Continuation du blocus. — La période d'observation. — Quartiers d'hiver. — Le capitaine Morlet et son détachement. — Tristes nouvelles du dehors. — Situation critique. — Plus d'argent ! — Le lieutenant Mondelli. — Un montagnard des Vosges. — Mission verbale. — Sottise tudesque. — Entre Bitche et Tours. — Les pérégrinations du comte de Drée. — Le rapport de l'émissaire.La deuxième quinzaine d'octobre marque une nouvelle phase du blocus : la période d'observation succède à la période d'action. De rapports transmis par nos paysans, il résulte que l'adversaire prélève sur ses forces devant Bitche un assez nombreux contingent, vraisemblablement destiné à aller grossir l'armée qui bloque Metz. Dans la place, les instants sont activement employés. Le capitaine qui commande en chef l'artillerie fait construire des gabions, des traverses et des entrepôts à poudre blindés pour chaque batterie. Ces entrepôts sont protégés au moyen de rails transportés par des soldats, du chemin de fer au château, au prix d'efforts inouïs. Le capitaine commandant le génie dirige l'installation des abris que rendent de plus en plus nécessaires les rigueurs de la saison. Quelques fourgons à marchandises, restés en gare, peuvent être amenés dans la ville ; la voie ferrée passe sous le glacis du fort. Des escouades de travailleurs vont faire dérailler ces wagons et les traînent jusqu'à la porte de Wissembourg. De là on les dirige sur le camp pour servir de logements aux troupes. On avait horriblement souffert du défaut de communications reliant, à couvert, la partie principale du fort avec le bastion renfermant l'ambulance du siège. Pour parer à cet inconvénient, il eût fallu creuser dans le roc vif une galerie longue de 45 mètres. Mais où prendre des outils ? Où trouver un personnel possédant l'expérience nécessaire ? Des soldats d'infanterie sont improvisés mineurs. Un métallurgiste des environs, M de Joannis, introduit dans la place l'acier à l'aide duquel sera forgé l'outillage. Quelque téméraire que paraisse l'entreprise, elle est poursuivie quatre mois durant. D'autre part, le capitaine Morlet emploie le détachement du 27e de ligne dont il a le commandement, à creuser des trous-de-loups, à tailler des abatis, à élever des palissades. De tous côtés, sous l'active impulsion du commandant de la place, on remue de la terre, on poursuit l'armement. La forteresse accroît ses attributions défensives comme si l'éventualité d'une attaque nouvelle apparaissait imminente. Le 29 octobre, parvient au commandant Teyssier la douloureuse nouvelle que Metz est au pouvoir des Prussiens. Mais nul événement extérieur ne saurait avoir prise sur cette âme fièrement trempée. Un sujet d'inquiétude plus immédiat l'a envahie. Bien que la solde des troupes soit, depuis plusieurs semaines, réduite à de faibles à-comptes et celle des officiers fixée à un maximum provisoire de 5o francs par mois sans distinction de grades, les caisses militaires et civiles sont épuisées ; l'argent, ce nerf de la guerre, est près de faire défaut ! S'en procurer aux environs, il n'y faut pas songer : où l'Allemand a passé, que reste-t-il à prendre ? Après avoir jusque-là fait face à toutes ses obligations, Bitche serait donc à la veille de déposer son bilan pour insuffisance d'actif ? Dans ces difficiles conjonctures, un officier que nous avons eu déjà l'occasion de nommer, le lieutenant Mondelli, a formé depuis quelque temps un projet : sortir de la place, franchir les lignes coûte que coûte, parvenir jusqu'à Lille, jusqu'à Tours, s'il le faut, et rapporter dans la citadelle les fonds que le gouvernement ne pourra manquer de lui confier. Ce mandataire profitera de son voyage pour obtenir, en faveur du commandant de Bitche, le droit de promotions et de récompenses. Par une fâcheuse lacune, le règlement ne reconnaît point ce droit aux officiers d'un grade inférieur à celui de lieutenant-colonel ; privation pénible, pour un chef chaque jour témoin des plus sublimes sacrifices ! Mais c'est en vain que l'adjudant de place a sollicité l'autorisation du commandant Teyssier ; ce dernier redoute pour lui les périls qui pourraient rendre son dévouement inutile. Le 28 octobre, le lieutenant Mondelli a pris le parti de soumettre ses plans à son chef de bataillon, le brave Bousquet. J'ai sérieusement réfléchi, lui écrit-il, aux moyens à employer pour traverser le pays occupé ; j'y serai aidé par un fervent patriote de Sarreguemines. Cédant à d'aussi vives instances, le commandant de la place se laisse fléchir enfin. Le 30 octobre, guidé par le fervent patriote sur le concours duquel il n'a pas compté en vain, le hardi éclaireur se glisse hors des murs sous un accoutrement civil. M. Mondelli est natif de Bordeaux ; il appartient à une famille originaire de la Suisse, depuis longtemps établie à Lyon. Au mois de juillet 1870, il se trouvait en qualité de sous-lieutenant à Saint-Malo, dépôt du 86e régiment, lorsque, nommé lieutenant aux bataillons de guerre qui étaient a Sarreguemines, il avait reçu l'ordre de rejoindre cette localité. Un détachement de 200 réservistes étant en partance, on lui en avait confié le commandement. De Saint-Malo à Paris, de Paris à Metz, de Metz à Sarreguemines, telles furent ses premières étapes. A Sarreguemines, le 4 août, il apprenait le départ tout récent de son régiment pour Bitche ; immédiatement, il faisait route vers Bitche, où le détachement arrivait dans la matinée du 5 août. Soldat plein de vigueur et de décision, Mondelli a sa place marquée parmi ceux qui doivent uniquement à leur mérite personnel la situation qu'ils occupent. Figure ouverte, œil vif et pénétrant, moustache et barbiche noires, front découvert, teint basané et, dominant l'ensemble, un caractère de loyauté chevaleresque et d'irrésistible confiance, — telle est la physionomie de l'homme. Son compagnon de route, grand et robuste marcheur, est un négociant de Sarreguemines, M. Erhardt ; il a entrepris le voyage de Bitche moitié par amour pour le 86e de ligne auquel appartient l'un de ses proches parents, moitié par patriotisme. De pareils exemples ne sont pas rares, on le sait, chez cette race de montagnards au tempérament de fer. Bien d'autres habitants des alentours sont accourus dans Bitche ; l'un d'eux M. Blusset, dès le milieu du mois d'août. Bien qu'âgé de cinquante ans et étranger aux choses de la guerre, M. Blusset n'avait pas hésité à s'enrôler parmi les défenseurs ; on lui avait conféré le grade de sergent à titre auxiliaire. Pleins d'espoir en leur bonne étoile, M. Erhardt et le lieutenant Mondelli se dirigent, par les ravins, vers la Rosselle. Pour toute légitimation du grave mandat qn'il va remplir, l'officier emporte, cousu dans la doublure de son gilet, un mince carré de papier sur lequel son supérieur a défini ainsi les pouvoirs dont il l'investit : M. Mondelli, Louis-François-Jean-Baptiste, lieutenant au 86e de ligne, est envoyé en mission auprès du gouvernement français (mission verbale) par le commandant de la place de Bitche. Bitche, le 30 octobre 1870. Le commandant de la place, TEYSSIER. Mission verbale auprès du gouvernement français. — Comment s'accomplira cette mission ? Où, quand, de quelle façon atteindre le siège du gouvernement ? Les voyageurs ont à peine pris le temps d'y songer. Bravement, ils escaladent les premières hauteurs, au moment même où une reconnaissance ennemie vient de s'en éloigner. A tout hasard, M. Erhardt est prêt à prendre la parole en cas d'indiscrète question des Allemands, car l'officier qui l'accompagne ignore leur langue. La précaution a son utilité. A quelques kilomètres plus loin. un chef de poste les arrête : — Qui êtes-vous ? D'où venez-vous ? Où allez-vous ? — Nous sommes des marchands ; nous venons pour affaires de la Cristallerie de Saint-Louis ; nous retournons chez nous, à Sarreguemines. Le Tudesque examine longuement les inconnus. Evidemment il leur trouve l'aspect d'inoffensifs bourgeois, car a près un silence : — Passez, conclut-il. Ils passent. De loin en loin, un soldat étranger s'arrête pour les examiner avec ce regard soupçonneux et niais à la fois, particulier à la race d'Attila. L'officier fume avec acharnement une courte pipe dont les rapides bouffées enveloppent son visage d'un masque de fumée. Une crainte l'agite, celle d'être reconnu par quelqu'un des parlementaires qu'il avait dû, dans ses fonctions d'adjudant de place, recevoir en plusieurs occasions. On atteint Sarreguemines sans que cette éventualité se soit réalisée. La ville est occupée par 3.000 Prussiens. Une forte escouade est logée dans la maison de M. Erhardt. Par prudence M. Erhardt conduit son hôte chez le directeur de l'usine à gaz, M. Hamont. Celui-ci ne peut lui-même offrir au lieutenant qu'un lit attenant à un cabinet où sont couchés deux soldats allemands. C'est au bruit de leurs ronflements que l'émissaire s'endort. Le lendemain, on se concerte. Il est convenu que le lieutenant Mondelli sortira de France par le Luxembourg pour y rentrer par la Belgique. Le 2 novembre au matin, après un voyage passablement accidenté, l'énergique officier touche à Bruxelles. Il y rend visite au ministre de France. M. Tachard l'encourage à poursuivre sa mission. Le 3, Mondelli est à Lille ; il se présente à Bourbaki. — Patience lui dit le général, nous tâcherons d'aller vous délivrer bientôt. Le général Bourbaki nourrissait-il déjà le projet de sa funeste expédition dans l'Est ? Conduit auprès de M. Testelin par le général Farre, chef de l'état-major, le lieutenant expose l'objet de son voyage, spécialement en ce qui touche la pénurie monétaire. — Je n'ai d'argent que pour les quatre départements du Nord, réplique le commissaire de la République, il m'est impossible de disposer de fonds pour aucun autre emploi. Ces paroles ne sont que trop justifiées par la nécessité de pourvoir aux besoins des nombreux officiers échappés de Metz qui affluent chaque jour, manquant de tout, réclamant les indemnités dues pour perte d'effets, impatients de reprendre du service. On engage l'envoyé à pousser jusqu'à Tours. Il y parvient dans la soirée du 5. Se rappelant à propos que son régiment a tenu garnison dans la ville, il se rend à la préfecture ; il compte faire appel aux souvenirs du préfet récemment nommé, M. Durel, qui a connu le 86e autrefois. Égaré dans un dédale de couloirs, l'officier cherche en vain le cabinet du préfet. Un personnage qui passe lui en indique la porte, pénètre dans la pièce avec lui. Après explications, le lieutenant apprend que son introducteur est M. Gambetta. Mondelli dit alors pourquoi il est venu ; il fait un tableau complet de la petite place lorraine assiégée ; il parle avec chaleur de ses compagnons d'armes. — Ce sont des braves ! s'écrie M. Gambetta, quand la France est témoin de tant de défaillances, d'aussi nobles exemples ne sauraient être trop récompensés. Ordre est donné à l'officier d'apporter, le lendemain, un rapport circonstancié des événements survenus à Bitche depuis le 6 août. Il re reste plus à aborder que la question d'argent. Avant de se retirer, le lieutenant Mondelli présente sa requête. — Ah ! fait le ministre, vous demandez des fonds ? Eh bien ! ils sont en route depuis deux jours déjà. Devant cette révélation, son interlocuteur demeure stupéfait. Une particularité ignorée du lieutenant Mondelli expliquait la réponse du délégué à la guerre. Quelques jours après la sortie de Bitche du vaillant officier, le commandant Teyssier, préoccupé déjà de la situation pécuniaire, avait fait part de ses appréhensions à deux des visiteurs qui, avec une sollicitude touchante, trouvaient quotidiennement l'occasion de s'informer des besoins de la place. Ces visiteurs étaient M. de Turckheim, ancien lieutenant de vaisseau, habitant un château près de Niederbronn, et M. de Joannis, directeur de forges à Muterhausen. Par leur intermédiaire, le commandant avait réussi à faire passer un billet, exposant brièvement sa situation, à un fonctionnaire français en Suisse, le comte de Drée, vice-consul à Neuchâtel. M. de Drée ne pouvait manquer de comprendre que le salut de la place dépendait de la promptitude apportée dans l'envoi des fonds réclamés. Sa première carrière, — lui aussi, avait appartenu à la marine, — l'avait accoutumé à embrasser d'un coup d'œil les difficultés et les chances de réussite d'une entreprise. La lettre du commandant Teyssier lui était parvenue le 30 octobre au matin ; le 3o octobre au soir, il quittait Neuchâtel, confiant à Mme de Drée le soin des affaires du consulat, qui consistaient surtout à délivrer aux militaires échappés d'Allemagne les secours nécessaires pour regagner notre pays. Le voyageur atteignait Tours le 1er novembre, se présentait à. la délégation des affaires étrangères, et priait M. de Chaudordy de lui faire obtenir cinquante mille francs. Le 3 novembre, le comte de Drée repart pour Neuchâtel, emportant cette somme en pièces d'or. Il se munit d'un passeport suisse revêtu d'un signalement qui offre quelque analogie avec le sien propre, il emprunte à un ami du linge aux initiales du nom qu'indique le passeport. Le 5, il se remet en route, bien résolu à pousser jusqu'à Bitche. M. de Drée traverse successivement Bâle, le grand-duché de Bade, Strasbourg, Haguenau. A cette dernière station, le train s'arrête définitivement. Un cabriolet loué à grand'peine transporte le passager jusqu'à Niederbronn. A Niederbronn, le vice-consul éprouve quelques appréhensions pour ses 50.000 fr. qu'il porte dans une valise. Il réussit à surmonter les difficultés d'une descente de voiture et d'une marche effectuées sous les yeux des Allemands, auxquels il faut cacher le contenu du colis. Il arrive chez M. de Turckheim, gagne en coupé Muterhausen, descend chez M. de Joannis. Le lendemain, à la pointe du jour, MM. de Joannis et de Drée partent ensemble pour Bitche, en suivant la route de Deux-Ponts. Cette voie passe pour être la moins strictement surveillée. Ils esquiveront donc les patrouilles allemandes. Ils parviennent en effet dans la place sains et saufs. Quelques heures plus tard, le messager sortait de la citadelle, serrant dans son portefeuille la pièce suivante : Le comité des approvisionnements de la place de Bitche déclare avoir reçu aujourd'hui, 7 novembre 1870, la somme de 50.000 francs de M. le comte de Drée, vice-consul de France à Neuchâtel, qui nous a remis cette somme de la part du gouvernement. Bitche, le 7 novembre 1870. Signé : Les membres du comité des approvisionnements. Les officiers de la garnison avaient offert aux voyageurs un cordial déjeuner. Jamais, écrivait plus tard M. de Drée à un ami, repas ne me parut plus délicieux que l'humble festin de la cantinière de Bitche. La gaieté française qui ne perd jamais ses droits, la satisfaction que nous donnait à tous la pensée des devoirs envers la patrie que nous accomplissions chacun de notre côté, l'originalité de la position, tout a contribué à faire de cet épisode un agréable souvenir, le seul de cette époque où les joies furent si rares pour nous tous. En arrivant à Tours, Mondelli ne pouvait connaître ces détails. L'annonce que des subsides étaient partis pour Bitche l'allégeait du plus pressant des soucis ; elle devait lui permettre de retarder son retour et d'appliquer ses soins à l'élaboration d'un projet important pour la défense. Grouper en un faisceau compacte les éléments épars dans la place ; réunir, à l'unique bataillon du fort, un deuxième bataillon composé des isolés du camp retranché ; former un régiment de marche qui, en cas d'opérations au dehors, présenterait des garanties de solidité qu'il est impossible d'attendre de faibles détachements distincts les uns des autres, — tel est le plan combiné de longue main, mais à la réalisation duquel s'est opposée jusqu'ici l'absence de pouvoirs réguliers. Sur la demande du ministre, l'officier rédige un mémoire. S'inspirant des intentions que lui a communiquées le commandant de la place, d'une part ; d'autre part, d'un mémoire de propositions rédigé par le commandant Bousquet, M. Mondelli désigne les chefs et les soldats de toutes armes qui se sont signalés, n'omettant qu'un seul nom : le sien. Il a plusieurs entrevues avec le chef du personnel, M. le général de Loverdo. Un décret sanctionne la formation d'un régiment de marche, le 54e. En vertu d'un autre décret, le commandant Teyssier est promu au grade de lieutenant-colonel, investi de pleins pouvoirs pour les nominations aux grades inférieurs à titre provisoire et pour les dispensations de croix et de médailles, sauf approbation ultérieure du gouvernement. Le chef de bataillon Bousquet est nommé lieutenant-colonel commandant le 54e de marche ; les capitaines d'infanterie Blusset et Fenoux, le capitaine du Bénie Guéry, sont nommés chefs de bataillon ; le capitaine d'artillerie Jouart est décoré ; le lieutenant Mondelli a décliné pour lui-même un avancement en grade ; il est créé chevalier de la Légion d'honneur et désigné pour être porté à l'ordre de l'armée. Le courageux ambassadeur reprend le chemin de Bitche, justement fier de sa mission. A son passage à Lille, il se munit d'un passeport au nom de Margollé (Paul), voyageur de commerce, allant en Belgique et Luxembourg. Le 15 novembre, il est à Bruxelles, le 16 à Luxembourg, le 17 à Saarbrück, le 18 à Sarreguemines, où il retrouve M. Erhardt. Une carriole est préparée ; tous deux y prennent place. Malgré l'heure avancée, ils se dirigent vers les hauteurs. Plus que les rondes ennemies, ils ont à redouter le feu des sentinelles de Bitche. Heureusement, les chefs de poste sont avertis. Après avoir laissé en arrière la ferme du Freudemberg, descendu la côte et remisé leur voiture à l'abri d'un monticule, nos voyageurs se glissent jusqu'aux avancées de la porte de Phalsbourg. Très prudemment, ils se font reconnaître. Le 19, dans un rapport au commandant de la place, le lieutenant Mondelli rend compte de sa mission : RAPPORT J'ai l'honneur, mon colonel, de vous rendre compte des résultats de la mission dont vous m'avez chargé auprès du gouvernement. Parti du fort de Bitche le 30 octobre dernier, je n'ai pu arriver à Tours que le 5 novembre et être présenté à M. le ministre de la guerre que le 6, à huit heures du soir. Je lui ai dépeint la situation de la place dans les termes que vous m'avez indiqués, et je lui ai fait part du désir que nous avions d'entrer en relation avec le nouveau gouvernement : Que notre intention était de tenir jusqu'au bout, malgré notre isolement, et que nous pourrions le faire indéfiniment si nous avions l'argent indispensable à nos approvisionnements et à ceux des hôpitaux ; Que nous ne pouvions pas compter sur les ressources des villages voisins pas plus que sur celles des habitants de la ville, puisque ceux-là étaient occupés ou trop éloignés et avaient déjà été requis par l'ennemi et que ceux-ci avaient vu leurs meubles et immeubles incendiés ou détruits. M. le ministre me répondit que ces deux questions étaient résolues depuis deux jours, par l'intermédiaire d'une personne de Neuchâtel. J'abordai ensuite la question des récompenses. M. le ministre parut très satisfait : Je serai heureux, me dit-il, de récompenser tous les braves qui résistent avec opiniâtreté. Je lui fis remarquer qu'il y avait plusieurs corps et plusieurs services dans la place, qui, eux aussi, méritaient d'être récompensés, surtout le corps de l'artillerie ; que le camp retranché, à côté de quelques mauvais sujets dont on taisait justice, renfermait des hommes de dévouement qui avaient fait leurs preuves conduits par leurs officiers ; que le commandant de la place, ne voulant pas compromettre ma mission, n'avait pas cru devoir me donner un mémoire écrit, mais qu'il m'avait fait part de ses intentions. Le ministre me demanda un rapport pour le lendemain ; je ne pus le lui remettre en mains propres, à cause de ses occupations ; mais, à six heures du soir, il m'envoya un de ses représentants qui prit connaissance du rapport, me promit de le communiquer dans la soirée et m'engagea à venir le 8 au matin pour connaître le résultat. Ce rapport indiquait d'une manière plus étendue tout ce que j'avais pu dire verbalement la veille. A propos du projet de la formation d'un deuxième bataillon, je disais : Le 66e est formé d'un bataillon de 750 hommes environ ; ses cadres sont au complet ; on pourrait former aisément un deuxième bataillon ; les éléments ne manquent pas, aussi bien dans l'infanterie du camp retranché que parmi les jeunes gens de l'arrondissement qui n'ont pu rejoindre les corps pour lesquels ils étaient destinés. On les ferait prévenir adroitement ; il n'y a ni habillement, ni équipement, mais on possède des armes, l'ingéniosité des chefs suppléerait au reste. Je donnais la composition des différentes armes ; et je demandais pleins pouvoirs pour décerner des récompenses à toutes les armes de la garnison, puisque let règlements n'en attribuaient pas le droit à un chef de bataillon commandant une place isolée. Dans le cas où ces pleins pouvoirs ne vous seraient point donnés, le rapport fixait un chiffre de six croix et une trentaine de médailles pour l'artillerie, la douane, le camp retranché et les différents services isolés. Ce chiffre, disais-je, peut paraître élevé à première vue mais il est justifié par le grand nombre des sous-officiers du camp retranché, dont quelques-uns et beaucoup de soldats blessés, au pouvoir de l'ennemi, à demi-guéris, se sont évadés pour venir se mettre à la disposition du commandant de place ; par les services exceptionnels de l'artillerie et par de graves blessures qui ont atteint quelques vieux braves douaniers ; en un mot, par la composition tout hétérogène de 'e garnison, puisque le camp retranché à lui seul est formé de 72 corps divers (cavalerie et infanterie), débris de Wœrth, Reischoffen, etc. Le 8 au matin, le représentant du ministre, qui m'avait reçu la vaille, m'apprit que M. le ministre s'intéressait beaucoup à la situation de Bitche ; que son intention était de récompenser tous les militaires qui en étaient dignes, parce qu'il tenait essentiellement à la résistance des places fortes mais qu'il serait très long de régler le tout séance tenante, en raison des nombreuses demandes faites et des différentes armes à satisfaire. Il m'annonça, du reste, que le commandant de la place, nommé lieutenant-colonel, serait revêtu de pleins pouvoirs, et, en attendant qu'il décernât des récompenses, M. le ministre donnait, dès à présent, une croix d'officier, trois croix de chevalier et le grade de capitaine à un lieutenant. Sur quelques justes observations que je fis pour faire donner sur les lieux les grades supérieurs que vous demandiez, un nouveau rendez-vous me fut assigné pour onze heures du soir ; le projet élaboré plus largement, approuvé le lendemain matin par M. le ministre de la guerre, comprit toutes les nominations à l'appui desquelles j'ai apporté les lettres d'avis, ainsi que l'ordre de constitution d'un 20 bataillon au 86e, et pleins pouvoirs pour le lieutenant-colonel commandant la place. La multiplicité des affaires à résoudre par les bureaux du ministère, qui travaillaient jour et nuit, ne m'a pas permis de traiter différentes questions, telles que celles de l'organisation de l'artillerie en batteries et de la cavalerie en pelotons, en raison de leur effectif élevé. Mais j'ai la ferme persuasion que, par analogie à la formation d'un 2e bataillon d'infanterie, M. le ministre de la guerre aurait accordé toutes les formations faites dans l'intérêt du service. Je ne terminerai pas, mon colonel, sans vous dire que j'ai vu, en allant et en revenant, MM. le général Bourbaki, le général Farre, chef d'état-major de l'armée du Nord, le commissaire du gouvernement de la partie nord de la France, le préfet d'Indre-et-Loire, le ministre de la guerre, l'ambassadeur de France à Bruxelles, et que tous ont rendu hommage à la ferme résistance de Bitche. M. Gambetta devait me donner une lettre de félicitations pour le commandant de la place et les troupes de la garnison ; mais l'arrivée de M. Thiers ne m'a plus permis d'être reçu par le ministre. J'ai l'honneur d'être, mon colonel, etc. MONDELLI, Lieutenant au 86e de ligne. Le retour du négociateur est une véritable fête pour les camarades dont les vœux l'ont accompagné dans son pénible parcours. On le félicite, on l'entoure, on le presse de questions ; les paroles d'espoir qu'il apporte, l'activité dont il a été témoin, la formation d'armées nouvelles, la ferme attitude de Paris, le réveil en masse du pays, les prévisions d'une prochaine offensive, et, pardessus tout, l'annonce du succès de Coulmiers, rendent à tous les cœurs leurs illusions des meilleurs jours. La modération avec laquelle le commandant Teyssier use du droit que lui a conféré le ministre de la guerre contraste avec l'excès de décorations et de grades que l'on a vu, ailleurs, s'étaler librement. Des trois croix attribuées au bataillon du 86e de ligne, deux sont accordées aux capitaines Palazzi et Malifaud, l'autre au sergent Monnier-Lambert. Tous ont plus de vingt années de service. Sont décorés également, dans les autres corps : le capitaine d'artillerie Lair de la Motte, un héros ; le lieutenant Dessirier, du 2e zouaves, entré dans la place après s'être enfui d'une ambulance prussienne où il était en traitement ; le sous-lieutenant Labarbe, du 30e de ligne ; le capitaine d'artillerie Lesur ; le capitaine de gendarmerie Mathieu ; l'inspecteur des douanes Narrât ; le sous-lieutenant Robin, du 49e de ligne ; l'officier d'administration Souquet, du service des hôpitaux ; le garde du génie Guichard ; le secrétaire-archiviste Brunel. La formation du 5 4.0 régiment de marche entraîne la promotion de plusieurs lieutenants au grade de capitaine ; Mondelli est du nombre. Les sous lieutenants, à leur tour, passent lieutenants ; des sous-officiers prennent leurs places. |