HISTOIRE DE MARIE STUART

 

LIVRE TROISIÈME.

 

 

Marie Stuart à Calais. — Elle s'y arrête une semaine. — Son portrait. — Caractère du XVIe siècle. — Regrets de Marie Stuart. — Ses vers. — Elle s'embarque le 15 août 1561. — Une partie de son escorte la suit en Écosse. — Adieu à la France. — Traversée. — Débarquement au port de Leith. — Les nobles écossais viennent au-devant de la reine. — Pressentiment de Marie Stuart. — Arrivée à Holyrood. — Double protestantisme, l'un politique, l'autre religieux. — Réception à Holyrood. — Le grand prieur. — Le duc d'Aumale. — Le marquis d'Elbeuf. — Le maréchal Damville. — Castelnau de Mauvissière. — Chastelard. — Strossi. — La Guiche. — Brantôme. — La Noue. — Lord James Stuart. — Le comte de Morton. — Lord Ruthven. — Lindsey. — Lord Huntly. — Maitland. — Robert Melvil. — Kirkcaldy de Grange. — Marie dépêche Maitland à Élisabeth. — État religieux de l'Écosse. — Knox, l'âme de la réforme. — Ses conversations avec Marie Stuart. — Ils se séparent ennemis.

 

La reine s'arrêta toute une semaine à Calais avant de se séparer de son cher cortège, au milieu des sanglots et des larmes. Elle était alors dans tout l'éclat de la jeunesse et de la beauté.

Elle avait dix-neuf ans. Sa taille était grande, animée, flexible. Tous ses mouvements étaient faciles, toutes ses attitudes charmantes. Sa démarche, tantôt languissante, tantôt rapide, toujours inimitable, avait un essor naturel, un pas aérien qui paraissait glisser plutôt que se poser. Ronsard et Joachim du Bellay nommaient Marie Stuart la dixième muse. Mais, en dépit des poètes, je ne sais quoi de voluptueux dans toute sa personne invitait à l'amour, et trahissait la femme sous l'immortelle.

Son front, haut et bombé dans la partie supérieure, avait une dignité fière armée d'intelligence et d'audace. Son oreille était petite ; sa tempe palpitante. Son nez délicat était aquilin comme le nez aristocratique des Guise, chez qui ce noble trait ne dégénéra qu'après le Balafré, dans le prince de Joinville, son fils. Les joues roses et blanches de Marie Stuart rappelaient, dans leurs teintes harmonieuses, le beau sang mêlé de Lorraine et d'Écosse.

Ses longs cils, qui voilaient un peu l'ardeur de ses regards, ne parvenaient pas à leur communiquer la suavité du sentiment. Ses yeux bruns, d'un transparence humide et ignée, dardaient l'éclat brûlant de la passion, et ils auraient manqué de douceur sans leur forme exquise que relevait encore l'arc pur et délié des sourcils.

Deux plis se dessinaient aux extrémités d'une bouche frémissante dont le sourire brillait comme un rayon de soleil.

Le menton délicieusement arrondi de la jeune reine inclinait à se marquer une seconde fois dans les imperceptibles linéaments d'un contour inférieur.

Ses cheveux d'un blond cendré, auxquels, par caprice, il lui arrivait souvent de n'ajouter aucune ornement, lui seyaient à ravir et répandaient autour d'elle un phosphore.

Sa figure, d'un ovale allongé, imposante et mobile, passait sans cesse de la sévérité à l'enjouement. On en saisissait vite néanmoins le caractère permanent et l'expression sérieuse. Les grâces y voltigeaient à l'envi, mais la passion résolue, profonde, aveugle, y résidait.

Elle portait la, tête moins avec la noblesse étudiée d'une reine qu'avec la libre majesté d'une déesse à laquelle la comparait l'imagination mythologique de son siècle. Seulement la déesse était une femme dont la poitrine respirait des flammes et contenait des philtres irrésistibles.

Elle savait tout son charme et ne fuyait pas les occasions de le montrer. Elle se servait peu de masque, malgré l'exemple des dames de la cour. Elle pliait à ses convenances jusqu'à la mode. Même aux processions elle marchait à visage découvert, sa grande palme à la main, et, sous une modestie feinte, elle triomphait avec une joie secrète d'éclipser toute parure et toute beauté par sa présence.

Charles IX, après le départ de Marie, regardait sans cesse le portrait qu'elle avait laissé au Louvre. Ma proclamait la plus charmante princesse du inonde. Il estimait son frère François heureux malgré sa mort prématurée, puisqu'il avait goûté un instant l'ambroisie d'une telle femme. Lui-même, si elle fût restée en France, aurait voulu l'épouser avec une dispense du pape.

L'admiration pour Marie Stuart ne se bornait pas à la France et à l'Écosse ; elle était européenne.

Comment s'en étonner quand on connaît ses portraits ?

Le plus surprenant peut-être, je l'ai découvert à quelques milles de Dalkeith. C'est un fragment de buste, un profil mutilé, dans la manière des têtes de Henri II et Henri III par Germain Pilon. Ce buste de Marie a été brisé, creusé, et néanmoins respecté par le temps. La physionomie s'échappe des traits taillés dans la pierre, dont les profondes grenures semblent recéler une âme, et cette âme jaillit en éclairs de vie sous tous les accidents de la lumière et de l'ombre.

Les autres portraits de Marie Stuart, et ils sont nombreux, qu'il m'a été donné de voir à Versailles, à Eu, à la Bibliothèque Sainte Geneviève, à Saint-James, à Windsor, à Hampton-Court Holyrood, sont d'une beauté rare. Tous, dans leur variété brillante, retiennent une merveilleuse unité qui témoigne à la fois de la ressemblance de Marie et du génie des artistes de la renaissance.

Marie Stuart, à Calais, était vêtue en grand deuil blanc d'une robe de velours, selon la coutume des reines de France. Elle portait une guimpe découpée à pointe de dentelle. Son voile empesé se recourbait au-dessus de chaque épaule. Ses manches de toile d'argent étaient étroites en bas et bouffantes en haut. Sa chevelure, lisse sur la tête, était crêpée au-dessus des tempes et se rattachait par derrière avec des nœuds de ruban. Un bonnet léger lui descendait en cœur sur le front et couvrait, sans les cacher, trois rangs de perles de la plus belle eau. Un collier d'autres perles, qu'elle préférait à tous ses joyaux, ruisselait de son cou.

Une gibecière, de même velours que sa robe, était suspendue à sa ceinture. Marie, à côté du petit sifflet d'or dont se servaient les princesses de ce siècle pour appeler leurs gens et leurs pages, enfermait dans cette sorte de poche les nouveautés littéraires dont elle était fort friande. C'était la place habituelle d'un Ronsard magnifiquement relié. L'édition sortait des presses de Robert Estienne, qui l'avait soignée autant que ses meilleures éditions classiques. Il en avait affiché les épreuves, selon sa coutume, avec promesse d'une généreuse récompense pour chaque faute qui lui serait signalée. Ronsard, ce beau génie trop méconnu aujourd'hui, était alors l'idole de la cour, de la ville et de l'Europe, à tel point que Brantôme demandant un jour à Venise, chez un libraire, les Œuvres de Pétrarque, un grand seigneur italien, fort renommé par son esprit, lui en fit un reproche en disant : Quand on a le bonheur d'être le compatriote de M. de Ronsard, comment peut-on songer aux poètes étrangers qui lui sont tous si inférieurs ?

A l'exemple de ses contemporains, Marie Stuart aimait donc Ronsard  et, par un tour de coquetterie dans le goût du xvr siècle, elle-avait fait de son poète favori une élégance de sa toilette.

La séduction était tellement sa nature qu'elle l'exerçait, dès le berceau, sur tout ce qui l'entourait. A l'âge de dix ans, dans un voyage du roi Henri, Il- à Amboise, elle le retenait, au dire dit cardinal de Lorraine, et la captivait par sa conversation enfantine.

Prompte, mouvante, passionnée, de fort bonne compagnie, les beaux esprits aussi bien que les jeunes seigneurs nies catholiques lit nommaient leur reine. Elle était assez folâtre ; mais une lueur sinistre traversait par moment sa gaieté.

Elle avait la voix très-douce et très-pénétrante. Ses entretiens étincelaient de verve et d'imagination. L'ironie la plus acérée, la meilleure, l'ironie française, était son arme terrible contre ses ennemis. Lorsqu'elle ne pouvait les combattre autrement, elle les blessait par un sarcasme. Elle mettait autant de courage que d'imprudence à frapper ainsi les forts, qui ne manquèrent jamais de se venger.

Elle chantait bien et jouait du luth avec les mains les plus belles. La forme et la couleur de ses gants étaient toujours imitées. Ses pieds étaient chaussés avec une recherche minutieuse.

Elle excellait à la danse et à la chasse. Elle montait à cheval mieux qu'une amazone. Elle n'avait dans ses écuries que des chevaux turcs, barbes, et des genets d'Espagne. Elle dédaignait la selle à planchette de velours, et elle était l'une des premières à la cour qui eût osé mettre la jambe sur l'arçon, ce qui donne plus de grâce, l'air plus hardi et plus fier.

Sa libéralité allait au delà de toutes ses ressources. Elle n'était pas seulement généreuse, elle était prodigue par grandeur.

Ses habitudes n'étaient point paresseuses, mais plutôt actives. Elle portait dans le plaisir autant d'impétuosité que ses oncles dans la gloire ou dans la politique. Trop Lorraine de sang et d'éducation pour n'être pas pétrie de ruse, elle aurait pu être homme d'État comme Élisabeth, si elle n'eût été plus femme que princesse. Toute la diplomatie de sa race, toutes les intrigues de son génie, elle les déploya dans les innombrables drames de ses passions successives. L'amour, sa vocation, était pour elle ce qu'était la guerre pour. les hommes de sa maison : une fatigue et un bonheur. Elle était toujours prête à conquérir, à subjuguer.

Dans ce temps, où les femmes mangeaient comme les héros de l'Iliade et de la Ligue, Marie Stuart tenait encore plus au luxe des mets qu'à leur nombre ou à leur saveur. La musique de son repas était mélodieuse, et le service de sa table d'une délicatesse extrême. Les perdrix grises y étaient argentées et les perdrix rouges dorées au bec et aux pattes. Les serviettes s'y embaumaient avec des sachets de fleurs. La reine était sobre sur le vin ; mais elle y était difficile, et il le lui fallait exquis.

Elle avait les sens les plus rares, et les plus subtils esprits semblaient présider au jeu de tous ses organes. Son électricité était délicieuse et terrible. Le parfum de sa personne s'insinuait dans les cœurs et les agitait d'un mal incurable. Elle paraissait, et les poitrines les plus froides étaient embrasées. D'un regard, d'un sourire, d'une parole, d'une caresse, elle pouvait troubler toute une vie.

Sous le tartan écossais elle était charmante ; mais s'habillait-elle à la française, à l'espagnole ou à l'italienne, elle était adorable. Jamais elle ne montait les degrés d'une fête, qu'elle n'eût inventé quelque nouvelle fantaisie de toilette. Poète, elle appliquait son imagination à sa parure, et ce n'était pas sa moindre poésie. Elle était un poète et un poème à la fois, un poème vivant.

Ses vers furent l'un des bégaiements rythmiques les plus harmonieux et les plus suaves de notre langue. Même aujourd'hui ils conservent un accent, un battement, une larme secrète du cœur qui consacrera une fois de plus pour l'avenir le plus reculé la renommée de celle qui ne peut être oubliée, tant elle a de titres au long souvenir de la postérité et tant elle tient l'immortalité par des prises diverses !

Je n'hésite pas cependant à dire que la prose de Marie Stuart est très-supérieure à ses vers. Son style est l'un des meilleurs du seizième siècle, de ce siècle ondoyant et fécond dans son chaos, épris de volupté et de sang, de foi et d'athéisme, d'austérité et d'orgie, passionné pour l'antiquité et amoureux des choses nouvelles ; le siècle des saints et des courtisanes, des orthodoxes catholiques ou non catholiques et des libres penseurs.

La tiare posée entre un volume de Platon feuilleté sans cesse et une Bible toujours fermée, Léon X, l'élève de Marsile Ficin, de Politien et de Pic de la Mirandole, l'ami de Sadolet, de Bembo et de Bibbiena, le pape des peintres, des poètes, des humanistes, avait inauguré ce siècle dans une nonchalance majestueuse. Jules II avait attiré et protégé Michel-Ange, ce génie de même métal que le sien ; Léon X s'attacha Raphaël, cette imagination du même firmament que lui. Tels pontifes, tels artistes.

Quel spectacle ! Érasme, le grand journaliste de l'Europe, se rit de tout, enveloppé de la chaude atmosphère de son poêle, en sa maison de Bâle. Thomas Monts se prépare de loin au martyre par la prière et par la culture des lettres, au bord de la Tamise, sous son toit de Chelsea, où il accueillait Holbein. L'Arioste chante à Ferrare, sous les pins de sa villa. Machiavel, chassant aux grives le matin, causant à l'hôtellerie de son village avec les voyageurs, jouant aux cartes avec. l'aubergiste, le meunier, le boucher et les charbonniers, ses voisins ; puis quittant, le soir, son costume de paysan souillé de poussière et de boue, et revêtant des habits de cour avant d'entrer dans son cabinet pour écrire les Discours sur Tite-Live, et pour converser avec les grands hommes de l'histoire, se consume d'ennui, d'inaction et d'étude à la Strada. Les cardinaux les plus illustres vivent, à la cour épicurienne du Vatican, et y font représenter des comédies obscènes. Ils jurent, non par le Dieu vivant, mais par les dieux immortels. Ils dédaignent les Écritures qu'ils ne lisent point, dont le latin barbare offenserait leurs oreilles délicates, et altérerait en eux l'harmonie, la pureté des périodes cicéroniennes.

Luther, et plus tard Calvin, avec tous les chefs du protestantisme, secouèrent ce monde d'artistes et de princes en robes rouges, platoniciens et dissolus, qui dissertaient et qui jouissaient entre les festins et les empoisonnements, entre les orchestres et les poignards. La réforme amena ainsi la grande réaction catholique représentée par Ignace de Loyola et par sainte Thérèse. Cette réaction fut saluée d'une moquerie sceptique par Montaigne, d'un cynique éclat de rire par Rabelais, tandis que se rencontraient dans une même ivresse furieuse la royauté, l'Église, la noblesse et le peuple.

Marie Stuart si passionnée et si brillante, païenne par nature, catholique par éducation et par faction, poète, érudite, princesse, femme, participe de tous les instincts de son siècle, et les représente par toutes les faces étincelantes ou sinistres. Elle avoit l'esprit grand et inquiété ; dit Michel de Castelnau.

Comme écrivain, elle ressemble aux rapides narrateurs de son temps, non pas certes à de Thou, grave magistrat, antique par la latinité, moderne par les événements, selon le goût des contemporains ; mais à ces héros de plume et d'épée, Montluc, d'Aubigné, les plus vivants des historiens, parce que leurs annales sont des mémoires, parce qu'au lieu de jeter dans leurs pages leurs systèmes ou leur science, ils y jettent leur cœur, leur conscience et leur action. Marie Stuart en fait autant dans ses lettres, et c'est par là qu'elle est originale. Ses vers sont bien éclipsés par ses lettres. Là, elle ne balbutie plus, elle parle ; et l'on sent que cette prose si nette, si colorée, si émue, n'est plus le jeu, mais la moelle de sa pensée. La gloire littéraire est un des prestiges de cette femme étonnante qui en eut tant d'autres. Tous ces prestiges lui ont survécu et lui survivront. Un nom fameux dans l'histoire est un astre dans le ciel : il ne peut s'éteindre qu'avec le monde. Il faut donc le reconnaître, un rayon de Sapho et de Vittoria Colonna flotte sur la mémoire de Marie Stuart. Mais cette flamme d'esprit et de bon sens qui brille dans ses lettres, voilà sa véritable auréole.

Ses doux loisirs cessèrent entièrement à Calais. Les deux heures qu'elle réservait naguère à l'étude, elle était forcée de les donner aux affaires.

Tout enflammée par ses oncles, qui n'estimaient rien tant que le pouvoir, elle songeait sérieusement à l'exercer. Elle s'arrachait à ses habitudes de princesse littéraire et frivole, pour s'élever au rude métier de gouverner par elle-même. Elle aurait bien encore les conseils des Guise, mais elle ne serait plus sous leur tutelle glorieuse. Cette perspective d'indépendance effrayait sa faiblesse en flattant son orgueil. Qu'importe se disait-elle. Élisabeth n'est-elle pas à la tête de son royaume ? Ne compte-t-elle pas entre les plus puissants et les plus sages souverains de l'Europe ? Elle ménage les finances pour ne pas accroître les impôts. Elle augmente et féconde la première de toutes les forces de l'Angleterre : la marine. Elle entretient l'ordre le plus merveilleux dans ses États, la police la plus habile dans les cours étrangères. Il lui suffit, pour cette tâche, d'avoir de graves ministres et d'appliquer son esprit à l'empire. Marie se proposait d'égaler et même de surpasser Elisabeth.

Elle cherchait des raisons de moins pleurer la France et de diminuer sa peine. Elle ne pouvait rester la seconde là où elle avait été la première. Il lui fallait se résigner de bonne grâce à la nécessité. Pourquoi ne s'en retournerait-elle pas avec bonheur ? Elle allait essayer la couronne d'Écosse à son front. Elle la possédait dès sa naissance, mais elle ne l'avait jamais portée. Sa puissance souveraine serait sa plus belle perle. Elle représenterait la gloire des Guise et des Stuarts. Elle vaincrait l'anarchie ; elle apaiserait les guerres civiles ; elle assurerait le repos de ses États, la prospérité de son peuple. Elle servirait la religion catholique ; elle s'approcherait du sceptre d'Angleterre, dont elle était l'héritière légitime, et se tiendrait prête à tout événement, soit pour le recevoir de son droit, soit pour le réclamer par les armes. Elle serait une grande reine, qu'elle eût un trône ou qu'elle en eût deux, aimée de quelques-uns, respectée de l'Écosse et de l'Europe.

C'est ainsi que, tout en pleurant la France, sous sa cendre de veuve, elle couvait le feu de son ambition et l'ardeur de régner.

Quand il fallut partir, cependant, sa douleur fut immense.

La veille de l'embarquement, elle esquissa les vers que l'on a tant cités depuis et qu'elle acheva plus tard à Holyrood :

Adieu, plaisant pays de France !

O ma patrie

La plus chérie,

Qui as nourri ma jeune enfance !

Adieu, France ! adieu, nos beaux jours !

La nef qui déjoint nos amours

N'a eu de moi que la moitié ;

Une part te reste, elle est tienne :

Je la fie à ton amitié,

Pour que de l'autre il te souvienne.

Le lendemain 15 août 1561, Marie se sépara des seigneurs qui l'avaient escortée à Calais. Ne pouvant parler à cause de sa douleur, elle mit la main sur son cœur, et s'avança vers le rivage, où sa petite flotte l'attendait. Cette flotte se composait de deux galères et de deux vaisseaux de transport. Marie choisit la galère dont le chevalier de Mauvillon était le capitaine. Au moment où elle se disposait à y monter, l'avisé cardinal de Lorraine, qui allait repartir pour Saint-Germain avec le duc et le cardinal de Guise ses frères, conseilla prudemment à sa nièce de ne pas risquer ses diamants aux hasards de la traversée, et de les lui laisser en dépôt. Marie, souriant, s'en excusa en répondant à son oncle que ses diamants courraient la même fortune que la reine d'Écosse. Elle gravit légèrement l'échelle de la galère, où elle se trouva environnée d'une suite brillante d'adorateurs. La France ne l'exposa pas seule à l'Océan et aux vaisseaux d'Élisabeth. Trois de ses oncles et plusieurs jeunes nobles épris de ses charmes et attachés à la maison de Guise, furent sur le pont en même temps qu'elle. Deux barques chavirèrent. Six hommes périrent à quelques brasses de la galère royale, malgré les ordres que Marie multiplia dans son émotion et toutes les tentatives du chevalier de Mauvillon pour sauver ces pauvres matelots. La reine était désespérée. Elle se comparait à Didon, avec cette différence qu'après la fuite d'Enée, Didon regardait la mer, tandis qu'elle, elle regardait le rivage. Elle exhalait ses regrets par des soupirs, et par des mots entrecoupés de sanglots. Durant cinq heures, elle ne détourna pas une minute les yeux du port où elle avait appareillé, disant toujours avec des lamentations touchantes : Adieu, France ; adieu, France, mon unique joye. La nuit seule put l'empêcher de regarder le pays de sa jeunesse et de ses amours. Elle était inconsolable. Elle avait fait promettre au timonier de l'éveiller au point du jour, s'il apercevait encore les côtes de France. Le vieux marin n'oublia pas cet ordre, et Marie salua pour la dernière fois les rivages de sa patrie d'adoption : Adieu, France, s'écria-t-elle encore, c'en est fait ; adieu, France, que je ne cesserai de me rappeler, et que je ne verrai plus !

Quand tout se fut effacé à l'horizon, elle pleura de nouveau, et les pressentiments sinistres la saisirent. Hélas ! la froide et prophétique terreur qu'elle ne pouvait surmonter, était sans doute le frisson que l'ombre de l'avenir communiquait à son âme !

La petite flotte de Marie Stuart arriva un dimanche matin. Grâce à un brouillard épais, elle avait évité la flotte anglaise, qui, pour s'emparer de la personne de la reine, croisait à la portée du Forth, entre Berwik et Dunbar.

Le brouillard dura le jour et la nuit (1561). Le grand prieur, l'un des oncles de la reine, ordonna de jeter l'ancre en pleine mer. Le lundi seulement, le brouillard se dissipa, et l'on aperçut le port de Leith. C'était le 19 août, et l'on prit terre aussitôt ; mais rien n'était préparé pour la réception de Marie.

Dès le 9 août, Randolph écrivait à Cecil : On peut douter, en quelque temps qu'elle vienne, qu'elle soit bien accueillie dans un pays où la plupart des gens sont persuadés qu'elle médite leur ruine totale. Qu'elle vienne quand elle voudra, on fait de minces dépenses pour son arrivée, et il n'y a presque personne qui croie qu'elle ait cette idée. J'ai montré la lettre de Votre Grandeur au lord James, au lord Morton et au lord Lethington. Ils désirent, ainsi que Votre Grandeur, que la reine d'Écosse soit retardée ; et, si ce n'étoit l'obéissance qu'ils lui doivent, ils s'embarrasseroient fort peu de la jamais voir.

Cependant, lorsque les nobles qui se trouvaient à Édimbourg connurent le débarquement de leur jeune reine, ils se réunirent afin d'ajouter un cortège national à son cortège étranger. C'était une troupe austère et farouche, plus faite pour contredire et combattre la royauté que pour la servir. Les hommes hardis et fiers qui la composaient étaient vêtus de pourpoints de buffle. Leur barbe était courte et leurs moustaches redressées en pointe. Ils avaient une seconde armure, une cotte de mailles, qu'ils endossaient, même dans la paix, contre l'assassinat. Plusieurs portaient une toque de velours noir entourée de trois rangs de perles ; d'autres des casques, d'autres de larges chapeaux relevés d'un côté par une agrafe, et ornés de plumes qui retombaient en arrière. Le meurtre, au milieu des orages de la régence de Marie de Lorraine, était devenu pour eux une telle habitude, qu'ils étaient toujours sur leurs gardes, et que, même au saut du lit, en robes de chambre et en pantoufles, ils avaient le sabre au côté et les pistolets à la ceinture. Rudes et passionnés pour la réforme, ils marchaient au pas de leurs chevaux à la rencontre de Marie Stuart avec plus de curiosité que de respect et d'amour. lls abordèrent d'un œil soupçonneux cette princesse, d'un mil hostile et jaloux les seigneurs français qui l'accompagnaient. Le saint Évangile et l'Écosse leur sonnaient mieux aux oreilles et au cœur que les noms de Marie Stuart et de catholicisme, ces deux noms papistes.

L'aspect des nobles écossais fut étrange et nouveau à Marie. Néanmoins, sans témoigner aucun étonnement, elle les accueillit avec la grâce qui lui était familière. Sa beauté éclatante et sa sympathie électrique semblèrent fondre la glace de cette première entrevue, et les plus jeunes cédèrent même à un enthousiasme chevaleresque. Mais les partisans de la réforme et les amis de Knox, qui étaient partout en majorité, reprirent bientôt une attitude grave et un visage impassible.

Marie, après s'être un peu reposée à Leith, se disposa, non sans confusion, à continuer sa route, jusqu'à Édimbourg. Elle redoutait pour l'Écosse soit la raillerie, soit la pitié de ses courtisans français. Quand elle aperçut les pauvres chevaux du pays qu'on lui avait envoyés précipitamment d'Édimbourg, leur maigreur, leur taille petite et lourde, la houe dont ils étaient souillés, leurs harnais en désordre, leurs galons flétris, leurs housses en lambeaux, cc ne fut pas seulement de la honte qu'elle éprouva, ce fut de la douleur. Elle se sentait humiliée dans son peuple, et sa couronne lui parut de laiton. Elle rougit, versa quelques larmes en s'écriant imprudemment que ce n'étaient pas là les haquenées et les palefrois qu'elle avait coutume de monter, ni les magnificences du royaume de France. Les Écossais froncèrent le sourcil, et rappelèrent Marie à elle-même. Elle chercha et réussit à être aimable le long de la route, jusqu'à la demeure de ses ancêtres.

Une sombre voûte conduisait dans la cour quadrangulaire du château d'Holyrood. Marie traversa cette voûte et entra pensive dans le palais de ses aïeux, dont une partie a été rebâtie à neuf sous Charles II, et dont le monument principal existe encore aujourd'hui dans son style primitif, avec sa galerie aérienne, sa façade imposante et ses six tours blasonnées d'épées en croix et de chardons surmontés de la couronne d'Ecosse.

Marie avait rencontré sur son-chemin tantôt de l'indifférence, tantôt de la surprise, quelquefois de l'hostilité, rarement de l'élan, jamais ces acclamations qui l'accueillaient partout en France et en Lorraine. Ses oncles et leurs amis étaient indignés. Marie était étonnée, inquiète. Elle allait se coucher, lorsque cinq ou six cents bourgeois d'Édimbourg vinrent sous ses fenêtres lui donner la pire des sérénades, une sérénade protestante. Ils s'accompagnèrent toute la nuit de mauvais violons et de cornemuses, en chantant les psaumes d'une voix aigre et enrouée. Et comme miss Seaton narguait tout bas les huguenots : Hélas ! dit Marie, nous ne sommes pas en France ici ; au lieu de rire, j'ai plutôt envie de pleurer.

La reine ne put fermer l'œil, elle qui avait tant besoin de sommeil. Elle se montra sur le matin, et, faisant un violent effort, elle remercia gracieusement, du haut de sa galerie, la foule qui continuait à psalmodier en s'écoulant.

Marie se remit au lit, mais elle ne dormit pas. Les mauvais présages s'étaient succédé l'un à l'autre depuis Calais. Elle les repassait sans doute involontairement, et avec effroi, dans les ténèbres de la première nuit de son retour sous le toit de ses pères.

Arrivée à Leith, la reine avait remarqué, de la tour où elle s'était reposée, un pin découronné près de sa fenêtre. On lui avait dit que la veille, à l'heure même où elle aurait dû débarquer, l'arbre avait été frappé de la foudre et brisé. Pendant toute sa route de Leith à Édimbourg, du milieu de sa double escorte, elle avait observé le silence sombre et presque menaçant de la foule curieuse accourue sur son passage. Les monts d'Arthur et de Salisbury, ces monts nus et sévères qu'elle apercevait devant elle et qui dominent Holyrood, avaient redoublé son abattement. Enfin, parvenue au château, dans sa chambre, au moment où, déshabillée par ses femmes, elle regardait avec attendrissement un admirable portrait de Jacques V, son père, ce portrait était tombé et la toile s'était crevée d'une manière irréparable à l'endroit de la belle figure du prince.

Toutes ces pensées agitèrent Marie, et la tinrent cruellement éveillée jusqu'à l'heure où elle se leva pour la messe. Elle avait désiré qu'un prêtre catholique bénît ainsi, pur la plus auguste des cérémonies religieuses, son arrivée en Écosse. Le peuple, averti, s'insurgea contre cette manifestation papiste, et, sans la fermeté du prieur de Saint-André, lord James Stuart, qui se jeta entre l'émeute et l'autel, le prêtre aurait été immolé, sous les yeux mêmes de la reine ; dans la chapelle d'Holyrood. Elle eut alors l'intuition des deux fanatismes qui la menaçaient. A Leith, elle avait deviné le protestantisme politique de sa noblesse ; a Édimbourg, elle comprenait le protestantisme sectaire de la multitude.

Elle fut triste jusqu'au soir. Son premier dîner à Holyrood avait été marqué par un incident significatif. C'étaient les magistrats d'Édimbourg, dirigés par Knox, qui l'avaient ordonné. Au dessert, ces magistrats presbytériens firent avancer tout à coup un enfant qui présenta à Marie Stuart, sur un plateau d'argent, les clefs de la ville entre une Bible et un Psautier, symboles tyranniques du protestantisme, qui disaient mieux qu'un discours à quelles conditions était la couronne, à, quel prix était l'obéissance de l'Écosse.

Marie ne se ranima et ne retrouva une gaieté fugitive et un peu factice que le lendemain aux flambeaux. Il y eut réception royale. La petite cour française de Marie Stuart surpassait en magnificence sa cour écossaise. Le plaid de fin tartan était vaincu par le manteau coupé à la dernière mode de Paris. Les dentelles de Flandre, la soie de Chypre, les pierres précieuses et les perles ornaient la bonne grâce des jeunes courtisans d'outre-mer, qui éclipsaient avec insouciance ces Écossais qu'ils considéraient comme des sauvages, et qui ne pouvaient rivaliser avec eux que d'intrépidité et de belles armes.

Le grand escalier d'Holyrood, du côté du parc, cet escalier que ses degrés nombreux, larges et bas rendaient si doux à monter, était plus vivant qu'il ne l'avait jamais été. Des torches brûlaient dans des niches sur des candélabres de pierre ; des orangers et des myrtes parfumaient le porche majestueux arrondi en cintre et parsemé de petites ogives. On suivait avec admiration le pilier massif qui soutenait cet escalier léger, et qui dominait de ses guirlandes de bas-reliefs quatre balcons intérieurs superposés l'un sur l'autre.

La galerie et les salons de réception resplendissaient de lumières. Ces lumières, qui se reflétaient dans les glaces de Venise de Marie de Lorraine, étincelaient au-dessus de charmants porte-flambeaux achetés en France par Marie Stuart, et qu'elle avait fait déballer en arrivant. Ils étaient de bois sculpté et représentaient, échelonnés en cariatides, de petits sylvains aux pieds de bouc, aux corps et aux visages d'enfant. C'étaient des chefs-d'œuvre dont quelques-uns sont conservés encore à Holyrood. Tout le monde les admira et applaudit au goût de la reine.

Vêtue comme au Louvre, Marie était assise sur un fauteuil de bois ciselé, trône de ses ancêtres, et qui avait succédé au bloc de granit, en forme de chaise, sur lequel se plaçaient, dans l'abbaye. de Scone, les premiers rois d'Écosse, le jour de leur couronnement. Les femmes de la reine avaient recouvert de coussins le vieux fauteuil, et, de ce siège de majesté, Marie attirait à elle jusqu'à ses plus ombrageux ennemis.

De tous les environs d'Édimbourg les plus grandes dames s'étaient empressées pour cette soirée à la nouvelle cour, mais aucune n'était comparable à Marie Stuart ; et les poètes purent dire que la plus belle rose d'Écosse fleurissait sur la plus haute branche.

Deux groupes briguaient à l'envi les préférences de la reine, qui excellait dans cet art où la coquetterie de la femme s'élève jusqu'à l'habileté politique et devient un manège de la royauté. Elle ne mécontenta pas ce soir-là les Français qui l'avaient accompagnée, mais ses faveurs les plus marquées furent pour ses Écossais.

On remarquait autour d'elle trois de ses oncles, le grand prieur, le duc d'Aumale, le marquis d'Elbeuf, des grands seigneurs dont les aînés étaient de grands hommes. Venaient ensuite le fils du connétable de Montmorency, le maréchal Damville, digne d'ajouter encore de l'honneur à l'honneur de son nom ; Castelnau de Mauvissière, délié comme un ambassadeur, honnête comme un chevalier ; Chastelard, aussi brave que son immortel aïeul, bien que moins sérieux, un Bayard de roman ; Strossi, un proscrit d'une des plus puissantes familles de Florence, un héros athée que son talent, son courage.et sa parenté avec Catherine de Médicis relevaient dans l'exil ; la Guiche, un intrépide soldat, cher au duc François de Guise, qui le réservait pour les coups de main et pour les mêlées ; Brantôme, un Gascon libertin, spirituel, impudent, un écrivain de boudoir, d'alcôve et de bivouac ; puis la Noue, un cœur chaud et une tête calme, le Catinat anticipé de la réforme.

Les seigneurs écossais, mêlés à ce groupe, s'entretenaient avec la reine et avec les Français, plus bruyamment que ne le prescrivait l'étiquette. Marie les traita tous avec aine politesse affectueuse-proportionnée à leur naissance, à leur mérite, à leur importance politique.

Ils avaient pour la plupart une attitude guerrière et rigide à la fois, et l'on doutait s'ils ressemblaient à des chevaliers ou à des sectaires. Le premier d'entre eux était lord James Stuart, frère naturel de Marie, non moins beau que son père et que sa sœur, fier comme un bâtard de roi, hardi comme un soldat et prudent comme un diplomate. Après lui, on distinguait le comte de Morton, dont le visage impitoyable et adroit inspirait la crainte, et dont l'âme était plus double, plus insensible, plus sauvage encore que les traits ; lord Ruthven, sans peur et sans scrupule, rusé et audacieux avec l'aisance d'un homme de cour ; Lindsey, un rude et intrépide magnat de bruyères, dont les petits yeux gris enfoncés lançaient des éclairs aussi brillants que ceux de sa célèbre épée, et qui, sous son grossier pourpoint portait imprimés sur satin les plus terribles versets de la Bible ; lord Huntly, orgueilleux de son courage, de ses immenses richesses territoriales et de ses innombrables vassaux ; Maitland, un aigle et un caméléon tout ensemble ; Robert Melvil, un courtisan accompli, dont le dévouement dépassait un peu les calculs de l'intérêt personnel, et qui cédait quelquefois à son cœur malgré sa raison ; Kirkcaldy de Grange enfin, le plus habile tacticien de l'Écosse, un homme de guerre transcendant, admiré de tout ce qui portait en Europe l'épée du commandement, humain d'ailleurs au milieu des mœurs cruelles de sa patrie.

Les Hamilton, dont le chef était Jacques, comte d'Arran, duc de Châtellerault ; les Seaton, les Fleming, et les autres seigneurs papistes, étaient déjà en minorité dans cette noblesse, dont le souffle de la réforme entraînait les plus généreux, dont les moins délicats, les plus nombreux flairaient comme une proie les biens des grandes familles fidèles à la tradition, et les domaines de l'Église et des monastères.

La reine, fatiguée, se retira de bonne heure.

Bien qu'il eût été prié avec beaucoup d'égards, Knox, soit mépris du monde, soit hostilité, n'avait point paru dans les salons du château.

Après s'être échappé des galères de France, il avait vécu en Angleterre près de Cranmer, en Suisse près de Calvin. Il était rentré depuis 1555 en Écosse, où beaucoup d'émeutes presbytériennes l'avaient réjoui. Il en raconte une avec cette verve abrupte et puissante qui donne une idée de toutes les autres : J'ai vu, dit-il, l'idole de Dagon — le crucifix — rompue sur le pavé, et prêtres et moines qui fuyaient à toutes jambes, crosses à bas, mitres brisées, surplis par terre, calottes en lambeaux. Moines gris d'ouvrir la bouche, moines noirs de gonfler leurs joues, sacristains pantelants de s'envoler comme corneilles. Et heureux qui le plus vite regagnait son gîte ! car jamais panique semblable n'a couru parmi cette génération de l'Antéchrist.

Knox était le régulateur de la foi et le maitre de la colère du peuple, qu'il retenait ou qu'il déchaînait à son gré.

Son absence avait été remarquée à cette soirée, et l'on s'était entretenu de lui dans plus d'un groupe.

Avec ce tact délicat et cette rare clairvoyance qui la distinguaient dans ses courts intervalles de sérénité, lorsque les passions n'offusquaient point son esprit et n'aveuglaient point son regard, Marie comprit que les hommes avec qui elle aurait le plus à compter comme reine, et qui influeraient le plus puissamment sur ses destinées dans la politique et dans la religion, étaient lord James Stuart, son frère, et John Knox. Elle se résolut à les gagner.

Elle nomma lord James le chef de son cabinet, et lui donna pour second Maitland de Lethington. L'un et l'autre étaient merveilleusement propres, par leurs talents et par leurs liaisons, soit avec Dudley, soit avec Cecil, à maintenir l'union des deux reines et des deux pays.

Dès lors Marie s'occupa du soin de son royaume en princesse tantôt sérieuse, tantôt frivole. Elle cherchait à plaire autant qu'à gouverner. Près de son fauteuil, jusque dans la salle des délibérations, il y avait une petite table à ouvrage de bois de senteur. Marie, et c'était l'une de ses séductions, siégeait en femme dans ses conseils ; mais elle savait les présider en reine, passant à propos, au milieu des hommes d'État de sa confiance, d'une tapisserie ou d'une dentelle à des discours de politique et d'administration. Elle excellait dans les travaux de l'aiguille, et elle s'amusait à préluder par là aux vives illuminations d'une intelligence toujours brillante et même toujours juste, quand ses fougues personnelles ou l'ambition, soit de sa famille, soit de son parti, n'obscurcissaient pas ses facultés vraiment supérieures.

Marie, vers le 1er septembre 1561, dépêcha Maitland à Élisabeth. Ce jeune ambassadeur à qui rien ne manquait, si ce n'est l'incorruptibilité de la conscience, et qui accepta d'être le pensionné de l'Angleterre, était porteur-de mille assurances de dévouement pour la fille de Henri VIII. Il déposa à ses pieds, avec les compliments empressés de Marie, de riches présents parmi lesquels étincelait un diamant taillé en forme de cœur, comme symbole de l'affectueux élan de celle qui envoyait une si gracieuse ambassade. Marie se désabusa vite, mais elle fut du moins sincère au commencement, dans les protestations d'une amitié qui ne fut jamais chez Élisabeth qu'un leurre pour tromper et pour perdre sa rivale.

La reine d'Écosse tenait aussi à attirer John Knox.

Elle avait entendu jusque sur le continent le bruit de ses pamphlets et de ses sermons. Le retentissement du marteau démolisseur des presbytériens, disciples ou partisans de Knox, avait surtout frappé Marie d'un sombre pressentiment. Ils ne respectaient pas plus les monuments que la doctrine du catholicisme. Ils renversaient les églises, brisaient les statues, semant çà et là avec irrévérence les débris de leur vandalisme et tes ruines de la maison de Dieu. Des colonnes de marbre arrachées au sanctuaire servaient de piliers à de misérables cabanes au lieu du tronc des chênes, et le seuil des étables était fait des pierres qui scellaient autrefois les tombeaux des abbés et des évêques, des saints et des martyrs. Pendant que les foules commettaient les actes les plus terribles, les ministres de l'Église réformée s'emportaient aux déclamations les plus violentes. Ce qdi augmentait et justifiait les défiances, c'est que Marie ne ratifiait ni la confession religieuse du parlement de 1560, ni la confiscation des terres du clergé. On lui supposait avec raison l'arrière-pensée de substituer, dès que les circonstances le permettraient, le catholicisme au protestantisme, et de restituer leurs immenses propriétés aux prêtres romains. Elle rappelait quelquefois le mot courageux de l'évêque de Rochester, de John Fisher, aux conseillers de Henri VIII, qui demandaient à la chambre des pairs, sous des prétextes pieux, la sécularisation des petits monastères et l'administration de leurs fermes. Milords, s'était écrié le vénérable évêque, ce n'est pas le bien, ce sont les biens de l'Église que l'on veut. — Fisher ne se trompait pas, disait Marie ; les hérétiques n'ont jamais voulu autre chose. De là contre elle les colères des presbytériens.

Knox se montrait le plus ombrageux. Il avait écrit autrefois un livre contre le droit d'hérédité accordé aux femmes sous le règne de Marie d'Angleterre. Il recommanda publiquement la lecture de ce pamphlet, intitulé : Premier son de la trompette contre le gouvernement monstrueux des femmes.

Les nobles suivaient ce torrent de révolte. Ils mettaient la main sur la garde de leur épée comme les ministres du saint Évangile sur leur Bible. Lord Lindsey et tous les gentilshommes protestants de Fife proclamaient hautement qu'une reine idolâtre était indigne de gouverner ; quelques-uns même, qu'elle était indigne de vivre.

Rome s'émut, s'arma, s'organisa. Elle multiplia les missions, s'abrita sous les gouvernements. Elle fit éclater sur les rebelles à la vieille suprématie du pape, toutes les foudres spirituelles et temporelles. L'âme nouvelle de l'humanité était la plus forte. Ni le clergé, ni les moines prêcheurs, ni la régente, ne purent comprimer l'explosion religieuse de l'Écosse. Là, chez ce peuple fervent et obstiné, en face de la maison de Stuart et de la maison de Guise, la Bible traduite en langue vulgaire pénétra partout. Chaque château, chaque tour, chaque chaumière devint un sanctuaire pour les Écritures. Elles cessèrent d'être le patrimoine exclusif des prêtres. Par une heureuse substitution de la pensée à la matière, du Verbe à l'idole d'argile ou de bois, les deux Testaments furent dès lors, sous tous les toits des montagnes et des plaines, ce qu'étaient les pénates dans l'antiquité. Le livre sacré fut le dieu lare, le dieu familier et domestique de tous les foyers écossais.

Quand une doctrine est plus qu'un syllogisme pour une nation, quand elle est un amour, on doit être sûr de son triomphe.

C'est ainsi que l'Écosse accueillit la réforme.

L'apôtre et le théologien de ce grand mouvement fut John Knox. Il était doué des facultés les plus merveilleuses pour un propagateur d'idées. Convaincu, intrépide, éloquent, il avait dans le caractère ce mélange de finesse et d'audace qui distingue le génie de l'Écosse. Knox était à la fois un héros et un négociateur. Sous son voile de sainteté, dans l'intérêt de la cause qu'il représentait et du but qu'il poursuivait, il savait se montrer, selon les circonstances, tantôt hardi comme Wallace, tantôt délié comme Lethington.

Il était de haute taille. Son aspect athlétique imposait au peuple et l'impressionnait vivement. C'était un Titan révolutionnaire, un élément à face humaine. Sa voix ne parlait pas, elle tonnait. Ses yeux lançaient des éclairs. Ses cheveux sous l'inspiration paraissaient comme agités par le vent de Dieu. Son geste commandait. C'était un Danton biblique. Il y avait en lui du prophète et du tribun, et son influence politique égalait son influence religieuse. Menacé, chassé, exilé à plusieurs reprises, il revient toujours plus résolu. Il plie sous l'orage avec souplesse et se relève avec une vigueur que rien ne lasse. Il a l'énergie inépuisable de sa foi.

Cette foi était profonde, ardente, implacable. Elle s'était allumée aux bûchers que le gouvernement avait dressés dès 1524, et où il avait précipité en foule les partisans de la réforme introduite par Martin Luther.

Knox se sentit embrasé de zèle et d'indignation. Il éclata comme citoyen et comme croyant. Il comprit qu'il y avait pour lui, dans les évolutions de cette réforme sainte, une immense destinée.

Il se jeta tête baissée dans l'action.

Après la mort de Jacques V, le comte d'Arrau, devenu régent d'Écosse, se montrant favorable aux doctrines régénératrices, Knox prêcha violemment contre le papisme. Mais bientôt la versatilité du comte mit l'apôtre en grave péril. Désigné par les haines catholiques aux ressentiments du pouvoir civil, Knox se cacha, et il était à la veille de quitter l'Écosse en fugitif, lorsqu'un asile sûr lui fut généreusement offert. Cet asile, la Wartbourg du réformateur écossais, fut, dans la province de Lothian, le château du laird Douglas.

Telle fut la retraite où Knox mûrit tous ses plans et se prépara dans le silence, dans la méditation, à l'apostolat de l'idée nouvelle, et, s'il le fallait, au martyre.

Il y avait dans ce refuge un lieu solitaire où Knox passait chaque jour de longues heures. A l'ombre des noisetiers, appuyé sur un rocher ou couché sur la mousse, près d'un étang, il lisait la Bible traduite en langue vulgaire, puis il couvait ses desseins, épiant avec anxiété l'instant propice à leur éclosion. Quand il était fatigué de lire et de penser, il se rapprochait de plus en plus de l'étang, s'asseyait au bord, et il émiettait du pain de son hôte aux poules d'eau et aux sarcelles sauvages qu'il avait fini par apprivoiser. Vive image de sa mission parmi les hommes auxquels il devait distribuer la parole ! Knox aimait cette Thébaïde, cet enclos, ces rives de l'étang. C'est là qu'il serait doux de se reposer, disait-il ; mais il faut plaire au Christ.

Quand son moment eut sonné, on le vit reparaître dans les comtés de l'est de l'Écosse et semer hardiment les germes de sa doctrine. Refoulé en Angleterre, il y continua ses prédications. Persécuté par Marie, la sœur d'Élisabeth, il se retira à Genève, la Rome protestante, où Calvin l'accueillit comme un frère. On montre- encore l'allée verte, le long du lac, où ces deux forts ouvriers de Dieu se promenaient sous le ciel entre le Jura et les Alpes, et s'entretenaient de la tâche immense qu'ils avaient à remplir l'un et l'autre dans le monde. Impatient de mouvement et d'action, Knox partit bientôt de Genève ; il parcourut la Suisse et l'Allemagne, éveillant partout des disciples, des fanatiques et des persécuteurs. D'Allemagne il repassa en Écosse, où le peuple entier l'attendait. Chose merveilleuse ! il avait quitté une patrie catholique, il retrouva une patrie protestante. L'arbre qu'il avait planté avait grandi et fleuri en son absence ; Il fut reçu par toutes les classes comme le libérateur des âmes, comme le prophète du nouvel Évangile.

Il était digne de sa renommée et de la vénération qu'il inspirait.

Knox fut le grand initiateur de l'Écosse, non pas, à la manière antique, par les Muses immortelles, par la poésie, par la musique, par les nombres, comme Orphée, ou Tirésias, ou Pythagore ; mais selon le besoin des temps, par le pamphlet, par la prédication, par l'éloquence, comme Luther et Calvin. Il avait, ainsi que Calvin, poussé très-loin le protestantisme, et, tout en proclamant la divinité du Christ, pour laquelle il serait mort avec joie, il n'admettait point la présence réelle dans l'Eucharistie. Il avait fait ce pas immense au delà de Luther. Bien qu'il préférât pour la doctrine Calvin, son émule, dont il avait l'intelligence systématique, et la logique législatrice, à l'exemple de son maitre Wishart, il ne parlait de Luther qu'avec un respect mêlé de tendresse. Il n'approuvait ni les bouffonneries ni les faiblesses du grand moine de Wittemberg ; mais il le célébrait pour ses luttes, pour ses foudres contre Rome, pour les services rendus à la vérité évangélique, dont il avait été le premier promoteur et le premier flambeau dans la chrétienté.

Il invoquait souvent le nom et l'autorité de Luther ; il en citait les exemples et les maximes.

Que je le veuille ou non, je suis forcé de devenir plus savant de jour en jour, disait-il quelquefois avec l'ami de Melanchthon.

Et encore :

Jésus-Christ lui-même est né d'une femme, ce qui est un grand éloge du mariage.

Voilà pourquoi, ajoutait Knox, je me suis marié une et même deux fois. J'ai accompli le précepte de Dieu et de la nature.

Il avait le don d'imposer et d'entraîner. Il était exemplaire, persévérant, infatigable. Souvent à la merci, soit des paysans, soit des seigneurs, son intrépidité était sans égale. Témoin de leurs excès, il les rappelait sans cesse à la modération, à la pureté de la morale. Non-seulement il échappait ainsi à tous les périls, mais il s'emparait de la souveraineté spirituelle. Il était si dévoué, si éloquent ! et puis son prestige auprès du peuple, c'était sa sainteté ; auprès des nobles, c'était son courage.

Quelque temps après son arrivée en Écosse, Marie, qui sentait instinctivement la force du protestantisme religieux où s'allumait le protestantisme politique, double foyer entretenu et soufflé par l'Angleterre, Marie comprit de quelle importance il serait pour elle de conquérir John Knox. Il faut le gagner, disait-elle, ou bien il fera couler plus de larmes qu'il n'y a de flots dans le Forth.

On avait tant répété à la reine qu'elle était irrésistible ! Elle voulut essayer la séduction de son intelligence et de sa courtoisie sur le réformateur.

Elle eut plusieurs entretiens familiers avec lui.

Les timides amis de Knox craignirent les enchantements de la sirène papiste, et conseillèrent à leur guide vénéré d'éviter les pièges, afin de n'être pas tenté. Mais, amoureux de controverse, Knox ne craignait rien. D'ailleurs ses disciples ardents avaient confiance aussi, et disaient de lui ce que les catholiques avaient dit de saint Filan : Satan ne peut rien sur l'homme dont la main gauche jette une flamme qui éclaire la main droite, lorsqu'il copie la nuit les saintes Écritures.

Knox, sûr de lui-même, alla donc au palais où l'attendait la reine. Il se présenta fièrement, sa Bible sous le bras, avec la morgue presbytérienne, vêtu de l'habit brun introduit par Calvin et du manteau drapé sur l'épaule, à la mode de Genève.

Introduit sans retard près de Marie, il la salua silencieusement. Elle le pria de s'asseoir et lui dit : Je souhaiterais, monsieur Knox, que ma parole agît sur vous comme votre parole agit sur l'Écosse. Nous serions amis, et ce serait le bien du royaume.

Madame, répondit Knox, sourd à cette flatterie de princesse, la parole est plus stérile que le rocher, quand elle est mondaine ; mais quand elle est inspirée par Dieu, les fleurs, les épis et les vertus en sortent.

Animé par la discussion et par le sentiment de sa supériorité, Knox fut âpre avec la reine qui était charmante avec lui, et qui espérait, à force de grâces, trouver le défaut de la cuirasse du sectaire ou du citoyen. Knox resta invulnérable. Au milieu de ses respects officiels il fut franc, ironique, intraitable. Il écrasa le catholicisme ; il attenta même à la royauté de Marie.

Madame, lui dit-il, j'ai parcouru l'Allemagne, et je suis un peu pour le droit saxon. Lui seul est juste. Il réserve le sceptre à l'homme : il se contente de donner à la femme une place au foyer et une quenouille.

Knox était comme Luther. Le diable qu'il redoutait le plus, ce n'était pas le diable de la ruse et de la volupté : c'était le diable de la théologie. Il traita donc Marie Stuart avec cette superbe qui lui était naturelle, et que centuplait la dictature sacerdotale qu'il exerçait sur l'opinion publique de son pays. Républicain et protestant, il haïssait deux fois Marie. Il lui reprocha parures, festins, bals, spectacles. Il exprima même des soupçons cruels, et prononça des mots outrageants.

Marie s'humilia, désespérant de gagner autrement le puissant fanatique.

Un jour, elle dit à Knox qu'elle rendait justice à ses intentions et à ses lumières, et qu'elle le priait de l'avertir toutes les fois qu'il la surprendrait en faute. Knox répondit avec emphase qu'il était trop absorbé par les intérêts de la communauté chrétienne pour s'occuper de détails particuliers, et que le soin des peuples lui semblait plus obligatoire et plus digne de lui que la direction des consciences privées, fussent-elles des consciences royales. Marie fut si honteuse de sa condescendance, et si blessée de l'insolence de Knox, qu'elle ne put retenir ses larmes.

Un autre jour, elle lui dit :

Vous ne mettez pas un sceau assez fort à vos lèvres ; vous prêchez, vous armez nos sujets contre nous, quoique le Christ recommande l'obéissance aux rois. Votre livre contre le gouvernement des femmes est dangereux et incendiaire.

Qu'importe, madame, s'il est vrai ? Vous avez nommé mon maître. Il s'appelle Christ. Lorsqu'il est venu sur terre, s'il n'eût pas été loisible aux hommes de rejeter l'ancienne erreur, où en serait l'Évangile ? Les apôtres l'embrassèrent avec amour.

Ils ne se révoltaient pas.

En ne se soumettant pas, ils se révoltaient. Résister par conscience est le premier des devoirs.

Croyez-vous donc, reprit Marie avec emportement, que les peuples aient droit contre les rois ?

A cela, Knox répondit longuement, puis s'animant :

Il est écrit, madame, que les rois sont des pères. S'ils font le bien, s'ils ouvrent les yeux à la lumière, les sujets doivent les bénir ; sinon, s'ils sont insensés, tyranniques, aveugles, s'ils se complaisent dans la nuit, dans le mensonge, dans la volupté, les sujets peuvent leur arracher l'épée, la couronne, la liberté. Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux rois.

Prétendriez-vous, reprit vivement la reine, que nos sujets fussent vos sujets ? Leur conseilleriez-vous de m'abandonner pour vous suivre ?

Non, madame, si vous écoutez la voix des saints. Car il est encore écrit : Les rois sont les pasteurs, les reines sont les mères, les nourrices de l'Église.

De quelle Église ?

De la seule bonne, répliqua Knox.

La seule bonne, celle que je défendrai, dont je serai en effet mère et nourrice, je vous le déclare en face, c'est l'Église de Rome.

A ces mots, Knox devint pâle de colère ; ses yeux brillèrent comme deux astres, et il s'écria d'une voix tonnante : Malheur à vous, si vous faites de votre cause la cause du pape ; si la cause de l'Église déchue et souillée, la cause de la grande prostituée, de la prostituée romaine, devient votre cause !...

Il se sépara d'elle d'un pas lent, d'un air grave, après ces menaçantes paroles. Il alla rejoindre ses disciples, ses amis, toute l'élite du parti protestant, dont les cœurs l'attendaient, dont les oreilles étaient avides d'entendre le récit de ses conférences décisives avec la reine.

La Guisarde parodie la France, leur dit Knox : farces, prodigalités, banquets, sonnets, déguisements ; le paganisme méridional nous envahit. Pour suffire à ces abominations, les bourgeois sont rançonnés, le trésor des villes est mis au pillage. L'idolâtrie romaine et les vices de France vont réduire l'Écosse à la besace. Les étrangers que cette femme nous amène ne courent-ils pas la nuit dans la bonne ville d'Édimbourg ivres et perdus de débauche ?

Il n'y a rien à espérer de cette Moabite, ajouta-t-il ; autant vaudrait pour l'Écosse bâtir sur des nuages, sur un abîme, sur un volcan. L'esprit de vertige et d'orgueil, l'esprit du papisme, l'esprit de ses damnés oncles les Guise, est en elle.

Knox demeura donc inflexible. Un chevalier aurait été vaincu sous sa cuirasse de fer ; lui, le prêtre, le docteur, ne le fut pas sous son vêtement de bure. Il garda l'implacabilité de son fanatisme. Ni la jeunesse, ni la beauté, ni les talents de Marie, ne le touchèrent. Il ne voulait d'elle que sa conversion ou son abdication. Telle était la terrible alternative où il s'efforçait déjà de précipiter Marie et l'Écosse.

L'âpre pédanterie de Knox célébrée dans les presbytères et dans la vieille ville, fut blâmée à la cour. Les seigneurs protestants eux-mêmes s'en plaignirent. Vous connaissez, écrivait Maitland à Cecil, la véhémence de tempérament de M. Knox. Elle ne se laisse pas modérer. Je souhaiterais qu'il parlât d'une façon plus douce et plus aimable avec la reine, qui déploie vis-à-vis de lui une sagesse bien au-dessus de son âge.

Marie en effet, quoique impatientée et surprise de son impuissance, parvint à se contenir. Elle échoua avec un dépit intérieur contre le théologien, mais elle ne le méprisa point. Elle resta épouvantée de son audace et de sa force : n Sa voix, disait-elle, est le rugissement du lion. Quel dommage qu'un tel homme soit contre notre bien et celui de notre royaume ! Mais il hait le pape, les rois, et encore plus les reines. Après chaque entretien avec Knox, on remarqua toujours que Marie était triste. Ce n'était pas doute sur le catholicisme, c'était peut-être un peu déplaisir de coquetterie royale, qui n'aime pas à se donner en vain la peine de discuter ; mais c'était surtout terreur secrète des maux que ce demi-dieu de la multitude pouvait déchaîner sur l'Écosse.