§ II. — APOGÉE ET FIN DE Dans l'intervalle, le Péloponnèse n'était pas resté le seul théâtre de la guerre : Thèbes avait en même temps trouvé dans le nord aussi une importante carrière à son activité, notamment en Thessalie. Mais les familles dynastiques elles-mêmes étaient désunies, et nous trouvons quelques-uns de leurs membres à la tête du parti populaire, qui s'insurgeait contre la noblesse, par exemple Polymède et Aristonous qui, au début de la guerre du Péloponnèse, vinrent au secours d'Athènes[2]. Tous deux appartenaient au parti qui se posait en ennemi du gouvernement existant. Cet état de scission et de querelles de parti se prolongea durant toute la période de la guerre du Péloponnèse, et nous voyons certains chefs de parti, vaincus chez eux, chercher du secours au dehors et mêler ainsi des États étrangers aux affaires intérieures de leur pays. C'est ainsi que Hellénocrate, de Larisa, se tourna vers le roi de Macédoine Archélaos[3], et Aristippos vers Cyrus, qui lui envoie de l'argent pour lever des troupes et se maintenir à Larisa[4]. Les anciennes relations avec Athènes étaient naturellement
oubliées à cette époque. Par contre, Sparte reprit avec une nouvelle ardeur
après la défaite d'Athènes ses :efforts pour gagner de l'ascendant en
Thessalie. Elle recouvra la ville d'Héraclée, qu'elle avait fondée contre les
Athéniens, à la limite méridionale de En effet, vers la fin de la guerre du Péloponnèse, de
nouveaux mouvements avaient éclaté en Thessalie dont les conséquences furent
beaucoup plus importantes que par le passé. L'impulsion partit de Phères,
vieille ville située dans la partie sud-est de la grande plaine de Thessalie,
à quatre lieues de la mer où elle possédait le port jadis si renommé de
Pagase. Là surgit un prince qui conçut la pensée de faire de son État le
centre de Mais Lycophron sait se maintenir sans secours étranger ;
il parvient à conquérir Pharsale pour son compte. Les mercenaires de Médios y
sont surpris et massacrés ; ce fut une journée dont les horreurs émurent
toute Les plans de Lycophron furent exécutés par Jason, son successeur dans la tyrannie et probablement son fils[9], homme d'une intelligence extraordinaire, et tout à fait propre, grâce à sa connaissance exacte des affaires du temps et à son infatigable énergie dans l'acquisition et l'emploi de nouvelles ressources, à agrandir un petit État. C'était un homme à la façon de Thémistocle, mais, en dépit de sa sagacité intellectuelle et de sa naissance princière, d'une affabilité séduisante et dégagé de raideur et d'orgueil nobiliaires. Il possédait au plus haut degré la finesse, que l'on considérait en général comme un trait caractéristique des Thessaliens et pour laquelle les intrigues sans fin des partis constituaient une bonne école : il n'était pas non plus trop scrupuleux dans le choix de ses moyens, mais il savait modérer son ambition. C'était un homme d'esprit chevaleresque, exempt de caprices de tyran, se dominant lui-même, et juste. Il avait une haute idée de sa mission, et une véritable culture intellectuelle était, à son sens, la première condition pour la remplir. Il était familier avec les cercles les plus distingués de la société athénienne, ami de Timothée[10] et d'Isocrate, admirateur et disciple de Gorgias. Ce n'est pas une ambition ordinaire qui l'animait ; il démêlait
dans la situation de son époque un appel fait à sa personne et à son peuple,
appel auquel il voulait répondre. Mais, pour disposer les différents États à renoncer par
amour de l'union à leur complète indépendance et à surmonter leur répugnance
pour une autorité monarchique, il fallait pouvoir montrer en perspective de
la gloire pour la nation, des victoires et du butin ; Jason prétendait y
arriver en conduisant de nouveau les Hellènes contre la Perse[12], Ainsi,
unification de En Thessalie, on comptait plusieurs sortes de tribus
sujettes. Il y en avait qui étaient soumises à des cités isolées ; d'autres
qui payaient tribut à l'ensemble des villes dominantes ; d'autres enfin qui
ne reconnaissaient que pour la forme et temporairement la souveraineté des
villes. Ces divers groupes de tribus, Jason sut, à ]a suite de Lycophron, les
attirer à sa cause ; les Dolopes et autres peuplades montagnardes lui
prêtèrent hommage. Par là il mina peu à peu la puissance des villes, si bien
que ces dernières aussi furent obligées l'une après l'autre de s'associer à
lui, et il eut toujours soin de rendre aussi acceptable que possible les conditions
de l'association, ne voulant pas détruire, mais unir. En 374, la ville de
Pharsale sur l'Énipée seule le bravait encore. Là il trouva une résistance
énergique ; le plus éminent des chefs du parti de la vieille noblesse,
Polydamas, y avait été élu magistrat suprême[13] ; c'était le
dernier boulevard de l'ancien régime thessalien. Polydamas espérait en
Sparte, car cet État avait modifié dans l'intervalle sa politique
thessalienne et regardait comme son devoir de s'opposer à la puissance de
Phères. Mais Sparte était contenue par Thèbes. Jason attachait le plus grand
prix à un accommodement pacifique. Il ne désirait posséder son autorité que
dans les formes légales et nationales ; il n'aspirait par conséquent qu'à la
dignité de général en chef, de Tagos, et
l'innovation qu'il prétendait effectuer ne consistait qu'à priver les
Aleuades et les Scopades de la propriété héréditaire et perpétuelle de cette
dignité, de façon à la rendre accessible à la maison que la personnalité de
ses princes ou sa puissance matérielle appellerait au commandement suprême.
Polydamas se vit accorder un délai pour attendre le secours de Sparte. Comme
le secours n'arrivait pas, il rendit la forteresse[14]. Jason fut alors
reconnu dans toute Jason se montra digne de cette confiance. Les anciennes institutions
locales ne furent pas supprimées, mais simplement régularisées. Telle fut
particulièrement la question des impôts prélevés sur les paysans et les serfs
ou Pénestes. Dans cette matière
s'était introduit beaucoup de désordre et d'arbitraire, qui provoquait un
mécontentement légitime et maintenait En attendant, Jason se mettait à l'œuvre avec circonspection.
Il chercha d'abord à se fortifier par des alliances au dehors, et à ce titre,
aucun allié ne lui importait davantage qu'Alcétas d'Épire, dont le concours
lui assurait toute la région montagneuse située sur les derrières des États
grecs[17]. Pour pouvoir
aussi les prendre en flanc, et devenir maître des plus importantes routes
maritimes, il avait besoin de l'île d'Eubée. Il y installa dans les
différentes villes des potentats qui lui obéissaient, comme le tyran Néogène
à Histiæa, sur la côte septentrionale de l'île[18]. Il était
beaucoup plus délicat d'inaugurer avec Il comprit mieux qu'aucun de ses contemporains que la grandeur de Thèbes reposait sur Épaminondas ; il paraît avoir tenté à plusieurs reprises d'ébranler ce dernier dans sa sévère intégrité et de le gagner à ses plans d'ambition personnelle. Ces tentatives restant vaines, il ne pouvait hésiter à se joindre à lui comme allié, puisque l'impuissance de Sparte et le démembrement de la confédération péloponnésienne répondait à ses propres intérêts. Il s'associa donc aux Thébains d'une façon si intime qu'il donna à sa fille le nom de Thébé, et parut sans retard sur le champ de bataille de Leuctres pour complimenter son allié victorieux et délibérer avec lui sur les mesures à prendre[19]. Le conseil qu'il donna de s'abstenir d'une attaque sur le camp spartiate était juste, sans doute ; mais il n'est guère probable qu'il ait été dégagé de toute arrière-pensée intéressée. L'humiliation de Sparte faisait bien l'affaire de Jason ; mais il ne pouvait souhaiter que le désastre fût complet, parce que la continuation de la guerre entre les États helléniques servait ses propres desseins. Les Thébains allaient bientôt concevoir des doutes sur la
loyauté de leur allié. Car il ne se contenta pas de se montrer pour la première
fois dans Une fois rentré, il redoubla d'activité. Les tribus
montagnardes de La tension s'accrut encore quand, au printemps 370, la
nouvelle se répandit que Jason, à la fête prochaine des Jeux pythiques, se
rendrait à Delphes en qualité de généralissime, environné de tout l'éclat de
sa puissance. On racontait des choses incroyables. Toutes les villes de
Thessalie, en proportion de leur richesse, s'étaient vu imposer une
contribution supplémentaire pour le cortège des victimes, et, à celle qui
fournirait le plus beau taureau pour mettre en tète du troupeau, l'on
destinait comme prix une couronne d'or. Ainsi se rassemblèrent mille taureaux
et plus de dix fois autant d'autres victimes, brebis, chèvres et porcs. Cette
hécatombe gigantesque devait étaler en l'honneur du dieu la richesse du pays,
tandis qu'une troupe d'élite triée dans l'armée témoignerait de la force de Delphes était le trait d'union par lequel La fête des Jeux pythiques approchait ; les longues files de victimes s'étaient mises en mouvement, et Jason passait une dernière revue de la cavalerie, avec laquelle il voulait faire son entrée à Delphes. Jeune et vigoureux, il touchait au seuil d'un avenir magnifique, fortifié dans le sentiment de sa valeur par une protection souvent presque miraculeuse éprouvée au cours de ses entreprises, par de brillants succès, et plein de confiance dans sa fortune. Il était assis sur son trône en plein air, pour recevoir les requêtes. A ce moment s'approche de lui un groupe de sept jeunes gens, pour présenter une pétition commune ; dès qu'ils l'eurent entouré, ils se précipitèrent sur lui et l'égorgèrent[28]. Un des conjurés, qui avaient été poussés à l'action par une peine infamante à eux infligée, fut tué au moment même de l'attentat par les gardes du corps, un second atteint dans sa fuite. Les autres s'échappèrent sur des chevaux préparés et furent en divers endroits honorés comme des hommes qui avaient bien mérité de la liberté des Hellènes[29], signe évident des dispositions d'esprit avec lesquelles on avait vu les dernières entreprises de Jason. Todt l'avenir de Ce que l'histoire nous apprend des actes du gouvernement
d'Alexandre se résume dans des transports de colère furieuse contre certains
adversaires, des cités entières, surtout contre les vieux ennemis de sa
maison, les membres de l'aristocratie thessalienne. Polyphron avait déjà fait
égorger le Pharsalien Polydamas[32], que Jason avait
traité avec de sages ménagements. Alexandre souleva de nouveau par ses
persécutions les Aleuades, qui avaient déjà su s'accommoder au nouvel ordre
de choses, de sorte qu'ils se tournèrent vers Les relations amicales des Thébains avec Phères avaient
été troublées, dès les dernières années de la vie de Jason, par les desseins
désormais trop évidents de son ambition. Les Thébains se sentirent encore
moins de penchant à faire cause commune avec ses successeurs. Instruits par
les derniers événements, ils étaient obligés de surveiller de plus près les
affaires de Thessalie ; ils ne pouvaient ni laisser s'y élever une tyrannie
prépondérante, ni permettre à Son apparition fut accompagnée du meilleur succès. Il
délivra Larisa et organisa le pays d'après le principe des constitutions des
États libres ; il se dirigea ensuite vers La défiance qu'inspirait Alexandre nécessita bientôt une deuxième intervention. L'autorité de Thèbes semblait si bien affermie dans l'intervalle et Pélopidas était si plein de confiance en lui-même et dans la bonté de sa cause, qu'il se chargea, sans armée, accompagné du seul Isménias, de se rendre en Thessalie pour demander des explications au tyran, conduite qui rappelle tout à fait l'assurance tranquille avec laquelle les fonctionnaires de Sparte se présentaient jadis dans les États grecs. Il rassembla ensuite une bande de mercenaires avec lesquels il alla en Macédoine, où le roi Alexandre venait d'être tué par Ptolémée. Abandonné de ses mercenaires, il y courut un grand danger : mais Ptolémée attachait trop d'importance à la bonne entente avec Thèbes et conclut avec Pélopidas un traité équitable. Pélopidas se tira moins bien d'affaire au retour. Il marcha avec une bande fraîchement recrutée contre Pharsale, pour châtier les troupes qui l'avaient trahi, et il donna inopinément contre une forte armée commandée par le tyran de Phères, lequel profita de l'imprudence de Pélopidas pour le faire prisonnier avec ses compagnons[35]. Cet attentat changea tout d'un coup l'état des choses. C'était le signal d'une guerre nouvelle. Thèbes arma avec ardeur, et Alexandre de Phères fut réduit à chercher d'autres alliés. Il se tourna donc vers Athènes, parce qu'il pouvait supposer que c'était le lieu du monde où l'on était le plus jaloux de Thèbes, et en cela il ne s'abusait pas. Les Athéniens accueillirent avec joie ses envois d'argent et ses hommages, conclurent aussitôt une alliance et expédièrent à son aide 30 vaisseaux et 1.000 hommes d'infanterie sous Autoclès[36]. Mais le plus grand avantage dont bénéficia le tyran à ce moment fut que les Thébains s'étaient alors eux-mêmes privés de leur meilleur général. Épaminondas était destitué de sa fonction : il servait comme simple soldat sous Cléomène. L'armée thébaine ne laissait pas d'être imposante (elle comptait 7.000 guerriers bien équipés et 600 cavaliers), mais il manquait une bonne direction. Cléomène et Hypatos s'étaient avancés rapidement, mais le défaut d'approvisionnements les contraignit à battre en retraite sans pouvoir livrer bataille à l'ennemi qui les harcelait de tous côtés. C'est dans la retraite seulement que commença la détresse. La supériorité numérique de sa cavalerie et de ses troupes légères permit à l'ennemi d'infliger aux Thébains les plus grands dommages ; ils perdirent beaucoup de monde et tombèrent finalement dans une telle détresse que l'armée, d'un cri unanime, demanda Épaminondas pour général[37]. Dès qu'il fut à la tête des troupes, on vit renaître la confiance et l'ordre : la terreur de son nom paralysa les attaques de l'ennemi, et l'habileté de son commandement sauva l'armée. Le meilleur résultat de cette malheureuse campagne fut le changement de dispositions des Thébains à l'égard d'Épaminondas, et sa réintégration dans les fonctions de général. Après avoir pris les mesures les plus indispensables pour combler les vides dans les rangs de l'armée, il rentra sans retard en campagne (368 ou 367 : Ol. CIII, 1), afin de briser l'insolence du tyran avant qu'il ne pût se consolider dans le pays, C'était une tache délicate, car la vie de son ami était compromise si Alexandre se voyait poussé à des actes de désespoir. Épaminondas eut l'art de mener cette tache à bonne fin : il sut, par son énergique entrée en Thessalie, décourager complètement l'ennemi, si bien que ce dernier regarda comme une grande chance d'obtenir un armistice de trente jours, à la condition de livrer ses prisonniers[38]. Pour Pélopidas aussi, le temps de sa captivité avait été un temps de gloire ; car il y avait déployé son inébranlable héroïsme, et, tandis que sa vie dépendait de la volonté du tyran, il avait exprimé son aversion contre lui avec une téméraire franchise[39]. Bien qu'avec cet armistice on n'eût pas atteint un but
définitif, il fallut pourtant se contenter en attendant des résultats acquis,
car dans l'intervalle avaient surgi d'autres affaires plus importantes qui
détournèrent de D'abord, en dépit de son profond abaissement, Sparte n'était pas complètement paralysée ; elle se soutenait encore, grâce à la fidélité de quelques alliés, lesquels ou bien n'avaient jamais chancelé, comme Épidaure, ou bien s'étaient attachés à elle plus fermement que jamais par antagonisme contre Thèbes, comme c'était le cas notamment pour Corinthe et Phlionte ; elle était sûre en outre des dispositions favorables d'Athènes et avait trouvé dans Denys de Syracuse un allié sérieux. Puis, les États du Péloponnèse qui avaient pris les armes contre Sparte n'étaient rien moins qu'unis entre eux et avec Thèbes. Jusqu'alors Thèbes conduisait la ligne séparatiste du Péloponnèse. C'est elle qui avait donné l'exemple de la révolte, l'impulsion au mouvement ; Épaminondas l'avait dirigé ; c'est à lui qu'on devait en somme tous les succès, et sa politique désintéressée semblait assurément mériter une pleine confiance. Or ce fut, cette fois, le contraire qui arriva. Le peuple arcadien, troublé dans son existence champêtre
et subitement entraîné, sans préparation aucune, dans le mouvement politique
de l'époque, était hors d'état de trouver sa mesure et son équilibre. Des
orateurs passionnés prirent de l'autorité sur les assemblées qui siégeaient à
l'agora de Mégalopolis, et parmi eux il n'y avait pas d'hommes qui, ayant
l'expérience des affaires publiques, parlassent le langage de la raison. Le
principal orateur était Lycomède de Mantinée. Les Arcadiens, disait-il,
étaient le plus ancien peuple de Lycomède fut alors le héros du jour. Il fut tout-puissant ; il mit dans toutes les places du gouvernement et de l'armée des hommes de son choix ; il introduisit une dictature démagogique et jeta les Arcadiens dans un délire belliqueux[41]. Ils allaient montrer à présent qu'ils n'avaient pas besoin des Thébains pour accomplir des actions glorieuses. Ils coururent au secours des Argiens, qui en voulant attaquer Épidaure s'étaient trouvés cernés par les Athéniens et les Corinthiens[42] ; puis ils continuèrent pour leur propre compte la lutte contre Sparte. Après avoir emporté Pellana dans la vallée supérieure de l'Eurotas, ils tentèrent de pénétrer de la côte vers l'intérieur. Ils assaillirent Asine, un ancien port situé non loin de Gytheion, défirent la garnison et tuèrent son commandant, le Spartiate Géranor[43]. Dans ce genre d'opérations, les Arcadiens étaient passés maîtres ; montagnards endurcis, accoutumés au métier des armes, infatigables à pied, connaissant tous les chemins, ils avaient au suprême degré le talent d'effrayer l'ennemi par des agressions imprévues. La réussite de leurs expéditions convertit leur courage en une aveugle assurance, et, partout où ils arrivaient en ban des, ils se livraient impitoyablement à un pillage effréné. Cette conduite ne pouvait assurément leur faire des amis
parmi les Péloponnésiens. Les Éléens étaient de tous les moins satisfaits ;
car, en se révoltant contre Sparte, ils avaient visé avant tout à recouvrer
les portions de leur territoire que Sparte leur avait enlevées[44]. Mais les
Arcadiens ne songeaient pas à les seconder ; ils prétextèrent que les
habitants de Pour augmenter encore la confusion des affaires grecques survint une immixtion du dehors. A cette époque, le satrape de Phrygie était le Perse
Ariobarzane, un ami d'Antalcidas, qui dès l'origine était animé de sentiments
favorables à l'égard des Lacédémoniens, et qui tenait d'autant plus à ne pas
laisser périr leur État que lui-même aspirait en silence à agrandir sa
puissance personnelle et à se rendre indépendant ; il lui importait donc de
maintenir les États dont il lui était permis, le cas échéant, d'attendre de
l'appui. Il profita de la situation du Grand-Roi, telle que la reconnaissait
le traité d'Antalcidas, pour convoquer en son nom un congrès destiné
soi-disant à rétablir la paix publique, mais en réalité à prévenir les
empiètements de l'Arcadie et l'humiliation ultérieure de Sparte. Dans ce but,
Ariobarzane avait sous la main un homme habile, qui depuis longtemps
jouissait de sa confiance, un Grec d'Abydos, Philiscos, qui avait fait sa
fortune comme chef de mercenaires. Philiscos parut à Delphes avec les pleins
pouvoirs de On essaya de déterminer Thèbes à des concessions : mais il
lui était impossible d'anéantir de nouveau sa propre création et de livrer Il s'agissait maintenant avant tout d'assurer ses propres frontières. Les insolentes irruptions des Arcadiens avaient provoqué une exaspération indicible, et le jeune fils d'Agésilas, l'ardent Archidamos, était tout à fait homme à attiser et à utiliser la fureur guerrière des Lacédémoniens. Uni aux auxiliaires celtes, il remonta la vallée de l'Œnonte, prit Caryæ, et châtia les montagnards pour leur défection. Puis il pénétra en Arcadie, mais se retira devant les Arcadiens et les Argiens qui s'avançaient et campa sur les hauteurs près de Maléa[49]. Là les Celtes déclarèrent que le temps stipulé avec eux était expiré, et il se mirent aussitôt, sous la direction de leur chef Cissidès, en retraite sur Sparte. A peine sont-ils partis, qu'ils se voient cernés par les Messéniens dans un défilé et sollicitent un prompt secours du général qu'ils viennent de quitter si outrageusement. Archidamos accourt aussitôt ; les Arcadiens et les Argiens le suivent et cherchent à lui couper la retraite. Si c'était une folie d'empêcher le départ des Celtes, c'en était une plus grande encore que de contraindre les forces ennemies surie point de se dissoudre à un effort commun, à une résistance désespérée. La présomption des alliés reçut la plus terrible punition. Car les Spartiates, qui combattaient pour leur vie sous le commandement du fils de leur roi, encouragés par son exemple et par des présages favorables, se lancèrent avec une telle impétuosité sur les ennemis, que ceux-ci ne ' tinrent pas tête un instant. Il n'y avait pas non plus à songer à une retraite en bon ordre, de sorte que les cavaliers et les Celtes en tuèrent des milliers, tandis que pas un des Lacédémoniens, dit-on, ne tomba. Telle fut la fameuse victoire sans larmes[50], victoire qui, après tant de coups du sort, releva de nouveau Sparte. Agésilas se porta avec les magistrats de la ville au
devant de son fils pour le féliciter, mais la défaite des Arcadiens ne causa
pas moins de joie à Thèbes et dans l'Élide qu'à Sparte. On reconnaissait le
juste châtiment de la présomption, et l'on comptait sur l'effet de la leçon
reçue. Les Éléens espéraient des concessions au sujet de Épaminondas était assurément de tous les Thébains le plus
exempt de malveillance et de malignité ; ce qui lui causait du souci, c'était
la confusion et les querelles toujours renouvelées entre les États grecs ;
son unique préoccupation était d'aboutir au rétablissement final de l'ordre.
Il avait obtenu l'essentiel, l'unité de Thèbes, en effet, n'avait pas, comme les autres États,
pris dès le début vis-à-vis de Les traités avaient accordé aux Perses une certaine
autorité par rapport à Un accord immédiat importait d'autant plus, qu'après les
négociations de Philiscos à Delphes — que ce dernier tînt réellement ses
pleins pouvoirs du Grand-Roi ou seulement d'Ariobarzane, — Thèbes pouvait
être considérée comme une perturbatrice obstinée de la paix. Il lui fallait
chercher à prévenir cette idée et à faire prévaloir à Suse son bon droit.
Enfin, il y avait d'autant plus urgence, que Sparte venait de renouer ses
relations avec A la cour de Perse, les ambassadeurs furent naturellement très bien accueillis : c'était un nouvel aveu de la part des Hellènes qu'ils étaient incapables d'aboutir à rien sans le Grand-Roi, un nouvel hommage spontanément rendu à sa puissance. La sanglante guerre des États se transformait en un conflit diplomatique où la personnalité des envoyés joua un rôle décisif. Les Thébains eurent l'avantage dès le début. Le renom de leurs exploits les précédait. Après les injures qu'avait infligées aux Perses l'insolence d'Agésilas, la nouvelle de Leuctres avait été pour ceux-ci une agréable nouvelle, et ils admirèrent les héros qui avaient su restreindre à la vallée de l'Eurotas l'État qui naguère encore avait voulu conquérir l'Asie. Antalcidas avait éprouvé personnellement le changement de dispositions de la cour de Perse à l'égard de Sparte : ses propositions furent dédaigneusement repoussées ; méprisé dans son pays comme à Suse, on dit que, dans l'excès de son dépit, il se tua[52]. On n'avait pas trouvé moyen d'établir des rapports de confiance durables avec Sparte, non plus qu'avec Athènes ; il en fut autrement avec Thèbes. Les Perses n'avaient jamais éprouvé de mauvais traitements de la part de cette république. Dès le temps de Xerxès, ils avaient contracté avec elle des liens d'hospitalité ; elle s'était montrée .à cette époque leur plus fidèle alliée, et, pour prix de cette fidélité, avait passé par les plus dures épreuves. Or, le sentiment de la reconnaissance était un des traits saillants du caractère des Perses ; d'ailleurs ils savaient estimer à son juste prix la valeur réelle des hommes Ainsi, la personnalité chevaleresque de Pélopidas, sa nature généreuse, son complet désintéressement, exercèrent une influence décisive, tandis que l'habileté d'Isménias lui prêtait le plus précieux appui dans les affaires. Par comparaison avec les autres députations, on sut parfaitement apprécier chez les Thébains la droiture de leur parole, la netteté de leurs intentions, leur franchise ouverte : Pélopidas fut visiblement préféré à tous les autres, et ses propositions reçurent de la part du Grand-Roi une approbation complète. En conséquence, les conventions passées par Antalcidas
entre Cette ambassade à Suse était une nouvelle victoire de
Thèbes : elle avait fait aboutir une paix d'Antalcidas modifiée en sa faveur
; on venait d'établir sous le haut contrôle de C'est précisément de ce côté que vinrent les premières difficultés. On convoqua un congrès des puissances à Thèbes, pour s'unir sur la base des traités en une confédération nouvelle ; mais on n'aboutit à rien : aucun des envoyés ne se déclara autorisé à prêter serment. Ceux qui prirent l'attitude la plus énergique furent les Arcadiens ; leur ambassadeur s'était vu préférer à Suse l'envoyé de l'Élide, et il avait tracé à ses compatriotes la plus vive peinture du misérable état de l'empire perse. Lycomède protesta en conséquence à Thèbes contre toute immixtion de l'autorité perse, contesta absolument aux Thébains le droit de tenir les conférences dans leur ville, et quitta enfin solennellement le congrès au nom de l'Arcadie[54]. Les Thébains alors prirent une autre voie. Ils envoyèrent dans
les différentes villes, et soumirent le traité à leur acceptation. Mais cet
expédient ne réussit pas davantage. Les Corinthiens rejetèrent fièrement
l'acceptation pour les mêmes motifs que les Arcadiens[55], et les députés
rentrèrent chez eux sans résultat avec l'édit royal. La tentative de faire
prévaloir un droit à l'hégémonie confirmé par lettres patentes du Grand-Roi,
et d'établir un nouvel ordre politique par l'entremise de Thèbes entreprit donc de nouveaux préparatifs, et Épaminondas, qui grâce à ses heureuses opérations en Thessalie avait regagné la pleine confiance de ses concitoyens, conduisit pour la troisième fois une armée dans le Péloponnèse[56]. L'attitude hostile de Corinthe et de l'Arcadie exigeait qu'on prît pied sur d'autres points ; or, aucune région n'offrait plus d'importance que l'Achaïe, parce que la domination du golfe de Corinthe était d'un intérêt capital pour Thèbes. Dans les villes de la côte achéenne subsistaient en général des constitutions aristocratiques telles qu'elles fonctionnaient à l'époque de l'hégémonie spartiate[57]. Épaminondas procéda avec la plus grande prudence ; il se porta garant, devant les familles qui dirigeaient les affaires publiques dans les différentes cités, qu'il ne se produirait pas de révolutions violentes[58] : aussi, vu leur grand éloignement de Sparte, elles se joignirent sans difficulté aux Thébains, en abandonnant en même temps les villes qui sur la rive opposée vivaient sous leur dépendance, Naupacte et Calydon[59]. C'était là pour la puissance des Thébains dans le golfe de Corinthe un avantage considérable, et aussi pour leur puissance continentale, parce qu'ils n'avaient plus besoin des passes de l'isthme pour arriver dans le Péloponnèse. Malgré tout, ces mesures provoquèrent un vif mécontentement à Thèbes même, et plus encore chez les alliés. Les ménagements envers lés familles dirigeantes, disait-on, étaient une trahison envers le principe de la liberté populaire, principe que respectaient tous les États qui guerroyaient contre Sparte : la démocratie formait leur lien commun, leur unité et leur force. Des villes gouvernées par les aristocrates demeuraient toujours des alliées déguisées de Sparte, et celui qui, n'importe où, soutenait et appuyait les aristocrates devait être en secrète connivence avec Sparte. Tant l'on comprenait peu la politique d'Épaminondas, qui assurément visait à un autre but qu'à une propagande démocratique, et qui ne voulait pas exciter, mais apaiser les passions politiques ! Les Arcadiens se plaignirent à Thèbes, et leurs griefs
trouvèrent un accueil empressé. On était animé du même esprit de parti, et
l'on se croyait tenu à des égards envers les Arcadiens, bien que tout esprit
judicieux dût comprendre que, malgré toute la condescendance imaginable, il
était impossible de se fier à ce peuple. Les Thébains abrogèrent donc sans
plus de formes les traités conclus, envoyèrent des gouverneurs dans les
villes d'Achaïe, et chassèrent les grandes familles[60]. On rétablit
ainsi une concorde fraternelle entre les alliés : mais on donnait en même
temps le signal d'une nouvelle guerre civile, qui agita tout le nord de L'exemple qu'on venait de donner agit par contrecoup ailleurs.
A Sicyone, on n'avait pas touché non plus à l'organisation intérieure, et
l'on s'était contenté de compter cette importante place au nombre des alliés.
Alors se leva parmi les grands de Sicyone un citoyen du nom d'Euphron,
personnage ambitieux, qui jadis avait été l'homme de confiance de Sparte. Ce
personnage, après ce qui s'était passé en Achaïe, entra en négociation avec
les alliés : il se déclara prêt à renverser aussi à Sicyone les maisons
aristocratiques, à instituer le régime démocratique, le seul qui attacherait
aux alliés, d'une façon tout à fait sûre, sa ville natale. Les Arcadiens et
les Argiens se prêtèrent avidement à ce projet, et Euphron fit une révolution
par suite de laquelle il devint lui-même chef de l'armée et, avec le secours
de mercenaires, maître de la ville. Toute la cité fut bouleversée, les
anciennes familles chassées, les biens confisqués ; les gens aisés se virent
faire leur procès à cause de leur prétendue sympathie pour Sparte ; les biens
des temples furent séquestrés, et une masse de nouveaux citoyens admis dans
la cité[61]
C'était l'avènement du parfait despotisme, et le nouveau tyran commit des
excès si criants qu'à la fin les alliés eux-mêmes furent forcés d'intervenir
contre lui. Euphron dut s'enfuir. Dans sa fuite, il changea aussitôt de
politique, livra avant son embarquement le port aux Spartiates, courut à
Athènes et en revint avec une poignée de mercenaires[62]. Mais, ne
pouvant se maintenir à Sicyone, il se rendit à Thèbes pour y renouer des
relations, et fut égorgé dans Les complications du Péloponnèse s'accrurent encore par
une nouvelle immixtion de la part d'Athènes. Les Athéniens en effet perdirent
à cette époque Oropos[65], ville frontière
située à l'embouchure de l'Asopos, qui était de temps immémorial un sujet de
litige et qui, pour les communications avec l'Eubée, était pour eux un poste
presque indispensable. Ils avaient perdu la ville dans la guerre de Décélie,
puis en avaient repris possession après la paix d'Antalcidas. Mais depuis que
les hommes d'État de Thèbes visaient à rétablir et à unifier Cet incident provoqua dans Athènes la plus profonde irritation, non seulement contre Thèbes, mais tout autant contre les alliés d'Athènes, notamment contre Sparte, dont, pour prix de l'assistance prêtée, on se voyait tout à fait abandonné. Ce sentiment l'emporta au point que les Athéniens ne se bornèrent pas à retirer leurs troupes auxiliaires du Péloponnèse (ce qui eut lieu immédiatement après l'explosion des troubles à Argos), mais qu'ils prirent même une attitude hostile à l'égard de Sparte et secondèrent ainsi indirectement les Thébains. Les Athéniens revinrent à l'idée de profiter de la
faiblesse de Sparte pour jouer dans le Péloponnèse un rôle à part et prendre
pied solidement dans le nord de Les Arcadiens, menés par Lycomède, s'étaient à peine
aperçus du changement de la politique athénienne, qu'ils saisirent avidement
cette occasion de rompre avec Thèbes une alliance qui leur pesait. L'autorité
fédérale d'Arcadie, à l'instigation de Lycomède, proposa une alliance aux
Athéniens, et ceux-ci acquiescèrent, sans pour cela dénoncer la leur aux
Spartiates[69].
Ils étaient donc simultanément alliés avec Sparte et l'Arcadie, et de même
les Arcadiens étaient à la fois les alliés de Thèbes et d'Athènes, qui était
en querelle ouverte avec Thèbes. En outre, l'ancienne guerre de frontières
dans les montagnes entre Mégalopolis et Depuis longtemps une profonde animosité régnait entre les deux États. Les Éléens se voyaient déçus dans leur projet de recouvrer Lépréon, et les Arcadiens n'avaient pas oublié la joie maligne qu'avaient témoignée les Éléens lors de la victoire sans larmes d'Archidamos, non plus que la préférence dont ceux-ci avaient été l'objet à la cour d'Artaxerxès. Ils ne voulaient pas restituer le pays de Triphylie avec Lépréon, qui s'était volontairement annexé : au contraire, ils jetaient des regards pleins de convoitise sur les autres territoires de la riche contrée voisine, et surtout sur les trésors d'Olympie ; ils espéraient pouvoir réduire l'Élide ouverte, d'autant plus aisément qu'il y avait dans le pays un parti favorable à leur cause qui gagnait chaque jour plus d'influence. Mais c'est justement pour cette raison que le parti hostile à la démocratie arcadienne, pendant qu'il était encore au pouvoir, poussait à une action décisive. Les Éléens se mettent en campagne et prennent Lasion[71], une localité située dans les montagnes aux sources du Pénéios, et qui avait fait défection pour se rallier à l'Arcadie ; mais ils sont repoussés par les Arcadiens, dont les troupes menacent jusqu'à la capitale et se portent' sur les hauteurs au-dessus d'Olympie. Les Éléens tombèrent dans la situation la plus critique.
Ils n'avaient pas d'autre secours que des bandes de volontaires achéens[72] qui couvraient
leur ville, tandis que le parti démocratique se détachait violemment de la
cause nationale et, après une vaine tentative sur l'acropole d'Élis,
s'emparait de l'importante ville de Pylos, sur les derrières de la capitale[73] Dans cette
détresse, il ne resta plus aux Éléens qu'à se tourner vers Sparte, et là on
avait toutes sortes de motifs pour ne pas repousser leurs sollicitations. On
ressentait depuis longtemps avec douleur la perte de l'influence à Olympie ;
on avait été condamné à voir proclamer, à la dernière olympiade (368 : Ol. CIII)[74], le premier
vainqueur messénien, Damiscos, et l'indépendance de Les Éléens provoquèrent dans ce but une incursion d'Archidamos dans la région montagneuse de l'Arcadie, où l'on occupa Cromnos[75], et, aussitôt délivrés des troupes étrangères, ils se mirent à l'œuvre pour reconquérir les places de leur propre pays conquises par les démocrates. Mais, comme les troupes arcadiennes revinrent plus rapidement qu'on ne pouvait s'y attendre et tirèrent parti d'une forte position à Olympie pour y célébrer les fêtes sous la protection de leurs armes à l'époque traditionnelle, à la première pleine lune après le solstice, les Éléens s'avancèrent avec les Achéens, pour avoir au moins la satisfaction de ne pas laisser se passer sans trouble cette solennité olympique révolutionnaire[76]. Ainsi, pour la première fois, lors de cette fête à
l'approche de laquelle d'ordinaire on posait les armes dans Les Arcadiens croyaient avoir atteint un grand résultat. Ils étaient maintenant la puissance protectrice d'Olympie ; ils possédaient les privilèges auxquels Sparte avait toujours attaché un prix particulier : en même temps, comme les Pisates ne constituaient pas une puissance, ils tenaient entre leurs mains le sanctuaire lui-même avec tous ses trésors. Leurs ennemis, Sparte et Élis, n'auraient pu en vérité être plus sensiblement humiliés. Mais ce succès ne porta bonheur à personne, et à peine fut-on maître des trésors du temple, qu'ils donnèrent sujet à un démêlé sanglant entre les vainqueurs. Les chefs arcadiens y avaient promptement porté la main pour pouvoir payer à leurs troupes l'arriéré de la solde. Il n'existait pas chez eux de Trésor public ; on en était donc réduit aux gains des expéditions, et les chefs ne virent pas de motifs pour considérer le butin fait sur les Éléens d'un autre œil que tout autre. L'autorité fédérale approuva, cette conduite, et ce fut pour tous ceux qui désiraient réellement l'unité politique un incalculable avantage que de pouvoir utiliser le trésor du temple comme Trésor fédéral, et d'entretenir ainsi l'armée de la confédération sans dépendre des contributions des divers États. Par ce moyen, et par ce moyen seulement, le gouvernement central pouvait acquérir un pouvoir solide. Mais ce projet même fournissait déjà matière à protestation de la part de ceux qui ne voulaient pas voir se consolider ainsi la confédération, et à l'appui de cette protestation, on pouvait assurément faire intervenir de la façon la plus énergique les scrupules religieux ; car vider le trésor sacré était en somme un acte plus criminel encore que mettre la main sur des offrandes apportées jadis aux dieux sur des vaisseaux ennemis. Ceux qui firent opposition cette fois furent surtout les Mantinéens, chez qui évidemment le parti aristocratique, défenseur de l'indépendance communale, avait repris des forces après la mort de Lycomède. Les Mantinéens se déclarèrent contre l'emploi des fonds du temple ; ils envoyèrent à leur contingent sa solde tirée de la caisse publique et répudièrent solennellement toute participation à cette impiété. Le gouvernement fédéral, par contre, demanda raison de cette rébellion aux magistrats de la cité, les condamna et envoya des troupes pour réduire cette ville réfractaire ; mais les Mantinéens ne les laissèrent pas entrer chez eux, et, comme la rigueur ne produisit absolument aucun effet, il s'ensuivit bientôt un très sensible changement de dispositions dans le pays arcadien. L'impuissance de l'autorité centrale parut au jour, et nombre de petites républiques osèrent alors s'associer aux Mantinéens. Dans un peuple de mœurs si primitives, bien des âmes, par suite de la spoliation du temple, furent agitées d'un sentiment d'inquiétude ; elles ne voulaient pas charger leur conscience ; elles appréhendaient que la profanation du sanctuaire ne fût punie sur elles et leurs enfants, et cette crainte alla si loin que, dans la grande assemblée fédérale, la majorité des voix décida qu'on s'abstiendrait de toucher aux fonds du temple. La conséquence immédiate en fut que les indigents quittèrent l'armée, mais que les plus aisés demeurèrent. Ils s'offrirent à servir en volontaires, engagèrent leurs amis à entrer aussi comme volontaires dans la milice fédérale, et tout ce manège aboutit à ce que les fils des riches familles formèrent le noyau de l'armée ; c'était une réaction aristocratique concertée à Mantinée contre les principes de la démocratie, sur lesquels était édifié tout le système politique de la nouvelle Arcadie ; c'était en même temps un moyen de paralyser complètement l'autorité centrale, qui dépendait désormais absolument du bon vouloir des divers États ; c'était une victoire décisive du particularisme. Lycomède, qui était mort aussitôt après la conclusion de l'alliance avec Athènes[78], n'avait pas de successeur qui fût capable de maintenir la cohésion du parti national et d'unifier ainsi l'Arcadie. La contrée se démembra de nouveau, et, par la même occasion, l'ancien antagonisme entre Mantinée et Tégée reprit une force nouvelle. Cette fois, Mantinée devint le foyer des tendances aristocratiques et particularistes, et Tégée, où séjournait aussi une garnison béotienne, le quartier général de la démocratie et du parti fédéraliste[79]. Cette scission détermina aussi les relations extérieures. Les chefs et magistrats du peuple, qui dans l'intérêt de la confédération avaient sans scrupule poussé à la confiscation des fonds du temple, redoutaient, depuis qu'ils se trouvaient en minorité, de se voir appelés peut-être à rendre compte de leurs actes. Ils cherchèrent du secours chez les Thébains et leur firent observer que l'Arcadie était ex train de tomber aux mains des aristocrates, qui tôt ou tard la ramèneraient indubitablement sous le joug des Spartiates. A peine cette démarche fut-elle connue, qu'elle entraîna les adversaires à une contre-manifestation ; ils firent passer un arrêt de l'assemblée générale d'Arcadie qui représentait la précédente députation comme dépourvue de tout mandat régulier et répudiait l'intervention étrangère[80] ; on veillait, du reste, avec le plus grand soin, à éviter tout ce qui pouvait servir de prétexte à une intervention. A l'instigation des Mantinéens, on opéra avec l'Élide une réconciliation qui impliquait de la part de l'Arcadie une renonciation complète à tous droits sur Olympie[81] La confédération arcadienne fut restaurée en apparence, et, pour bien dépiter les Thébains, on choisit précisément Tégée, la station des troupes béotiennes, pour y célébrer une fête solennelle en l'honneur de la paix. Des députés de tous les cantons y furent présents, et il est permis de supposer que les nouveaux règlements fédéraux furent rédigés dans le sens des intérêts du parti aristocratique. Mais, tandis que la foule inaugurait sans arrière-pensée cette fête de la fraternité, le parti adverse machinait un perfide complot. C'étaient les mêmes individus qui appréhendaient toujours pour leur sûreté personnelle et qui par eux-mêmes n'avaient aucune chance de recouvrer le pouvoir. Ils se rapprochent donc du commandant thébain, témoin très mortifié de la fête ; ils lui placent sous les yeux les conséquences dangereuses d'une réaction aristocratique s'affermissant de plus en plus ; ils réussissent à lui représenter toute cette fête comme un affront manifeste à Thèbes, et, peut-être par suite de troubles et d'excès fomentés avec préméditation, le décident, lui qui venait de prêter serment comme les autres à la paix, à faire fermer subitement vers le soir les portes de la ville et à emprisonner les meneurs les plus considérables des Arcadiens réunis à Tégée. On espérait par ce moyen s'emparer de tous les chefs du parti aristocratique, et surtout des Mantinéens, et pouvoir étouffer une fois pour toutes l'agitation anti-thébaine. Mais le coup de main se termina fort mal, car les Mantinéens précisément étaient déjà sortis en masse avant la fermeture des portes pour retourner chez eux, et à leur place on avait rempli la prison et la salle du Conseil de gens en grande partie insignifiants[82]. Alors se produisit le contraire de ce qu'avaient espéré les auteurs du coup de main. Le parti national s'était mis dans son tort ; à son instigation, Thèbes avait enfreint la paix jurée. Aussi, au lieu d'être humiliée et découragée, Mantinée alors entre en action avec le véritable sentiment de sa force et la conscience de son bon droit : elle députa à tous les cantons, marcha avec son armée de citoyens sur Tégée et réclama l'élargissement des prisonniers, en se portant garante que tous ceux contre lesquels s'élevait un sujet de plainte auraient à se justifier devant le tribunal fédéral. Le commandant thébain, qui n'avait que trois cents hommes avec lui, et qu'entourait une population surexcitée, se trouva dans la plus grande perplexité. Il n'ose pas rejeter la réclamation ; il relâche tous les captifs, et le lendemain, dans une assemblée d'Arcadiens convoquée tout exprès, il prononce un discours pour s'excuser, en alléguant qu'il avait été informé de la présence de troupes lacédémoniennes à la frontière et de machinations de la part de quelques traîtres. Mais les Mantinéens, non contents de cette humiliation, envoient à Thèbes et exigent l'exécution du général pour une violation aussi inqualifiable de la paix. Tels furent les événements du Péloponnèse, depuis les fêtes d'Olympie dans l'été 364 jusqu'au printemps de l'année 362. Tout dépendait maintenant de la façon dont à Thèbes on prendrait ces incidents. Les Thébains, depuis leur troisième expédition dans le
Péloponnèse, avaient été occupés d'affaires toutes différentes, aussi bien
sur terre que sur mer. Car si l'on voulait faire une vérité du désarmement
d'Athènes visé dans la dernière paix avec Malgré les protestations de Ménéclidas, qui dans ce cas eut l'heureuse fortune de plaider contre l'homme d'État philosophe la nécessité d'une sage modération[84], il fit passer ses propositions relatives à la construction d'une flotte et à l'établissement de chantiers, et dans cette œuvre on procéda avec une énergie qui éveilla la plus vive admiration. Car, dès l'année 363, la première flotte de Thèbes put mettre à la voile, flotte assez forte pour repousser les Athéniens, qui voulaient l'arrêter dans les eaux de l'Eubée, et pour traverser victorieusement l'Archipel du nord au sud. Cette première entrée en scène de la jeune puissance maritime fut accompagnée de succès décisifs, car les grandes villes maritimes étaient toutes disposées à se détacher d'Athènes dans cette occasion. Rhodes, Chios et Byzance se rallièrent aux Thébains[85]. A ces armements se rattachent étroitement les entreprises
dans La haine qu'inspirait Alexandre fut son plus précieux allié. A peine eut-il franchi la frontière, que tout le peuple afflua vers lui. Il marcha de ville en ville en libérateur. Près de Pharsale, sur les hauteurs de Cynocéphales, l'attendait' avec des forces numériquement doubles le tyran de Phères. Pélopidas se précipite en avant. Il aperçoit Alexandre, et dès lors rien ne le retient de charger avec un courage téméraire la garde du corps, pour abattre de sa propre main au milieu d'elle le tyran détesté. Mais, avant d'atteindre son adversaire qui recule, il tombe à terre percé par les lances des mercenaires. Les siens se ruent derrière lui, et vengent sa mort par une victoire complète[89]. Le résultat fut qu'Alexandre se vit limité au territoire de sa ville et obligé de fournir un contingent[90]. Le principal avantage de cette victoire si chèrement achetée consista en ce que les liens entre Phères et Athènes se rompirent, en ce que désormais les bâtiments corsaires du tyran durent contribuer pour une bonne part à ébranler l'empire maritime d'Athènes et lui infligèrent, dans l'Archipel comme sur ses propres côtes, des dommages considérables. Ces événements coïncident avec l'époque où Épaminondas se montra pour la première fois dans la mer Égée avec une flotte béotienne. Tels étaient les progrès qu'avait accomplis la puissance thébaine, dans le nord et sur mer, quand arrivèrent les envoyés d'Arcadie pour réclamer le châtiment du gouverneur de Tégée. Épaminondas était placé comme généralissime à là tète de l'État ; il était à l'apogée de son prestige ; ses concitoyens sentaient plus clairement que jamais ce qu'ils étaient devenus grâce à lui, et lui-même était résolu à agir maintenant dans le Péloponnèse avec toute son énergie. Il avait espéré, avec le concours de la grande majorité des républiques péloponnésiennes, briser la domination de Sparte sans livrer de combats sanglants ; l'attitude incertaine de ses alliés, la crainte jalouse des Péloponnésiens pour leur indépendance, l'immixtion d'Athènes avaient déjoué ses plans. Mantinée, sur laquelle il avait toujours particulièrement compté, était le quartier général de ses adversaires. Il ne lui restait plus qu'à rassembler les débris du parti thébain et à terrasser la résistance de ses adversaires. C'est pourquoi il fit aux députés une réponse sévère et dure, telle qu'on n'en avait jamais entendu sortir de sa bouche. Le gouverneur dont on réclamait la punition avait (c'est ainsi que sont rapportées ses paroles) plus convenablement agi en faisant des prisonniers qu'en les relâchant. Les Thébains, en faveur de l'Arcadie et à la requête de sa population, s'étaient imposé les plus grands sacrifices et s'étaient engagés dans des guerres pénibles ; ce n'est que grâce à Thèbes qu'il existait une Arcadie indépendante et libre. Cette conduite devait au moins lui avoir acquis assez de droits pour que les Arcadiens ne se permissent pas de passer des traités de paix et d'établir une nouvelle organisation dans leur État sans le consentement de Thèbes. Tout procédé arbitraire de cette nature constituait une violation du pacte fédéral et une trahison. Une pareille situation ne pouvait durer. Lui-même allait venir dans le pays pour se réunir à ses partisans fidèles et faire sentir sa rigueur à ses adversaires[91]. Cette sentence parvint en Arcadie et jeta le pays dans une
agitation fiévreuse. La confédération arcadienne était dissoute en fait :
deux camps s'étaient formés. Dans l'un, Mantinée prit la parole et déclara
qu'à présent du moins se-dévoilaient les intentions de Thèbes. Elle ne
méditait pas d'autre dessein que de dominer les villes arcadiennes au moyen
de gouverneurs militaires. C'est pour cela que la fête pacifique de Tégée lui
avait semblé une si rude mortification, car la désunion et la faiblesse
intérieure de l'Arcadie étaient la condition essentielle pour qu'elle pût
satisfaire son ambition[92]. La résolution
de se révolter contre cette insolence l'emporta sur toute autre
considération. On ne se fit aucun scrupule, pour ne laisser à aucun prix
Thèbes dominer dans Ainsi venaient de se former des groupes d'États tout nouveaux.
D'un côté, l'Arcadie dirigée par Mantinée avec l'Élide et l'Achaïe, alliées à
Sparte et Athènes ; de l'autre, la seconde moitié de l'Arcadie avec Tégée,
chef-lieu des cantons dévoués à Thèbes, auxquels appartenait entre autres
Mégalopolis, alliée avec Cette situation devenait à la longue intenable : on ne pouvait aboutir à un équilibre stable que par de nouvelles luttes. Il fallait une seconde victoire de Leuctres pour terrasser les États qui levaient leurs dernières forces contre Thèbes, si la patrie d'Épaminondas était destinée à prendre la direction du monde grec. On était comme dans une atmosphère accablante en attendant la sanglante journée, et les armées des Grecs se rassemblaient comme des nuées d'orage du nord et du midi vers les hauteurs de l'Arcadie[95]. Du sud vinrent les Spartiates sous Agésilas, avec tout l'effectif de leurs hommes disponibles, en remontant la vallée de l'Eurotas ; du nord, l'armée thébaine sous Épaminondas, qui avait à affronter sans son ami les plus critiques épreuves, mais qui était dans la plénitude de sa vigueur, la pensée bien fixée sur son but et le cœur haut. Il s'arrêta près de Némée, pour surprendre dans leur marche les Athéniens qu'il savait n'être pas rendus encore dans la Péninsule[96]. Mais il se laissa tromper par le bruit que cette fois les Athéniens se transporteraient par mer en Laconie : il laissa les passages libres et fit de Tégée son quartier général, où il rallia les Messéniens, les Arcadiens du sud et les Argiens, de sorte que ses forces se montèrent à 30.000 hoplites et 3.000 cavaliers. Mais il tint ses troupes à l'intérieur de la ville, si bien que l'ennemi, qui dans l'intervalle s'était posté à Mantinée, ne pouvait obtenir de renseignements sur leur force et leur composition. Tous les yeux étaient braqués sur la plaine de Tégée ; on s'attendait à une sortie soudaine parla porte nord de la ville. Mais, au lieu de ce faire, Épaminondas partit un soir, à la tombée de la nuit — c'était en plein été — avec ses troupes vers le sud. Il savait que Sparte était pour ainsi dire sans défense : son intention était d'occuper la ville et d'y dicter la paix aux Spartiates. C'est ainsi qu'il espérait dissoudre la ligue de ses adversaires et trancher sans bataille la question de l'hégémonie. L'entreprise était en bonne voie ; les ennemis ne s'apercevaient de rien. Mais sa propre armée renfermait des traîtres. Un homme du corps des Thespiens, qui servaient à contrecœur, nommé Euthynos, s'échappa de nuit et annonça dans le camp ennemi ce qui se tramait[97]. Agésilas envoya en avant un courrier à Sparte et se disposa lui-même avec toutes ses troupes à marcher au secours de sa patrie. A la pointe du jour, les Thébains descendirent dans la vallée de l'Eurotas et s'avancèrent par le pont dans l'intérieur de la ville. Ils étaient en droit de croire à la complète réussite de leur plan ; mais, dès qu'ils pénétrèrent dans les rues, ils trouvèrent, contre leur attente, tout préparé pour la défense. Archidamos était dans la ville. Sur son ordre, on ferma toutes les voies étroites par des barricades ; sur les toits se tenaient les vieillards, les femmes et les enfants, pour accabler les ennemis sous les pierres et les projectiles ; on avait démoli les habitations et les murs des jardins ; on n'avait même pas épargné les trépieds sacrés, pour utiliser tout ce qui pouvait servir à barrer les passages. Agésilas distribua ses hommes sur les points les plus importants et rivalisa avec son fils de dévouement personnel pour le salut de la patrie. C'était la seconde fois que les Spartiates combattaient pour leurs propres foyers, et de nouveau Épaminondas dut faire l'expérience qu'à maints égards il est plus difficile de forcer une ville ouverte qu'une ville fortifiée. La petite troupe spartiate eût été hors d'état de garnir une muraille, et, quand une enceinte est forcée par un côté, la place est généralement perdue, parce qu'on parvient rarement à rassembler de nouveau les défenseurs à l'intérieur de la ville. D'autre part, une muraille avec ses tours offre aux assiégeants, dès qu'ils ont pénétré sur un point, de solides points de repère et des abris. Mais, dans une ville ouverte et étendue comme Sparte, le combat se morcelait fatalement en une série d'engagements isolés, difficiles à embrasser d'un coup d'œil, plus difficiles encore à diriger, et qui se livraient dans les conditions les plus défavorables, de sorte que même des succès sur des points isolés n'avaient pas de véritable importance. Épaminondas pénétra heureusement avec son corps jusque sur le marché, d'où partaient les principales voies vers les différents quartiers : il occupa aussi quelques hauteurs de la rive droite du fleuve. Mais, en d'autres endroits, les détachements qui s'étaient avancés furent de nouveau irrésistiblement repoussés vers le fleuve par l'impétuosité des Spartiates, et avec de grandes pertes. Aucun soulèvement des hilotes et des périèques en faveur de Thèbes n'éclata ; par contre, il fallait s'attendre d'heure en heure à voir arriver d'Arcadie des renforts envoyés par les alliés de Sparte. Dans ces conjonctures, un séjour prolongé n'était pas prudent pour Épaminondas. Son plan d'occuper Sparte avant l'arrivée d'Agésilas était déjoué ; et, comme il ne pouvait songer à attendre l'ennemi dans la difficultueuse vallée de l'Eurotas, il prit la résolution de retourner promptement en Arcadie, sachant que l'autre quartier général de ses adversaires, Mantinée, se trouvait actuellement dégarni de troupes, et espérant effectuer un second coup de main avec un meilleur succès. Il fit donc entretenir les feux de bivouac sur les hauteurs de la rive gauche de l'Eurotas, pour faire croire aux Spartiates que le combat allait recommencer le lendemain matin, tandis que lui-même, à la tombée de la nuit, se retira à la dérobée avec le gros de son effectif et revint en Arcadie par divers chemins[98]. Le lendemain, il laissa l'infanterie se reposer à Tégée, mais il envoya sans retard la cavalerie en avant sur le territoire de Mantinée, dont les citoyens pour la plupart se trouvaient hors de la ville, profitant de la trêve qui leur était accordée contre toute attente pour récolter leur moisson. L'apparition subite des escadrons ennemis répandit la plus grande consternation. Non seulement leur moisson et leurs troupeaux, avec un grand nombre d'ouvriers, de femmes et d'enfants qui étaient aux champs, mais la ville elle-même courait le plus grand danger[99]. Mais à la même heure où une partie des citoyens pleins d'anxiété se précipitaient dans la ville pour annoncer le péril, arrivaient inopinément les auxiliaires athéniens qui avaient passé sans être inquiétés derrière les Thébains les défilés abandonnés par Épaminondas ; en tout 6.000 hommes, sous le commandement d'Hégésilaos[100]. La cavalerie n'avait pas encore eu le temps de se refaire de la marche de nuit par du repos et de la nourriture ; mais, dans une circonstance aussi urgente, elle se tint prête à marcher en avant sans délai, et sa charge contre la cavalerie supérieure en nombre des Thébains et des Thessaliens fut si bien conduite et si vigoureuse, que ces derniers, après un chaud engagement, durent reculer sur Tégée, l'infanterie manquant pour appuyer leur opération[101]. Ainsi les Mantinéens se virent sauvés, eux et leur ville, et le second plan de campagne d'Épaminondas, quoique bien conçu, fut complètement déjoué par des circonstances qu'aucune sagacité humaine ne pouvait prévoir. Le courage du général ne fléchit pas sous ces échecs. Il avait voulu éviter une bataille sanglante : ce projet avait avorté. Maintenant une bataille en rase campagne s'imposait ; et c'est en rase campagne qu'il se sentait le plus sûr de sa supériorité. Ses troupes n'étaient nullement découragées par ces infructueuses marches forcées : elles suivaient allègrement leur chef. Cette disposition se manifestait surtout chez les Arcadiens, parmi lesquels régnait d'ordinaire tant d'aversion contre Thèbes, et c'est un témoignage remarquable de la grandeur d'Épaminondas considéré comme général, que ces derniers, gagnés par l'attrait de sa personne, aient voulu même devenir Thébains. Ils mirent sur leurs boucliers les armoiries de Thèbes, la massue d'Héraclès[102], et se préparèrent à la bataille comme à une fête. Épaminondas ne put ajourner la bataille ; probablement une partie des confédérés ne s'étaient engagés que pour un temps déterminé[103]. Il s'avança avec toutes ses troupes de Tégée à travers la forêt de Pélagos sur le territoire ennemi ; mais, au lieu de marcher en droite ligne sur les ennemis, qui s'étaient déjà concentrés devant Mantinée au grand complet, il tourna à gauche vers les hauteurs qui bordent la plaine au nord. Là, il fit halte, ordonna de déposer les armes et feignit de dresser un camp. Les ennemis, qui s'étaient déjà rangés en ordre de bataille complet lorsqu'Épaminondas avait débouché de la forêt, conclurent de son mouvement de conversion qu'il voulait éviter une bataille : ils rompirent donc les rangs et dessellèrent les chevaux[104]. Mais Épaminondas n'avait choisi cette position éloignée que pour abuser l'ennemi et pour préparer l'attaque sans qu'il s'en aperçût. Avec l'élite des Thébains et des Arcadiens il composa l'aile gauche, qui devait décider du sort de la bataille. Il lui donna cette disposition profonde, en forme de coin, faite pour défoncer la ligne ennemie, tandis que le centre et l'aile droite étaient destinés à occuper l'ennemi, pour le mettre hors d'état de se porter au secours du point visé par l'attaque principale. Dans ce but, il avait encore, à l'extrémité de l'aile droite placé une division spéciale d'Eubéens et de mercenaires, chargés de menacer par le flanc l'aile gauche de l'ennemi et d'entraver la liberté de ses mouvements[105]. Quand tout fut prêt, on donna le signal. La cavalerie qui, massée aussi en forme de coin[106], était rangée à côté de la colonne d'attaque, s'avance d'abord, pour surprendre les ennemis. En toute hâte et en grand tumulte, ceux-ci courent aux armes : chacun cherche sa place ; on selle les chevaux, et la cavalerie spartiate se déploie en large masse pour ramener les Thébains qui fondent sur ses ailes. Vains efforts ! Les Thébains enfoncent la ligne, dispersent les ennemis et les rejettent sur l'infanterie[107]. Jusqu'alors on croyait n'avoir affaire qu'a une attaque de cavalerie, chargée de réparer l'échec subi les jours précédents. Mais tout à coup on vit s'avancer du pied des hauteurs l'armée entière, et Épaminondas lui-même à la tête de l'aile qui s'élançait au pas de charge . Les Mantinéens et leurs alliés se placèrent du mieux qu'ils purent. Ils formaient ensemble une ligne oblique à travers la plaine, tournant le dos à la ville qu'ils avaient à couvrir. A l'aile droite se tenaient les Mantinéens, avec les autres Arcadiens. Conformément au dernier traité, ils exerçaient le commandement. Les Lacédémoniens se joignirent à eux, puis les Éléens et les Achéens. L'aile gauche se composait de 6.000 Athéniens. En tout, ils ont dû compter 20.000 hommes d'infanterie et 2.000 cavaliers, infériorité numérique sensible par rapport à l'effectif de l'ennemi. Il ne leur manquait ni le courage ni l'ardeur guerrière, mais bien un chef capable de se mesurer avec la science militaire d'un Épaminondas. Ils n'avaient pas de plan arrêté et facilitaient à l'adversaire l'exécution du sien par leur vaste déploiement. Lorsque la colonne ennemie s'enfonça dans l'aile droite, elle ne rencontra aucune résistance. L'aile tout entière se débanda et entraîna le centre dans la confusion. La bataille était gagnée par les Thébains dès qu'elle eut commencé[108]. Mais à peine la victoire était-elle décidée, que les vainqueurs perdirent de nouveau tous leurs avantages : Épaminondas s'était engagé trop témérairement dans la mêlée : grièvement atteint, il fallut le transporter hors du champ de bataille[109]. Pendant quelque temps, les Thébains maintinrent encore leur avantage incontesté ; mais bientôt, les troupes se sentant sans direction, la poursuite s'arrête, les ennemis se rassemblent, et les Athéniens réussissent même à livrer un combat heureux à la division thébaine disposée à l'extrémité de l'aile droite. Au point où la grande plaine de Tripolitza se resserre en un étroit défilé, qui jadis marquait la frontière entre les banlieues de Mantinée et de Tégée, se détache du versant occidental de la montagne une croupe en forme de langue d'où l'œil embrasse librement toute la plaine septentrionale. Au pied s'étendait la forêt de chênes de Pélagos, qui couvrait le défilé et se prolongeait sur une bonne lieue dans la direction de Mantinée. Cette croupe s'appelait Scopa, le poste d'observation[110] ; les Tégéates, dans leurs fréquentes querelles de frontières, s'en étaient servis à coup sûr souvent pour observer lés mouvements de l'ennemi. Ce fut la place où l'on porta Épaminondas ; là le blessé reprit encore une fois toute sa connaissance et se réjouit quand des compagnons fidèles lui rapportèrent son bouclier qui lui avait échappé pendant la mêlée ; il apprit encore la nouvelle de la victoire et fut sur le point d'expédier à ses lieutenants Iolaïdas et Diophantos ses instructions sur la manière d'user de la victoire. Mais, comme on lui annonça qu'eux aussi avaient succombé, il donna le conseil, qu'il légua à sa patrie comme l'expression de sa dernière volonté, de faire la paix[111]. Sans doute, il avouait ainsi que le but politique qu'il avait poursuivi n'était pas atteint et ne pouvait l'être. Mais ce sentiment ne troubla pas le calme sublime de son âme, car il avait la conscience d'avoir travaillé avec désintéressement jusqu'à la fin pour la liberté et la grandeur de son peuple. C'est avec une tranquille résignation qu'il fit arracher le fer de lance de sa poitrine et expira. De même que la terre thessalienne avait reçu son ami, les siens l'ensevelirent sur le champ de bataille de Mantinée, là où ses Thébains en étaient venus aux mains pour la première fois avec la cavalerie spartiate[112] ; de sorte que même les tombeaux des deux héros signalaient les contrées où Thèbes, que leurs vertus avaient rendue si grande, avait gagné ses victoires et montré sa puissance. Si l'on embrasse du regard la marche des événements de 379 à 362, on avouera qu'il n'y a guère dans l'histoire grecque de période où l'équilibre politique ait subi des transformations aussi rapides et radicales que dans ces dix-sept années. Une ville depuis longtemps obscure et intellectuellement
arriérée, réduite à un territoire exigu, à l'intérieur des terres,
étroitement entourée dans sa propre contrée des voisins les plus hostiles,
déchirée par les partis, puis complètement abattue par Sparte, s'élève en un
court espace de temps, parle déploiement de son énergie propre, à la
condition de centre d'un État qui abaisse entièrement la puissance militaire
alors dominante en Grèce, lui arrache la moitié de ses possessions
continentales, suscite dans le Péloponnèse des villes et des États nouveaux,
contraint La politique de Thèbes n'était pas neuve en soi ; elle
rappelait au contraire l'antagonisme ancien, rajeuni seulement par la forme
nouvelle que prit la lutte : c'était toujours l'opposition aux prétentions de
Sparte, qui tendait perpétuellement à redevenir maîtresse de On retrouve aussi une conformité remarquable, jusque dans les détails, dans la façon dont s'est formée la puissance de Thèbes et celle d'Athènes ; il y a seulement cette différence que l'histoire thébaine concentre en une courte série d'années ce que la croissance graduelle d'Athènes déroule à travers des siècles. C'est ainsi que les deux cités ont fondé leur grandeur sur la réunion de leur contrée en un seul territoire politique. Puis, dans les deux États, la chute d'une domination illégale a marqué le début d'une ère nouvelle. De même qu'Athènes, les Thébains, polir se montrer à la hauteur de leur nouvelle mission, ont senti la nécessité plus impérieuse d'une culture plus variée et plus haute, et de même qu'Athènes a tiré les éléments de sa civilisation des îles et de l'Asie-Mineure, de même Thèbes les a tirés d'Athènes et de l'Asie-Mineure. Les deux États durent éprouver dans la lutte leur jeune
liberté et l'essor intellectuel qui s'y liait, et tout d'abord, dans une
lutte de légitime défense contre les tentatives faites pour leur imposer de
nouveau le joug de la tyrannie. Leuctres fut le Marathon des Thébains. La
guerre défensive se changea en guerre offensive, parce qu'on ne pouvait
obtenir de sûreté réelle qu'en allant chercher l'ennemi sur son propre
territoire, qu'en affranchissant aussi les autres Hellènes opprimés par lui
et qu'en le mettant dans l'impuissance de poursuivre sa politique
d'oppression. Thèbes se fit, comme Athènes, le champion de la liberté
nationale, en combattant un système de despotisme égoïste dont le joug
opprimait Quand de petits États sortent de leur sphère limitée pour se charger de grandes missions, cette entreprise ne peut réussir que sous les auspices de quelques hommes qui, par la force de leur volonté et les dons de leur intelligence, se distinguent dans la nation. Thèbes, au temps de son élévation, comptait bon nombre d'hommes aux aspirations élevées, capables de tout sacrifier à d'importants desseins ; pourtant sa grandeur reposa sur deux personnages, qui durent réaliser à eux seuls ce que la brillante série des hommes d'État athéniens firent pour leur patrie. Pélopidas était le champion d'avant-garde, le héros qui frayait la voie, qui, comme Miltiade et Cimon, accomplissait les tâches pressantes, avec une entière énergie. Épaminondas, au contraire, était l'homme d'État, plus perspicace, qui organisait l'État au dedans et réglait ses relations extérieures d'après un plan réfléchi : il posa les bases de sa puissance, comme avaient fait Thémistocle et Aristide pour Athènes, et la maintint, tant qu'il vécut, par la force de son génie, comme un autre Périclès. En effet, on trouverait difficilement dans toute l'histoire grecque deux hommes d'État qui, en dépit de toutes les différences de caractère et de condition extérieure, offrent dans leurs aspirations et leur destinée autant de ressemblance et une si intime conformité que Périclès et Épaminondas. Chez ces deux hommes, c'est leur culture si haute et variée qui est la raison même de leur ascendant ; c'est la passion pour la science, pénétrant et ennoblissant toute leur vie, qui leur donne leur supériorité intellectuelle. Thèbes, dit le rhéteur Alcidamas, fut heureuse dès qu'elle eut des philosophes pour la gouverner[113]. Nous découvrons donc aussi à Thèbes, au sein d'un régime
démocratique, une direction tout aristocratique, un pouvoir personnel aux
mains de l'homme qui est le premier par l'intelligence. Épaminondas aussi
gouverne son pays, comme l'homme de confiance du peuple, à titre de stratège
réélu d'année en année. Dans cette position, il eut à éprouver l'inconstance
de ses concitoyens et l'hostilité d'une opposition qui considère l'égalité
garantie par L'homme d'État athénien se trouva isolé par le fait de la peste, qui enleva l'élite de la génération précédente. Épaminondas fut toujours seul. Ce qui fait incontestablement la grande différence dans l'œuvre des deux hommes d'État, c'est qu'Athènes, la ville de Périclès, était, grâce à un développement graduel et intime, mûre pour le régime auquel il avait l'ambition de l'amener, tandis que Thèbes avait à réparer en un délai des plus courts une longue incurie. C'est pourquoi, d'une part, le personnage d'Épaminondas excite encore bien plus d'étonnement ; son caractère apparaît encore plus original, son énergie plus héroïque : d'autre part, le spectacle de la grandeur de Thèbes donne dès l'origine l'impression de l'imprévu, le sentiment d'un bouleversement dont on n'augure pas de résultat durable, d'une surexcitation des forces que suivra inévitablement une détente d'autant plus grande. Tandis que Périclès, avec toute sa supériorité, restait pourtant essentiellement sur le terrain de la civilisation athénienne, Épaminondas était en quelque sorte un étranger dans sa ville natale : il ne voulait pas non plus être Thébain dans le sens où Périclès était Athénien ; le but de sa vie était plutôt de devenir un Hellène complet : ses aspirations politiques ne tendaient qu'à initier ses concitoyens au véritable hellénisme, qui consistait dans la vertu civique et l'amour de la sagesse[115]. La philosophie avait opéré sur lui comme une force qui l'avait transformé, sans lui faire quitter cependant le terrain du génie national. A sa dernière heure encore, quand il se réjouissait de voir son bouclier sauvé, il se mouftait un véritable Hellène. De même il considérait aussi, à un point de vue vraiment grec, la guerre contre Sparte et Athènes comme une lutte poursuivie pour l'honneur de l'hégémonie en Grèce, honneur qui ne pouvait être légitimement conquis que par une supériorité intellectuelle et morale. La lutte, était inévitable ; elle avait pris le caractère d'un devoir national, parce que la domination de Sparte avait dégénéré en une tyrannie déshonorante pour le peuple grec. Durant la lutte, jamais Épaminondas n'a démenti son patriotisme hellénique ; il ne s'est jamais laissé guider par les intérêts de sa ville natale au même degré que Thémistocle et Périclès. Sa douceur envers Sparte lui valut les plus rudes attaques de la part de ses compatriotes ; il ne put jamais oublier dans l'adversaire le frère d'origine. Aussi évita-t-il les dénouements sanglants tant qu'il put, et toutes ses expéditions, dans le Péloponnèse comme en Thessalie, n'ont jamais été provoquées par l'ambition ou la vengeance, mais par les motifs les mieux déterminés et les plus pressants. Il ne songea non plus jamais à anéantir Sparte, comme Sparte en avait eu l'intention à l'égard de Thèbes ; il voulait se borner à mettre cet État antinational dans l'impuissance de nuire. Dans ce but, il employa les plus nobles moyens, surtout en se faisant fondateur de villes. C'est dans les villes qu'étaient parvenues à maturité
toutes les institutions qui distinguaient les Hellènes entre toutes les
nations ; la dissolution d'une cité constituait donc le plus sensible
déshonneur et la pire violence qui pût frapper une tribu grecque. Sparte,
dans son égoïsme, n'hésita pas à affermir sa puissance en anéantissant des
centres urbains ou empêchant une tribu de se grouper dans une ville : elle
n'était capable que de prendre partout, mais non de donner ; d'entraver, mais
non de faire avancer. Épaminondas, par contre, suivit une politique
véritablement hellénique, en regardant comme sa mission de restaurer les
États détruits, d'aider les communes encore mineures à faire l'apprentissage
de l'autonomie civique et de créer des centres nouveaux de vie historique.
Son dessein n'était pas de contraindre les Hellènes à se grouper en un État
unique ; au contraire, le plus dur châtiment qu'il infligea aux Spartiates
fut précisément de faire pour sa part une vérité de l'autonomie des
républiques grecques, proclamée par eux, mais qui n'avait été dans leur
bouche qu'une phrase hypocrite : en effet, sur la base de la paix
d'Antalcidas, il rétablit Vu la difficulté de cette tâche, il usa de tous les moyens
légitimes pour affermir l'autorité de sa patrie. Il entra dans ce dessein en
relation avec Delphes et aussi avec Jusqu'à quel point Épaminondas aurait-il réussi à assurer
aux Thébains la direction durable des affaires grecques, c'est ce dont
personne ne peut juger. Il succomba dans toute la vigueur de l'âge., sur le
champ de bataille où les États hostiles à sa politique avaient appelé leurs
dernières forces ; Aussi n'y a-t-il pas d'homme d'État qu'on soit en droit de juger moins que lui d'après les résultats de sa politique. Sa grandeur consiste dans ses efforts incessamment poursuivis dès l'enfance pour être aux yeux de ses concitoyens un modèle de la vertu hellénique, dans sa constance à ne jamais se laisser détourner de ses aspirations par aucune difficulté ni aucunes méprises, à ne jamais se laisser entraîner à profaner de nobles fins par des moyens impurs. Chaste et détaché de lui-même, il traversa, toujours semblable à lui-même, une vie agitée, toutes les tentations d'une fortune militaire sans exemple, toutes les épreuves et toutes les disgrâces. Il repoussa fièrement les offres du tyran Jason qui avait grande envie de le faire coopérer à ses plans[116] ; il vécut dans une pauvreté volontaire, et ne rechercha pas d'autre plaisir que celui qu'il tirait de l'accomplissement fidèle d'une mission profondément sentie et du commerce de ses amis. L'amitié était pour les Hellènes, et surtout pour les Pythagoriciens, non seulement un ornement de la vie, un bien précieux, mais une vertu, sans laquelle on ne pouvait imaginer une vie véritablement humaine. Cette conception si purement grecque, personne ne raptus profondément saisie et appliquée qu'Épaminondas, qui reconnaissait dans l'intime fraternité de tous les hommes animés des mêmes sentiments le moyen capital d'élever sa patrie à, un échelon supérieur de culture et de puissance, et qui, au sein de la grande fédération, forma avec son Pélopidas un couple d'amis tels que le monde grec n'en vit jamais auparavant ni dans la suite. Ils se tenaient l'un à côté de l'autre, sans jalousie, avec un inviolable dévouement, l'un complétant et animant l'autre dans leur commune mission. Pélopidas restait en contact plus direct avec le monde, avec les hommes, que le grave et austère Épaminondas ; il était plus populaire que celui-ci, et sans aucun doute il travailla activement à faire apprécier du grand public le mérite de son ami. Il avait été son précurseur lors du hardi coup de main contre les tyrans ; il se rallia ensuite tout à fait à la manière de son ami et se subordonna avec une affectueuse modestie à ce génie supérieur. Il fut l'homme d'action, qui concourut avec une assurance pleine d'entrain à l'exécution des idées d'Épaminondas. Les relations incomplètes des anciens ne mentionnent que les résultats extérieurs de la politique thébaine. Notre admiration s'accroîtrait, s'il nous était donné d'embrasser du regard l'activité des deux amis à l'intérieur de la république et les difficultés qu'ils eurent à y surmonter. Épaminondas ne fut pas seulement le créateur d'une organisation militaire ; il n'a pas moins révélé son génie inventif en procurant à ce petit pays, que n'enrichissaient ni le commerce ni l'industrie, les ressources suffisantes pour entretenir une armée de terre digne d'un grand État et une flotte de guerre. Il s'assimila toutes les idées fécondes des régimes
antérieurs, et les Athéniens surtout s'offrirent à ses yeux comme les modèles
et les devanciers naturels. De même qu'il appliqua dans l'intérêt de sa
patrie les progrès que Xénophon, Chabrias et Iphicrate avaient fait faire à
l'armement et à la tactique, de même que les succès d'Iphicrate
l'encouragèrent à forcer comme lui les passes de l'isthme et à attaquer les
Spartiates dans leur Péninsule, de même il apprit des Athéniens que
l'hégémonie en Grèce ne pouvait se décider que sur mer, et pareillement il
s'inspira de ce principe adopté par les fondateurs de la seconde Ligue
maritime athénienne, qu'il fallait épargner les constitutions locales des
alliés. Aussi s'opposa-t-il de la façon la plus délibérée à une propagande
politique sans ménagement, telle que la voulaient les démagogues thébains.
Enfin, Épaminondas, plus qu'aucun autre homme d'État de Lui-même fit tous ses efforts pour naturaliser la philosophie Thèbes, non comme un ingénieux amusement, cultivé dans un cercle d'élite, mais comme une force capable d'élever et d'épurer le peuple par des notions supérieures. L'éloquence publique s'acclimata à Thèbes en même temps que la liberté. constitutionnelle, et. Épaminondas non seulement se montra lui-même parfaitement à la hauteur des premiers orateurs d'Athènes, notamment de Callistratos, par l'énergie de sa parole et son heureuse présence d'esprit, mais encore, comme le prouve l'ambassade de Suse, ses amis apprirent en un espace de temps singulièrement court à défendre, à côté des autres États qui depuis longtemps pratiquaient des relations extérieures, les intérêts de Thèbes avec vigueur, talent et dignité. Dans tous les domaines se manifesta un mouvement intellectuel, un vigoureux élan pour réparer la négligence du passé. Anaxis et Dionysodoros écrivirent l'histoire de là Béotie[117]. Parmi les arts, la peinture se développa avec un bonheur particulier. Aristide fut le chef d'une école de peinture béotienne, qui fleurit à l'époque de l'affranchissement de Thèbes : elle se distinguait par une manière grave et digne, par la représentation à la fois profonde et claire de sujets d'une portée morale, et elle acquit ainsi une illustration nationale[118]. L'architecture de l'époque a laissé jusqu'à nos jours d'honorables traces dans les restes bien conservés des fortifications de Messène, construites sous la direction d'Épaminondas : ce sont des modèles d'une architecture du plus grand style. Les murs sont bâtis avec d'énormes pierres de taille ; ces blocs immenses, en partie irrégulièrement taillés, ont gardé, leur paroi extérieure raboteuse ; mais ils sont exactement ajustés et soigneusement polis sur les bords[119], si bien que le caractère de la puissance se marie avec celui de la grâce et de l'élégance. La sculpture aussi trouva un asile à Thèbes. La première
alliance entre Athènes et Thèbes fut scellée par l'art lorsqu'Alcamène
exécuta un monument dédicatoire pour Thrasybule. Au temps de la guerre de
Corinthe existait à Thèbes une école renommée de fondeurs en bronze. Parmi
eux figurent Hypatodoros et Aristogiton, qui à l'occasion du combat d'Œnoë,
érigèrent à Delphes pour les Argiens les groupes représentant les alliés de
Polynice et les Épigones[120]. Un rapide
progrès élimina les formes archaïques qui s'étaient maintenues dans l'art
comme dans la langue et l'écriture de Pourtant, la grandeur de Thèbes ne fut pas simplement un écho du passé ; malgré sa courte durée, elle a aussi une signification indépendante et a servi de modèle à l'âge suivant. Grâce à Épaminondas, Thèbes devint, comme siège d'une politique libérale et nationale, l'égale de la république athénienne. Cette évolution permit aux deux États de marcher de concert dans la lutte soutenue plus tard pour l'indépendance grecque, et en ce sens, Épaminondas a inauguré l'œuvre de Démosthène. Mais il apparaît aussi comme le devancier des rois de Macédoine dans leurs tâches les plus nobles et les plus considérables. Il a montré comment le vainqueur peut tirer de ses succès un résultat pacifique, comment, dans des contrées opprimées et des cantons ruraux, il peut éveiller une vie nouvelle et créer par l'établissement de centres urbains des monuments durables d'une influence bienfaisante. Si l'on réfléchit avec quelles ressources exiguës et dans quel court délai Épaminondas fonda ou concourut à fonder Mantinée, Messène, Mégalopolis ; comment il conduisit dans d'autres places encore, par exemple à Corone, des colons thébains, on n'osera pas lui contester l'honneur d'avoir été le devancier d'Alexandre et de ses successeurs dans l'art royal de fonder des villes. Leur devancier, il le fut encore en étendant par la diffusion de la civilisation grecque les étroites limites de la patrie, et en attirant les peuples du nord dans la sphère de l'histoire grecque. Il représentait dans sa personne l'idée d'un hellénisme qui, indépendant des accidents du milieu, planait dans les régions libres et élevées au-dessus des différences d'États et de races. Jusqu'alors on n'avait vu que des hommes d'État qui étaient de grands Athéniens ou de grands Spartiates : chez Épaminondas, cette couleur locale s'efface ; il fut d'abord Hellène et ensuite Thébain, et il prépara ainsi l'opinion à considérer l'hellénisme comme un bien intellectuel, indépendant du lieu natal, point de vue qui est précisément celui de l'époque hellénistique. C'est parce que le génie hellénique apparaît chez Épaminondas en traits plus francs et plus humains que chez les chefs d'État connus avant lui en Grèce, que sa figure fut mieux comprise des générations postérieures. Il était plus aisé de se retrouver en lui, et sa personne pouvait servir de modèle partout où demeuraient des Hellènes ou des Philhellènes. C'est ainsi que son souvenir soutint le courage des hommes qui, dans les derniers temps, tentèrent de maintenir debout l'honneur du peuple grec, Philopœmen et Polybe[124] ; et même dans le monde romain, il n'y eut pas de Grec plus apprécié qu'Épaminondas. Dans ces circonstances, ce serait un crime que de tenir son activité pour inféconde et ses hautes aspirations pour vaines. Il a essentiellement contribué à enrichir l'histoire grecque d'un fonds tout moral et d'une valeur éternelle ; il occupe dans le développement de la culture grecque une place éminente, encore que les résultats extérieurs de son activité se soient évanouis avec son dernier souffle. C'est avec une douloureuse anxiété que FIN DU QUATRIÈME VOLUME. |
[1] THUCYDIDE, I,
111.
[2] THUCYDIDE, II,
22. Cf. BUTTMANN, Mythologus, II, p. 285. MEINEKE, Monatsberichte
der Berl. Akad., 1851, p. 587.
[3] ARISTOTE, Polit., p. 219, 24.
[4]
Aristippos est soutenu par Cyrus, à condition qu'il ne fera pas la paix sans
l'agrément du prince, preuve de l'intention qu'avait Cyrus d'exercer son
influence sur les affaires de
[5] Pharsale avait une garnison spartiate en 391 (DIODORE, XIV, 82).
[6] Dans l'histoire de Lycophron, il n'y a qu'un point de repère assuré, c'est sa victoire sur les Lariséens (XÉNOPHON, Hellen., II, 3, 4). L'éclipse de soleil mentionnée ce jour-là a eu lieu le 3 septembre 404. Ce fut probablement le début de sa tyrannie (opinion que ne partage pas HAMMING, De Iasone).
[7] Μήδιος appartient, comme l'indique l'analogie de Φρύγιος, Θέσσαλος, etc., à la catégorie des noms d'emprunt, choisis à cause de leur signification politique (Cf. Monatsberichte der Berl. Akad., 1870, p. 167).
[8]
Voici l'enchaînement probable des faits. Après le départ des contingents
fournis par les tribus et conduits à l'armée de Cyrus par Ménon, il y a une
nouvelle extension de Lycophron appuyé par Sparte (Pharsale doit avoir été, prise
à frais communs), jusqu'à l'intervention des Thébains et Argiens qui, de
concert avec l'Aleuade Médios, expulsent les Lacédémoniens de Pharsale en 395
[Ol. XCVI, 2] (DIODORE, XIV, 82).
Médios fait vendre les habitants de Pharsale comme esclaves, ce qui prouve
qu'il les considérait eux aussi comme des ennemis. Les Aleuades sont de nouveau
puissants : quand Agésilas revint d'Asie,
[9]
Jason apparaît dans l'histoire de Thessalie d'une façon jusqu'ici encore
inexpliquée. Qu'il ait reçu la tyrannie en héritage, c'est ce qui paraît
vraisemblable, étant donné le nom de son fils Lycophron. Mais ce Lycophron et
ses frères (Tisiphonos et Pitholaos) étaient les fils de la femme de Jason et
simplement frères utérins de Thébé (PHOT., Bibl., p. 142). Il est donc probable que la femme
qui avait épousé en secondes noces Jason était la fille (et la fille unique) du
premier Lycophron, comme l'a fait voir PAHLE (op. cit.). Suivant la conjecture
émise par ce savant, Jason ne serait autre que le chef de partisans Prométheus,
et c'est lui qui, dès 406, à l'âge de 24 ans, aurait travaillé avec Critias
pour le compte de Lycophron. Wyttenbach avait déjà conclu à l'identité des deux
personnages, parce qu'on rapporte à tous les deux la même anecdote, celle du
meurtrier qui se trouve avoir fait sans le vouloir une opération salutaire et
guéri sa victime (VAL.
MAX., I, 8,
extr. 6. PLUTARQUE, Moral.,
p. 890.)
[10] APOLLODOR. [DEMOSTH.], In
Timoth., § 10, 22.
[11] DIODORE, XV, 60.
[12] ISOCRATE, Philipp., § 119. XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 12.
[13] Cf. XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 2 sqq. Polydamas était à Pharsale μεσίδιος άρχων (SIEVERS, Gesch. Griechenlands, p. 325).
[14] XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 18.
[15] XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 19.
[16] XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 5, 6.
[17] Jason fait alliance avec Alcétas (XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 7) et aussi avec Amyntas de Macédoine (DIODORE, XV, 60.)
[18] DIODORE, XV, 30.
[19] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 22 sqq.
[20] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 27.
[21] DIODORE, XV, 57. XÉNOPHON, ibid. Cf. WEIL, Hermes, VI, p. 384 sqq.
[22] DIODORE, ibid.
[23] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 28.
[24] XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 11. 4, 21.
[25] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 28.
[26] Sur les rapports de Jason avec Delphes, cf. C. I. GRÆC., I, p. 811. XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 29.
[27] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 30. On rencontre déjà une réponse analogue dans Hérodote (VIII, 30) et ailleurs.
[28] L'assassinat de Jason eut lieu έπιόντων Πυθίων (XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 29. DIODORE, XV, 57).
[29] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 32.
[30] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 33 sqq. Polydoros est soupçonné par quelques historiens d'avoir provoqué l'assassinat de Jason (DIODORE, XV, 60). XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 35 sqq.
[31] PLUTARQUE, Pélopidas, 28. Plus tard, il demanda la main de la veuve de son beau-père, qui doit avoir été, par conséquent, une seconde femme de Jason, et probablement une Thébaine (XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 37). On a des monnaies d'Alexandre avec des types de Phères (WEIL, Zeitschrift für Numismatik, I, [1873], p. 182). Cf. RHOUSOPOULOS, Δραχμή Άλεξάνδρου τοΰ Φεραίου (Mittheil., IV, [1879], p. 187).
[32] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 34.
[33] DIODORE, XV, 61.
[34] DIODORE, XV, 67. PLUTARQUE, Pélopidas, 26.
[35] PLUTARQUE, Pélopidas, 27. DIODORE, XV, 71.
[36] DEMOSTH., In Aristocrat., § 120. DIODORE, XV, 71. XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 28.
[37] DIODORE, XV, 71.
[38] PLUTARQUE, Pélopidas, 29. DIODORE, XV, 75.
[39] PLUTARQUE, Pélopidas, 28.
[40] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 23 sqq.
[41] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 24. Il faut dire que Xénophon traite Lycomède avec une malveillance très marquée.
[42] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 25.
[43] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 25.
[44] En 400, après la guerre d'Élide.
[45] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 26.
[46] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 29.
[47] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 29. Diodore (XV, 70) donne un motif qui n'est pas le vrai, en faisant porter le débat sur l'indépendance des villes béotiennes. Nous sommes renseignés sur la politique athénienne au congrès de Delphes par une inscription (C. I. ATTIC., II, n. 51) étudiée de près par KÖHLER (Mittheil., I, p. 13 sqq.). D'après ce texte, on considérait alors la paix d'Antalcidas, renouvelée en 371 à Sparte, comme existant toujours en droit, et les Thébains, qui ne voulaient pas la reconnaître, comme les perturbateurs du repos public. Denys et ses fils, Denys le Jeune et Hermocritos, reçoivent des éloges parce qu'ils ont appuyé l'exécution du traité de paix, et on leur décerné du même coup une couronne d'or et le droit de cité à Athènes. Denys avait, au commencement de l'été 368, envoyé une ambassade en Grèce avec une déclaration écrite, dans laquelle il prenait parti pour les décisions du congrès de Sparte : fait qui montre du même coup que le nouveau congrès, celui de Delphes, n'a pas été provoqué uniquement par Ariobarzane. C'est dans l'écrit envoyé par Denys qu'était soulevée la question περί τής ο[ίκ]οδομ[ίας τοΰ νε]ώ (ibid., lig. 9). Köhler fait remarquer qu'il est fait allusion en cet endroit à une disposition du traité de paix de 371, mentionnée également par Xénophon (Hellen., VI, 4, 2). D'après ce passage, il a dû y avoir à ce moment au temple de Delphes des travaux de reconstruction, et l'on impose aux signataires du traité comme un devoir national l'obligation d'y prendre part.
[48] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 28.
[49] Μαλέα, Μαλαία, ou même Μηδέα et Μιδέα (E. CURTIUS, Peloponnesos, I, p. 336). La première orthographe est préférable, car la région s'appelait Μαλεάτις (XÉNOPHON, Hellen., VI, 2, 24).
[50] PLUTARQUE, Agesil., 33. DIODORE, XV, 72. XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 28-32. D'après Diodore, il y aurait eu 10.000 morts. Xénophon dit qu'à Sparte tout le monde pleura, mais de joie.
[51] PLUTARQUE, Pelopid., 30. Artaxerx., 22. XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 33. Xénophon, toujours animé d'une malveillance peu honorable, mentionne ici pour la première fois le nom de Pélopidas. GROTE (XV, p. 110-111, trad. Sadous) s'appuie sur des raisons insuffisantes pour placer l'ambassade avant la captivité de Pélopidas. Cf. SCHÄFER, Demosthenes, I, p. 82. SIEVERS, Gesch. Griechenlands, p. 285. 397.
[52]
Antalcidas envoyé à Suse en 372, y retourne en 369/8, après l'invasion de
[53]
XÉNOPHON, Hellen.,
VII, 1, 36. On stipule pour Amphipolis la garantie de
[54] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 38-39.
[55] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 40.
[56] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 42.
[57] THUCYDIDE, V, 82. Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, I, p. 417.
[58] XÉNOPHON, ibid. Jusqu'à ce moment, Xénophon n'a pas encore prononcé le nom d'Épaminondas, et, s'il le nomme cette fois, c'est uniquement pour faire remarquer que les mesures prises par lui ont été désapprouvées par les Thébains.
[59] DIODORE, XV, 75. Calydon fut rendue aux Locriens.
[60] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 43.
[61] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 44 sqq. Dans la chronologie relative à Euphron, le récit de Xénophon prévaut contre le système de Diodore (XV, 70). Xénophon place le début de la tyrannie après la troisième expédition d'Épaminondas (Cf. THIRLWALL, History of Greece, V, p. 129, 1). On a des monnaies de cuivre d'Euphron (LEAKE, Num. Hell. Eur., 164).
[62] XÉNOPHON, Hellen., VII, 3, 4 sqq.
[63] XÉNOPHON, Hellen., VII, 3, 5-11.
[64] XÉNOPHON, Hellen., VII, 3, 12. Après la mort d'Euphron, non seulement l'alliance avec Thèbes fut maintenue, mais il parait bien que, consolidées par cette alliance, les réformes constitutionnelles opérées de force par Euphron ont également subsisté. Outre le nom d'Euphron, on rencontre également sur les monnaies celui d'un certain Cléandros, qui a pris part au même mouvement (Cf. R. WEIL, Zeitschrift für Numismatik, VII, p. 371 sqq.).
[65] DIODORE, XV, 76. XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 1.
[66] D'après les nouvelles scolies d'Eschine (In Ctesiph., § 85), la perte d'Oropos eut lieu dès 367/6, sous l'archontat de Polyzélos (Ol. CIII, 2). Cf. A. SCHÄFER, N. Jahrbb. für Philol., 1866, p. 26.
[67] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 4 sqq.
[68] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 6 sqq.
[69] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 2. 6.
[70] XÉNOPHON, Hellen, VII, 4, 12.
[71] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 13. DIODORE, XV, 77.
[72] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 16.
[73] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 15.
[74] PAUSANIAS, VI, 2, 19.
[75]
XÉNOPHON, Hellen.,
VII, 4, 19-27. ATHEN., p. 542.
Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, I, p. 291 sqq.
[76] Ce fut pour les Éléens une άνολυμπιάς (PAUSANIAS, VI, 22, 3).
[77] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 28-32. DIODORE, XV, 78.
[78] Il avait été assassiné à son retour d'Athènes par les bannis du parti adverse (XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 3).
[79] DIODORE, XV, 82.
[80] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 34.
[81] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 35.
[82] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 36 sqq.
[83] PLUTARQUE, Philop., 14. Cependant la proposition qu'il fit aux Thébains était, suivant Diodore, méditée de longue date (DIODORE, XV, 78).
[84] CORN. NEPOS, Epamin., 5. PLUTARQUE, De sui laude, p. 542 a.
[85]
DIODORE, XV, 79.
L'apparition de la flotte thébaine dans l'Archipel mit les alliés d'Athènes en
effervescence. A Céos, le parti anti-athénien se souleva et voulut chasser ses
adversaires : mais le mouvement fut bientôt après réprimé avec rigueur par
Chabrias et fut cause qu'Athènes rétablit, au moins partiellement, dans l'île
sa juridiction souveraine (KOUMANOUDIS, V, p. 516. KÖHLER, Mittheil., II, 112 sqq.). D'après KÖHLER (ibid.,
p. 150), le monopole de l'exportation du minium de Céos, qui se trouve plus
tard aux mains des Athéniens, doit leur avoir été attribué par les traités
conclus à cette époque. De même, d'après Isocrate (Philipp., § 53 sqq.),
l'alliance que l'on constate entre Byzance et Thèbes au temps de
[86] PLUTARQUE, Pelopid., 31.
[87] L'éclipse a eu lieu le 30 juin 364.
[88] PLUTARQUE, Pelopid., 31. DIODORE, XV, 80. D'après le calcul de Pingré, l'éclipse de soleil aurait eu lieu le 13 juillet 364 (A. SCHÄFER, Demosthenes, I, p. 109) : Dodwell la place au 30 juin.
[89] PLUTARQUE, Pelopid., 32. DIODORE, XV, 80. Pélopidas fut enterré sur le champ de bataille (PLUTARQUE, ibid., 33).
[90] PLUTARQUE, Pelopid., 35. Diodore (XV, 80) s'exprime d'une façon inexacte.
[91] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 40.
[92] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 1.
[93] XÉNOPHON, Hellen., VIII 5, 3.
[94] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 4.
[95] Les alliés de Thèbes étaient : les Eubéens, Locriens, Sicyoniens, Maliens, Ænianes, Thessaliens, Argiens, Messéniens, Arcadiens méridionaux [Tégéates, Mégalopolitains, Aséates, Pallantiens] (DIODORE, XV, 85. XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 5). Les alliés des Spartiates étaient : les Éléens, les Arcadiens du nord, les Achéens et les Athéniens (XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 18).
[96] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 7.
[97] Cet Euthynos (ou Εύώνυμος ? KEIL, Syllog. Inscr. Bœot., 213) était, d'après Callisthène, un Thespien (PLUTARQUE, Agesil., 34) ; d'après Xénophon (Hellen., VII, 5, 10), un Crétois.
[98] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 11-13. DIODORE, XV, 83. PLUTARQUE, Agesil., 34.
[99] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 14.
[100] EPHOR., fragm., 146 a (ap. DIOG. LAERT., II, 54). XÉNOPHON, De vectig., 3, 7. Diodore (XV, 84) se méprend sur le nom du chef athénien, qu'il appelle Ήγέλοχος.
[101]
XÉNOPHON, Hellen.,
VII, 5, 17. Au nombre des morts étaient l'hipparque Céphisodoros et Gryllos, le
fils de Xénophon (DIOG.
LAERT., ibid., HARPOCRAT., s. v., Κηφισόδωρος.
PAUSAN., VIII,
9, 10). Cet engagement fut représenté par le peintre Euphranor (PAUSAN., I, 3, 4. Cf. SCHÄFER, Demosthenes, III, Beilag.,
I, p. 14).
[102] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 20. Ce passage a été mal compris par GROTE (XV, p. 197, 1, trad. Sadous). CLARK (Peloponnes) tient à la leçon 'ρόπαλα έχοντας. Toutes les difficultés s'évanouissent si l'on retranche, avec les meilleurs mss., le mot έχοντες.
[103] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 18.
[104] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 22.
[105] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 23.
[106] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 24.
[107] XÉNOPHON, ibid. DIODORE, XV, 85.
[108] Cf. la description de la bataille par SCHÄFER, Demosth., III, Beilag., I. Sur la date, voyez Archäol. Zeitung, 1856, p. 263. Dans le système de l'octaétéride (BÖCKH, Mondcyclen, p. 28) le premier Hécatombæon de Ol. CIV, 3 tombe le 22/3 juillet 362 : par conséquent, le 12 Scirophorion Ol. CIV, 2 tombe entre le 3 et le 5 juillet 362. Seulement, cette date est fort contestable. KÖHLER (Mittheil. I, p. 197 sqq.) a démontré que l'inscription publiée par KOUMANOUDIS (Άθηναίον, V, p. 101) se rapporte à l'alliance conclue avant la bataille de Mantinée entre Athènes et ses alliés, d'une part, et les Arcadiens, Achéens et Étéens, d'autre part. On est fixé sur la question de temps par la mention de vœux, lig. 6-12. Ce qu'on attend, c'est la bataille de Mantinée. Or, l'inscription est de l'archontat de Molon (362/1). Ce fait infirme du même coup et la tradition rapportée par Diodore (XV, 82) et Plutarque (Vit. X Orat.), qui veut que la bataille ait eu lieu sous l'archontat immédiatement antérieur de Chariclide, et la date du 12 Scirophorion donnée par Plutarque (De glor. Athen., p. 350). Cette dernière date, comme les autres mentionnées au même endroit, doit être celle de la fête d'actions de grâces. La conclusion de l'alliance et la bataille qui s'ensuit tombent dans les premières semaines de l'archontat de Molon (août 362).
[109] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 25. DIODORE, XV, 87.
[110] Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, I, p. 247.
[111]
PLUTARQUE, Apophth.
reg. Epamin., 24. ÆLIAN., Var. Hist., XII, 3.
[112] PAUSANIAS, VIII, 11, 8.
[113] ALCIDAM. ap. ARISTOTE, Rhet., II, 23.
[114] DIODORE, XV, 53, etc.
[115] DIODORE, XV, 87.
[116] PLUTARQUE, De gen. Socrat., 14.
[117] Fragm. Histor. Græc., p. 84.
[118]
BRUNN, Geschichte
der griechischen Künstler, II, p. 159.171. SCHUCHARDT, Nikomachos, p. 7. Sur
Aristide, voyez DILTHEY
(Rhein. Museum, XXV, p. 151. XXVI, P. 283) ; URLICHS (ibid.
XXV, p. 507).
[119] Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos,
II, p. 139.
[120] PAUSANIAS, X, 10, 3. BRUNN, op. cit.,
I, p. 293.
[121] PAUSANIAS, X, 10, 2.
[122] PAUSANIAS, IX, 11, 4. Sur les artistes étrangers venus à Thèbes, voyez ULRICHS, Skopas, p. 71 sqq. STARK in Philologus, XXI, p. 425.
[123] ÆSCHINE, De falsa leg., § 105. Sur les lois concernant les arts à Thèbes, ÆLIAN., Var. Hist., IV, 4.
[124] POLYBE, VI, 43. On le dit de Philopœmen (PLUTARQUE, Philop., 3), d'Aratos (PLUT., Arat., 19), de Timoléon (PLUT., Timol., 36), de Caton (PLUT., Cato m., 8). Cf. SCHÄFER in Philologus, XXIII, p. 658. D'une manière générale, il nous manque surtout Éphore, dans l'histoire duquel le portrait d'Épaminondas tenait à coup sûr une place d'honneur.