HISTOIRE GRECQUE

TOME CINQUIÈME

LIVRE SEPTIÈME. — LA MACÉDOINE ET LA GRÈCE (362-337 Av. J.-C.).

CHAPITRE QUATRIÈME. — LES DERNIÈRES LUTTES POUR L'INDÉPENDANCE DE LA GRÈCE.

 

 

§ III. — LA DÉFAITE DU PARTI NATIONAL.

Démosthène avait atteint son but : après une longue période de honteuse inaction, Athènes avait recommencé à intervenir avec énergie, et succès dans les événements du temps. Elle avait de nouveau groupé des alliés autour d'elle : dans le Péloponnèse, en Acarnanie, en Thessalie, sur l'Hellespont, elle s'était résolument opposée au roi : l'Eubée était affranchie par elle : toutes les entreprises de Philippe dans les eaux du Pont, entreprises qui lui avaient coûté un si grand déploiement de forces militaires, elle les avait rendues vaines ; elle avait maintenu libre la route des grains, sur laquelle il avait voulu mettre la main. Le roi avait dû lever le siège de Corinthe et de Byzance, et les patriotes athéniens durent éprouver un légitime orgueil le jour où les deux puissantes villes maritimes vinrent offrir au peuple d'Athènes des décrets honorifiques et des couronnes d'or pour le remercier de leur délivrance[1].

L'antique Athènes était revenue à la vie. Mais il ne fallait pas se contenter de quelques succès. La paix était décidément rompue, et il s'agissait maintenant de préparer la ville aux combats désormais inévitables qu'elle allait avoir à livrer pour son indépendance. Quels moyens avait-elle pour cela ? Sans doute, l'ennemi de la république n'apparaissait plus comme le guerrier invincible, à qui tout devait réussir ; mais, s'il avait été malheureux dans quelques-unes de ses entreprises, sa puissance n'en continuait pas moins de faire des progrès que rien n'arrêtait. Il augmentait constamment ses ressources militaires et forçait tous les jours de nouveaux peuples à lui fournir des milices ; il imposait des tributs, levait des contributions de guerre, faisait du butin, s'emparait de mines et de douanes lucratives, et disposait absolument d'une abondance de ressources qui, vues d'Athènes, paraissaient infinies. Quant à Athènes, elle ne pouvait pas compter sur un accroissement de ses moyens ; sans subsides, sans tributs, elle était réduite à elle-même, et toutes ses facultés dépendaient de la bonne volonté de ses citoyens et d'alliés peu nombreux. On ne pouvait pas faire autre chose à Athènes que de tirer, par une économie bien calculée, des moyens dont on disposait tout le parti possible, de supprimer de funestes abus et de relever la force défensive de la république : il fallait donner aux citoyens amollis par la politique pacifique d'Eubule une consistance telle qu'ils pussent soutenir la rude épreuve qui les attendait.

Des réformes si pressantes et si énergiques dans la vie publique ne pouvaient s'opérer par la voie législative ordinaire ; il fallait pour cela l'influence dirigeante d'un homme éminent. Il était donc très heureux, pour le succès des efforts nécessaires, qu'il existât un homme d'État en possession de la confiance des citoyens, que la grande majorité des citoyens comprît la nécessité de lui donner, dans ce moment décisif, des pouvoirs spéciaux, et enfin qu'on eût une idée nette des points par lesquels il fallait commencer les réformes.

C'est par sa marine qu'Athènes avait été sauvée dans les guerres médiques ; c'est comme puissance navale qu'elle avait rempli sa mission historique, et jamais elle n'avait été plus grande que lorsque les hommes d'État de tous les partis, ou ensemble ou les uns après les autres, rivalisaient de zèle pour développer sa force sur mer et pour la rendre invincible par ses vaisseaux, ses ports et ses rades fortifiées. Depuis que l'abus de sa puissance maritime avait conduit Athènes à sa perte, la confiance de la cité en elle-même avait été profondément ébranlée ; la méfiance qui animait les aristocrates contre la marine s'était répandue dans d'autres couches de la population, et plus les citoyens s'amollissaient, plus l'aversion devenait générale pour les sacrifices qu'exigeait la conservation de la flotte : on continuait toutefois par habitude à construire des navires et à maintenir l'effectif moyen de 300 trirèmes. Malgré tout, Athènes ne pouvait se montrer infidèle à son passé. Chaque nouvel essor de sa fortune avait eu son point de départ dans une heureuse expédition maritime, et depuis la première campagne victorieuse en Eubée, le patriotisme des Athéniens avait éclaté à plusieurs reprises d'une manière brillante : ils s'étaient montrés capables des plus grands sacrifices volontaires pour l'armement des vaisseaux de guerre. Il était nécessaire néanmoins que le salut de la ville ne dépendit plus de ces élans du sentiment patriotique, et ce fut un signe favorable de la puissance que conservaient les anciennes traditions de l'histoire d'Athènes que, dans un moment où l'on était décidé à préparer la ville pour une guerre considérable, on reconnût qu'il était nécessaire de réformer les institutions maritimes, et que l'on chargeât dans ce but Démosthène d'examiner l'état actuel de la flotte et de proposer les mesures propres à apporter de ce côté des réformes aussi sérieuses que possible.

De tout temps, Démosthène avait considéré la flotte et les ports comme étant le principal capital de la puissance athénienne. Il avait toujours insisté sur ce point, que tout relèvement d'Athènes devait prendre là son point de départ. Il avait déjà, dans son premier discours d'homme d'État, il y avait quatorze ans, flétri énergiquement les abus qui s'étaient introduits, et fourni la preuve irrécusable de son ardeur à procurer les améliorations nécessaires. Mais depuis ce temps les abus n'avaient fait que s'enraciner plus profondément ; la situation était devenue de plus en plus intolérable, et même, abstraction faite de toutes les exigences de la haute politique, la classe moyenne du peuple athénien devait réclamer impérieusement une modification des institutions existantes. En effet, toute l'organisation des symmories avait été à ce point détournée de son but, que les riches profitaient du système pour exploiter les citoyens moins aisés et les écraser sous le poids des prestations. Ceux qui présidaient aux collèges de contribuables distribuaient avec un arbitraire odieux les charges entre les membres, et ne tenaient aucun compte de la situation de fortune des particuliers : les plus pauvres sacrifiaient tout leur avoir, tandis que les riches. s'en tiraient par une très légère dépense, surtout lorsqu'à la fin ils se déchargèrent de toute l'affaire sur des spéculateurs qui acceptaient à prix fixe la charge de triérarque. Tout le système de la triérarchie athénienne était complètement dénaturé : il n'était plus même question de triérarques, mais de cotisés[2]. Le tout était devenu une affaire financière de mauvais aloi, que les capitalistes exploitaient à leur bénéfice. Cet état de choses lésait gravement les intérêts de la cité en portant détriment à l'élite des citoyens qu'il mécontentait, en faisant naître des désordres de toutes sortes : les plaintes et les réclamations se multipliaient à l'infini, et l'armement devenait une opération interminable. Ce qu'il y avait de plus fâcheux, c'est que les éléments les plus actifs de la défense de la ville n'arrivaient pas à être employés, puisque c'étaient justement les capitaux les plus importants qui échappaient aux exigences de l'intérêt général. En effet, tandis que les symmories n'avaient été instituées que pour rendre ceux dont la fortune isolée était trop faible pour l'armement d'une trirème capables de faire leur devoir par l'association, on abusa tellement de ce principe d'association, qu'en règle générale les plus riches ne contribuaient plus qu'en commun avec d'autres, comme s'il n'avait plus existé à Athènes un seul citoyen capable de se charger seul d'un vaisseau. Pourtant il y avait dans la ville des citoyens qui, comme Diphilos, possédaient des fortunes de 160 talents et plus[3].

En qualité de commissaire du peuple pour la marine de l'État[4], Démosthène opposa aux abus une proposition de réformes radicales. Nous ne connaissons pas malheureusement cette proposition dans tous ses détails : nous savons seulement qu'il prenait pour base des contributions l'estimation des fortunes. Par là, il allégeait le fardeau pour les plus pauvres, qui avaient contribué avec les riches à tant par tête, et il exigeait des riches des prestations plus élevées. Il atteignait par conséquent le double but de distribuer les charges d'une manière équitable, et de mettre à la disposition de l'État des ressources plus considérables.

La loi était un coup mortel porté aux privilèges des riches, qui présidaient jusqu'alors les symmories et formaient une coterie étroitement unie par les intérêts communs de leur égoïsme. Ils mirent en œuvre contre Démosthène tous les moyens que leur donnait leur position sociale : ils cherchèrent à contrecarrer ses desseins par la corruption, les menaces, les accusations, et créèrent à ses efforts patriotiques les difficultés les plus irritantes[5]. Inébranlable quant au fond, Démosthène fit tout ce qui était possible dans le détail pour éviter ce qui pouvait mettre en danger l'union entre les citoyens : il s'efforça de tenir compte de toutes les objections fondées et remania de différentes façons sa loi sur la flotte[6], jusqu'au moment où il la porta, par l'intermédiaire du Conseil, devant le peuple, qui en délibéra dans plusieurs séances orageuses et en définitive l'accepta. Enfin, le principe de l'association était équitablement mis en harmonie avec l'ancienne triérarchie. Dans les symmories, on centralisa les petits capitaux, pour réunir d'après des cotes exactement calculées la somme nécessaire à l'armement d'un vaisseau de guerre, c'est-à-dire de 50 à 60 mines[7]. Quant aux grands capitalistes, à qui leur fortune permettait d'armer un vaisseau, ils durent accepter individuellement la triérarchie. D'après une donnée, incertaine du reste, on faisait rentrer dans cette catégorie ceux qui étaient recensés à 10 talents[8]. Ceux qui avaient une fortune double devaient fournir deux vaisseaux : la taxe maximum d'un particulier s'élevait, dit-on, à trois trirèmes et un bateau de transport[9].

Le résultat de cette nouvelle organisation fut de mettre pour la première fois en pleine lumière tous les abus précédents. Il arriva que des citoyens athéniens qui, jusqu'alors, n'avaient supporté que le seizième de la dépense d'une trirème, furent obligés de se charger à eux seuls de deux vaisseaux de guerre. Somme toute, on n'obtint pas seulement par cette loi une augmentation considérable des ressources et de la force militaire de l'État, mais encore ces réformes améliorèrent la situation politique tout entière : il n'en pouvait être autrement, puisque l'ordre et la justice prenaient la place de la partialité et de l'arbitraire. L'effet produit sur l'esprit public ne pouvait être que bienfaisant. Désormais chacun rendait à l'État les services que sa position et ses moyens le mettaient à même de lui rendre : plus de plaintes sur l'injustice des charges : l'égoïsme antipatriotique des riches devenait inoffensif, et une quantité de procès irritants qui figuraient jusque-là à l'ordre du jour de toutes les levées tombaient d'eux-mêmes. Depuis la mise à exécution de la nouvelle loi, dit Démosthène, aucun triérarque chargé au delà de ses moyens n'a fait appel à la pitié du peuple ; aucun ne s'est plus réfugié au pied de l'autel d'Artémis à Munychie — l'asile des citoyens poursuivis pour affaire concernant la flotte — ; personne n'a été chargé de fers ; l'État n'a pas perdu une trirème ; aucune n'est restée dans les chantiers parce que ceux qui devaient la mettre en mer n'en avaient pas les moyens[10].

Mais la réforme des institutions triérarchiques ne suffisait pas. Si l'on voulait faire une guerre sérieuse, il fallait se procurer de l'argent. On ne pouvait se contenter des contributions de guerre : Démosthène pouvait encore moins avoir recours à d'indignes expédients financiers, comme on en avait employé précédemment, ou à de mauvaises lois de finances qu'il avait lui-même combattues. Par bonheur, la situation était telle que les ressources ne manquaient pas et qu'il n'était besoin que d'en faire un usage convenable. En d'autres termes, il fallait rompre absolument avec une administration véreuse, que Démosthène avait à plusieurs reprises stigmatisée comme étant le cancer qui dévorait l'État. Depuis la chute d'Aristophon, c'était Eubule qui avait présidé aux finances de la république. Il avait d'abord occupé le poste le plus élevé de l'administration financière[11], puis il avait pris comme successeurs des hommes qui dépendaient entièrement de lui, comme Aphobétos, le frère d'Eschine[12], tandis que lui-même s'était constitué une charge de surintendant dès sommes destinées aux fêtes qui lui permettait de contrôler toutes les autres caisses, de disposer de tous les revenus de l'État et de punir comme traître envers les droits du peuple quiconque retrancherait quelque chose aux réjouissances populaires, même au milieu de la guerre.

Cependant la puissance d'Eubule avait été bien ébranlée. Il n'avait pas pu empêcher que Démosthène ne Rit placé à la tête de l'administration de la marine : il ne put pas davantage l'empêcher, après la loi sur la flotte, de procéder à la réforme dés finances, qui était le complément nécessaire de ladite loi. Il fallut immédiatement réduire toutes les dépenses : on suspendit la construction du splendide arsenal ; les sommes destinées à cette dépense devinrent disponibles pour les besoins de la guerre[13]. Mais l'événement capital fut que Démosthène franchit le pas qu'il avait depuis longtemps désigné comme la condition nécessaire du relèvement d'Athènes. Il proposa l'abolition de la loi d'Eubule sur le budget des fêtes ; et lorsque cette loi fatale, qui pesait sur l'État comme une malédiction, eut été rapportée, il proposa une autre loi d'après laquelle, jusqu'à nouvel ordre, tous les excédants des recettes annuelles seraient non plus distribués au peuple mais mis en réserve comme Trésor de guerre. On reconstitua une caisse indépendante pour la guerre, et l'on nomma pour la gérer un trésorier spécial.

Tels furent les grands résultats obtenus par Démosthène sur le terrain de la politique intérieure. C'étaient des victoires extrêmement difficiles, gagnées par une énergie inébranlable et une persévérance infatigable, sans autres armes que la parole, dans une lutte qui n'humiliait pas les vaincus, mais les rendait au contraire plus libres, plus forts et meilleurs. Car si beaucoup de citoyens ne subissaient qu'à contrecœur la supériorité de Démosthène, il n'en est pas moins vrai que la grande majorité se trouvait moralement ennoblie par lui et élevée à cette haute sphère d'ardent amour de la patrie et d'enthousiasme patriotique dans laquelle il avait vécu si longtemps seul et en butte aux attaques les plus violentes. Ses réformes n'étaient pas des nouveautés étrangères à la vie nationale ; elles ne faisaient que restaurer les institutions anciennes : il renversait l'oligarchie inconstitutionnelle des riches et extirpait les abus d'une démocratie dégénérée qui ne servaient qu'à flatter l'inertie et l'amour des jouissances de la multitude. Il combattait l'égoïsme des riches comme celui des pauvres, et sut si bien raviver la notion de l'État, que les pauvres renoncèrent volontairement aux plaisirs des fêtes dont ils avaient pris l'habitude et se réjouirent de voir l'État se relever avec son antique grandeur. C'était une renaissance d'Athènes au dedans et au dehors que Démosthène avait provoquée. Après une longue période de mollesse et de dissolution, toutes les pensées, toutes les énergies, toutes les ressources de la cité étaient enfin dirigées vers un but unique, le plus noble but que puisse poursuivre une nation : la conservation de son indépendance et de sa liberté.

Les grandes réformes de Démosthène furent exécutées rapidement : elles sont contemporaines de la guerre sur le Bosphore. Le jour où Démosthène fit adopter sa proposition de secourir Byzance, il sentit pour la première fois qu'il tenait le peuple dans sa main. C'est à ce moment qu'il proposa la loi sur la flotte, qui fut votée peut-être pendant que la guerre durait encore. L'année suivante vit adopter sa loi sur les finances. Sans doute, Démosthène ne fut pas seul à réaliser toutes ces réformes. Il en fut le premier champion, et c'est à son énergie qu'est due la gloire du succès : mais il agissait certainement d'accord avec les citoyens qui partageaient ses sentiments, surtout avec Lycurgue. Ce dernier avait un remarquable talent d'administration. Il connaissait les ressources de l'État mieux que tout autre, et était particulièrement qualifié pour prendre les mesures financières qui pouvaient augmenter les revenus publics. Cette compétence ne pouvait être ignorée de Démosthène, et nous avons le droit de conjecturer qu'il se servit dans ses réformes administratives de la collaboration d'un ami qui marchait avec lui la main dans la main depuis des années, et qui, dit-on, l'avait déjà accompagné dans le Péloponnèse. Lorsque le parti d'Eubule fut renversé, il fallait des hommes nouveaux, et si Lycurgue ne prit l'administration supérieure des finances qu'en 338 (Ol. CX, 3), son activité commença certainement à s'exercer d'une manière fructueuse dès le temps où Démosthène fit passer ses lois réformatrices[14]. La même année où Lycurgue débuta dans ses fonctions officielles, son beau-frère Callias, fils d'Habron, du dème de Baté, fut investi de l'administration de la nouvelle caisse militaire[15]. Telles furent les nouvelles capacités qui aidèrent à l'œuvre de la renaissance d'Athènes. C'était une nouvelle génération d'hommes d'État, de vrais Athéniens, pénétrés de l'amour de la cité et de la patrie hellénique, unis entre eux par leurs hautes aspirations. Si l'on compare ces hommes avec Eubule et avec les parvenus que sa faveur porta aux postes les plus élevés de l'État, on comprend toute la différence du passé et du présent, et l'on salue une ère nouvelle dans l'histoire d'Athènes.

Les ennemis de l'intérieur étaient vaincus, Eubule et ses partisans réduits à l'impuissance ; les partisans de la Macédoine avaient encore moins d'influence et ne songeaient pas à faire une résistance ouverte. Démosthène n'était donc plus le chef de l'opposition contre un parti gouvernemental prépondérant : il était lui-même le chef de l'État, et il devait montrer maintenant qu'il ne savait pas seulement découvrir les vices de la société et y remédier par des projets de loi sagement élaborés, mais qu'il était capable aussi de manier dans la tempête le gouvernail que lui avaient confié ses concitoyens. La paix, qu'il avait toujours combattue, était rompue ; la guerre qu'il avait appelée de ses vœux avait éclaté : le parti de la guerre devait montrer maintenant que la lutte dans laquelle on s'était engagé à sa suite n'était pas une lutte sans espérances.

C'était pour Démosthène le commencement des difficultés. Quelles espérances pouvait en effet concevoir celui qui examinait la situation à tète reposée ? Comment une république, au territoire si restreint, amollie par une longue paix, pouvait-elle se mettre en état de tenir tète au roi guerrier de la Macédoine et à son armée do vétérans ? Autre chose était de déjouer les desseins de Philippe dans des entreprises spéciales et difficiles en soi, comme le siège de Byzance, autre chose de s'engager contre lui dans une guerre qui, une fois commencée, ne pouvait se terminer que par une humiliation complète du roi ou par une défaite définitive d'Athènes. Où étaient les généraux qu'on pût opposer à Philippe et à ses lieutenants habitués à la victoire ? Où était la garantie du succès au milieu de tant de dangers intérieurs et extérieurs ? Le parti de Philippe ne cessait de s'agiter sans bruit et d'épier un changement favorable : comment se fier aux dispositions des citoyens, lorsqu'il était à prévoir que, exaltés par les succès sur le Bosphore, ils se laisseraient tout aussi vite abattre par les premiers revers, au lieu que Philippe avait montré si souvent qu'il savait réparer ses échecs et poursuivre son but avec des ressources inépuisables, sans s'en laisser détourner jamais par les vicissitudes de la fortune ? Les Athéniens, puissance maritime, ne pouvaient que faire une guerre offensive : mais comment était-il possible d'attaquer d'une manière efficace l'empire macédonien, qui d'année en année n'avait cessé de s'agrandir et de s'arrondir de la manière la plus favorable à sa sécurité ?

Démosthène et ses amis ont certainement pesé toutes ces difficultés, et s'ils n'en ont pas moins engagé résolument la lutte, nous ne pouvons expliquer et apprécier l'état de leur esprit qu'en nous plaçant au point de vue du sentiment hellénique, qui était le leur. Philippe était pour eux un Barbare et son empire un empire barbare. Plus il étendait ses conquêtes, plus on voyait se dessiner son plan de réunir tous les pays du Danube jusqu'au cap Ténare en une seule masse, et de fondre dans son empire les Scythes, les Thraces, les Macédoniens et les Hellènes, plus aussi cet empire paraissait devoir manquer de consistance à des Grecs, qui regardaient un territoire peu étendu et l'homogénéité intérieure comme les seuls fondements sûrs d'un État. L'immensité des plans de Philippe constituait à leurs yeux une véritable faiblesse, et l'on ne pouvait pas admettre qu'un tel orgueil ne dût conduire à une catastrophe ; on dépréciait la force de l'ennemi parce qu'on la comparait avec celle de l'empire perse, que son étendue colossale et pour ainsi dire inorganique avait conduit à la décadence. On s'attachait toujours à la conviction que les Hellènes ne pouvaient être que vainqueurs dans une lutte avec des Barbares ; on croyait que les destinées de la Grèce se décideraient de nouveau sur mer, et l'on comptait sur la supériorité de la flotte athénienne. Du reste, si des hommes comme Phocion, qui jusqu'alors avaient résisté avec opiniâtreté à la politique démosthénienne, n'hésitèrent pas après l'explosion de la guerre à faire leur devoir en bons patriotes, Démosthène et ses amis pouvaient bien être convaincus que, pendant le cours de la guerre, tous les citoyens s'uniraient de plus en plus et trouveraient la force dans cette union.

Les Athéniens se trouvaient vis-à-vis de la puissance continentale de la Macédoine dans la même situation qu'autrefois vis-à-vis des Lacédémoniens, sauf que cette situation était beaucoup plus défavorable et qu'il était incomparablement plus difficile d'atteindre leur adversaire actuel. Le blocus des côtes était très désagréable aux Macédoniens, mais il ne pouvait produire d'effet décisif. Les débarquements opérés sur les côtes étaient partout repoussés ; on ne trouvait pas de points d'appui où l'on pût s'installer à demeure, et l'on reconnaissait maintenant la force qu'avait donnée à Philippe la destruction sur une grande échelle des villes maritimes grecques. Toutes les tentatives pour exciter les peuples de la côte à se soulever contre Philippe échouèrent, de sorte que l'on était déjà découragé avant même que le roi ne parût sur le théâtre de la guerre.

D'un autre côté, Philippe était lui-même embarrassé de savoir comment il mènerait cette guerre. Il ne pouvait garder, en présence de l'hostilité des Athéniens et de la formation d'une confédération athénienne, l'attitude d'un spectateur tranquille ; c'eût été un aveu de faiblesse doublement dangereux après l'échec de ses entreprises sur le Bosphore. Il lui fallait rétablir l'honneur de ses armes et sa considération dans le monde hellénique. Voulait-il marcher immédiatement sur Athènes, il devait bien se dire que le siège de cette ville forte était par lui-même une entreprise épineuse, et que les Athéniens pouvaient dans ce cas compter sur des secours nombreux et énergiques.

Philippe voulait toujours encore éviter une guerre avec la nation hellénique : il voulait maintenir son point de vue et pouvoir dire qu'il faisait la guerre non pas au peuple mais à un parti opiniâtre et aveuglé, qui résistait aux véritables intérêts de la cité aussi bien qu'à lui-même. Mais, même dans le cas d'une guerre ainsi définie, il ne pouvait pas se fier à ses alliés. Il n'était pas sûr des Thessaliens et encore moins des Thébains, avec lesquels ses anciennes et intimes relations étaient troublées depuis longtemps. Thèbes était aussi violemment divisée par les partis qu'Athènes elle-même. Timolas, un méprisable libertin, était le chef des philippistes, gens prêts à toutes les bassesses[16]. Par contre, le parti national avait pris de l'influence à mesure que les citoyens indignés apprenaient la conduite autocratique de Philippe en Phocide, ses relations avec les anciens alliés de Thèbes dans le Péloponnèse, et l'occupation des places fortes près des Thermopyles, d'où il avait chassé des Thébains[17]. Dans ces conjonctures, Philippe devait désirer avant tout d'éviter l'explosion d'une guerre nationale. Il s'agissait donc de trouver une occasion de pénétrer en Grèce avec une armée sans qu'il partit se mettre en campagne contre les Grecs, afin qu'il pût faire peser la responsabilité de l'attaque effective sur ses ennemis et les obliger à lui barrer le chemin en rase campagne. Il fallait donc se servir de nouveau de la position que Philippe avait déjà prise dans la Grèce : elle devait lui fournir un prétexte pour entrer dans le pays d'une manière légitime en apparence. En effet, s'il trouvait moyen d'intervenir en sa qualité de protecteur de Delphes, il y trouvait l'avantage de forcer ses adversaires à agir comme les ennemis du dieu de Delphes, tandis que lui-même apparaîtrait comme le représentant de la cause nationale. Il fallait donc une nouvelle guerre Sacrée.

La guerre qui avait pour la première fois amené Philippe en Grèce était la conséquence d'événements qui s'étaient développés peu à peu d'eux-mêmes. La nouvelle guerre, au contraire, devait être suscitée artificiellement et provoquée par les Grecs eux-mêmes dans l'intérêt de Philippe. Les hommes pour. cela ne manquaient pas. Car si l'influence croissante du parti national à Athènes et ailleurs avait écarté de la vie publique les partisans de la Macédoine, en revanche, ces derniers n'en étaient devenus que plus haineux, plus irrités et avaient mis de côté tout scrupule. Ils n'en étaient que plus zélés en secret à servir le roi et à lui ouvrir pour la seconde fois l'accès de la Grèce. Les pourparlers indispensables entre la cour de Macédoine et ses partisans doivent avoir eu lieu à Delphes. Ce lieu était le quartier général de toutes les intrigues macédoniennes : c'est à Delphes qu'Athènes fut trahie.

Les Athéniens étaient uniquement occupés de la guerre imminente : ils surveillaient plus que jamais la personne du roi, mais personne ne songeait aux affaires de Delphes ni ne se préoccupait de la nouvelle assemblée amphictyonique, pour laquelle on professait un parfait dédain. Le parti au pouvoir commit là une grande faute ; car ses adversaires profitèrent de cette insouciance et réussirent, à l'époque où la ville devait envoyer à Delphes ses représentants, à ne faire nommer que des hommes de leur couleur. Ce qui rendit leur succès possible, c'est précisément que bien peu de citoyens prirent part à cette élection. A côté de Diognétos, désigné par le sort pour les fonctions d'hiéromnémon, c'est-à-dire d'assesseur ayant voix délibérative au conseil amphictyonique, la majorité avait nommé pylagores ou représentants de la ville — qui, avec voix consultative, pouvaient exercer une influence considérable Eschine, Midias et Thrasyclès[18]. Cette victoire si facilement remportée par une coterie n'irrita pas peu les patriotes. Mais l'élection était inattaquable, et l'on s'en consola, ne prévoyant pas quels résultats elle pouvait avoir. Quant à Eschine, il n'avait attendu que cette élection pour sortir de la retraite dans laquelle il avait vécu depuis plusieurs années, pour rentrer en scène et jouer dans cette intrigue le rôle principal, auquel il était si admirablement propre.

Au pied du Parnasse, du côté de l'ouest, habitait le petit peuple des Locriens Ozoles : leur capitale Amphissa s'élevait tout à fait au pied de la haute chaîne de montagnes qui relie le Parnasse avec la partie montagneuse de l'Étolie ; au-dessous d'Amphissa s'étend une plaine fertile, qui s'ouvre au sud-est dans la direction du golfe de Crisa. Les habitants d'Amphissa avaient été dans les dernières guerres les adversaires les plus décidés des Phocidiens : après la Béotie, c'était leur pays qui avait eu le plus à souffrir de ces hostilités ; aussi, avec leur esprit vindicatif, avaient-ils éprouvé une grande satisfaction lors de la défaite de leurs voisins. Peut-être avaient-ils obtenu à cette occasion quelques avantages, qui exaltèrent leur orgueil et leur inspirèrent le désir de jouer eux-mêmes un rôle. Cette disposition fut exploitée par Thèbes, qui gardait rancune à Athènes. En effet, les Athéniens, avant l'achèvement de la purification du temple de Delphes, s'étaient hâtés de replacer dans le lieu saint quelques boucliers offerts au dieu : c'étaient des trophées de la bataille de Platée, dont les inscriptions rappelaient la défaite commune des Perses et des Thébains. Les Thébains tenaient à voir cette offense châtiée, non seulement comme une injure personnelle, mais encore comme une violation des coutumes helléniques ; ils amenèrent donc par toutes sortes de promesses les Amphisséens à soumettre la question aux Amphictyons. A peine les députés furent-ils arrivés pour la session du printemps, que le bruit courut que l'ordre du jour de la première séance porterait une proposition des Amphisséens contre Athènes. Diognétos prétexta une maladie. Eschine le remplaça avec pleins pouvoirs et fut chargé tout seul de la cause d'Athènes.

La séance fut orageuse. L'orateur des Amphisséens s'éleva avec violence contre Athènes et la criminelle impatience avec laquelle elle avait ravivé dans la Grèce le souvenir d'anciennes luttes fratricides : il proposa une amende de 50 talents[19] et alla si loin dans son zèle qu'il termina son discours par cet éclat violent : Certes, ô Hellènes, si vous étiez sages, vous ne permettriez pas même que le nom des Athéniens fût prononcé pendant ces jours de fêtes : ce sont des maudits que vous devriez exclure du sanctuaire ![20]

Eschine prit la parole après lui. Dans un discours brillant, il sut repousser si bien l'accusation qu'elle ne fut pas même prise en considération par le Conseil : il alla plus loin et retourna le coup contre les Amphisséens, auxquels il reprocha une violation bien plus scandaleuse du droit sacré. La partie basse de leur plaine touchait, sans aucune ligne de démarcation naturelle, au territoire de l'ancienne Cirrha, qui avait été frappé d'interdit lors de la première guerre sacrée et soustrait à tout usage profane. Dans les désordres des derniers temps, les Locriens s'étaient approprié des fractions de ce territoire ; ils avaient établi des tuileries sur le sol des Cirrhéens, entouré le port d'une nouvelle clôture et perçu des droits sur l'entrée des navires. Eschine rappela ces faits dans une apostrophe foudroyante. Du haut de la terrasse de rochers où les Amphictyons siégeaient en plein air, il montra du doigt la fumée des tuileries établies au bord de la mer, et proposa de s'y rendre tous ensemble[21] : l'heure avancée fit ajourner l'excursion au lendemain. Dès le matin, toute la population mâle de Delphes sortit sous la conduite des Amphictyons pour incendier ces habitations, qui n'étaient qu'à quelques heures de marche, et pour combler le port. C'était une guerre sacrée improvisée, une attaque exécutée en pleine paix contre toutes les formes du droit. Après cette exécution, toute la troupe marchant en désordre en vint aux mains avec les Amphisséens qui la guettaient au retour ; elle n'échappa qu'avec des pertes notables et par une fuite désordonnée jusqu'à Delphes[22]. C'était un nouvel attentat, à la suite duquel on résolut aussitôt une convocation extraordinaire des Amphictyons aux Thermopyles, afin que les députés des villes alliées pussent se réunir avec des pleins pouvoirs au sujet de ce nouveau fait de guerre. Quant à Eschine, qui avait combattu avec un succès si éclatant pour l'honneur de sa patrie et lès droits du dieu, il revint triomphant à Athènes, fit son rapport au peuple, et demanda les instructions nécessaires pour l'assemblée fédérale qui devait avoir lieu[23].

Même à Athènes, tout sembla d'abord aller au gré d'Eschine. II sut répandre parmi ses concitoyens le fanatisme artificiel qu'il avait allumé à Delphes. Il ne rougit pas de réveiller en sa faveur le souvenir de Solon et de la guerre Sacrée ; il osa représenter Démosthène comme un traître, qui, en sa qualité de pylagore, aurait été acheté par les Amphisséens pour la somme de 2.000 drachmes, dans le but de dissimuler leur attentat[24]. La contagion du fanatisme fut même si grande, que les Athéniens oublièrent la grave situation de leur propre ville pour ne plus penser qu'aux tuileries de Cirrha et au crime des Amphisséens.

Ce ne fut qu'avec les plus grands efforts que Démosthène réussit, d'abord dans le Conseil, ensuite dans l'assemblée du peuple, à faire entendre la voix de la raison, et à faire comprendre aux Athéniens dans quel danger ils se précipitaient en entrant dans les desseins d'Eschine, qui n'avait d'autre but que d'attirer les Macédoniens dans le pays. On résolut de ne pas se faire représenter à l'assemblée des Thermopyles[25]. S'il n'était plus possible de l'empêcher entièrement, d'exploiter la discorde si criminellement excitée et de déjouer les intrigues d'Eschine, la défaite de ce dernier fut néanmoins éclatante, et ce fut un vrai triomphe pour Démosthène que de voir la tentative de brouiller à cette occasion Athènes et Thèbes aboutir à un résultat opposé. Car Thèbes s'abstint aussi[26] et inaugura pour la première fois une politique qui, conformément aux vœux caressés de longue date par Démosthène, rendait possible un rapprochement entre les deux États.

De cette façon, la session convoquée aux Thermopyles resta une assemblée de parti, où ne se rendirent que les États qui étaient absolument sous l'influence macédonienne. Philippe n'était pas encore prêt à paraître. Neuf mois après le siège de Byzance, il était encore loin des yeux des Grecs, occupé à combattre les Scythes et les Triballes au fond de la vallée du Danube[27]. Il fallait donc un intermède avant la catastrophe qu'il s'agissait d'amener. Aussi Cottyphos de Pharsale, qui avait la présidence des Amphictyons, fut-il autorisé par l'assemblée à conduire la guerre Sacrée. Les Amphisséens menacés promirent satisfaction, mais ne firent rien[28]. Lorsque l'été fut écoulé, que le roi Philippe revenu du Nord fut guéri de ses blessures et prêt à l'invasion, l'assemblée d'automne à Delphes se fit faire un rapport sur la résistance des Amphisséens ; l'on n'avait, disait-on, que le choix entre deux procédés : ou bien ramasser de l'argent, lever des troupes et châtier les États récalcitrants, ou bien choisir Philippe comme général fédéral. Ce fut cette dernière résolution qui fut prise, comme c'était convenu depuis longtemps ; Eschine, pourtant, reprocha dans la suite aux Athéniens d'avoir, égarés par Démosthène, repoussé l'occasion offerte par les dieux de faire une guerre pieuse et honorable[29].

C'est ainsi que la négligence, l'aveuglement et la trahison avaient en peu de temps amené l'occasion que cherchait Philippe. La négligence est imputable aux Athéniens, qui n'avaient pas été sur leurs gardes à l'époque des élections delphiques : ils avaient été plus avisés peu d'années auparavant, quand ils avaient été si attentifs à ne pas laisser tomber dans les mains d'Eschine les intérêts d'Athènes à Delphes. Le peuple n'était guère capable de se faire une idée juste de ce qui se passait au loin, et Démosthène lui-même, dont c'était le devoir de diriger dans tous les sens ses regards vigilants, est coupable, jusqu'à un certain point, de ne pas avoir été mieux instruit de ce qui se passait à Delphes et de n'avoir pas attaché assez d'importance aux dangers qui menaçaient de ce côté. Il ne comprit bien la situation qu'au retour d'Eschine, lorsqu'il lui lança cette apostrophe irritée : Tu apportes à l'Attique la guerre, une guerre amphictyonique ![30] L'aveuglement fut le fait des Amphisséens, qui, en proie à une surexcitation imprévoyante, se laissèrent amener a prendre l'initiative d'un conflit dont les conséquences devaient retomber sur eux-mêmes. Quant à la trahison, elle était partout, travaillant d'après un plan bien combiné, qui reposait sur l'accord de tous les partisans de Philippe et était certainement arrêté dans ses grandes lignes lorsqu'Eschine lit réussir à Athènes son élection et celle de ses collègues. Nous voyons, comme dans une pièce bien étudiée, tous les acteurs jouer leur rôle, toutes les scènes s'agencer et amener pas à pas le dénouement voulu par l'homme qui, caché aux yeux du public, a dirigé toute l'action. Il n'y a de doute que sur le point de savoir jusqu'où les événements se sont déroulés d'eux-mêmes et à quel moment l'intrigue a commencé à les diriger.

Le roi voulait être appelé en Grèce pour une nouvelle exécution fédérale. Donc, le premier point sur lequel il fallait tomber d'accord était de se procurer un prétexte à châtiment, de trouver un État à qui on pourrait faire la guerre sous couleur de sacrilège. On choisit pour cela les Amphisséens, les seuls sur lesquels on eût prise sur ce point. Mais, comme ils n'avaient commis d'autre faute que des peccadilles que l'on connaissait et tolérait tranquillement depuis des années, tout le plan aurait été dévoilé trop facilement si l'on avait saisi brusquement cette occasion de faire un cas de guerre d'une usurpation de territoires qui remontait si haut. Il fallait donc les amener à donner par l'arrogance de leur conduite une occasion de leur demander satisfaction : ce fut Thèbes qui les excita. Il semble donc que toute cette intrigue ait commencé à Thèbes, et que des hommes d'État thébains, comme Timolas et ses partisans, aient abusé de la manière la plus odieuse du peu de perspicacité des Amphisséens, en exploitant leur haine contre Athènes et en les amenant par toutes sortes de leurres à prouver publiquement leur zèle pour la gloire du dieu, en protestant contre Athènes au sein du conseil amphictyonique. Mais il faut qu'il y ait eu, même parmi les Amphisséens, des personnages qui fussent de connivence : en effet, la violence inconvenante et l'air provocant des députés locriens cadrait si bien avec tout le développement du drame, qu'il n'est guère possible d'y voir un effet du hasard. Il y avait aussi en Locride un parti des pieux, qui était du côté de Cottyphos[31].

On comprend plus clairement la marche des événements à partir du moment où Eschine entre en scène pour jouer le rôle principal. Il semble pris tout à fait à l'improviste : il ne sait que par un bruit vague qu'on va faire une proposition hostile à Athènes, et ce n'est qu'après avoir entendu les plaintes des Amphisséens qu'une inspiration soudaine lui vient pour répondre victorieusement, aux accusateurs.

Et dire que tout était préparé depuis longtemps ! Depuis longtemps il était convenu que ses compatriotes et collègues lui laisseraient la place libre pour prendre en main toute l'affaire ; cet homme pris au dépourvu trouve aussitôt sous sa main tous les documents qui établissent le crime des Amphisséens. L'histoire des boucliers suspendus dans le sanctuaire était évidemment une question tout à fait indifférente, dont il n'est plus fait mention après qu'elle a produit comme incident prémédité l'effet qu'on en attendait.

Les Amphisséens sont tombés dans le piège, et, sous la présidence de Cottyphos, un homme entièrement dépendant de Philippe, on procède avec une hâte et une violence sans ménagements, dans le seul but d'exciter les malheureux Amphisséens à un nouveau méfait et de rendre vains tous les efforts qu'on aurait pu faire pour accommoder le différend à l'amiable. La nature hypocrite d'Eschine ne pouvait trouver de plus grande satisfaction que celle de son double jeu habituel : profiter de toutes les occasions pour se poser en ardent patriote, et en même temps travailler à attirer sur sa patrie le plus grand des désastres. Car au moment où il provoqua l'exécution fédérale contre Amphissa, il ne pouvait pas douter qu'il ne frayât à Philippe le chemin de la Grèce, et que sa ville natale, en état de guerre avec Philippe, ne fût par là exposée au danger le plus pressant. Une seule chose est douteuse, c'est de savoir si sa conduite était dictée par la haine contre ses adversaires, qui l'avaient emporté sur lui dans Athènes, ou par l'influence de l'or macédonien, comme Démosthène le lui reproche[32]. Lors même que l'on donnerait de sa conduite l'explication la plus indulgente, en admettant qu'il voyait dans l'approche d'une armée macédonienne le meilleur moyen de renverser le parti de la guerre, cette manière d'employer l'ennemi de sa patrie à ses desseins particuliers doit être flétrie comme une odieuse trahison. Mais si Eschine est devenu un traître, ce n'est pas pour des raisons politiques ; c'est bien par des motifs tout personnels. Homme sans caractère, incapable de résolutions indépendantes, il s'est toujours attaché à ceux qui devaient lui donner l'occasion de faire briller ses talents et de jouer un rôle important : par lui-même et par des voies honnêtes, il n'avait jamais pu y arriver, malgré son incontestable valeur. La vanité était le principal modèle de ses actions. Depuis l'ambassade à Pella, il était ébloui par la grandeur de Philippe et ne se faisait aucun scrupule de servir les desseins du roi pour satisfaire son ambition inquiète et conquérir des avantages personnels. De plus en plus relégué au second plan par la supériorité personnelle de Démosthène, il cherchait une nouvelle occasion de se faire valoir ; c'est pour cela qu'il s'engagea sans hésiter dans cette intrigue qui, qu'elle fût ourdie à Thèbes, ou à Delphes, ou à Athènes, n'en était pas moins une coalition criminelle de tous les traîtres philippistes, cherchant à attirer dans leur patrie une armée macédonienne et à mettre dans la main du roi la décision des destinées de la Grèce.

Quand Philippe, qui se tenait dans une sage réserve, vit achevée l'œuvre de ses agents, il ne se fit pas attendre plus longtemps. Il avait livré la ville locrienne de Nicæa aux Thessaliens et avait pris en retour les Thermopyles. Au commencement de l'hiver, il prit possession de tous les abords de la Grèce centrale. Pour qui observait avec attention les mouvements militaires dans les contrées frontières, l'activité du roi et de ses généraux, la prudence avec laquelle on commença la campagne et les masses armées qui se concentraient peu à peu, il ne pouvait pas être douteux qu'on n'eût bien d'autres desseins que le châtiment d'une ville obscure de la Locride, prétexte de l'expédition. Bientôt, les Grecs les plus éloignés de la frontière furent bien obligés eux-mêmes de comprendre.

Plusieurs routes conduisent des Thermopyles dans l'intérieur de la Grèce. L'une part de l'angle montagneux qui est près d'Héraclée, l'ancienne Trachis, et conduit vers les quatre ville s de la Doride, puis de là, par un deuxième passage entre le Parnasse et le Corax, jusqu'à Amphissa, qui est située juste au débouché de ce défilé. Cette route est celle qui du nord au sud coupe par la ligne la plus courte l'isthme qui sépare le golfe Maliaque du golfe de Grisa.

Si Philippe choisissait cette route, il n'avait pas besoin de longer les Thermopyles et ne touchait pas même la Grèce orientale. Mais il n'y envoya qu'une partie de son armée, et conduisit le reste des Thermopyles vers le sud-est, par les montagnes qui s'étendent de la Phthiotide vers la mer d'Eubée ; ces montagnes sont des contreforts du Callidromos et du Cnémis, dont les passages conduisent en Phocide et en Béotie : le plus important de ces passages aboutissait près d'Élatée. Avant même que l'on n'eût des renseignements certains sur les mouvements de l'armée, le roi apparaissait inopinément dans la vallée du Céphise, où depuis la dévastation de la Phocide il ne pouvait trouver d'obstacle. Élatée, la ville la plus importante du versant sud de la chaîne frontière, la clef du principal passage et de toute la Grèce centrale, fut fortifiée à la hâte : Philippe établit un camp retranché au-dessous de la ville[33]. De là il dominait la plaine du Céphise, dont la plus grande largeur s'étend entre Élatée et Tithora, située en face, au pied du Par nasse. Sa retraite était couverte, ses communications avec la Thessalie et la Macédoine assurées : il avait de plus à sa disposition toutes les ressources d'une vallée fertile, les meilleurs pâturages pour sa cavalerie, et un terrain favorable aux mouvements de ses troupes. D'un côté, en effet, il avait, en remontant la vallée du Céphise, une communication facile avec le pays des Doriens et les passages qui conduisent de là à Amphissa par Cytinion ; de l'autre, c'est-à-dire en aval du fleuve, il était si près de la frontière de Béotie, qu'il tenait Thèbes en échec sans être obligé de violer son territoire. En occupant Élatée, Philippe avait jeté le masque : il avait pris une position comme il n'en pouvait désirer de meilleure pour attaquer la Grèce occidentale et orientale. Il était évident désormais qu'il ne songeait pas à se borner à une exécution contre Amphissa.

Les Athéniens avaient sans doute été prévenus en temps opportun par Démosthène, au moment même où l'on avait eu vent du plan perfide d'une nouvelle guerre Sacrée. Ils ne s'étaient pas néanmoins laissé troubler dans leur quiétude ; peut-être même se figuraient-ils que la querelle d'Amphissa aurait pour premier effet de détourner d'eux l'orage. La désillusion n'en fut que plus soudaine. Tout à coup il leur sembla que l'armée ennemie était aux portes d'Athènes, et toutes les misères de cette guerre, qu'ils avaient résolue hardiment quand l'ennemi était au fond de la Thrace, se dressèrent immédiatement devant eux.

C'était le soir, raconte Démosthène[34] lorsque les prytanes reçurent la nouvelle qu'Élatée était prise. Ils quittèrent aussitôt la table commune : les uns renvoyèrent les marchands de l'agora et allumèrent un grand feu, signal adressé à la population de la campagne ; les autres envoyèrent prévenir les généraux et firent sonner l'alarme. Toute la ville fut en mouvement. Le lendemain matin, au point du jour, les prytanes convoquèrent le Conseil à l'hôtel de ville, les citoyens affluèrent au Pnyx, et, avant que le Conseil eût pris une résolution, tout le peuple attendait déjà anxieux. Lorsque les prytanes eurent exposé la situation et fait répéter la nouvelle par le messager, ils posèrent la question : qui demande la parole ? Comme il n'y avait pas de proposition du Conseil, tout dépendait de l'assemblée du peuple. Pourtant, personne ne se présentait à la tribune : le héraut répéta plusieurs fois son appel ; les dix généraux, tous les orateurs étaient présents ; c'était un devoir pour tout patriote de donner un conseil, d'offrir son aide ; néanmoins, il régnait un silence de mort ; tous avaient perdu contenance devant le terrible événement. Tous les yeux se tournèrent vers Démosthène. Après un long et pénible silence, au milieu de la perplexité générale, il ne produisit que plus d'effet lorsqu'il monta enfin à la tribune pour y apporter non des propositions douteuses et incertaines, mais l'exposé résolu et méthodique de ce qu'exigeait l'honneur et le salut de la patrie. Avec une merveilleuse présence d'esprit, il tira parti des terreurs du moment pour obtenir ce qu'il croyait être la résolution la plus importante : l'alliance avec Thèbes.

Démosthène n'avait pas été jusqu'ici exempt de l'animosité générale de ses concitoyens contre Thèbes. Il avait cru, lui aussi, que les anciens amis des Perses étaient les partisans naturels du nouvel ennemi de la patrie : il les avait tenus pour incapables de comprendre l'intérêt national. Néanmoins, c'était un esprit trop élevé et un cœur trop hellénique pour s'abandonner à une haine aveugle. Il était trop dévoué à la conservation du peuple hellénique pour désirer l'affaiblissement ou la destruction d'un de ses éléments. Mais il ne pouvait montrer ses sentiments qu'avec la plus grande prudence : nous en avons la preuve dans son discours sur la Paix, où il conjure ses concitoyens de ne pas l'interrompre avec colère s'il exprime au moins l'espoir qu'un temps viendra où les Thébains eux-mêmes reculeront devant l'idée de marcher avec Philippe contre Athènes[35].

Les années suivantes lui donnèrent raison. Après la paix, il y eut un revirement dans l'opinion publique à Thèbes : un parti national commença à s'y former, ce qui n'échappa point aux regards attentifs de Démosthène. Il s'opéra en conséquence une révolution semblable dans ses idées, et sa rivalité avec Eschine contribua à rendre sa conversion plus décisive. Eschine était surtout méprisable à ses yeux parce qu'il était occupé sans cesse à nourrir l'hostilité avec les voisins, à exciter les citoyens contre Thèbes, à rendre la scission toujours plus profonde et plus irrémédiable, et à pousser, autant qu'il était en lui, les Thébains dans les bras de l'ennemi. Démosthène ne s'en attacha que plus résolument à ses propres idées : son jugement sur Thèbes n'en devint que plus indulgent ; il n'en reconnut que plus franchement la valeur de l'État voisin. Dans son discours sur les affaires de Chersonèse, il invite les Thébains à être sur leurs gardes et à ne pas se fier à la faveur que leur témoigne Philippe[36]. L'opinion des Athéniens était pourtant encore si hostile à l'époque, qu'il put les engager à chercher des alliés jusqu'en Perse sans oser nommer les Thébains.

Après la chute d'Élatée, tout était changé. On ne pouvait plus chercher des secours au loin : les voisins les plus rapprochés pouvaient seuls rendre des services ; aussi vit-on tout à coup le salut dans l'alliance thébaine. Démosthène réclama donc l'ouverture immédiate de négociations avec Thèbes en vue d'un traité défensif et offensif[37], la mobilisation de toute l'armée civique et le départ pour la frontière béotienne[38]. Pour exécuter ces mesures avec toute l'énergie indispensable, il fallait une autorité supérieure revêtue de pouvoirs extraordinaires. Il proposa en conséquence d'instituer pour toute la durée de la guerre un Comité gouvernemental de dix membres qui, d'accord avec les généraux, devaient aviser au salut de l'État de la façon qu'ils jugeraient la plus convenable[39]. Démosthène lui-même fut nommé président de ce Comité de salut public. Il était entouré d'hommes qui partageaient ses sentiments : il était donc le véritable souverain d'Athènes ; le salut de la ville reposait sur ses épaules.

La première chose à faire était d'aller à Thèbes. Démosthène y trouva les députés des villes béotiennes déjà réunis, ainsi qu'une ambassade de Philippe présidée par le rusé Python[40], l'homme le plus capable de réveiller tout ce qu'il y avait d'hostilité contre Athènes dans l'esprit des Thébains, et de leur recommander le plus énergiquement l'alliance macédonienne. Car Philippe devait craindre surtout l'union des deux villes qui étaient les deux États les plus militaires de la Grèce : leur réconciliation sur le terrain d'un soulèvement national était une défaite morale de sa politique amphictyonique et rendait la conduite de la guerre bien plus difficile. Aussi le roi se montra-t-il très prudent. Il ne profita pas du voisinage de son armée pour montrer des exigences rigoureuses et d'une grande portée : il ne se posait pas comme le roi de Macédoine, mais comme un membre de la confédération hellénique : son ambassadeur était accompagné des délégués des cantons grecs[41]. Il ne demandait même pas une alliance active : il ne voulait que la neutralité des Béotiens dans la guerre contre Athènes et la permission de traverser leur territoire. Au cas où la résolution serait favorable, il montrait en expectative du butin et un agrandissement territorial : dans le cas contraire, il montrait toutes les horreurs d'une guerre qui éprouverait principalement la Béotie.

Quel poids contraire Démosthène pouvait-il jeter dans la balance ? Il ne pouvait ni inspirer la terreur ni employer la séduction : n'avait pas d'avantages à promettre : il n'avait que des sacrifices à demander et ne venait apporter que les misères de la guerre. II était en outre étranger aux citoyens de Thèbes, et, comme Athénien, il avait contre lui la méfiance de tout le monde. Athènes était complètement isolée en face du roi. Il était donc bien facile de mal interpréter ses desseins et de faire croire qu'il cherchait uniquement, pour sauver sa patrie qui avait provoqué cette guerre, à attirer Thèbes dans le même péril. Et ce péril, Thèbes s'y trouverait la première et la plus gravement exposée, car, sans flotte, Athènes ne pouvait être attaquée avec succès.

Malgré tout cela, Démosthène triompha au jour décisif dans la diète béotienne. Malgré tout, il réussit à montrer avec tant d'éloquence le devoir commun de lutter pour l'honneur et la liberté de la patrie et pour sa propre indépendance, qu'il enleva l'assentiment de tous les Béotiens : toutes les hésitations, toutes les préventions disparurent, et le feu sacré de l'enthousiasme patriotique, allumé par Démosthène, inspira Thèbes comme Athènes[42]. C'est là la plus grande et la plus belle des victoires de Démosthène ; c'est le plus personnel de ses actes et celui qui lui appartient le plus en propre. Ce ne fut pas seulement un succès moral, mais un événement politique qui pesa d'un grand poids dans la balance. En effet, les mesures prises par Philippe à la dernière heure montrèrent assez clairement combien il tenait à empêcher cette union des deux peuples. Il avait compté absolument sur leur inimitié irréconciliable. Une fois qu'ils s'étaient tendu la main, les autres États pouvaient venir à eux : un soulèvement national devenait possible, un soulèvement qui allait ruiner la situation de Philippe en Grèce, et mettre en question tous les résultats déjà acquis. Il restait manifestement à Thèbes quelque chose de l'esprit d'Épaminondas et de ses amis : la capacité de comprendre les grandes idées, de se dévouer aux supériorités intellectuelles, de se laisser prendre par la véritable éloquence et d'aimer la patrie hellénique. La glace fut rompue, et ce qu'Épaminondas d'un côté, le parti béotien à Athènes de l'autre n'avaient pu obtenir ni par la force des armes ni par l'entente politique, se réalisa heureusement et en un instant, de sorte que les deux voisins qui si évidemment devaient se servir de mutuel appui, contractèrent à la dernière heure une intime alliance.

Les ambassadeurs de Philippe reçurent une réponse négative, et toutes les propositions de Démosthène furent adoptées. Athènes garantissait aux Thébains la souveraineté entière de la Béotie ; les frais de guerre devaient être partagés proportionnellement ; on résolut en même temps la restauration des villes phocidiennes, et l'on organisa une direction commune de la guerre sur terre et sur mer[43]. C'était la plus noble et la plus équitable alliance qui eût jamais été conclue entre villes helléniques, car elle reposait sur l'oubli de toutes les mesquines susceptibilités d'amour-propre dans l'intérêt de la patrie en danger. Thèbes tendait la main aux Phocidiens pour les relever. Le mur qui séparait l'Attique et la Béotie était renversé ; des deux côtés du Cithéron, du cap Sounion au Parnasse, il ne régnait plus qu'une volonté, et cette volonté était celle de Démosthène, d'accord avec les plus nobles esprits de son peuple.

Comme du temps des guerres médiques, deux groupes d'États se trouvaient en présence : l'un pactisant avec une puissance étrangère, l'autre résolu à la lutte pour la liberté. Il s'agissait donc de défendre en commun cette Grèce restreinte et d'utiliser dans ce but les défenses naturelles. Au-dessous. d'Élatée, la vallée du Céphise se resserre. Un contrefort du Parnasse[44] s'avance vers le fleuve ; de la montagne qui fait face, le Gué-mis, se détache une autre saillie au pied de laquelle était située la ville de Parapotamii. Les alliés occupèrent ce passage : c'est là qu'étaient maintenant les Thermopyles de la Grèce libre[45]. On chercha à gagner encore d'autres points d'appui contre Philippe. On se mit en relation avec les Amphisséens, car il s'agissait d'empêcher Philippe de se débarrasser au plus tôt de ces ennemis par la force ou par une entente[46]. On décida donc que 10.000 mercenaires à pied et 1.000 à cheval, tous à la solde d'Athènes, seraient chargés de la protection de la Locride[47] : ils partirent pour Amphissa sous le commandement de Charès et du Thébain Proxénos[48]. On répudia de cette façon toute participation au honteux abus qui avait été fait de la religion nationale dans l'intérêt de Philippe. et l'on eut le courage de placer, à la face de tous les Hellènes. le salut de la patrie au-dessus des excommunications d'Amphictyons traîtres à leur pays. On se mit donc aussitôt à l'œuvre, pour réparer dans la mesure du possible l'injustice commise et restaurer la Phocide sacrifiée aux intrigues delphiques. A l'appel des villes alliées, les habitants fugitifs rentrèrent dans leur patrie, et les familles dispersées se réunirent de nouveau dans leurs habitations abandonnées[49]. Avec cette adresse propre aux Hellènes, ils se réorganisèrent rapidement sous la protection des troupes locriennes dans les ruines de leurs villes, et aidèrent à garder les défilés du Parnasse. Ils devinrent les plus ardents des alliés, car ils brûlaient du désir de se venger de Philippe, et ils étaient résolus à défendre leur patrie reconquise avec le courage du désespoir. Enfin, les alliés envoyèrent dans toute la Grèce pour demander des renforts, et les États gagnés par Démosthène, Mégare, Corinthe, l'Eubée, l'Achaïe, Leucade, Corcyre, se montrèrent prêts à en fournir et à verser des subsides dans la caisse militaire[50]. Pendant ce temps, les Péloponnésiens envieux gardèrent au moins la neutralité[51] et ne se laissèrent pas décider à aider Philippe, qui, sous prétexte de guerre sacrée, leur avait demandé des auxiliaires.

L'inimitié qui régnait entre Thèbes et la Phocide, entre la Phocide et Amphissa, entre Amphissa et Athènes, était donc heureusement écartée. Une armée considérable se rassemblait autour du Parnasse, et en même temps les Thébains et les Athéniens fraternellement unis étaient rangés contre Philippe à la frontière de la Béotie et surveillaient tous ses mouvements. On n'en resta pas là Il y eut de sanglantes rencontres partielles dans la plaine du Céphise. Deux de ces rencontres sont connues sous les noms de combat du fleuve et combat d'hiver[52]. Ces deux engagements tournèrent à l'avantage des alliés : dans tous les deux les Athéniens, comme le dit Démosthène avec orgueil, se montrèrent non seulement irréprochables, mais dignes d'admiration par leur excellent armement, leur discipline et leur ardeur. On les cita de nouveau avec éloges comme les champions de la Grèce. Quelques corps de troupes, particulièrement heureux dans le combat, comme celui de la tribu Cécropide avec son chef Boularchos, consacrèrent des offrandes votives à Athéna sur l'acropole[53] ; dans la ville, on célébra ces victoires par des sacrifices et des processions ; tous, les esprits étaient exaltés, reconnaissants, pleins d'espérance. On avait la plus entière confiance dans la direction de Démosthène : on donna à cette confiance une expression publique en lui accordant, sur la proposition de son cousin Démomélès, autrefois son ennemi, une couronne d'or à la fête des grandes Dionysies, comme au sauveur et au protecteur de la cité[54].

1l n'était pourtant pas sans rencontrer d'opposition. On cherchait à lui enlever l'affection de ses concitoyens. On lui reprochait sa sympathie pour la Béotie, car ce sentiment avait été longtemps considéré comme une sorte d'égarement qu'on ne pouvait pardonner à un Athénien digne de ce nom[55] : parmi les hommes distingués, c'était surtout Phocion qui, dans un temps, où sou entente avec Démosthène aurait été si féconde. lui faisait opposition avec une amertume non dissimulée. Cette opposition devait être très pénible à Démosthène, car Phocion était à côté de lui le caractère le plus viril d'Athènes : c'était comme lui un homme qui devait tout à lui-même. comme lui un esprit indépendant et un caractère inébranlable. Il n'avait jamais su être un homme de parti. En lui se mêlaient les deux tendances de la société contemporaine. Il avait apporté de. l'Académie le mépris acerbe de tout ce qui existait ; mais sa, nature pratique et laborieuse l'empêchait de s'abstraire du monde comme les vrais platoniciens. Il avait besoin d'une vie active et servait son pays par devoir, par acquit de conscience, sans goût personnel, sans amour et sans enthousiasme. On ne trouverait pas aisément un autre général heureux dans ses entreprises, qui eût si peu d'ambition et ait si peu joui de ses propres succès. Chaque guerre augmentait sa considération, et pourtant, il ne désirait que la paix. Ses capacités lui procuraient l'estime générale, mais il méprisait le peuple qui l'honorait et il répondait à sa confiance par une méfiance hautaine. Pour lui, chaque élan du peuple était un dangereux vertige, et il regardait comme de funestes conseillers de la république ceux qui cherchaient à la réveiller et à pousser les citoyens à des efforts au-dessus de leur courage. Lui-même ne prétendait pas être un orateur : pourtant son éducation dialectique, l'énergie de son caractère, son calme, sa froideur, ses idées arrêtées, conséquence naturelle de l'étroitesse de son point de vue, donnaient à ses paroles une énergie tranchante qui, soit qu'il exprimât à l'occasion ses opinions ou qu'il combattit en public les opinions des autres, faisait de lui le plus dangereux de tous les adversaires de Démosthène[56]. C'était comme un rocher contre lequel se brisaient tous les courants de l'époque : plus ils étaient puissants, plus ils rencontraient en lui une inébranlable résistance[57].

Des tentatives furent aussi faites d'autre part pour empêcher l'explosion de la guerre. Des signes inquiétants furent annoncés : on sut exploiter comme pronostics effrayants des accidents arrivés aux dernières fêtes d'Éleusis[58]. L'opposition fit alliance, comme au temps de Périclès, avec un courant superstitieux, entretenu par les prêtres, lesquels regardaient l'alliance avec les Phocidiens et les Amphisséens excommuniés par Delphes comme un fait monstrueux, qui irritait les dieux contre la république. On fit courir des oracles qui devaient effrayer le peuple ; on finit même par demander qu'avant le pas décisif on consultât la Pythie pour savoir quelle devait être la conduite d'Athènes : on savait pourtant que Delphes, encore moins aujourd'hui qu'au temps des guerres médiques, ne pouvait avoir voix au chapitre quand il s'agissait d'un intérêt national, et que, comme disait Démosthène, la Pythie philippisait[59].

Mais toutes ces oppositions furent impuissantes contre le cours des événements. Les citoyens étaient pleins de confiance. La position de Démosthène était solide, et il présidait fermement aux affaires de sa patrie, prenant des mesures énergiques contre tous ceux qui voulurent paralyser ou troubler le soulèvement patriotique : à sa lutte contre le parti sacerdotal se rapporte vraisemblablement sa conduite à l'égard de la prêtresse Théoris, qui, à son instigation, fut condamnée à mort en punition de ses intrigues[60]. Il dirigeait le gouvernement à Thèbes comme à Athènes, et c'est avec joie et confiance que tous les patriotes voyaient approcher cette campagne d'été qui devait amener une décision.

La situation était toute différente dans le camp ennemi. Philippe se voyait cruellement déçu. Les villes qu'il avait détruites se relevaient sous ses yeux ; à gauche et à droite, les passages sur lesquels il comptait étaient défendus par des troupes considérables, occupant des positions avantageuses et bien commandées. Les premières rencontres lui avaient été défavorables ; la lutte qu'il se voyait obligé de commencer était inattendue ; elle n'entrait pas dans ses vues, et le succès n'était rien moins qu'assuré.

Pendant tout l'hiver, il avait retenu la masse de ses troupes en arrière des passages : au commencement du printemps, il fallut sortir de cette position pénible et marcher en avant, soit par le Parnasse, soit par la Béotie. Il préféra tenter d'abord le combat à l'ouest, parce qu'il comptait sur un succès plus facile. Une division de ses troupes était encore près de Cytinion, où un col conduit de la région des sources cru  Céphise à Amphissa. Mais là encore, Philippe n'osa pas d'emblée engager des troupes dans les dangereuses gorges de la montagne : il préféra employer une de ces ruses de guerre dont, en face des Grecs. il avait toujours su tirer le plus d'avantage. Il ordonna un mouvement apparent de retraite, retira ses soldats des défilés de la Doride, et, par des ordres du jour qu'il laissa tomber à dessein entre les mains de l'ennemi, il annonça à l'armée qu'il avait éclaté en Thrace une insurrection qui réclamait sa présence et rendait pour le moment impossible la continuation de la guerre hellénique. Sur des troupes mercenaires, insuffisamment disciplinées et qui ne pouvaient être maintenues que par l'imminence du danger et la présence immédiate de l'ennemi, ces ruses de guerres eurent un plein effet. Les troupes se dispersèrent, les passages, devinrent libres, et, avant qu'on y pensât, le roi était revenu à marches forcées et avait pénétré dans le pays. Les mercenaires surpris furent complètement battus près d'Amphissa[61], et la ville avec son territoire subit le sort infligé naguère à la Phocide[62]. Naupacte aussi, occupée par les Achéens, fut prise d'assaut et livrée aux Étoliens[63].

Par ce succès, dû à la négligence des mercenaires, peut-être à une trahison tramée dans leurs rangs, une partie essentielle du plan de campagne de Démosthène était déjouée. Philippe pouvait tourner maintenant toutes ses forces vers l'est ; il y avait libre accès par le sud du Parnasse : de Naupacte il pouvait aussi passer dans le Péloponnèse, pour forcer les auxiliaires d'Athènes à rentrer chez eux.

C'est vraisemblablement à ce moment que le roi noua de nouvelles négociations. Il pouvait être assuré que les villes ne supporteraient pas longtemps l'effort surhumain qu'elles avaient dù faire ; il savait combien la politique guerrière trouvait encore de résistance ; la chute d'Amphissa devait avoir produit une terrifiante impression. La Béotie, qui d'abord n'était qu'un but accessoire, devenait l'objectif prochain du roi. La capitale était encore animée de l'esprit de Démosthène, mais Thèbes n'était pas toute la Béotie, et les délégués des villes rurales, dont le territoire avait déjà à souffrir des maux de la guerre, étaient dans des dispositions toutes différentes. A la suite des nouvelles propositions venues du camp macédonien[64] il se produisit un mouvement d'hésitation, et le parti de la paix osa se produire plus hardiment, non seulement à Thèbes mais encore à Athènes. Ce qui donnait à ce parti une importance considérable, c'est qu'il avait à sa tète le premier capitaine de la république, un homme dont personne ne pouvait mettre en doute le patriotisme. Il y avait une étrange contradiction dans ce fait, que l'orateur non militaire poussait à la lutte, tandis que l'homme de guerre ne cessait de conseiller la paix. Il y eut entre les deux hommes des incidents personnels très vifs : Démosthène, irrité de l'âpre résistance de son adversaire, lui adressa, dit-on, cette menace : Les Athéniens te feront un mauvais parti, s'ils se fâchent ! Phocion répondit : Et à toi, s'ils reviennent à la raison. Cette altercation et d'autres du même temps donnent une idée de la tension qui régnait entre les partis adverses.

Démosthène ne pouvait supporter l'idée qu'à la dernière heure il dût perdre le fruit de longues années de sacrifices et d'efforts. Son énergie grandit encore, et l'ardent patriote ne cessa de lutter avec une vigueur croissante pour effrayer les traîtres, relever les hésitants et raffermir les courages chancelants. On lui a reproché d'avoir fait peser sur Athènes un terrorisme inconciliable avec l'esprit d'une administration républicaine[65]. Comme au temps où Périclès était à la tête du gouvernement, on se plaignit que la constitution fût suspendue de fait et que les affaires athéniennes fussent conduites par Démosthène, d'accord avec les chefs du gouvernement béotien. Il ne supportait, disait-on, aucune contradiction, traitait les généraux avec un orgueil despotique, poursuivait avec une implacable colère, comme autrefois Cléophon, la moindre manifestation de tendances pacifiques ; les béotarques étant devenus hésitants après les dernières propositions du roi, il les aurait amenés à lui rester fidèles par la violence et l'intimidation[66]. Il faut dire pourtant que la conduite de Démosthène à Athènes était justifiée par ce fait, que l'opposition contre lui ne partait pas ouvertement d'une fraction considérable du peuple, mais d'un petit nombre d'individus et de groupes qui cherchaient à entraver son œuvre par des intrigues secrètes. Les dispositions de la bourgeoisie se firent jour lorsqu'elle vota à l'orateur une nouvelle couronne, sur la proposition d'Hypéride, qui triompha brillamment de l'opposition de Diondas[67] : ce fut sans doute à la fête des grandes Panathénées (été de 338).

Après le rejet des dernières propositions de paix, une bataille était inévitable, et les deux partis durent désirer une prompte décision. Pour ce qui est du champ de bataille, les Hellènes devaient tenir avant tout à conserver leur forte position dans le défilé de la vallée du Céphise et à y attendre l'attaque : mais Philippe, qui pendant les dernières négociations s'était renforcé des troupes amenées de Macédoine par Antipater, avait besoin d'un champ de bataille où il pût déployer sa cavalerie et profiter de sa supériorité tactique.

Il quitta donc ses quartiers d'hiver, s'éloigna du passage, envoya son avant-garde dans la région montagneuse qui borde au nord la vallée du lac Copaïs, dévasta les localités béotiennes et menaça toute la région orientale. Les alliés s'étaient habitués à croire que le résultat de la guerre dépendait de la possession du défilé : le mouvement de l'ennemi les jeta donc dans la plus cruelle incertitude. Il était possible que toute l'armée macédonienne prit la direction de l'est : on ne savait plus où il fallait l'attendre. Il fallait donc suivre tous ses mouvements, si l'on voulait, selon le désir des Béotiens, protéger la contrée. Les alliés se séparèrent donc, et il ne resta dans le passage qu'une faible garnison.

Aussitôt, que Philippe eut atteint ce résultat, il ramena rapidement ses troupes dans leur position primitive, bouscula sans grands efforts les troupes restées dans le défilé, les poursuivit en forçant le passage, et, se trouva avec toute son armée dans la vallée béotienne du Céphise, dont la large plaine était depuis longtemps à ses yeux le terrain le plus favorable pour une bataille[68]. Les Hellènes se réunirent au sud du Céphise, où ils s'appuyaient sur Chéronée en se servant du fleuve comme ligne de défense. Leurs contingents se placèrent en ligne de bataille, sans être inquiétés par l'ennemi, au pied des hauteurs qui s'élèvent derrière Chéronée, sur les deux rives du ruisseau d'Hæmon, qui se jette dans le Céphise en descendant du cirque rocheux de la ville. Les Athéniens étaient les plus rapprochés de la ville et formaient l'aile gauche ; les Thébains avaient la place d'honneur à l'aile droite, où ils touchaient le fleuve ; au centre étaient placés les Phocidiens, Achéens, Corinthiens, et les débris de l'armée des mercenaires échappés de la Locride[69]. Théagène commandait les Béotiens[70] : c'était un général éprouvé, de l'école d'Épaminondas ; les Athéniens étaient commandés par le brave Stratoclès, avec Charès et Lysiclès comme lieutenants[71].

C'est contre les milices ainsi rangées que marcha Philippe. Son armée est évaluée à 30.000 fantassins et à 2.000 cavaliers : ce dernier chiffre est certainement trop faible. En somme, les deux armées doivent avoir été à peu près de force égale : elles l'étaient aussi en courage. Mais la grande supériorité de l'armée ennemie était dans son commandement : elle obéissait à une volonté unique, servie par les capitaines les plus expérimentés. L'ennemi suivait un plan longuement étudié. Quant aux Hellènes, ils ne pensaient qu'à opposer leur courage à l'attaque des ennemis ; chaque division combattait pour elle-même ; ce qui manquait, c'était le génie d'un chef à la hauteur de son adversaire et faisant des parties de l'armée un seul tout.

Les commencements de la bataille ne furent pas défavorables. L'aile gauche avança bravement. Philippe recula dans la plaine, et déjà Stratoclès criait aux siens : Chassons l'ennemi jusqu'en Macédoine ! A l'autre aile, les Thébains étaient inébranlables, quoiqu'Alexandre, le fils du roi, âgé de dix-huit ans, qui devait gagner ses éperons en ce jour, l'attaquât avec fureur. La discipline d'Épaminondas fit ses preuves, surtout dans le bataillon sacré[72]. Pendant plusieurs heures de la matinée, les Béotiens gardèrent solidement leur poste ; enfin ces braves tombèrent les uns à côté des autres, sous les lances de la cavalerie ennemie. Alexandre passa sur leurs cadavres pour attaquer de flanc le centre, composé des contingents alliés, qui ne pouvait opposer qu'une résistance bien moindre, d'autant plus qu'il ne se sentait appuyé ni à droite ni à gauche. Lorsque le combat se fut concentré sur ce point, Philippe reprit l'offensive contre les Athéniens qui, dans l'ardeur de la poursuite, s'étaient beaucoup trop avancés dans la plaine et avaient perdu leur cohésion. Ils furent arrêtés d'abord, puis repoussés : entourés d'une cavalerie supérieure en nombre, ils cherchèrent avec de grandes pertes à regagner leur ancienne position ; mais ils n'y trouvèrent pas d'abri. Ils virent alors l'armée en déroute, et toutes les forces de l'ennemi unies contre eux. Plus de salut que dans la fuite. Mille d'entre eux furent tués, deux mille faits prisonniers[73] : la perte des Thébains doit avoir été bien plus considérable[74].

Philippe, qui ne voulait pas seulement forcer le passage et gagner une bataille, mais détruire d'un seul coup toute la force de résistance des troupes grecques, avait complètement atteint son but. On ne songea plus à une nouvelle réunion de troupes, à une deuxième bataille. Il n'y avait plus ni commandement commun, ni cohésion quelconque. Les contingents rentrèrent chacun dans son pays, et la confédération hellénique, à peine formée, était dissoute par une seule défaite. L'Attique et la Béotie étaient sans défense : les deux États voisins, incapables de se porter secours, devaient s'attendre chacun de son côté aux calamités que la colère du vainqueur allait déchaîner sur eux.

Néanmoins, le sort des deux villes fut bien différent. L'héroïque bravoure des Thébains fut le dernier sacrifice fait par eux à la gloire de leur passé ; elle put leur valoir l'estime du vainqueur, mais non lui dicter sa conduite ultérieure. Philippe ne voyait dans le soulèvement de Thèbes qu'une infidélité et un acte d'ingratitude, la criminelle violation des traités jurés, une révolte manifeste qu'il crut devoir punir, là comme en Thessalie, avec une impitoyable sévérité. Le fait d'avoir abandonné son alliance, l'amphictyonie restaurée par lui, devait être considéré comme une trahison envers la patrie hellénique. Il se conduisit à l'égard de Thèbes comme l'eût fait Sparte si elle lavait été victorieuse à Leuctres. L'État fondé par les Thébains au temps de leur puissance fut détruit : Thèbes fut réduite au sort d'une ville rurale de la Béotie, Orchomène[75], Thespies[76], Platée[77] reconstituées ; une garnison macédonienne occupa la Cadmée[78] ; les chefs de la bourgeoisie furent mis à mort ou exilés comme traîtres, leurs biens confisqués et distribués : un nouveau gouvernement fut institué. La destruction du bataillon sacré sur le champ de bataille de Chéronée fut aussi la fin de la cité d'Épaminondas et de Pélopidas.

Athènes au contraire était une ennemie qu'il fallait, même après sa défaite, traiter avec respect et gagner par la générosité. Il était du reste commandé par la plus simple sagesse de ne pas la pousser aux extrémités. Le courage et par conséquent la force des Athéniens n'était nullement brisé. Athènes était habituée à ne pas désespérer d'elle-même, même devant l'invasion, et à se confier à ses murailles. Un siège était, en tout état de cause, une entreprise hasardeuse, beaucoup plus difficile que les deux derniers sièges où le roi avait échoué. Si les Byzantins, les villes insulaires et peut-être même la Perse ravitaillaient la ville et envoyaient des secours au Pirée, le succès était impossible. Ajoutons à cela des considérations de haute politique. Philippe ne pouvait pas se conduire comme un second Xerxès : un roi qui avait donné Aristote comme précepteur à son fils ne pouvait méconnaître le caractère sacré du sol de l'Attique. Sa dévastation eût été une tache pour son gouvernement, tandis que, s'il pouvait arriver à faire reconnaître librement par Athènes sa situation hellénique, il aurait obtenu le plus précieux résultat qu'il pût désirer.

Il lui importait donc extrêmement d'établir des relations qui pussent le conduire à son but : il trouva pour cela un instrument merveilleux dans la personne de Démade[79], qui avait été fait prisonnier sur le champ de bataille de Chéronée : c'était un homme de basse extraction, un véritable enfant d'Athènes dégénérée, frivole, sans conscience, avide d'argent et de jouissances, mais plein d'esprit naturel, fécond en ressources, trouvant facilement le mot qui frappe, la réponse qui surprend, sans haute culture, mais d'une éloquence entraînante. Il s'était déjà posé en adversaire de Démosthène, mais sans suivre une politique déterminée. Sa rencontre avec Philippe l'engagea dans une voie qui répondait admirablement à ses désirs et à ses intérêts : c'est par Philippe que l'ancien quartier-maître de la marine[80] devint un grand personnage, un homme d'État influent. C'est par lui que le roi victorieux entra en relation avec Athènes, comme il avait fait autrefois de son camp devant Olynthe : il l'envoya dans la ville, pour faire connaître ses intentions bienveillantes[81]. Nous allons voir qu'il avait tout intérêt à suivre cette voie.

Les Athéniens avaient triomphé courageusement de la première impression produite par la terrible nouvelle, ainsi que de la douleur causée par la défaite et les pertes considérables : malgré le souci que leur donnaient les prisonniers, les blessés et les morts restés sur le champ de bataille, ils prirent sans hésiter les mesures que réclamait la sûreté de l'État, sans même penser à négocier avec l'ennemi. Comme dans la guerre d'Archidamos, on admit dans la ville la population des campagnes : les hommes de 50 à 60 ans furent appelés sous les armes[82], et l'on pourvut à la défense des passages qui donnaient entrée dans le pays[83]. Il fallait un général en chef, et la fraction la plus ardente du peuple réussit à faire élire Charidème : ce dernier avait conservé la réputation d'être le plus habile des généraux, et l'on était convaincu que, dans des circonstances exceptionnelles, il était l'homme nécessaire. Pourtant, les plus réfléchis parmi les citoyens trouvèrent dangereuse au plus haut degré cette élection d'un homme si peu sûr, avec lequel ni Démosthène ni ses amis ne pourraient jamais s'accorder. On provoqua à ce sujet une démarche de l'Aréopage, auquel on avait rendu une influence décisive dans les affaires importantes de l'État. L'élection fut annulée, et les voix se portèrent sur Phocion, avec lequel, dans les circonstances actuelles, le parti de Démosthène espérait pouvoir s'entendre[84]. C'était en effet ce parti qui dirigeait toujours les affaires publiques, et il ne voulait à aucun prix abandonner à Phocion la direction politique. Aussi Hypéride proposa-t-il de donner au Conseil des pouvoirs extraordinaires, pour qu'il pût prendre les mesures qu'il jugerait les plus salutaires les conseillers eux-mêmes devaient prendre les armes et se transporter au Pirée, qui serait considéré comme le noyau des défenses de la ville[85]. Tous les habitants capables de porter les armes devaient être appelés, les bannis rentrer dans leur patrie ; les métèques qui contribueraient à la défense recevraient le droit de cité : à la même condition, la liberté serait donnée aux esclaves, notamment à ceux des mines[86]. On croyait de cette façon ne réunir pas moins de cent cinquante mille hommes, qu'on pourrait employer au service de la république[87]. Pour trouver des armes, on n'épargnait pas mêmes les offrandes consacrées dans les temples.

Toutes ces propositions d'Hypéride furent adoptées. Démosthène s'occupa de la restauration des murailles et de l'organisation du service de garde : le peuple lui confia aussi le plus important des services, l'achat d'approvisionnements de grains. Lycurgue s'occupa, avec un redoublement de zèle, de la flotte, de l'arsenal, des armes et des agrès. Les citoyens aisés, des hommes des opinions politiques les plus diverses, Démosthène, Charidème, Diotimos et autres, témoignaient à l'envi de leur zèle par des dons volontaires d'argent et d'armes[88] : Lycurgue utilisa la confiance dont il jouissait parmi ses concitoyens pour réunir, dit-on, un capital de 650 talents, qu'il mit à la disposition de l'État[89]. Démosthène reçut la commission de réclamer des contributions aux membres de la Ligue maritime athénienne. Enfin, des ambassadeurs partirent pour représenter le danger de la ville comme un danger commun à tous les Hellènes[90] : Athènes avait toute raison d'attendre un secours effectif des États avec lesquels elle avait déjà lutté non sans succès contre Philippe. Bref, il ne régnait ni désordre ni désespoir dans la ville, mais une activité énergique et bien réglée, une courageuse résolution d'employer tous les moyens nécessaires pour défendre l'indépendance d'Athènes. Le peuple était animé des mêmes sentiments qu'au temps des batailles de Marathon et de Salamine ; comme alors, l'Aréopage contribua à donner aux citoyens une ferme attitude. La pusillanimité fut punie comme une trahison, et l'on proclama peine de mort contre tous ceux qui chercheraient à échapper par la fuite au danger de la patrie[91].

C'est dans cet état que Bernacle trouva Athènes. Ces dispositions étaient les plus défavorables aux desseins du roi, et le vainqueur se trouvait pour le moment plus embarrassé à certains égards que les vaincus ; en effet, ceux-ci étaient au milieu de l'activité la plus résolue, et Philippe en était encore à trouver le moyen de désarmer ses adversaires sans employer la force.

Démade marcha tout à fait sur les traces des précédents orateurs de Philippe, en assurant avant tout ses concitoyens que le roi était très irrité contre Thèbes, mais n'avait que de bonnes intentions à l'égard d'Athènes. Il avait sur ses prédécesseurs l'immense avantage de dire pour la première fois sur ce point l'exacte vérité. Il sut faire valoir avec énergie cette considération, et il réussit facilement à annihiler le plus beau résultat de la politique démosthénienne, en réveillant la jalousie et en paralysant le mouvement d'in-lion nationale dans lequel Philippe voyait son plus dangereux ennemi. Toutes les misérables rancunes revinrent au jour : on ne rougit pas de devenir infidèle à ceux dont le sang venait de couler avec celui des Athéniens pour la liberté de l'Hellade, et de les abandonner : on ne pensa pas devoir le moindre égard aux Thébains, et on put de nouveau se laisser aller à une joie maligne en les voyant humiliés. Cet abaissement moral des Athéniens fut le premier fruit des négociations. Après ce résultat, Démade put ajouter au nom du roi qu'il était prêt à rendre les prisonniers et à conclure une paix qui garantissait à la ville son indépendance. Si l'on n'acceptait pas cette proposition, les prisonniers restaient exposés à la colère du roi, et Philippe garderait les cadavres ; il avait eu l'habileté de repousser la réclamation que les Athéniens lui avaient adressée à ce sujet le lendemain de la bataille.

Le point capital, c'est qu'on venait de voir disparaître tout d'un coup le motif pour lequel on voulait s'exposer à toutes les misères et à tous les sacrifices de la guerre. L'héroïsme des Athéniens tenait à cette idée que le roi arrivait avec le fer et le feu, pour exiger une soumission sans conditions. Au lieu de cela, il venait avec des promesses rassurantes et sans poser de conditions humiliantes. La situation était donc complètement changée, et avec elle les dispositions de la masse des citoyens. Même parmi les citoyens plus réfléchis, qui voyaient non sans raison dans les propositions d'Hypéride une révolution complète dans l'organisation de l'État, la plupart se montraient satisfaits qu'on ne fût pas obligé d'avoir recours à des moyens aussi désespérés pour défendre le pays : Phocion, le général en chef, pouvait avec plus de chances de succès que jamais montrer ce qu'il y avait d'insensé dans cette résistance poussée aux extrêmes. Le parti macédonien avait retrouvé toute son activité. Démosthène, le seul qui eût été en état de faire prendre au moins une attitude de sage réserve, était absent encore : et comme il ne s'agissait pour le moment que de se mettre en relations avec le roi pour résoudre les questions préjudicielles et s'assurer officiellement de ses intentions, il.ne s'éleva pas une voix d'opposition contre la proposition que fit Démade d'envoyer une ambassade à Philippe. Il allait de soi qu'on ne pouvait lui envoyer des personnages qui lui fussent désagréables, puisqu'il s'agissait de la vie des prisonniers et de l'honneur des morts : c'est ainsi que les affaires de la ville furent de nouveau confiées aux mains des adversaires de Démosthène.

Eschine avait repris sa place au premier plan. Phocion, Démade et lui parurent au peuple devoir être choisis de préférence à tous les autres[92]. Lorsque Philippe les vit apparaitre dans son camp, il put être assuré d'arriver facilement à réaliser tous ses plans ultérieurs. Il les reçut à sa table et se montra l'hôte le plus aimable : dans les négociations, il fit preuve d'une générosité irrésistible. Non content de rendre la liberté aux prisonniers, il les équipa pour le retour. Il gardait encore les morts, mais uniquement afin de témoigner une nouvelle attention aux Athéniens en ramenant solennellement leurs restes. Après le départ des ambassadeurs, il les renvoya sous l'escorte des premiers personnages de son empire, notamment d'Antipater et de son propre fils[93], qui devaient en même temps apporter un projet de traité.

C'était une proposition d'amitié et d'alliance[94]. L'armée macédonienne ne devait pas entrer dans l'Attique, qui garderait son ancienne indépendance : aucun navire étranger n'entrerait dans le Pirée[95]. Oropos, le territoire limitrophe en discussion, était restituée aux Athéniens[96]. Ils gardaient une partie des îles[97] : ils étaient reconnus comme puissance navale indépendante, puisqu'ils devaient ; d'accord avec Philippe, exercer la protection des mers. Ce fut la plus honteuse des stipulations de la paix qui excita la plus grande satisfaction : Athènes ne pouvait en effet subir d'humiliation plus profonde qu'en acceptant de la grâce de l'ennemi une partie du territoire de ses propres alliés, et en se réjouissant de voir que ces derniers seuls paieraient les frais de la guerre. Pour Philippe, Oropos était le gage que les deux États voisins ne penseraient pas de sitôt à faire cause commune contre lui : la cession d'un territoire qui lui était parfaitement indifférent lui procurait le bénéfice de voir les Athéniens consentir à ce qui pour lui était la seule chose importante. C'était leur accession à la confédération qu'il voulait avant tout mener à bonne fin : ils renonçaient par là à toute politique personnelle au dehors, à toute hégémonie, à l'empire des mers. Oropos était destinée aussi à leur faire accepter la perte de leurs possessions lointaines, qui gênaient Philippe, notamment de la Chersonèse[98]. C'est ainsi que la route des grains du Pont tomba dans les mains de Philippe : cela seul suffisait pour mettre la ville en son pouvoir.

Il faut croire qu'on sut présenter sous la forme la plus anodine les sacrifices demandés à Athènes, et en dissimuler le mieux possible l'amertume aux citoyens : Démade put donc proposer avec une confiance fondée l'acceptation des conditions de la paix. Les objections ne manquaient pas pourtant. Phocion lui-même se leva, parce qu'il trouvait des difficultés sur le point de l'alliance avec Philippe. Il demanda avec raison qu'on se procurât au moins des renseignements sur la nature de cette association avant de se lier les mains[99]. Mais il ne fut pas écouté maintenant qu'il cherchait à défendre contre le roi les intérêts de la ville, et la paix fut conclue. Démosthène aurait certainement protesté contre les clauses qui offensaient le plus l'honneur de la cité : il n'aurait pas pu s'empêcher, pour obéir à sa conscience, de se déclarer énergiquement contre l'acceptation d'Oropos, par laquelle Philippe achetait les Athéniens : ne pouvant empêcher la paix, il aurait du moins recommandé la plus grande prudence et la plus grande fermeté sur le point de l'alliance. Mais lorsqu'il revint de l'Archipel, où il agissait encore en vue de la guerre[100] — il est vraisemblable qu'il visita aussi les alliés les plus éloignés, comme la fidèle Ténédos[101], les villes de Hellespont, etc. —, tout était terminé à Athènes, et il ne put, comme après la paix de Philocrate, que prendre ses précautions pour que la ville observât la paix jurée, tout en conservant le plus possible de sa dignité, de ses libertés et de cet esprit qu'il avait réveillé en elle. Les occasions ne lui manquèrent pas.

Quelque complète que fût la réaction opérée dans le peuple par l'influence de Démade, il ne se laissa cependant pas égarer au sujet de l'homme auquel il avait accordé sa confiance. Le parti contraire ne négligea rien pour dénigrer Démosthène et le rendre suspect : il croyait remporter sur lui un facile succès, après l'échec complet de sa politique ; il voulut le rendre responsable des pertes subies, des ressources prodiguées sans résultats, du sang versé en pure perte : on lui reprocha sa lâcheté dans la bataille et on chercha à le rendre méprisable sous tous les rapports. Mais ses ennemis n'atteignirent pas leur but. Les citoyens ne se laissèrent pas persuader que leur conduite antérieure eût été un égarement. Leur héroïsme était brisé, mais dans leur jugement ils se restèrent fidèles à eux-mêmes, et s'honorèrent en restant fidèles à Démosthène. Ils en donnèrent la meilleure des preuves lorsqu'ils lui déférèrent l'honneur de prononcer l'oraison funèbre à la gloire des victimes de la guerre (nov. 338)[102]. Ils sentaient bien que le grand orateur était en communion indissoluble avec les morts de Chéronée, et que c'eût été les outrager que d'accorder la parole sur leur tombe à des rhéteurs qui ne reconnaissaient pas la sainteté de la cause pour laquelle ils étaient allés à la mort.

Dans l'intervalle, Philippe avait parcouru toute la Grèce, pour régler rapidement par sa présence toutes les situations territoriales : car il courait impatient à son but, qu'aucune difficulté sérieuse ne pouvait plus maintenant l'empêcher d'atteindre. Il y avait longtemps que le Péloponnèse avait cessé d'être une citadelle de l'indépendance hellénique. Son antique groupement d'États avait été détruit par la bataille de Leuctres : depuis ce temps, il avait été le théâtre de fermentations incessantes et de guerres locales : il fallait — ce que la politique thébaine avait été impuissante à obtenir — y créer maintenant un ordre stable, unir et pacifier toute la péninsule pour en faire un membre de la nouvelle confédération. Les États qui avaient pris part au dernier soulèvement, notamment Corinthe et l'Achaïe, s'inclinèrent devant le vainqueur, et conclurent, ainsi que Mégare, la paix aux conditions qui leur furent proposées[103]. Les autres États n'avaient pas davantage été à la dévotion du roi ; ils ne lui avaient pas donné leur concours pendant la guerre ; mais il n'était pas dans son intérêt de régler maintenant ses comptes avec les diverses communes : il accepta leur neutralité comme une marque suffisante de leur dévouement, et, comme l'esprit de résistance était désormais complètement éteint, comme les anciens adversaires de Sparte venaient tous au-devant de lui pour lui apporter publiquement leur, hommage et le saluer comme leur protecteur, Philippe ne songea qu'à accomplir leurs vœux, et à se montrer pour eux un ami gracieux et un bienfaiteur. Sa situation à l'égard d'Argos était toute particulière. C'était le berceau de sa race royale et en quelque sorte la métropole de la Macédoine[104] : elle devait avoir sa part dans l'éclat du nouvel empire. Sparte avait écarté les Téménides : elle avait enlevé aux Argiens la place d'honneur qui appartenait à la ville d'Agamemnon, et détruit l'antique ordre de choses établi par les Héraclides. Philippe, prince de la race d'Héraclès[105], le nouvel Agamemnon, comme les Grecs l'avaient eux-mêmes appelé[106], voulut rendre ses honneurs à l'ancien chef-lieu des Hellènes. Il sut, là comme à Athènes, par des dons qui ne lui coûtaient rien, récolter une reconnaissance enthousiaste, et les Argiens, dans le délire de la joie, se joignirent à l'expédition qui allait venger enfin sur Sparte toutes les injures qu'ils avaient subies pendant des siècles. Comme eux, les Arcadiens et les Messéniens se joignirent au roi[107] : Élis, qui ne s'était réconciliée que pour un instant avec Sparte, en fit autant[108]. Les contingents unis des Péloponnésiens, des auxiliaires grecs de Philippe et l'élite de ses troupes macédoniennes formèrent une armée immense qui se répandit avec une force irrésistible dans la vallée de l'Eurotas[109]. Le jour était venu où l'on allait faire justice de l'ancien État directeur de la Grèce !

Depuis sa courte élévation sous Agésilas, Sparte n'avait cessé de décliner, au point qu'elle ne tirait même pas de profit des forces vives qui lui restaient encore. C'est ce que nous voyons par le fils d'Agésilas, l'énergique Archidamos, qui, à partir de ses premiers débuts, malgré quelques faits d'armes glorieux, ne sut rendre aucun service à sa patrie par sa bravoure. Il s'était, lui aussi, laissé tromper par Philippe, et après l'échec de ses tentatives pour faire valoir pendant la guerre de Phocide l'influence de Sparte, il était rentré profondément découragé dans sa patrie. Même dans les plus grands dangers de la patrie commune, Sparte ne pouvait se décider à renoncer à son froid et étroit égoïsme : elle se trouvait, par sa faute, complètement isolée.

Pendant que les Athéniens déclaraient en pleine assemblée qu'en cas de besoin ils n'abandonneraient pas Sparte, et que, résistant au courant de la haine universelle, ils maintenaient avec Sparte leurs relations pacifiques, les Spartiates n'éprouvaient pas la moindre sympathie pour Athènes et ne songeaient aucunement à soutenir sa politique nationale. C'est en vain aussi que Périnthe s'était tournée vers Sparte, et lorsque la confédération hellénique était en armes, à la veille du jour où ses destinées devaient se décider, le roi Archidamos exposait sa vie non sur le champ de bataille de Chéronée, mais loin de sa patrie. Comme chez son père, l'esprit guerrier, n'ayant pas de but national, dégénéra chez lui en un goût d'aventures sans but. Il alla d'abord en Crète, puis à Tarente, où il tomba dans une bataille contre les Messapiens, au moment même où les Hellènes luttaient contre Philippe[110]. Son fils Agis eut à supporter tout le poids de la calamité nationale.

Malgré la dégénérescence et cette sorte d'ossification qu'avait subie le génie spartiate, il gardait pourtant encore de son ancienne grandeur un trait qui se révélait le plus manifestement dans les grandes détresses. Le noyau bien réduit des Spartiates avait conservé la notion de l'État avec plus de vivacité que les autres communes déchirées par l'esprit de parti : quelque peu de consistance que montrassent tels ou tels citoyens à l'étranger, la bourgeoisie avait conservé un énergique sentiment d'union et une ferme résolution dans l'action qui étaient de nature à faire rougir tous les autres Hellènes. Même en ce moment, il ne se trouva pas à Sparte un seul traître : on ne se laissa prendre à aucun appât ; on n'entra dans aucune négociation : on laissa dévaster tout le pays jusqu'à la mer, et, après quelques tentatives de résistance, on se concentra autour des hauteurs de la ville, que l'on avait défendues deux fois déjà avec succès. Il fallut enfin songer à la paix. Mais lorsqu'il s'agit d'abandonner le droit à l'hégémonie et d'accepter l'obligation de servir sous les drapeaux d'un roi étranger, les citoyens se refusèrent avec fermeté à la conclusion d'un tel traité et se montrèrent résolus plutôt à tout souffrir[111]. Ils atteignirent leur but. Philippe ne pouvait vouloir l'anéantissement de leur ville : son intérêt ne l'exigeait pas : un martyre héroïque n'aurait pu que lui être nuisible. Il dut donc se contenter, quoiqu'à contrecœur, de rendre complètement inoffensive une puissance déjà bien diminuée et bien déchue. On convoqua un tribunal arbitral hellénique[112], et tous les territoires que Sparte devait à la conquête furent repris au bénéfice de ses voisins. Les Messéniens réclamèrent tout le versant du Taygète jusqu'à la crête de la chaîne[113]. L'Argolide obtint la restitution de la Thyréatide et de tout le territoire des anciens Cynuriens, après une domination bi-séculaire exercée par les Lacédémoniens jusqu'à la frontière des plaines de l'Argolide[114] : on assigna aux Arcadiens la région du haut Eurotas et de ses sources, aux Mégalopolitains Belmina[115], aux Tégéates la Sciritide[116], de sorte que les Lacédémoniens n'eurent pas même la pleine possession de leur vallée et de ses plus importants passages. Sparte fut traitée comme un État de brigands, à qui on reprend son butin pour le restituer aux légitimes possesseurs[117]. Muette et farouche, elle se laissa arracher tous ces membres, qui dans le cours des siècles s'étaient si solidement soudés à son corps qu'autrefois Épaminondas avait été taxé de folie quand il avait voulu exiger des Spartiates la cession des territoires circonvoisins.

La conclusion de toutes ces mesures fut la convocation à Corinthe d'une diète générale des Hellènes[118]. On lui soumit le traité, dans lequel le roi présenta le but de sa politique dynastique de façon à l'identifier avec les vœux traditionnels du peuple hellénique et à en faire la garantie de la prospérité nationale : d'un côté, la paix intérieure et la sécurité du commerce, de l'autre, un éclat et une gloire nouvelle en face de l'étranger, de sorte que chacun trouvait son compte dans l'ère qui s'ouvrait, aussi bien les citoyens sédentaires, occupés de leur commerce ou de leur industrie, que la jeunesse avide d'aventures et de butin. Pour rassurer les petits États, il renouvelait la proclamation de l'indépendance de toutes les communes grecques : pour satisfaire les intérêts des classes riches, il garantit l'ordre et la paix contre toutes les nouveautés démagogiques. Un conseil fédéral permanent devait veiller à ce que l'ordre de choses existant ne reçût aucune atteinte : l'assemblée amphictyonique devait, comme tribunal fédéral, punir tout attentat contre la confédération[119]. Ce qui garantissait la mise en pratique effective des nouvelles institutions, c'est qu'elles étaient placées sous la surveillance de Philippe, le membre le plus puissant du nouveau corps fédéral. Car la Macédoine et la Grèce réorganisée étaient réunies en un tout, en un seul État fédéral. Ce qui contribua à faire du roi étranger le représentant des idées nationales, c'est qu'il reprit la mission d'une guerre de revanche contre la Perse, qui avait été interrompue pendant la période de faiblesse et de désunion des Hellènes : il prétendit n'imposer aux Grecs que dans ce seul but le service militaire, qui fut réglé par des conventions définitives arrêtées d'accord avec les représentants des États grecs.

Tels sont les grands événements et les transformations profondes qui remplirent l'année 338. Pour en bien comprendre la portée, il faut encore, après ce rapide exposé des faits, jeter un regard en arrière sur le rôle politique de Démosthène et la situation des Hellènes sous la suzeraineté macédonienne.

 

 

 



[1] PLUTARQUE, Moral., p. 350.

[2] DEMOSTH., Pro Coron., § 102. 104.

[3] C'est-à-dire de 943.000 fr. et au-dessus (Vit. X Orat., p. 354). Cf. BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 51.

[4] ÆSCHIN., In Ctesiph., § 122.

[5] DEMOSTH., Pro Coron., § 103.

[6] DINARCH., In Demosth., § 42.

[7] De 4.910 fr. à 5.890 fr.

[8] Soit 58.940 fr.

[9] Les documents insérés dans le Discours sur la Couronne (§ 106) sont suspects, bien que BÖCKH (op. cit., p. 737) les croie dignes de foi. D'après ces textes, l'obligation d'accepter la charge d'une trirème commence à une ούσία άπό ταλάντων δέκα (c'est-à-dire à un capital réel de 50 talents), et le montant d'une liturgie personnelle peut aller έως τριών πλοίων καί ύπηρετικοΰ. SCHÄFER (op. cit., II, p. 490) rejette ces documents : mais le contenu au moins parait cependant reposer sur une tradition de bon aloi.

[10] DEMOSTH., Pro Coron., § 107.

[11] De Ol. CVI, 3 à Ol. CVII, 3 (354-350).

[12] De Ol. CVII, 3 à Ol. CVIII, 3 (350-346), c'est-à-dire durant la guerre d'Olynthe (SCHÄFER, op. cit., I, p. 175 sqq.).

[13] PHILOCHOR., fragm., 135. Cf. C. CURTIUS in Philologus, XXIV, p. 266.

[14] Sur les rapports de Démosthène et de Lycurgue, cf. C. CURTIUS, in Philologus, XXIV, p. 264.

[15] Vit. X Orat., p. 842.

[16] THEOPOMP., fragm., 136 (ap. ATHEN., p. 436). DEMOSTH., Pro Coron., § 48.

[17] Les Thébains avaient été délogés de Nicæa, qui fut adjugée aux Thessaliens (ÆSCHIN., In Ctesiph., § 140. DEMOSTH., Philipp. II, § 22).

[18] ÆSCHIN., In Ctesiph., § 115. DEMOSTH., Pro Coron., § 149.

[19] Environ 291.700 fr.

[20] ÆSCHIN., In Ctesiph., § 116 sqq.

[21] ÆSCHIN., In Ctesiph., §§ 118-121. DEMOSTH., Pro Coron., §§ 149-150.

[22] ÆSCHIN., In Ctesiph., §§ 122-124. DEMOSTH., Pro coron., § 151.

[23] ÆSCHIN., In Ctesiph., §§ 125.

[24] ÆSCHIN., In Ctesiph., §§ 113.

[25] ÆSCHIN., In Ctesiph., §§ 126 sqq.

[26] ÆSCHIN., In Ctesiph., §§ 128.

[27] ÆSCHIN., ibid., § 128.

[28] Sur la façon dont procéda Cottyphos, voyez ÆSCHIN., ibid., § 129.

[29] ÆSCHIN., ibid., § 129. Cf. DEMOSTH., Pro Coron., § 151. En tout cas, Eschine n'a pris personnellement aucune part à cette résolution : il n'y a même pas de preuve que des envoyés athéniens aient été présents à cette session.

[30] DEMOSTH., Pro Coron., § 143.

[31] Sur les εύσεβείς d'Amphissa, dont Cottyphos demande le rappel, voyez ÆSCHIN., In Ctesiph., § 129. Il est très probable que les δι' εύσέβειαν φεύγντες, sur la réintégration desquels insistent les Amphictyons, sont les mêmes individus qui avaient amené toute la catastrophe, d'accord avec le parti philippiste, et qui avaient été expulsés immédiatement comme traîtres.

[32] La défense d'Eschine et la réfutation des soupçons manifestés sur ce point par Démosthène, telle que la donne SPENGEL (Demosth. Vertheidigung des Ktesiphon), n'a point réussi à me convaincre. F. CASTETS (Eschine l'orateur, Paris, 1875, p. 103) persiste à croire Eschine plus vaniteux et naïf que malhonnête.

[33] ÆSCHIN., In Ctesiph., § 140. L'occupation d'Élatée date des derniers mois de 339 (WESTERMANN ad Demosth., Pro Coron., § 152). Dès 344, on avait songé que Philippe pourrait quelque jour fortifier Élatée (DEMOSTH., Philipp. II, § 14). D'après KÖCHLY (in N. Schweiz. Museum, II, p. 37), les événements qui suivent doivent être, en dépit de Plutarque (Demosth., 18), rangés dans l'ordre suivant : 339/8. — Prise d'Élatée. — Cantonnement de l'armée dans ses quartiers d'hiver. — Négociations entre Athènes et Thèbes. — Sortie des Athéniens. — Escarmouches d'hiver. — Printemps 338. — Marche sur Amphissa. — Intrigues à Athènes. — Nouvelles négociations. — Marche de l'armée sous Antipater. — Retour de Philippe en Phocide. — Invasion de la Béotie. — Bataille de Chéronée.

[34] Voyez dans DEMOSTH., Pro Coron., § 169, la peinture de cette scène qu'avait aussi décrite Hypéride (Fragm. 37 in Fr. Orat. Attic., II, p. 387).

[35] DEMOSTH., De pace, § 15.

[36] DEMOSTH., De reb. Cherson., § 63.

[37] DEMOSTH., Pro Coron., § 178.

[38] DEMOSTH., Pro Coron., § 177.

[39] DEMOSTH., Pro Coron., § 178.

[40] Les envoyés de Philippe à Thèbes étaient Python (DIODOR., XVI, 85), Amyntas et Cléarchos (MARSYAS, fr. 7 ap. PLUTARQUE, Demosth., 18).

[41] Ce sont les alliés de la Macédoine, Thessaliens, Ænianes, Étoliens, Dolopes et Phthiotes (PHILOCHOR., fr. 133).

[42] THEOPOMP., fragm. 230 ap. PLUT., Demosth., 18.

[43] ÆSCHIN., In Ctesiph., § 142.

[44] Aujourd'hui le mont Parori.

[45] THEOPOMP., fr. 264 ap. STRABON, p. 424. POLYÆN., IV, 2, 14.

[46] Vit. X Orat., p. 851. Le décret porte Λοκρούς, mais Démosthène se contente de nommer le chef-lieu.

[47] ÆSCHIN., In Ctesiph., § 146.

[48] POLYÆN., IV, 2, 8.

[49] PAUSANIAS, X, 3, 3. Il s'agit surtout d'Ambrosos ou Ambrysos (PAUSAN., X, 36, 3. IV, 31, 5).

[50] PLUTARQUE, Demosth., 17. ÆSCHIN., In Ctesiph., § 95.

[51] DEMOSTH., Pro Coron., § 64. Cf. PAUSAN., VIII, 6, 2.

[52] DEMOSTH., Pro Coron., § 216.

[53] KIRCHHOFF in Monatsber. der Berl. Akad., 1863, p. 6.

[54] Vit. X Orat., p. 846 a.

[55] ÆSCHIN., De falsa leg., § 106. Cf. W. SCHMITZ, Ueber den Böotismus des Demosthenes (Zeitschr. für Gymnasien, 1865, p. 1 sqq).

[56] Voyez les boutades de Phocion dans Plutarque (Phocion, 9. 16).

[57] Sur Phocion, voyez le livre de J. BERNAYS, Phokion und seine neueren Beurtheiler, Berlin, 1881.

[58] PLUTARQUE, Demosth., 19, sqq.

[59] ÆSCHIN., In Ctesiph., § 130.

[60] PHILOCHOR., fr. 136 ap. HARPOCRAT., s. v. Θεωρίς. Cf. BÖCKH, ad Philochor., 23. PLUTARQUE, Demosth., 14.

[61] Défaite de Proxénos (POLYÆN., IV, 2, 8. ÆSCHIN., In Ctesiph., § 146).

[62] STRABON, IX, p. 419. 427.

[63] THEOPOMP., fr. 46. ap. SUIDAS, s. v. φρουρήσεις έν Ναυπάκτω.

[64] ÆSCHIN., In Ctesiph., §§ 148-151.

[65] Sur le terrorisme de Démosthène. Cf. ÆSCHIN., In Ctesiph., § 145 sqq.

[66] PLUTARQUE, Démosthène, 18.

[67] DEMOSTH., Pro Coron., § 222. HYPERID., In Diondam (Fragm. Orat. Att., II, p. 408). Cf. SCHÄFER, Demosthenes, II, p. 529.

[68] POLYÆN., IV, 2, 14.

[69] Outre les Athéniens et les Béotiens, on trouve mentionnés les Corinthiens (STRABON, p. 414) et les Achéens (PAUSANIAS, VII, 6, 5). Sur la position des Grecs. voyez KÖCHLY, Gesch. d. Eriegswesens, p. 58. VISCHER, Erinnurungen aus Griechenland, p. 591.

[70] DINARCH., In Demosth., § 74. PLUTARQUE, De virtut. mulier., 24. Il péri dans la bataille (PLUT., Alex., 12).

[71] ÆSCHINE, In Ctesiph., § 143. POLYÆN., IV, 2, 2. On ne dit point que Stratoclès ait succombé (KÖCHLY, op. cit., p. 66), mais le fait est vraisemblable. Lysiclès fut accusé de trahison par Lycurgue (DIODOR., XVI, 86).

[72] PLUTARQUE, Alex., 9.

[73] DIODORE, XVI, 86. 88.

[74] Voyez le récit de la bataille dans DIODOR., XVI, 85-86. JUSTIN., IX, 3. En ce qui concerne la date, le jour indiqué (7 Metageitnion d'après PLUTARQUE, Camill., 10) correspond soit au 1er sept., soit au 2 août 338, selon que l'on prend ou non l'an 2 de Ol. CX (339/8) pour une année intercalaire. BÖCKH (Mondcyclen, p. 29) n'admet l'élimination du mois intercalaire que pour Ol. CXII, 2 (331/0), et il fait commencer en 330 (Ol. CXII, 3), le fonctionnement d'un nouveau calendrier, celui de Méton ou de Callippe. Mais cette hypothèse, Böckh en convient lui même, est fort douteuse. E. MÜLLER (art. Annus in Paulys Realencycl., I2, p. 1054) regarde comme probable qu'il y a eu une réforme du calendrier à Athènes entre Ol. LXXXIX, 3 et Ol. XCIX, 3 (422 et 382). Peut-être l'année d'Euclide a-t-elle été, sous ce rapport aussi, le début d'une ère nouvelle. L'écart est grand entre les opinions, car USENER (in Rhein. Mus., XXXIV [1879] p. 338 sqq.) retarde jusqu'en 312 l'introduction du cycle de Méton. G. F. UNGER (in Philologus, XXXIX [1880], p. 512) circonscrit la date de la réformé définitive entre 346 et 332. Ce qui est certain, c'est que, même sous le régime de l'octaétéride, on a opère fréquemment des intercalations extraordinaires, pour mettre les commencements d'année d'accord avec le soleil ; et c'est pour cette raison qu'il est si difficile de décider si les premières traces d'ordonnance plus régulière que l'on rencontre dans le calendrier tiennent à des rectifications accidentelles ou à l'adoption d'un cycle nouveau. Pour ce qui est du cas présent, l'élimination d'un mois intercalaire avant Ol. CXII, 3 est probable. Supposons qu'elle ait eu lieu en Ol. CX, 2 (330/8), le commencement de Ol. CX, 3, tombe alors le 27 juin et la bataille de Chéronée le 2 août, comme l'admet aussi SCHÄFER, Demosthenes, II, p. 529.

[75] PAUSANIAS, IX, 37, 8.

[76] DIO CHRYS., Orat. XXXVII, 42, p. 466. Cf. SCHÄFER, op. cit., III, p. 4.

[77] PAUSANIAS, IX, I, 8.

[78] PAUSANIAS, IX, I, 8.

[79] Sur Démade (BÖCKH, Seewesen, p. 243), voyez SUIDAS, s. v. Δημάδης.

[80] SUIDAS, ibid.

[81] D'après Diodore (XVI, 87) et Justin (IX, 4), c'est Démade qui aurait ramené à des sentiments plus doux le roi enorgueilli de sa victoire. Cf. SCHÄFER, Demosthenes, III, p. 4.

[82] LYCURG., In Leocrat., § 39.

[83] LYCURG., ibid., § 17.

[84] PLUTARQUE, Phocion, 16.

[85] LYCURG., ibid., 37.

[86] Vit. X Orat., p. 849 a.

[87] HYPERID., In Aristogit., § 33. Cf. SAUPPE, ad loc. BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 53.

[88] DEMOSTH., Pro Coron., § 114.

[89] Vit. X Orat., p. 852. La somme équivaut à 3.841.140 fr.

[90] LYCURG., In Leocrat, § 42. DINARCH., In Demosth., § 80.

[91] PLUTARQUE, Phocion, 16. — LYCURGUE, ibid., § 52.

[92] Les ambassadeurs envoyés à Philippe sont Démade lui-même (SUIDAS, s. v.), Eschine (ÆSCHIN., In Ctesiph., § 227), et probablement, bien que les auteurs n'en disent rien, Phocion.

[93] JUSTIN., IX, 4.

[94] Sur les conditions de la paix en général, voyez PAUSAS., I, 25, 3. Cf. DIODOR., XVI, 87.

[95] [DEMOSTH.], De fœd. cum Alex., § 26.

[96] PAUSANIAS, I, 31, 1.

[97] Cf. SCHÄFER, Demosthenes, III, p. 26. Les clérouques athéniens gardèrent leurs possessions, même à Samos, où les anciens habitants ne rentrèrent qu'après la guerre Lamiaque (W. VISCHER, in Rhein. Museum, XXII, p. 320).

[98] Cf. F. SCHULTZ, De Cherson. Thrac., p. 113.

[99] PLUTARQUE, Phocion, 16.

[100] DEMOSTH., Pro Coron., § 148. — ÆSCHIN., In Ctesiph., § 159.

[101] Cf. la συντάξις έψηφισμένη dans le décret relatif à Ténédos (Bullett. dell' Instit., 1886, p. 109).

[102] L'oraison funèbre (DEMOSTH., Pro Coron., §§ 285-288) fut prononcée dans le premier mois d'hiver, en Mæmactérion. Cf. SAUPPE in Götting. Nachrichten, 1884, p. 201. 215.

[103] ÆLIAN., Var. Hist., VI, 1.

[104] PLUTARQUE, Erotic., 16.

[105] ISOCRAT., Philipp, § 32.

[106] DIODOR., XVI, 87.

[107] PAUSANIAS, VIII, 27, 10.

[108] PAUSANIAS, V, 4, 9.

[109] ARRIAN., VII, 9, 5. THEOPOMP., fr. 66.

[110] DIODORE, XVI, 62-63. 88.

[111] PLUTARQUE, Apophthegm. Lacon., p. 218 e. 233 e.

[112] POLYBE, IX, 33.

[113] Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, II, p. 286.

[114] Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, II, p. 376.

[115] Cf. E. CURTIUS, op. cit., II, p. 258.

[116] Cf. E. CURTIUS, op. cit., II, 263.

[117] On imposa à Sparte de rester dans ses limites (PAUSAN., II, 20. 1). Elle garda pourtant son autonomie et quelque chose de son prestige (STRABON, p. 365).

[118] DIODORE, XVI, 89. JUSTIN., IX,5.

[119] PAUSANIAS, VII, 10,9. Cf. DEMOSTH., Pro Coron., § 322.