JEANNE DE FRANCE

DUCHESSE D'ORLÉANS ET DE BERRY (1464-1505)

 

CHAPITRE III. — LE ROI PENSE À MARIER SES FILLES. - PROCÉDÉS DE LOUIS XI EN MATIÈRE DE MARIAGE. - MARIAGE DE JEANNE DE FRANCE AVEC LOUIS D'ORLÉANS.

 

 

Le roi venait de finir plusieurs importantes affaires ; il avait remis un peu d'ordre dans le royaume, pacifié le Roussillon, emprisonné le duc d'Alençon ; il crut alors le moment venu de régler le mariage de ses filles. Celles-ci n'étaient guère en âge ; mais les approches de la vieillesse et divers incidents qui lui montraient la fragilité de son œuvre devaient inspirer à un esprit aussi sage et aussi superstitieux que Louis XI la volonté de ne rien laisser au hasard dans un si important objet, d'où dépendait la tranquillité future du royaume.

D'abord, au mois de juillet précédent (1473) le roi avait perdu un fils qu'on appelait Monseigneur François de France, duc de Berry ; il en porta grand deuil et resta pendant six heures au château d'Am- boise saris que personne osât lui parler. Non seulement cette perte cruelle l'avait extraordinairement frappé, mais il sentait aussi, au point de vue politique, le terrain encore mal affermi autour de lui et comme un souffle de conspirations. Il part pour la Normandie, et le 8 août, voilà qu'au sortir du château d'Alençon une énorme pierre se détache brusquement au-dessus de la porte et tombe sur un pan de son habit ; bien certainement elle l'aurait mille fois tué, sans la faveur de tous les saints et saintes du paradis à la grâce desquels il avait grande part[1]. Ce péril, que semblait avoir déterminé le plus pur hasard, lui parut comme un signe de la Providence et l'impressionna vivement. Tout cela le fit réfléchir et il se résolut à assurer l'avenir, en considérant à combien d'accidents était exposé le présent.

Louis XI était un maître en l'art, ordinairement difficile, de faire des mariages ; rien ne lui coûtant pour réussir, il était d'avance assuré du succès et ses serviteurs, qui le savaient, s'adressaient évidemment à lui en toute confiance. Depuis longtemps, il ne cherchait plus à gouverner par l'amour ; il ne reconnaissait plus que deux pôles à la politique : la crainte et l'intérêt ; il savait se faire craindre et il savait parfaitement payer, payer largement ; mais on ne peut jamais avoir assez d'argent, pour acheter tout le monde et c'est pourquoi il lui fallait bien payer quelquefois avec le bien d'autrui, ou encore en femmes, soit en femmes aimées, soit en femmes riches[2], ce qui est de beaucoup préférable.

Du reste, on peut citer certains mariages qui, pour être son œuvre, ne furent pas plus malheureux que beaucoup d'autres, car, de tout temps, l'intérêt et l'ambition ont eu grande part à ces contrats. Par exemple, recevant à sa cour le duc d'Albany, frère fugitif et misérable du roi d'Écosse, le roi se créera des amis en Écosse par ses bons procédés envers ce prince, et le meilleur de tous fut de dorer son blason par un mariage avec Anne de La Tour[3]. Louis XI attire auprès de lui un mince cadet, sans grands biens, d'une des familles maîtresses de la Bretagne, Pierre de Rohan, sire de Gié ; il le nomme maréchal de France, le comble de biens confisqués sur les ennemis de la royauté, lui fait épouser le vicomté de Fronsac dans la personne de l'une des plus riches héritières du pays armoricain, Françoise de Penhoët, et ainsi, clans une partie, qui n'était pas encore française, de notre pays, il sème des germes d'avenir dont la France ne devait pas tarder à se glorifier, en même temps qu'à son école le maréchal de Gié devint plus tard un courtisan insatiable, mais un serviteur actif, intelligent, suffisamment dévoué. Ces divers mariages n'avaient rien que de bien naturel. Mais quelquefois, le plus souvent peut-être, lorsqu'un obstacle se rencontra sur sa route, le roi Louis XI eut la main un peu dure, et puisque nous avons à raconter maintenant comment il maria sa fille la bonne Jeanne de France, il n'est pas hors de propos d'indiquer d'abord par des exemples quels étaient en général ses procédés et quelles idées il professait sur la matière. Les exemples ne nous manquent pas.

On disait communément du roi : « Il n'est riens plus dangereus que lui[4] » ; et personne ne courait plus grand danger que les jeunes filles à marier. Car il avait un défaut capital ; c'était de ne pas s'embarrasser de détails à ses yeux secondaires, comme la nécessité d'un consentement mutuel, ni même des obstacles les plus élémentaires. De bien bonne foi, il a toujours pensé qu'un roi possède sur ses sujets le droit de vie, de mort et, à plus forte raison, les droits moindres ; il avait donné d'illustres preuves de sa fermeté gouvernementale en ne ménageant pas les hommes de tout rang qui ne montraient point suffisamment de soumission, de dévouement[5], depuis le comte de Bresse, depuis son ami Dammartin, jusqu'à ses conseillers, les sires de Torcy, du Lau, Jean Berthelot[6] et tant d'autres ; quelques misérables de bas étage l'entouraient, qu'on appelait Étienne Lelou, Olivier le Barbier, Daniel[7], instruments passifs de tous ses ordres, gens, non sans reproche, mais sans peur, puisqu'ils n'avaient rien à perdre ; et c'était là les dispositions qui convenaient au roi. Dans les questions de mariage, il portait les mêmes habitudes (l'absolue autorité et de volonté suprême ; malgré sa dévotion extrême, il faisait foin, au besoin, des lois de l'église et de la nature, de la volonté des familles, des vœux des intéressés, et ainsi il obtenait à ses gens des alliances auxquelles, par eux-mêmes, ils n'auraient souvent pas osé prétendre pour un motif ou pour un autre[8]. Quelquefois même il fit des mariages, plus malheureux, qui ne plurent à personne[9]. C'est par des actes de sa volonté que le roi maria la fille du comte de Vendôme et le sire de Joyeuse[10], la fille du sire de Bueil et le frère du seigneur de la Gouture[11] ; Jean du Fou et Mlle de Montbazon, malgré les parents de la jeune fille ; un certain seigneur du Plessis et la fille de maître Jean Popincourt[12] ; la fille du sire de Laheuse avec le sire de Luse[13] ; ce dernier mariage d'autant plus scanda-, Jeux que la jeune personne portait déjà les signes manifestes de la tendresse d'un autre ; aussi, dès qu'elle le put, s'empressa-t-elle de quitter son second mari, même de son vivant, pour épouser le premier[14].

Le génie de Louis XI dans ces questions fournit même à l'histoire un contingent d'anecdotes que nous ne pouvons dédaigner, car elles se lient d'une manière trop intime, elles forment, par l'émouvant cortège de bien des douleurs, comme une préface trop réelle au récit des douleurs de Madame Jeanne de France, aux infortunes dont nous aurons à développer les lamentables suites !

Annette Has (ou Ast), fille de Constantin lias et orpheline de père, était destinée par sa mère, et sans doute aussi par le vœu de son cœur, au sire de Saint-Magrin, frère du sénéchal de Limoges ; elle venait à peine de l'épouser avec les formalités requises par l'Église, à peine le mariage, au dire des témoins, venait-il de se perpétrer, que, malgré tout, malgré la puissance même du fait acquis, un commissaire du roi descend chez elle, l'arrête et l'enlève avec sa mère pour la conduire dans la ville de Niort où les deux femmes comparurent devant le sénéchal du Poitou, nomme de Cursot. Elles trouvèrent là un rude accueil, et elles comprirent vite, par les violentes menaces de l'officier, la grandeur de leur faute, de s'être permis de choisir ce sire de Saint-Magrin, alors que le roi patronnait un autre prétendant, Josselin de Bois[15] ; quand il les eût ainsi bien édifiées, le sénéchal les adressa à. Tours, au roi lui-même. Louis XI se répandit en invectives contre elles., contre leur entourage, contre des parents qu'elles avaient à Tours, contre le sénéchal de Limoges, le sire de la Barde, frère du sire de Saint-Magrin ; si Annette n'épousait pas Josselin, si Saint-Magrin ne quittait pas cette demoiselle, il voulait leur infliger mille maux, il détruirait « destrueret » tout ce monde. Bien d'autres que ces deux femmes s'en seraient effrayées. Annette subit Josselin de Bois[16].

De même, Louis XI arracha, pour ainsi dire, des bras de son père la fille d'un riche élu de Soissons pour la donner à un de ses serviteurs nommé Hermeline, enfant de Blois, de pauvre extraction ; il maria la fille de Georges de Brilhac[17], seigneur de Courcelles, à un certain Lucas, l'un de ses plus obscurs agents[18]. On racontait aussi comment, au mépris des droits d'un aïeul, le roi avait fait choix, pour un de ses veneurs, René de la Roche, gentilhomme sans fortune, d'une jeune et riche orpheline d'Anjou, Mile de la Béraudière. Il avait encore été prendre chez son grand-père paternel, Jean Pierre, écuyer, une toute jeune fille, presque une enfant, âgée à peine de douze ans, mais, malheureusement pour elle, riche et orpheline, Marie Pierre, pour la marier de force à un de ses chambriers, Jacques de Saint-Venant ; il va sans dire que Saint-Venant était pauvre. Les excès qui accompagnèrent ces noces odieuses allumèrent dans le cœur de l'aïeul infortuné nu terrible courroux ; tant que vécut Louis XI, il renferma en lui-même le désir de laver son outrage, mais, dès qu'on apprit enfin la mort du roi, il fit tuer Saint-Venant comme un fauve[19].

Et cette malheureuse dame de Pusagny, en Saintonge ! Louis XI disposa d'elle, malgré elle, en faveur d'un écossais de sa garde. Plus tard, nous retrouvons cette dame au service du sire de Bressuire, un des plus durs seigneurs de l'époque[20].

Quant au récit des noces de Gilbert de La Fayette avec Mlle de Polignac, il appartient au domaine de la féerie, du roman de cape et d'épée, plutôt qu'à l'histoire.

Gilbert de La Fayette, écuyer d'écurie du roi[21], avait jeté son dévolu sur la fille du sire de Polignac[22], l'un de ses voisins, et un homme des mieux placés dans les montagnes du Velay. Un beau matin, avec une trentaine d'archers, on vit Gilbert investir le château de son futur beau-père, et y pénétrer au nom d'un mandat quelconque du roi qui n'existait que dans son imagination. Lorsqu'il est dans la place, grâce à ce stratagème, le voilà qui arrête le maître du logis, déclare les biens de la maison de Polignac sous séquestre, et qui, séance tenante, commence par séquestrer M"° Isabelle de Polignac en l'emmenant de force dans sa chambre à coucher. On se figure aisément l'émotion de Mme de Polignac, la mère : ajoutons que dans la nuit elle accouche d'une fille[23]. Le lendemain, La Fayette a une scène avec son beau-père et l'accable successivement de menaces et de promesses ; on amène un prêtre, ce prêtre bénit l'union, La Fayette, dans sa barbarie, ferme le château, met dehors sa belle-mère toute malade, emmène jusqu'à Clermont-Ferrand le malheureux sire de Polignac avec une escorte d'archers, comme si c'était un prisonnier. Le sire ne put respirer un instant et recouvrer sa liberté qu'à son arrivée dans cette ville ; on pense bien qu'affamé de vengeance, son premier soin fut d'envoyer sa fille hors de la frontière, dans le pays de Savoie où habitait une partie de la famille de sa femme qui était des marquis de Saluces, et d'adresser au roi un de ses fils, Pierre de Chalençon, avec la mission de porter ses plaintes au pied du trône. On croira peut-être que Louis XI en eut souci ? en aucune façon. Le roi trouva ce mariage bien réglé, tout simple, et ordonna qu'il sortît son plein et entier effet. Il fallut que, malgré ses parents, Isabelle revînt en France rejoindre son mari. On ajoute même que, pour comble d'infortune, Dammartin aurait encore réussi, en abusant du nom du roi, à extorquer au malheureux sire de Polignac une soi-disant amende de 18.000 livres. Ainsi l'on disait communément : « Le battu paie l'amende. » Et dans cette circonstance Polignac paya même complètement, car sur ces entrefaites il vint à mourir (1473) et cela donne à croire sans trop de témérité que les tribulations dont l'avait abreuvé son gendre hâtèrent quelque peu sa fin[24].

Tous ces excès qu'ordonnait ou que tolérait Louis XI s'alliaient chez lui aux pratiques les plus méticuleuses d'une ardente dévotion. Ainsi, en 1476, il se rendit en pèlerinage à Notre-Dame du Puy en Velay qui était un des sanctuaires les plus révérés des pèlerins de France : et le 7 mars, il alla coucher à trois lieues et demie du Puy, dans une petite auberge où l'attendaient trois députés du chapitre venus à son avance. « Le sire de La Fayette, disent les historiens, gentilhomme de ce pays et gendre du sire de Polignac qui était un bien puissant seigneur dans ces montagnes, fit l'office de chambellan et présenta les chanoines... » Louis XI accomplit donc en compagnie de son protégé le reste de son pèlerinage, il le fit à pied et ne cessa de prodiguer les marques d'une piété qui éclatait par ses largesses, par sa ferveur, par ses humbles prières[25].

Gilbert de La Fayette et Isabelle de Polignac eurent du reste seize enfants[26].

La grandeur même de son rang n'avait pas permis au sire d'Albret d'échapper à la loi commune. Louis XI s'était mis en tête de marier une[27] sœur de ce puissant seigneur à l'un de ses émissaires les plus dévoués, Boffile de Juge, bailli de Perpignan[28]. Ce projet disproportionné rencontra chez le sire d'Albret la plus vive résistance, mais Louis XI le voulait. D'Al - bref adressa en vain au roi un gentilhomme de sa maison, Raymond de Saint-Maurice, pour essayer de le convertir par des discours et d'adoucir l'âpreté de ses résolutions. En vain l'archevêque de Narbonne se présenta ensuite : Louis, ne voulant rien entendre, manda le sire d'Albret et le fit bien sermonner en sa présence par le sire de Beaujeu, par l'évêque d'Albi[29], par le sire de Saint-Pierre[30], mais à son tour d'Albret ne goûtait pas beaucoup ces beaux discours, et le roi en témoigna une vive irritation : « Vous n'y entendez rien, vous n'estes que bestes, » dit-il ; son langage prit un autre ton ; il affecta de s'enquérir avec soin qui composait la maison du sire d'Albret, quels étaient ses serviteurs les plus notables et dit tout haut qu'il allait faire mettre en prison tout ce monde et qu'on verrait alors s'ils conseilleraient mieux leur seigneur. Ayant ainsi préparé son attaque, il enleva, on peut dire d'assaut, la conclusion de l'affaire. A la suite d'une explication décisive où d'Albret persévérait dans son refus, le roi lui dit que, puisque la chose ne s'arrangeait pas de bonne grâce, il fallait en finir et se déclarer nettement, ou pour le roi et le sire de Beaujeu ou contre eux. D'Albret effrayé s'écria : « Sire, il y a bien chois, je seray des vostres, » et entraîné par la véhémence du roi : « Faites-en ce que voudrez. » C'est ainsi qu'il maria sa sœur[31] !

Louis XI témoigna moins d'égards au sire de Fay, frère de l'évêque de Limoges : il fit enlever sa femme à main armée et la donna en mariage au sire de Pontbriant, capitaine d'une compagnie de cent lances[32].

Arrêtons-nous ici ; nous croyons avoir bien établi les idées pratiques de Louis XI en matière de mariage. Ce sage prince qui se plaisait à. dire que, si son cheval savait son secret, il le ferait jeter à. la rivière, avait aujourd'hui à marier ses filles. Sans doute, dans une question qui le touchait de si près, ses procédés ne devaient pas être tout à fait les mêmes, puisqu'il s'agissait de bien choisir des gendres et de fixer les destinées de la couronne de France. Mais avec le caractère qu'on connaissait au roi, il était bien à croire que ses vues politiques lui serviraient seules de guide, qu'il ne prendrait conseil que de lui-même. Et d'ailleurs pourquoi aurait-il consulté ses enfants ? Il fallait bien les marier à lui tout seul. De ces deux jeunes filles dont il allait déterminer la vie, l'une, l'aînée, Madame Aune, née en 1461, avait quatorze ans ; Madame Jeanne était dans sa dixième année.

Deux mois après sa naissance, Jeanne de France avait été destinée à son cousin le duc d'Orléans : depuis lors, pourtant, si, du moins, il faut en croire Louis d'Orléans, tout laissait supposer[33] que le projet primitif ne serait pas suivi d'effet et que le premier prince du sang épouserait Madame Anne. Il y avait même eu de vagues pourparlers engagés avec la duchesse mère et avec le jeune duc, et ce projet leur convenait. Voir le duc d'Orléans, celui que les peuples révéraient d'avance comme la première personne du royaume après le roi, contracter avec la famille royale un lien nouveau et plus ferme, devenir ainsi, en même temps que l'aîné des gendres du roi, son plus solide appui, c'était une pensée si naturelle que la simplicité de ce plan éclatait à tous les yeux. Madame Anne croissait en esprit et aussi en charme : de bonne heure elle annonçait par son développement ce qu'elle fut à un âge où tant de femmes appartiennent seulement encore à la jeunesse : charme, intelligence, grâce s'épanouissaient au premier soleil de la vie, comme si l'aurore sur les marches du trône ne présageait jamais qu'une belle et radieuse journée ! Son père, suivant en elle l'éveil des rares facultés qu'il lui avait léguées, en était fier, autant comme prince que comme père, et surtout comme prince ; il se sentait revivre en elle, et son regard pouvait se fixer avec certitude sur cette femme accomplie, sur une jeune fille qui, dix ans après, était un des grands hommes (si l'on peut dire) de notre histoire. Mais cela ne l'empêchait pas de plaisanter avec sa verve et son scepticisme habituels : un jour qu'il avait refusé un beau chien que lui offrait son compère le sire du Lude, celui-ci lui dit : « En ce cas, il sera pour la plus sage dame du royaume. Qui donc ? demanda le roi. — Ma très honorée dame, votre fille, Mme de Beaujeu. — Dites la moins folle, repartit en riant le roi, car de femme sage il n'en est point[34]. »

A plusieurs reprises déjà, il avait été question de grands mariages politiques pour Madame Anne : d'abord le roi avait pensé pour elle au duc de Bourgogne, ensuite il l'avait promise, fiancée même à Nicolas, duc de Calabre et de Lorraine ; mais Nicolas ne se montrait pas tel que le roi l'aurait entendu, il se permettait même de négocier secrètement un mariage avec Marie de Bourgogne, et alors le roi rompit net[35]. Maintenant Louis XI envisageait sa situation avec la clarté de vues qui ne l'abandonna jamais : il se voyait, à n'en pas douter, au déclin de la vie, il considérait ses forces condamnées à toujours diminuer et, au milieu d'ennemis soumis mais toujours très puissants et impatients, sa personne encore en ce moment la seule garantie efficace de la paix du royaume. Pour maintenir son œuvre, pour répondre de l'avenir, qu'avait-il derrière lui ? un chétif enfant de sa vieillesse, dont il fallait avant tout développer les forces physiques et, auprès de cet enfant, une reine, Charlotte de Savoie, excellente femme, mais dont son mari ne faisait nul cas et qu'il ne croyait guère capable de mener la moindre affaire.

C'était donc dans les maris de ses filles que le roi devait chercher pour son fils un appui. Or, marier sa fille aînée avec le premier prince du sang, c'était remettre éventuellement à ce prince la tutelle du futur roi, c'est-à-dire à un autre enfant dont on ne pouvait guère augurer encore la portée, la valeur ni la fidélité. A supposer même que le prince eût un jour la valeur d'un homme d'État, quand même on eût senti que son développement intellectuel assurerait à son esprit une sagesse très précoce, lui remettre la régence, en somme c'était abandonner la couronne dans la main du chef naturel de ses adversaires. Le moins clairvoyant, le plus inhabile des hommes savait que ce que la couronne avait à craindre, ce n'était pas la mutinerie du peuple ou les prétentions des bourgeois, mais la coalition de tous ces grands princes féodaux si puissants, les ducs de Bourgogne, de Bretagne, de Lorraine, d'Orléans, de Bourbon, qui, tantôt unis, tantôt séparés, brisaient le royaume en morceaux, l'accablaient de l'étranger et avaient failli le faire sombrer pour toujours. Charles VII avait vaincu l'Anglais ; Louis XI avait triomphé des princes ; il ne pouvait pas penser à confier la garde de son œuvre au premier d'entre eux, renoncer à tous les fruits de l'édifice laborieux et salutaire auquel il a glorieusement attaché son nom, laisser tout encore en question. Il fallait donc trouver, comme mari de sa fille aînée, un prince français, d'assez haute lignée pour épouser une fille de France et en même temps dans une situation assez dépendante pour ne présenter aucun péril, d'un âge suffisant et d'un esprit assez rassis, assez sage, assez ferme, assez fidèle pour que le roi pût l'associer dès à présent à la gestion du royaume et préparer la transmission de son héritage. Précisément, ce choix n'était pas des plus aisés : Louis jeta les yeux sur la famille de Bourbon.

Sans doute le chef de cette famille, quoi qu'il fût le beau-frère du roi[36], appartenait à la coalition princière et rien ne se préparait chez les princes sans que le duc de Lorraine ou le duc de Bretagne ne parussent compter sur lui et n'entrassent de suite avec lui en quelque communication secrète. Mais enfin, quels que fûssent les sentiments intimes du duc, le roi n'avait eu depuis la guerre du Bien Public aucune trahison à lui reprocher et il pouvait espérer garantir au moins sa neutralité en resserrant leurs liens de famille. De plus, le duc et la duchesse de Bourbon n'avaient pas d'enfants et leurs beaux domaines devaient revenir un jour au chef de la branche cadette de leur race, le sire de Beaujeu.

C'est sur ce sire de Beaujeu que Louis XI croyait pouvoir fonder ses espérances[37] : il est vrai que le sire s'était déjà fiancé et même accordé avec une fille du duc d'Orléans, Marie d'Orléans (depuis vicomtesse de Narbonne), mais personne ne pouvait trouver là d'obstacle réel, puisque tout s'était borné à un accord et à de simples fiançailles. Le sire de Beaujeu avait dépassé la première jeunesse et même il lui avait payé un assez large tribut, en dévorant tous ses biens et en con-• tractant des dettes : du moins l'expérience l'avait rendu sage et sérieux ; d'un naturel bon, facile et modeste, il ne nourrissait maintenant d'autre ambition que de réparer par son économie et sa bonne volonté sa situation personnelle. Le roi devait trouver en lui un auxiliaire d'autant plus dévoué que, dans de pareilles conditions, le sire, modeste cadet de sa maison, cousin du sire de Linières, était loin de s'attendre à la bonne fortune d'épouser la fille aînée de France[38]. Louis résolut donc de le choisir, d'augmenter la dot qu'on donnait habituellement aux filles de France et de la porter à 100.000 écus d'or, et, en même temps, de profiter de la situation pour insérer au contrat la clause formelle qu'à défaut d'héritiers mâles tous les biens de la maison de Bourbon, dont le sire de Beaujeu devait être un jour dévolutaire, reviendraient à la couronne. Ce dessein était sage de tout point et le roi s'y arrêta définitivement. L'annonce de ce mariage devait sans doute étonner tout le monde, mais Louis XI s'en tirait avec une plaisanterie : il disait qu'il était bien aise de marier sa fille à bon marché, alors qu'en réalité ce simple mariage lui coûtait plus cher qu'aucun autre[39].

Un raisonnement analogue l'amenait à résoudre le mariage de Jeanne de France avec Louis d'Orléans. Ce mariage avec une fille cadette ne donnait au prince dans la famille royale qu'un rôle secondaire, nullement périlleux ; et pourtant il l'y rattachait. Une autre idée plus machiavélique pénétrait encore l'esprit du roi : la laideur de sa fille, ses disgrâces naturelles, qui auraient pu éloigner toute idée de mariage, le remplissaient de satisfaction, car les politiques n'aiment pas, d'ordinaire, leurs héritiers éventuels. Louis ne se dissimulait certainement pas la difficulté qu'il allait éprouver à faire entrer dans la famille d'Orléans une pauvre fille mal douée... peut-être même incapable d'avoir jamais d'enfants ; mais il riait d'avance à l'excellence d'un pareil coup politique qui pouvait rendre un jour à la couronne le duché d'Orléans. Ajoutons qu'aux yeux du monde l'union de Jeanne avec le premier prince de France présentait le caractère le plus sortable et ne manquerait pas de racheter ce que le mariage d'Anne de Beaujeu pouvait avoir d'un peu modeste à ce point de vue.

Son parti ainsi pris et son plan arrêté, Louis passa à l'exécution.

Il savait parfaitement à quoi s'en tenir en ce qui concernait la duchesse d'Orléans. D'abord, il avait toujours su pénétrer l'entourage de ses adversaires à un degré incroyable, et la maison de Marie de Clèves, maison ouverte, élégante, superficielle, sans défense sérieuse, obéissait très facilement à sa direction. Louis d'Orléans, privé de père depuis sa plus tendre enfance et âgé seulement de douze ans[40], n'avait d'autre appui qu'une mère aimable, mais facile et légère, qui passait pour avoir épousé son écuyer, le sire de Rabaudanges[41], et qui était toute prête à obéir aux ordres du roi[42]. Investie de la tutelle légale de son fils, elle administrait les affaires du duché, où tout se passait en son nom, de concert avec le sire de Vatan, son maître d'hôtel, gouverneur de sa maison[43], et en même temps curateur du jeune prince[44]. Le roi avait tenu à choisir lui-même les conseillers de la duchesse[45], c'est lui qui avait désigné Pierre du Refuge pour la justice, Michel Gaillard aux finances, et Guyot Pot[46] comme gouverneur de l'enfant[47]. La duchesse avait pour secrétaire un secrétaire du roi, Guillaume de Villebresme[48]. Du reste, quel que fut le zèle des officiers du duc, le roi comptait bien qu'il ne se trouverait pas dans le royaume quelqu'un d'assez osé pour le contredire[49].

A peine pouvait-il prévoir une opposition de la part de cet essaim de favoris qui entouraient la duchesse et dont elle finissait par ne plus être la maîtresse.

Il avait encore sur Marie de Clèves un moyen d'action plus direct. Charles d'Orléans avait légué à sa femme une situation financière en désordre et des dettes dont quelques-unes si anciennes qu'on les faisait remonter jusqu'à son père, le premier duc Louis[50]. La duchesse s'appliquait à y faire face et elle en était réduite à recourir à ses diamants qui étaient fort beaux[51]. Le roi, pour la tenir tout à fait à sa discrétion, lui avait brusquement retiré la pension qu'il servait au duc Charles, dont il paya seulement l'enterrement[52]. Chaque année il abandonnait à Marie de Clèves, lorsque tel était son bon plaisir, les revenus de la gabelle du duché[53]. Mais cette concession avait un caractère annuel qui n'engageait jamais l'avenir, et en 1473 la duchesse était occupée à vendre ou à engager ses diamants[54].

Louis, toujours prudent, commença néanmoins par essayer de la ruse et il manda la duchesse à Tours avec son fils. Marie de Clèves, qui se trouvait à Blois, comprit bien aisément qu'il s'agissait d'un projet de mariage et, d'après de vagues explications échangées jusque-là, elle pensa que ce projet devait être un mariage avec Anne de France. Elle quitta Blois le plus diligemment qu'elle put, avec son fils et un prêtre nommé Ch. Chardon, confesseur et chapelain du prince ; vers le soir, les augustes voyageurs s'arrêtèrent pour dîner et coucher dans une auberge du village d'Onzain, à une distance d'environ quatre lieues de Blois, où ils comptaient tranquillement passer la nuit. Mais ils sortaient à peine de table qu'on vit descendre à l'auberge deux gentilshommes suivis d'une escorte : c'était le sire du Lude — Jean de Doillon[55] — et le sire de la Chauletière, que le roi envoyait à la découverte pour demander le motif qui empêchait la duchesse d'arriver et lui témoigner son impatience. Pendant la nuit la Loire monte soudain et inonde tout le village ; et comme un voyage dans ces conditions devenait fort hasardeux et fort embarrassant, la duchesse crut plus sage de laisser son fils et de continuer toute seule sa route : peut-être au fond n'était-elle pas bien fâchée de cet accident, quoique le vieil historien d'Orléans, Lemaire, montre, avec des arguments fort érudits, que c'est un très mauvais présage de voir la Loire sortir de son lit. Le lendemain, Marie de Clèves arriva ainsi près du roi, saine et sauve ; mais au moment de son départies envoyés lui firent une scène violente, sous prétexte qu'ils avaient l'ordre de ramener aussi son fils ; un moment on entendit même dans la chambre de l'enfant du tumulte, mi murmure de voix, c'était ces envoyés qui cherchaient à l'enlever, et ou raconta tout bas que, si la duchesse n'avait pas trouvé un moyen de leur être agréable, ils auraient exécuté leur dessein, au mépris des périls que les évènements laissaient redouter. Ces étranges procédés, la violence de ces débuts remplirent d'émotion et de trouble les serviteurs du duc[56].

Que se passa-t-il entre la duchesse et le roi ? Il paraît qu'il fut encore question d'un projet de mariage en termes assez vagues ou assez rapides pour qu'on pût s'y méprendre et que Marie de Clèves quitta bien le roi avec la pensée que son fils allait en devenir le gendre, mais, selon un de ses familiers les mieux au courant de toutes choses, le sire de Vatan, qui l'a toujours affirmé, avec la croyance qu'il s'agissait de Mm° Anne de France, et ainsi le roi aurait attendu son acquiescement au mariage de son fils avec une fille de France pour lui faire savoir qu'il lui donnait Madame Jeanne[57]. Louis XII lui-même, un peu moins affirmatif que le sire de Vatan, a déclaré aussi qu'il avait été question de la fille du roi, sans dire laquelle[58].

Le roi alors déchira brusquement tous les voiles. Il écrivit à son compère, le sire de Dammartin, la lettre suivante :

« A nostre cher et amé cousin le conte de Dampinartin, Grant Maistre d'ostel de France. — Monseigneur le Grant Maistre, j'ay yen voz lettres et, en tant que touche voz affaires, je ne les oubliray point, et aussi n'oublies point les miennes. Je vous envoye vostre despesche que Pierre Cléret vous porte. Monseigneur le Grant Maistre, je me suis délibéré de faire le mariage de ma petite fille Jehanne et du petit duc d'Orléans, pour ce qu'il me semble que les enffans qu'ilz auront ensemble ne leur coûteront guère à nourrir, vous advertissant que j'espère faire ledit mariage, ou aultrement ceulx qui yront au contraire ne seront jamais asseurez (le leur vie à mon Royaume, par quoy il me semble que j'en feré le tout en mon intencion. Et touchant le logis de, voz gendarmes, de quoy vous m'escripves, je les mectre' en si bonne garnison que serez content de moy. Et à Dieu, Monseigneur le Grant Maistre. Escript à Selommes'[59], le vingt-septiesme jour de septembre. — Loys. Tillart 3[60]. »

Bientôt la duchesse d'Orléans voit arriver à Blois deux des maistres gens du roi, le chancelier Doriole et le destinataire de cette étrange lettre Jean de Chabannes, comte de Dammartin[61], chargés de lui annoncer la triste vérité ; ils lui déclarèrent la volonté du roi, ajoutant que rien ne l'ébranlerait et qu'il n'y avait qu'un parti à prendre, obéir.

Marie de Clèves était bouleversée, le cœur à la fois débordant de colère et de douleur, souvent plongée en une tristesse profonde[62] ; ses serviteurs remarquèrent vite son angoisse et s'enquirent du motif auprès des demoiselles d'honneur : celles-ci naturellement s'empressèrent de le raconter. Jamais la duchesse n'avait vu Madame Jeanne, et en cette occasion même on ne la lui présenta pas. Tandis flue tant de bruit se faisait autour de son nom, la pauvre enfant vivait obscurément derrière les murailles de Linières ; bien peu de personnes la connaissaient, son père moins qu'aucun autre ; mais elle avait une telle réputation de laideur que sa future belle-mi3re reculait épouvantée.

Doriole et Dammartin virent encore la duchesse dans un village des environs d'Orléans qu'on nommait Saint-Laurent-des-Eaux, et lui firent entendre cette fois le langage le plus comminatoire et le plus aigre : le roi ayant déclaré sa volonté, ils se disaient autorisés à répéter son ordre, à avertir qu'en cas de refus il ferait du duc d'Orléans un moine et détruirait la famille. La duchesse protestait vivement ; elle répétait avoir compris précédemment qu'il s'agissait de Madame Anne ; elle voyait son fils, arrivé à âge d'homme, ne prendre nul souci d'une femme telle que Madame Jeanne, et c'en était fait de la maison d'Orléans ! Enfin elle exprimait toute sa tristesse et ses plaintes maternelles. A quoi le chancelier Doriole repartit finement : « Ne vous Maille, madame : tant que le roy vivra, il lui fera bien vouloir'[63]. »

La duchesse avait songé, tout d'abord, dans une si grave affaire, à réunir son conseil pour prendre un avis ; Louis XI lui demanda qui étaient ces gens qu'elle mandait : elle répondit que c'était les gens de son conseil ; Louis dit qu'elle les renvoyât, qu'elle n'avait pas besoin de conseil en ce cas[64].

Le bruit des menaces apportées à la duchesse k Saint-Laurent-des-Eaux s'était promptement répandu dans son entourage ; on les exagérait même comme il arrive toujours, on disait que le roi menaçait le duc d'un monastère, ou de la mort, ou de l'exil, ou d'en faire le plus pauvre gentilhomme du royaume[65]. C'était devenu un bruit publie ; les têtes s'échauffaient ; les serviteurs les plus zélés de la maison d'Orléans, notamment un certain Calipel, depuis chanoine de Blois, ne complotaient rien moins que d'enlever le duc et de le transporter en Bretagne ; mais il aurait fallu pouvoir s'assurer de l'agrément du duc de Bretagne[66], et puis aussi peut-être recula-t-on devant l'ombre du maître, car il n'eût pas été bon de se jouer de lui[67]. Sommaire justice était vite faite et le premier arbre venu pourvoyait la potence. On disait communément que le roi ne faisait pas peur seulement aux hommes, mais aussi aux arbres[68].

Cependant un de ces hommes de basse extraction qui entouraient le roi et auxquels il laissait un assez franc parler, un certain Jehan Drouyn, serviteur de sa chambre et son fauconnier, qui avait un grand crédit sur son esprit, s'enhardit un jour à lui dire que, s'il connaissait sa fille et s'il l'avait vue comme lui, Drouyn, l'avait vue, certainement il n'insisterait point pour la marier, car elle était disgraciée de la nature certainement elle n'aurait pas d'enfants[69]. Louis le laissa dire. Un autre jour, en présence du sire de Linières, le roi déclarait s'étonner qu'on fît tant de difficultés pour ce mariage : le sire de Linières ajouta à plusieurs reprises qu'on disait Madame Jeanne difforme et monstrueuse, qu'on exagérait, du moins que sa difformité était tellement peu apparente que, si le roi voyait sa fille, il ne s'en apercevrait seulement pas. Et ce langage plaisait visiblement au roi[70], qui aurait eu un moyen bien simple d'en vérifier la sincérité : c'était de faire venir sa fille. Mais il jugea sans doute cette démarche inutile.

Enfin le roi envoya successivement encore à la duchesse pour la persuader et obtenir son consentement Guyot Pot et le sire de Blanchefort[71]. Après ses entrevues avec eux, la duchesse racontait à Rabaudanges, de qui nous le tenons, que le roi voulait détruire et ensevelir la maison d'Orléans en la privant de postérité par un mariage avec une princesse aussi difforme ; cette perspective brisait le cœur de la duchesse et elle s'écriait qu'elle ne pourrait jamais y consentir. Le roi lui envoya jusqu'à deux fois le sire de Blanchefort et à la seconde entrevue ce seigneur eut avec elle une explication de la dernière violence ; il lui dit au nom du roi que Guyot Pot, le sire de Vatan, Pierre du Refuge, M. Gaillard, qu'en un mot tous les gens de sa maison l'engageaient à consentir au mariage ; que, si elle s'obstinait à refuser, le roi leur feroit trancher les testes à tous, qu'il lui enlèverait son fils, qu'il la priverait de sa dot, qu'il la renverrait sur les bords du Rhin. La duchesse, outrée, émue jusqu'au fond de l'âme de tout ce qui peut soulever le cœur d'une femme, d'une princesse, d'une mère, répondit que peu lui importait la tête de tous ses serviteurs, qu'elle s'en souciait comme d'une obole : « Il ne me chault pas d'une maille, » que pour son fils on ne le conduirait nulle part dans le royaume qu'elle ne le suivît ; si elle ne pouvait entrer, elle coucherait sur le seuil de la porte, et s'il fuyait la France elle irait trouver ses parents, ses amis qui ne l'abandonneraient pas. En racontant cette scène à Rabaudanges, la duchesse ajoutait : « Je n'ai oncques pu venir à bout de cet homme de roi en parlant haut, en criant : serai-je plus heureuse aujourd'hui et en cette allaire ? » Le roi, quelques jours après, envoya pour réparer cet éclat Dunois, Guyot Pot et plusieurs autres amis de la maison d'Orléans qui avaient à craindre pour leurs biens et leurs pensions : tous joignirent auprès de Madame d'Orléans leurs plus vives instances, ils lui représentèrent avec force qu'elle se perdait, et eux avec elle, et qu'elle devait bien quelque considération à leur dévouement ; que les deux futurs étaient très jeunes et qu'avant leur arrivée à âge d'homme bien des évènements pouvaient se produire, que d'ailleurs son refus était inutile et n'empêcherait rien ; Rabaudanges, présent à ces prières, y prit part aussi et en fit d'analogues. Enfin, au bout de quelque temps, sous le coup de ces menaces, la duchesse souffrit l'accomplissement du mariage ; mais jamais elle n'y consentit autrement, et elle disait à Rabaudanges qu'elle se tenait la conscience chargée de ce qu'aucun enfant ne pouvait en naître[72].

Le prince, lui-même, malgré sa jeunesse, partageait le sentiment de tout son entourage. François Brézille, un de ses écuyers, lui disait un jour en plaisantant : « Monsieur, vous serez marié. » — « Non, non, répondit l'enfant, sauf contre mon vouloir[73]. »

Sitôt que la duchesse eut paru se résigner, Louis XI accourut s'établir sur les bords de la Loire à Jargeau[74], à quelques pas seulement du château ducal de Châteauneuf-sur-Loire où Marie de Clèves résidait habituellement. Le roi paraissait tout rajeuni et fort gaillard et, lui qui n'avait jamais craint les jolies femmes, présentement se sentait en belle humeur, car il écrivit à Madame d'Orléans de venir le voir et de lui amener cinq ou six de ses plus jolies demoiselles d'honneur ; la duchesse s'exécuta et le vieux roi festoya très courtoisement cet essaim de charmantes femmes ; il leur offrit à souper, devisa fort, il n'épargna pas à ces demoiselles ni à la duchesse elle-même les propos joyeux. Louis XI était volontiers égrillard ; mais il était surtout très roi et jamais plaisir ne lui fit oublier une affaire. Il y avait dans la maison d'Orléans un gentilhomme nommé Louis de Pons, sire de Mornac[75], à qui la duchesse accordait un crédit tout particulier[76] et qu'elle appelait son cousin. Ce Mornac s'était montré, dès qu'il avait été question à Saint-Laurent-des-Eaux du mariage du duc, fort hostile au projet du roi, il murmurait encore et l'on pouvait supposer que son avis avait quelque poids aux yeux de la duchesse, et même aux yeux du jeune duc dont l'affection et la confiance d'une mère lui laissaient la garde[77]. En revenant de Jargeau la duchesse raconta à ses demoiselles que le roi avait menacé Pons de Mornac, s'il ne s'arrangeait pas pour obtenir l'agrément du duc au mariage projeté, et, ajoutait-on, s'il ne livrait pas le château de Coucy[78], de le faire mettre en un sac et jeter à la rivière. La jeune Martine, camérière de la duchesse, confirmait la scène. Nous en tenons le récit d'une des jeunes filles qui avaient dû à leurs grâces de faire partie de la caravane de Jargeau, Élisabeth de Vatan, plus tard femme de l'écuyer Fricon, qui en rapportait contre le vieux roi un vif souvenir de ressentiment et de haine[79]. La duchesse conçut de ces menaces une frayeur terrible et la crainte de voir arriver malheur à son beau cousin, Louis de Pons, emporta enfin son consentement définitif[80]. Quant à Mornac lui-même, il tomba dans un état de fièvre nerveuse et disparut[81]. On sut qu'il s'était enfui à Coucy[82]. On sut aussi, et cela fut une grande rumeur dans toute la maison d'Orléans, quo Mornac s'était auparavant abouché secrètement à Tours avec Louis XI et en avait obtenu la promesse de six mille francs (ou six mille écus) de pension à la seule condition de partir pour Coucy et de n'en revenir qu'après le mariage. Il avait même reçu mille écus et un cheval de prix : le reste de la pension fut envoyé à Blois par ordre du roi pour lui être soldé. Mais le jour même où il revenait de Coucy pour la toucher, à l'époque du mariage, Mornac fut tué à la chasse par un sanglier[83].

C'est ainsi que Mme d'Orléans se voyait abandonnée de ses plus intimes confidents et que le mouvement d'opposition soulevé par les projets du roi allait s'assoupissant de jour en jour, sous la pression d'une main toute puissante.

Louis XI se rendit alors officiellement à Châteauneuf-sur-Loire où Mme d'Orléans le reçut entourée de son conseil, de son trésorier, Jean Vigneron, et d'une partie de sa maison. Le roi parla à la duchesse de la conclusion prochaine du mariage qui allait les rapprocher : avec la rudesse habituelle de son langage, il ajouta publiquement que les filles de France recevaient d'ordinaire une dot de cent mille francs[84], mais que Madame Jeanne, comme elle n'était pas aussi belle que le duc et Madame sa mère auraient pu souhaiter, recevrait cent mille écus d'or[85]. Nous avons dit qu'il avait fait la même faveur à Mme Anne de France[86].

Jeanne de France et Louis d'Orléans ne pouvaient pas se marier immédiatement à cause de leur âge et de la nécessité d'obtenir en cour de Rome des dispenses. Mais Louis XI tint du moins à ce que le mariage se conclût sans délai, et le 28 octobre il fit dresser à Jargeau par deux notaires un acte authentique constatant que « Mme d'Orléans accordait le mariage de Mme Jeanne de France avec Monseigneur Louis d'Orléans[87]. » Le roi s'en fit délivrer une expédition et le lendemain, 29 octobre, les notaires, accompagnés de l'évêque d'Aire, se transportèrent à Châteauneuf et l'un d'eux nommé Dixomme en donna lecture à Marie de Clèves en présence du jeune duc, du chancelier Doriole, de Charles d'Aubeville, de Gilbert Dupuy, sire de Vatan, de Pierre de Cissé, archidiacre de Dunois, et des conseillers ou secrétaires de la duchesse, Michel Gaillard, Guillaume de Villebresme, Jean Vigneron. Après cette lecture, l'évêque d'Aire, maître Tristan d'Aure[88], demanda au jeune prince s'il voulait prendre pour femme Madame Jeanne ; et l'on s'empressa de constater par procès-verbal que le duc et sa mère avaient déclaré vouloir tenir ce qui était conclu, en y ajoutant que le duc agissait bien de sa propre volonté, sans aucune sorte de dol, de pression ou de machination mauvaise ; que sa jeunesse et sa minorité ne créaient pas un obstacle, car il y suppléait par sa prudence et sa sagacité[89]. Puis les deux notaires signèrent le tout et l'on se retira[90].

Tout étant ainsi réglé, le roi, tranquille de ce côté, procéda au mariage de sa fille aînée, Madame Anne. Mais combien ici les choses se présentent d'une manière différente !

Par des lettres-patentes qu'il signa à Jargeau le 3 novembre, Louis XI en termes brefs et assez hautains annonce que le sire de Beaujeu l'a supplié « luy faire l'onneur de luy baillier Anne de France » en mariage. Avant de déclarer son consentement, le roi rappelle que le sire de Beaujeu est frère du duc de Bourbon, que la maison de Bourbon est « extraicte et descendue » de la maison de France, qu'elle lui a rendu des services, que plusieurs de ses membres « ont esté prisonniers et fini leurs jours entre les mains de noz ennemis. »

« Ayans aussi regart, continuait le roi, que feu nostre tres chier seigneur et père, que Dieux absoille, par grant et meure délibération voult et désira, durant sa vie, actraire et joindre avecques luy et ses successeurs ladite maison de Bourbon en la plus grant prochaineté qu'il povoit et le démonstra par effect quant il bailla par mariage. nostre tres chière et tres amée seur Jehanne de France, sa fille, à nostre dit frère et cousin le duc de Bourbon qui à présent est. » Ensuite le roi rappelait les services de Pierre de Beaujeu lui-même qui « a esté détenu prisonnier par feu Jehan d'Armaignac quant il surprit sur nous par trayson la ville de Lectore[91]. »

Rien, dans ce second mariage, ne rappelait donc le mariage de Jeanne où il avait fallu envoyer des notaires à Châteauneuf chercher le consentement du futur époux, consentement péniblement extorqué, dont on douta peut-être jusqu'au dernier moment[92].

A l'occasion du mariage des deux filles du roi, la petite ville de Jargeau donna quelques fêtes qui durèrent huit jours, et,- dans leur enthousiasme, il paraît que les chanoines de l'église du lieu, qui est dédiée au bon saint Vérain, ajournèrent, par une délibération spéciale, les offices de la Toussaint au 9 novembre, jour du départ de la cour ; en reconnaissance d'un si bon procédé, Louis XI accorda à la ville de Jargeau un blason de gueules chargé de trois bracelets d'or, avec le chef de France, d'azur à trois fleurs de lys d'or[93].

Le roi, comme il l'avait annoncé, fit grandement les choses et d'une manière digne de son rang.

La dot de Madame Jeanne était de cent mille écus d'or, en bonnes espèces sonnantes et aimas cours, que le roi s'engageait à verser en deux parties : un tiers, le jour même de la célébration du mariage, et ce tiers devenait la propriété exclusive du duc d'Orléans ; les deux autres tiers, comme dot proprement dite, devaient être employés en achat d'immeubles au nom de Madame Jeanne ; en cas de prédécès de Madame, l'usufruit entier devait revenir à Louis d'Orléans ; mais, au contraire, Jeanne, en cas de mort de son mari, n'avait droit qu'à un douaire de six mille livres de pension, assises en bons lieux et sûrs « avecques logeis seur,, honneste et convenable selon son estat[94]. »

Le roi se chargeait expressément, en outre, de fournir à Jeanne des « robes, habillernens et joyaulx de noces, ainsi qu'il appartient à fille de roy. »

L'article ter du contrat porte que le mariage a été conclu, juré et accordé et que Mme la duchesse d'Orléans, tant pour elle que pour et au nom de M. le duc d'Orléans, son fils, s'engage à le « faire solenniser et accomplir... en face de sainte Église, toutes et quantes fois que, par permission de l'Église, faire se poura et que par l'une, des parties l'autre requise en sera. » Cette formule avait pour but d'assurer la conclusion civile et immédiate du mariage avant même qu'aucun acte religieux ne l'eût consacré. Bien qu'en principe la bénédiction nuptiale par l'Église ML au moyen-âge le mariage lui-même et que le contrat du règlement des intérêts civils, considéré comme essentiellement accessoire à l'acte principal, c'est-à-dire au mariage, ne possédât en propre aucune force indépendante, aucune existence que celle qu'il empruntait à l'acte matrimonial, on cherchait dans ces mariages princiers, si souvent faits et défaits, à intervertir les rôles : la bénédiction nuptiale ne devenait plus ici qu'une des clauses du contrat principal, et chaque partie s'engageait à recevoir une bénédiction nuptiale toutes les fois qu'il plairait à l'autre, pourvu que l'exigence fût conforme aux règles de l'Église. Les parties déclaraient du reste se soumettre directement à la juridiction de la cour de Rome ou au moins de la cour d'Avignon.

C'est ainsi qu'en réalité les époux se marièrent civilement, si l'on peut ainsi dire, dès 1473. Le duc d'Orléans, âgé de onze ans, ratifia le 29 octobre le contrat qui le liait à jamais[95]. Plus tard, il prétendit avoir signé en même temps une protestation secrète, par devant notaire : mais sans doute ses souvenirs l'auront mal servi, car cette protestation n'a jamais été produite ni retrouvée, même après son avènement à la couronne.

Au fait, la mémoire des peuples est un grand livre éternellement ouvert, éternellement vivant, où les faits et les gestes d'un prince assis sur les marches du trône s'enregistrent d'eux-mêmes quelquefois mieux que dans les minutes poudreuses d'un notaire, quelquefois plus mal. Chacun savait que Louis XI voulait ce mariage, que Louis d'Orléans n'en voulait pas : tout le monde le disait[96], on ne cessa pas de le dire, et Tristan l'Ermite n'avait pas encore assez d'archers pour orner les arbres des grandes routes de toutes les langues trop bien pendues.

Peu de temps après la signature du contrat, Mme d'Orléans se rendit à Linières pour faire la connaissance de sa belle-fille. Certes, elle ne nourrissait aucune illusion sur la beauté de l'enfant ; mais lorsqu'elle se trouva on présence d'une petite fille malingre, aux membres difformes, elle éprouva une si forte secousse qu'elle tomba presque en syncope[97], « à peu qu'elle s'évanouit, » elle se jeta en pleurant sur un lit, s'exclamant et disant : « Ah ! Notre-Dame, faut-il que mon fils ait cette femme ainsi difforme ! » Mme d'Espinay, femme du sire de Segré, qui assistait à l'entrevue, crut devoir se précipiter sur la duchesse et, lui prodiguer ses soins, ouvrir sa robe, délacer son corset pour lui donner de l'air[98].

Cependant Louis XI, le mariage fait, éprouva, lui aussi, la curiosité.de voir sa fille et la manda au Plessis-lès-Tours. On y conduisit Jeanne qui descendit dans l'auberge habitée par Mea° de Bourbon, au village même du Plessis, le roi résidant dans une maison garnie de pieux, au milieu de l'enceinte fortifiée, et n'y recevant personne. Un matin, le sire de Linières l'amena en la tenant sous le bras : le roi l'aperçut à travers les vitres... il fit un grand signe de croix en disant qu'il ne la croyait pas telle et, lorsqu'elle entra, à peine lui adressa-t-il quelques mots, il dit au sire de Linières de l'emmener[99].

Il ne laissa pas de poursuivre auprès du pape l'obtention des dispenses nécessaires ; on ne mit pas beaucoup de hâte à les expédier ; les lois canoniques exigeant que l'épouse ait au moins douze années et l'époux quatorze, le mariage, du reste, ne pouvait arriver à sa célébration réelle qu'en 1476. Les dispenses étaient nécessaires à deux points de vue : en premier lieu, à raison de la parenté naturelle des futurs époux, puisque Louis XI et Louis d'Orléans étaient tous deux arrière-petits-fils du roi Charles V, et par conséquent cousins issus de germains[100], c'est-à-dire que, selon noire droit, les futurs se trouvaient parents au septième degré et, selon le droit canon, le futur au quatrième, la future au troisième : en second lieu, par suite d'une certaine affinité spirituelle ; Louis XI était le parrain de Louis d'Orléans, c'est-à-dire, aux yeux de l'Église, un second père, et il en résultait entre son filleul et sa fille un empêchement ecclésiastique ou spirituel, deux mots alors synonymes.

Le récit du baptême de Louis d'Orléans, qu'un certain nombre de témoins oculaires nous ont transmis, mérite d'être rapporté ; il caractérise à la fois et la nature du roi et les relations qu'en tout temps il avait entretenues avec la famille d'Orléans.

Louis XI se tenait au château d'Amboise, attendant d'un instant à l'autre la nouvelle de la délivrance de la duchesse ; le jour même où il apprit qu'un jeune duc venait de naître, il se mit en route, vint coucher au village de Choisy et dès le lendemain matin, de fort bonne heure, il était, arrivé à Blois ; la cérémonie eut lieu de suite dans l'église collégiale du château, dédiée à saint Sauveur ; l'évêque de Chartres, car il n'y avait pas d'évêché à Blois[101], officiait et l'enfant avait pour parrains le roi et le comte du Maine, frère du bon Roi René, pour marraines la reine d'Angleterre et la comtesse de Vendôme, fille du sire de Beauvau[102]. Une grande multitude de peuple remplissait l'église ; on ne pouvait rien voir[103] ; mais au milieu d'un religieux silence tout le monde entendit la forte voix de Louis XI dire qu'il était « le grand parrain » de l'enfant[104]. Le roi n'alla qu'au sortir du baptême rendre visite à la duchesse. Il est vrai qu'on faisait courir sur la naissance du prince des bruits médiocrement favorables à Madame d'Orléans[105]. Le duc, son mari, né en 1393, et par conséquent âgé de 69 ans, après trois mariages successifs et vingt-cinq ans de prison, se trouvait un peu trop tard le mari d'une jeune femme et le père d'un fils premier-né[106]. Du moins c'était l'avis public. Le roi, après avoir salué la duchesse de ces mots : « Dieu vous gard', madame ma commère[107], » tout en causant avec elle dans sa chambre, lui dit : « Madame ma commère, cet enfant qui ne fait que naistre m'a p... en la manche quand je le tenois sur les fonts ; quel signe est-ce ? » Ce prince d'un si vaste génie et devant qui tout tremblait se montrait préoccupé d'un tel présage, mauvais suivant lui, lorsqu'en se levant pour sortir, son pied s'embarrassa dans un pan du drap du lit, au point de le faire presque tomber : « Et deux ! » s'écria-t-il, car un faux pas a toujours passé pour un très fâcheux augure, et il sortit de la maison du duc d'Orléans fort peu satisfait, comme chacun pouvait voir[108]. En vain la duchesse le pressa de rester à dîner ; il refusa sous prétexte qu'il avait besoin de retourner en Beauce[109].

Cependant, Marie de Clèves, faisant contre fortune bon cœur, avait fini maintenant par prendre son parti du mariage de son fils. Elle disait que le roi le voulait, « et qu'on n'y eust ousé désobéir[110]. » Seulement on la trouvait souvent en pleurs : elle recommandait qu'on ne parlât pas à son fils de son mariage, parce que rien ne lui faisait plus de peine[111], et il est de fait qu'on vit, plusieurs fois que cette question s'agita, le jeune duc se retirer pour pleurer[112].

Le 10 des kalendes de mars (19 février) 1475, le pape Sixte IV expédia enfin à son légat Jules de la Rovère, à Avignon, un bref qui lui donnait le pouvoir de conférer les dispenses requises, et le cardinal[113], à son tour, par bref du 8 des ides d'août (6 août) 1476, délégua cette faculté à l'archevêque de Bourges et aux évêques d'Évreux et d'Orléans.

On procéda de suite au mariage de Jeanne de France et de Louis d'Orléans. Cette triste cérémonie s'accomplit sans aucun apparat et au milieu d'une sorte de consternation, dans n le plus grand murmure ; toutes gens de bien estoient fort mal contentes[114]. »

Louis XI, toujours en voyage, venait de faire à Lyon un long séjour ; il passa quelques jours au Plessis-lès-Tours avec la reine et le dauphin[115] et en profita pour faire rédiger sous ses yeux, le 28 août[116], le contrat de mariage définitif de sa fille Jeanne, contrat qui, du reste, ne faisait que reproduire les premières stipulations du contrat de Jargeau ; les témoins appelés à signer étaient : Pierre de Bourbon, sire de Beaujeu ; Pierre Doriole, chancelier de France ; Jean de Foix, vicomte de Narbonne, beau-frère du duc d'Orléans ; André de Laval, maréchal de France ; Louis de Graville, sire de Montagu ; Ch. d'Amboise, écuyer, seigneur de Chaumont, comte de Brienne, gouverneur de Champagne ; François de Beaujeu, seigneur de Linières ; Jean de Danton, sire du Lude, gouverneur du Dauphiné ; Guyot Pot, bailli de Vermandois ; Jean Chambon, maître des requêtes de l'hôtel ; Raoul Pichon, Jean Pélieu, conseillers[117] ; et le notaire, un notaire de Tours, Jean Le Longe[118].

Quant au mariage lui-même, le roi le fit bénir un matin dans la chapelle du château de Montrichard et ne prit point la peine d'y assister. Il était alors dans toute l'allégresse que lui causait la nouvelle de la déroute de l'armée bourguignonne à Morat ; il s'empressa donc de repartir pour rendre grâce à Notre-Dame-de-Béhuard (en Anjou) de ce que ses besoignes s'estaient bien portées durant son voyage de Lyon, et si envoya argent en plusieurs et divers lieux où est révérée la benoiste et glorieuse Vierge Marie. Entre autres, il donna et envoya à Notre-Dame-de-Ardenbourg, en Flandre, douze cents écus d'or. « Et en soy retournant dudit Lyon, fist venir après luy deux damoiselles dudit lieu jusques à Orléans[119]. »

Rien n'indique non plus la présence de la duchesse mère au mariage de son fils.

La pauvre Jeanne de France n'avait donc auprès d'elle, dans ces heures solennelles et cruelles de son enfance, que la reine sa mère et un petit nombre de serviteurs. François de Brilhac, évêque d'Orléans, qui officia, raconte ainsi la cérémonie :

« Un ou deux ans après son élévation à l'évêché d'Orléans[120], il résidait à l'abbaye de Pontlevoy lorsque le chancelier Doriole et l'évêque de Chalons[121] vinrent l'y trouver ; après dîner, le chancelier lui présenta un rescrit de Notre Saint-Père le Pape et des lettres du roi Louis XI justifiant de sa propre mission. L'évêque prit le rescrit, le lut ; par ce rescrit, il recevait du pape le mandat d'avoir à séparer le duc Louis et Madame Jeanne, à cause de leur parenté ; il ne se souvient pas si le rescrit mentionnait la parenté spirituelle. Le pape autorisait l'évêque, si les parties consentaient à s'unir de nouveau, à les marier, nonobstant l'empêchement[122]. Le rescrit présentait tous les caractères de l'authenticité, les formules pontificales, la bulle de plomb. Le lendemain, le chancelier conduisit l'évêque à Montrichard ; on y arriva le jour même et en présence de la reine Charlotte, de plusieurs personnes, de Louis d'Orléans et de Madame Jeanne, le chancelier expliqua le rescrit du pape. Sans autre forme de procès[123], l'évêque sépara les jeunes époux, leur interdit toute sorte de réunion ou de rapprochement en leur donnant la liberté de faire tel ou tel choix qui leur semblerait bon ; ensuite il se retira et chacun des époux se rendit dans une chambre séparée pour y attendre jusqu'à nouvel ordre. Après un délai d'environ deux heures qui avait permis au duc de réfléchir, l'évêque alla le trouver dans sa chambre, lui répéta qu'il avait toute sa liberté et qu'il pouvait refuser de se lier de nouveau : « Hélas ! Monsieur d'Orléans, mon amy, répondit Louis, que ferai-ge ? Je ne sauroye résis-ter, il me vauldroit autant estre mort que de faillir à le faire, car vous cognoissez à qui j'ay affaire. » Il y avait là Jean Dumas et un certain Leborgne Bou« tel : « Taisez-vous de par le deable, s'écria Dumas, vous en pouriez trop parler. » L'évêque reprit : « Monsieur, doncques estez-vous délibéré de passer oultre ? » Le duc ayant répondu : « Il m'est force et n'y a remède, » le prélat l'emmena pour achever la cérémonie... L'évêque se rendit à la chapelle du château, revêtit ses ornements sacerdotaux et se tint prêt à prononcer la bénédiction. Le duc et Jeanne se présentèrent et restèrent dans le bas de la chapelle, près de la porte. L'évêque tenait ouvertes à la main les dispenses du pape, mais il n'en donna pas lecture ; le chancelier se borna à les résumer verbalement. François de Brilhac demanda alors aux époux s'ils voulaient se prendre l'un l'antre pour mari, pour femme ; ils répondirent oui, il les déclara unis et s'en alla dîner à l'auberge des Trois-Rois[124]. » Après son départ, les époux assistèrent avec quelques personnes à la messe d'usage dite de bénisson. La pauvre petite Jeanne portait une robe de drap d'or[125]. Le jeune duc était en pleurs[126].

C'était le 8 septembre 1476, fête de la Nativité de la Vierge[127].

Tout cela n'avait pas duré l'espace d'une matinée. On ne revit plus l'évêque d'Orléans reparti pour son abbaye de Pontlevoy à la dernière bouchée. Le chancelier avait conservé la bulle du pape eu disant à l'évêque qu'elle n'était d'aucune utilité pour lui et qu'elle pouvait servir aux parties[128].

Parmi les assistants, ce n'était qu'un cri sur les menaces qu'il avait fallu pour amener là le jeune prince dont l'air triste et abattu éclatait à tous les yeux. Parmi les amis de la famille d'Orléans, quelques-uns affectaient de prendre peu au sérieux ce mariage et de le considérer comme un vain simulacre ; d'autres observaient que l'évêque n'avait pas lu le texte des dispenses[129]. D'aucuns allaient jusqu'à en conclure qu'il n'y en avait point[130].

Après la messe, un dîner nuptial eut lieu au château et le soir un souper. Louis d'Orléans ne pouvait éclaircir son triste et anxieux visage ; des larmes remplissaient ses yeux ; il ne pouvait manger, spectacle qui touchait fort le groupe d'hommes dévoués à la fortune d'Orléans dont Dunois était l'âme[131].

Le lendemain il n'était pas plus gai[132].

 

 

 



[1] Jean de Troyes.

[2] Cl. de Seyssel, p. 42 v°, de l'édit. de 1587.

[3] Histoire généalogique de la maison d'Auvergne.

[4] Déposition de L. de la Palud.

[5] Déposition de Guillaume de Villebresme et de tous les témoins.

[6] Déposition de G. Chaumart.

[7] Déposition de Viart.

[8] Il s'occupait aussi de mariages dont l'histoire n'a pas à parler. A l'époque du mariage de ses filles, il maria, avec de grands biens, Gigonne, qu'il avait fait venir près de lui, à un jeune homme nommé Geoffroy de Caulers (Jean de Troyes).

[9] Déposition de Marie de Marcilly.

[10] Jeanne de Bourbon, fille de Jean de Bourbon, comte de Vendôme, et d'Isabeau de Beauvau, mariée par le roi le 3 février 1477 à Louis de Joyeuse, sire de Bothéan, morte en 1486.

[11] Ou de la Grature, d'après La Thaumassière (Histoire du Berry, p. 436). Renée de Bueil était fille d'Antoine de Bueil et de Jeanne de France fille naturelle de Charles VII, et par conséquent nièce de Louis XI.

[12] Jean Bourré, seigneur du Plessis, le secrétaire intime du roi (V. not. sur Bourré une notice de M. Væsen. Biblioth. de l'École des. Chartes, 1882) : Jean de Popincourt, président an Parlement et serviteur de Louis XI, qui lui donna notamment, en 1467, une mission en Angleterre.

[13] Le sire de Laheuse, gentilhomme bourguignon au service de Louis XI et son maître d'hôtel. C'est lui qui alla chercher, en Italie, saint François de Paule.

[14] Déposition de Gaillard, de Chaumart, de Calipel.

[15] Josselin de Bois-Bailli, maréchal des logis de roi, son serviteur le plus actif, le plus zélé, le plus capable de tout.

[16] Déposition de G. Bertrand, de Jean Ast.

[17] Un des favoris de la maison d'Orléans. V. Condition forestière de l'Orléanais au moyen âge, p. 253 et note 1.

[18] Déposition de Guillaume Milet.

[19] Déposition de G. Chapelain.

[20] Déposition de Jean Ast.

[21] Sire de Pontgibaud.

[22] Guillaume dit Armand Ier, vicomte de Polignac

[23] Cette darne eut six filles et quatre fils.

[24] Déposition de Jean de Polignac.

[25] Barante, Histoire des ducs de Bourgogne, Charles le Téméraire, liv. VII.

[26] La Chesnaye des Bois. Plus tard, Charles VIII essaya encore de marier brusquement, avec le maréchal de la Palisse, une jeune fille de la famille de Polignac, Mile de Combronde, fille du second mariage d'Antoinette de Polignac, et nièce par conséquent de Mme de la Fayette ; il écrivit même à ce sujet des lettres pressantes au sire du Bouchage :

« Monsieur du Bouchaige, si le viconte de Polignac envoioit quérir sa niepce de Combronde, laquelle vous avez entre voz mains, je vous prie que ne la luy vueillez bailler ne la luy faire délivrer, que ne soiez revenu devers moy et que je vous en ait dit mon intention et vouloir. Si n'y vueillez faire faulte. Escript à Angiers, le xito jour de septembre.

CHARLES. — BOHIER.

Monsieur du Bouchaige, j'envoye présentement Rigault Doreille devers le viconte de Polignac et luy faiz savoir le désir que D'Y de faire le mariage de La Palisse avec sa niepce de Combronde pour ce qu'il me semble tres sortable et consonnant, dont je vous ay bien voulu advertir. Et pour ce vous prye que de vostre part y vueillez tenir la main a ce que en ensuivant mon désir la chose sortisse à effect. Et vous me ferez agréable plaisir ainsi que j'ay chargé ledict Rigault vous en parler plus au long. Si le vueillez croire et adjouster foy à luy de ce qu'il vous eu dira de par moy. Escript aux Moutilz-lez-Tours, le XVIIIe jour de septembre.

CHARLES. — BOHIER. »

(Bibl. nat., Mes. fr. 2922, f° 45).

Mais Charles VIII n'insista sans doute pas, car ce mariage n'eut pas lieu.

[27] Marie d'Albret. V. not. des lett. pat. de 1491 en faveur de Baille de Juge, comte de Castres, et de Marie d'Albret, sa femme (Bibl. nat., Mss. Doat 634).

[28] Il donna aussi à Boffile le comté de Castres, confisqué sur la famille d'Armagnac, et auquel prétendait le sire d'Albret.

[29] Louis d'Amboise.

[30] Jean Blosset, sire de Saint-Pierre, sénéchal de Normandie, un des confidents du roi, qui le chargeait de préférence des commissions où il fallait le plus de rudesse.

[31] Déposition de R. de Saint-Maurice.

[32] Déposition de G. Bertrand.

[33] En effet Jeanne avait été, contrairement aux usages, éloignée de sa future belle-mère et envoyée à Linières.

[34] Brantôme, Vie d'Anne de France et autres. Le dire du roi, d'après Brantôme, est même plus explicite.

[35] En 1498, Anne de Beaujeu réclama 40.000 liv. de rente que lui assurait le contrat passé avec Nicolas, en soutenant que le mariage, réellement célébré, n'avait été rompu que par la mort de Nicolas dont Anne disait avoir porté le deuil. Mais il fut prouvé qu'en réalité c'était Louis XI qui avait rompu (Bibl. nat., Mss. Dupuy, 196, et fr. 19871. — Cf. Philippe de Commines, édit. de Mlle Dupont, t. I, p. 267, 274 ; édit. Lenglet du Fresnoy, t. III, p. 169).

[36] Il avait épousé Jeanne de France, fille de Charles VII.

[37] En juin 1473, le roi lui fait don de la seigneurie de Nogaro, pour ses bons services. Bibliothèque nat., Mss. Doat 222, fol. 246.

[38] Le sire de Beaujeu avait adopté comme devise un cerf-volant d'or sortant d'une nuée remplie de flammes, avec le mot : Espérance.

[39] En 1482, Louis XI ajouta encore à la dot d'Anne un don de 66.000 écus d'or qui restaient à payer sur la dot de la duchesse de Bourbon, Jeanne de France, sœur du roi (Bibl. nat., mss. Dupuy 196, fol. 107, et fr. 19871).

[40] Il était né le 27 juin 1462 (Mémoire de l'avocat de Jeanne, au procès), et son père était mort le 4 janvier 1464.

[41] Actuellement Rabodanges (Orne).

[42] Déposition d'Elis. Fricon.

[43] Et grand maître des Eaux et Forêts. R. de Maulde, Condition forestière de l'Orléanais, p. 310.

[44] Déposition de Pierre Dupuy. Le fils du sire de Vatan, Pierre Dupuy, était élevé avec le duc : ses deux filles étaient demoiselles de la duchesse mère et épousèrent deux officiers de la maison, le bâtard Fricot et G. Bertrand, sire de Lis-Saint-Georges.

[45] Voici une lettre d'une certaine Isabelle de Chassa, qui montre comment agissait le roi :

« Sire, humblement a vostre bénigne grace me recommande. Il vous a pieu de moy logié, moy et l'une de mes filles, avec ma dame d'Orliens. Hélas, tres chier sire, je ne scey comme je laisseroye l'aultre, car elle est bien grande. Toutesfois je ne veulz fere chose qui vous desplaise, mais tout ce qu'il vous plaira à moy commander, comme celle qui se donne toute à vous ; et de mon filz, tree chier sire, je vous supplie, de vostre bénigne grace, qu'il vous plaise de le fere appoinctié, et luy et moy prierons Dieu pour vous. Auquel je prie qui vous doint bonne vie et longue et paradis à la fin. Escript à Mascon le disiesme jour de may. Vostre humble et obéisante.

YSABEL DE CHASSA. »

Au dos : « Au Roy nostre sire. » (Bibl. nat., Mss. fr. 2902, f° 44.) Guyot de Chassa fut pris par Louis XI à son service et accusé par le roi, en 1475, d'avoir laissé échapper le bâtard de Bourgogne, qu'il était chargé de garder (Arch. nat., J. 950, n° 17).

[46] Guy ou Guyot Pot était aussi capitaine de Blois et bailli de Vermandois ; il fut gouverneur d'Orléans sous Charles VIII et comte de Saint-Paul.

[47] Déposition de M. Gaillard. — M. Gaillard était en même temps maître d'hôtel du roi (N. Valois, Bibl. de l'École des Chartes, 1882, p. 604, n° 5.)

[48] Déposition de G. de Villebresme.

[49] Dépositions diverses.

[50] Catalogue de Joursanvault, n° 187.

[51] Inventaire man. de ces bijoux, aux Arch. nat. K. 74, n° 42.

[52] Catalogue de Joursanvault, n° 180.

[53] Joursanvault, n° 179. — V. l'excellent Catalogue des titres d'Orléans, par M. Ulysse Robert, n° 599, 606.

[54] Joursanvault, n° 786. — Catalogue des titres d'Orléans, n° 593.

[55] Le roi l'appelait plaisamment « maître Jehan des habiletez. » V. P. Anselme, t. VIII, p. 189 : Philippe de Commines, édit. de Mlle Dupont, I, 381, note.

[56] Déposition de Ch. Chardon.

[57] Déposition de Pierre Dupuy, sire de Vatan, qui dit l'avoir entendu raconter plus de cinquante fois par son père.

[58] « Credit, de ipsa et sua sorore. » Interrogatoire du roi.

[59] Selommes, a. 25 kilomètres de Blois, possède les ruines d'un château où cette lettre sans doute fut écrite.

[60] Bibl. nat., mss. lat. 5973, f° 71. — P. L. Jacob, Histoire da XVIe siècle, t. I, p. 109, la reproduit différemment, sans doute d'après une autre copie.

[61] Dammartin, après avoir été rudement traité par son maître, se trouvait maintenant en grande faveur auprès du roi. Louis XI venait de le désigner, avec Doriole, comme son représentant aux conférences de Senlis avec les gens du duc de Bourgogne, pendant le mois de juillet. Quant au chancelier Doriole, ancien maire de La Rochelle et attaché au duc de Guienne pendant la guerre du Bien Public, Dammartin l'avait fait connaître au roi qui apprécia sa capacité et l'employait dans les grandes affaires. Mais Doriole, adversaire de toutes les procédures d'exception, ne s'entendait pas toujours bien avec son maître et tomba en disgrâce avant la fin du règne. Sous Charles VIII, il fut président de la Chambre des Comptes (Anselme, t. VI, p. 411.)

[62] Dépositions de F. de Guierlay et autres.

[63] Déposition du sire de Vatan, de G. des Ormes.

[64] Déposition de D. Le Mercier.

[65] Dépositions nombreuses, notamment de Ch. Chardon, de G. des Ormes.

[66] Déposition de G. Chaumart.

[67] Selon le dire commun et populaire, « c'estoit le plus terrible roy qui fust jamais en France. » (Déposition d'Elis. Fricon.)

[68] Déposition d'Elis. Fricon.

[69] Déposition de Jehan Lesbay.

[70] Déposition de Rabaudanges.

[71] Dépositions de Brézille, de Rabaudanges.

[72] Déposition de Rabaudanges.

[73] Déposition de Brézille.

[74] L'abbé Duchâteau, Souvenirs historiques de la ville de Jargeau, Orléans, 1874, p. 32.

[75] Louis de Pons, écuyer, seigneur de Mornac, conseiller de la duchesse et Souverain Maitre des Eaux et Forêts d'Orléans, de 1465 à 1468. (R. de Maulde, Condition forestière de l'Orléanais, p. 310.)

[76] On va jusqu'à dire qu'il avait autorité sur elle. Déposition de D. Le Mercier.

[77] Déposition de Calipel.

[78] Ces récits que nous extrayons des dépositions faites en 1498 par des témoins oculaires et non contredits sont des plus authentiques dans l'ensemble, mais certains détails peuvent être inexacts, puisque les faits ne remontaient pas à moins de vingt-cinq ans. Louis XI parla certainement à Mornac du château de Coucy, car tous les témoins qui racontent cette scène s'accordent à le dire : mais l'accord cesse pour interpréter le langage de Louis XI. Elisabeth Friton, que nous citons ici, affirme que Louis voulait le château de Coucy, l'un des domaines de la maison d'Orléans ; mais c'est une femme très passionnée, surtout contre Louis XI, et sujette à caution. Ce fait peu vraisemblable est contredit par les autres détails de l'incident. Il est probable que la duchesse d'Orléans, dans son émotion, l'avait ainsi compris. En réalité, Louis XI, d'après G. Calipel, témoin peu suspect en sa faveur, avait au contraire promis à Mornac le château de Coucy, c'est-à-dire son commandement. Selon le sire de Lamonta, il l'avait simplement invité à partir pour Coucy jusqu'à nouvel ordre, et cette version nous parait à la fois la plus vraisemblable et la plus justifiée par l'événement.

[79] Déposition d'Elis. Fricon.

[80] Déposition de G. Lambert.

[81] « Incidit in tremorem febrium. » Déposition de J. Vigneron.

[82] Déposition de G. Lambert.

[83] Dépositions du sire de Lamonta, de D. Le Mercier, G. Doulcet, Calipel

[84] Le roi, en effet, n'avait promis à Jeanne de France, en 1464, lors de ses fiançailles, que 100.000 livres (Lenglet du Fresnoy. Mémoires de Ph. de Commines, t. Il, p. 411), et même les filles de France n'avaient souvent que 50 ou 60.000 francs (Conclusions du procureur du roi à la Bibl. nat., MSS. Dupuy 190, f° 81 v0, et fr. 19,871). Cependant la duchesse de Bourbon, sœur de Louis XI, avait reçu, elle aussi, une dot de 100.000 écus (Bibl. nat., mss Dupuy 196, f° 99, et fr. 19,871).

[85] Déposition de Jean Vigneron.

[86] Duclos, Histoire de Louis XI, t. II, p. 121.

[87] Publié par Léonard, Recueil des Traitez de paix..., p. 467, par Lenglet du Fresnoy, Mémoires de Ph. de Commines, t. III, p. 270, etc.

[88] Gallia Christiana, t. I, col. 1163.

[89] Qui quidem dominus dux, licet minoris etatis, ut prudens et sagax, supplendo in eodem deffectum, virtuose respondit se affectare et velle predictam dominam Johannam in uxorem sive sponsam habere et recipere. Lenglet du Fresnoy, Mémoires de Ph. de Commines, t. III, p. 275. Bibl. de l'Arsenal, Registre du chancelier Doriot (copie moderne), mss. 3843, f° 157-163, Bibl. nat., mss. Dupuy 751, f° 28.

[90] Le second notaire était un prêtre du diocèse de Comminges, curé de Soupresse, dans le diocèse d'Aire, Johannes de Aneuxis (ibid.).

[91] Lenglet du Fresnoy, Mémoires de Ph. de Commines, t. III, p. 345. Bibl. de l'Arsenal, mss. 3843, ff. 146-151.

[92] L'acceptation du sire de Beaujeu est datée du même jour, le 3 novembre 1473, et reproduit les termes mêmes dont s'était servi le roi. Expéd., orig. Bibl. nat., mss. Dupuy 581, f° 134.

[93] B. de Monvel, Etude historique sur la ville de Jargeau, p. 31-32.

[94] Les mêmes avantages étaient stipulés en faveur du sire de Beaujeu dans le contrat d'Anne.

[95] Lenglet du Fresnoy, Mémoires de Commines, t. III, p. 275 et s. — Mentionné par Léonard, p. 471.

[96] Déposition de Marie de Marcilly.

[97] Quasi sincopasavit.

[98] Récit de Mme de Segré, d'après la déposition du maréchal de Gié. Mais Mme de Segré existait encore en 1498, et pourtant elle ne parut pas au procès.

[99] Déposition de Rabaudanges.

[100] Voici le tableau de cette parenté :

Charles V

Charles VI.

Louis Ier, duc d'Orléans

Charles VII.

Charles d'Orléans.

 Louis XI.

Louis d'Orléans.

Jeanne de France.

 

[101] Blois dépendait alors de l'évêché de Chartres. L'évêché de Blois n'a été érigé qu'en 1697 (Gallia Christiana, VIII, col. 1343). L'évêque de Chartres était un ancien doyen du chapitre, nominé Milon (ibid., col. 1185).

[102] Isabeau de Beauvau, mariée en 1454 au comte de Vendôme, Jean de Bourbon (Arch. nat., K. K. 549, f° 139).

[103] Déposition d'Elis. Fricon.

[104] Déposition de G. de Villebresme. C'est pourquoi les chroniqueurs ne mentionnent que le roi de France et la reine d'Angleterre comme parrain et marraine (V. Lenglet du Fresnoy, Mémoires de Ph. de Commines, t. III, p. 176).

[105] Déposition d'Elis. Fricon.

[106] De son premier mariage avec Isabeau de France, il avait eu une fille, la duchesse d'Alençon ; de son second mariage avec Bonne d'Armagnac, il n'en avait point eu : Marie de Clèves lui avait donné deux filles, l'une qui épousa Jean de Foix, vicomte de Narbonne, et fut aïeule d'Henri IV ; l'autre abbesse de Fontevrault.

[107] Déposition de Marie de Marcilly.

[108] Déposition d'Elis. Fricon.

[109] Déposition de Marie de Marcilly.

[110] Déposition de G. Lambert. Ch. Chardon, qui était filleul du duc Charles et confesseur du jeune Louis, assure même que la duchesse à son tour fut obligée de menacer son fils pour le faire obéir. Elle aurait dit à Chardon qu'il était un de ceux qui empêchaient le duc d'obéir au roi et à sa mère ; qu'il prit bien garde à ce qu'il faisait, sinon il arriverait malheur au duc, à sa mère, à lui-même, à toute la maison (Déposition de Chardon.) Aussi a.t-on reproché à la duchesse d'Orléans d'avoir forcé son fils à obéir au roi. (Advertissement servant d'instruction pour le mariage de Louis XII..., Bibl. nat., mss. Dupuy, 581, f° 135 v°).

[111] Déposition de G. de Villebresme.

[112] Déposition de Rabaudanges.

[113] Louis XI, dont la défiance ne reculait devant aucune considération, avait fait arrêter le cardinal Légat en 1476.

[114] Déposition de G. Doulcet.

[115] Jean de Troyes.

[116] D'après l'ancien Inventaire des archives de l'évêché d'Albi, il y eut deux contrats, l'un rédigé au Plessis-lès-Tours, le 25 août, jour de la Saint-Louis, devant Louis XI ; l'autre le 28 août devant Marie de Clèves (Portef. de Lancelot., t. V).

[117] Ou Pellieu. V. Mile Dupont, Mémoires de Ph. de Commines, L. III, p. 138.

[118] Texte donné par Pierquin de Gembloux. Cet auteur indique ce texte, d'ailleurs fort incorrect, comme une copie « extraite des registres de l'église d'Alby, » dans le « Fonds de Saint-Germain, in-folio n° 638, » mais cette cote est inexacte.

[119] Jean de Troyes.

[120] François de Brilhac, ancien prieur du convent de Saint-Jean-de-Grave, à Blois, avait été élu à l'évêché d'Orléans le 25 mars 1476, à l'âge de trente-neuf ans. Il était, en outre, depuis 1468, abbé de l'abbaye bénédictine de Pontlevoy, près de Diois, alors dans le diocèse de Chartres (Gallia Christiana, t. VIII, col. 1386.)

[121] Geoffroy III, évêque de Chalons, de 1453 à 1503 (Gallia Christiana, t. IX, col. 895).

[122] C'était la procédure habituelle. C'est ce qui fait dire communément dans les textes de l'époque que Jeanne et Louis d'Orléans se marièrent deux fois : Cum bis in matrimonium data et nuptui tradita fuisset (Mss. de l’Annonciade, Summarium, p. 208.)

[123] Tel est du moins le récit de Fr. de Brilhac, mais il exagère. Il libella lui-même une dispense le même jour, le 8 septembre 1476, en vertu des pouvoirs qui lui avaient été concédés. Cette dispense existait dans les archives de l'évêché d'Albi. (Ancien Inventaire, Portefeuilles de Lancelot, t. V.)

[124] Déposition de Fr. de Brilhac.

[125] Elle en fit faire plus tard une chasuble. Vérification de 1739, Summarium de 1742, p. 131.

[126] Interrogatoire du roi.

[127] Mémoire de l'avocat de Jeanne, au procès.

[128] Déposition de Fr. de Brilhac.

[129] Dépositions de G. Calipel, Jean Vigneron, etc.

[130] Déposition de L. de la Palu.

[131] Déposition de Marie de Marcilly.

[132] Déposition d'Elis. Fricon.