux étaient a d'une même écriture, » mais l'un était orné de lettres rouges et portait la date de 1624 ; l'autre, sans lettres de couleur, ne portait pas de date, on l'attribua arbitrairement à 1524. Les bibliographes relèvent eu 1521 une vie de Jeanne de France, par Havisius Textor ; niais cette vie est celle d'une autre Jeanne que la nôtre. L'histoire de France de Sc. Dupleix est attribuée à 1528, au lieu de 1628, dans le Procès de canonisation (1742, B. p. 165).

[45] La maison de Bourbon a toujours montré un grand zèle pour la mémoire de Jeanne de France. On a vu ce qu'avaient fait pour l'Annonciade Anne de Bourbon et son gendre. Dans le même ordre d'idées, Jeanne de Bourbon, femme de Jean de la Tour, comte d'Auvergne, morte en 1511, offre au couvent des Cordeliers de Vic-le-Comte un tableau de l'Annonciation où les fondateurs étaient représentés avec leurs patrons, saint Jean-Baptiste et saint Jean-l'Évangéliste (Baluze, Histoire généalogique de la maison d'Auvergne, t. Ier, p. 351). Charlotte de Bourbon donna 250 livres de rente à l'Annonciade de Bourges (Arch. du Cher, Fonds de Sainte-Jeanne, chap. 2, art. 2). Depuis la fin du XVIe siècle, les rois avaient l'habitude d'envoyer tous les ans 200 livres an couvent (ibid., tit. Ier, chap. 9). Du reste au culte de Jeanne de France se mêlaient toujours des prières pour la famille royale et pour le roi (Pallet, Nouv. hist. du Berry, t. V, p. 96 et 115).

[46] On a même admis que les lettres avaient été perdues (Raynal, t. III, p. 237) : assertion inexacte, car le programme de l'enquête imprimé sous ce titre : Informations à prendre en la ville de Bourges en Berry et ailleurs, touchant la cause de la béatification de... Jeanne de Valois (Bourges, Crista, 1664, in-f'), existe encore.

[47] Summarium de 1742, p. 133, 134.

[48] Histoire des Ordres religieux, t. VII, p. 348.

[49] Nous résumons cette procédure d'après les recueils publiés en 1624 à Louvain, en 1742 et en 1775 à Rome, et le mss. lat. 9792 de la Bibi. Nat. V. aussi Raynal, Histoire du Berry, t. III, p. 326 et suiv., et diverses pièces publiées par Pierquin de Gembloux, pp. 215-219, 329-416. — François de Paule fut canonisé à la même époque. (Bibi. Nat., mss. lat. 10856-10860).

[50] Cette preuve était tirée de la constatation des pèlerinages (partie D. p. 40), des titres de sainte et bienheureuse (D. 45), des autels et statues de Jeanne (D. 53), des ex-votos (D. 26 et 53), des reliques conservées avec vénération (D. 58), des images de Jeanne (1). 61), de sa fête annuelle (D. 64).

[51] Par suite du culte rendu à Jeanne de France, son portrait a été très souvent gravé ; mais nous croyons inutile d'énumérer ici ces portraits, tous symboliques ou de fantaisie (même celui que L. de Bony a inséré en tête de sa vie comme « tiré sur l'original de Bourges ». La seule représentation de Jeanne digne de remarque est le tableau de Parrocel (gravé par Billy) qui se trouve au retable de la 3e chapelle de droite, dans l'église Saint-Louis-des-Français, à Rome, que fonda Louis XI. Cette œuvre excellente représente eu réalité quatre Annonciades à genoux, priant la Vierge que des anges enlèvent dans les cieux. (La chapelle, dite du Sacré-Cœur, consacrée à Jeanne, renferme le monument du cardinal d'Ossat : à droite le beau tombeau de Mme Guillermin, morte à Rome en 1869 : les tombes de Mgr Castelleni, évêque de Porphyre, de M. L. de Loubens, capitaine d'artillerie, mort à Rome en 1852, et quelques autres).

Quant à la représentation réelle de Jeanne de France, on sait qu'il était d'usage, à l'époque où elle mourut, de mouler les traits des princes et l'on n'y manqua pas pour elle. Après s'être servi de ce moulage à son enterrement (manuscrit de l'Annonciade), il parait qu'ou le conserva et qu'on l'exposa tous les ans le 4 février. Les masques de plâtre conservés à la cathédrale de Bourges, au Musée de Bourges, au Musée du Louvre seraient des reproductions du masque primitif. Les traits sont conformes aux descriptions qui nous sont parvenues et offrent une ressemblance notable avec les traits de Louis XI ; rien, toutefois, n'en démontre avec certitude l'authenticité, sinon la tradition qui est immémoriale.

[52] Pierquin de Gembloux, p. 409.

[53] La procédure de canonisation en avait relevé près de deux cents. Summarium de 1742, p. 144. Summarium de 1774, p 499-514, p. 58.

[54] Cependant il fit faire à Albi une information pour constater la réalité de deux miracles (Bibl. d'Albi, mss. 32).

[55] Paroles de R. Tabi, dans la période Talmudique, paraphrasant un texte de Salomon (Proverbes, XXX, 16). Elles sont superbement développées par le Dr Brecher, médecin de l'hôpital israélite de Prossnitz, dans son livre De l'Immortalité de l'âme chez les Juifs, p. 82, 84 (traduction Galien).

[56] Evangile de saint Luc, chap. XXXVIII.