HISTOIRE GRECQUE

TOME CINQUIÈME

LIVRE SEPTIÈME. — LA MACÉDOINE ET LA GRÈCE (362-337 Av. J.-C.).

CHAPITRE PREMIER. — LES EMPIRES DU NORD.

 

 

§ I. — PEUPLES ET PRINCES DU NORD.

Les Hellènes ont une histoire plus indépendante que les autres peuples de l'antiquité et des temps modernes : Il est vrai que leur civilisation repose sur leurs rapports avec l'Orient ; mais ils ont élaboré d'une manière indépendante les éléments qu'ils en ont reçus et en sont devenus complètement les maîtres. A plusieurs reprises, des nations étrangères se sont immiscées dans leurs affaires et leur régime politique ; mais ces interventions ont eu des résultats contraires à ceux qu'on avait cherché à obtenir. Les guerres médiques ne servirent qu'à donner aux Hellènes la pleine conscience de leur force nationale, et si plus tard l'influence de la Perse s'est fait sentir, ce n'est pas par sa puissance propre, mais bien parce que les États grecs transmirent au Grand-Roi une influence qu'il n'aurait jamais pu obtenir par lui-même et dont il lui fut également impossible de tirer parti par ses seules forces : car, en dépit des dissensions du peuple hellénique, il était impuissant à regagner l'empire de la mer, d'où dépendaient absolument les rapports de la Perse et de la Grèce. Le développement de la constitution des États grecs a donc été jusque-là tout à fait indépendant. La prospérité comme les malheurs sont résultés de causes intérieures ; et l'histoire de la Grèce n'a jamais été dominée par des puissances étrangères.

La situation devait nécessairement devenir tout autre le jour où dans le nord du continent grec se réveillèrent des forces nationales qui avaient sommeillé jusque-là, et où, de ces mêmes montagnes d'où était issue une grande partie de la nation hellénique, sortirent, par une nouvelle poussée, des tribus qui constituèrent des États et firent sentir leur influence à leurs voisins du Sud. Ils étaient, sans comparaison, bien plus faits pour se mesurer avec les Hellènes que les Perses et les Mèdes ; il leur était plus facile aussi de faire valoir leurs prétentions, puisqu'il n'y avait pas de mer qui les séparât des Grecs. Sur mer, les Hellènes ne pouvaient être attaqués que par un État déjà civilisé, maître d'une grande étendue de côtes et bien pourvu d'argent : sur terre, au contraire, des peuples plus bruts pouvaient aussi remporter les plus grands succès.

Les premières tentatives qui furent faites pour rendre l'histoire des États méridionaux dépendante du Nord vinrent de la Thessalie. Aucun pays n'avait été mieux préparé à ce rôle par la nature. C'était le plus voisin, le plus riche en ressources, le complément naturel des régions péninsulaires du Midi. C'est ici que, à l'exception de l'Hellade proprement dite, il y avait le plus d'habitants de race hellénique : d'anciennes traditions faisaient même de l'Olympe la véritable frontière d'une confédération hellénique complète. Cependant, les conditions politiques étaient trop défavorables pour qu'il fût possible de transporter le centre de gravité de l'histoire grecque dans la Thessalie. Les efforts faits dans ce sens partaient de familles dont la puissance avait été édifiée par la violence et était par conséquent mal assurée : ils étaient liés à l'existence de certaines personnalités et échouèrent par le fait de la mort de Jason comme par la résistance de Thèbes, qui déjoua pour toujours les plans d'une hégémonie thessalienne sans réussir à réaliser ses propres desseins.

Alors vint le tour des contrées situées au delà de l'Olympe, qui servent de trait d'union entre les péninsules méridionales et les larges surfaces du continent européen, à savoir les régions alpestres du nord de la Grèce avec leurs montagnes élevées et leurs grandes vallées fluviales, la Macédoine et la Thrace. A l'exception des côtes, ces régions étaient restées pour les Hellènes des pays étrangers et inconnus : depuis des siècles, elles étaient considérées comme terres barbares, qui ne pouvaient avoir d'autre destination que de servir à établir des colonies le long des côtes, et d'être exploitées par les Hellènes dans un but commercial. A vrai dire, l'Olympe avec les monts Cambuniens forme ici une section très marquée. Au delà commence un autre monde, non seulement quant à la physionomie extérieure du pays, mais encore quant au climat et à toute la vie de la. nature. La Thessalie elle-même forme déjà la transition à la région septentrionale, qui dans ces contrées commence bien plus tôt qu'en France et en Italie. Au nord de l'Olympe, l'olivier et la flore méridionale ne réussissent que sur des points particulièrement favorisés, par exemple, dans les plaines ensoleillées qui s'étendent sur les bords de la mer comme une étroite lisière le long de la Macédoine et de la Thrace. Dans l'intérieur du pays règne le climat de l'Europe centrale, qui était étranger et désagréable aux Grecs, parce qu'il leur imposait, au point de vue de l'habillement, de la nourriture, de l'habitation, des mille nécessités de la vie, de tout autres conditions que celles auxquelles ils étaient habitués.

Mais, quelle que soit l'influence de ces différences sur le développement de la civilisation des peuples, ils ne peuvent néanmoins à la longue déterminer fatalement le cours de l'histoire. Ces mêmes agréments que l'homme du Midi regrette de ne pas trouver sous un ciel étranger poussent l'homme du Nord à s'avancer vers le sud, aussitôt que la faiblesse de ses voisins lui permet d'espérer le succès ; et l'Olympe n'était, sous aucun rapport, une de ces frontières qui auraient pu empêcher les peuples installés au delà de réclamer leur part dans le développement de l'histoire grecque. Les régions péninsulaires de la Grèce ne sont en effet que le prolongement des chaînes de montagnes septentrionales, et, de même qu'entre les territoires, il y avait entre les habitants des deux versants de l'Olympe une connexion naturelle. Une ère toute nouvelle devait donc commencer le jour où cette connexion entrerait dans l'ordre des faits, et où les Hellènes cesseraient de vivre dans leurs cités, sans contact avec le Nord, d'une vie abandonnée à son propre mouvement. Aussi déjà les hommes qui ont raconté l'histoire des Hellènes au temps de leur complète indépendance, Hérodote ainsi que Thucydide, ont-ils fixé un regard attentif sur le Nord et observé avec le plus grand soin les premiers essais d'organisation politique qui s'y produisirent.

Considérons maintenant les pays du Nord de plus près, en partant du même point que nous avons désigné déjà comme le point de départ de la zone méridionale.

Le 40e degré de latitude est la limite de l'Hellade proprement dite. C'est là que les chaînes de montagnes ramifiées qui forment les pays méridionaux se réunissent en un nœud compact, le Lacmon. A partir de là, la chaîne qui sépare la Thessalie et l'Épire suit une direction rectiligne à travers deux degrés de latitude. C'est là le Pinde, véritable épine dorsale du pays entre la Macédoine et l'Illyrie, qui court du sud au nord jusqu'au moment où il se relie aux systèmes des montagnes septentrionales, lesquelles vont en travers depuis l'Adriatique jusqu'à : la mer Noire. Mais entre ces branches transversales il n'y a pas de liaison immédiate ; il reste au contraire, entre la chaîne des Alpes de Dalmatie, qui court parallèlement au golfe Adriatique, et le Balkan, une large lacune. C'est dans cette lacune que pénètre l'extrémité septentrionale du Pinde, aujourd'hui le Tchardagh, semblable à un promontoire énorme ; c'est le point terminal des montagnes de la péninsule hellénique, le Scardos des anciens.

A partir du Tchardagh commencent, sous le 42e degré de latitude, les hauteurs qui se dirigent vers l'est et séparent les affluents du Danube des fleuves tributaires de l'Archipel : elles forment pour ainsi dire la muraille de fond du continent de Thrace, ce que l'on désigne du nom collectif de Balkan ou Hæmos. Seulement, ce n'est pas une chaîne ininterrompue, mais plutôt une série de nœuds montagneux (le massif du Hilo et le mont Perin) d'où partent deux chaînes principales, l'une au nord, l'Hæmos proprement dit, l'autre au sud-est, le Rhodope, qui fait des côtes de la Thrace une région alpestre.

Les deux chaînes de montagnes qui se rencontrent à angle droit au Tchardagh, le Pinde et l'Hæmos, forment l'encadrement des grands bassins fluviaux qui caractérisent le nord du monde grec : deux à l'ouest, les vallées de l'Haliacmon et de l'Axios, deux à l'est, celles du Nestos et de l'Hèbre, enfin, au milieu, la vallée du Strymon.

Ces régions fluviales ont ce caractère commun, qu'elles sont séparées par de hautes montagnes des côtes de l'Adriatique aussi bien que de la plaine du Danube, et que le cours de leurs rivières les attire tontes du côté de la mer Égée, en les invitant à prendre part aux affaires qui s'y agitent. Par contre, les montagnes qui les enferment sont brisées sur quelques points, et il devient par là si facile de passer sur les territoires situés au-delà[1], que les peuples cantonnés dans ces vallées ont conçu tout naturellement le désir d'étendre leur action vers le nord. La nature a ainsi assigné aux États constitués par eux leur mission, qui est de servir de lien entre les pays danubiens et les côtes de l'Archipel.

Pour ce qui regarde la configuration intérieure de ces régions, que nous appelons Macédoine et Thrace, il faut reconnaître qu'elles ne sont pas distinctes au point que les deux vallées fluviales de l'ouest réunies, et de même les deux ou trois de l'est, forment de part et d'autre un pays aux frontières naturelles bien déterminées, un tout bien homogène. Par exemple, la vallée du Strymon peut être adjugée indifféremment à la moitié de l'est ou à celle de l'ouest. Aussi n'y a-t-il jamais eu ici de frontières politiques fixes, mais chaque puissance qui s'est développée, dans ces contrées a cherché à s'étendre vers l'est ou vers l'ouest, d'une vallée à l'autre.

La partie la plus importante de la région orientale est le bassin de la Maritza, l'Hèbre antique. Il a ses sources au massif du Rilo, qu'Aristote appelle Scombros ; de là, il suit d'abord une direction parallèle au Balkan, puis il fait un brusque détour (près d'Andrinople) pour aller suivre le pied du Rhodope et couler vers le sud jusqu'à la mer.

Lorsque le roi Darius, dans son expédition scythique, traversa la Thrace, il trouva établis dans la vallée de l'Hèbre les Odryses, qui à cette époque n'étaient qu'une des nombreuses tribus installées côte à côte dans la région[2]. Après les guerres médiques, leur chef Térès réussit à organiser une puissance plus sérieuse et à mettre sa famille à la tête de la nation. ll laissa à son fils Sitalcès un royaume considérable, qui avait son centre dans la vallée d'Andrinople, mais qui s'étendait au nord jusqu'au Danube, à l'est jusqu'à la mer Noire, et avait réduit sous sa domination les populations des montagnes avoisinantes. Térès alla à l'ouest jusqu'au delà du Strymon, et commença à frayer des chemins à travers les forêts épaisses des monts Cerciniens pour aller, dans le bassin de l'Axios, incorporer les Péoniens à son empire[3].

Ce fut là le premier empire national au nord de l'Archipel, un empire qui réunissait dans son sein un ample faisceau de forces populaires. Les Thraces, en effet, passaient pour le peuple le plus nombreux et le plus puissant qu'il y eût autour de la Méditerranée, et les Athéniens, lors de l'établissement de leurs colonies, purent juger par une bien douloureuse expérience de la bravoure opiniâtre de la race.

Si cet empire devait avoir un avenir, il fallait qu'il gagnât de l'influence sur la mer Égée. On commença par contracter des liens de famille avec Abdère, la ville grecque la plus voisine et la plus importante, et à préparer ainsi l'entrée de la dynastie royale dans le concert des cités grecques. Le beau-frère de Sitalcès, Nymphodoros, servit d'intermédiaire avec Athènes, où de bonne heure on reconnut quelle importance avait un royaume thrace pour l'empire maritime athénien, et quels dangers ou quels avantages il pouvait apporter aux Athéniens dans le cas d'une guerre avec Sparte. On ne négligea rien, en conséquence, pour honorer cette dynastie du Nord : on se servit de vieilles légendes populaires sur Térée et Procné pour montrer que la famille de Térès était parente des Athéniens[4]. On considéra l'alliance avec Sitalcès comme la plus précieuse des alliances étrangères : Aristophane, dans ses Acharniens, nous montre les ambassadeurs rapportant que Sitalcès était enthousiasmé pour Athènes à la façon du plus tendre des amants, qu'il écrivait son nom sur toutes les murailles, et que son fils, Sadocos, citoyen honoraire d'Athènes, n'avait pas de désir plus ardent que de prendre part aux festins solennels de sa nouvelle patrie[5].

Mais cette alliance, conclue en 431, devait prendre aussi une importance politique. On concerta une grande expédition militaire. Les Odryses, venant du nord, les Athéniens, de la mer, devaient abattre ensemble l'hostilité perfide de Perdiccas, qui avait offensé les deux parties, et briser l'audace des Potidéates et des Chalcidiens, qui causaient tant de tribulations aux Athéniens. Or, qui aurait pu résister à une telle puissance ? Sitalcès déboucha de la vallée de l'Hèbre avec 150.000 hommes. C'était une armée comme on n'en avait pas vu depuis Xerxès. C'est avec épouvante que l'on constata pour la première fois la puissance du Nord : tous les peuples voisins, la Thessalie tout entière, tremblèrent pour leur liberté, et les cités hostiles à Athènes se voyaient déjà écrasées par cette double supériorité de leurs ennemis coalisés.

Mais, quelque grandioses que fussent les débuts de cette entreprise, elle échoua après une campagne de cinquante jours. Les Athéniens ne vinrent pas, soit par négligence, soit qu'ils aient vu avec inquiétude les effectifs formidables de leur allié et appréhendé les suites que pouvait avoir son immixtion dans les affaires de la Grèce[6]. En Thrace aussi la situation changea. Sadocos mourut sans doute de bonne heure, car, lorsque Sitalcès périt en 424 dans son expédition contre les Triballes, son neveu Seuthès, qui précédemment déjà s'était déclaré contre Athènes, monta sur le trône[7]. Seuthès se laissa gagner par Perdiccas, qui sut sans doute persuader au jeune roi que c'était, pour les princes du Nord, une politique absurde que d'afficher un philhellénisme naïf et de soutenir Athènes, c'est-à-dire le plus dangereux adversaire de l'accroissement de leur puissance.

Le règne de Seuthès fut pour la Thrace le temps de sa plus grande prospérité. C'était un empire compacte s'étendant d'Abdère jusqu'au Danube, de Byzance jusqu'au Strymon, un continent bien fermé et en même temps baigné par trois mers, destiné par sa situation à commander les passages conduisant en Asie, ainsi que les communications entre le Pont et l'Archipel. Le noyau de l'armée était formé par les Thraces de l'Hèbre, entre l'Hæmos et le Rhodope : il faut y ajouter les Gètes, qui habitaient au delà de l'Hæmos jusqu'au Danube, archers à cheval comme leurs voisins les Scythes ; ensuite les Thraces armés de sabres, venus du Rhodope et des montagnes avoisinantes ; les Péoniens formaient le quatrième corps de cette armée. Le pays était riche en ressources de toute espèce, grains et troupeaux, or et argent. Le tribut annuel montait à 400 talents d'argent, sans compter une somme de valeur égale perçue sous forme de dons en étoffes, ;ustensiles, etc. Ces sortes d'hommages étaient payés non seulement au roi, mais aussi à ses lieutenants dans les diverses provinces et aux fonctionnaires de l'empire[8].

Il n'y avait pas encore eu d'État semblable sur tout le pourtour de la mer Égée : il semblait destiné à prendre une importance décisive. Déjà il comptait parmi ses sujets tributaires des villes grecques. Le nombre de ces dernières ne pouvait que croître ; à l'aisance du pays, à son industrie florissante devait s'ajouter le commerce maritime et la puissance navale. Comment alors les Athéniens réussiraient-ils à conserver de ce côté leurs colonies déjà si remuantes ? Aussi, dès le temps de Sitalcès, les Spartiates avaient-ils tenté de brouiller l'empire thrace avec Athènes. Le temps semblait arrivé où le résultat final des luttes entre les Grecs allait dépendre des rois de Thrace.

Mais cet empire manquait de stabilité. Après Seuthès, il se morcela en principautés distinctes, et le danger se trouva ainsi éloigné d'Athènes. Le pays des Thraces n'était pas destiné par la nature à former un tout solide. Les chaînes de montagnes qui le traversent favorisaient la désagrégation des tribus, réunies les unes aux autres à grand'peine et par des liens qui n'avaient jamais été bien serrés.

Tout autres et bien plus favorables étaient les circonstances en Macédoine. Il y régnait aussi une grande diversité de conditions topographiques, qui était un grand obstacle à la constitution d'un ensemble. A l'est du Pinde, en effet, il n'existe ni vaste plateau ni versant incliné d'une manière uniforme : au contraire, de la chaîne centrale se détachent quantité de contreforts latéraux, qui divisent le pays en une série de bassins enclos d'une muraille circulaire et placés au-dessus et à côté les uns des autres. Ces compartiments ont eu une grande influence sur les destinés de la contrée.

Voyons d'abord la vallée supérieure de la Vistritza (vallée de l'Haliacmon), entre le Pinde et une chaîne parallèle qui s'approche tellement près des monts Cambuniens que l'Haliacmon ne peut sortir de sa vallée circulaire que par une gorge étroite. Cette vallée était l'antique Élimie, et plus haut dans l'angle de la montagne, là où du milieu d'un lac s'élève la péninsule rocheuse de Castoria, s'étend l'antique Orestide. Mais, si enfermée et écartée que paraisse la vallée de l'Haliacmon, elle n'en a pas moins d'importantes communications ; car, au nord-ouest de Castoria, le Pinde est coupé par une profonde incision, par laquelle un fleuve (le Devol), né sur le flanc oriental de la montagne, s'écoule vers la mer Adriatique. Il y a donc ici une porte naturelle qui conduit en Albanie ; c'est la seule lacune dans la traînée ininterrompue de la chaîne centrale. D'un autre côté, les monts Cambuniens offrent un facile passage de l'Haliacmon dans la plaine arrosée par le Pénée de Thessalie.

Vers l'est s'étend une autre vallée, allongée entre la vallée de l'Haliacmon et le Bermion, lequel sépare cette région des plaines du littoral : à savoir le bassin d'Ostrovo, pays des Éordiens, où les eaux des lacs et des ruisseaux se réunissent et arrivent à la mer sous le nom de fleuve Ludias.

Au nord de l'Éordée et de l'Orestide est un troisième bassin, le val des sources de l'Érigon, que coupe le 41e degré de latitude. C'est le bassin actuel de Bitolia, appuyé à la chaîne principale du Pinde septentrional, par-dessus laquelle se fait commodément le commerce avec les pays albanais. Ici se trouvait dans l'antiquité le séjour des Lyncestes, et plus au nord celui des Pélagoniens. Vient enfin la vallée du Vardar, une haute vallée arrosée par l'Axios, la plus septentrionale de tout le système, bornée par de hautes chaînes alpestres, nourrie par de nombreux ruisseaux, dont les plus éloignés sont très voisins de la Morava, laquelle se jette dans le Danube au-dessous de Belgrade.

Toutes ces contrées sont autant de bassins circulaires, dont la clôture de rochers n'est percée qu'en un point : c'étaient -autrefois, comme le prouvent des lacs intérieurs qui subsistent encore, des vallées lacustres, par conséquent, en somme, de pures reproductions de la plaine de Thessalie, laquelle commence, quand on vient du sud, la série des bassins alignés à l'est du Pinde. Mais, tandis que la Thessalie doit à son grand fleuve une sorte d'unité naturelle et s'ouvre en deux endroits vers la mer, la Macédoine est un haut plateau séparé de la mer, fermé et peu accessible du côté du littoral, divisé intérieurement en parties nombreuses ; et les barrières élevées entre les divers bassins sont parfois plus considérables que la frontière extérieure du pays entier. En effet, les contreforts parallèles du Pinde sont souvent plus élevés que la chaîne principale, et il est plus facile d'aller de Macédoine en Thessalie, en Illyrie, au Danube, que de se rendre d'une vallée à l'autre. Dans ces conditions, l'unité politique du pays était rendue extrêmement difficile, et il était à craindre, plus encore qu'en Thrace, que l'on n'arrivât jamais à y créer un empire durable.

Cependant, la nature, par un procédé des plus remarquables, a pris soin d'inviter on ne peut plus nettement les

habitants de ce plateau divisé en tant de compartiments à créer une sorte d'union entre eux et avec les habitants des côtes, et cela par la direction des cours d'eau. En effet, l'Haliacmon sort en serpentant des gorges montueuses de l'Orestide ; le Ludias s'échappe de l'Éordée ; l'Érigon pénètre dans la vallée de l'Axios ; et tous ces cours d'eau, quelque éloignées que soient leurs sources, à peine sortis de leurs bassins de montagnes, se dirigent vers la même côte, pour trouver dans la même baie quelque chose comme une embouchure commune. Ainsi, tandis que les fleuves de la Thrace coulent dans des vallées parallèles et séparées, les fleuves macédoniens se réunissent en un seul fleuve : de cette manière, ils unissent le haut pays aux plaines du littoral, et indiquent aux tribus des montagnards la direction qu'elles doivent donner à leurs vues et à leur énergie[9].

On ne peut imaginer entre les deux moitiés d'un pays de contraste naturel plus frappant que celui qui existe entre la plaine ouverte sur la mer et le haut pays, fermé comme une forteresse. Aussi la région du littoral a-t-elle eu une histoire à part. Les gens du pays haut s'appelaient seuls Macédoniens[10] ; plus bas, — sur les rivages du beau golfe qui s'enfonce profondément dans les terres entre le pied boisé de l'Olympe et les récifs des promontoires de la Chalcidique, jusqu'à l'angle au fond duquel jaillissent les sources chaudes qui ont donné à la ville de Therma (plus tard Thessalonique) son nom, — on rencontrait des races toutes différentes. Therma était l'antique capitale de l'Émathie, où les Bottiéens habitaient le delta des fleuves macédoniens. Les Bottiéens n'étaient pas des autochtones. Ils prétendaient venir de la Crète[11], d'où ils avaient rapporté le culte d'Apollon[12], et se sentaient liés par de vieilles attaches de parenté avec des contrées maritimes éloignées, en particulier avec l'Attique. Plus loin vers le sud demeuraient les Piériens, serviteurs des Muses et de Dionysos, une race qui, par sa civilisation précoce, a exercé une très grande influence sur l'art et la religion du peuple hellénique tout entier[13].

A ces tribus du littoral, qui s'étaient établies dans les temps préhistoriques sur le golfe macédonien, vinrent s'ajouter plus tard des colons venus des cités commerçantes de la Grèce, particulièrement des marchands de l'Eubée. Ils s'associèrent pacifiquement avec la population primitive ; entre les Piériens et les Bottiéens s'éleva la colonie d'Érétrie, Méthone[14], et toute la côte fut entraînée dans le mouvement commercial provoqué par les Eubéens sur le rivage septentrional de l'Archipel (vers 730 : Ol. XII, 3).

Pendant que l'Émathie, qui appartenait naturellement à l'Hellade autant par la proximité de la mer que par le climat et la végétation, se pénétrait entièrement de la civilisation hellénique, la Haute-Macédoine continuait à vivre dans son obscurité à la mode des autochtones : elle devenait même de plus en plus étrangère au peuple hellénique. A l'origine, ce n'était pas un pays étranger. Le peuple hellénique avait même conservé des souvenirs qui se rapportaient évidemment à une époque où des relations très étroites existaient entre lui et les Macédoniens. Hérodote témoigne que les Doriens eux-mêmes avaient été à un certain moment des Macédoniens[15] ; et en fait, il arrive de temps à autre que des tribus appartenant à un groupe national plus étendu en sortent pour y rentrer plus tard. Aussi comptait-on le père du peuple macédonien parmi les fils de Pélasgos ; on l'appelait fils de Lycaon[16], l'ancêtre des Arcadiens pélasgiques : et, si la langue des Macédoniens était inintelligible pour les Grecs, le même fait ne se présentait-il pas chez les peuples de l'Achéloos, que personne ne songe à distraire de la nation grecque ? Les Hellènes de l'époque classique étaient tellement sensibles à tout ce qui sentait l'étranger dans la langue et les mœurs, et tellement portés à se confiner dans un petit cercle bien séparé du dehors qu'il leur est arrivé de regarder comme étrangères et barbares des populations de même origine, quand ils se sentaient dépaysés en face d'elles. Cette incompatibilité d'humeur tient à la différence des civilisations, et ce n'est point un argument qu'on puisse invoquer comme décisif quand il s'agit de rapports ethnologiques remontant aux temps primitifs.

Quant aux rares documents qui nous restent de la langue macédonienne, on y reconnaît des racines grecques, des formes appartenant au dialecte éolien, quelques mots aussi qui appartiennent à l'antique fonds commun aux Grecs et aux Italiotes[17]. On trouve aussi dans les mœurs des Macédoniens bien des particularités qui rappellent les plus anciennes coutumes des Grecs : par exemple, l'habitude de s'asseoir aux repas. Enfin, dans la vie publique aussi, bien des usages de la Grèce antique se sont conservés, d'abord le principat, qui a disparu si tôt dans la plupart des cités helléniques. Comme dans les temps héroïques, le prince était chez les Macédoniens juge suprême, général en chef, grand-prêtre. Mais ce n'est pas un despote à l'orientale, devant lequel disparaissent tous les autres droits. Même en face du prince, le peuple garde la conscience de sa liberté et de son droit. Les prérogatives monarchiques sont réglées par la loi et la tradition[18]. De même que les Grecs, les Macédoniens ont une aversion décidée pour la puissance illimitée d'un seul. A côté du prince, on trouve chez eux des familles nobles, dont les membres forment une corporation : elles vivent dans la familiarité du souverain[19], l'accompagnent à la guerre, partagent avec lui les dangers et les honneurs de la victoire. Cette noblesse militaire, que les poèmes homériques nous montrent autour des rois, se maintint dans les montagnes de la Macédoine, parce que la vie des villes y était inconnue, cette vie qui efface l'inégalité des classes et crée une classe nouvelle, la bourgeoisie.

La nationalité macédonienne, parente de la race grecque, ne resta pourtant pas sans subir des mélanges qui troublèrent les ressemblances primitives et modifièrent le caractère du peuple. Le principal élément étranger que nous voyons apparaître est constitué par les Illyriens. La race illyrienne étendait ses rameaux du nord-ouest jusque bien avant dans la région centrale, et, par les passages du Pinde cités plus haut, descendait sur le versant oriental. C'était un peuple sauvage, pillard, qui immolait des enfants avant la bataille et pratiquait le tatouage[20]. A mesure que les Macédoniens voyaient se séparer d'eux les branches les plus nobles et les plus intelligentes de la famille, par exemple les Doriens, il leur devenait plus difficile dans leurs montagnes de se soustraire à l'immigration des Barbares de l'ouest. Macédoniens et Illyriens exercèrent les uns sur les autres une influence multiple : ils se ressemblèrent de plus en plus : par les vêtements, la coupe des cheveux, la langue, les mœurs ; de sorte que peu à peu, dans la large région qui s'étend depuis le détroit de Corcyre jusqu'à la Thrace, il se forma un peuple jusqu'à un certain point homogène, chez lequel les contrastes primitifs de la Macédoine et de l'Illyrie s'étaient effacés. C'est de cette façon que les Macédoniens devinrent des étrangers pour les Grecs ; plus la civilisation grecque se développait dans le Midi, plus on s'habituait à regarder les anciens frères comme une race essentiellement différente et à les mépriser. On les regardait comme des gens incapables de mener une vie policée, et conséquemment destinés par la nature, comme les autres Barbares, à fournir des esclaves aux Hellènes. A entendre les Athéniens, on ne pouvait même pas tirer de Macédoine des esclaves de bonne qualité[21].

La région des montagnes et celle du littoral, la Macédoine et l'Émathie, vivaient donc à côté l'une de l'autre comme deux pays absolument étrangers. Ce n'était pas l'étroite bordure riveraine de la mer qui pouvait songer à conquérir et à helléniser le haut pays. Une histoire commune aux deux n'était donc possible que si dans les tribus macédoniennes s'éveillait le sens et le goût d'une vie supérieure, qui rendît possible un développement politique. Or, cet éveil ne pouvait non plus venir du dedans : des influences extérieures étaient nécessaires pour que les éléments d'origine grecque contenus dans le peuple macédonien pussent de nouveau dominer : il fallait que des Hellènes vinssent dans le Nord pour y donner l'impulsion à la vie politique. Des excitations de cette nature ont pu se produire de différents côtés sans que le souvenir en soit resté. Les plus anciennes traditions pourtant appellent notre attention du côté de la mer Occidentale.

Les côtes de l'Illyrie étaient, dès les temps les plus reculés, visitées par des navigateurs étrangers. Un des fils de Cadmos s'appelait Illyrios[22] : la mer qui baigne les côtes d'Illyrie et d'Épire portait, dès les temps les plus reculés, le nom de mer Ionienne[23], et on connaissait sur ses côtes d'anciennes colonies ioniennes. Après les Ioniens, les Corinthiens prirent en main la colonisation de ces contrées et étendirent avec une infatigable activité le champ de leurs opérations commerciales, qu'ils portèrent jusque dans l'intérieur du pays. C'est ainsi que s'explique cette circonstance, que nous trouvons dans les montagnes de la région macédono-illyrique la même famille de l'aristocratie corinthienne qui a représenté la culture hellénique dans les contrées les plus diverses de la Grèce et de l'Italie. Les Bacchiades avaient les relations les plus étroites avec certains chefs macédoniens : c'étaient notamment les potentats de la famille des Lyncestes qui se vantaient de leur parenté avec les Héraclides de Corinthe[24]. Les Lyncestes étaient établis sur l'Érigon, bien avant dans l'intérieur du pays et également éloignés des deux mers. Pourtant, c'est justement là que s'ouvre vers l'ouest cette trouée dans la montagne dont nous avons parlé plus haut, et la vallée de l'Apsos, qui débouche entre les colonies corinthiennes d'Épidamne et d'Apollonie, conduit ici dans la région des sources de l'Erigon et au séjour des Lyncestes.

Il semble que des Héraclides d'Argos ont dit suivre aussi ces voies ouvertes par les Corinthiens, car Hérodote savait que les ancêtres des princes macédoniens avaient été établis d'abord en Illyrie et s'étaient transportés de là en Macédoine[25]. C'est l'arrivée de cette famille qui a donné au pays la première occasion de marcher vers l'unité politique, unité qui avec les éléments indigènes n'aurait jamais pu aboutir. La Macédoine est donc essentiellement un État dynastique, et son histoire est l'histoire de ses princes.

Ces princes se nommaient Téménides, c'est-à-dire qu'ils honoraient comme leur ancêtre ce même Téménos qui passait pour le fondateur de la dynastie des Héraclides dans l'Argos du Péloponnèse. Or nous avons entendu parler des troubles d'Argos pendant la période royale, des dissentiments survenus entre les Héraclides et l'armée dorienne, de la fuite d'un roi Phidon à Tégée. Il est donc très croyable que, pendant ces troubles, certains membres de la maison princière émigrèrent pour chercher à leur activité un théâtre plus favorable que les limites étroites et le milieu tumultueux de leur patrie : du reste, la tradition désigne le frère de ce Phidon comme l'Héraclide qui abandonna les rivages du Péloponnèse pour la Macédoine. Le nom de Caranos, que l'on donne à cet émigré, désigne la situation princière que les Téménides surent gagner dans leur nouvelle patrie. Nous voyons ici se répéter les faits de l'âge héroïque. De même qu'autrefois les familles des fondateurs de cités étaient venus d'Asie en Béotie et en Argolide, nous voyons maintenant des princes argiens Venir dans le Nord et, grâce à leur supériorité intellectuelle, grouper autour d'eux les populations montagnardes.

Que les Péloponnésiens aient suivi la voie ouverte par Corinthe, la principale ville commerçante de la Péninsule, le fait, est en soi très vraisemblable ; il le devient encore plus si l'on considère que le premier séjour des Téménides en Macédoine fut l'Orestide, le pays des sources de l'Haliacmon, pays voisin de l'Illyrie et situé immédiatement au sud du territoire des Lyncestes. Le chef-lieu de cette contrée était Argos, d'où le nom d'Argéades que portaient les Téménides de Macédoine[26].

Partout où dominent des Hellènes, ils font effort pour arriver à la mer. Les Argéades ne purent donc se résigner longtemps à rester enfermés dans ce coin montagneux de l'Orestide. Aussi, dès qu'ils eurent gagné de l'influence parmi les chefs des pays d'alentour, s'avancèrent-ils vers la côte, et par là mirent en relation les deux moitiés jusque-là séparées du pays. Le Ludias et l'Haliacmon, les deux artères naturelles, montrèrent le chemin aux Téménides, et le premier acte important de leur politique fut le choix d'une capitale qui appartînt aussi bien à la région intérieure qu'à la côte maritime. Ils se décidèrent pour Édesse ou Ægæ, localité très-ancienne, où une légende phrygienne plaçait les jardins de Midas[27], à l'extrémité septentrionale du Bermion, à l'endroit où le Ludias rompt la barrière des montagnes.

Il n'y a pas dans toute la Macédoine une situation plus privilégiée. Lorsque, venant de Thessalonique, on remonte la plaine qui va se resserrant peu à peu, la vue est arrêtée de loin par une brillante ligne argentée, qui descend perpendiculairement du bord de la paroi la plus avancée des rochers jusque dans la vallée. Ce sont les cascades de Vodena ; cette localité est à la place même de l'antique Ægæ, sur la pente boisée d'une montagne tournée directement vers l'est ; à l'arrière-plan s'élève la masse imposante des hauts monts. Ces cascades, qui sont aujourd'hui la marque distinctive du lieu et lui donnent une frappante ressemblance avec Tibur, n'existaient pas dans l'antiquité. Les eaux ont peu à peu bouché par des dépôts croissants de tuf les passages souterrains par lesquels elles s'écoulaient jadis sous les rochers. Mais Ægæ a toujours été une des localités les plus belles et les plus saines, comblée des dons de la plus luxuriante nature, la porte des pays hauts, la citadelle de la plaine, au-dessus de laquelle elle s'élève comme Mycènes et Ilion. Du haut de la citadelle, la vue s'étend au delà du golfe jusqu'aux montagnes de la Chalcidique : au pied se rencontrent et se joignent les principaux fleuves de la région.

Ægæ était la capitale naturelle du pays. C'est à sa fondation que commence l'histoire de la Macédoine : elle est le germe d'où est sorti le royaume : c'est pour cela que la légende attribuait sa fondation à Caranos, et qu'elle le faisait conduire par un signe divin à l'endroit où elle s'éleva, comme Cadmos à Thèbes[28].

Il est remarquable de voir comme se répètent ici tous les événements de la première période de l'histoire de la Grèce. Nous voyons de nouveau les tribus montagnardes du Nord s'avancer sous la conduite des Héraclides vers la mer, vers l'est cette fois, comme jadis vers le sud ; comme alors, elles envahissent des pays d'ancienne civilisation, occupent, comme les Héraclides du Péloponnèse, des villes plus anciennes, et, s'appuyant sur des points heureusement situés, font la conquête des contrées environnantes. A partir de ce moment, l'Émathie devint la véritable Macédoine, le pays des trois fleuves, le territoire béni, rempli de champs fertiles, de lacs, de vallons à l'herbe épaisse, avec une côte merveilleusement favorable au commerce maritime. Les Téménides de simples chefs deviennent des rois, des princes, créateurs d'États, qui, par voie de conquête et par traités, parviennent à faire peu à peu avec des cantons de montagnards et des terroirs de villes un empire.

Le premier de ces rois fut Perdiccas : partant d'Ægæ, il conquit, vers 700 avant notre ère, la plaine basse qui s'étend entre le Ludias et l'Haliacmon. Irrésistibles, ils poussèrent en avant, ces Macédoniens, dure race de pâtres et de chasseurs, bien supérieurs en force aux paisibles habitants de la plaine, et conduits par des fils de nobles familles qui avaient toujours les armes à la main.

Néanmoins, les progrès de la puissance macédonienne furent lents et souvent interrompus. Il fallut, après Perdiccas, un siècle entier avant que les Téménides réussissent à donner à leur empire une consistance assurée et à exécuter leurs plans du côté de la mer. Car ils eurent à se défendre sans cesse contre les attaques des montagnards, qui les empêchèrent de se vouer tout entiers à leur tâche favorite. Quatre rois, successeurs de Perdiccas, furent sans cesse occupés avec leurs ennemis héréditaires, les Illyriens, dont les incursions et les rapines mettaient l'empire en danger.

Ce fut seulement le cinquième, Amyntas, qui retrouva assez de loisir pour tourner son attention du côté de la mer. La Piérie et la Bottiée furent complètement soumises : une partie des habitants fut expulsée et rejetée dans la Chalcidique. Pour la remplacer, on attira dans le pays des colons étrangers dont on se promettait de tirer bon parti. A cet effet le roi, en politique habile, chercha à utiliser les guerres civiles de la Grèce : il offrit notamment aux Pisistratides fugitifs de se fixer à Anthémonte, sur le golfe Thermaïque[29]. Ces rapports avec la Grèce devinrent plus marqués sous son fils Alexandre, comme l'indique le surnom de Philhellène donné à celui-ci[30].

Durant la lutte que les Achéménides entreprirent dans le but de subjuguer l'Europe, il se plaça au point de vue des partisans de la liberté grecque : c'est sous lui que se manifesta pour la, première fois l'hostilité à l'égard des monarchies de l'Orient, sentiment qu'il faut classer parmi les instincts populaires communs aux Macédoniens et aux Grecs. Alexandre fit assassiner les Perses qui demandaient à son père un acte de soumission[31], et lorsque, malgré tout, il fallut accepter le vasselage, il ne cessa de travailler, dans sa situation de vassal des Perses, à favoriser la cause des Hellènes. On vit revivre en lui dans toute son énergie le caractère héréditaire des Téménides : son ambition suprême était d'être regardé comme un compatriote et un égal par le peuple grec : aussi, le jour où à Olympie il allait être exclu des concours comme étranger, il n'eut pas de repos qu'il n'eût établi, sa généalogie à la main, et qu'on ne lui eût reconnu le droit de prendre part, comme un frère d'armes authentique, aux jeux nationaux[32]. Il reconnut dans l'État athénien la réalisation de l'idéal conforme à la nature grecque, et il considéra comme le plus grand des honneurs d'être accepté à Athènes pour hôte de la république[33].

Mais, au même moment, les Perses aussi l'employèrent comme un instrument de leur politique[34] Aux yeux du roi Xerxès, la Macédoine devait être le noyau d'un empire vassal qu'il voulait fonder en Europe : c'est pour cela qu'il en recula les frontières de l'Olympe jusqu'à l'Hæmos. Alexandre s'appropria le bénéfice des circonstances, sans pour cela accepter le rôle que les Perses lui destinaient, à lui et à sa dynastie : il permit aux Perses d'agrandir son empire, bien décidé à en maintenir ensuite les limites avec ses propres forces : l'élévation de sa maison lui servit à jouer d'une manière plus décisive et plus énergique le rôle de suzerain en face des chefs du pays. Il soumit les tribus thraces qui possédaient les montagnes métallifères à l'ouest du Strymon. Il frappa ses monnaies royales d'après le système asiatique à étalon d'argent, qui d'Abdère avait pénétré dans ces montagnes, et il les marqua de l'écusson des Bisaltes, qui habitaient sur le golfe Strymon[35]. Les mines lui rapportaient un talent d'argent par jour[36]. Il favorisa la civilisation dans l'intérieur de son royaume en y attirant des immigrants grecs ; c'est ainsi qu'il accueillit les Mycéniens fugitifs[37], qui lui vinrent d'Argos, l'ancienne patrie des Téménides. II attachait une grande importance à avoir un bon renom parmi les Hellènes. Il exploita dans ce but ses triomphes aux fêtes nationales, ainsi que ses relations avec les hommes distingués, qui le célébraient à l'envi, comme le fit surtout Pindare[38].

Mais, tout en briguant avec tant d'ardeur la faveur des Hellènes, il ne put néanmoins s'affranchir de l'impérieuse influence des circonstances, qui lui imposaient des relations d'une autre nature avec les Hellènes. L'arrondissement du territoire macédonien, qui était pour lui une tâche indispensable, ne pouvait réussir sans conflit avec les Hellènes. Alexandre avait déjà transféré sa capitale à Pydna, au sud de l'Haliacmon, sur le territoire des Piériens[39]. Entre Pydna et l'embouchure du Ludias s'élevait Méthone, une ville grecque indépendante. Il y avait là une situation territoriale qui, à la longue, devait être intenable. Il en était de même sur la côte de la Thrace. Entre le golfe Thermaïque et le Strymon était massé un groupe de cités helléniques qui, après les guerres médiques, s'étaient toutes rattachées à Athènes et qui formaient ainsi, au bord de l'empire macédonien, une puissance compacte, dirigée par une autorité centrale et dominant la mer et la côte. Aussi longtemps qu'Athènes conserverait ses positions sur ces rivages, le souverain du pays était comme prisonnier sur ses propres côtes. Lorsque Cimon revint de la guerre de Thrace, on lui reprocha d'avoir, dans un intérêt privé, négligé de pénétrer sur les domaines du roi.

On voit par là avec quel soin jaloux Alexandre surveillait déjà les frontières de son empire et comme il cherchait, surtout dans le bassin du Strymon, à empêcher l'établissement de colonies athéniennes. Aussi avait-il donné son appui à la résistance des Thasiens contre Athènes[40] ; et c'est pour cela que  les Mycéniens, que Sparte était alors impuissante à soutenir, vinrent s'établir dans les déserts menacés par certaines convoitises. On le voit, c'est l'or de la Thrace qui détermina d'abord la politique étrangère de la Macédoine, et qui lui donna dès lors une direction hostile à Athènes.

Alexandre avait fait entrer la Macédoine dans le concert des États méditerranéens et indiqué à ses successeurs la tâche qu'ils avaient à accomplir. Cette tâche était double. Il fallait d'abord à l'intérieur donner à l'État l'unité, l'ordre, la solidité, et y introduire une culture supérieure qui en fît l'égal des États helléniques : il était nécessaire ensuite d'étendre sa puissance à l'extérieur, aux dépens de voisins gênants. Ces deux tâches offrirent aux successeurs d'Alexandre les plus grandes difficultés : il était donc très naturel qu'au lieu de marcher directement à leur but, surtout dans leur politique étrangère, ils cherchassent à tourner prudemment les obstacles. Il leur fallut pour cela modifier leur attitude selon les conjonctures, et arriver à leurs fins plutôt en exploitant habilement les circonstances extérieures qu'en usant de leurs forces et engageant une lutte ouverte.

Nous voyons l'épanouissement le plus complet de cette politique des Téménides chez Perdiccas, le successeur d'Alexandre. C'est pendant son long règne qu'Athènes et la Macédoine apprirent à se connaître comme adversaires irréconciliables. Les deux partis se rendirent compte alors des points litigieux, du mode d'attaque, des périls et du prix de la lutte. Toutes les complications, toutes les décisions postérieures ont leur point de départ dans cette époque.

Perdiccas n'était pas le successeur légitime. Il dut d'abord écarter l'héritier du trône, Alcétas[41], et partager ensuite le pouvoir avec un second frère, Philippe, qui possédait le pays à l'est de l'Axios[42]. Ce n'est qu'après des luttes de plusieurs années qu'il devint le seul souverain. Les Athéniens se mêlèrent de toutes ces affaires intérieures. Nous les avons vus, depuis les victoires de Cimon, avoir sans cesse l'œil fixé sur les côtes de la mer de Thrace : Périclès s'occupa tout particulièrement de consolider sur ce point la puissance athénienne. Lorsque la possession de la péninsule de Thrace fut assurée (452), ils fondèrent la ville de Bréa au nord de la Chalcidique, et ensuite Amphipolis, la ville superbe qui trônait à l'embouchure du Strymon et dont la construction fut considérée comme le vrai triomphe de la politique maritime d'Athènes. Elle devait être le centre du territoire colonial du Nord, l'avant-poste contre les peuples septentrionaux, un boulevard contre la Thrace aussi bien que contre la Macédoine. Périclès pressentait les dangers qui naîtraient pour Athènes le jour où viendrait à ces peuples l'idée de fonder de véritables États. Il était donc nécessaire d'observer attentivement tous leurs mouvements et de s'immiscer dans leurs démêlés intérieurs, de manière à ce que les princes barbares prissent l'habitude de se considérer comme dépendants d'Athènes, la ville dont la domination se faisait sentir sur toute la mer Égée.

Vers le temps de la fondation d'Amphipolis, Perdiccas était encore en lutte avec Philippe, et, comme le territoire de ce dernier était voisin des régions riveraines du Strymon, les intérêts des Athéniens se confondaient avec ceux de Perdiccas. Il est donc très vraisemblable que les Athéniens aidèrent à son triomphe[43], et qu'ils n'accordèrent ce concours qu'à des conditions d'où résultait pour le roi une sorte de dépendance vis-à-vis d'Athènes. En effet, le premier renseignement certain que nous possédions sur le règne de Perdiccas nous apprend qu'il appartenait à la confédération athénienne : nous avons même plusieurs témoignages qui établissent que la Macédoine payait alors un tribut[44].

Ces rapports se modifièrent dès que Perdiccas eut atteint le premier but que visait son ambition. Il épia dès lors l'occasion favorable pour se débarrasser des obligations qui lui pesaient. Il en trouva facilement les voies et moyens, car on ne pouvait nulle part mieux que dans ces parages observer les points vulnérables de l'empire maritime d'Athènes. De tous les princes étrangers, il arriva certainement le premier à la conviction qu'à la longue Athènes ne pourrait supporter les efforts gigantesques qu'il lui fallait faire pour conserver l'édifice tout artificiel de sa souveraineté.sur mer. La côte de Thrace fut le premier champ de bataille où se rencontrèrent la politique d'Athènes et celle du Péloponnèse, et dans nulle autre région coloniale on n'eût trouvé un aussi violent mécontentement contre Athènes, autant d'énergie populaire et un aussi vif sentiment de l'indépendance, que dans les villes de la Chalcidique.

Cet état de choses traçait au roi sa voie. Il noua des alliances secrètes avec les villes mécontentes, et, sans rompre ouvertement avec Athènes, il se vit en état de lui préparer les plus grands dangers : il n'eut pour cela qu'à exciter l'esprit d'insubordination des alliés, à les enhardir par des promesses, à leur donner le bon conseil de s'unir pour augmenter à coup sûr leur force de résistance. Perdiccas serait resté volontiers encore au dernier plan, mais il fut forcé de jeter le masque. Les Athéniens reconnurent en lui l'ennemi, et la lutte cachée se transforma en guerre ouverte. Les Potidéates, les Bottiéens et les Chalcidiens firent défection : Perdiccas reçut une partie de la population sur son territoire, et décida le reste à choisir Olynthe pour capitale et centre de résistance[45]. Il se mit ouvertement du côté des rebelles, et les Athéniens lui firent la guerre en même temps qu'aux dissidents (432 ; Ol. LXXXVI, 5) : ils accordèrent dès lors leur appui aux adversaires que le roi avait dans ses propres États. Attaqué au sein de son royaume et sur les côtes, menacé à l'est par l'empire thrace qui devenait de jour en jour plus puissant, Perdiccas tomba dans la plus grande détresse. Therma fut conquise, Pydna assiégée, et il se vit hors d'état de triompher par la force de ces difficultés.

Mais ce prince, qui n'était jamais à court d'idées, s'adressa à son voisin Sitalcès, et obtint par de grandes promesses l'entremise de ce roi influent ; puis, changeant en apparence toute sa politique, il abandonna sans vergogne les Chalcidiens, qu'il avait lui-même décidés aux actes les plus compromettants, et entra avec Sitalcès dans l'alliance d'Athènes, qui lui restitua son port de Therma[46]. Les Athéniens purent alors rétablir leur puissance ébranlée ; ils forcèrent la fière Potidée et, cherchèrent à s'attacher par une politique habile les villes qui leur étaient restées fidèles sur la côte de la Macédoine. Ainsi, par exemple, les Méthonéens reçurent en 429 (Ol. LXXXVII, 4) des avantages tout à fait extraordinaires : on les affranchit de tout tribut, sauf la dîme pour les temples, et on leur assura parmi les alliés une position tout à fait privilégiée[47].

Dans ce mélange de sévérité et de douceur, nous ne pouvons pas ne pas reconnaître l'esprit habile de la politique de Périclès. Mais la situation changea bientôt. Perdiccas, qui n'aimait rien tant que de faire la guerre sous les apparences de la paix, secourut les Corinthiens en Acarnanie[48] ; il se débarrassa en même temps des obligations qu'il avait contractées envers Sitalcès. Cette conduite irrita les deux plus puissants de ses voisins, et ils se concertèrent pour infliger a ce roi déloyal un châtiment qui devait mettre fin, une fois pour toutes, à cette lutte de ruses et de perfidies[49]. Les Athéniens manquèrent au rendez-vous[50] ; ce fut leur première faute grave dans leur politique. Ils s'aliénèrent ainsi le plus puissant de leurs alliés et sauvèrent le plus dangereux de leurs ennemis d'une perte inévitable. Bien plus, Perdiccas sortit de cette crise infiniment plus fort qu'auparavant ; car il était débarrassé d'Amyntas, le fils de Philippe, que l'on avait voulu élever au trône à sa place, et il noua les meilleures relations avec les Odryses, ses voisins et maintenant ses amis.

Quant à Athènes, il resta provisoirement en paix avec elle : mais le feu qu'il avait allumé dans la Chalcidique continua de couver. Il sut de nouveau gagner la confiance des villes, noua en Thessalie des relations qui lui donnèrent de l'influence dans ce pays si important, puisqu'il était la porte de la Grèce, et ne cessa d'épier toutes les occasions de nuire à Athènes.

La guerre, telle qu'elle était conduite dans l'Hellade, ne répondit pas à ses espérances. Les Spartiates furent maladroits ou malheureux ; si les événements continuaient à se dérouler de cette manière, on pouvait prévoir qu'Athènes aurait bientôt les mains libres et pourrait venir sérieusement jouer son rôle sur la côte thraco-macédonique. C'est ce qu'il fallait empêcher. Aussi, d'accord avec les Chalcidiens, il envoya à Sparte une ambassade secrète, décida la mission de Brasidas, lui fraya un chemin à travers la Thessalie, et alluma de cette façon pour la seconde fois une guerre de Thrace, la plus dangereuse de toutes les luttes que les Athéniens eurent à soutenir pondant la guerre du Péloponnèse, une lutte des conséquences de laquelle ils ne purent jamais se remettre entièrement. Mais Perdiccas voulut en même temps exploiter le général de Sparte, comme il eût fuit d'un condottiere fi sa solde, dans l'intérêt de sa politique dynastique, pour briser l'orgueil des chefs de la Haute-Macédoine, en particulier des Lyncestes. La fierté de Brasidas fit échouer ce dessein. Ces deux hommes devinrent ennemis acharnés, comme cela devait arriver, étant donné la droiture de l'un et l'égoïsme perfide de l'autre. Cette inimitié rejeta même de nouveau le roi du côté des Athéniens ; mais néanmoins Brasidas avait réellement travaillé pour Perdiccas, en détruisant la puissance athénienne en Thrace, et le roi se garda bien de rendre aux Athéniens, même comme allié, un service qui aurait pu modifier d'une manière favorable pour eux l'état de choses existant dans le Nord. Il était tout à fait conforme à ses intérêts que la paix de 421 ait eu un résultat si incomplet, et n'eût pas rétabli la domination d'Athènes sur les côtes de la Thrace. Il suivit la marche ultérieure des affaires grecques, se joignit avec les Chalcidiens en 418 à la ligue argivo-laconienne, sans pour cela rompre ouvertement avec les Athéniens[51] ; aussi le châtièrent-ils en bloquant ses ports et, ses escales[52]. Mais toutes ces entreprises n'eurent pas d'autres suites, et Perdiccas, qui avait été l'allié de toutes les puissances ayant une action politique, de Sparte, de Corinthe et d'Athènes, des Odryses et des Chalcidiens, et qui les avait toutes trompées tour à tour, se trouva en fin de compte le seul qui eût retiré de toutes ces luttes un bénéfice durable, quoiqu'il n'eût eu à faire pour ainsi dire aucun sacrifice. Il eut tous les avantages d'une politique absolument sans scrupules : il ne faisait pas de différence entre amis et ennemis, entre la guerre et la paix : il triompha en excitant la guerre entre ses voisins, et, quoique à la fin de son règne il se trouvât n'avoir pas fait d'acquisitions territoriales considérables, il avait réussi à paralyser la puissance d'Athènes sur son littoral, ce qui était un succès plus important que toute une série de conquêtes.

Malgré toutes les difficultés intérieures, la Macédoine s'était affirmée comme une puissance indépendante, difficile à attaquer et exerçant sur les rapports internationaux en Grèce une influence profonde. Sa puissance ne pouvait que grandira mesure que les républiques grecques usaient leurs forces les unes contre les autres. Aussi la guerre de Sicile ne profita-t-elle qu'à la Macédoine, car elle la délivra de tout souci du côté des Athéniens, et la preuve la plus éclatante que nous rencontrions du désarroi de la politique athénienne, c'est que les Athéniens, tandis qu'ils disposaient encore de forces intactes, n'aient pas fait tous leurs efforts pour rétablir ;leur puissance sur les côtes de la Thrace. Cette faute ne put jamais être réparée par la suite.

A l'intérieur de son empire, Perdiccas fut un prince habile et actif. Il favorisa toutes les relations qui rapprochaient son pays des Grecs ; il conclut des traités d'hospitalité réciproque avec les familles nobles de la Thessalie[53] ; il recueillit sur son territoire les Histiæens chassés d'Eubée[54] ; il en fit autant à l'égard d'une partie des Grecs de la Chalcidique, et il tenait à posséder à sa cour des Grecs célèbres, comme le poète dithyrambique Mélanippide[55] et le grand Hippocrate[56].

Il fut surpassé dans ce genre d'efforts par son successeur Archélaos, qui put s'abandonner d'autant plus complètement à une politique pacifique qu'il n'eut pas à se défendre contre des attaques du dehors et que l'occasion de faire des conquêtes ne se présentait pas encore. C'est parle sang et le crime qu'il dut se frayer le chemin du trône ; car, fils d'une esclave et de Perdiccas, il dut se débarrasser d'abord de ses compétiteurs[57]. Arrivé à son but, il se montra né pour être souverain et poursuivit des desseins élevés avec fermeté et réflexion. Il reconnut en effet que son empire ne pouvait utilement prétendre à des succès extérieurs, si à l'intérieur il manquait de cohésion, d'ordre et de sécurité. Du côté de la montagne comme du côté de la nier, il était encore exposé à des agressions hostiles, et un ennemi résolu pouvait mettre en question non seulement la fortune des individus, mais encore l'existence même de l'État. Il s'agissait donc de bâtir des villes qui offrissent un asile fortifié aux habitants. Ces villes furent reliées par des routes sur lesquelles put s'établir un commerce régulier : des postes permanents de troupes surveillaient les routes et contenaient le brigandage. Les habitants connurent le bonheur de la paix intérieure ; la valeur des propriétés s'accrut, et, une culture supérieure, qui n'avait encore réussi à s'implanter que sur un petit nombre de points, commença à se répandre dans l'intérieur de l'empire, dont les différentes parties se fondirent peu à peu en un ensemble. Comme fondateur de villes, constructeur de routes, organisateur de l'armée, Archélaos, au jugement de Thucydide, a plus fait que les huit rois ses prédécesseurs[58]. Son règne ouvrit une ère nouvelle, et, voulant en laisser une preuve matérielle, il fonda au-dessous d'Ægæ, dans la plaine basse d'Émathie, sa nouvelle capitale, Pella, protégée par un lac et une ceinture de marais, reliée à la mer par le Ludias[59]. Pour être le centre de l'empire et le dépôt des trésors royaux, elle était bien mieux située que Pydna en Piérie, la ville d'Alexandre. Mais Archélaos ne négligea pas pour cela la Piérie. Au contraire, il utilisa cette région surtout pour en faire un lien entre la Grèce et la Macédoine.

Au pied du versant septentrional de l'Olympe, il construisit Dion, au milieu de la plaine : car elle ne devait pas être une forteresse, mais, comme Olympie en Élide, une ville de fêtes ouverte et rustique, consacrée à Zeus[60], le plus ancien dieu national des Hellènes, et aux Muses, qui avaient tout d'abord été célébrées sur ce sol. Ce culte des Muses, il le pratiqua aussi en regardant comme un devoir essentiel de son gouvernement de faire de sa cour le rendez-vous des illustrations contemporaines. C'est pour cela qu'il adressa des invitations aux hommes les plus distingués de la Grèce. Il ne sut pas les gagner tous : il n'eut ni Sophocle, qui, en véritable Hellène, fuyait la cour des rois[61], ni Socrate, qui se trouvait mal à l'aise dans une situation où il ne pouvait traiter d'égal à égal[62]. A part ces exceptions, ceux qu'il avait invités accoururent volontiers et se réunirent autour d'un roi à la cour duquel ils trouvaient la considération et le loisir, en un temps où leurs cités natales s'usaient dans des guerres sanglantes et des discussions de partis. Zeuxis d'Héraclée orna le palais du roi de ses peintures[63] ; Timothéos apporta à ses fêtes le charme de sa lyre. Chœrilos, Agathon demeurèrent à la cour et y composèrent leurs poésies. Euripide[64], pour citer le plus grand de ces hôtes, célébra le roi dans son Archélaos : il le montra semblable aux anciens héros et civilisant son empire. Dans ses Bacchantes, il chanta la Piérie, le séjour des Muses, où se célébraient librement leurs fêtes augustes, et le Ludias fécondant les campagnes[65]. Mais la fin d'Euripide[66] nous montre aussi qu'un parti hostile faisait opposition aux hôtes étrangers. Nous reconnaissons là, comme à tant d'autres traits, ce singulier mélange de rudesses violentes et de tendances idéales qui se rencontrait à la cour de Pella.

Les efforts d'Archélaos n'en sont que plus dignes d'estime. Ce n'est pas par caprice ou vanité princière qu'il devint le protecteur libéral des arts et des sciences : mais il sut reconnaître qu'il ne pouvait favoriser plus efficacement les intérêts vitaux de son royaume, qu'en Misant de sa capitale un centre de civilisation hellénique. L'État qui avait la prétention de régner un jour sur les mers grecques devait avant tout s'approprier la culture grecque.

Archélaos traça à la politique macédonienne sa véritable voie. Tout lui réussit. Malgré ses parjures, il passait pour l'homme le plus heureux du monde, et le jeune État prospérait plein de confiance en l'avenir sous la direction de ses princes qui, fidèles à leur devoir de souverains, conduisaient l'empire à un but nettement entrevu. Mais aussitôt après la mort violente d'Archélaos[67], il se fit une vive réaction ; la noblesse indigène se révolta contre le philhellénisme des rois : ce fut une période d'anarchie, qui rejeta dans le tourbillon des luttes de partis l'État alors en voie d'organisation et remit en question l'autorité des Téménides.

Parmi les adversaires qui s'élevèrent contre eux, nous voyons les Lyncestes, famille ambitieuse et inquiète, qui avait excité avec ardeur la fermentation dans lé peuple, et qui, quoique d'origine grecque, profita de tous les mouvements du parti autochtone pour se débarrasser de la suzeraineté imposée des Téménides. Ils nouèrent des relations avec les autres familles mécontentes du pays, particulièrement avec les Élymiotes, attirèrent dans leur parti la noblesse rurale, qui était rebelle à la culture grecque, et appelèrent dans le pays les Illyriens pour tenir en échec l'armée royale.

Pendant dix ans[68] la couronne fut comme une balle que se lançaient les deux partis. Aucun des deux ne put avoir raison de l'adversaire. On chercha à établir une entente, en tempérant l'hostilité par des alliances de familles, comme on avait fait en Attique du temps des Pisistratides, où l'on avait réussi à réconcilier provisoirement les partis par des mariages. Amyntas, un arrière-petit-fils du roi Alexandre, prit une femme de la famille des Lyncestes, Eurydice, qui était en même temps la fille d'un Élymiote. Ce prince se montra, comme souverain, le digne héritier de la politique de sa race : parmi les Grecs de distinction qui vécurent près de lui, nous trouvons le médecin Nicomaque, le père d'Aristote[69]. Mais il avait aussi des ennemis dangereux dans son voisinage ; aussi chercha-t-il à se prémunir contre de nouveaux périls par une alliance avec les villes de la Chalcidique. Les antipathies se ravivèrent bientôt, et, dans la septième année, les Lyncestes mirent en avant un nouveau compétiteur : les Illyriens étaient redevenus puissants dans le pays, et même les Thessaliens, qui sans doute s'étaient trouvés frustrés dans les prétentions qu'ils croyaient pouvoir afficher, prirent parti contre Amyntas.

Amyntas dès lors se jeta de plus en plus dans les bras des Grecs ; les villes maritimes furent son dernier refuge. Il leur fit, dans sa détresse, toutes les concessions commerciales possibles ; il leur abandonna presque toute la Basse-Macédoine, tandis que la partie supérieure était aux mains du parti illyrien. Pendant deux ans, il fut un roi sans terres : mais à la fin pourtant il réussit, avec l'aide des Grecs, à reconquérir son trône (382)[70].

Enfin la fortune sourit de nouveau au prince si profondément éprouvé. Non seulement il sut se maintenir contre les partis indigènes, mais il eut la satisfaction de voir s'effondrer sans qu'il s'en mêlât la puissance supérieure des États grecs qui étaient dangereux pour lui. Les Olynthiens, qui avaient jusqu'à Pela elle-même entre leurs mains, furent attaqués par les Lacédémoniens, qui rendirent au prince le service inappréciable d'abaisser l'orgueil de la superbe cité sa voisine[71]. Mais Sparte elle-même ne put pas profiter de ses succès, parce que, vaincue par Thèbes, elle dut abandonner toutes ses possessions du dehors.

Ensuite il se forma au sud de l'empire une puissance toute nouvelle, la Thessalie, et les Macédoniens inclinèrent dès lors vers Athènes[72], car ils avaient pour habitude de s'allier toujours à l'État dont le centre de gravité était le plus éloigné d'eux. Mais, même en Thessalie, la situation prit d'une manière inattendue une tournure favorable : car le danger qui menaçait de ce côté se dissipa avec la mort de Jason, et les complications qui suivirent immédiatement cet événement décisif amenèrent même les Macédoniens, dont toute la politique jusqu'à ce jour avait consisté à exploiter habilement les circonstances qui se produisaient au dehors, à s'immiscer à leur tour dans l'histoire des pays voisins. Alexandre, successeur d'Amyntas, passe les montagnes ; il occupe Larisa et Crannon : c'était le premier acte spontané de la politique macédonienne, le premier pas vers l'hégémonie du Nord. Mais on procéda avec trop de violence ; on occupa les villes, contre le droit et la parole donnée ; on opprima les Aleuades, au secours desquels on était venu[73] ; il en résulta que les Thébains vinrent en Thessalie, et que les Macédoniens durent devant eux évacuer le pays[74]. Bien plus, au lieu de mettre un pays voisin dans leur dépendance, comme c'était leur intention, ils se virent, à la suite de l'échec de leur intervention, devenir eux-mêmes dépendants d'un État étranger, qui étendait avec une puissante énergie son influence vers le Nord aussi bien que vers le Sud. Des troupes thébaines entrèrent en Macédoine, où de nouvelles dissensions avaient éclaté, et le général de Thèbes devint arbitre entre le roi et son compétiteur[75].

Le compétiteur était Ptolémée, qui avait épousé une fille d'Amyntas, mais qui entretenait un commerce de galanterie avec Eurydice, la veuve d'Amyntas. Celle-ci le soutenait contre ses propres fils. Pélopidas crut servir au mieux l'intérêt de Thèbes en cherchant à satisfaire les deux prétendants au trône. Alexandre resta roi, après avoir donné aux Thébains des assurances de son alliance et fourni des otages : son adversaire obtint une principauté dans la Bottiée. Mais cette transaction ne fit qu'irriter l'ambition du prétendant. Bientôt on se débarrassa d'Alexandre[76], et Ptolémée, d'accord avec Eurydice, régna, soi-disant au nom des jeunes frères d'Alexandre, sur toute la Macédoine.

Cependant cette domination fut considérée dans le pays comme une usurpation criminelle, qui rencontra une violente résistance. Les amis du roi assassiné se rendirent en Thessalie, où Pélopidas se trouvait encore avec une armée de mercenaires : en même temps, Pausanias, partisan exilé de la maison royale, pénétra dans le pays par la côte de Thrace, s'empara d'un certain nombre de villes et trouva de nombreux adhérents. La fière Eurydice et son amant se virent dans la plus grande détresse. N'ayant pas d'appui sûr dans son propre royaume, elle jeta les yeux sur les navires athéniens qui, sous le commandement d'Iphicrate, croisaient alors dans les eaux d'Amphipolis pour observer le cours des événements. Elle s'adressa au général, en lui demandant humblement des secours contre Pausanias : cette femme superbe et violente se présenta à lui comme représentant la succession légitime, en qualité de mère de l'héritier de la couronne. L'influence des Athéniens et celle des Thébains se heurtèrent alors en Macédoine. Iphicrate fit obstacle aux progrès de Pausanias ; mais les moyens lui manquaient pour prendre des mesures énergiques[77]. L'influence de Thèbes l'emporta. Mais Pélopidas lui même, n'ayant avec lui que des troupes peu sûres, ne put pas non plus agir de façon à trancher le débat. Il fut impuissant à donner à cette lutte l'issue que désiraient ceux qui l'avaient appelé : il dut se contenter d'imposer de nouveau la reconnaissance de l'influence thébaine et d'éliminer celle des Athéniens[78]. Ptolémée, avec l'aide de Thèbes, se consolida sur le trône, mais à condition qu'il ne gouvernerait que comme tuteur des enfants d'Amyntas[79] ; il dut fournir des otages, qui furent emmenés à Thèbes. Il y avait parmi eux son fils Philoxénos, et sans doute aussi Philippe, le plus jeune fils d'Amyntas[80]. Si ce dernier fut à cette occasion emmené à Thèbes, ce fut dans le but de soustraire un des héritiers légitimes du trône aux dangers qui le menaçaient dans sa patrie, et en même temps de garder en main un instrument dont on pût se servir contre le régent.

Mais cet ordre de choses, résultat d'un accord amené par la lassitude et qui n'était sincère ni d'un côté ni de l'autre, n'eut pas non plus de durée. Perdiccas, l'aîné des deux fils survivants d'Amyntas, n'attendait que l'heure de la vengeance. Dès qu'il fut en âge de se rendre compte de ses forces et de ses devoirs, il s'éleva contre Ptolémée comme le vengeur de son frère assassiné, et, sans se préoccuper des dispositions prises par les Thébains, il le renversa de ce trône sur lequel l'adultère et l'assassinat l'avaient fait monter trois ans auparavant[81]. Bientôt il dut se faire respecter comme roi indépendant en faisant courageusement face à tous ses ennemis : il battit d'abord les Illyriens, puis il affermit contre les Thébains et les Chalcidiens l'indépendance de son empire. La fortune le favorisa, car Thèbes, en perdant Pélopidas, devint bientôt inoffensive. Il se servit d'Athènes contre les Chalcidiens et appuya les entreprises de Timothée[82]. Ce dernier eut juste assez de succès pour servir les vues de Perdiccas. La puissance d'Olynthe fut brisée, mais le but des Athéniens ne fut pas atteint : ils ne purent venir à bout d'Amphipolis, dont le roi savait apprécier la haute importance. Pour fortifier sa dynastie, il rappela au pays son frère Philippe et lui donna une principauté. Tout était en bonne voie, lorsque, dans la sixième année de son règne, éclata une nouvelle insurrection contre la dynastie des Téménides : les Illyriens inondèrent de nouveau le pays ; il y eut une bataille sanglante où périt le jeune roi avec un grand nombre de Macédoniens fidèles, et le royaume fut replongé dans une anarchie terrible et sans espérance[83].

L'héritier du trône était un enfant. Quantité de prétendants, vieux et jeunes, surgirent de tous côtés et essayèrent de faire valoir leurs prétentions. Ce fut d'abord un beau-frère de Perdiccas, nommé Archélaos ; ensuite Pausanias, le chef des Lyncestes, accompagné de troupes auxiliaires de la Thrace, que Cotys mettait à sa disposition ; puis Argæos, l'ancien anti-roi, appuyé par les Athéniens ; car ces derniers voulaient avoir en Macédoine un roi qui leur dût sa couronne. Enfin les Péoniens aussi se révoltèrent, dans le but d'exploiter à leur profit la détresse des Téménides et de secouer la domination étrangère. Des chefs Péoniens avaient la prétention de prendre la place des Téménides.

Le plus modeste de tous ceux qui aspiraient au trône de Macédoine, le seul qui n'eût pas de troupes étrangères à sa disposition, était cependant le mieux armé pour la lutte ; c'était le troisième fils d'Amyntas, Philippe, dont l'heure était maintenant arrivée. Il avait, comme ses frères Alexandre et Perdiccas, l'esprit et le cœur d'un roi : leur malheur ne l'effrayait pas et ne l'empêcha pas de poursuivre résolument le même but. Il s'était en silence admirablement préparé aux événements. Trois années de sa jeunesse (368-365), vécues à Thèbes[84], étaient une école par où n'avait passé aucun prince du Nord avant lui. Thèbes était alors le centre de l'histoire du temps, la ville des arts, de la guerre et de la paix, une cité qui, remplie d'une noble confiance en elle-même, avait avec de petits moyens fait de grandes choses.

A Thèbes, Philippe était devenu un Grec. D'un caractère très avisé, il avait su mettre de côté toute morgue aristocratique, pour s'assimiler tout ce que l'on pouvait apprendre des Grecs. Il avait vécu dans la maison de Pamménès, l'un des premiers hommes de guerre de Thèbes. Dans le commerce familier avec son hôte, il était devenu un admirateur d'Épaminondas[85], et avait été initié à tous les secrets de sa stratégie et de sa politique. Il n'était pas non plus resté étranger à la haute culture intellectuelle qui avait pénétré à Thèbes : on dit même, — d'après un renseignement peu sûr, il est vrai, — qu'il avait connu Platon, dont le disciple Euphræos l'aurait recommandé à Perdiccas[86]. Mais ce fut une bonne fortune pour le futur souverain que d'avoir l'occasion d'apprendre à gouverner par lui-même d'abord sur un théâtre restreint, et de s'habituer de nouveau à vivre avec des Macédoniens. C'est là qu'il appliqua ce qu'il avait appris à Thèbes, l'art de faire de grandes choses dans un cercle restreint, et de former en silence le noyau d'une bonne armée qui, au moment voulu, pût donner la victoire. C'est avec une armée bien dressée, fidèlement dévouée, qu'il sortit tout à coup de son obscurité. Le grand nombre des ennemis fut un avantage pour lui plutôt qu'un désavantage ; car, plus le désordre était grand, plus il y avait d'influences étrangères se combattant entre elles, plus aussi les patriotes se ralliaient autour du fils unique d'Amyntas : il avait dans son camp la Macédoine.

Dès lors, Philippe déploya des talents que personne n'avait devinés dans l'adolescent. Il avait alors vingt-trois ans : sa prestance était pleine de noblesse et de dignité royale : il avait toute l'expérience de la vie, toute la souplesse intellectuelle, toute la science du monde que l'on ne pouvait apprendre que dans les cités grecques : il parlait et écrivait le grec couramment et avec goût. Il se gardait pourtant de scandaliser les siens par son éducation exotique ; il ne voulait pas être un étranger parmi les Macédoniens. Il chassait et banquetait avec eux comme un vrai fils du pays : il était le meilleur nageur, le meilleur cavalier, le meilleur camarade des jeunes nobles dans tous les exercices à la mode nationale, dans toutes les jouissances de la vie : il savait dominer cette noblesse sans lui faire sentir la véritable cause de sa supériorité. Il réunit autour de lui les chefs des différents cantons, sachant prendre chacun suivant son caractère, exploitant ses qualités et ses défauts. Quant au peuple, il sut, par des oracles habilement répandus, lui inspirer confiance en sa personne. Les citoyens de la ville royale d'Ægæ, qu'Argæos cherchait à gagner pour lui, se déclarèrent décidément pour Philippe[87]. Bientôt ce ne furent plus seulement des espérances incertaines, des signes favorables, mais les plus brillants succès qui le désignèrent aux yeux de tous comme celui que la destinée avait marqué pour relever l'empire en décadence.

Il avait en bien des points les allures d'un roi barbare, comme le comportait la coutume des peuples du Nord : il lui arrivait d'être farouche et emporté, et de se livrer aux plaisirs des sens jusqu'à l'ivresse. Mais il ne perdait jamais de vue les buts plus élevés de la vie. Il était irrité ou bienveillant, brave ou rusé, opiniâtre ou conciliant, selon que le demandaient les circonstances : il y avait en lui le mélange de dignité royale, d'énergie naturelle et de culture grecque, qui était nécessaire pour rendre enfin la Macédoine solide à l'intérieur et puissante au dehors.

Il se débarrassa de ses ennemis en procédant sûrement et prudemment. Archélaos paya de la vie ses prétentions au trône ; Argæos fut surpris au moment où il se retirait d'Ægæ et anéanti, mais les Athéniens qui étaient dans son armée furent renvoyés sans rançon. On décida par des présents les Péoniens à battre en retraite[88] : le roi de Thrace lui-même se laissa amener à une entente pacifique et abandonna la cause de Pausanias.

C'est ainsi que Philippe devint le roi du pays, et personne, dans ces temps où il fallait un homme énergique sur le trône, ne songea à faire valoir les droits de son neveu mineur, d'autant plus qu'en Macédoine le droit de succession n'était pas parfaitement fixé.

La première tâche qui lui incombait fut de donner au royaume une situation sûre et indépendante en face des États voisins. Cette tâche était double, selon qu'il s'agissait des voisins de la côte ou de ceux de l'intérieur. Ce sont ces derniers qui avaient été le plus grand obstacle aux progrès réguliers du royaume : car, depuis trois générations, les influences opposées alternaient comme le flux et le reflux de la mer. Tantôt c'étaient les Illyriens qui inondaient le pays, tantôt c'étaient les Téménides qui relevaient la tête ; la Macédoine oscillait sans cesse entre l'hellénisme et la barbarie, et l'on ne savait réellement qui était le maître du pays. Voulait-on obtenir une marche constante vers le progrès, il fallait venir à bout de cet antagonisme, détacher la Macédoine de ses voisins barbares, l'assurer contre les interventions violentes, enfin, lui donner la libre disposition d'elle-même, lui garantir sa propre existence et celle de sa dynastie.

Philippe avait appris de bonne heure l'art d'isoler ses ennemis : les dangers dont il n'aurait pu se tirer s'ils l'avaient surpris d'un seul coup, il savait les affronter l'un après l'autre au moment opportun. C'est de cette façon que, après avoir conquis la liberté de ses mouvements à l'intérieur, il marcha contre les Péoniens, avec lesquels il avait commencé par s'entendre. Il s'agissait maintenant de leur faire sentir une fois pour toutes la supériorité de la Macédoine et de les faire renoncer à toute influence dans l'empire. Il choisit pour cela le moment où la mort du belliqueux Agis, leur roi, avait jeté le peuple dans la confusion et l'avait rendu incapable d'une résistance sérieuse. Après avoir complètement humilié les Péoniens, il attaqua les Illyriens qui, sous le commandement de leur roi Bardylis, un ancien charbonnier, formaient une armée puissante et avaient occupé un certain nombre de villes macédoniennes. Ils ne semblaient pas disposés à renoncer à la forte situation que leur avaient donnée les guerres de succession et les luttes des partis dans l'empire macédonien. On en vint à une bataille sanglante mais décisive[89], après laquelle les Illyriens durent retirer toutes leurs garnisons et reconnaître comme frontière de leur territoire la ligne des crêtes qui forment la limite naturelle entre le versant oriental et le versant occidental, particulièrement les montagnes qui avoisinent le lac Lychnitis[90].

Ces succès, Philippe les devait à la tactique qu'il avait apprise en Grèce : il avait su apprécier là l'importance politique des réformes intelligentes apportées à l'organisation militaire. Avant tout, il s'était approprié l'idée capitale de la tactique thébaine, la concentration de l'attaque sur un seul point de la ligne ennemie : c'est de cette façon qu'il assura le succès longtemps indécis de la bataille contre Bardylis, en lançant à l'improviste l'aile droite comme colonne d'attaque.

Philippe avait organisé l'armée et tout ce qui se rapporte à elle d'une manière si puissante qu'elle était devenue l'appui le plus solide de la dynastie, et par elle de l'empire tout entier. Il perfectionna ce que ses prédécesseurs, en particulier Archélaos, avaient commencé. Le droit qu'avait tout homme libre de porter les armes devint le service obligatoire dans les armées royales : le roi fournissait les armes et payait la solde. L'armement était, en somme, celui des hoplites grecs, avec quelques différences cependant, différences qui tenaient à d'anciennes coutumes nationales. Ainsi, le soldat macédonien portait un grand bouclier rond garni d'airain, et maniait la sarisse, une lance dont la longueur était, dit-on, de plus de vingt pieds. Bouclier contre bouclier, les guerriers macédoniens formaient la phalange, étroitement serrée, présentant son front immobile et sa forêt de lances comme une masse invulnérable. A côté d'elle, l'infanterie possédait le corps spécial des Hypaspistes, qui avaient sans doute un armement plus léger et une organisation moins compacte. Ils formaient, dans le sens le plus étroit du mot, une troupe royale, dont une partie était toujours sous les armes et à la disposition du roi pour les cas imprévus. Les montagnards furent utilisés d'une manière conforme à leurs aptitudes : ils fournirent des troupes légères et des archers, comme par exemple les Agrianes, sur le Strymon supérieur. Philippe admit même des étrangers, quand ils pouvaient se rendre utiles, en particulier des Grecs de toutes provenances ; il avait des éclaireurs de Tarente, des archers de Crète, des ingénieurs thessaliens qui lui fabriquaient ses machines de guerre. Il donna tout particulièrement son attention à la cavalerie. C'est à sa tête qu'était le poste de combat du roi, et une troupe choisie de cavaliers entourait sa personne. C'était là la garde d'honneur à laquelle appartenaient les fils de la noblesse : entrés comme pages au service du roi, ils étaient directement sous sa discipline, et, quand ils se montraient capables, ils arrivaient aux premiers grades de l'armée. Dans l'infanterie, il y avait aussi une semblable troupe de compagnons ou hétœres du roi, qui formaient le solide noyau de l'armée[91]. Dans ces gardes à pied et à cheval subsistaient les clans, qui autrefois accompagnaient les chefs quand ils allaient conquérir des terres ; mais ils avaient subi les transformations indiquées par le temps.

Ainsi, tandis que bourgeois, paysans, bergers, se fondaient dans l'armée en un seul peuple macédonien, se sentaient les membres d'un même corps, obéissaient à une même volonté, et apprenaient à voir dans cette union un gage de paix au dedans, de victoire au dehors, les grands étaient associés personnellement aux intérêts du roi ; la noblesse, d'indépendante et rebelle qu'elle était dans ses propriétés, devenait une noblesse de cour et une noblesse militaire ; son crédit et son revenu dépendaient du roi ; l'ambition amenait les jeunes gentilshommes aux côtés du roi et en faisait les soutiens du pouvoir monarchique. Cette élite de l'armée, toujours sous les armes, vivant dans des rapports de camaraderie avec le roi, ce qu'on appelait l'Agéma[92], fut considérée en même temps comme une sorte de représentation nationale auprès du roi. C'est ainsi que Philippe sut fondre les éléments anciens et nouveaux, étrangers et indigènes, la tradition macédonienne et les inventions helléniques, donner à tout le pays, par la constitution de l'armée, la solidité et la cohésion : fait d'autant plus considérable que la Macédoine avait été jusque-là un groupe peu agrégé de cantons montagneux, n'ayant pas de ville qui en fût le centre et le lien.

Mais le point principal, c'est que Philippe ne rendit pas seulement des ordonnances, ne créa pas seulement des institutions, mais qu'il sut être l'âme de ce tout, dominer les circonstances avec une évidente supériorité intellectuelle, intervenir partout personnellement avec une présence d'esprit toujours en éveil, mettre dans sa dépendance les grands et les petits, endurcir les soldats, former leurs chefs, et créer de la sorte un empire qui trouvait la suprême expression de son unité dans le roi chef d'armée.

C'est par ces moyens que Philippe avait relevé le royaume de ses pères, entouré de frontières précises le domaine gagné sur ses adversaires, et endigué pour ainsi dire le territoire contre les inondations des peuples farouches qu'il avait pour voisins. Alors seulement il put être question d'une politique macédonienne ; alors seulement celle-ci put tourner ses regards au dehors. De ce côté, la tâche qui l'attendait était toute différente. Ici c'était un État continental en face de puissances maritimes, un Barbare en face d'Hellènes. Du côté de la terre, l'empire devait être fermé ; du côté de la mer, il fallait l'ouvrir : ici il ne s'agissait pas de le défendre contre les forces de ses voisins, il fallait les gagner au contraire au profit de son propre État.

Il y avait trois puissances dont les rapports avec la Macédoine étaient la condition de tout progrès ultérieur. C'étaient Athènes, à la tête de sa confédération maritime, dominant les côtes du golfe Thermaïque, Amphipolis sur le Strymon, et Olynthe sur la presqu'île de Thrace, le puissant chef-lieu des villes grecques environnantes. Si ces trois puissances marchaient d'accord, il n'y avait rien à faire : dans ce cas, la Macédoine restait un petit État continental, condamné à rester sous la dépendance écrasante de l'étranger. Il importait donc surtout que les Grecs ne pussent deviner les projets de Philippe : il fallait les tromper le plus longtemps possible et les tenir isolés : la méfiance réciproque devait faire de chaque cité hellénique un auxiliaire de Philippe contre les autres.

Le premier objectif était Amphipolis, la ville fatale, l'enfant de douleurs de la politique maritime des Athéniens[93]. Que de troupes vaillantes de jeunes guerriers avaient succombé sur ce rivage dans la lutte contre les Thraces, avant qu'une colonie stable pût s'y établir ! On réussit enfin, et c'est au milieu des plus fières espérances que s'élève la ville à l'embouchure du Strymon. Pendant douze ans, Athènes a la joie de voir les progrès rapides de la jeune cité : puis celle-ci fait défection, et, depuis ce temps, la colonie rebelle ne cesse d'être un sujet de scandale et de soucis cruels pour les Athéniens. Le fruit de tant de peines, de luttes, de sacrifices était perdu, et les coûteux travaux exécutés sur terre et en constructions hydrauliques se trouvèrent faits pour d'autres, c'est-à-dire pour les ennemis d'Athènes. En effet, cette même ville qui devait être la clef de la voûte de la domination d'Athènes sur le littoral de la mer Égée et la citadelle de la mer de Thrace devint alors le point le plus vulnérable de la république, le plus solide appui de la puissance lacédémonienne : malgré les stipulations de la paix de Nicias, elle ne fut pas rendue aux Athéniens. Les citoyens d'Amphipolis ne se souciaient plus de leur métropole. C'est qu'Amphipolis, comme le témoigne le dialecte de ses inscriptions, ne fut jamais une ville athénienne : sa population non attique, qui fut dès le commencement en grande majorité, lui imposa des rapports intimes avec les villes voisines. C'est avec leur appui et celui des tribus thraces qu'Amphipolis, après avoir été fidèle à Sparte plus longtemps que toutes les autres cités de la côte, put se défendre contre Athènes et conserver une situation indépendante dans tous les sens. De magnifiques médailles d'argent témoignent de la prospérité de la cité[94]. Vint ensuite le nouvel élan pris par la puissance maritime d'Athènes, et les nouvelles tentatives des Athéniens sur Amphipolis, leurs négociations avec les puissances voisines, leurs expéditions de terre et de mer. Mais rien ne se fit avec une énergie suffisante, et même les succès partiels aboutirent à un résultat opposé. En 371, Amyntas reconnut solennellement les prétentions d'Athènes, et Iphicrate réussit, sans doute avec l'aide d'un parti amphipolitain favorable aux Athéniens, à mettre la main sur un certain nombre d'otages. On s'attendait à la soumission de la ville. Mais tout à coup le général fut rappelé, et la trahison de Charidème rendit les otages aux citoyens[95]. Plus tard, l'activité de Timothée, partout ailleurs couronnée de succès (365), échoua devant Amphipolis : son expédition manquée compta comme la neuvième de celles qui furent entreprises contre Amphipolis[96]. Ce fut aussi la dernière : car c'est le moment où Philippe entre en scène. Pour lui, cette cité, par sa position dominante sur les routes du littoral, par son port, par sa richesse en bois et en métaux, était la plus importante comme la plus rapprochée des places en dehors de la Macédoine proprement dite, et la base d'opérations indispensable du côté de la Thrace. Mais Philippe était bien éloigné d'en appeler à la force. Il reprit en apparence la politique de son père, en reconnaissant de nouveau les prétentions des Athéniens sur leur colonie : pour éviter tout conflit en un moment inopportun pour lui-même, il retira sa garnison d'Amphipolis, qui avait été occupée déjà plusieurs fois par des troupes macédoniennes[97]. Amphipolis célébra ce bon prince comme un libérateur ; les Athéniens se félicitèrent de ses sympathies et nouèrent des négociations avec lui, espérant, même au prix de l'abandon de Pydna, qui était encore en leurs mains, rentrer en possession d'Amphipolis par l'intervention de la Macédoine.

Cependant, par ses victoires sur les Illyriens et les Péoniens, Philippe avait fini par avoir ses coudées franches, et ses desseins sur la côte de Thrace se montrèrent alors au grand jour. Amphipolis vit ses troupes s'approcher et prit rapidement la décision qui seule pouvait encore la sauver. Deux Amphipolitains considérables, Hiérax et Stratoclès, se rendent à Athènes ; la fière cité rend spontanément hommage à sa métropole, lui ouvre ses portes et ses ports, la ville et son territoire, en demandant protection contre Philippe[98]. Mais en même temps arrivait une ambassade de Philippe. Elle renouvela l'alliance conclue après la défaite d'Argæos, et fit à propos d'Amphipolis une communication confidentielle, qui devait écarter tout sujet de crainte et de malentendu. Les Athéniens avaient déjà éprouvé, dirent les envoyés, à quel point le roi était leur ami : il leur avait pardonné l'appui donné à son adversaire, et renvoyé chez eux leurs guerriers à titre gracieux. Pour cc qui était d'Amphipolis, la superbe cité était son ennemie à lui autant que celle d'Athènes. Il allait l'humilier, et ensuite la leur donner de sa main, comme un gage de son amitié.

Ainsi, la ville pour la possession de laquelle les Athéniens avaient livré tant de combats inutiles leur était offerte spontanément de deux côtés différents : il semblait qu'ils n'avaient plus qu'à choisir de quelle main ils voulaient l'accepter. Un examen calme et attentif de la question ne pouvait pas laisser longtemps dans le doute. On n'avait pas à se méfier des Amphipolitains. Dans leur détresse, et assurés de perdre leur liberté, ils aimaient mieux la sacrifier à Athènes qu'à Philippe. Quant à celui-ci, comment pouvait-on admettre que, oubliant ses vastes ambitions, il pût s'emparer au prix de grands efforts de la ville la plus considérable de son voisinage uniquement pour la rendre ensuite à l'État qui de tous était le plus capable d'arrêter les accroissements de son empire ? Dans tous les cas, il fallait se dire que cette restitution ne se ferait pas par pure générosité, mais qu'elle serait liée à des conditions qui compenseraient amplement un pareil sacrifice.

Les Athéniens venaient de faire une expédition heureuse en Eubée ; leur flotte était en pleine activité ; comment les Amphipolitains pouvaient-ils s'attendre à ce que leur offre fût refusée ? Et néanmoins elle le fut[99]. Au lieu d'accepter des deux mains, on fut assez aveuglé pour s'abandonner à une mesquine susceptibilité. On était charmé de voir la ville rebelle recevoir un châtiment mérité, et l'on se croyait assuré de la ressaisir sans faire de sacrifices et sans se brouiller avec un roi généreux et bienveillant. On eut la vanité de croire que l'amitié d'Athènes était un bien si grand qu'il était tout naturel de voir un roi même puissant faire quelques sacrifices pour l'obtenir.

Cette faute des Athéniens était pour Philippe plus qu'une bataille gagnée ; elle était en même temps d'un excellent augure pour ses entreprises ultérieures. Amphipolis fut rapidement attaquée et prise (357)[100] ; dès lors, le roi n'avait plus à craindre qu'une alliance entre Olynthe et Athènes. Olynthe, qui avait assisté tranquillement à la chute d'Amphipolis, ne pouvait rester neutre plus longtemps. Elle avait donc, immédiatement après la prise d'Amphipolis, représenté aux Athéniens quelle était la vraie situation sur la côte de Thrace, et proposé une alliance contre Philippe. Mais on croyait encore à Athènes à la magnanimité du roi, et plus on en était réduit à tout attendre de sa bonne volonté, moins on voulait entreprendre contre lui. En effet, quoique l'on n'osât plus croire à une cession gratuite d'Amphipolis, on espérait cependant encore rentrer en possession de la ville du Strymon au prix d'un échange contre Pydna : ce projet fut caressé par les politiciens d'Athènes, avec toute l'importance qu'on attache aux secrets d'État[101].

Mais Philippe n'avait besoin ni d'échanges ni de cadeaux : ce qu'il désirait, il le prenait. Il envahit sans hésiter le territoire de la confédération athénienne, enleva Pydna[102], et, comme par là il avait ouvertement rompu avec Athènes, il fit alliance avec les Olynthiens repoussés par elle. Cette alliance était en ce moment assez importante à ses yeux pour le décider à des concessions considérables. Comme depuis longtemps Olynthe et la Macédoine se disputaient Anthémo.nte, le port du golfe Thermaïque, il l'abandonna aux Olynthiens, en leur promettant même Potidée, qui leur fermait l'accès de la presqu'ile de Pallène et formait en ce moment le plus solide point d'appui de la puissance athénienne en Thrace. Potidée tomba avant l'arrivée de la flotte athénienne[103], et les Athéniens stupéfaits se virent tout à coup, en pleine paix et sans déclaration de guerre, délogés de leurs plus importantes positions, dépouillés de toutes leurs alliances, et complètement écartés. Ils lancèrent des manifestes furibonds contre le roi parjure, mais ne purent rien changer à l'état des choses car la défection de leurs alliés et le désarroi où les avaient jetés tous ces événements les mettaient tout à fait hors d'état de rien faire de sérieux pour leurs possessions du Nord.

Philippe avait dès lors ses coudées franches : il sut employer ses acquisitions à préparer des revendications nouvelles. La ville du Strymon n'était à ses yeux que la clef du pays situé au delà du fleuve. Ce pays, qui s'avance dans la mer en forme de péninsule, forme d'un côté le golfe Strymonique, de l'autre, la baie profonde qui sépare de la pleine mer l'île de Thasos. Dans le milieu de cette saillie de la côte s'élève à 1870 mètres le Pilaf-Tepe, le Pangæon antique, montagne couverte de neiges, impraticable, mais, par ses richesses souterraines, la possession la plus précieuse de toute la région côtière de l'Archipel[104]. En effet. quoique l'Hèbre détachât de l'Hæmos des métaux précieux qu'il roulait dans ses eaux, quoique les Péoniens trouvassent de l'or sous le soc de leurs charrues et que Thasos eût ses mines à elle, le Pangæon n'en était pas moins de beaucoup la source la plus abondante de l'or et de l'argent. Aussi, à partir du moment où les Phéniciens eurent mis ces trésors en lumière, ils furent sans cesse l'objet de luttes sanglantes : car c'était justement là que demeuraient les tribus les plus guerrières de la Thrace, notamment les Satres et les Besses, qui adoraient sur ces hauteurs leur dieu national, celui que les Grecs appelaient Dionysos ; puis les Piériens, qui se pressaient au sud contre les flancs du Pangæon, les Édoniens, etc. Quelques-unes des tribus domiciliées dans la région, comme les Édoniens, les Létéens, les Orrheskiens ont frappé, dès le VIIe siècle avant notre ère, l'argent extrait de leur sol[105] ; et, quoiqu'ils fussent souvent en lutte les uns contre les autres, ils s'accordaient néanmoins en cela qu'ils défendaient avec acharnement leurs richesses minières contre n'importe quel étranger. Ils en firent l'épreuve tous ceux qui portèrent la main sur ce territoire, entre autres Aristagoras, qui périt avec toute son armée lorsqu'il voulut consolider la domination que Histiée avait fondée dans le bassin du Strymon.

Les Thasiens furent ceux qui réussirent à se maintenir le plus longtemps sur la côte d'or : ils fondèrent au bord de la mer des stations d'où, ne fût-ce que dans une, proportion restreinte, ils exploitèrent les mines, et leur colonie de Daton devint proverbiale pour désigner une localité comblée de tous les biens de la terre[106]. Mais, pour eux aussi, l'or ne fut pas une fortune durable. Ils furent d'abord humiliés par la Perse, qui essaya même d'appuyer sur Abdère sa domination dans la mer Égée : ensuite ils entrèrent en lutte avec Athènes. C'est alors que l'or de la Thrace devint un élément important de l'histoire des États grecs. Il excita Sparte à s'allier avec les Thasiens : il attira les Athéniens sur ces rivages, et l'une des plus terribles défaites qu'ils subirent fit des noms de Daton et de Drabescos un épouvantail pour toute oreille attique. Mais ils ne se laissèrent pas effrayer. Ils fondèrent en face de Thasos la ville de Neapolis sur la baie d'Antisara, l'ancien port de Daton, et la ville nouvelle devint une colonie florissante. Pourtant, ils n'ont jamais réussi à s'assurer la possession du pays et à exploiter complètement ses trésors. Les tribus thraces restèrent indépendantes, et ce ne fut que bien tard, l'année qui précéda l'avènement de Philippe, qu'ils essayèrent de pénétrer plus avant dans l'intérieur du pays. Ils le firent sous l'impulsion de Callistratos qui, même exilé, ne cessait de poursuivre ses plans d'homme d'État. Une bande de colons remonta la vallée de l'Angitès, affluent du Strymon au nord du Pangæon. Là, dans un pays richement arrosé, ils fondèrent Crénides, localité extrêmement bien placée pour le lavage de l'or[107]. Ce fut là, à proprement parler, la première colonie de mineurs qui s'établit sous l'influence athénienne (360). Mais cet établissement ne servit qu'aux ennemis d'Athènes : car la petite colonie fut tellement pressée par les Thraces que, dans sa détresse, elle appela Philippe à son secours.

Rien ne pouvait faire plus de plaisir au roi. Il y avait longtemps que son attention était attirée vers les mines d'or, qui étaient indispensables à ses desseins. Il pouvait maintenant d'autant mieux atteindre son but qu'il n'intervenait pas en conquérant, mais en allié et ami d'Hellènes en lutte avec des peuples barbares. Trois ou quatre ans après la fondation de Crénides, il franchit le Strymon, repoussa sans grande peine les Thraces, annexa à la Macédoine tout le territoire jusqu'au Nestos, fonda sur l'emplacement de Crénides, dans la belle vallée de l'Angitès, qui a une issue commode sur le golfe, une forteresse qui devint le centre de tout le district minier. Ce que les troupes de débarquement venues de cités éloignées n'avaient jamais pu faire lui réussit d'un seul coup, parce qu'il venait du côté de la terre avec une armée régulière de cavaliers et de fantassins, et qu'il avait toutes ses ressources dans le voisinage. La malédiction qui pesait de temps immémorial sur le pays de l'or parut être écartée : le pays et ses habitants se civilisèrent ; on traça des routes ; on dessécha des marais. Le climat lui-même se modifia[108]. Philippes[109] fut la première de ces cités florissantes, dans lesquelles des citoyens grecs servirent les intérêts de l'empire macédonien. La prospérité de l'exploitation minière prit tout à coup un développement considérable ; elle produisit un revenu net de mille talents[110] par an.

Le revenu des mines servit, comme à Thasos et à Athènes, de premier capital pour l'entretien d'une marine, dont le roi avait besoin pour repousser toute attaque sur mer, pour étendre sa domination sur les côtes et protéger le commerce macédonien. Pour créer une flotte, il n'y avait pas, comme Histiée l'avait déjà reconnu, de région plus favorable dans tout l'Archipel. Outre des baies magnifiques, d'excellentes voies maritimes et une richesse inépuisable en bois de construction, cette côte avait sur toutes les autres l'avantage inappréciable que, en utilisant les vents du nord qui y règnent pendant tout l'été, on pouvait de là atteindre sûrement et rapidement tous les points situés au sud, pendant qu'une attaque venant du sud était ralentie d'autant. La facilité d'opérer des débarquements rapides et imprévus était d'autant plus importante, que les Macédoniens, avant de posséder une flotte sérieuse, devaient se borner à des surprises et à des actes de piraterie dans le genre de ceux qu'Alexandre de Phères avait risqués avant eux. Par là on pouvait porter des coups terribles, même à des États pourvus de flottes bien supérieures.

C'est pendant que Philippe était lui-même occupé dans des guerres nouvelles contre les Thraces, les Péoniens et les Illyriens (355 et 354) que se firent les établissements les plus considérables sur le territoire nouvellement conquis. Quand il revint à la côte, il attaqua Méthone, que par égard pour les Athéniens il avait respectée jusque-là comme ville libre, membre de la confédération maritime d'Athènes. Les Athéniens attachaient un grand prix à cette ville : néanmoins, au moment décisif, ils arrivèrent trop tard. Méthone succomba et fut détruite[111]. Dès lors, à l'exception des villes de la Chalcidique, tout le linceul, depuis l'Olympe thessalien jusqu'au Nestos, fut soumis à un seul maître. L'État barbare, relégué au fond des terres, qui peu d'années auparavant n'était même pas sûr de subsister, était devenu une puissance de l'Archipel, reconnue comme grande puissance par les Perses eux-mêmes, et n'ayant à craindre aucun voisin, tandis qu'elle était redoutable à tous.

A l'acquisition des mines et à l'arrondissement heureux du territoire de l'empire se rattache la réforme du système monétaire, qui avait une grande importance pour Philippe. Jusque-là, les pays qui venaient d'être réunis avaient eu des systèmes monétaires très différents, ce qui devait exercer sur le commerce une influence très défavorable : on manquait d'un centre d'où pût émaner une nouvelle règlementation, et la monnaie macédonienne cherchait de divers côtés un système à qui se rallier. D'abord elle voulut s'accommoder au système très ancien en usage dans les villes et tribus thraces[112]. Puis, après qu'en Thrace on eut adopté le système du Grand-Roi, — qui, au moment même où la puissance politique des Perses était en complète décadence, se répandit au loin jusque sur le côté européen de la mer Égée, — le roi Archélaos s'y rallia également, tandis que les villes du littoral frappaient leur monnaie d'après l'étalon attico-européen. Vers le milieu du ive siècle, l'épanouissement du commerce rhodien amena une nouvelle perturbation dans les relations commerciales ; la monnaie de l'Asie-Mineure, frappée au poids fixé par Rhodes, se répandit rapidement dans tout l'Archipel, et, comme Évagoras, Philippe frappa sa monnaie d'argent selon ce système[113].

Les monnaies de Philippe témoignent de la prospérité de l'empire et du souci que le roi prenait des intérêts commerciaux : en effet, elles sont frappées avec plus de soin que celles de ses prédécesseurs. Il fit de la fabrication de la monnaie un droit régalien ; il démonétisa toutes les monnaies des villes sur son territoire, à l'exception de celles de sa colonie de Philippes, qu'il voulut distinguer de cette façon comme ville libre de l'empire. Il inaugura aussi une fabrication régulière pour la monnaie d'or qui, même dans les parties les plus riches en or de son territoire, avait tenu une place remarquablement restreinte. La pièce d'or, le statère de Philippe, n'était autre chose, au point de vue de la valeur, que le darique perse, qui était répandu dans toute la Grèce, et qui avait servi de modèle à l'or attique. Philippe se plaça de cette façon à côté du Grand-Roi comme un égal, et, avec le double étalon bien réglé de sa monnaie royale, il introduisit la Macédoine dans le grand mouvement commercial du monde.

 

 

 



[1] Il en est ainsi, par exemple, aux sources de l'Axios (Vardar), d'où l'on passe facilement dans la vallée du Margos (Morava), et encore à l'endroit où de l'Hèbre (Maritza) on gagne l'Oskios (Isker), autre affluent du Danube.

[2] Voy. la liste des tribus donnée par Hérodote (VII, 110).

[3] THUCYDIDE, II, 29.

[4] Thucydide (II, 29) réfute cette parenté si fort à la mode de son temps entre les Thraces du Parnasse et les Odryses, entre Térès et Térée (Tereus). Sur l'histoire des Odryses, cf. E. MURET, Bulletin de corresp. hellén., III [1879], p. 409 sqq.

[5] ARISTOPHANE, Acharniens, 141 sqq.

[6] THUCYDIDE, II, 98 sqq.

[7] THUCYDIDE, IV, 101.

[8] THUCYDIDE, II, 96-97.

[9] Le système des bassins fluviaux de la Macédoine est étudié en détail par GRISEBACH, Reise in Rumelien.

[10] Μακέτα signifie haut pays, et Μακεδόνες, les gens du haut pays ou peut-être de haute taille. Cf. G. CURTIUS, Griech. Etymologie, I4, p. 161.

[11] ARISTOT., ap. PLUTARQUE, Thes., 16. STRABON, p. 329.

[12] Il existait d'anciens cultes d'Apollon à Ίχναι et ailleurs (Rhein. Museum, XVII, p. 712).

[13] Sur les cultes de la Piérie, voy. HÉSIODE, Théogonie, 53 sqq. O. MÜLLER, Orchomenos, p. 371. TH. BERGK, Griech. Literaturgeschichte, I, p. 310 sqq.

[14] PLUTARQUE, Quæst. græc., 11.

[15] HÉRODOTE, I, 56 ; VIII, 43.

[16] APOLLOD., III, 8, I. ÆLIAN., Nat. Anim., X, 48. Autre généalogie de Macednos d'après Hésiode (STEPH. BYZ., s. v. Μακιδονία).

[17] Sur le dialecte macédonien, cf. BERGK, op. cit., I, p. 60.

[18] CALLISTH., ap. ARRIAN., Anab., IV, II.

[19] ÆLIAN, Var. Hist., XIII, 4. THEOPOMP., ap. ATHEN, p. 167.

[20] STRABON, p. 315 ; THEOPOMP., ap. ATHEN., p. 443. Ils apparaissent pour la première fois dans Hérodote (IX, 43. Cf. V, 61).

[21] DEMOSTH., Philipp. III, § 31.

[22] APOLLOD., III, 5, 4. STEPH. BYZ., s. v. Ίλλυρία. Sur les premiers habitants de l'Illyrie, voy. H. CONS, La province romaine de Dalmatie, [Paris, 1882], p. 36 sqq.

[23] PINDARE, Nem., IV, 54.

[24] STRABON, p. 326.

[25] HÉRODOTE, VIII, 137.

[26] Il y a, en somme, deux versions de la légende royale, la légende de Caranos, recueillie par Théopompe (fragm. 30), et celle de Perdiccas dans Hérodote (VIII, 137). Cf. WEISSENBORN, Hellen, p. 52, 4. GUTSCHMID, Mecedon. Anagraphe (in Symbol. Philol., Bonn., p. 118). Caranos, l'ancêtre de la dynastie, est le frère de Phidon, le septième Téménide (peut-être celui qui s'est sauvé à Tégée). C. FR. HERMANN (in Verhandl. d. Altenb. Philologenversammlung, p. 43) cherche à établir un lien entre la dynastie macédonienne et l'histoire d'Argos. Mais l'affinité des Argéades (STBABON, p. 329. STEPH. BYZ., s. v. Άργέου) avec Argos a été rejetée par O. MÜLLER et O. ABEL (Geschichte Makedoniens vor Philippus, p. 99), à l'opinion duquel se rallient et GUTSCHMID et BORN (Zur Makedon. Geschichte, p. 8). D'après eux, ce n'est point l'Argos du Péloponnèse, mais celle de l'Orestide qui doit être la véritable patrie des princes macédoniens. UNGER (in Philologus, XXVIII, p. 401 sqq.) regarde la filiation qui fait venir les Téménides d'Argos comme une pure invention, par la raison qu'il y avait plusieurs généalogies en circulation, et il rapporte également le passage d'Appien (B. Syr., 63) à l'Argos de l'Orestide, dont on a fait ensuite l'Argos du Péloponnèse. Néanmoins, comme il reconnaît dans Caranos et ses frères Aéropos et Gauanès les trois ancêtres des plus illustres dynasties de la Haute-Macédoine, il regarde Aéropos comme un Bacchiade devenu roi chez les Lyncestes, et Gauanès, — qu'il identifie avec Æanès, le plus ancien prince des Élymiotes (STEPH. BYZ., s. v. Αίανή), — comme un Tyrrhénien.

[27] HÉRODOTE, VIII, 138.

[28] JUSTIN., VII, 1.

[29] HÉRODOTE, V, 94.

[30] SCHOL. THUCYD., I, 57. HARPOCRAT., s. v. Άλέξανόρος. DIO CHRYS., II, 25.

[31] HÉRODOTE, V, 19 sqq.

[32] HÉRODOTE, V, 22. Cf., II, 99. D'après GUTSCHMID (loc. cit.), c'est justement alors que la généalogie des princes macédoniens aurait été dressée pour la première fois.

[33] HÉRODOTE, VIII, 143.

[34] Ambassade d'Alexandre à Athènes (HÉRODOTE, VIII, 136-144).

[35] LEAKE, Num. Hellen. Kings of Europa, 3. Sur l'écusson des Bisaltes, ibid., 157. BRANDIS, Münzwesen Vorderasiens, p. 118.

[36] HÉRODOTE, V, 17.

[37] PAUSANIAS, VII, 25, 6.

[38] Éloge d'Alexandre par Pindare (fragm., 85. 86. Böckh).

[39] THUCYDIDE, I, 137.

[40] SCHÄFER, in Jahrbb. für Philologie, 1865, p. 627.

[41] PLAT., Gorg., p. 471.

[42] THUCYDIDE, II, 95. 100.

[43] THUCYDIDE, I, 57.

[44] HEGES. [DEMOSTH., VII], De Halonnes., § 12. DEMOSTH., Olynth. III, § 24. SCHOL., ibid.

[45] THUCYDIDE, I, 58.

[46] THUCYDIDE, I, 61.

[47] KIRCHHOFF, Chronologie der Volksbeschlüsse für Methone (Abhandl. der Berl. Akad., 1861, p. 555).

[48] THUCYDIDE, II, 80.

[49] THUCYDIDE, II, 95.

[50] THUCYDIDE, II, 1Ol.

[51] THUCYDIDE, IV, 79.

[52] THUCYDIDE, V, 83.

[53] THUCYDIDE, IV, 78.

[54] THÉOPOMPE, fragm., 164 b. STRABON, p. 445.

[55] SUIDAS, s. v. Μελανιππίδες.

[56] SUIDAS, s. v. Ίπποκράτης.

[57] PLAT., Gorg., p. 471.

[58] THUCYDIDE, II, 100.

[59] Pydna est élevée alors au rang de capitale (XENOPHON, Hellen., V, 2, 13) ; mais la ville elle-même existait déjà

[60] Le nom de Δίον vient du temple de Zeus Olympien. Sur les concours ou άγώνες, voy. DIODORE, XVII, 16. STEPH. BYZ., s. v. Δίον.

[61] Vit. Sophocle.

[62] DIOG. LAERT., II, 5, 9.

[63] ÆLIAN., Var. Hist., XIV, 17.

[64] Sur la cour des Muses rassemblée autour d'Archélaos, voy. ABEL, Makedonien, p. 200 sqq.

[65] EURIPIDE, Bacch., 409-415. Cf. 560 sqq.

[66] DIOGENIAN., VII, 25. SUIDAS, s. v. Εύριπίδης.

[67] DIODORE, XIV, 37. PLAT., Alcib. II, p. 141 d. ARISTOT., Polit., p. 219.

[68] Durant ces dix ans, on voit passer successivement : Oreste, fils d'Archélaos (399-396), détrôné par son tuteur, le Lynceste Aéropos, qui règne de 396 à 392 sous le nom d'Archélaos II (DIODORE, XIV, 37) ; Amyntas II, roi de 392 à 390 (DIODORE, XIV, 89), qui aurait été, d'après GUTSCHMID (op. cit., p. 105), un bâtard d'Archélaos ; Pausanias (390-389), fils d'Aéropos. Le successeur de Pausanias est Amyntas III (GUTSCHMID, ibid., p. 107). Cet ordre résulte des indications fournies par Eusèbe et Syncelle.

[69] SUIDAS, s. v. Νικόμαχος.

[70] DIODORE, XVI, 92.

[71] Prise d'Olynthe par les Spartiates en 379.

[72] ÆSCHIN., De falsa leg., § 26. 28.

[73] DIODORE, XV, 61.

[74] DIODORE, XV, 67.

[75] PLUTARQUE, Pelopid., 26.

[76] Alexandre est assassiné (DIODORE, XV, 71. MARSYAS ap. ATHEN., p. 629. SCHOL. ÆSCHIN., De falsa leg., § 29).

[77] ÆSCHIN., De falsa leg., § 27 sqq.

[78] Traité conclu avec Thèbes (PLUTARQUE, Pelopid., 27).

[79] ÆSCHIN., De falsa leg., § 29.

[80] Philippe était au nombre des otages (PLUTARQUE, Pelopid., 26. DIODORE, XV, 67). Cf. ABEL, Makedonien, p. 230.

[81] Ptolémée assassiné (DIODORE, XV, 77).

[82] DEMOSTH., Olynth. II, § 14. Cf. Philologus, XIX, p. 248. 578.

[83] DIODORE, XVI, 2.

[84] JUSTIN., VII, 5. DIODORE, XVI, 2.

[85] PLUTARQUE, Pelopid., 26.

[86] C'est Carystios de Pergame qui l'affirme d'après une lettre de Speusippe (ATHEN., p. 506. Fragm. Histor. Græc., IV, p. 357). On part de là pour accuser d'ingratitude Philippe, qui doit à Platon sa souveraineté. Sur Euphræos d'Oréos, voy. BERNAYS, Dial. des Arist., p. 21, 143.

[87] DIODORE, XVI, 3.

[88] DIODORE, XVI, 4.

[89] DIODORE, XVI, 4.

[90] DIODORE, XVI, 8.

[91] DIODORE, XVII, 37. ATHEN., p. 135 e.

[92] ARRIAN., I, 14, 1. II, 8, 3.

[93] Sur Amphipolis et Athènes, voy. WEISSENBORN, Hellen, p. 136 sqq.

[94] Cf. J. DE WITTE, Médailles d'Amphipolis (Revue Numismatique, 1864).

[95] DEMOSTH., In Aristocrat., § 143.

[96] SCHOL. ÆSCHIN., De falsa leg., § 34.

[97] Les troupes macédoniennes qui se trouvaient à Amphipolis avaient été probablement demandées à Perdiccas, comme le conjecture avec apparence de raison GROTE (XVII, p. 21, trad. Sadous).

[98] THEOPOMP., fragm., 47 b. HARPOCRAT., s. v. Ίέραξ.

[99] DEMOSTH., Olynth. I, § 8. Après la prise d'Amphipolis, un décret du peuple amphipolitain condamna au bannissement Philon et Stratoclès (C. I. GRÆC., II, 2008. SAUPPE, Inscr. Macéd., 20). C'est l'application de la politique de Philippe (DIODORE, XVI, 8).

[100] DIODORE, XVI, 8.

[101] DEMOSTH., Olynth. II, § 7.

[102] DIODORE, XVI, 8.

[103] DIODORE, XVI, 8. DEMOSTH., Philipp. I, § 25.

[104] Sur le Pangæon, Philippes, Neapolis, voy. HEUZEY, Miss. archéol. de Macédoine. Cf. Götting. gelehrte Anzeigen, 1864, p. 1228.

[105] BRANDIS, Münzwesen, p. 208. Les monnaies d'or sont en proportion excessivement minime.

[106] ZENOB., III, 11. Cf. IV, 34. HARPOCRAT., s. v. Δάτος.

[107] DIODORE, XVI, 3.

[108] THÉOPHRASTE, De caus. plant., V, 14.

[109] DIODORE, XVI, 8. STEPH. BYZ., s. v. Cf. BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 322. SCHÄFER, Demosthenes, I, p. 120. II, p. 25.

[110] Environ 5.894.000 fr.

[111] DIODORE, XVI, 31. DEMOSTH., Olynth. I, § 13, Phil. I, § 4. Complètement déçus dans les espérances qu'ils avaient fondées sur Philippe, les Athéniens, l'année même de la fondation de Philippes, conclurent une alliance avec les voisins de la Macédoine (KÖHLER, C. I. Attic., II, n° 66 b), avec Kétriporis de Thrace, Lyppeios, prince des Péoniens, et le prince des Illyriens, Grabos. Kétriporis, le seul dont le domaine atteignait la côte, s'était chargé des négociations avec Athènes. L'intention des coalisés était d'attaquer Philippe de divers côtés à la fois, de lui enlever Crénides et ce qu'il occupait ailleurs (ibid., lig. 19). Mais, avant qu'ils eussent achevé leurs préparatifs de guerre (DIODORE, XVI, 22) ils furent surpris par Philippe, et les Thraces firent leur soumission. Les Athéniens, alors occupés tout entiers par l'explosion de la guerre Sociale, manquèrent au rendez-vous. Les combats livrés par Philippe aux Illyriens, dont il cherchait à se rendre maître en établissant des places fortes sur leur territoire, durèrent jusqu'à l'année suivante (DEMOSTH., Philipp. I, § 48. JUSTIN., VIII, 3). Cf. R. WEIL in Bursians Jahresbericht für Alterthumswissenschaft, III, p. 453 sqq.

[112] La plus ancienne monnaie d'argent d'Ægæ, à l'effigie du bouc, se rattache au système éginète : les premières pièces qui portent le nom du roi, à partir de 480, sont celles des Bisaltes (BRANDIS, Münewesen, p. 207. 209. 211).

[113] Sur la réforme monétaire de Philippe, voy. BRANDIS, op. cit., p. 250.