JEANNE DE FRANCE

DUCHESSE D'ORLÉANS ET DE BERRY (1464-1505)

 

CHAPITRE VIII. — ANNULATION DU MARIAGE DE JEANNE DE FRANCE.

 

 

Dans l'ancienne France, on envisageait le mariage sous deux faces très distinctes : comme sacrement ou contrat spirituel, il dépendait entièrement de l'autorité de l'Église et de ses canons ; comme contrat civil, seulement accessoire au contrat spirituel, il relevait de l'autorité du prince et de ses lois. Il appartenait donc à l'Église et aux tribunaux ecclésiastiques de déterminer l'essence du mariage, si le mariage consiste dans le seul consentement des volontés et si la tradition des personnes y est aussi nécessaire ; sa matière et sa forme ; si la matière est le contrat civil ou bien si ce sont les personnes mêmes qui contractent ; si la forme consiste dans le consentement de ces personnes, ou si la bénédiction du prêtre en fait partie ; quel est le ministre du sacrement, ou du prêtre qui bénit ou des personnes qui se lient ; quel est la nature de ce lien, s'il est absolument indissoluble, même quand après le consentement prêté il n'y a point eu consommation ; quelles sont les cérémonies qui se doivent pratiquer pour la célébration et si elles sont de nécessité ou de simple bienséance ; quels sont les empêchements du mariage, quelles sont les dispenses que l'on peut obtenir sur ce sujet, et à quelle juridiction les causes de mariage doivent se traiter[1].

Les juridictions civiles ne possédaient d'abord que le droit d'enregistrer et de contrôler l'acte civil qui résulte du mariage. Plus tard, les parlements se saisirent de l'examen indirect du fond de l'affaire dans trois cas spéciaux et, depuis le XVIe siècle, dans le dernier état du droit, ils en étaient arrivés à évoquer régulièrement toutes les affaires de nullité de mariage, en ne se préoccupant que des effets civils de la sentence[2]. Mais, au temps de Louis XII, la Réforme n'avait pas encore paru ; son influence n'avait pas encore tondu partout à séparer le monde civil du monde religieux, à détacher l'État des lois directes de l'Église. Ainsi le sort du projet de divorce[3] de Louis XII et des intérêts politiques considérables qui s'y rattachaient relevait seulement du pouvoir spirituel, c'est-à-dire du Pape, ce grand régulateur moral de toute la machine humaine au moyen âge, le juge international des rois et des peuples.

Avant Louis XII, la royauté française avait déjà connu plusieurs divorces ; Louis VII s'était fait séparer d'Éléonore d'Aquitaine sous prétexte d'une parenté quelconque, Philippe-Auguste d'Ingeburge, Charles IV le Bel, un peu avant son arrivée au trône, de sa femme Blanche de Bourgogne. Le jour même de son mariage avec la pieuse princesse de Danemark, Philippe-Auguste avait déclaré éprouver contre elle une aversion profonde, et aussitôt l'on s'était aperçu de je ne sais quelle affinité entre les époux ; une assemblée d'évêques, réunie par le roi, avait trouvé cette affinité assez sérieuse pour dissoudre le mariage et le roi, sans plus tarder, épousait Agnès de Méranie, pendant qu'Ingeburge en appelait des évêques au successeur de saint Pierre. C'est dans l'Église une coutume de la plus haute antiquité que le pape se saisisse directement des causes où les personnes en jeu se trouvent être des personnes souveraines. Célestin III. reçut donc l'appel de la princesse et cassa la sentence qui la frappait ; Innocent III, l'arme de l'excommunication à la main, se chargea de réduire à l'obéissance le plus puissant prince de la chrétienté ; le roi Philippe dut s'incliner, bien malgré lui, devant les arrêts souverains de la justice pontificale et aller reprendre, dans les cachots de la tour d'Étampes, où elle gémissait depuis douze ans, la triste reine Ingeburge[4].

Quant à Charles-le-Bel, en présence des écarts et des folies d'une femme qui traînait dans la boue les lys de France et que les prisons de Château-Gaillard pouvaient seules contenir, il s'était adressé d'abord aux évêques de l'Église gallicane, ou, pour mieux dire, à l'évêque régulièrement compétent, l'évêque de Paris, assisté en cette circonstance de l'évêque de Beauvais. Toutefois, les désordres d'une femme n'autorisant, selon le droit canonique, que la séparation de corps des époux, il avait fallu recourir à l'arsenal ordinaire des causes de divorce : le prince cousin germain de sa femme ; le prince tenu sur les fonts baptismaux par la mère de sa femme, ce qui, selon d'anciennes lois que le concile de Trente a abrogées, créait entre les époux une affinité spirituelle prohibitive ; des dispenses du pape insuffisantes pour couvrir ces vices ; et Charles se retranchait derrière les réserves de style que la chancellerie romaine ne manque jamais d'insérer dans les documents qu'elle rédige. Après une rapide enquête de l'évêque de Paris sur ces arguties juridiques[5], Charles obtint du pape une évocation directe de l'affaire sous prétexte qu'il s'agissait d'interpréter des bulles du Souverain-Pontife, et une commission de cardinaux chargée des débats prononça l'annulation du mariage en 1321 à Avignon[6]

Alexandre VI se conformait donc à la tradition la plus ancienne des affaires ecclésiastiques en se présentant comme l'arbitre et le seul juge de l'importante affaire qui absorbait les préoccupations du roi et de son premier ministre. Du reste, en dehors même du secret des ambassades que quelques historiens ont cru pouvoir pénétrer, tout donnait à penser qu'on trouverait en Alexandre Borgia un appréciateur assez large des questions de cette nature. Longtemps avocat lui-même, le pape, dans sa jeunesse, avait reçu les enseignements des lois divines et humaines. Il venait, en 1497, de déclarer nul le mariage de sa fille Lucrèce Borgia avec Jean Sforza, de Pesaro, dont elle n'avait pas d'enfants. A l'inverse, la cour de Rome venait de relever de ses vœux une religieuse, devenue la seule héritière du royaume de Portugal et dont l'intérêt public commandait de faire une reine ; car, si dans sa juridiction, en principe, elle n'a jamais admis la moindre différence entre les rois et les simples sujets, il existe pourtant, comme le remarque M. Henri Martin, des motifs graves que les rois seuls peuvent invoquer et dont il est bien difficile de ne pas tenir compte lorsque l'avenir de toute une nation, l'intérêt d'un peuple, la paix de l'Europe en dépendent[7] Le roi s'en référa donc au jugement du pape ; d'ailleurs, il fallait le divorce, il le fallait rapide et sans appel, et dans ces conditions le pape seul le pouvait.

Ajouterons-nous à la louange de Louis XII qu'il ne pensa pas un instant à braver les lois reconnues, à se passer de la sanction pontificale qui semblait du reste facile à obtenir ? Tous ses historiens, qui sont en même temps ses panégyristes ne manquent pas de faire remarquer son amour pour la justice, son scrupuleux respect pour les lois[8]. Et ils ont raison. Bien peu d'années après, Henri VIII rie donnera pas en Angleterre les mêmes exemples... Et en France môme, Louis XI ne s'était-il pas plu, pour ainsi dire, à se jouer du mariage, à en briser les liens suivant son caprice ? Voici qu'il s'agissait d'anéantir un mariage, œuvre de l'avant-dernier roi ; est-ce que cette entreprise ne ravivait pas dans toutes les mémoires le souvenir des violences commises par Louis XI, au mépris dès lois les plus sacrées de l'Église ? Ces violences, l'opinion des bonnes gens du royaume en avait gémi assurément, mais elle les avait souffertes, et même le roi Louis avait laissé après lui la mémoire d'un bien grand prince, pour avoir jetté les roys de France hors de page[9]. Par le fait, la royauté française maintenant pouvait tout ; l'extrême dissolution des mœurs, précurseur de profondes crises sociales, dégradait toutes les consciences ; l'antique foi du moyen âge, avec sa hiérarchie relâchée et sa force plus extérieure que réelle dans les hauts rangs de la société, sombrait de toutes parts[10]. Ce qu'osa un Henri VIII, déjà Louis XI aurait pu l'oser. Est-ce que bien des hommes ne prétendaient pas en France que la royauté devait planer au-dessus des lois et ne reconnaître d'autre loi qu'elle-même ? Si le peuple respirait maintenant sous des maîtres équitables et doux, ne se trouvait-il pas, parmi les vieux politiques nourris à l'école de Louis XI et pénétrés des effets salutaires obtenus par la rudesse sans scrupules de ce maitre-homme[11] en des temps exceptionnels, des gens pour croire que tel devait être le caractère permanent de l'autorité, pour regretter son énergie, même ses violences ? Cette doctrine de l'ordre par l'omnipotence matérielle, nous la connaissons bien, elle traverse les âges, elle se transmet de main en main, de crise en crise, de glaive en glaive ; c'est même celle des jacobins, celle d'hier et celle de demain, car elle existera toujours !... Et dans le procès même de Jeanne de France, dont le but n'est autre en somme que d'obtenir de la justice ecclésiastique une flétrissure des actes de Louis XI au profit de Louis XII, nous voyons paraître un ancien serviteur du feu roi, et non des moins marquants, qui, fort jeune, figura dans ses conseils et devint son ambassadeur[12], le sire Jean de Castelnau, baron de Castelnau et de Caumont, que l'on va chercher, pour lui arracher une déposition, au fond de sa province du Limousin où il ne veut plus parler que patois, et nous le voyons traiter avec assez de dédain les nouvelles générations, notamment un certain sire de Vatan qui sert tous les rois, dire ouvertement, sans paraître se douter du changement de règne, « qu'il a connu Louis XI, prince prudent, discret et vertueux ; son grand sens, le génie et la vertu qui éclataient en lui le faisaient redouter de tous les princes du royaume et partout au dehors ; au point que, lorsqu'un prince se montrait rebelle, traître et désobéissant à ses ordres, à ses instructions et volontés, il savait partout le retrouver et faire peser sur lui un châtiment lourd. Cela est notoire et manifeste[13]. » Et pourtant l'intraitable baron reconnaît lui-même que Louis d'Orléans n'a jamais montré à sa femme qu'un éloignement invincible. Il faut donc savoir quelque gré au roi Louis XII d'avoir pleinement respecté les lois, d'avoir affronté de telles discussions dans une matière aussi urgente et aussi importante et d'être entré dans la voie d'un accord avec le pape. Du reste, Anne de Bretagne n'aurait jamais consenti à un mariage qui ne fût pas parfaitement justifié.

La parole était donc au pape ; au pape, il appartenait de faire prévaloir la justice et de se montrer l'incorruptible défenseur du droit. Et cela ne diminue en rien la pitié extrême que nous inspire la situation de Jeanne de France ; au contraire, cette innocente victime de la politique nous paraît d'autant plus à plaindre qu'elle est frappée par des autorités dont le rang est plus respectable. Par malheur, Louis XII, pressé par les évènements, faisait agir aussi des ressorts cachés.

Enfin Alexandre VI signa, le 3 des calendes d'août (29 juillet) 1498, une longue bulle[14], dans laquelle il énumérait tous les motifs de nullité allégués contre le mariage de Louis XII. Le roi Louis XI avait employé contre le duc d'Orléans et contre sa mère l'intimidation et les menaces ; il avait violemment extorqué leur consentement en leur inspirant une crainte sérieuse, capable, selon la formule du droit canon, de troubler un homme fait ; Louis XI était le parrain du duc d'Orléans, et de cette parenté spirituelle naissait entre la fille du roi et son futur époux un lien prohibitif de mariage, et aucune dispense n'aurait levé cette prohibition ; bien plus, une parenté naturelle au quatrième degré existait entre les époux et créait entre eux un nouvel empêchement. Plus tard, Louis XI, par des menaces de mort ou les procédés d'intimidation les plus effectifs, avait obligé le duc d'Orléans à contracter le mariage précédemment conclu, et le duc subit ainsi une contrainte à laquelle la mort du roi Charles VIII venait seule de mettre un terme ; Mme Jeanne de France, enfin, n'avait pas d'enfants et ne pouvait pas en avoir. C'est par tous ces motifs longuement déduits, et par tous ceux qu'une procédure pourrait encore révéler, que le pape constituait un tribunal exceptionnel. Il ne soumettait pas l'affaire à une commission de cardinaux, comme il aurait pu le faire ; il créait, de toutes pièces, un tribunal spécial appelé à fonctionner en France même, ce qui, malgré le caractère secret des débats ecclésiastiques et l'usage de la langue latine, rendait bien plus délicate la situation du roi ; et les deux juges appelés par le Souverain-Pontife à composer le tribunal n'étaient autres que son nonce en France, le portugais Fernand d'Almeïda, prélat romain fort ambitieux, dont le diocèse, gisant sur les côtes du Maroc, n'appelait pas beaucoup les soins, et Louis d'Amboise lui-même, l'ami intime, le conseiller et le serviteur du roi, qui, depuis le nouveau règne, prenait une part nominative à tous les actes du gouvernement[15] et se trouvait en ce moment même près de Louis XII, qu'on ne se serait guère attendu, par conséquent, à voir transformer en juge.

Un procès s'ouvrait donc devant Jeanne de France, et quel procès ! le procès le plus ignominieux, le plus horrible, le plus blessant pour la dignité et la pudeur d'une femme ! Toutes ces douleurs cachées, dont saignait son cœur depuis tant d'aimées, allaient être violemment rouvertes et exposées en pâture aux commentaires publics ; on verrait la fille des rois gravir ce calvaire douloureux où aucun opprobre aucun fiel ne devaient lui être épargnés, où les détails les plus intimes de la vie d'une femme allaient être exposés à la risée d'une nation !

On pensait généralement à la cour que Jeanne de France n'affronterait pas ces cruels débats ; détachée, comme on la connaissait, de tous les biens du monde où elle n'avait trouvé qu'amertume, tout entière repliée sur elle-même et publiquement exclue du trône de ses aïeux, personne ne supposait que cette âme tendre et modeste cherchât, au risque de scandaleuses luttes, à défendre un rang dont son cœur était si loin ; en effet, les perplexités de Jeanne furent atroces ; elle-même nous en a livré le secret dans les poignantes déclarations acquises aux débats. Elle se demandait si elle devait, si elle pouvait exposer son caractère de femme, et de femme couronnée, à de pareilles réquisitions, à la dispute de pareils griefs. Jamais on n'avait vu une fille des rois de France descendre ainsi dans le prétoire public et y laisser déchirer tous les voiles. Et d'autre part, profondément convaincue de la justice absolue de sa cause, avait-elle bien le droit, la possibilité de sacrifier à ses propres répulsions, même les plus justifiées, la défense de la vérité, la mémoire de son père, et sa race entière déshonorée en sa personne par un aveu ? Et d'ailleurs, l'Église elle-même, dont elle révérait les divins enseignements dans la société humaine, l'invitait à se présenter à sa barre et la conviait à établir la vérité par les moyens institués pour en assurer la découverte ; avait-elle bien le droit de se refuser à cet appel et de donner à la France entière le spectacle d'une chrétienne qui récusait l'Église ?

On devine les douloureuses perplexités qui, en ces moments terribles, torturaient le cœur de l'infortunée ; de quelque côté qu'elle se tournât, elle ne trouvait que blessure et souffrance, et ces heures durent lui être lourdement comptées dans cette éternelle balance où pas un soupir n'est vain, pas une larme ne passe inaperçue. A l'étonnement général, comme elle l'avait laissé pressentir à La Trémoille, elle se résolut à tout affronter et à soutenir le procès ; sans doute elle avait cru sentir la voix de la conscience dominer toutes les autres dans son cœur, mais il dut lui falloir s'armer de quelque courage et se faire une poitrine d'airain pour se décider à affronter un verdict dicté d'avance. Que pouvait-elle ? se défendre, c'est-à-dire protester, affirmer son droit ; car pour le jugement, personne n'en doutait : le roi en avait besoin de suite, sans nouveaux délais.

Les bulles avaient été signées à Rome le 29 juillet : dès le 10 août, le tribunal, constitué à 'l'ours sur la requête du roi, reçoit communication de ce document scellé à la romaine, avec un sceau pendant à une corde de chanvre ; il le vérifie et cite les parties à comparaître le dernier lundi d'août, lendemain de la fête de la Décollation de saint Jean-Baptiste. Le délai strictement légal expirait le jour même de la fête, mais on dut le proroger au lendemain à cause du dimanche. Bizarre coïncidence ! c'était donc le jour où l'on fêtait le patron de Madame Jeanne, non point, il est vrai, le jour où l'on célèbre, avec le souvenir de sa naissance tardive et inattendue, un miracle de la maternité, mais le jour où l'on dit qu'un roi, cédant aux suggestions d'une femme célèbre par sa beauté, offrit à celle-ci comme gage d'amour la tête de saint Jean-Baptiste... Ainsi, des deux fêtes, Madame Jeanne semblait vouée à celle du malheur !

Du reste, le procès s'ouvrit dans des conditions qui préjugeaient assez son résultat. Régulièrement, le mariage, jusqu'à ce qu'il Mt déclaré nul, devait être considéré comme existant, au moins de fait : ainsi Madame J canne devait, dans la procédure, représenter comme la femme du roi. Mais on ne lui donne pas l'état de reine ; elle n'avait pas figuré au sacre, et durant tout le procès on se borne à l'appeler simplement « Mme Jeanne de France. » C'est alors que la princesse, publiquement privée de la couronne, se voit l'objet d'un abandon universel. Obligée, dans une cause aussi ardue, de chercher des hommes de Fart pour la représenter et la conseiller, pour l'assister, comparaître aux audiences, suivre des débats formulés dans la langue latine qu'elle ignore, elle n'en rencontre pas un seul qui consente à lui prêter son ministère. Il fallut que les juges, quel que fût leur intime sentiment, s'interposassent pour maintenir les notions de la justice et les droits de la défense ; l'autorité du roi intervint elle-même pour lui donner des défenseurs. Ainsi du moins l'accusée trouvait des juges, la femme obtenait des égards.

Le 10 août, le tribunal se réunit donc dans l'église de Saint-Gatien à Tours, et ensuite dans la maison du doyen du chapitre, où Jeanne avait fixé sa résidence. Il désigna trois assesseurs, Guill. Feydeau, doyen de Gassecourt, et deux officiaux de Paris, Pierre de Bellessor et Robert La Longue, et donna d'office comme conseils à Madame Jeanne trois jurisconsultes de Tours, Marc Travers, official, Robert Salomon, docteur en théologie, provincial des Carmes, et Pierre Borel, avocat en la cour ecclésiastique. Mais, à Tours, on avait vu Louis X[ de trop près pour rie pas savoir qu'il ne faisait pas bon s'entremettre dans les affaires des grands, du moins contre eux En 1484 encore le lieutenant du bailli de Touraine, maître Jean Travers, sans doute parent de Marc Travers, envoyé par ordre du roi de France pour signifier au duc de Bretagne l'invitation de comparaître au Parlement, avait été enlevé, atrocement maltraité ; son serviteur avait été jeté dans la Vilaine et lui-même n'avait échappé que par un miracle à la mort[16]. Aussi les trois conseils déclinèrent-ils énergiquement la désignation des juges : le tribunal en appela à son autorité apostolique et à l'autorité royale elle-même pour les forcer à accepter son mandat. Il fallut recourir aux mêmes procédés de coercition pour obtenir à l'accusée un notaire, Pierre Duban, qui libellât ses pièces, et des scribes pour les écrire.

Le procureur du roi prit alors la parole et déposa sa requête, en protestant qu'il n'entendait d'aucune manière attenter à l'honneur et à l'honnêteté de Madame Jeanne. Jeanne, sur sa demande, reçoit du tribunal un délai de huit jours pour chercher des conseils hors de Tours, et le tribunal met à sa disposition les pouvoirs discrétionnaires nécessaires pour les obliger à se rendre à son appel ; il invite aussi le procureur du roi à ne choisir ses auxiliaires qu'après que Madame Jeanne aura arrêté ses choix.

Le 13 août, le roi donne pouvoir à un conseiller au Grand-Conseil, Antoine de Lestang, originaire de Normandie, de le représenter, et comme il 'fallait à cet acte passé devant le notaire Garnaudi, du diocèse de Bourges, un témoin, c'est Georges d'Amboise, archevêque de Rouen et frère du juge, qui en tint lieu.

Nous ne relaterions pas ici les détails de la procédure, s'il s'agissait simplement d'une accumulation de pièces de parchemin produites à des juges suivant des règles spécifiées, si nous entrions dans le dédale d'un de ces longs procès, comme le moyen âge en a connu, épais grimoires qui nourrissaient des générations de procureurs et à qui des familles entières de scribes devaient le pain quotidien. Mené avec une rare énergie, le procès de Jeanne de France, au contraire, malgré des enquêtes diverses et les délais nécessaires ou légaux, dura seulement quatre mois et durant ces- quatre mois chaque étape marque pour la défense une épreuve et une difficulté particulières.

Le jeudi suivant, le procureur du roi développa sa requête devant les juges. Il protesta encore de son respect pour la personne de Madame Jeanne, puis, remontant dans les souvenirs du passé, rappela la double parenté des époux, les violences de Louis XI à l'égard d'un jeune orphelin, placé sous son entière dépendance et qu'il menaçait de faire jeter dans la rivière en cas de refus, car le roi Louis était un prince sévère, habitué à maltraiter ses sujets lorsqu'ils n'obéissaient pas : force avait donc bien été au duc Louis de simuler un mariage. Le procureur rappelait ensuite les faits connus de tous : l'avènement de Charles VIII, la fuite de Louis en Bretagne ; il assigna à tous les évènements de Bretagne, à ces incessantes turbulences du duc d'Orléans qui avaient troublé la France de la Seine à la Garonne, un seul motif : la volonté de rompre un mariage exécré et d'en contracter un autre... Quel autre ? le procureur ne le disait pas, mais le nom de la véritable reine de France était sur toutes les lèvres, dans toutes les mémoires.

Le représentant du roi posait enfin des conclusions de la plus haute gravité. Mme Jeanne de France, disait-il, était destinée à ne jamais connaître les joies de la maternité. Or il était d'une extrême importance de pourvoir à l'avenir du royaume ; le bien de la France exigeait que le roi ne manquât pas d'héritiers ; c'était l'avis du conseil du roi.

Sous ce langage dicté par les convenances se devinait aisément un autre grand motif politique : la nécessité de conserver la Bretagne à la Franco par l'alliance du roi avec Anne, le seul argument que le procureur ne pût articuler, et cependant le plus fort. La réunion de la Bretagne était nécessaire à la France. La fille de Louis XI fut notre rançon à tous.

Le roi ne manquait donc pas de puissants mobiles et ses armes même dans le débat n'étaient pas pour être dédaignées.

L'empêchement résultant de la parenté des époux avait en réalité, comme le prouva le procès lui-même, été couvert par des dispenses ecclésiastiques obtenues en temps opportun et bien suffisantes.

Mais le défaut de consentement, aux yeux du droit canon, crée un empêchement absolu à la validité du mariage ; seulement, pour emprunter le langage de ce droit, la cohabitation purge la crainte, et, si Louis XII pouvait alléguer la violence, il lui fallait établir, chose difficile, que cette violence n'avait pas été purgée, ou peut-être encore qu'elle avait duré jusque dans les derniers temps. Le roi alléguait aussi le besoin de donner à son trône un héritier, et sur cette proposition il nous paraît curieux de citer les appréciations d'un magistrat du siècle suivant, formé à Bourges par Cujas.

Henri IV, marié en premières noces à Marguerite de Valois n'en avait pas d'enfants. En 1598, le Parlement adressa au roi des remontrances sur la nécessité de faire dissoudre son mariage avec une femme d'ailleurs des moins recommandables. Le cardinal d'Ossat partagea cette manière de voir et le mariage d'Henri IV était en effet invalidé le 17 décembre 1599. Chargé par le Parlement de porter la parole devant le roi, le procureur général de la Guesle le fit dans les termes les plus pompeux et les plus classiques. Il ne se lassera pas, dit-il, de réclamer du roi le couronnement de l'édifice, de lui crier : « Sire, vivés et régnés œternellement, en vostre personne, tant que le terme le plus long de la vie humaine le pourra permettre, et en celle des vostres tant que le monde conservera Id forme que son architecte luy a donnée. A ceste fin, mariés-vous. » Et voici comment, après un siècle passé, le procureur général appréciait devant le Parlement de Paris le procès de Louis XII :

« Nous adjousterons à ces anciens exemples un moderne, lequel peu s'en fault que nos pères'n'aientveu, à sçavoir le divorce du mariage du Roy Loys XII avec Madame Jehanne de France, fille du Boy Louys XI, jugé par ceux qu'à ceste fin le pape délégua : plusieurs moiens furent mis en avant pour parvenir à ceste dissolution, ainsy qu'il appert par la bulle de délégation du mois d'aoust 1498. Le premier cousis-toit en force et contraincte apportées au mari par le père de l'espouse jusques aux menaces de perdre la vie et autres si violentes qu'une ame constante en pouvoit estre esbranlée ; moien qui esioit impertinent et esloigné de toute vérisimilitude : impertinent à ce que prétendue force esioit couverte par vingt cinq ou vingt six ans que les conjoincts avoient demeuré en France, cohabitation laquelle induisoit un consentement sans que le mari peut estre recevable a proposer que de volonté il n'avoit jamais consenti, puisque l'effect estoit au contraire. Quant à la vérisimilitude, il est certain qu'en ce royaume il n'y a si grand prince qui ne tienne à faveur et honneur d'avoir à femme la fille de son Roy, de quelque imperfection que son corps soit marqué, qui estoit ce que l'on reprochoit seulement à Madame Jehanne, de manière que jamais ne fust besoin d'user de contrainte en ce ou l'on tient y avoir de l'advantage. Ainsi le Roy François premier, lors héritier présomptif de la couronne, espousa Madame Claude de France, lequel mariage, bien qu'elle fust autant imperfaicte de corps que la fille du Roy Louys XI, il poursuivit ardemment et ne vint à bout de sa poursuitte qu'avec difficulté, ayant dès lors pour compétiteur, comme depuis eu beaucoup d'autres grandes affaires, Charles d'Autriche, prince d'Espaigne, auquel la volonté de la mère de la fille inclinoi L. Le mesme Charles rechercha Madame Renée, sœur de Claude, et n'en fust desgouté en ce qu'elle estoit autant destituée des perfections du corps comme ornée de celles de l'esprit. La grandeur de l'alliance entre les Rois et Princes couvre le plus souvent tels défauts, de façon qu'il n'y a pas d'apparence que Loys XII, estant lors prince subject, oust espousé à regret la fille de son souverain, duquel mariage il estoit honoré et advantagé, qu'a ceste fin fust besoin d'apporter de la force et d'user de menaces ; joinct qu'il est certain que sa mère avoit premièrement poursuivi et recherché ce mariage. Moins d'apparence y a il qu'estant de bon naturel et craignant Dieu il eust esté si long temps sans rendre le debvoir d'affection conjugale à une femme si loiale, si vertueuse et pleine de tant de dévotion en son endroict qu'il estoit obligé à ses seulles fatigues, solicitations et prières de la délivrance de la prison en laquelle le Roy Charles VIII le détenoil. Deux autres moiens de divorce consistoient en ce qu'ils estoient parents au quatriesmo degré et qu'il y avoit entre eux cognation spirituelle, sur ce que le père de sa femme avoit levé sur les fonds le mari. Mais le long temps du mariage (avec une absolution qui est fort commune en tel cas) pouvoit aisément rabiller ces défaulls : aussy toutes ces raisons n'estoient point tant moiens qu'aides et, comme l'on les appelle, adminicules du principal moien, à sçavoir la stérilité de laquelle ceste princesse estoit infortunée, lequel moien, comme le plus fort et quasi seul considérable, est posé le dernier en la bulle en ces termes : « D'autant que ledict Loys, régnant à présent, auroit, par le temps préfix du droict, cohabité avec ladite Jehanne, travaillant à la consummation du mariage, et que ladite Jehanne n'auroit peu avoir enfans, » jugeant le pape par là qu'à un Roy le manquement de lignée suffist à dissoudre son mariage, ce que d'ailleurs un si bon prince, tel qu'estoit Loys XII, n'oust jamais attenté ni poursuivi, s'il n'eut creu luy estre loisible sur la considération du bien de son peuple, duquel par un rare et singulier épithète il fust appelé pére[17]. »

Le procureur général exagère un peu : notamment il célèbre avec un peu trop de lyrisme l'amour qu'une fille de roi ne manque jamais d'inspirer. Louis XII, il faut le dire, était plus homme ; toute son histoire le prouve.

Le procès de divorce prenait donc un caractère très sérieux et le roi, qui semblait médiocrement rassuré sur la volonté d'Anne de Bretagne, faisait tout pour entretenir la faveur de la princesse. Il y mit tant de bonne grâce qu'Anne consentit à lui engager sa foi par le billet suivant, écrit de sa main, sur un mauvais papier, sans sceau :

« Mr mon bon frère, j'ai reçu par M. de la Pommeraye vos lettres et, avec sa charge, entendu la singulière bénévolence et amitié que vous me portez, dont je suis très consolée et vous en remercie de tout mon cœur, vous priant de toujours ainsi continuer, comme c'est la ferme confiance de celle qui est, et à toujours sera, votre bonne sœur, cousine et alliée. Anne. »

D'un autre côté, deux ordonnances du mois d'août 1498 confèrent à César Borgia, le fils bien-aimé du pape Alexandre VI, l'une les comtés de Diois et de Valentinois, l'autre la châtellenie d'Issoudun[18]. Le jour même, 13 août 1498, où, las de se dévouer aux honneurs ecclésiastiques, César revêtit, en place de la pourpre romaine, un habit à la française et se mit à courir la fortune française, il reçut la visite de L. de Villeneuve, envoyé par Louis XII comme ambassadeur près de lui pour le prier d'accepter Issoudun, le commandement d'une compagnie de cent lances, 20.000 livres de pension[19], et de venir en France ; les galères de France, l'ancre jetée dans le port d'Ostie, attendaient César pour le porter dans le royaume, lui et sa fortune[20].

Borgia reçut fort bien l'ambassadeur, mais il ne se pressa pas de partir pour la France ; pendant près d'un mois il l'entretint à Rome avec force caresses et honneurs[21]. Toutefois, ce temps ne fut pas absolument perdu pour Louis XII. Le 17 septembre, Georges d'Amboise fut fait cardinal[22] et, dès les premiers jours de ce même mois de septembre, sans attendre le résultat du procès de divorce encore à peine ébauché, Alexandre VI avait signé les dispenses pour le futur mariage du roi avec Aime de Bretagne[23], ce qui semble bien confirmer le bruit courant que l'issue du procès était d'avance préjugée et escomptée par le pape[24]. Alexandre VI faisait juger l'affaire en France par un tribunal éloigné de lui, mais il comptait bien en tirer quelque parti ; aussi ne publia-t-il pas les bulles de dispenses et il se borna à les remettre à son fils[25].

Presque en même temps, le 31 août 1498, Alexandre prenait une autre mesure encore plus délicate. Il nommait un troisième juge pour le procès de divorce déjà commencé ; ce nouveau juge était un ancien ami du roi, qui s'était même compromis pour lui aux Étais-Généraux de 1484[26], Philippe de Luxembourg, évêque du Mans, que le Pape venait aussi de faire cardinal et qu'il allait créer légat ; son rang lui assurait la présidence de débats qui pouvaient devenir délicats[27].

Pendant que se poursuivaient à Rome ces silencieuses négociations, les préliminaires du procès commençaient à Tours, et le jeudi G septembre Jeanne de France comparut, pour la première fois, dans la maison du doyen de Tours, devant les évêques d'Albi et de Ceuta entourés de leurs assesseurs. On lui donna connaissance des conclusions du procureur du roi, elle dénia chacune d'elles, et les juges déclarèrent le procès ouvert. A cette séance encore, ils durent faire appel à l'autorité apostolique et royale pour forcer l'un des conseillers de Jeanne, François Bétoulat, à lui prêter son appui.

Cependant Louis XII ne quittait pas Anne de Bretagne et avait la plus grande hâte d'en finir. Au mois d'août il s'était rendu avec elle, avec Louis d'Amboise, La Trémoille et la cour, à Etampes oh l'on avait arrêté les arrangements définitifs. Anne voulait retourner en Bretagne et elle réclamait au roi le départ des garnisons françaises qui occupaient Brest, Nantes, Fougères et Saint-Malo. Le 19 août, à Étampes, le roi souscrivit l'engagement solennel de l'épouser dans un délai d'un an ou de lui rendre les places fortes de Nantes et de Fougères, et Louis de La Trémoille se portait, avec serment, caution du roi. Louis XII consentait à rendre dès à présent les autres villes. D'autre part, Anne, le même jour, en vertu de la clause de son contrat de mariage avec le feu roi Charles qui l'obligeait à épouser le roi successeur de son premier mari, souscrivit un engagement de se marier avec Louis XII dès qu'il le requerrait, lorsque le procès de divorce actuellement pendant serait jugé[28]. Puis Anne partit pour la Bretagne. Mais, secrètement, le roi fit parvenir à ses capitaines l'ordre (le ne rien abandonner. On comprend donc si, dans cette situation, ses démarches à Rome et auprès des juges devaient être ardentes.

Le 10 septembre, Jeanne comparaît de nouveau. Travers, un de ses conseils, s'excuse encore de lui prêter son assistance ; la cause était difficile surtout en raison de la qualité des parties, et il ne pouvait, disait-il, entreprendre la défense de Madame Jeanne à lui tout seul, ou presque seul. Or, quoique par une ordonnance dite compulsoire, du 1" septembre, les juges eussent invité, sous peine d'excommunication, des jurisconsultes de Bourges, Jean de Blois, archidiacre de Bourges, Jean Chevalier, official, Jean Bouju, chanoine, Jean de Vesse, avocat, à prêter leurs lumières à Madame, aucun ne s'était présenté ; et dans ces conditions Travers craignait de s'entremettre contre le roi. L'autre conseil, Borel, tint le même langage en ajoutant toutefois qu'il se mettait aux ordres des juges.

Le procureur du roi prit la parole et dit que le roi voulait que Madame Jeanne eût tels conseils qu'elle entendrait et pria le tribunal de passer outre aux réclamations de Travers.

Les juges déclarent qu'on a vu Jean de Vesse : il est arrivé à Tours et il a même parlé à l'évêque d'Albi. On l'envoie chercher ; on lui ordonne de servir de conseil à Madame Jeanne. A deux, à trois reprises il décline cette honorable mission, déclarant n'être venu à Tours que sous la menace des censures ecclésiastiques, suppliant qu'on le tînt quitte d'une charge si lourde. Le procureur du roi reprit la parole, réitéra ses précédentes conclusions, et, au nom du roi, somma les conseils de servir Madame Jeanne.

Les juges prononcèrent, de même, que c'était une stricte obligation de prêter son ministère à la défense, et, l'assistance de quelques hommes de loi ainsi péniblement assurée à Jeanne, on procéda à son interrogatoire. Le procureur du roi déposa un certain nombre d'affirmations sur lesquelles Madame J canne devait répondre et, touchant de la main les Évangiles, il en jura, sur l'âme du roi, la sincérité. Le jeudi suivant, de une à quatre heures, fut fixé pour recevoir les réponses de Jeanne, el le samedi 15 septembre après vêpres pour la suite du procès.

Le 13 septembre, Jeanne de France, au moment de répondre, remit aux juges une déclaration écrite qu'elle avait préparée de sa propre main et dont l'expression touchante reflète bien le fond de son fi me.

« Messeigneurs, disait-elle, je suis femme, ne me cognois en procès et sur tous les autres mes affaires, me desplaist l'a faire du présent. Vous prie me supporter se je dis ou respons chose qui ne soit convenable. Et proteste que, si par mes responses, je respons à chose à laquelle ne soie tenue respondre, ou que monseigneur le Roy n'ayt escript à sa demande, que ma responce ne me pourra préjudicier ne proulfiter à monseigneur le Roy : en adhérant à mes autres protestations t'aides par devant vous à la dernière expédition. Et n'eusse James pensé que de ceste matière oust peu venir aucun procès entre monseigneur le.Roy et moy. Et vous prie, Messeigneurs, ceste présente protestation estre insérée en ce présent procès. »

Aussitôt après commença cet interrogatoire, si douloureux, si froissant, où, malgré la convenance des juges, tout était injure pour la mémoire de son père, pour son frère, pour sa sœur, pour sa pudeur de femme, en même temps que tout était difficulté dans le cas où la sentence définitive des juges n'aurait pas annulé son mariage. Elle y répondit péniblement, mais avec dignité, avec modestie, avec une infinie douceur. Elle ne savait pas l'âge exact de son mari et n'avait jamais connu le duc Charles. Quant aux violences qui auraient accompagné son mariage, elle les ignore ; Louis, dit-elle, ne lui en a jamais parlé et elle ne croit pas que Louis XI, son père, traitât mal ses sujets. Pouvait-elle dire et penser autre chose ? Et cependant, la pauvre femme n'avait guère connu que l'âpreté de la politique et non l'amour d'un père ! Son père, elle en était la victime !

L'interrogatoire rappelait ensuite ces tristes évènements de Bretagne où le roi actuel avait donné l'exemple de la guerre civile, de l'insurrection, de l'alliance avec les pires ennemis du pays, et il laissait clairement comprendre à Jeanne que son mariage avait été la cause de tous ces maux. L'infortunée princesse répondit qu'elle n'en savait rien, sinon le départ de son mari pour la Bretagne. On lui demanda si elle avait connu l'emprisonnement de Louis. Elle se borna à répondre que oui. Aucun mot d'elle ne rappela de près ou de loin son propre rôle en ces circonstances, son intervention, les immenses services qu'elle avait rendus à Louis. Elle dit simplement que la détention du prince n'avait pas les motifs que les juges paraissaient lui attribuer. Mais la prison, dit l'interrogatoire, était accompagnée des plus mauvais traitements. Jeanne répondit qu'ung homme prisonnier n'est pas bien aise, mais que le duc n'avait pas été également maltraité par tous ses gardiens. Comment osait-on lui présenter comme un reproche ces souvenirs de la grosse tour de Bourges !

Puis on lui demanda si elle n'était pas infirme de corps.

La bonne princesse dit qu'elle savait bien n'être pas aussi belle et aussi jolie que la plupart des autres femmes ; mais elle nie tout le reste.

L'interrogatoire demandait enfin, pour que le jugement fût solide et le tribunal éclairé, qu'elle voulût bien s'en référer à l'examen de femmes honnêtes et expertes. Jeanne, sur cette matière, réclama le temps de réfléchir. On insistait pour sa réponse ou au moins pour en fixer la date. La pauvre femme, troublée dans tout ce qu'elle avait de plus cher, dit qu'elle voulait faire ce qu'elle était tenue de faire par les lois de l'Église.

Deux jours après, à l'audience du 15 septembre, la question se posa de nouveau. Le procureur du roi, en demandant un délai d'un mois pour faire entendre ses témoins et prouver ses dires, insista sur la nécessité d'un examen par des femmes prudes et sages et par d.es experts en la matière. Jeanne ne se présenta pas : ses conseils dirent, en son nom, que la princesse était de sang royal, simple et pudibonde, et que, si elle était soumise à de pareilles épreuves, il faudrait que les personnes désignées fussent des personnes graves, acceptées par les parties. Madame Jeanne était pleine de déférence pour les nécessités des lois, mais elle désirait réfléchir à de telles exigences ; elle aurait compris, d'ailleurs, que les juges, en dernière analyse et à défaut d'autres preuves, recourussent enfin à ce procédé : mais de la part de son mari, elle ne le comprenait point, car il savait à quoi s'en tenir, et, si son mari avouait la vérité, tout autre mode d'investigation tombait comme inutile. On pouvait donc réserver la question et commencer par vider les autres.

Sur cette requête, le procureur du roi consentit à la remise de ces pénibles expériences pendant le mois nécessaire aux enquêtes. Jeanne persistant dans ses conclusions, le procureur insista également et les juges s'ajournèrent au lundi suivant sans prendre de décision.

A la fin de l'audience, l'avocat de Jeanne, Jean de Vesse, toujours tremblant, requit que l'ordre du tribunal, en vertu duquel il devait assister Madame Jeanne, fût textuellement reproduit dans les pièces du procès ; et en même temps il y fit insérer une nouvelle protestation où il déclarait encore n'être venu à Tours que par crainte de l'excommunication et ne rien vouloir entreprendre contre le roi.

On se souvient de la lettre si brutale où Louis XI annonçait à Dammartin le mariage de sa fille avec le duc d'Orléans, lettre où il menaçait quiconque s'opposerait à son projet, et, plaisantant avec cynisme la mauvaise constitution de sa fille, se vantait de ne pas perpétuer ainsi la famille d'Orléans ; lettre conçue enfin en termes si rudes que les historiens ont pu en suspecter[29], même en nier[30] l'authenticité. Pourtant, elle existait réellement, puisque Charles VIII en avait eu c6nnaissance. Comment dans le procès actuellement pendant ne voyons-nous pas produire de la part du roi une pièce si importante, si capitale, si décisive ?

Cette histoire est tout un drame. Nous avons dit que Louis XI avait marié à l'amiral de Bourbon une Jeanne de France, qu'il avait reconnue comme sa fille. Ce ménage eut une fille, Suzanne, qu'épousa Jean de Chabannes, fils d'Antoine de Dammartin, destinataire de la lettre en question. Madame l'Amirale, il est vrai, n'entretenait pas avec son gendre d'excellents rapports, car, s'il faut en croire une chronique, elle ne lui donna jamais un sou des dix mille écus de dot annoncés ; c'est seulement après la mort de Jean de Chabannes que cette digne fille de Louis XI traita avec Suzanne pour une pension annuelle de six cents livres à prendre sur la terre de Valognes, pension dont il fut comme du capital, Suzanne n'en eut aucun support, au contraire. Louis XII écrivit à Jean de Chabannes pour lui demander la lettre de Louis XI. Laissons ici la parole à l'historien de Mme l'Amirale : « De quoy advertie, ladite admirale, sœur naturelle de Madame Jeanne de France, elle pria son gendre de ne pas les bailler de bouche et par escrit, et le menaça que, s'il les donnoit, il s'en pourroit bien repentir. Jean lés ayant données, et les lettres que Madame l'Admiralle luy en avoit escrites, elle les désavoua et dit que son gendre les avoit contrefaittes. Et, depuis, estant venue à Saint-Fargeau, elle donna vingt escus à deux de ses domestiques, dont l'un mit du poison en sa viande, et l'autre en son breuvage, et tomba ledit Jean malade en mesme temps ; il vescut néantmoins environ deux ans après. L'un des domestiques luy déclara le fait et le confirma devant nottaires en 1501[31]... »

Quoi qu'il en soit de cette histoire, il est très évident que Louis XII n'était pas en possession de cette lettre au commencement du procès, car il ne put la faire produire que le 20 novembre.

Malheureusement pour Jeanne de France, si sa cause inspirait à 11/1°' l'Amirale un dévouement excessif, tout le monde, au contraire, tremblait autour d'elle.

L'audience du 17 septembre se passa encore entièrement à faire venir ses conseils, à les chapitrer, à leur intimer l'ordre de prêter à l'accusée leur assistance. Le procureur de Jeanne expose que M. Travers, official de Tours, et P. Borel, avocat à Bourges, désignés d'office par les juges depuis plus d'un mois, n'ont pas encore paru. Les juges, séance tenante, leur envoient un notaire, P. Mesnart, pour les mander. L'un, Borel, prétexte une infirmité ; l'autre, Travers, fait l'étonné, il dit qu'il ne sait rien, qu'il n'a rien vu, qu'on ne lui a rien communiqué et que d'ailleurs il ne veut pas se présenter sans P. Borel. Puis les juges décident qu'il sera sursis sur la question d'expertise dont nous avons parlé, et le jugement est traduit en français à Jeanne qui déclare y acquiescer avec bonheur ; enfin on arrête les questions ou articles qui seront adressés aux témoins. Le mercredi suivant, les assesseurs prêtent serment, la main sur la poitrine. Le jeudi, le procureur du roi notifie à Jeanne de France la nomination du cardinal de Luxembourg comme troisième juge ; Jeanne déclare qu'elle connaît la générosité du cardinal et qu'elle n'entend point le récuser. Dès le surlendemain, 22 septembre, le procureur du roi notifie à son tour au cardinal que, dans ce procès, arrivé déjà à l'audition des témoins, le roi a demandé au pape de le nommer juge, à cause de l’arduité et.de la gravité de la cause, et que Madame Jeanne acceptait sa nomination. Il ajoute que l'on craignait à Tours l'arrivée de la peste et que le siège de l'affaire allait être transporté à Amboise, parce que Madame Jeanne, sans doute, le voudrait, disait-il courtoisement, et parce que les juges le voulaient, ajoutait-il.

Double aveu curieux à retenir ! Le roi déclarait donc publiquement la cause plus ardue qu'on ne l'avait cru d'abord ! Il avouait donc avoir pari à la nomination de ses juges !

Le cardinal accepta et, dès le 26 septembre, à Amboise, il entra en fonctions. On reçut ce jour-là communication d'une déclaration de la reine Jeanne, qui protestait encore ne se défendre que pour obéir au vœu de sa conscience.

Pendant ce temps, César Borgia quittait enfin Rome, malgré les efforts des ambassadeurs d'Espagne qui eurent à ce sujet avec le pape des scènes presque violentes et, au commencement d'octobre, il débarquait en France[32], entouré d'une cour de grands seigneurs romains et suivi de trésors. Au moment de son départ, le 28 septembre, son père lui remit pour le roi une lettre de recommandation personnelle, dont le style emphatique couvre les plus pressantes instances sous les ornements du beau langage de l'époque. L'Italie de la fin du xv° siècle, où tant de merveilleux génies en voie d'éclore allaient porter au plus haut degré de la perfection artistique l'amour et le culte du beau, n'avait encore emprunté à l'antiquité classique en matière littéraire que beaucoup d'enflure et de faux-goût. S'adressant à un roi, Alexandre VI paie un tribut à l'élégance du moment : « Très cher fils dans le Christ, lui disait-il, salut et bénédiction apostolique. Extrêmement désireux de satisfaire à votre et à notre volonté, nous envoyons à Votre Majesté notre cœur, c'est-à-dire notre bien-aimé fils le duc de Valentinois, l'objet le plus cher que nous ayons au monde ; c'est le gage le plus sûr et le plus précieux de notre amour pour Votre Grandeur... Remis à votre foi royale, vous voudrez bien par votre accueil faire comprendre à tous, pour noire consolation, que vous l'avez adopté comme votre...[33] » Le Pape adressait aussi par son fils une lettre personnelle non moins instante au sire du Bouchage[34].

Quant aux beaux présents qu'apportait César, c'était le chapeau de cardinal pour Georges d'Amboise[35], c'était un bref du 2 octobre[36] par lequel l'évêque de Ceuta, chargé de vaquer à sa réception, cessait de faire partie, au moins provisoirement, du tribunal de divorce qui se trouvait ainsi réduit à l'évêque du Mans et à l'évêque d'Albi, les deux amis du roi ; c'était encore les dispenses du 13 septembre qu'il conservait par devers lui, pour les produire en temps utile.

Louis XII avait mandé aux bonnes villes de recevoir César comme lui-même. Le voyage du nouveau duc, depuis qu'il eût mis le pied sur la terre de France, ne fut donc qu'un long triomphe ; les consuls et échevins des villes se rendaient au devant de lui jusqu'à la ville voisine ; d'un autre côté, son faste extraordinaire, incroyable, ajoutait encore à l'éclat de ses réceptions. « C'étoit, dit Fleuranges, la plus grande pompe et richesse du monde, tant en mulets qu'en autres choses, car il avoit ses housseaux tout couverts de perles et ses mulets tous accoustrés de velour cramoisy en la plus grande richesse que jamais vit homme[37]. » Il semblait prendre un plaisir de parvenu à étaler aux yeux des Français les richesses immenses du Pontificat Romain[38]. Il ferrait ses chevaux avec des fers d'or attachés par un seul clou[39]. On comptait sur lui à la cour dès la fin d'octobre[40]. Toutefois, suivant en cela sans doute les instructions de son père, il attendit à Avignon la fin du procès[41] et s'arrangea pour n'arriver à Chinon, avec les bulles dont il était porteur, qu'après le jugement.

Pendant que l'arrivée de César en France et sa coïncidence avec le procès de divorce impressionnaient péniblement l'opinion, le tribunal d'Amboise poursuivait activement ses travaux sous la présidence et la direction du cardinal de Luxembourg. Du 26 septembre au 19 octobre, il avait presque siégé en permanence pour admettre, assermenter et interroger les témoins produits de part et d'antre. De pari et d'autre ! Ah ! qui eût voulu, parmi les gens de cour qui avaient toute sa vie, entouré Madame Jeanne, qui eût pu comparaître et l'aider d'un témoignage public ? Son malheur excitait la sympathie la plus vive ; le peuple surtout compatissait au spectacle des douleurs infligées à une si vertueuse princesse dont tout le monde, surtout parmi les petits et parmi les pauvres, connaissait les mérites, la douceur. On pouvait à Tours, plus que partout ailleurs, se rappeler les légèretés et les excès du duc d'Orléans ; on ne savait pas encore absolument ce que serait le roi ; le spectacle extérieur de sa rigueur envers la femme la plus irréprochable, la meute des courtisans, toujours avide de plaire au maître, surtout au nouveau quand on a adulé l'ancien, qui maintenant se précipitait à gorges déployées dans celle idée d'un divorce nécessaire comme sur la meilleure piste de la faveur, et puis tous ces moyens tortueux, dont le secret finit toujours par transpirer, que même le secret grossit encore parfois, tout cela remplissait d'indignation et d'émotion le cœur droit du peuple tourangeau. Mais à la cour, soit crainte, soit calcul, soit compréhension des nécessités politiques, soit connaissance réelle des faits et du caractère du roi, soit effet d'un courant général, la malheureuse Jeanne se voyait entraînée sans pouvoir trouver un appui, sans qu'il lui fût possible de recueillir un seul témoignage.

Elle avait d'abord pensé à réclamer en sa faveur les dépositions d'un certain nombre de personnes ; elle avait même déclaré aux juges qu'un mois au moins lui serait nécessaire pour les rassembler et que six de ses témoins étaient gens malades et impotents qu'il faudrait aller interroger au loin. La princesse dans son appel à ses proches, à ses anciens serviteurs, à ses amis, éprouva une déception cruelle ; car Jean de Preux, son secrétaire, et Jean Denis, délégués par elle pour diriger et suivre les enquêtes, ne peuvent y produire que quatre personnes : Élisabeth, sœur du sire de Vatan, femme du bâtard Fricon, citée également à la requête du roi ; Giles des Ormes, seigneur de Saint-Germain ; le sire de Vatan et G. Bertrand, seigneur de Lis-Saint-Georges, bailli de Bourges, beau-frère du sire de Vatan. Et quels témoins ! Giles des Ormes, ancien serviteur du duc Charles d'Orléans, maintenant retiré dans sa terre de Saint-Germain, ne savait pas grand'chose ou se tient sur la réserve. Il avoue seulement n'avoir jamais approuvé le roi[42]. Quant aux membres de la famille de Vatan, comme s'ils eussent voulu par un excès de zèle racheter du même coup et leur passé et l'appel si naturel que leur adressait Jeanne, nulles dépositions ne furent plus fortes, plus longues, plus précises, plus intéressantes que les leurs, mais nulles aussi plus hostiles à leur maîtresse, plus dérisoires (1er octobre). Le sire de Vatan, depuis plus de vingt-six ans au service de la maison d'Orléans, lui devait tout, de même que son père qui en était gouverneur. Sa sœur Élisabeth, plus âgée que lui, et qui déclarait cinquante ans, avait également passé sa vie entière dans la famille de Louis XII et près de Jeanne de France. Élevée et comblée par la duchesse-mère, on l'avait mariée à un bâtard fort bien vu dans la famille, nominé Jean Fricon, auquel le duc d'Orléans avait d'abord donné un emploi de page, puis la capitainerie de Janville et le titre d'écuyer.

Quant au roi ; vingt-sept témoins vinrent comparaître à Amboise pour soutenir ses prétentions, témoins de tout sexe, de toute condition, mais plus généralement de condition subalterne, depuis la portière du château de Blois, depuis le gardien de nuit de la ville et du château, un brave homme nominé Giles Lambert, élevé aux frais et au service de Charles d'Orléans, qui, tout en témoignant au roi un vif dévouement, « déclare qu'il trouve Madame Jeanne une bonne et excellente femme entre toutes les femmes (8 octobre) », jusqu'aux serviteurs de plus haut parage, comme le sire du Bouchage, le général des finances Michel Gaillard, trésorier de France, Jean Hurault, tous deux anciens trésoriers de la maison d'Orléans. On alla chercher par la France des victimes de Louis XI, et on les invita à venir déposer, à la barre, des excès dont ils avaient souffert, des enlèvements et des mariages forcés de leurs femmes et de leurs filles. Jean de Polignac vint raconter ses malheurs domestiques[43], ainsi que Jean Ast, écuyer, seigneur du Plessis d'Auge en Poitou, et Gabriel Chapelain, praticien en Anjou. On remua les histoires du passé : on vit reparaître Guillaume Chaumart, maintenant âgé de soixante-et-onze ans, qui déposa de toutes ses démarches ; François Brézille, sire de la Jallaye, ce jeune compagnon du duc Louis, violemment expulsé par Louis XI de la maison d'Orléans. L. de Saint-Symphorien, protonotaire apostolique et chanoine de Tours. Barthélemy de Bosseracourt, vicaire général de l'archevêché de Tours, s'expriment avec convenance et avec une brièveté favorable à Jeanne ; à Blois, au contraire, ville du duché, toute dévouée au duc d'Orléans et déjà éloignée du théâtre de la procédure, les chanoines de la collégiale[44], tous anciens serviteurs personnels de Louis XII et encore prébendés par lui[45], viennent déposer avec passion en sa faveur[46]. Un vieux secrétaire de Charles VII et de Louis XI, Guillaume de Villebresme, âgé de quatre-vingt-deux ans, et qui vivait également retiré à Blois, déposa de même contre Jeanne. Aussi, le procureur du roi fil-il recueillir à Blois la déposition d'un chanoine qui était malade. Le tribunal délégua encore l'official de Paris pour recevoir dans l'église de Melun les dépositions de l'archevêque de Rouen, maintenant cardinal d'Amboise, de deux secrétaires du roi, J. Cotereau et Jean Ami, du héraut d'armes Valois, du sire de Lamonta, du baron de Montmorency, de Claude de Rabaudanges, seigneur de Thun.

Le cardinal d'Amboise fut très sobre dans sa déposition et se borna à raconter quelques anecdotes que nous connaissons déjà.

Mais il fut tout à fait anormal de voir le procureur du roi prendre pour substitut, dans cette enquête, Antoine de Fayet, archidiacre de l'église d'Albi et, par conséquent, le collaborateur intime de l'un des juges. Ainsi apparaissait au grand jour en cette circonstance le zèle des d'Amboise ; l'un d'eux, l'évêque d'Albi, était juge ; l'autre, le cardinal, son frère, témoin, et l'un des archidiacres de l'évêque d'Albi représentait officiellement le roi. L'official de Tulle interrogea Jean de Castelnau, sire de Caumont, et l'official d'Orléans deux anciennes servantes de Jeanne, à Linières, maintenant religieuses au couvent de la Madeleine, près d'Orléans, Perrette de Cambrai, veuve de Pierre Bonnin, et Louise Jarry. Toutes deux se montrèrent des plus défavorables à la cause de leur ancienne maîtresse. Un des juges se transporta aussi à Pontlevoy, près de Blois, pour interroger l'évêque d'Orléans, François de Brilhac, en même temps abbé de Pontlevoy, qu'une maladie retenait dans son abbaye. Ce prélat, élu évêque d'Orléans en 1473, était celui-là même qui avait béni l'union de Jeanne de France. Il avait beaucoup connu Louis XI[47], beaucoup Charles VIII, beaucoup Louis XII depuis les vingt-cinq années qu'il gouvernait l'église d'Orléans. Riche et généreux, il venait cette année même de se rendre adroitement agréable à ses diocésains et au prince en avançant de ses deniers à la ville d'Orléans une somme de 3.207 écus d'or pour faire à son ancien duc, maintenant son roi, le plus somptueux accueil. Et comme il ne se portait "pas très bien, ses diocésains avaient pris l'habitude de faire tous les ans une procession solennelle et générale pour le rétablissement de cette santé si chère lorsque, devenu archevêque d'Auch, il laissa en 1304 son évêché à son neveu Christofle de Brilhac, après un gouvernement de plus de trente années[48]. Avec la déposition de ce vénérable prélat, on put donc remonter à l'origine du procès ; il se contenta de rappeler en détail les évènements où il avait occupé une si grande place, mais il oublia un détail capital : c'est que lui-même avait accordé, en vertu d'un indult pontifical, les dispenses de parenté dont on contestait aujourd'hui l'existence. Il raconte même qu'il a sommairement béni le mariage de Jeanne de France, sans autre forme de procès. Or, les dispenses accordées par lui existaient encore, mais en lieu sûr sans doute, car on ne les produisit pas[49].

Étrange procès vraiment ! étrange spectacle ! Ainsi le roi de France, tout autour de lui, allait récolter le dire de ses serviteurs, jusqu'aux propos de la portière de son château, sur les secrets de son alcôve, et prendre tous ceux qui obéissent à témoin des abus de la majesté royale I César Borgia, d'un bout de la France à l'autre, traversait les villes et les campagnes avec l'appareil d'un monarque, comme un maître et un seigneur, et à quelques pas de là, à l'ombre même du sombre Plessis-lès-Tours, la vertueuse fille de Louis XI était déshonorée et clouée au pilori ! Quel retour ! Quel enseignement ! Quels profonds desseins de la Providence, la grande justicière de ce monde et de l'autre ! Jeanne payait pour sa race. Mais les os de Louis XI devaient frémir dans sa tombe de Cléry !

Incontestablement, il résultait de toutes ces enquêtes que Louis d'Orléans avait été marié malgré lui, que ce mariage avait déteint sur sa vie entière, qu'il lui avait inspiré toutes les folies dont un prince et un homme peuvent être capables, folies politiques, folies d'argent, folies de femmes, vie dissipée, errante, nuisible à tous. Louis d'Orléans qui était bon, juste, doux, qui avait dans la poitrine le cœur d'un roi, dut bien souffrir, lui aussi, de cette longue évocation du passé, arrachée à la bouche de tous ses sujets. Les faits parlaient assez d'eux-mêmes sans avoir besoin de commentaires. On établissait bien que Jeanne de France était laide, disgraciée de la nature, dépourvue de tous les charmes physiques de la femme ; mais que de rébellions, que d'actions mauvaises, détestables à la charge de son époux[50]. La plupart des témoins se bornaient prudemment à répondre aux questions posées ; mais l'excès de zèle en emportait plusieurs à des appréciations dont la majesté royale n'était pas sans souffrir. L'évêque d'Orléans disait que, si le roi Charles eût longtemps vécu, Louis d'Orléans « eût bien mal fait ses affaires ». Perrette de Cambray, dans son ardeur à témoigner, s'étonnait qu'après la mort de Louis XI, Louis n'eût pas de suite pris une autre femme ; elle croit que, s'il l'avait fait, Louis n'eût pas mal tourné'. Ailleurs, Élisabeth Fricon rappelle tous les bruits injurieux qui couraient sur la naissance même de Louis XII. On vit reparaître l’écuyer Rabaudanges, qui raconta les confidences de la duchesse mère. Los vieilles histoires des préférences de Marie de Clèves pour le sire de Mornac revinrent sur les lèvres des serviteurs les plus dévoués.

C’est ainsi que ces enquêtes se trouvaient, quoique très favorables, retomber sur la personne môme du roi et sur la mémoire de sa mère. Elles n’épargnaient même point les juges. On rappela avec quel dévouement Louis d’Amboise avait servi Louis XI, notamment dans certains projets de mariage un pou violents.

Enfin le 19 octobre elles furent closes. Le roi avait hâte d'en finir. Il lui avait fallu, le 20 septembre, régler le domaine d'Anne de Bretagne, conformément aux engagements passés par Charles VIII; il lui avait donné ce que la reine Charlotte de Savoie avait eu jadis en douaire, La Rochelle, Saintes, Saint-Jean-d’Angély, Rochefort et l'Aunis, Loudun, et d'importants revenus en Languedoc, à Beaucaire et à Narbonne et, le 29 du même mois, il avait enjoint aux gens des Comptes d'expédier ces lettres, nonobstant leurs observations sur l'importance du don[51].

Les juges, néanmoins, ne se montraient pas encore disposés à statuer sans délai et il ne paraissait pas par la marche du procès que leur religion fût encore suffisamment éclairée. Depuis que le cardinal do Luxembourg avait pris à Amboise la direction des débats, depuis le 26 septembre, on n'avait pu procéder qu'aux enquêtes[52]. Avant même qu'elles fussent terminées, le procureur du roi, à l'audience du 12 octobre, réclama de nouveau, comme un supplément d'information désormais indispensable, l'examen corporel de Madame. La lutte s'engagea sur ce point entre lui et le procureur de Jeanne, Béthoulat. Ce dernier arguait des termes de la requête présentée au nom du roi, où l'on prétendait la personne de Madame male ficiata, maléficiée. Mais qu'est-ce à dire ? Un maléfice est un accident, c'est le contraire d'un vice de constitution, disait l'avocat. Le roi l'avoue ; Madame est maléficiée. Or les maléfices viennent du diable ; on les guérit par des exorcismes, par des jeûnes, par des oraisons... A ces arguments un peu littéraux, Béthoulat en ajoutait de plus sérieux ; dès que la question de cohabitation sera posée, le roi ne pourra manquer d'avouer ; toute autre recherche devient donc inutile, à supposer même qu'elle puisse jamais produire un résultat certain. Madame, enfin, est du sang royal, on lui doit quelque déférence, ne fût-ce qu'à raison de son malheur et de la misère actuelle d'une femme de telle lignée — defferendo calamitati et miserie tanti sanguinis.

Le procureur du roi réplique que, toutes les autres preuves étant fournies, celle-là, seule, reste à produire, et elle est péremptoire. Il repousse l'interrogatoire du roi réclamé par Jeanne, en rappelant avoir déjà juré la vérité des positions ou questions posées aux témoins.

Quant à la qualité de Jeanne, disait le procureur du roi, cet argument ne peut en aucune manière vous toucher ; les juges ne connaissent point d'acception de personnes quand il s'agit d'administrer la justice et de dégager la vérité.

Les conseils de Jeanne produisirent alors en son nom la requête que voici[53] :

« La Royne, laquelle de tout son povoir a tousjours desiré et encore desire faire le plaisir du Roy, sa conscience gardée, pour la descharge de laquelle, et non pour autre cause, soustient le procès que ledit seigneur a contre elle et se deffend en icellui à grand regret et desplaisance, et non pour parvenir aux biens et honneurs du monde autres que ceulx qui luy sont deuz : et, de tant qu'il plaira audit seigneur, pour acquiter sa dicte conscience, a offert et offre que, si c'est le plaisir dudit :seigneur prandre quatre parsonnages de son royaume des plus clercs et de conscience, et de sa part en prandra autres quatres, esquelx vous, messeigneurs les juges, communiquerez. en vos présences ou mettrez entre leurs mains à vostre plaisir ledit procès fait jusques cy, ensemble les deffenses de ladite darne. S'il est dit par eulx ou la plus part d'eulx que ladite dame, sans charge de sa conscience, se peult bonnement et justement des-charger de faire preuve par tesmoings et instrumens des faiz contenuz en sesdites deffenses, nonobstant la matière de laquelle est question, et que par tesmoings et instrumens peust prouver sesdits faiz comme elle entend bien faire, et pour toute preuve de sesdits faiz se remectre au serment dudit seigneur, le fera voluntiers ou procédera oudit procès, duquel ne demande que l'expédition le plus diligemment qu'elle pourra, et ainsi qu'il sera advisé par lesdits huit personnages. Et s'il estoit dit et trouvé que, sans charge de sa conscience et sans offenser Dieu, qu'elle ne vouldroit faire pour tous les biens et honneurs du monde, elle ne doye départir de prouver sesdits faiz ainsi qu'elle pourra, ne pour la preuve d'iceulx se remettre au serment dudit seigneur, luy supplie très humblement, comme à son seigneur, qu'il ne soit mal content d'elle, ne permettre aucune chose luy estre pour ce diminuée de son estat, qui est bien petit en regart à la maison de laquelle elle est yssue ; mais le prie de myeulx luy faire. Et ou cas dessus dits, ladite dame vous prie aussi, mesdits seigneurs, de remonstrer audit seigneur le bon vouloir et désir qu'elle a de luy complaire, et le grand devoir ouquel elle s'est mise envers luy. »

Les audiences, le 13 et le 16 octobre, se passèrent encore en dépôt de pièces, puis elles furent suspendues pour attendre la fin des enquêtes. Après bien des échanges de conclusions, de discours et de papiers, l'affaire n'avait donc pas -fait un pas quand, le 26 octobre, le procureur du roi déclara ses enquêtes achevées et demanda au tribunal la permission de les rendre publiques ainsi que ses dires. Jeanne s'y refusa et se déclara prête à les discuter sans délai.

L'affaire menaçait de traîner en longueur lorsque César Borgia adressa les brefs qui suspendaient l'un des juges, l'évêque de Ceuta. Ces brefs, au nombre de deux, l'un envoyé aux juges, l'autre à l'évêque lui-même, n'alléguaient aucun motif ; ils portaient simplement que l'évêque de Ceuta, « empêché par suite de l'arrivée de notre cher fils, noble homme César de Borgia, duc de Valentinois, dans les pays français, » ne pourrait désormais assister à toutes les séances.

Restaient donc au roi les deux juges choisis par lui.

Les journées du 26 et du 27 octobre avaient encore été entièrement remplies par les interminables plaidoyers des deux parties. Le défenseur de Jeanne parla pendant toute la journée du 26. Il rappelait d'abord, dans ce plaidoyer écrit, les principes généraux de la matière : Le Souverain-Pontife, placé au-dessus du droit positif et l'incarnation de la loi sur cette terre — qui est supra jus positivum et lex animata in terris —, a le droit de lever par une dispense tout empêchement résultant aussi bien de la parenté naturelle que d'une cognation spirituelle. La crainte, la violence vicient le mariage, mais seulement si elles sont sérieuses ; en tout cas une longue cohabitation couvre cette nullité, et jamais le mari n'est présumé y avoir été obligé par sa femme. Quant à l'impossibilité d'avoir des enfants, elle n'entraîne la dissolution du mariage que si elle est complète, absolue.

Ceci posé, le défenseur rappelait les circonstances de la cause : l'extraction de Jeanne, la dispense accordée aux époux par l'évêque d'Orléans dément délégué, et la bénédiction nuptiale donnée par lui dans la chapelle de Montrichard, en présence de princes du sang et d'une foule assemblée, le jour de la Nativité de la Vierge, en 1476. Dieu et la nature avaient fait entrer dans le monde le roi le 27 juin 1462, Jeanne le 23 avril 1464 ; les époux étaient donc en âge de s'unir. Ils vécurent ensemble ; leur entrée solennelle eut lieu à Blois avec la pompe et le cortège de jeux accoutumé ; à Linières, son jeune époux venait plusieurs fois par an et traitait la princesse comme sa femme ; plusieurs fois même il s'était vanté de la nature de leurs rapports dans les termes les plus précis. Passant l'avènement de Charles VIII, le procureur de Jeanne signalait la présence des deux époux ensemble à Amboise ; la maison de Jeanne montée sur le pied qui convenait à une duchesse d'Orléans ; aux États de Tours, la justice rendue à tous, le duc d'Orléans devenu omnipotent et le premier personnage de France après un roi enfant et sans force, ne se gênant aucunement pour parler mal du roi et de son gouvernement en plein Hôtel-de-Ville de Paris, devant l'Université entière et le prévôt des marchands, comme devant le Parlement, et cependant ne faisant entendre aucune réclamation contre son mariage ni à Tours ni à Paris. On objectera que le duc d'Orléans n'osait aborder un tel sujet de peur du roi ; eh quoi ! disait la défense se transformant en réquisitoire, le prince avait si peu la crainte du roi qu'il soutenait un siège contre lui à Beaugency, les armes à la main ! Le roi Charles, d'ailleurs, était de tous les hommes le plus doux, le plus clément, le meilleur, toujours prêt à rendre justice à tout venant ; le duc d'Orléans, en se confiant à lui, aurait trouvé, disait la défense, un accueil certainement aussi bon que le moindre sujet.

Ensuite le mémoire rappelait plusieurs séjours publics de Louis avec sa femme ; en Bretagne, disait-il, le roi aurait pu profiter des bonnes relations du duc de Bretagne avec le Pape pour obtenir les induits nécessaires ; au contraire, comme le bruit de son mariage avec Madame Anne tendait à se répandre, il avait publiquement protesté, et avec serment, dans l'église des Cordeliers de Nantes, ne pas vouloir épouser Madame Anne, attendu qu'il était déjà marié.

Prisonnier, Louis avait reçu la visite de Jeanne et autorisé ses intercessions ; il entrait ensuite solennellement avec elle à Orléans ; durant sa campagne de deux ans dans son comté d'Asti où, assurément, il était bien libre, il avait écrit plusieurs fois à Madame Jeanne en l'appelant m'amie, autrement dit : ma femme. Enfin, la défense rappelait encore quelques faits du domaine de la vie privée propres à établir l'intimité des rapports qui unissaient les époux et il concluait que le mariage publiquement célébré entre Jeanne et le roi était valable ; que si, au début, il y avait eu violence et menace, ce que d'ailleurs la défense niait, ce vice originel se trouvait juridiquement couvert par la longue cohabitation des époux ; que Jeanne ne méritait pas le reproche injuste de stérilité et que par la suite elle pourrait parfaitement donner à l'État des héritiers du trône.

La réplique du procureur du roi, qui avait occupé toute l'audience du lendemain 27 octobre, fut assez pénible. Le roi niait tout ou prétendait que tous les honneurs rendus à la duchesse d'Orléans l'avaient été en dehors de lui et s'expliquaient par la qualité de fille ou de sœur du roi. Louis d'Orléans, quels qu'eussent été ses besoins, n'avait jamais voulu réclamer la dot constituée par Louis XI à sa fille ; mais il lui était de toute nécessité de sauver ses propres biens et la pension que lui servait le roi, et il ne fallait pas chercher d'autre motif que ce mobile intéressé aux différents retours de tendresse conjugale dont on venait maintenant arguer. Aux Liais-Généraux, à Paris, à Beaugency même, l'opposition de Louis d'Orléans, opposition purement politique, n'avait eu d'autre but que de servir les véritables intérêts du roi contre son entourage, et même, dans ces circonstances, le duc n'aurait rien pu alléguer de sa situation personnelle, ni devant des États-Généraux, absolument incompétents en pareille matière, ni devant le roi, le duc et la duchesse de Bourbon qu'il eût mortellement offensés par une réclamation si blessante pour l'honneur de la famille royale. Personne, sans doute, ne saurait nier la bonté de Charles VIII, mais Charles était frère ; il éprouvait pour sa sœur Jeanne la plus vive affection — instantisrime diligebat —, et certainement il n'aurait rien permis contre elle à son mari, il aurait préféré perdre une bonne partie de son royaume que de consentir à la répudiation de sa sœur, à voir ainsi atteindre l'amour et l'honneur de sa famille ; les paroles, les actes, les signes même du roi l'avaient assez prouvé. Que pouvait donc faire Louis d'Orléans ? Le serment des Cordeliers de Nantes lui avait été arraché par les barons de Bretagne coalisés et plus forts que leur duc. A Asti, il dépendait du roi plus encore que partout ailleurs ; on était en pleine guerre, avec des ennemis acharnés de toutes parts ; sans Charles VIII il tombait à Novarre dans les mains de Ludovic-le-More. A qui donc aurait-il recouru ? au Pape ? mais à Rome il trouvait encore Charles VIII maître de la ville ou des environs.

Ainsi la contrainte avait duré pendant tout le dernier règne.

Quelles que fussent l'incontestable portée de ces arguments et surtout la raison d'État péremptoire qui nécessitait le prompt mariage de Louis XII avec Anne de Bretagne, la procédure, après ces longues audiences, semblait ne pas prendre encore de tournure décisive, ou du moins menaçait de s'éterniser. Au début de l'instance, Jeanne était abandonnée de tous, personne n'osait élever la voix en sa faveur ; et maintenant elle avait trouvé de sérieux défenseurs qui soutenaient vaillamment les débats. Anne de Bretagne. peu aimée, d'ailleurs, en France, avait repris à Nantes son établissement. César Borgia jouissait de son triomphe et gardait par devers lui ses bulles. Les juges ne faisaient pas montre d'une entière docilité ; l'opinion devenait oscillante. Chaque jour de nouveau délai était un jour gagné pour Jeanne, et en même temps le roi et son conseil, les yeux fixés sur la Bretagne où les capitaines royaux refusaient de rendre à Anne ses places fortes, pouvaient craindre de se trouver bientôt de ce côté à bout de subterfuges. Après un an, Anne recouvrait toute sa liberté ; qui pouvait prévoir si quelque circonstance imprévue, si l'amour de ses Bretons, si la perspective de quelque alliance plus indépendante ne la lui ferait pas reprendre du jour au lendemain, avant même l'expiration de l'année stipulée ? D'ailleurs, le divorce prononcé, tout n'était pas encore fini : Louis XII et Anne étant parents, il faudrait obtenir les dispenses, recommencer de nouvelles démarches, perdre encore du temps. On soignait donc l'amitié de l'impénétrable César. Mais la situation du roi n'en devenait pas moins assez critique. Il fallait en finir à tout prix, coûte que coûte. Dans ces circonstances, le roi se résolut à comparaître personnellement devant les juges et à répondre tout ce qui serait nécessaire. Il résolut de convoquer de nouveaux témoins, de provoquer une réunion de jurisconsultes et d'en obtenir un avis favorable à sa cause. On avait éloigné l'évêque de Ceuta. César Borgia fit remettre les brefs du 2 octobre à Fernand d'Almeïda qui, dissimulant son sentiment, les produisit lui-même à la fin de l'audience du 27 octobre, en prenant congé du tribunal, et qui n'en continua pas moins à assister aux audiences, mais ses deux collègues seuls conservèrent désormais la direction des débats.

Les historiens racontent la revanche de Fernand : pour faire sa cour au roi et rentrer en grâce, il lui révéla, un peu plus tard, que César Borgia apportait les bulles de dispense nécessaires au mariage avec Anne de Bretagne[54]. Force fut bien, dès lors, à César, de les livrer, mais il en conçut à son tour un ressentiment terrible et l'on prétend que sa haine bientôt sut tirer du malheureux nonce la plus atroce vengeance.

Le fidèle chroniqueur de Louis XII, Claude de Seyssel, dit qu'après les plaidoiries des avocats, le soin de motiver le jugement fut confié à un conseil d'un bien grand nombre et des plus notables et des plus suffisants personnages en théologie et de droit qui lors se trouvaient en France, et ces jurisconsultes, d'après lui, reconnurent qu'il n'y avait aucun mariage valable entre les parties en cause. Comme le procureur du roi ne jugea pas à propos de produire au procès l'avis des jurisconsultes, et qu'il n'en est fait mention nulle part, on a dû, faute de le retrouver dans les dossiers de la procédure, en croire Claude de Seyssel[55] sur parole. En réalité, cet avis ne fut pas aussi simple à obtenir que l'indique le chroniqueur, ni conçu en termes aussi formels. Chose curieuse, c'est dans les archives personnelles d'Anne de Bretagne, dans le Trésor des Chartes de Bretagne, que nous en avons retrouvé un exemplaire. Lorsque plus tard, elle épousa Louis XII, la reine, témoin de tant et de si grandes vicissitudes, crut prudent de se faire délivrer une copie authentique de tout le procès de dissolution du mariage précédent du roi ; elle fit ranger avec soin cet important document parmi ses archives du château de Nantes, il s'y trouve encore, et elle ne jugea point inutile d'y joindre l'avis motivé des gens de loi. Ainsi c'est à Nantes, et non dans le procès lui-même, que nous le retrouvons[56].

Un des plus fameux docteurs de la Sorbonne, Jehan Standouk, originaire de Brabant, mais établi à Paris et devenu principal du collège de Montagu, en même temps que l'une des lumières de l'Université, protesta bruyamment contre la doctrine que l'on proposait aux jurisconsultes de consacrer. Il soutint, du haut de sa chaire[57], et même, dit-on, au roi lui-même[58], en s'appuyant sur un texte de l'évangile, qu'il n'est pas permis de répudier une épouse non adultère[59] ; doctrine excessive à coup sûr, dont l'énonciation publique causa une sorte de fracas et qui porta d'autant plus loin qu'elle émanait d'un homme considérable par ses œuvres, par l'excellence de sa vie et de sa doctrine.

Dans ce moment, dans cette matière, alors que l'autorité royale invoquait elle-même l'avis des jurisconsultes, le roi eut le bon goût de laisser Standouk : s'exprimer très librement. Seulement, l'année suivante, on prit texte des troubles qui agitaient l'Université, pour l'inviter à retourner à Cambray[60], dans son pays[61]. Son exil au surplus ne dura pas longtemps. Rappelé à ses fonctions, en 1500[62], le courageux, mais irascible docteur eut à peine le temps d'en reprendre possession. Il mourut en 1501[63] et fut inhumé dans la chapelle de son collège.

Comme, selon l'usage de cette époque, la consultation des jurisconsultes ne porte aucune signature, nous ne savons pas quels en furent les auteurs et nous ne pouvons en inférer s'il se trouva encore, et cela est possible, quelques autres Standouk pour refuser moins courageusement et moins ouvertement leur adhésion.

Quoi qu'il en soit, cette consultation ne donnait qu'une médiocre satisfaction à la thèse du procureur du roi. Elle passait sous silence l'argument principal, l'absence d'enfants, et se bornait à épiloguer, avec des subtilités juridiques très raffinées, sur les trois chefs de poursuite les plus contestés : la parenté naturelle, l'affinité spirituelle, la violence, trois motifs de nullité bien faibles ; elle refusait d'admettre, elle ne mentionnait même pas l'inexistence matérielle du mariage, le seul motif véritablement juridique que le roi pût encore alléguer.

Réduite à ces trois simples termes, la discussion des jurisconsultes se renfermait dans une argumentation tout à fait superficielle. Une dispense avait été obtenue pour les empêchements résultants de la parenté et de l'affinité. Mais on observait que la copie seule de cette dispense avait été produite au procès et non l'original. Il est vrai que l'évêque d'Orléans reconnaissait en avoir eu l'original entre les mains lorsqu'il procéda à la célébration du mariage ; mais l'évêque ajoutait que cette dispense n'avait pas été demandée par Louis[64] (ce qui importait peu), car, à son avis, sans la violence du moment, le jeune duc n'aurait même pas accordé son consentement au mariage : ayant cette conviction, disent les jurisconsultes, l'évêque aurait dû refuser de bénir le mariage. Il avait forfait : c'était la seule conclusion à tirer de sa déposition.

Quant à la violence, la consultation établissait facilement, par divers textes et par des comparaisons tirées de l'Écriture, que le mariage doit être libre ; l'union qui repose sur le déplaisir ne remplit point les fins de la nature, et il n'en naît pas d'enfants ; c'est au contraire une source de désordres, et trop souvent un époux découragé va chercher ailleurs de faciles et détestables jouissances.

Quelle condamnation et de la thèse et de la conduite du roi

Or, dans la circonstance, les dires des témoins prouvaient qu'il y avait eu violence dès le début et que la contrainte s'était nécessairement poursuivie pendant toute la durée du règne de Charles VIII[65]. En résumé, les jurisconsultes s'en rapportaient à la sagesse des juges et finissaient par déclarer qu'à leur avis le mariage était nul.

L'interrogatoire du roi eut lieu sous ces auspices le 29 octobre, par le ministère du cardinal de Luxembourg et de Louis d'Amboise, pour ainsi dire en secret, dans le petit hameau de Maydon — actuellement Madon, hameau de 200 habitants, commune de Candé —, près de Montils-les-Blois. Il fut lamentable. Le malheureux Louis XII se vit obligé d'eu arriver à des aveux, à des affirmations plus que hasardées, à des défenses véritablement indignes d'un cœur plein, au fond, de générosité et de bonté. Il déclare ne rien se rappeler sinon qu'il s'est marié en pleurant, contraint et forcé. Il avait douze ans ; il ignore l'âge requis pour le mariage. On lui rappelle ses équipées de Beaugency, de Bretagne ; il se défend misérablement, quoiqu'il le fasse de son mieux ; il en est réduit à affirmer que Madame Jeanne n'a jamais aidé à sa libération, à déclarer qu'il a vécu avec elle, en effet, mais sous la pression des circonstances, et qu'elle n'a jamais été sa femme, déclarations que les jurisconsultes, consultés par le roi lui-même, n'admettaient pas et qui égayaient fort les sceptiques[66].

Le 3 novembre on reprend une requête présentée par Jeanne, à laquelle les juges, malgré l'opposition du procureur du roi, avaient promis d'avoir égard. Mariée sous le régime de la communauté et ne possédant d'autres biens que ceux de son mari[67], Madame Jeanne se trouvait à bout de ressources depuis la mort de Charles VIII et elle demandait une provision. Le roi fait répondre qu'il n'a jamais touché sa dot ; néanmoins, il propose de continuer à Jeanne, jusqu'à nouvel ordre, la pension de 18.000 livres qu'elle recevait, en dernier lieu, sous le règne précédent, et de payer les arrérages déjà échus. Marc Travers porte immédiatement cette réponse à sa royale cliente qui déclare ressentir toute l'obligation qu'elle a au roi de son procédé.

Le 7 novembre on fait recueillir à Paris les dépositions de trois nouveaux témoins produits au nom de Louis XII : c'est d'abord Pierre de Rohan, sire de Gié et maréchal de France, courtisan émérite, qui, en quelques mots clairs, nets et pleins de brio, s'en donne à cœur joie sur la laideur de la pauvre Jeanne ; Denis Le Mercier, l'ancien chancelier du duché d'Orléans, maintenant général des finances en Picardie, non moins favorable au roi ; le médecin de Louis, « noble homme Salomon de Bombelles, chevalier de la chevalerie armée, docteur es-arts et en médecine, » qui détaille par le menu quelques confidences médicales de son maître.

Un coup de tonnerre vint éclater le 20 novembre dans cette longue procédure et en changer la face. Le procureur du roi dépose la fameuse lettre de Louis XI à Dammartin où se trouvaient tant de menaces[68].

Elle était seulement signée par un secrétaire nommé Tillard, mais, séance tenante, le maréchal de Gié, le sire du Bouchage, l'évêque de Luçon, les secrétaires du roi Petit et Ami, qui tous avaient servi Louis XI, vinrent affirmer qu'il avait l'habitude de faire écrire et signer ses lettres, même les plus intimes, par le premier secrétaire venu et qu'ils reconnaissaient bien la signature de Tillard. Il semble qu'on aurait dû recueillir un témoignage plus probant, celui du possesseur même de la lettre ; mais de celui-là il ne fut point question. Le procureur du roi n'indiqua pas la provenance de sa trouvaille et les juges, sans se prononcer sur l'authenticité, ordonnèrent de joindre la pièce au dossier.

Dès lors, une seule question, toujours la même, restait à traiter. On prétend que le cardinal d'Amboise, sur ces entrefaites, était intervenu auprès de Jeanne et avait réussi à lui persuader de s'en remettre à la parole du roi[69]. Quoi qu'il en soit, le 24 novembre, en réponse à l'éternelle demande d'investi-dations personnelles, le procureur de Jeanne produisit, sans explications, une lettre ou cédule par laquelle Jeanne déclarait s'en rapporter sur ce point à la religion des juges, pour le reste au serment du roi. Le 26 novembre on arrêta les questions qui feraient l'objet de ce serment. Le 3 décembre, Jeanne protesta contre les témoins produits par Louis XII dans tout le cours du procès ; elle les récusait comme tous engagés au service du roi, « sauf, disait-elle, l'honneur et le respect dus à Monseigneur, à qui elle a toujours désiré et désire et veut encore complaire. »

Enfin s'ouvrit le dernier acte de ces cruels débats. Les juges se transportèrent le 4 décembre au château du Fau, situé près des bords de la Loire, dans le diocèse de Tours, où Louis XII devait les recevoir. Pendant la nuit une crue subite du fleuve submergea tout le pays et ils ne rencontrèrent le roi que le lendemain, au village de Ligueil[70], accompagné de deux magistrats, Charles du Hault-Bois, président de la Chambre des Enquêtes au Parlement de Paris[71], et Philippe Baudot, conseiller au Parlement et au Grand-Conseil.

Dans cette rustique baronnie, modeste dépendance de l'abbaye de Saint-Martin de Tours, le cardinal de Luxembourg harangue le roi avec solennité. Il lui remontre que la chose dont il s'agit est grande, à la fois et par la qualité des personnes et par la nature même du procès ; que le fait d'un vrai roi, comme Louis l'est et compte l'être, consiste à craindre Dieu et à dire la vérité en s'attachant aux exemples de Notre-Seigneur Jésus, notre créateur à tous, qui est la vérité même ; que, s'il disait la vérité, il prospérerait en Dieu et obtiendrait le plus inestimable des trésors, le Paradis ; que sinon, il construirait sur le sable et pour la géhenne éternelle. Ces choses et plusieurs autorités de la Sainte Écriture alléguées au roi, et remontrances faites sur le salut et le péril de son âme, les juges, constitués en tribunal, lui firent prêter serment et reçurent ses réponses en français. Jeanne était représentée par ses deux secrétaires. Le roi, courbant la tête devant la nécessité, répéta ses précédentes affirmations et jura que Madame Jeanne n'avait jamais été sa femme.

Tel fut le dernier acte du drame. Il ne restait plus qu'à le couronner. Jeanne, le 12 décembre, au château d'Amboise, fit un dernier effort auprès des juges. Le tribunal siégea une dernière fois le samedi 15 ; le cardinal de Luxembourg, ou selon d'autres l'évêque d'Albi, accompagné du P. Gilbert Nicolas, apprit à Madame Jeanne avec beaucoup de ménagements la triste vérité ; il paraît qu'au premier moment Jeanne éprouva un affreux saisissement et ne put retenir ses larmes. Elle se remit bientôt et appela à son aide tout son courage[72]. On fixa au surlendemain, lundi 17 décembre, le prononcé public du jugement.

En ce jour une foule considérable remplit l'église de Saint-Denis d'Amboise ; la pitié, la fureur, la tristesse remuaient tout ce peuple dévoué à ses rois et plein de compassion pour leur noble fille, comme l'orage soulève les flots houleux ; le résultat du procès était connu, et d'un bout à l'autre de la foule, on frémissait ; on se montrait au doigt les trois juges et les théologiens, on se disait : « Voilà Caïphe, voilà Hérode, voilà Pilate qui ont jugé contre la haute Dame qu'elle n'est plus reine de France ! » Une noble colère, un sentiment d'exaltation chaleureux et chevaleresque envahissait ces âmes rudes et droites ; il semblait qu'un souffle sauveur vivifiât tous les cœurs au spectacle de la vertu outragée et des procédés tortueux glorifiés. Comme s'il eût été agité des mêmes sentiments, le ciel se voila tout à coup, un orage effroyable éclata malgré la saison, ce qui sembla un prodige[73] et, au milieu de la houle de ce peuple, le vieux cardinal lisait péniblement le long jugement qui condamnait Jeanne de France, au bruit des mugissements du vent et des éclats de la foudre, à la lueur des éclairs, à la clarté des torches[74].

 

 

 



[1] Bibl. nat., mss. Dupuy 929, f° 11.

[2] Ordonnances de 1556, 1560 et autres.

[3] L'Église n'admet pas le divorce dans le sens moderne donné à ce mot, c'est-à-dire la cessation d'une union jusque-là valable, mais elle admet assez largement l'annulation du mariage (ce qui est tout différent, quoi qu'ou en dise. V. not. Martin Le Neuf de Neufville, Le divorce et le droit canonique, dans La France judiciaire, 1882. La législation canonique est plus large que ne le dit ce savant jurisconsulte, mais il omet de faire remarquer que la longue cohabitation, la consommation couvrent, en droit canon, presque toutes les nullités qu'il cite).

[4] Géraud (Bibliothèque de l'École des Chartes, 2e série, t. I, p. 15).

[5] Bibl. nat., mss. Dupuy 317, fos 16-28, 28-29. — Mss. latin 8935, f° 25 et suiv. — Arch. nat. J. 682.

[6] Mss. Dupuy 347, f° 30-38.

[7] Histoire de France, t. VII. p. 303 de la 4e édition.

[8] Cl. de Seyssel : Suard, Panégyrique de Louis XII, etc.

[9] Comme disait François 1er, cité par Brantôme Vie de Louis XI.

[10] Gregorovius. Geschichte der Stadt Rom, t. VII, p. 411, et autres.

[11] Brantôme, Vie de Jeanne de France.

[12] V. Instructions pour son ambassade en Angleterre. Bibl. Nat., mss. Dupuy 751, fol. 145.

[13] Déposition de Jean de Castelnau.

[14] Cette bulle, ainsi que tous les actes du procès analysés ci-après, se trouve dans le mss. lat. 5973, Bibl. nat. — Publiée par Duperray, Traité des dispenses de mariage, p. 554.

[15] Bréquigny, t. XXI, p. 63, 75, 80, 81, etc.

[16] Bernier, Reg. du Conseil de Charles VIII, p. 972.

[17] Bibl. nat., mss. Dupuy 347, f° 127. — Cette appréciation de La Guesle fut, à juste titre, critiquée (Advertissement servant d'instruction pour le mariage de Louis XII avec Madame Jeanne de France et la dissolution d'iceluy, mss. Dupuy 581, fol. 135).

[18] Bréquigny, t. XXI, p. 114.

[19] V. Rôle des gages d'officiers, etc., de 1505. Arch. nat., K. 78, n° 2.

[20] Tomaso Tomasi, Vita del duca Valentino, p. 147. — Guichardin, liv. IV, ch. III.

[21] Au mois d'août 1498, le Pape avait fait revenir à Ostie le cardinal Julien de la Rovère, son légat en France. Julien demanda à rentrer à Rome ; le Pape lui répond, le 1er septembre, d'accompagner César qui, d'un instant à l'autre, attend l'arrivée des vaisseaux français. Le mois de septembre fut employé à préparer le départ de César Borgia avec un luxe extraordinaire : on fit venir de l'étranger une masse d'étoffes de soie et d'or. Enfin le 1cr octobre César quitta Rome avec un apparat royal ; le Pape lui dit adieu de son balcon. (Gregorovius, Geschichte der Stadt Rom, Stuttgard, 1870, t. VII, p. 422-423. Ed. Alvisi, Cesare Borgia, duca di Romagna, Imola, 1878, p. 51). Comme le fait fort bien remarquer M. Alvisi, ces détails d'ailleurs montrent l'inexactitude de Burchard et des auteurs qui l'ont répété, d'après lesquels César se serait embarqué secrètement.

[22] Raynaldi, t. XI, p. 297.

[23] Dom Morice, Preuves de l'Histoire de Bretagne, t. III, col. 800. — Gallia Christiana, t. 1, p. 34.

[24] Pourtant, c'est aller trop loin, à notre sens, que de dire : Louis Xli, dans la joie que lui causait la bulle qui déclarait son union avec Jeanne illégale et nulle, donna à César le duché de Valentinois, etc. » (M. l'abbé Clément, Les Borgia, 1882, p. 345). Il est essentiel de faire remarquer qu'une procédure régulière e suivi ces libéralités. Le comté de Diois fut bien érigé en duché, en octobre, à la suite de la signature des dispenses dont nous venons de parler, mais enfin ces dispenses n'étaient pas remises. On en connaissait seulement l'existence.

[25] Le pape, dit encore Guichardin, avait déjà promis au roi d'autoriser son divorce avec la reine, et le roi, de son côté, s'était engagé à l'aider, après la conquête du duché de Milan, à réduire sous l'obéissance du Saint-Siège les villes de la Romagne possédées par les vicaires de l'Église, et à lui payer actuellement 30.000 ducats, dont Alexandre disait avoir besoin pour augmenter ses forces et pour se défendre contre les ennemis que son alliance avec le roi ne manquerait pas de lui faire en Italie.

[26] Journal de J. Masselin, p. 80, 82.

[27] Il fut préconisé seulement le 27 janvier 1499, sans consistoire (P. Frizon, Gallia purpurata, p. 544).

[28] Dom Morice, Preuves de l'Histoire de Bretagne, t. III, col. 794 et 799.

[29] Duclos, Histoire de Louis XI, t. II, p. 122.

[30] L'abbé Tailhé, Histoire de Louis XII, p. 100.

[31] Bibl. Nat., mss. fr. 2898, p. 87 v°. Vie manuscrite du comte de Dammartin.

[32] Nicole Gilles.

[33] Ce bref est reproduit heliographiquement dans l'ouvrage de M. l'abbé Clément, Les Borgia, p. 348, et imprimé par M. Alvisi, Cesare Borgia, p. 464.

[34] Bibl. nat., mss. fr. 2929, f° 14.

[35] L'ordonnance d'érection du duché de Valentinois, en oct. 1498, est contresignée Du cardinal d'Amboise. (Bréquigny, t. XXI, p. 130.)

[36] C'est par erreur, comme le fait remarquer avec raison M. di Soragna (Rassegna nationale, 1882, p. 354, Il papa Alessandro VI nella storia d'Italia), que les historiens ont souvent dit que César Borgia apporta la bulle initiale du procès, celle du 29 juillet (Duperray, Traité des dispenses de mariage, p. 551 ; Le Roux de Lincy, Vie d'Anne de Bretagne, t. I, p. 166 ; M. l'abbé Clément, Les Borgia, p. 344 ; Raynal etc.).

[37] Mém. de Fleuranges, ch. IV. — Barth. Senaregæ, De rebus genuensibus.

[38] Belcarii, Commentarii (1625), p. 222.

[39] Tomaso Tomasi.

[40] Délibération des échevins de Bourges, pour sa réception, conformément aux ordres du roi, le 22 octobre 1498. Arch. de la mairie de Bourges, BB. 3 (communiqué par M. R de la Guère).

[41] Il était encore à Avignon le 31 octobre (Alvisi, Cesare Borgia, p. 52). Il n'est donc pas exact de dire, comme certains auteurs, qu'il arriva le 18 octobre à Chinon.

[42] Déposition du 28 septembre

[43] Jean de Polignac, écuyer, sire de Beaumont en Auvergne, âgé de 36 ou 37 ans.

[44] La collégiale de Saint-Sauveur. Le duc Charles d'Orléans y était enterré. Louis XII, en 1504, lit transférer ses restes aux Célestins de Paris (Lemaire, p. 132).

[45] La collégiale faisait partie intégrante du château de Blois. Louis XII, du reste, aimait beaucoup Blois et y était très aimé. Au mois de novembre 1498, il profita de son séjour dans la ville pour en confirmer tous les privilèges (Bernier, Histoire de Blois, preuves, p. 38).

[46] Simon Caillau, prévôt et chanoine, Jean Leshay, chantre et chanoine, Jean Vian, Guill. Milet, Guill. Calipel, Ch. Chardon, chanoines ; ce dernier, filleul du duc d'Orléans, était pourtant le confesseur de Charles VIII et son chapelain. La déposition la plus passionnée est celle de G. Calipel, qui est, du reste, contredite dans plus d'un détail par les autres témoins.

[47] Il raconte même qu'il avait eu ù se plaindre de lui pour n'avoir pas nommé chanoine de Saint-Agnan une de ses créatures.

[48] Lemaire, Histoire et vies des évesques d'Orléans, p. 82-86. — Gallia Christiane, t. VIII, col. 1480.

[49] Louis d'Amboise devait les avoir entre les mains, car il les emporta avec les dossiers du procès à Albi. (Inventaire des actes qui sont dans les archives de l'archevêché d’Alby. Portefeuille de Lancelot, t. V.)

[50] Ad bonum finem devenisset.

[51] Bréquigny, t. XXI, p. 116 et 119.

[52] On avait entendu quarante et un témoins, dont voici les noms : Imbert de Batarnay, seigneur du Bouchage, chambellan ordinaire et conseiller du roi ; Guillaume Chaumart, religieux de Fontevrault ; Marie de Marcilly, femme de Thomas de Corguilleret (ou Corquilleroy), chevalier, seigneur de Neuvic-de-Chandoiseau ; L. de Saint-Symphorien, protonotaire apostolique, chanoine de Tours ; Barthélemy de Bosseracourt, vicaire général de l'archevêque de Tours ; Elisabeth, femme du bâtard Fricon ; Louis le Mage, ancien secrétaire de la reine Charlotte (femme de Louis XI) et de la reine Anne ; Giles des Ormes, seigneur de Saint-Germain ; P. Dupuy, seigneur de Vatan ; Gilb. Bertran, seigneur de Lis-Saint-Georges, bailli de Bourges ; François Brézille, écuyer, seigneur de la Jallaye ; Jean Lesbay, chanoine de Blois ; Guill. de Villebresme, ancien secrétaire de Charles VII et de Louis XI ; la portière du château de Blois ; les chanoines de Blois, Simon Caillau, Jean Viart, Guillaume Milet ; Jean de Polignac, écuyer, seigneur de Beaumont ; Ch. Chardon, chanoine de Blois ; Jean Vigneron, conseiller du roi et auditeur des comptes ; François de Brilhac, évêque d'Orléans ; Giles Lambert, veilleur de nuit à Blois ; Michel Gaillard, général des finances ; Guill. Calipel, chanoine de Blois, ancien secrétaire de Louis XII ; L. de la Palu, ancien maître d'hôtel de Charles VIII ; François de Guierlay, chambellan, conseiller et premier écuyer du roi ; Jean Bourgeois, docteur en médecine de Paris ; Gabriel Chapelain ; Jean Ast, écuyer, seigneur du Plessis d'Auge ; Jean Hurault, trésorier de France ; Guill. Doulcet, contrôleur de l'argenterie d'écurie ; Raymond de Saint-Maoris ; le cardinal d'Amboise ; Jean Cotereau, secrétaire du roi ; Jean Chalosin, dit Valois, hérault d'armes ; Jean Ami, secrétaire du roi ; le sire de Lamonta, maître d'hôtel du roi ; Guillaume, baron de Montmorency ; Claude de Rabaudanges, seigneur de Thun ; Perrette de Cambray, veuve de P. Bonnyn, religieuse ; Louise Jarry, religieuse ; Jean de Castelnau, seigneur de Castelnau et Caumont. Le 7 novembre, une enquête supplémentaire comprit encore trois témoins : Pierre de Rohan, sire de Gié, maréchal de France ; Denis Le Mercier, général des finances en Picardie et en Artois ; Salomon de Bombelles, chevalier de la chevalerie armée, docteur es-arts et en médecine, médecin du roi.

[53] Manuscrit cité, fol. 42, v°.

[54] Guichardin, liv. IV. — Belcarii, Commentarii, lib. VIII. Ces deux auteurs donnent, du reste, une narration de ce fait absolument inexacte dans les détails. Ainsi Beaucaire appelle légat du pape l'évêque de Ceuta qui était nonce, diplôme le bref de dispense, et il prétend que les dispenses du 13 septembre avaient été délibérées en consistoire général des cardinaux, ce qui n'est pas habituel ni régulier, et ce qui parait bien peu probable dans les conditions exceptionnelles où ces dispenses furent accordées. — Tomaso Tomasi, p. 150. — Ajoutons que ce fait est fort contesté par les historiens modernes. M Alvisi (Cesare Borgia, duca di Romagna) établit que l'existence des dispenses était connue dès le 2 octobre (p. 53), mais il ajoute, par erreur, que ces dispenses, le 17 décembre, lorsque César Borgia arriva à Chinon, n'étaient plus utiles. Le Dr Nemec (Papst Alexander VI, Klagenfurt, 1879, p. 151) dit avec raison, au contraire, que César arriva dès que les dispenses dont il était porteur devenaient utiles.

[55] Beaucaire dit qu'on s'adjoignit des théologiens : « Judices, cognita causa, doctissimis theologis adhibitis... » (Comm. lib. VIII, p. 223.) — Du Boulay, Histoire de l'Université, t. V, p. 829, dit qu'on consulta les plus célèbres docteurs de l'Université de Paris. Mais Du Boulay, en réalité, ne parle de la consultation que d'après la sentence qui, en effet, la mentionne.

[56] Arch. de la Loire-Inférieure, trésor des Chartes de Bretagne, E. 14, sous cette cote : « Escriptures pour le roy contre Madame de Berry à dissolution de mariage... » Dès 1876, M. Clément Simon, ancien procureur général, avait découvert dans les archives du château de Bach (Corrèze) un autre exemplaire de cette consultation qu'il nous a communiqué avec une extrême obligeance.

[57] Dony d'Attichy. Selon cet auteur, le picard Thomas Vuarvet, disciple de Standouk, imita son exemple.

[58] Bibliophile Jacob, Histoire du XVIe siècle, t. I, p. 145.

[59] Suivant le texte de saint Marc (ch. 10) : « Quicumque dimiserit uxorem suam nisi ob fornicationem et aliam duxerit, mæchatur. » Erreur. L'adultère de la femme est, en droit canon, un motif de séparation de corps, mais non de dissolution de mariage. V. notamment R. de Manicle, Concordat entre Amédée VIII, duc de Savoie, et le clergé de ses états.

[60] Il y fut reçu par l'archevêque Henri de Bergues et ne cessa de prêcher à Louvain et à Bruxelles, au milieu d'une grande affluence (Du Boulay, Histoire de l'Université de Paris, t. V, p. 900).

[61] Robert Gaguin, Sommaire Historiai, édition de 1523, f° 89 v°.

[62] Son ami Jean Raulin écrivit aux écoliers de Montagu pour essayer de les consoler de l'absence de leur maître (Du Boulay, p. 901 et 834).

[63] Président Hénault, édition de 1853, p. 162.

[64] Mais Louis avait ratifié, le 29 octobre 1473, le projet de mariage, ce qui revenait au même.

[65] Mais, en droit strict, cette violence avait cessé, par l'accomplissement effectif du mariage, d'être une cause de nullité.

[66] Brantôme, Vie de Jeanne de France.

[67] A ce moment même, sa sœur Anne, moins désintéressée, intentait à la couronne un procès en revendication considérable.

[68] D'après l'Inventaire des Actes de l'archevêché d'Albi, les juges avaient aussi entre les mains les lettres écrites par Louis XI après le mariage, où il disait qu'il avait obligé le duc d'Orléans, « quelque refus qu'il en ait sçu faire. » Mais ces lettres ne furent pas produites.

[69] Legendre, Vie du cardinal d'Amboise, p. 93 (très sujet à caution).

[70] Cette petite ville de Touraine, située sur la grande route de Paris, était célèbre au moyen âge par un pèlerinage à Notre-Dame-des-Anges. (Petite histoire de la petite ville de Ligueil, Tours 1876, p. 124. Notice historique sur la ville de Ligueil, par M. Besnard du Château, Ligueil, 1878).

[71] Ch. du Haut-Bois figure fréquemment dans les ordonnances royales, V. Bréquigny, t. XXI, p. 22, 23, 24, 150, 172, 207, 227, 328. -Sur Phil. Baudot, V. N. Valois, article cité, p. 614, note 4.

[72] Advertissement... pour le mariage de Louis XII... Bibl. Nat, mss. Dupuy, 581, f° 135.

[73] Vatout, Histoire du château d'Amboise. — Dony d'Attichy, L. de Bouy et autres biographes.

[74] Nous ne résumons pas cette longue sentence qui est un résumé du procès et de tout ce que nous avons déjà dit. L'original du jugement se trouve aux Archives nationales, Tr. des Chartes, J. 682, n° 5 ; parchemin de 1m,762 de longueur, replis compris, sur Oro,642 de largeur, avec les trois grands sceaux rouges, pendants, du cardinal de Luxembourg (sceau intact sur lacs rouges), de l'évêque de Ceuta (débris de sceau sur lacs verts), de Louis d'Amboise (sceau intact sur lacs rouges). Cette expédition est contresignée Militis et Mesnard.

La sentence de divorce de Louis XII a été souvent publiée, notamment dans les Annales de Nicole Gilles ; Dom Morice, Preuves de l'Hist. de Bretagne, t. III, col. 808 ; Du Boulay, Hist. de l'Université, t. V, p. 829 ; Duperray, Traité des dispenses de mariage, p. 561 ; Frizon, Gallia purpurata, p. 544 ; Bernier, Histoire de Blois, preuves, p. XXIV ; Summarium de 1774, p. 205, etc.