Marie se déplaît à Édimbourg. — Elle se rend à Seaton malgré son deuil. — La cour continue de se livrer à tous les plaisirs. — Malveillance des ministres presbytériens. — Marie Stuart se compromet de plus en plus. — Douleur de la comtesse de Lennox. — Le comte de Lennox accuse Bothwell. — Partialité scandaleuse de Marie. — Procès de Bothwell. — Acquittement. — Enlèvement de la reine. — Bothwell la conduit au château de Dunbar. — Revenue à Édimbourg, elle déclare qu'elle pardonne à Bothwell. — Elle le crée duc d'Orkney. — Elle se décide à l'épouser. — Soulèvement de l'Écosse. — Lords confédérés. — Rencontre de leur armée et de celle de la reine à Carberry-Hill. — Cartel de Bothwell. — Sa fuite à Dunbar. — Marie prisonnière. — Insultes de l'armée et du peuple. — Marie conduite à Lochleven. — Captivité. — Le comte de Murray régent. — Bothwell au château de Malmö. — George Douglas. — Le petit Douglas. — Évasion de la reine. — Guerre civile. — Bataille de Langside.Marie n'eut pas la constance de rester enfermée quarante jours dans son palais tendu de noir, sans autre lumière que celle d'un flambeau, selon le cérémonial des reines d'Écosse devenues veuves. Dès la première soirée elle fit ouvrir ses fenêtres, et dès la seconde semaine elle s'en alla à Seaton, château du lord de ce nom. Bothwell l'y accompagna avec l'archevêque de Saint-André, les comtes d'Argill, de Huntly et de Lethington. Il n'y eut qu'un cri à Édimbourg. L'ambassadeur de France courut sur les traces de la reine et la lit revenir à Holyrood. Mais elle s'y ennuya et s'y déplut au milieu de tous ces citadins ennemis. Elle retourna bientôt à Seaton avec la cour. On y mena joyeuse vie. Ce ne furent que chasses aux faucons, tirs à l'arbalète, amusements de toute espèce, soupers exquis mêlés de chants, de musique, de vins de France. Ces soupers se prolongeaient bien avant dans la nuit. Les ministres que Knox avait laissés à Edimbourg, et que son âme agitait de loin, comme la tempête agite les arbres, exagéraient encore dans leurs récits ce qui se passait à Seaton. Ils disaient que la cour se plongeait de plus en plus dans toutes les voluptés et dans toutes les ivresses. Ils racontaient des excursions amoureuses de la reine sur les brigantins de Guillaume et d'Edmond Blakater, de Léonard Robertson et de Thomas Dikson, pirates dévoués à Bothwell, avec qui elle s'embarquait sans souci de l'opinion de son peuple et des jugements de Dieu. Ils ajoutaient tout bas, et les cheveux se dressaient sur toutes les têtes, comment l'appartement de Bothwell communiquait, par un escalier dérobé, à l'appartement de Marie, et quelles nuits de débauche terminaient des journées de délices. Ces récits, quelquefois vrais, souvent faux ou exagérés, ulcéraient les cœurs et ameutaient les haines populaires contre Marie. Elle semblait du reste chercher toutes les occasions de se nuire à elle-même. Elle n'avait pas craint de voir le cadavre de celui qui fut son époux et qui l'avait tant aimée. Le mort, selon la superstition du moyen âge, ne tressaillit pas et ne vomit pas l'écume, ainsi qu'il arriva lorsque Richard Cœur de lion, après sa révolte, vint s'agenouiller au tombeau de son père. Non, Marie put regarder froidement le pâle Darnley, il demeura immobile ; mais toute conscience murmura contre la reine. Elle ne manifesta ni douleur, ni plaisir. Elle fit enterrer Darnley sans pompe près de Riccio, comme si elle dit voulu donner satisfaction à son favori, en lui envoyant pour compagnon silencieux lé prince qui avait été son assassin. Le crime de Bothwell et de ses complices remplit l'Écosse d'effroi et d'indignation. L'Europe même s'émut. Elle s'efforça de séparer la cause de Marie de celle du meurtrier. Mais Marie ne le permit pas. Après avoir immolé son honneur et sa conscience à celui qu'elle aimait, elle lui sacrifia sa renommée. C'était le démon du Midi transporté dans le Nord, Astarté avec toutes ses ardeurs et tous ses philtres sous les lambris féodaux d'Holyrood. La comtesse de Lennox expiait à la Tour de Londres le mariage de son fils. C'est là qu'elle reçut l'affreuse nouvelle. Son cœur faillit se briser. Il existe encore une lettre de Cecil à sir Henry Norris, dans laquelle est retracée au vif cette grande douleur maternelle. Sa Majesté a envoyé hier milady Howard et ma femme à lady Lennox, afin de lui apprendre son malheur. On n'a pu la garantir, malgré tous les ménagements qui ont été pris, du désespoir où ce crime horrible devait la plonger. Le doyen de Westminster et le docteur Hinck sont restés avec elle cette nuit dernière. J'espère que Sa Majesté sera touchée de compassion pour cette infortunée lady, à laquelle nulle créature humaine ne peut refuser un sentiment de pitié. Le 24 mars 1567, le père de Darnley, le comte de Lennox, non moins désolé que la comtesse sa femme, accusa Bothwell de régicide. On s'empressa de convoquer le tribunal et de fixer le jugement au 12 avril. Le comte de Lennox sollicita un délai plus long, afin de rassembler ses preuves et de mieux démontrer la culpabilité de l'accusé. On rejeta cette demande si juste, et la date du 12 avril fut maintenue. Ce jour-là, dès le matin, la Tolbooth, un prétoire et une prison à la fois, un sombre et double monument, fut entourée par trois cents arquebusiers. Le comte de Bothwell parut dans Édimbourg étonnée, à la tête de cinq mille boulines d'armes que sa faveur avait réunis. Marie, en cette conjoncture, n'épargna ni argent, ni promesses, ni encouragements. Les plus puissants seigneurs s'exécutèrent de bonne grâce, les uns par ambition, les autres par cupidité, quelques-uns par crainte. La terreur inspirée d'abord par Bothwell et sa bande avait redoublé. Elle régnait dans le château d'Holyrood, dans les rues, dans la salle où siégeaient les jurés, tous choisis parmi la haute noblesse, et présidés par le grand justicier du royaume, le comte d'Argill. Bothwell se rendit à la Tolbooth, entre Maitland et Morton, monté sur un magnifique cheval harnaché et caparaçonné comme celui d'un roi. C'était un don de Marie. Un frisson d'horreur courut dans la multitude, quand elle eut reconnu que le cheval avait appartenu au pauvre Henri Darnley. Bothwell passa sur la place du château. La reine, d'une des fenêtres de sa tour où elle était avec ses dames, lui fit un geste de tendresse que du Croc, l'ambassadeur de France, surprit avec déplaisir. Le comte, en arrivant au tribunal avec sa suite, trouva ses amis et ceux de la reine qui en remplissaient tous les abords, toutes les salles. Il se présenta fièrement à ses juges, et, après les avoir salués, il dirigea ses regards, en souriant ironiquement, vers le fauteuil réservé à son accusateur. Ce fauteuil était vide. Le malheureux Lennox, averti de l'appareil de forces déployé par son ennemi, s'abstint de paraître. Seulement un de ses vassaux se leva, protesta au nom de son maître, et réclama un ajournement. Un juré appuya le sursis d'une voix faible. Tous ses collègues étaient gagnés. ou intimidés. Ils n'accédèrent pas à ce vœu d'un père si indignement outragé et bravé. Ils violèrent toutes les lois divines et humaines, la nature et l'équité tout ensemble, en prononçant un verdict d'acquittement. Il y eut dans le texte du jugement une sorte d'ambiguïté et d'hésitation où la honte se trahissait. Le jury déclarait que là où il n'y avait pas d'accusateur, il ne pouvait y avoir de 'condamné. Odieux sophisme pour échapper à la nécessité, à la convenance d'un sursis contre un scélérat effronté que tous, même ses partisans avoués, déclaraient entre eux coupable du régicide. Bothwell, dont l'audace croissait avec l'impunité et avec l'amour désordonné de Marie, profita de tous ses avantages. Il engagea la reine à confirmer les donations faites précédemment aux nobles de son royaume, notamment à Murray et à lui-même. Il rassembla quelques jours après les principaux seigneurs de la cour à la taverne d'Ansley, où l'hydromel, le vin et l'hypocras, coulèrent en abondance dans de grands hanaps écossais d'or et d'argent. Les convives étaient illustres. On y remarquait au premier rang Morton, Maitland, Argill, Huntly, Cassilis, Sutherland, Glencairn, Roches, Caithness, Herries, Hume, Boyd, Seaton et Sainclair. Soit peur, soit haine, soit calculs personnels, soit lâche complaisance, ils signèrent un écrit où ils désignaient pour époux à la reine l'infâme Bothwell, qu'ils déclaraient innocent du meurtre de Darnley. Murray, l'homme le plus éminent de sa patrie, se rendit à Saint-André la veille du crime, et au milieu des préliminaires que nous racontons, la rougeur au visage, il lit avec l'agrément de sa sœur un voyage en France. Il échappa donc deux fois aux horreurs de l'assassinat et au spectacle des noces maudites. La haute considération dont il était investi s'accrut de cette vertu ou plutôt de cette habileté. La reine est folle, écrivait à cette époque la main la plus chevaleresque de l'Europe (Kirkcaldy de Grange) au duc de Bedford, les nobles sont esclaves, tout ce qui est corrompu domine maintenant à la cour. Dieu puisse nous délivrer ! Bientôt la reine épousera Bothwell. Sa passion pour lui a bu toute honte. Peu m'importe, disoit-elle hier, que je perde pour lui France, Ecosse et Angleterre. Plutôt que de le quitter, j'irai au bout du monde avec lui en jupon blanc. De Grange écrivait une seconde fois au duc de Bedford : La reine ne s'arrêtera pas qu'elle n'ait ruiné tout ce qui est honnête ici. On lui a persuadé de se laisser enlever par Bothwell pour accomplir plus tôt leur mariage. C'étoit chose concertée entre eux avant le meurtre de Darnley, dont elle est la conseillère, et son amant l'exécuteur. Beaucoup voudroient venger l'assassinat ; mais on redoute votre reine. On me presse de me charger de la vengeance ; et de deux choses l'une, ou je le vengerai, ou je quitterai le pays. Les choses aplanies par sa noblesse, la reine alla le 21 avril à Stirling, où résidait le jeune prince confié aux soins du comte de Marr. Le comte de Marr était l'homme le plus consciencieux de la cour, et la reine l'avait désigné entre tous pour gouverneur de son fils. Au comble de ses dérèglements, la tendresse de Marie pour Jacques, quoi qu'on ait dit, était demeurée entière. Pendant son séjour à Stirling elle le recommanda de nouveau à toutes les sollicitudes du comte, elle le recommanda comme son plus cher joïau et fit promettre au gouverneur de ne le délivrer sinon du consentement exprès de la reine. Sans s'expliquer bien nettement ses craintes obscures, elle prit ainsi ses sûretés contre les exigences et les desseins possibles de Bothwell. Tranquille comme mère, elle ne se ménagea pas comme femme et Comme reine. Elle se disposait d'avance à son enlèvement. Quant à jouer mon personnage, écrivait-elle à Bothwell, je sçais comme je m'y dois gouverner, me souvenant de la façon que les choses ont été délibérées. Il me semble que votre long service et la grande amitié et faveur que vous portent les seigneurs méritent bien que vous obteniez pardon, encore qu'en ceci vous vous avanciez par-dessus le devoir d'un sujet.... La reine quitta Stirling le 24 avril pour retourner à Édimbourg. Elle rencontra Bothwell près d'Almond Bridge, à l'endroit juste où Jacques V avait mené à bien l'une de ses aventures les plus romanesques el les plus périlleuses. Moins heureuse que son père, Marie continua de perdre son honneur là où Jacques avait failli perdre la vie. Bothwell menait mille cavaliers. Il ordonne d'entourer et de désarmer la faible escorte de la reine. Lui-même s'avance vers elle, s'incline avec grâce et saisit la bride du cheval de Marie. Malgré son bouillant courage, elle garde le silence et ne laisse pas échapper une exclamation soit de surprise, soit d'indignation. Huntly, Maitland et Jacques Melvil faisaient partie de la suite royale. Nous fûmes, dit Melvil, investis.... (tous trois). On laissa aux autres la faculté de s'en aller. Dès ce moment, le comte dit qu'il épouserait la reine quand même tout le inonde et elle-même s'y opposeraient. Le capitaine Blakater, dont j'étais le captif, me dit que tout cela se faisait du consentement de la reine. Le lendemain, j'eus la liberté de me retirer chez moi. Le comte de Bothwell regagna la route chu château de Dunbar où il commandait. Il dirigeait d'une main son cheval, et de l'autre le cheval de Marie. Le comte avait, en s'adressant à elle, un air d'intelligence, de courtoisie et de triomphe modeste. Il se penchait avec une hardiesse respectueuse pour lui parler, et Marie l'écoutait en souriant. Elle était richement vêtue, dans toute la majesté d'une reine et dans toute la coquetterie d'une jeune femme. Le comte s'était paré, pour cette expédition, avec une élégance militaire. Les plus rares dentelles de Malines plissées à son cou retombaient sur son pourpoint de satin. Son manteau court, à la dernière mode, était doublé de fourrure de Russie. Sa toque de velours vert, surmontée d'une plume de héron, brillait de trois rangs de perles qu'il tenait de la magnificence de la reine. Ses bottes de cuir jaune étaient ornées des éperons d'or des chevaliers. Il portait, suspendue à un baudrier étincelant de pierres précieuses, une épée héréditaire rougie de sang anglais, l'épée de son grand-père le comte Adam Hepburn de Bothwell, qui périt en héros à la bataille de Flodden, et dont le corps fut trouvé percé de trente blessures à côté du cadavre de Jacques IV, son suzerain, qu'il avait défendu jusqu'au dernier soupir. Marie se laissait conduire avec bonheur. La flamme vive qui rayonnait de ses yeux n'était pas celle de la colère. Elle passa dix jours avec Bothwell au château de Dunbar. La reine ne fut ramenée à Édimbourg que le 3 mai. Le 8 mai, Kirkcaldy de Grange écrivit encore au duc de Bedford. Il lui annonça que la plupart des convives de la taverne d'Ansley, désavouant leur assentiment aux projets de Bothwell, s'étaient assemblés à Stirling, et que là, dans cette capitale du jeune prince, ils avaient juré de dégager leur honneur. Les principaux de cette ligue étaient les comtes d'Argill, de Morton, d'Atholl et de Marr ; les comtes de Glencairn, de Cassilis, de Montrose, de Caithness ; les lords Boyd, Ruthven, Gray, Lindsey, Hume et quelques autres. Les points convenus entre eux, ajoutait de Grange, sont : d'abord de délivrer la reine des mains de Bothwell qui a les places fortes, les munitions et commande aux hommes de guerre ; ensuite de s'emparer de la personne du prince pour veiller à sa sûreté ; enfin, de poursuivre les meurtriers du roi. Ils se sont engagés, pour obtenir ces trois choses, à risquer leurs vies et leurs biens. Ils m'ont invité à m'adresser à Votre Seigneurie, pour qu'ils puissent avoir l'assistance de votre souveraine dans la poursuite de ce cruel meurtrier, qui, durant la dernière venue de la reine à Stirling, suborna quelques personnes pour empoisonner le prince.... Les seigneurs coalisés flottaient entre la France et l'Angleterre. Du Croc, sentant que Marie ne représentait plus l'Écosse, se tournait à demi, malgré sa prudence, vers les confédérés, afin de préserver l'influence de sa cour, et de sauver plus tard la reine elle-même. Il disputait un à un les seigneurs écossais à Bedford, par des menées sourdes, par des offres d'argent, de titres, de rubans. Les confédérés ne découragèrent pas du Croc. Ils agissaient avec lui dans la prévision où Bedford leur manquerait. Mais ils évitaient de s'engager. Car, au fond, ils préféraient de beaucoup l'alliance de leurs puissants voisins à celle des Français. La religion et le territoire, ces deux éloignements entre la France et l'Écosse, étaient deux proximités entre l'Écosse et l'Angleterre. Élisabeth, effarouchée d'abord par l'audace de lord de Grange et par la révolte des seigneurs contre leur reine, inclina peu à peu à les soutenir. Pendant que cet orage se formait et que les confédérés parcouraient leurs fiefs, afin de préparer leurs vassaux à la guerre civile, le 12 mai, Marie déclara devant les lords de la session qu'elle avait entièrement recouvré sa liberté, et qu'elle pardonnait à Bothwell la violence qu'il avait exercée sur sa personne. Comme témoignage de sa clémence royale, elle le créa duc d'Orkney, et elle fixa au 15 mai l'époque de son mariage. L'Écosse fut épouvantée de tant de perfidie et de tant d'audace. La reine brava tout, soit mépris de l'opinion, soit vertige de l'amour, soit que son cœur, éperdu de désirs et inassouvi, trouvât une âpre volupté dans cet immense scandale, soit que la pudeur même du crime lui fût impossible. Bothwell, nous l'avons dit, était marié. Il avait trois femmes. Il n'y en avait qu'une de haut rang, la sœur de lord Huntly. Marie était jalouse ; elle se comparait à lady Gordon. Pour écraser sa rivale, les lettres ne lui suffisant pas, elle avait recours à la poésie. VI. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ses paroles fardées, Ses pleurs, ses plaincts remplis de fiction, Et ses hauts cris et lamentation, Ont tant gagné, que par vous sont gardées Ses lettr' escrit' ausquels vous donnez foy ; Et si l'aymez, et croyez plus que moy. VII. Vous la croyez, las ! trop je l'apperceoy, Et vous doubtez de ma ferme constance, Ô mon seul bien et ma seule espérance ! Et ne vous puis asseurer de ma foy. Vous m'estimez légère que je voy, Et si n'avez en moy nulle asseurance, Et soupçonnez mon cœur sans apparence, Vous défiant à trop grand tort de moy. Vous ignorez l'amour que je vous porte, Vous soupçonnez qu'aultre amour me transporte, Vous estimez mes paroles du vent, Vous dépeignez de cire, las ! mon cœur, Vous me pensez femme sans jugement, Et tout cela augmente mon ardeur. VIII. Mon amour croist, et plus en plus croistra, Tant que vivray. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bothwell n'était pas si épris de sa femme que Marie le craignait. Il était surtout amoureux d'une couronne. Il gagna le comte de Huntly, qui pressa lui-même sa sœur d'accuser Bothwell d'adultère. Bothwell, au comble de ses vœux, se frappa la poitrine, s'avoua coupable ; et le 7 mai, il obtint le divorce sous ce prétexte hypocrite. Tout allait donc à souhait pour l'immortelle honte de Marie Stuart. Les deux autres femmes que Bothwell avait séduites par un semblant de sacrement ayant été éloignées, il fut enjoint à Craig, l'un des ministres d'Édimbourg, de publier les bans de la reine et du duc d'Orkney. Craig, émule et collègue de Knox, était né, ainsi que le réformateur, au milieu de ces montagnes d'Ecosse, où les courages croissent comme les arbres noueux, et où les caractères se tiennent debout comme les blocs de granit. Il résista. Mandé devant le conseil privé, il justifia sa détermination. Sommé d'annoncer le mariage, il monta en chaire, obéit ; puis, après avoir rendu compte de sa conduite au peuple assemblé, il ajouta : .... Je prends le ciel et la terre à témoin que j'abhorre, que je déteste ce mariage, aussi scandaleux qu'abominable aux yeux du genre humain. Mais puisque les grands, comme je m'en aperçois, autorisent cette union par leurs flatteries ou leur silence, je conjure tous les fidèles d'adresser leurs prières ferventes au Tout-Puissant pour qu'une résolution formée contre toutes les lois, la raison et la conscience, puisse, par la miséricorde divine, ne pas tourner à la ruine de la religion et du royaume ! Cité encore une fois devant le conseil pour ces paroles, Craig soutint ce second interrogatoire avec une fermeté si héroïque, avec une audace si sainte, que ses juges, dans l'effroi de l'opinion publique, n'osèrent le condamner. Tout étant préparé, le 15 mai 1567, Marie vint en personne à la cour de justice, et déclara qu'elle voulait s'unir au duc d'Orkney. Il n'y avait plus aucun obstacle légal. La cérémonie des noces se fit de très-grand matin, selon le rite réformé, dans l'une des salles du palais d'Holyrood. Marie, la nièce des Guise, la princesse catholique, épousa, sans dispense du pape, un homme perdu de dettes, de crimes et de vices, un homme qui avait trois femmes et qui était protestant. Au moment de la célébration, un oiseau noir frôla de son aile une des fenêtres ; ce que tout le monde remarqua, et ce que presbytériens et catholiques interprétèrent à mauvais présage. Les remords avaient déjà sans doute déchiré Marie. Son repentir commença sûrement avant ce jour néfaste. Mais il était trop tard pour reculer. Bu Croc, qui avait refusé d'assister à cette cérémonie impie, fut mandé chez la reine quelques heures après qu'elle eut élevé Bothwell au trône. On apprit à l'ambassadeur de France, à son arrivée, qu'une scène terrible avait éclaté, la veille, dans les cabinets intérieurs. Bothwell avait voulu parler en maitre, et la reine avait résisté. Poussée à bout, elle s'était emportée aux dernières violences, et elle avait demandé à cris aigus un poignard pour se tuer. Je m'aperçus d'une estrange façon entre elle et son mary, écrit du Croc ; ce qu'elle me vollut excuser, disant que si je la voyois triste, c'estoit pour ce qu'elle ne voulloit se réjouir, comme elle dit ne le faire jamais, ne désirant que la mort. Du Croc se tait sur le point formidable de cette discussion, tyrannique d'une part, inébranlable de l'autre. Marie aimait encore éperdument Bothwell, qui exerçait sur elle une influence ou plutôt une fascination si absolue, que les contemporains n'ont su l'expliquer par aucune autre cause que la sorcellerie. Cette fascination se brisa contre un sentiment. Bothwell avait trouvé dans Marie la femme facile à l'amour, la reine souple à toutes les compromissions, l'épouse accessible même à la pensée de l'assassinat ; mais il trouva la mère armée de tout son cœur et si invincible, qu'il se vit contraint de céder. Il avait témoigné le désir d'avoir le jeune prince en sa puissance, et c'est contre cette prétention sinistre que Marie se roidit dans un effort désespéré, triomphant. Bothwell, ne pouvant renverser l'obstacle de la volonté maternelle, dissimula et attendit tout de l'avenir. Il lui échappait parfois des paroles redoutables. Il se vantait de laisser une lignée de rois. Le comte de Marr, gouverneur de Jacques, et qui nourrissait contre Bothwell la haine vigoureuse d'un homme de bien contre un scélérat tout-puissant, prit de plus en plus ombrage des projets du meurtrier de Darnley. Il craignit que le bourreau du père ne devînt le bourreau du fils. Il ne balança point à ranimer d'un souffle puissant la ligue des seigneurs mécontents de l'élévation de Bothwell. Celui de tous les lords qui seconda le mieux le comte de Marr, et qui donna le plus de prestige à la ligue, fut Kirkcaldy de Grange. Il était généreux, humain, fier avec les nobles, doux aux vaincus, secourable aux faibles. Toutes les luttes qu'il soutint si héroïquement dans les guerres civiles n'étirent qu'une cause : sa piété pour les opprimés. Il avait soif de la justice et du dévouement. C'était, du reste, un homme de guerre accompli. D'une taille admirable, d'une santé de fer, endurci aux fatigues, il supportait gaiement les rudes travaux, la faim, les insomnies. Ses campagnes sur le continent avaient attiré sur lui l'attention de toute l'Europe. Il était estimé des princes, des généraux. C'est l'un des plus vaillants hommes de la chrétienté, disait Henri II. Ce roi guerrier le citait sans cesse à ses courtisans comme un modèle. Il se plaisait à regarder lancer le javelot ou tirer de l'arc par de Grange, à qui tous les exercices étaient familiers, et qui n'avait pas d'égal dans la variété de ses aptitudes militaires. Les deux passions de Kirkcaldy furent l'amitié et la gloire. Dès sa jeunesse, lié à Norman Lesly, son complice du coup de main contre l'archevêque de Saint-André, il s'enferma avec lui dans le château après la mort du prélat, et ils le défendirent avec un héroïsme que l'histoire a célébré. Emmenés captifs en France, puis rendus à la liberté, ils suivirent à la guerre le duc de Guise et le connétable de Montmorency. De Grange fut encouragé et loué par ces deux illustres capitaines. Norman Lesly, qu'il aimait de toutes les forces de son cœur, périt très-jeune. Le connétable voulait surprendre Renty. Averti par ses espions, Charles-Quint accourut avec toute son armée pour protéger cette place. Le connétable, le duc de Guise et l'amiral de Coligny battirent les Impériaux, mais ils furent obligés de lever le siège de Renty. Dans les escarmouches qui précédèrent la bataille, Norman Lesly s'avança sur un magnifique cheval. Il avait revêtu ses habits de fête et pris ses plus belles armes. Il conduisait trente aventuriers. Il salua en passant le duc de Guise, et s'élança vers une colline contre une troupe nombreuse de cavaliers ennemis. Abandonné au premier choc par les siens, il demeura avec sept braves seulement au milieu d'une mêlée furieuse. Il tua cinq ennemis de sa main, puis il se fit jour l'épée au poing, et vint tomber mourant avec son cheval à quelques pas du connétable émerveillé d'une telle intrépidité. De Grange survint. Norman lui sourit et parut un moment ranimé. Mais il perdit bientôt connaissance. Le roi ordonna de le transporter dans sa propre tente, et le fit panser par ses chirurgiens. Tous les soins furent inutiles. Il expira quelques jours après dans les bras de son cher de Grange, son meilleur ami et son émule en courage. De Grange, au désespoir, fit des prodiges de valeur pendant le reste de la campagne. Rien ne pouvait dissiper sa douleur que l'émotion du combat. Il y allait serein, mais il en revenait triste. M. le connétable lui fit un jour cet honneur d'entrer sous sa tente, et cette voix rude, austère, essaya de consoler le jeune Écossais. De Grange était admiré de tous les gentilshommes de France et particulièrement aimé du duc de Guise, qui disait : Ce bon soldat sera un bon capitaine, car il a le cœur chaud, le bras prompt et la tête froide. De retour en Écosse, il se distingua contre les Anglais dans les guerres des Marches. Il vainquit un jour en combat singulier le frère du comte de Rivers à la vue des deux armées, qui suspendirent leurs opérations pour assister à ce grand duel. Il fut l'idole de cette nation mobile et belliqueuse de maraudeurs qui, de la rive écossaise, grondait plus haut que la Tweed contre la rive fertile de la vieille Angleterre, sans pouvoir jamais ni la respecter ni la conquérir. Il devint le chef épique du Border, l'effroi de Berwick, l'Achille chrétien de cette Iliade féodale et continue des frontières. Tel, était de Grange, désintéressé, brave entre tous, adoré des soldats et de l'Écosse, honoré des princes et des peuples du continent. Le malheur de Marie Stuart fut de rencontrer toujours au-dessus de sa vie une idée sérieuse, impitoyable, et dans sa vie, des hommes de fer et de foi. Nulle séduction ne pouvait assouplir cette idée ni apprivoiser ces hommes. Le fanatisme des uns devait heurter le fanatisme des autres, et faire éclore la guerre civile. Il est vrai que la guerre civile participait de la grandeur des deux causes qui luttaient avec tant d'héroïsme et de férocité. Quelque chose de chevaleresque parmi les partisans de la reine, et je ne sais quoi d'inspiré chez les enthousiastes de la réforme, communiquaient à ces guerres un aspect imposant et sacré ! Plusieurs combattaient pour des intérêts privés, et l'ambition n'était pas étrangère aux patriciens ; mais les masses combattaient pour l'Évangile, et leur dévouement était sincère comme leur conviction. En Écosse, aussi bien qu'en Allemagne et en France, Dieu était au fond du cœur et du sang de ce siècle, dont c'est là l'impérissable gloire, la sombre sublimité. Temps héroïques et religieux, à envier encore plus qu'à plaindre, où chaque homme vivait et mourait pour sa vérité ! La guerre civile est cruelle, elle est le déchirement de toutes les affections de la famille et de la patrie ; mais sa beauté, dans ces grandes époques dont j'écris une faible page, c'est d'être électrique comme la conscience et sainte comme le sacrifice. Où trouver un plus noble appel que celui des seigneurs écossais à leurs clans des montagnes et à leurs amis de la plaine ? Lindsey vous salue, Morish-Thomas Chattan ; Lindsey vous requiert, au nom du ciel, de prendre les armes avec luy pour votre Église et vos droits. Voilà les rudes ennemis que Marie, cette princesse coupable, cette femme charmante, avait à combattre. Un frisson de peur glaça la présomption de Bothwell et la témérité étourdie de la reine. Les lords confédérés réunirent plus de trois mille hommes sous leurs bannières. Leur prise d'armes fut si soudaine et ils entrèrent si vite en campagne, qu'ils faillirent surprendre Bothwell et la reine au milieu d'une fête que le comte de Borthwick leur donnait dans son château. Lord Hume qui, le premier, s'était lancé en avant avec ses vassaux, n'eut pas assez de troupes pour investir toutes les issues du château, et Bothwell, déguisé en ministre presbytérien, put s'échapper avec la reine qui avait revêtu des habits de page. Ils se réfugièrent à Dunbar, où ils assemblèrent précipitamment une armée. La reine ne voulut pas attendre les Hamilton qui lui amenaient un puissant secours. Accoutumée aux promptes expéditions, et trop confiante dans ses troupes, elle marcha résolument à la rencontre des confédérés qui s'avancèrent de leur côté sans hésitation. Les deux armées, à peu près égales en nombre, étaient en présence, le 15 juin 1567, à Carberry-Hill. Un ruisseau torrentueux les séparait. Les soldats des lords confédérés brûlaient du plus ardent fanatisme, et ils appelaient le combat comme le jugement de Dieu. Les soldats venus de Dunbar, entraînés par leurs seigneurs, avaient voué leurs bras à la reine, mais leurs cœurs étaient contre elle. Le comté de Bothwell ayant frappé de son gantelet un montagnard attardé, le highlander furieux lui lança une malédiction dans son dialecte, et se perdit au milieu des hommes de son clan. Bothwell, irrité, tira sa dague, et, ne découvrant pas l'insolent confondu dans une troupe nombreuse, il se blessa à la main gauche en remettant trop vivement la laine dans le fourreau. Son sang coula, et, quoique le comte feignit de ne point s'en apercevoir, cette circonstance ne parut pas de bon augure. D'autres symptômes alarmants d'indiscipline se manifestèrent. Bothwell, dit du Croc, qui chercha à jouer le rôle de conciliateur entre les deux partis sur le champ de bataille, Bothwell avoyt trois pièces de campagne. Il n'avoyt un seigneur de nom, et ne se pouvoyt asseurer de la moytié des siens. Et toutefois il ne s'estonna point. Et fault que je dise que je vis un grand cappitaine parler de grande asseurance, et qui conduisoit son armée gaillardement et sagement. Je m'y amusai assez longtemps, et jugeai qu'il auroyt du meilleur si ses gens luy estoient fidelles. Mais comme ils paraissaient flottants, Bothwell tenta de
les ramener par un trait d'audace. Il me prya de fort
grande affection, ajoute du Croc, de fayre tant pour mettre la royne hors du
trouble où il la voyoit, et aussy pour éviter l'effusion du sang, que je
prisse la peine de dire aux aultres — aux seigneurs confédérés — que s'il y en avoyt aulcun d'eux qui voullut sortir de la
troupe et se mettre entre les deux armées, encore qu'il eust espousé la
royne, pourvu que l'homme fust de quallité, il le combattroyt. L'ambassadeur, trop avisé pour accepter une mission qui l'aurait compromis, refusa poliment, afin de garder en apparence une même impartialité entre la reine et les seigneurs. Bothwell alors eut recours à un autre messager. Il défia les lords confédérés, leur déclarant qu'il était prêt à soutenir et à prouver son innocence par les armes contre le premier d'entre eux qui se présenterait. La réponse fut prompte. Kirkcaldy de Grange, le héros le plus brillant de l'armée, Murray de Tullybardin, un héros sectaire, et Lindsey de Byres, un héros barbare, un héros de clan, lui envoyèrent leurs gantelets. Dans cette occasion solennelle, il y eut une scène inattendue, touchante, qui impressionna vivement les imaginations, et dont les plus humbles soldats s'entretinrent longtemps. Le comte de Morton ayant manifesté le désir de se mesurer aussi avec Bothwell, Lindsey, le plus orgueilleux des lords, mit un genou en terre, et s'humilia ainsi devant Morton, le suppliant de lui céder son tour, à lui qui était proche parent de Lennox. Morton fit les choses en Douglas, avec la majesté et la magnificence de sa race. Il obtempéra de bonne grâce à la prière de Lindsey, et, en le relevant, il lui donna l'épée de son aïeul Archibald, comte d'Angus, cette terrible épée, célèbre dans les ballades à l'égal de son maître, qui n'en frappa jamais deux fois un ennemi. Lindsey la revêtit et n'en voulut plus d'autre. Il quitta la longue épée de ses aïeux pour celle du comte d'Angus, plus longue et plus lourde, qu'il porta sur l'épaule, et dont la poignée louchait à son cimier tandis que la pointe battait ses éperons. C'était une épée à deux mains, comme celle avec laquelle le roi Richard décapitait un lion d'un seul coup. Armé de pied en cap, Lindsey, qui avait aussi fléchi, en faveur de son droit de parenté, de Grange et Tullybardin, refusés d'ailleurs par Bothwell comme n'étant que barons, Lindsey rendit défi pour défi. Il se promena fièrement autour des tentes dans une sombre résolution, priant tout bas de sa voix rude, et disant : Seigneur, Dieu de David, faites-moi raison aujourd'hui de ce Goliath. Au lieu de s'honorer par un duel éclatant, qui pouvait devenir le signal d'une victoire ou l'occasion d'une chute glorieuse, Bothwell chercha sous de frivoles prétextes à éluder le combat, soit que, craignant tout du présent, espérant un peu de l'avenir, comptant sur les Hamilton et les autres seigneurs de son parti, il se réservât prudemment pour des temps meilleurs ; soit que le remords, la honte, l'ambition déçue lui eussent ôté le courage qu'il avait montré autrefois à la guerre ; soit plutôt qu'il se sentît impuissant, en cette heure suprême, contre les larmes de la reine, contre la colère de tout un peuple et de deux armées. Son épouvante ou ses calculs, autant qu'une habile évolution du laird de Grange sur le flanc de la colline de Carberry, achevèrent de démoraliser le camp de la reine. Les murmures sourds commencèrent, et avec eux les désertions. La reine comprit qu'il fallait se hâter, ou qu'il serait trop tard. Elle proposa une entrevue à Kirkcaldy de Grange, qui commandait les avant-postes des confédérés. Muni du sauf-conduit qu'elle lui avait envoyé, Kirkcaldy s'empressa d'obéir au vœu de la reine. La conférence s'engagea aussitôt. Tandis que de Grange exposait à Marie, dans un discours militaire mêlé d'éloquence et d'affection, la situation désespérée où elle se trouvait, Bothwell, qui était demeuré à quelque distance, ordonna de la voix et du geste à un soldat de sa garde d'ajuster ce traître. La reine et de Grange s'aperçurent du projet du comte. De Grange sourit de dédain, et la reine, courant à Bothwell, le supplia de ne pas violer le sauf-conduit qu'elle avait signé ; puis, retournant à Kirkcaldy qui l'attendait avec un calme héroïsme : Que faire ? lui demanda-t-elle. — Deux choses, madame : Séparer votre cause de celle du comte de Bothwell, et vous présenter avec confiance au milieu de nous. Vous rendre ainsi est moins dangereux que combattre. Une imprudence perdrait tout. Il ajouta qu'il allait consulter les lords confédérés, et qu'il rapporterait leur réponse à la reine. Pendant la courte éclipse de lord de Grange, Marie et le duc d'Orkney se rapprochèrent. Leur conversation eut lieu à cheval et dans le désordre de ce moment terrible. Des pleurs qu'elle cherchait à retenir roulaient sur les joues de la reine. Le duc, au milieu du chaos de mille passions, avait une expression farouche. La reine lui dit : Sauvez votre vie, il le faut pour moi. Nous nous reverrons dans un temps plus heureux. Le duc résista d'abord ; mais la reine insistant : Me garderez-vous fidélité, madame, comme à un mari et à un roi ? — Oui, dit la reine ; et, en signe de ma promesse, voici ma main. Le duc la saisit, la pressa dans une étreinte violente, et partit accompagné de douze cavaliers. Il arriva le premier de son escorte au château de Dunbar sur un genet d'Espagne, dont la rapidité le sauva. Le pauvre animal, essoufflé, épuisé, tomba mort en arrivant. Lord de Grange étant revenu, Marie se montra résignée, et se rendit aux conditions tracées par Kirkcaldy lui-même. De Grange était pénétré d'une respectueuse pitié. Il descendit de son cheval par une courtoisie généreuse qui le distinguait de la plupart de ses amis ; et, prenant la bride du cheval de la reine, il la conduisit en gentilhomme plus qu'en chef de parti au camp des lords confédérés. Marie, navrée dans son cœur, paraissait incertaine, inquiète. Sous les auspices de son noble guide, elle aborda les rebelles avec une dignité triste. Les premiers rangs l'accueillirent sans insulte ; mais au delà, elle s'avança au milieu des cris et des risées. Lord de Grange tira plusieurs fois son épée du fourreau pour arrêter les imprécations qui s'élevaient de toutes parts. Les soldats avaient des drapeaux qui représentaient Darnley mort, couché sous un arbre dans le verger, et Jacques à genoux, invoquant la colère divine avec ces paroles : Jugé et venge ma cause, ô Seigneur ! Dès que la reine passait près de l'un de ces drapeaux, on le lui portait au visage. Elle s'évanouit plusieurs fois. Menée ainsi à Édimbourg, elle traversa la ville à cheval dans un costume en désordre, la robe dénouée, le manteau déchiré, le front ruisselant, les yeux hagards, parmi les malédictions du peuple et les huées des soldats. Elle fut gardée chez le lord prévôt. La tapisserie de sa chambre, exécutée par des artistes d'Arras, si célèbres au XVIe siècle, représentait une grande chasse, et attira l'attention de Marie. Les chasseurs, dit-elle, ce sont mes rebelles, et ils ont pour gibier une reine. — Elle parut, raconte un contemporain, à sa fenêtre qui donnait sur Highgate, s'adressant au peuple d'une voix forte, et disant comme elle avait été jetée en prison et enlevée par ses propres sujets. Elle se présenta à cette fenêtre plusieurs fois, dans un misérable état, ses cheveux épars sur ses épaules et sur son sein, et la plus grande partie de son corps nue jusqu'à la ceinture. La même bannière outrageante fut déployée devant cette fenêtre, et acheva d'exaspérer la reine. Elle jura de ne pas laisser pierre sur pierre dans cette cité anarchique. Son exaltation n'avait pas de bornes. Elle s'agitait comme une lionne blessée et prise au piège. L'amour que la présence de Bothwell faisait quelquefois si âpre, les regrets de l'absence lui avaient rendu son charme infini. Les inquiétudes sur la vie, sur la sûreté du duc, les colères contre cette soldatesque et contre cette populace, l'humiliation de son honneur, la majesté violée, les lords devenus ses maîtres, et, par-dessus tout, les élans de son cœur, de son âme et de ses sens de feu, lui ôtaient toute faculté de dissimulation ou d'habileté. Elle sortait tout à coup de longs silences, et elle s'écriait : Traîtres et doubles traîtres à Dieu et à moi ! je vous ferai tous torturer, pendre et crucifier. Elle rudoya Ruthven de paroles, et touchant de la main le brassard de Lindsey : Par cette main royale, dit-elle, j'aurai votre tête pour ce jour ! Lethington essaya d'avoir un entretien avec Marie, dans l'intention de la subjuguer par sa jalousie même contre l'ancienne femme de Bothwell. Lethington ayant marché le long du corridor voisin de la
chambre de la reine, dans la maison du lord prévôt, la reine le reconnut à
travers un vitrage intérieur, et l'appela par son nom. C'est ce que voulait
Lethington. Marie releva un peu le vitrage, et, s'appuyant sur le châssis : —
De quel droit, dit-elle à Lethington, me tenez-vous captive, loin de mon mari, mon seul bien,
moi qui suis sa femme légitime et votre souveraine ? — Madame, reprit doucement Lethington, renoncez à ce malheureux. Nous sommes, nous, vos vrais
amis, et lui, il vous renie dans ses lettres à la sœur du comte de Huntly.
— Que contiennent-elles, ces lettres ?
s'écria Marie. — Elles expriment la plus vive tendresse pour la comtesse de
Bothwell. Le duc lui écrit qu'il l'aime toujours, qu'elle n'a pas cessé
d'être sa femme, et que la reine n'est que sa concubine. — Il a écrit cela ? dit Marie avec emportement. Ah ! si j'en étais sûre !... Mais non, reprit-elle en gémissant, vous êtes des imposteurs, et, non contents de me disputer
mon trône, vous cherchez à m'enlever mon amour. Et toutes les passions
de la reine se fondant en larmes, en attendrissement : — Lethington, dit-elle, mon
cher Lethington, toi qui as le don de persuader, parle aux lords, et dis-leur
que je leur pardonne à tous, s'ils consentent à me réunir sur un vaisseau
avec le duc, avec celui que j'ai épousé de leur aveu à Holyrood, et s'ils
nous laissent aller au hasard des flots où le vent et la fortune nous
conduiront. La diplomatie de Lethington s'étant brisée contre cette explosion de l'amour, il ne s'opposa plus aux desseins violents contre la reine. Elle se coucha quelques heures, et se releva pour écrire une longue lettre à Bothwell. Cette lettre, dans laquelle elle nommait le duc son cher cœur, fut interceptée, et les lords confédérés, redoutant peut-être un de ces brusques revirements de popularité que le malheur provoque, irrités d'ailleurs les uns de la tendresse, les autres des fureurs de la reine, se hâtèrent de la juger. Sa captivité fut résolue. Elle fut menée à Holyrood, où on lui permit une halte d'une heure ; puis elle repartit, sous une escorte de quatre cents hommes d'armes, pour le château de Lochleven. Morton et Atholl l'accompagnèrent à quelque distance, et furent remplacés dans cette séditieuse mission par Ruthven et par Lindsey. Indépendamment de ces quatre seigneurs, ceux qui signèrent l'ordre d'emprisonnement furent les comtes de Marr, de Glencairn, les lords Sempill, Graham, Sanquhar et Ochiltrée. Marie Stuart fut transférée dans le château de ce farouche Robert Douglas qui avait épousé la mère du comte de Murray. William Douglas, frère utérin de Murray et cousin de Morton, en était le seigneur depuis la mort de son père. Ce château situé sur le Lochleven, près de la plaine de Kinross, en face des derniers sommets du ben Lomond, ressemblait beaucoup à une forteresse, et les maîtres de cette demeure féodale étaient moins des hôtes que des geôliers. Lady Douglas, de l'illustre maison de Marr, et qui, par sa naissance autant que par sa beauté, pouvait prétendre à la main de Jacques V, son séducteur, n'avait jamais pardonné à Marie de Guise de lui avoir été préférée. Son fils bien-aimé, le régent, n'était que le fils de son déshonneur. Sa haine n'était pas éteinte après tant d'années, et elle allait poursuivre, par des persécutions cruelles, dans sa prisonnière, l'infortunée et auguste fille de sa rivale et de son amant. Une autre cause de l'animosité violente que nourrissait lady Douglas de Lochleven contre la reine, c'était le catholicisme. Marie le professait avec une ardeur qui blessait le fanatisme de lady Douglas, l'une des plus zélées enthousiastes de Knox et de sa doctrine. A ce moment de l'histoire d'Écosse, la commisération gagne jusqu'à du Croc, ce diplomate si impassible, si résolu à se tenir en équilibre, comme une balance, entre les partis, bien avec la reine, bien avec les seigneurs, l'homme des calculs et des temporisations. Un cri de pitié lui échappe enfin : Je prie Dieu qu'il conseille ce pauvre royaume, qui est aujourd'hui le plus affligé et tourmenté royaume que ce soyt soubs le ciel. Élisabeth, elle aussi, eut un instant d'émotion, non comme femme, mais comme reine. L'ébranlement du trône de Marie Stuart lui semblait une insulte à tous les trônes. Elle dépêcha Throckmorton en Écosse, pour négocier dans l'intérêt de Marie avec les lords confédérés. Throckmorton était un diplomate d'une habileté supérieure. Il tenta tout ce que peut tenter le génie de la conciliation ; mais il avait contre lui la politique des lords confédérés, l'opinion publique de l'Écosse et l'indomptable passion de Marie. Il écrivait d'Édimbourg, le 14 juillet 1567, à Élisabeth : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La reine d'Écosse est en bonne santé dans le château de Lochleven, gardée par le lord Lindsey, et Lochleven, propriétaire de ce lieu. Le lord Ruthven a été employé à une autre commission, parce qu'il commençoit à montrer beaucoup d'attachement pour la reine, et qu'il lui donnoit avis de ce qui se passoit. Elle est accompagnée de cinq ou six dames et de deux femmes de chambre, dont l'une est Françoise. Le comte de Buchan et le frère du comte de Murray ont aussi la liberté de la voir autant qu'ils le veulent. Les lords qui l'ont en garde la tiennent fort étroitement resserrée, et, autant que je puis l'apercevoir, la rigueur est exercée, parce que la reine ne veut point, à quelque prix que ce soit, donner l'ordre de poursuivre le meurtrier, ni acquiescer, quelque chose qu'on puisse lui représenter, à abandonner Bothwell et à le renier pour son mari ; qu'elle déclare constamment qu'elle veut vivre et mourir avec lui ; qu'elle dit que, s'il était à son choix d'abandonner la couronne et son royaume ou le lord Bothwell, elle abandonnerait son royaume et la couronne pour vivre avec lui, et qu'elle ne consentira jamais qu'il éprouve de mauvais traitements ni qu'il ait plus de mal qu'elle-même. ..... La principale cause de la détention, de la reine vient de ce que les lords voient cette vive affection-de sa Grâce pour Bothwell dans l'état où elle est actuellement, et qu'ils seroient obligés d'être continuellement sous les armes. Les lords pensent aussi que le divorce présente, à beaucoup d'égards, les mêmes inconvénients auxquels le mariage a déjà donné lieu, et qu'une séparation seroit impossible, si la reine étoit en liberté et si elle avoit en main le pouvoir. ..... Les plus marquants des lords qui sont ici seroient, à ce que je crois, portés à prendre les voies de douceur à l'égard de sa Grâce ; mais ils craignent la rage du peuple. Les femmes sont les plus effrontées et les plus furieuses contre la reine ; cependant les hommes, de leur côté, sont assez fous pour qu'un étranger qui voudroit trop s'en mêler pût, en un moment, devenir victime. ..... Knox n'est point à Édimbourg, il est dans la partie occidentale. Lui et les autres ministres doivent. se rendre ici à la grande assemblée. Je crains la sévérité.de cet homme pour la reine, autant que celle de qui que ce soit. Le 18 juillet, Throckmorton écrivait encore à Élisabeth : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . J'ai les moyens de lui faire savoir — à Marie Stuart — que Votre Majesté m'a envoyé ici pour la secourir. J'ai essayé aussi de lui persuader de se prêter à ce qu'on exigeoit d'elle ; savoir, de ne plus regarder Bothwell comme son mari, et d'obtempérer au divorce entre eux. Elle m'a fait dire qu'elle n'y adhérerait jamais, et qu'elle aimeroit mieux mourir. Elle se fonde sur cette raison qu'elle se croit grosse de six semaines, et qu'en renonçant à Bothwell elle se reconnoîtroit grosse d'un billard et avoir forfait à son honneur ; ce qu'elle ne voudroit jamais faire au péril de sa vie. M. Knox est arrivé. J'ai eu quelques conversations avec lui, ainsi qu'avec M. Craig, l'autre ministre de cette ville. Je les ai exhortés à prêcher et à conseiller les voies de douceur. Je n'ai trouvé en eux qu'austérité. Je ne sais pas ce qu'ils feront dans la suite. ..... On dit hautement parmi le peuple et parmi les gens de tous les états, que la reine n'a pas plus le droit de commettre un meurtre ou un adultère qu'aucun particulier, et qu'elle est également soumise en ces points aux lois divines et humaines. Irritée du refus des lords confédérés qui interdisaient à Throckmorton l'entrée de Lochleven, Élisabeth les jugeait sévèrement. Elle écrivit à son ambassadeur le 6 août : ..... Nous trouvons que leurs comportements et procédés envers leur reine surpassent tout le reste, et sont si extraordinaires, que nous ne pouvons pas nous empêcher de penser, et tout l'univers sans doute avec nous, qu'ils ont en ceci été bien an delà du devoir de sujets, et qu'il doit nécessairement en résulter sur eux une tache perpétuelle et ineffaçable. Throckmorton insinua aux principaux des nobles le mécontentement d'Élisabeth. Les lords s'excusèrent, et persistèrent à barrer le chemin à Throckmorton. Décidés à précipiter Marie d'un pouvoir qu'elle voulait partager avec Bothwell, leur ennemi, ils comprirent qu'il ne fallait pas donner à leur reine une force de plus en loi apprenant, par un négociateur aussi délié que Throckmorton, la bienveillance de l'Angleterre. Rebuté de nouveau, l'ambassadeur d'Élisabeth, sur l'ordre de sa maîtresse, s'adressa au parti des Hamilton. Il les encouragea à prendre les armes et à remettre Marie en liberté. Notre intention, lui écrivait Elisabeth, est que vous fassiez bien entendre aux Hamilton que nous approuvons leurs procédés — en ce qui concerne leur souveraine, par rapport à sa délivrance —, et que nous sommes disposée à faire, sur cc point, tout ce qu'il nous paroîtra raisonnable de faire pour la reine, notre sœur. Mais Élisabeth, Throckmorton et les amis de Marie Stuart furent alors impuissants. Édimbourg et toute l'Écosse étaient en feu. Knox et les ministres soulevaient les fureurs de la multitude contre le meurtre et l'adultère. Les nobles se liguaient pour empêcher à tout prix la réhabilitation de Bothwell et les vengeances qui auraient suivi une restauration de la reine et de son audacieux complice. Nommés pour gouverner le royaume par intérim, les lords du conseil agitèrent le sort de Marie Stuart. Plusieurs proposèrent des mesures extrêmes, et voulaient condamner Marie pour l'assassinat de Darnley. La majorité inclina à une décision moins rigoureuse. Elle conclut à dépouiller Marie de la royauté dont elle s'était rendue indigne. Elle était alors tellement tombée dans l'estime de l'Europe, le mépris universel l'avait tellement découronnée, que du Croc, l'ambassadeur des Guise autant que du roi de France, s'entendit avec les lords du conseil pour sauver le trône des Stuarts en l'assurant à Jacques VI. Ils députèrent à la reine Ruthven, Melvil et Lindsey, afin de la plier à leurs desseins. Marie, avertie par Throckmorton que tout ce qu'elle promettrait dans sa prison ne l'engagerait point, céda aux injonctions de ses ennemis. Sir Robert Melvil, en qui elle avait foi, lui parla secrètement dans le sens de Throckmorton. Ruthven, dont le père s'était si barbarement signalé dans l'assassinat de Riccio, était absent ce jour-là, malgré le témoignage contraire de quelques historiens. C'est Lindsey qui présenta la plume à la reine, et qui la pressa de tracer son nom au bas des actes qui lui étaient imposés. Il ajouta violemment et avec un accent qui fit tressaillir Marie, que c'était le seul moyen de racheter sa tête. Comme elle hésitait, il avança la main, et du même gantelet de fer qu'il avait envoyé de la colline de Carberry à Bothwell en signe de défi, il serra jusqu'à le meurtrir le bras dee la reine trop lente à signer. Ce fut le 24 juillet 1567 que Marie Stuart, brutalement contrainte, abdiqua en faveur de son fils, et nomma régent le comte de Murray. Le jeune prince fut reconnu roi et sacré le 29 à Stirling. Le comte de Marr le tenait dans ses bras pendant la cérémonie. Le comte de Morton à droite, le comte d'Athol à gauche, portaient l'un le sceptre, l'autre la couronne ornée du chardon. L'épée était aux mains de lord Glencairn. Knox, sorti depuis quelque temps de sa retraite, prêcha. Dans un sermon véhément, il déchaîna sur l'assemblée et sur l'Écosse tous les orages de sa solitude, il secoua toutes les torches de son fanatisme politique et religieux. Murray, qui avait quitté précipitamment la France, se rendit à Londres, où il conféra avec les ministres d'Élisabeth. Le 11 août, il était à Édimbourg. Sûr d'être élevé à la régence par les lords presbytériens, il ne dédaigna pas de donner à son droit une sanction de plus : le vœu spontané de la reine captive. U la visita à Lochleven. Marie, qui l'aimait encore, l'accueillit comme une espérance. Murray, dans les deux premières entrevues qu'il eut avec elle, fut sévère jusqu'à la dureté ; dans la troisième il parut s'attendrir ; et la reine, touchée, lui demanda tout en larmes d'accepter la régence. Elle l'en supplia en son nom et au nom de son fils. Alors Murray s'engagea à subir ce triste fardeau du pouvoir par dévouement pour elle et pour le jeune roi. Marie se crut salivée, en échappant à l'autorité du conseil qui aurait gouverné si Murray eût refusé la régence, et Murray, heureux de son stratagème profond, s'empara de la dictature qui aurait écrasé tout autre que lui. Il s'empressa de la légitimer auprès des nobles, en déclarant qu'il la tenait de leur confiance ; auprès des puissances étrangères, en alléguant qu'il avait fléchi aux prières de sa sœur ; auprès du clergé presbytérien et du peuple, en jurant qu'il n'oublierait pas son premier devoir qui était envers l'Évangile. ..... J'aurai soin, écrivait-il dans une proclamation célèbre, de chasser du royaume d'Écosse et de ses dépendances, tous les hérétiques et ennemis de la véritable religion du Christ. Pendant que ces événements s'accomplissaient à Lochleven et à Édimbourg, Bothwell se réfugia dans les Schetland. Traqué par Kirkcaldy de Grange et par la haine écossaise, il recommença son ancien métier de corsaire. La mer du Nord le revit sur son brick redouté. Il fut pris enfin dans un dernier tombât, dans un combat acharné, au milieu d'une tempête. Bothwell, son brigantin démâté, ses canons éteints, s'obstina contre les éléments, contre les ennemis et contre le sort. Il répondit longtemps à une formidable artillerie, par une fusillade de plus en plus faible. Ce fut seulement quand il n'y eut plus d'espoir que blessé, sanglant, il baissa son pavillon noir de pirate devant le drapeau rouge étoilé de la croix blanche, pavillon glorieux du Danemark. Il fut condamné à une prison perpétuelle. Selon le mode le plus ignominieux de la dégradation des chevaliers, le bourreau brisa à coups de hache les éperons de Bothwell, qui fut enfermé entre les quatre murs du château de Malmö, seul avec sa conscience et ses souvenirs, dénué de toute consolation, privé même d'un serviteur. Triste retour des choses humaines ! Cet aventurier audacieux, qui croyait grandir toujours par les attentats, an lieu de vivre sur le trône, ainsi qu'il s'en était flatté, parmi les délices de l'amour et les splendeurs d'Holyrood, fut jeté dans l'humide solitude d'une forteresse. Ce qui s'entrechoqua de regrets, de révolte de désespoir dans cette âme superbe, Dieu seul le sait ! Tantôt debout à sa fenêtre, un tremblement nerveux agitait tous ses membres, tantôt accroupi sur sa natte comme un athlète terrassé, une sueur froide mouillait son visage. Il écoutait dans un farouche silence les bruits du dehors et du dedans, le pas des geôliers, le cliquetis des clefs à leur ceinture, le retentissement des armes sur les dalles des corridors et sur le pavé des cours, le cri du hibou, le gémissement du vent et des flots du Sund, le ruissellement de la pluie sur le toit, le roulement de la foudre sur les créneaux, et plus haut petit-être que toutes ces voix, la voix du sang injustement versé ! Ces choses sans cesse entendues firent plus que le tuer ; elles le rendirent fou. Cependant Marie Stuart expiait de son côté ses fautes et son forfait. Reléguée dans une petite île, en un donjon délabré, où elle n'avait pour promenoir qu'un espace de cinquante pieds, elle luttait sans cesse contre le découragement. Du haut de sa tour de Lochleven elle regardait aux quatre coins de l'horizon, à l'orient et à l'occident, au sud et au septentrion, interrogeant l'air, sondant l'étendue, appelant de toutes les puissances de son désir des secours et des partisans. Ce séjour de Lochleven, sur lequel le roman et la poésie ont répandu des lueurs si charmantes, l'histoire plus vraie ne peut le peindre que dans sa nudité et dans ses horreurs. Le château, ou plutôt le fort, n'était qu'un bloc massif de granit, flanqué de deux lourdes tours, peuplé de chauves-souris, éternellement noyé dans la brume, défendu par les eaux du lac, par le fanatisme, par la vengeance. C'est là que gémissait Marie Stuart, opprimée sous les violences des lords presbytériens, déchirée par le remords, troublée par les fantômes du passé et par les terreurs de l'avenir. Et ce qui ajoutait aux tortures de sa captivité, c'est qu'elle était grosse dans ce donjon. Elle y accoucha, au mois de lévrier 1568, d'une fille qui fut emmenée sur le continent, et qui devint religieuse au couvent de Notre-Dame de Soissons. Entièrement guérie, mais profondément triste, Marie Stuart écrivait, le 31 mars 1568, à l'archevêque de Glasgow, en France : De Lochleven. Monsieur de Glascow, votre frère (John Beatoun), vous fera entendre ma misérable condition ; et, je vous prie, présentez-le et ses lettres, sollicitant ce que vous pourrez en ma faveur. Il vous dira le surplus : car je n'ai ni papier ni temps pour écrire davantage, sinon prier le roy, la royne et mes oncles de brusler mes lettres : car si l'on sait que j'ai escrit, il coûtera la vie à beaucoup, et mettra la mienne en hasard, et me fera garder plus estroitement. Dieu vous ait en sa garde et me donne patience ! De ma prison, ce dernier mars, votre ancienne bien bonne maistresse et amie, MARIE, R. (ROYNE), maintenant prisonnière. Elle écrivait à Catherine de Médicis : De Lechloven, le 1er mai 1568. Madame, je vous envoye ce porteur pour l'occasion que j'écris au roy vostre fils. Il vous dira plus au long, car je suis guestée de si près, que je n'ay loisir que durant leur disner, ou quand ils dorment, que je me relesve : car leurs filles couschent avec moy. Ce porteur vous dira tout. Je vous supplie lui donner crédit et le fayre récompancer autant que m'aimés. Je vous supplie d'avoir tous deux pitié de moy ; car si vous ne me tirés par force, je ne sortiray jamays. MARIE, R. Malgré ses malheurs et ses douleurs, malgré les outrages dont elle avait été abreuvée, les colères dont elle avait été poursuivie, Marie n'avait pas désappris de séduire. Elle sut inspires' une ardente passion à George Douglas, le plus jeune frère du laird de Lochleven. Elle lui donna même l'espérance de faire casser son mariage avec Bothwell en alléguant la violence, et de l'épouser ensuite, s'il devenait son libérateur. Douglas, éperdument amoureux, et qui avait ses entrées libres à Lochleven, essaya vainement d'en tirer Marie. Convaincu de trahison, il s'évada du château, mais il ne renonça pas à son dessein. Marie, de son côté, fit bien des tentatives d'évasion. L'ambassadeur anglais Drury en raconte une à Cecil : Vers le 25 du mois dernier (avril 1568), elle
faillit s'échapper, grâce à sa coutume de passer toutes les matinées dans son
lit. Elle s'y prit ainsi : la blanchisseuse vint de bonne heure, ce qui lui
était déjà arrivé plusieurs fois ; et la reine, suivant ce qui avait été
convenu, mit la coiffe de cette femme, se chargea d'un paquet de linge, et se
couvrant la figure de son manteau, elle sortit du château et entra dans la
barque qui sert à passer le loch. Au bout de quelques instants, un des
rameurs dit en riant : Voyons donc quelle espèce de dame nous avons là ?
Il voulait en même temps découvrir son visage. Pour l'en empêcher elle leva
les mains. Il remarqua leur beauté et leur blancheur, qui firent aussitôt
soupçonner qui elle était. Elle parut peu effrayée. Elle ordonna, sous peine
de la vie, aux mariniers de la conduire à la côte ; mais, sans faire attention
à ses paroles, ils ramèrent aussitôt en sens contraire, lui promettant le
secret, surtout envers le lord à la garde duquel elle était confiée. Il
semble qu'elle connaissait le lieu où, une Ibis débarquée, elle se serait
réfugiée, car on voyait et l'on voit encore rôder dans un petit village nommé
Kinross, près des bords du loch, George Douglas, avec deux serviteurs de
Marie jadis très-dévoués, et paraissant l'être toujours. Elle avait en effet des intelligences au dedans et au dehors de sa prison. Après la fuite de George Douglas, un de ses jeunes parents, son confident, qu'on appelait le petit Douglas, et qui était amoureux aussi de la reine, bien qu'il ne fût âgé que de seize ans, réussit là où son ami George avait échoué. Cet enfant hardi, fier de son dirk de montagnard, la première arme qu'il dit portée, heureux de la confiance de la reine, la première femme qu'il eût aimée, déroba les clefs du château à l'heure du souper, et, pendant.que les geôliers reposaient, il ouvrit à Marie les portes qu'il referma sur les gardes (2 mai 1568). Il avait eu soin d'allumer un fanal à l'une des fenêtres les plus élevées de la forteresse pour avertir ses amis. Il conduisit la reine déguisée dans un petit bateau qui les attendait. Il jeta les clefs dans le lac. La reine priait mentalement le Dieu qui commande aux vents et aux flots, tandis que les rames battaient, semblables à des ailes, et entraînaient la barque légère. Marie, comme pour reprendre possession du sceptre, cueillit un lis sur les eaux et un chardon sur la rive où elle eut bientôt abordé. Ces plantes étaient le double emblème de ses deux royautés en France et en Écosse. George Douglas et John Beatoun erraient dans les environs depuis quelque temps. Ils étaient couchés parmi les herbes, lorsqu'ils aperçurent le signal convenu et la barque voguant vers eux. Ils se levèrent et coururent la recevoir avec des transports de joie. Peu d'instants après le débarquement de Marie, un cor se
fit entendre au loin. Ce sont, dit John
Beatoun, nos amis qui ont aussi aperçu le signal.
— Oui, oui, s'écria la reine qui avait écouté
d'abord avec inquiétude, oui, c'est Claude Hamilton.
Je le reconnais, ajouta-t-elle en se tournant vers George Douglas, comme l'un de vos ancêtres, lord James, reconnut la
présence inattendue de son souverain, mon glorieux aïeul Robert Bruce, aux
sons trois fois répétés du cor d'ivoire du héros. Marie ne se trompait pas. C'était lord Claude Hamilton qui, averti par un de ses espions et par le fanal, rejoignait la reine avec une troupe nombreuse. Il la conduisit à West-Niddrie, château de lord Seaton. Le lendemain elle arriva au château d'Hamilton et y révoqua solennellement son abdication. Les comtes d'Argill, d'Eglington, de Rothes, les lords Somerville, Herries, Ross, Tester et un grand nombre d'autres s'empressèrent de la reconnaître comme reine. M. de Beaumont, envoyé de Charles IX, se rendit aussi près d'elle au milieu de ce mouvement chevaleresque. Ce fut d'Hamilton que Marie Stuart convoqua tous les seigneurs qu'elle croyait fidèles. Ils devaient être pourvus de tentes de campement et de vivres pour vingt jours. Elle n'oublia rien pour porter au comble le dévouement de son parti. Elle redoubla de séduction, de grâce et d'entraînement. Elle paraissait quelquefois inopinément à la fin des repas. Des toasts bruyants l'accueillaient. Les coupes s'entrechoquaient pour elle, et les lords buvaient à la prospérité de l'Écosse et de Marie. Un jour, au dessert, s'aidant d'un de ces symboles familiers au génie des peuples du Nord, elle apporta elle-même un mets couvert qu'elle présenta à ses hôtes, et qu'elle déclara avoir préparé de ses royales mains. Chacun attendit avec impatience. La reine alors découvrit le plat sur lequel brillait une paire d'éperons. Un enthousiasme subit électrisa les convives, qui saluèrent la reine de vivat répétés, et qui, en signe d'adhésion, poussant leurs cris de guerre, jurèrent tous de monter à cheval et de vaincre ou de mourir pour Marie Stuart. Elle se trouva bientôt après son évasion à la tête d'une armée de six mille hommes. Elle consuma du temps en négociations avec Murray. Elle se souvenait de Carberry-Hill, la journée qui lui avait enlevé le trône, Bothwell et la liberté. Elle se méfiait du jeu des batailles. Elle n'était pas heureuse, et elle craignait de perdre. Le 12 mai, Murray, rompant toute espérance d'accord pacifique, déclara, en sa qualité de régent du royaume, les partisans de Marie Stuart coupables de haute trahison. Le 13, Marie quitta le château d'Hamilton pour gagner Dumbarton, où les chefs qui l'entouraient comptaient la mettre en sûreté avant d'ouvrir la campagne. Murray attendait au village de Langside avec des troupes peu nombreuses, mais bien disciplinées, Marie Stuart et son armée commandée par le comte d'Argill. Les Hamilton et les autres gentilshommes de l'avant-garde, sans songer à autre chose qu'à se bien battre, voulurent forcer le passage. L'archevêque de Saint-André, qui se voyait déjà le maître de la reine et du royaume, excitait cette folle ardeur au lieu de la modérer. Le village était situé sur la colline. Kirkcaldy de Grange, investi de toute la confiance de Murray, avait ordonné que chaque cavalier prit en croupe un fantassin du régent. Il les groupa en haut, tout autour du village. Il plaça un corps d'arquebusiers en bas, à l'entrée du défilé que dominait le village, et vers lequel allait se précipiter la cavalerie de la reine. De Grange embusqua ses arquebusiers entre quelques cabanes de bûcherons et dans des bouquets de coudriers, afin de résister au choc des Hamilton par cette stratégie formidable. Les Hamilton se jetèrent avec impétuosité sur le défilé. Claymores ! criaient-ils à l'avant-garde, qui répondait par ce chant sauvage : Venez, corbeaux et vautours, venez, nous vous donnerons la pâture.... Ces paroles, véritable Marseillaise des Highlands, n'ont pas sauvé leur poêle inconnu de l'oubli, mais l'air inspiré qui les notait, vibrant des poitrines et des cornemuses, retentissait comme le prélude du carnage et de la mort. Un combat très-vif s'engagea. Il fut surtout meurtrier à l'entrée du défilé. Lord Arbroath se lança plusieurs fois avec les Hamilton au premier rang de l'avant-garde pour enlever cette position si bien fortifiée par de Grange. La brillante ardeur des cavaliers de la reine venait se briser contre les arquebusiers si admirablement postés, et dont cet avantage enflammait encore la bravoure. On citait longtemps après le courage indomptable d'Alexandre Hume qui les animait par son exemple. Il était descendit de cheval, et combattait au milieu d'eux comme un simple soldat, la pique à la main. Abattu à plusieurs reprises, toujours il se relevait et recommençait de nouveaux prodiges. A la fin, renversé dans un fossé, son beau-frère, lord Cessford ; qui ne l'avait pas quitté un instant, fut obligé d'aider à le remettre debout. Hume, couvert de blessures, inondé de sang, continua de combattre ; et comme, après tant de décharges, la poudre et les halles manquaient, les soldats, sur son ordre, se servirent des crosses de leurs fusils contre les ennemis. Ce fut à cet endroit du défilé que l'engagement fut le plus acharné, et que la reine perdit le plus de inonde. Il fut enfin forcé ; mais les Hamilton arrivèrent au village de Langside harassés par ce premier combat, essoufflés par la montée. De Grange les y reçut avec des troupes fraîches. Il se porta partout où sa présence était nécessaire, soutenant les uns, aiguillonnant les autres, disciplinant cette anarchie sanglante de la bataille aux calculs les plus profonds et aux inspirations les plus soudaines. Dans un moment où la fortune était douteuse, il courut à l'aile droite de la garde du régent. Suivi de Lindsey, de Ruthven, et de quelques autres seigneurs intrépides qu'il avait autour de lui, il arrêta cette aile qui allait plier, et il l'entraîna- dans la mêlée en lui communiquant son élan. Il rétablit le combat, et prépara ainsi une seconde fois la victoire. Le comte de Morton la décida par une manœuvre que ses adversaires étaient incapables de prévoir, tant leur furie les aveuglait ! Il tourna la colline et les prit en flanc. Dès lors, entre deux feux, entre deux forêts de lances, l'armée de la reine se dispersa, malgré la valeur fabuleuse de toute cette chevalerie. Il y avait là des bras et des cœurs ; il n'y avait pas une tête. L'infortunée Marie fut témoin de cette défaite. Elle y assista dans un flux et un reflux de découragement et d'espérance, et dans une angoisse inexprimable, de la galerie du château de Catheart, situé à quelques milles du château de Crookston, qui appartenait au comte de Lennox, et où elle avait passé les meilleurs jours de son mariage avec Darnley. Le chef qui, dans cette journée, eut les illuminations les plus vives, et qui se multiplia le plus sur tons les points menacés, Kirkcaldy de Grange, était atteint depuis quelques semaines d'une fièvre qui avait épuisé ses forces. Le matin de la bataille, il se fit habiller et armer par son frère et par son écuyer. Ils hésitèrent d'abord, le suppliant de ne pas monter à cheval dans l'état où il était. Kirkcaldy insista avec autorité, et ils obéirent à regret. Quand il fut revêtu de sa cotte de mailles et ceint de son épée, Kirkcaldy se trouva mieux. Il s'avança lentement jusqu'à son cheval. Il était néanmoins si chancelant qu'il fallut le mettre en selle, et que son frère et son écuyer se placèrent à ses côtés avec une sollicitude inquiète. Lorsqu'il eut gravi la colline au sommet de laquelle il devait faire des dispositions si heureuses, le champ de bataille, puis les éclairs et le cliquetis des glaives, le bruit de l'artillerie, l'odeur de la poudre, lui communiquèrent une vigueur nouvelle. Il respira fortement, et une vieille chronique presbytérienne dit que son souffle ressemblait à un hennissement. Il eut de rapides frissons, de courts tressaillements, durant lesquels l'ange de la guerre le secoua si puissamment, que la violence de ses émotions et l'agitation de tous ses esprits le guérirent. La même chronique remarque, dans un étonnement superstitieux, que le cheval de Kirkcaldy de Grange comprit toutes ces phases diverses des souffrances et du rétablissement de son maître ; qu'il le ménagea d'abord, mesurant son pas avec un tact presque humain, et qu'il l'emporta plus tard au gré de tous les essors de l'âme héroïque qu'il semblait reconnaître, deviner et seconder. Kirkcaldy de Grange fut le héros le plus pur de cette journée mémorable, car un égoïsme machiavélique absorbait Morton, et l'ambition, une ambition trop personnelle, altérait chez Murray le zèle du bien public. Cette victoire fut complète. Les talents supérieurs de Murray, de Morton, et surtout de Kirkcaldy de Grange, prévalurent sur les prouesses chevaleresques des partisans de la reine. L'étoile de Marie pâlit et sombra. La mêlée de Langside fut un oracle du dieu des armées. Il prononça sur ce petit champ de bataille, jonché seulement de trois cents morts, que l'Écosse serait protestante, que Marie n'aurait désormais pour royaume qu'une prison, pour trône peut-être qu'un échafaud. |