HISTOIRE GRECQUE

TOME QUATRIÈME

LIVRE CINQUIÈME. — LA DOMINATION DE SPARTE EN GRÈCE (DE 404 A 379 AV. J.-C.).

CHAPITRE TROISIÈME. — SPARTE ET LA PERSE.

 

 

§ II. — SPARTE MENACÉE.

Tandis que les Spartiates se voyaient impliqués, à moitié contre leur gré, dans une guerre médique, ils avaient en même temps à conduire une autre guerre, dont le théâtre était la Péninsule elle-même. Car, s'ils prétendaient faire de leur hégémonie une vérité, et agir en face de l'étranger comme l'unique grande puissance qui fût en Grèce, il leur fallait avant tout être maîtres chez eux et ne souffrir aucune opposition dans le Péloponnèse.

L'ancien groupement des États du Péloponnèse s'était détraqué depuis la paix de Nicias, et non seulement l'irréconciliable Argos et la hautaine et toujours mécontente Corinthe avaient cherché à déposséder Sparte de sa situation, mais l'Élide aussi avait pris part à cette opposition.

L'Élide se trouvait dans des rapports tout spéciaux vis-à-vis de Sparte. L'étroite union des deux États était le fondement de l'ordre dans le Péloponnèse[1]. Malgré l'insignifiance de ce petit pays comme puissance politique, Olympie lui valait une importance hors de proportion avec sa force matérielle, et, dans les affaires relevant du droit sacré, les fonctionnaires éléens jouissaient d'une autorité respectée dans toute la Péninsule. Aussi l'Élide avait-elle été toujours traitée par Sparte avec une faveur et une douceur particulières. Sparte avait sensiblement agrandi la région et protégé sa prospérité. C'était un pays allié fait à souhait pour les Spartiates, un pays sans villes, pacifique, sans aptitude politique, habité par de grands propriétaires, des prêtres, des paysans et des pêcheurs.

Ces rapports s'étaient modifiés depuis que sur les bords du Pénéios s'était fondée une capitale. Par ce fait, la vie politique s'était éveillée, et avec elle un esprit d'indépendance qui s'insurgea contre la suprématie de Sparte. On n'avait plus envie d'être d'année en année l'écuyer de Sparte, et surtout l'on répugnait aux campagnes à l'étranger. A ces causes d'insubordination vint s'ajouter la querelle à propos de Lépréon ; les Spartiates avaient donné à ce litige une tournure on ne peut plus sensible pour l'amour-propre éléen, en ne se bornant pas à confirmer aux Lépréates leur exemption d'impôts, mais en plaçant dans leur ville une garnison lacédémonienne qui menaçait continuellement la frontière de l'Élide. Par suite, cette situation tendue dégénéra en rupture ouverte ; le parti démocratique gagna la haute main : il en résulta l'accession de l'Élide à la ligue argienne, puis l'alliance avec Athènes, Argos et Mantinée[2].

Les Éléens de leur côté tirèrent parti des moyens particuliers dont ils disposaient pour faire sentir aux Spartiates l'effet de leur ressentiment. Ils ne se contentèrent pas de dresser à Olympie même un monument en l'honneur de l'alliance formée contre Sparte, mais ils intervinrent avec une impitoyable rigueur quand Sparte, pendant l'époque d'une trêve olympique, eut fait entrer un corps de troupes sur le territoire de Lépréon, et ils la condamnèrent à une amende de 2.000 mines[3]. Ils voulaient forcer ainsi les Spartiates à la restitution de Lépréon. Mais comme ceux-ci ne voulurent ni rendre la ville ni payer l'amende, les Éléens, dans la douzième année de la guerre du Péloponnèse, exclurent Sparte de la participation à la fête nationale, persistèrent même après s'être retirés de la ligue séparatiste dans leur attitude de défi vis-à-vis de Sparte, firent fouetter un Spartiate respectable, qui malgré leur interdiction avait pris part aux jeux 3, repoussèrent le roi Agis qui voulait sacrifier à Olympie en l'honneur de sa victoire sur Athènes, élaborèrent chez eux une constitution purement démocratique, créèrent une flotte et soutinrent sans hésitation les démocrates athéniens, même après les victoires de Lysandre. Le meneur du parti populaire et l'énergique chef de l'État était Thrasydæos[4].

Une telle opposition, les Spartiates ne purent à la longue la tolérer. Dès qu'ils eurent les mains libres du côté d'Athènes, ils résolurent d'arranger avec toute leur énergie les affaires du Péloponnèse, d'y remettre en vigueur la loi fondamentale du pacte conclu, à savoir l'obligation absolue du service militaire, et de châtier les alliés réfractaires. Il fallait faire un exemple sur les Éléens pour détourner par la terreur les autres États de tentatives analogues, et, pour cela, il était impossible de choisir un moment plus propice, tous les États étant épuisés par suite des guerres. D'autre part, les Éléens avaient poursuivi leurs intérêts particularistes avec trop de raideur et d'exclusivisme pour pouvoir compter sur le concours et l'appui des autres Péloponnésiens. Enfin, il ne manquait pas, en Élide même, de partisans des Spartiates, qui avaient perdu leur ascendant sous le régime démocratique et qui désiraient le rétablissement de l'ancien état de choses.

Sparte débuta par enjoindre aux Éléens d'avoir à acquitter les arrérages des frais de guerre pour les campagnes auxquelles ils s'étaient indûment dérobés, et à délivrer les villes voisines, dont ils avaient réduit les habitants à la condition de périèques, de cette sujétion illégale. Jusqu'où s'étendaient ces exigences, c'est ce qui demeure incertain ; probablement les Spartiates laissaient leurs réclamations dans le vague avec intention, pour être en mesure de les grossir ou de les modérer suivant les circonstances. La seule chose qui leur importât pour le moment, c'était de faire prévaloir leur droit d'intervention dans les affaires intérieures des différents États ; dans ce but, ils ne pouvaient trouver de meilleur prétexte que la protection de la liberté des cités helléniques contre d'injustes violences. C'est avec cette politique qu'ils s'étaient engagés dans la guerre du Péloponnèse, et, après avoir détruit Athènes comme grande puissance, il était urgent d'affaiblir et d'abaisser de la même manière les États de second ordre qui s'étaient renforcés par l'annexion des petites localités voisines. Avec Élis, on se croyait obligé à moins de façons, puisqu'elle n'avait acquis son territoire que par la grâce de Sparte.

Les Éléens ne songeaient pas à céder : ils répliquèrent au contraire avec fierté que les Spartiates avaient moins d'autorité que personne pour leur dénier les villes qui leur appartenaient par la conquête et par une possession déjà ancienne, attendu qu'eux-mêmes faisaient prévaloir en tous lieux, les armes à la main et sans le moindre scrupule, le droit du plus fort.

La guerre commença, et les premiers événements ne purent que contribuer à relever le courage des Éléens, car, lorsque, parti d'Achaïe au printemps de 401, le roi Agis envahit l'Élide en franchissant le Larisos, on vit tout l'ennui que causait aux Lacédémoniens eux-mêmes toute cette entreprise. C'est pleins de scrupules religieux qu'ils foulèrent le sol sacré de l'Élide, et, un tremblement de terre s'étant produit sur ces entrefaites, ils crurent y reconnaître un signe des dieux qui leur défendait de poursuivre ce sacrilège[5]. L'armée rebroussa chemin, et les Éléens se montrèrent plus ardents que jamais à réunir dans des apprêts communs tous les États mal disposés pour Sparte. Mais ces sentiments étaient trop contenus encore ; seuls les Étoliens, frères de race des Éléens, suivirent cet appel, tandis que les Thébains et les Corinthiens s'en tinrent à une résistance passive contre Sparte et refusèrent leurs corps auxiliaires lorsque, dans l'été de la même année, les contingents furent convoqués pour une seconde campagne.

Cette fois, Agis marcha plus résolument. De la frontière de Messénie il s'avança à travers la Triphylie dans la région de l'Alphée. Partout les places tombèrent entre ses mains, ce qui fait supposer que les Éléens avaient fait peser sur elles une oppression rigoureuse, et, bien qu'il rencontrât à Olympie une forte résistance[6], il vint à bout toutefois de sacrifier sans obstacle sur l'autel de Zeus et de rétablir l'autorité de Sparte dans le sanctuaire national. Les troupes se répandirent ensuite, avides de butin, dans le plat pays ; car dans toute la Grèce il n'y avait point de contrée qui, outre sa fertilité naturelle et sa culture soignée, eût joui d'une paix aussi continue. Cette prospérité avait depuis longtemps excité la jalousie des voisins, et ce furent principalement les Arcadiens et les Achéens qui profitèrent de l'occasion pour se munir, comme dans un magasin bien rempli, de provisions de toute espèce[7]. Les beaux faubourgs de la ville d'Élis le long du Pénéios furent pillés aussi, ; quant à la ville elle-même, malgré ses faibles défenses, on ne l'attaqua pas, probablement parce que les troupes d'élite s'y étaient concentrées pour une résistance vigoureuse et que le roi Agis espérait atteindre plus sûrement son but sans effusion de sang. En effet, pendant qu'il mettait à contribution les environs du port de Cyllène, dans Élis même se levait en sa faveur le parti des riches propriétaires fonciers qui avaient le plus lourdement souffert, Xénias à leur tête. Leur dessein était d'écarter le démagogue Thrasydæos, pour affaiblir ainsi la faction adverse. Mais, dans le tumulte, au lieu de ce dernier, c'est un autre qu'on tua ; le prétendu mort reparut soudain au milieu du peuple qui, d'un mouvement unanime, se serra autour de lui et chassa le parti laconien. Ainsi fut réduit l'ennemi du dedans, tandis que l'ennemi national était posté devant les portes : Agis se vit forcé de licencier une seconde fois son armée sans avoir brisé l'insolence des Éléens.

Cette fois-ci pourtant, il laissa une garnison sur l'Alphée, pour fatiguer peu à peu de ce point les Éléens, comme on avait fait en Attique avec le poste de Décélie. Les proscrits qui se trouvaient au camp spartiate firent de leur mieux pour rendre cette tactique aussi ruineuse que possible pour le pays, et, l'été suivant, la force de résistance des Éléens était épuisée.

Thrasydæos ouvrit des négociations Élis dut se résigner non-seulement à renoncer à toutes ses prétentions sur Lépréon, mais à céder encore toute la Triphylie. De plus, il fallut émanciper, au nord de l'Alphée, Letrini, Marganeæ, Amphidoli, petites localités qui appartenaient à l'ancienne Pisatide ; la citadelle maritime de Pheia, récemment bâtie sur une presqu'île en saillie[8], fut démantelée, le port de Cyllène perdu. Enfin, les Éléens durent encore abandonner la possession du plateau qui monte derrière la capitale du côté de l'Arcadie, Acroreia, avec la place principale de cette région, la ville montagnarde de Lasion, que revendiquaient les Arcadiens. Les plus longues discussions portèrent sur Épeion, ville située dans les montagnes de la Triphylie et qui dominait la vallée de l'Alphée. Les Éléens croyaient y avoir des droits particuliers, sous prétexte qu'elle leur avait vendu son indépendance. Mais les Spartiates repoussèrent cette prétention avec dédain. Cela revenait au même, à leur gré, d'avoir pris la liberté du plus faible par la violence ou par un marché.

Ainsi l'État d'Élide était complètement démembré et détruit, l'essor de sa puissance maritime brisé ; il lui fallut livrer son arsenal et ses vaisseaux de guerre et abattre l'enceinte de la capitale. Il était coupé de la côte, dépouillé des passages qui le protégeaient, des hauteurs et de plus de la moitié de son territoire. Il était tenu de reconnaître comme des États voisins, comme ses égaux, une quantité de villages ; il ne lui manquait plus que de se voir enlever aussi la garde du sanctuaire d'Olympie. Les localités de la Pisatide, qui semblaient revenir à la vie, ne négligèrent pas de profiter de l'occasion pour renouveler d'antiques prétentions : mais alors se révéla l'habileté des Éléens, qui n'avaient laissé subsister aucun lieu considérable à proximité d'Olympie. Les Spartiates ne pouvaient transférer ce droit honorifique à une commune de paysans, de peur que par leur faute les fêtes sacrées ne tombassent en discrédit. Ils se contentèrent d'ouvrir autour d'Olympie tous les abords, tant du côté de la mer que du côté de la terre, mais ils laissèrent subsister dans l'ancienne forme l'administration du sanctuaire.

Ce fut la fin des campagnes d'Élide[9]. Malgré l'exiguïté du territoire où elles se déroulèrent, et l'insignifiance des places dont l'indépendance était en jeu, la querelle ne fut pas de mince importance. Sparte avait réussi, en vertu de sa soi-disant politique libératrice, à réduire une puissance réfractaire et hostile depuis des années à la condition de petit État sans défense ; elle commandait maintenant aux républiques des bords de l'Alphée aussi absolument qu'aux cantons de l'Arcadie méridionale ; elle avait en son pouvoir les ports de la côte occidentale. Les autres États mal disposés étaient intimidés par le terrible arrêt qui venait de frapper 'Élis ; les Athéniens s'étaient vus contraints de concourir à la ruine de l'État qui, dans leur malheur, leur avait témoigné de l'intérêt et prêté assistance. Quels obstacles pouvaient désormais empêcher Sparte de poursuivre sa politique de violence et de se soumettre les États de la Grèce ?

Elle profita tout d'abord de sa puissance récemment conquise sur la côte de la mer d'Occident pour expulser de Céphallénie et de Naupacte les Messéniens qu'Athènes y avait établis : elle les poursuivit même de sa haine jusqu'en Sicile, où ils trouvèrent accueil auprès de Denys[10]. D'autre part, elle restaura sa place d'armes au pied de l'Œta, l'Héraclée trachinienne. Des troubles qui y avaient éclaté fournirent à propos un motif pour y envoyer un gouverneur, Hérippidas, qui traita les citoyens avec le plus cruel arbitraire, chassa une partie de la population œtéenne[11], et, par des mesures émanées de sa propre initiative, terrifia tous les États du, nord, Thèbes principalement.

En revenant de son expédition, Agis tomba malade à Héræa, et mourut bientôt après à Sparte. Sur son lit de mort, il avait, en présence de nombreux témoins, désigné pour son successeur son fils Léotychide ; mais à peine les obsèques étaient-elles terminées que Sparte fut mise, par la question soulevée au sujet de la légitimité de la succession au trône, en un émoi dont il n'y avait pas encore eu d'exemple dans l'histoire des deux maisons royales.

Assurément une reconnaissance expresse de la part du père eût levé tous les doutes, et la dynastie des Proclides se fût continuée dans l'ordre traditionnel si Lysandre n'avait tiré parti des circonstances qui s'offraient, pour les exploiter dans l'intérêt de ses vues politiques. C'est plein d'une sombre rancune qu'il s'était retiré du monde, depuis que la puissance à laquelle il avait tenu toute la Grèce attelée s'était fondue entre ses mains. Il se voyait négligé, mis à l'écart ; son protecteur, auquel il devait au fond tous ses succès, Cyrus, avait succombé ; son parti était dispersé. Cependant il n'avait pas abdiqué ses plans ambitieux ; ses espérances se fondaient surtout, à l'heure actuelle, sur ses relations avec Agésilas, frère cadet d'Agis ; aussi attendait-il depuis longtemps la mort du roi.

Agésilas était issu du second mariage du roi Archidamos, mariage que ce dernier avait contracté dans un âge avancé avec Eupolia. Eupolia était une opulente héritière, mais sa conformation physique semblait si peu l'appeler à un rang princier que l'on crut universellement que cette union n'était due qu'à des considérations d'intérêt, et que les éphores se virent obligés de censurer le choix du roi, attendu qu'une telle femme était incapable d'enfanter des rois. En fait, le fils né de ce mariage parut confirmer cette supposition. Agésilas était, comme sa mère, petit de taille et sans apparence ; il était même boiteux d'un pied. Pourtant dans ce corps chétif vivait une intelligence extraordinairement douée, une force de volonté qui ne répugnait à nulle peine pour corriger par des exercices sans relâche les imperfections natives, un sens vif, éveillé, de l'esprit et de l'originalité, une grande adresse à manier les hommes : si modeste qu'il fût dans ses allures, il y avait en lui quelque chose de la grandeur royale de son père, et il eut pour guide, dès sa jeunesse, un sentiment ardent de l'honneur.

C'est sur cet adolescent que Lysandre avait jeté ses vues. Comme il était fils puîné d' Archidamos et qu'en cette qualité il était élevé comme le fils d'un citoyen ordinaire, Lysandre put l'attirer à lui sans éveiller l'attention, d'autant plus aisément qu'il était lui-même allié à la maison des Héraclides. Il entra avec lui dans cette étroite intimité qui unissait par couples les hommes faits et les jeunes gens : de Sparte, en ce sens que le Spartiate mûr se choisissait à son gré un jeune compagnon pour le former par son commerce personnel, faire de lui un bon citoyen et lui souffler le véritable esprit de la vie publique[12]. C'est ainsi que Lysandre vivait en ami paternel aux côtés d'Agésilas grandissant ; il cherchait à allumer en lui l'étincelle de l'ambition, et à former un homme capable de le servir pour l'exécution de ses plans particuliers. Car, de la part d'un fils de roi, qui par sa naissance se sentait appelé à un rang princier mais qui en vertu des lois de succession existantes se voyait exclu du trône, il pouvait compter sur une certaine complaisance le jour où il voudrait mettre à exécution son dessein de renverser les règlements domestiques des deux familles royales de Sparte.

La situation offrait encore cet avantage, que la légitimité du prince qui seul barrait le chemin à Agésilas n'était pas incontestée. Le bruit courait généralement à Sparte que la reine Timæa avait été séduite par Alcibiade, et que Léotychide n'était pas du tout le fils d'Agis. On ne se gêna pas pour exploiter sans aucun égard cette circonstance dans un intérêt d'ambition. On prétendit que la reconnaissance du roi mourant n'avait été obtenue que par les prières et les larmes de Léotychide. Lysandre travaillait sans relâche à surmonter les scrupules que pouvait conserver Agésilas, à attaquer ouvertement la réputation de sa royale belle-sœur, et à dépouiller son neveu de tous ses honneurs et de tous ses biens. Lysandre saisissait avec joie tout ce qui contribuait à brouiller les rapports dans les maisons royales ; car toute innovation heureusement consommée frayait la route à des réformes ultérieures. Agésilas se posa en prétendant, et, pour la première fois, on discuta, en pleine assemblée du peuple, sur la succession des rois à Sparte[13].

L'attitude des partis était nettement tranchée. Tous ceux qui craignaient les agissements de Lysandre tenaient contre Agésilas, que l'on regardait comme son comparse et son instrument ; avant tous, le roi Pausanias, le vieil adversaire de Lysandre, qui voulait empêcher le discrédit du trône et faire respecter les dernières volontés de son collègue. Le parti sacerdotal, avec le puissant Diopithe à sa tête[14], défendait aussi la cause de Léotychide comme celle de la légitimité : il argua des infirmités physiques du prétendant et exhuma un oracle où les plus grands malheurs étaient prédits aux Lacédémoniens, si un roi boiteux obtenait jamais chez eux le pouvoir. On hésitait à conclure : on voulut attendre au moins jusqu'à ce qu'on eût cherché à Delphes des éclaircissements sur le sens de l'oracle. Mais Lysandre redoutait tout délai ; les dispositions étaient pour le moment favorables. Avec une heureuse présence d'esprit, il reconnut cet oracle qui effrayait ses adhérents comme authentique et impératif ; mais il fallait le bien entendre. La royauté boiteuse, c'était la royauté bâtarde ; c'est celle-là que visait l'avertissement du dieu. Cette interprétation paraît avoir décidé la question. La jeunesse était toute pour Agésilas ; beaucoup souhaitaient un roi qui avait vécu en camarade avec eux. On espérait de lui des temps meilleurs, la cessation des nombreux abus qui inquiétaient le pays ; bref, Agésilas devint roi par l'élection populaire (été 399 : Ol. XCV, 2)[15], et Lysandre, après être resté longtemps relégué à l'arrière-plan et impuissant, avait encore une fois fait prévaloir sa volonté. La rigide tradition, que défendait le parti royaliste, était brisée ; l'élève de Lysandre venait d'être élu non seulement comme l'égal de ceux de sa race, mais comme le plus digne.

Le nouveau roi fit honneur à son maître. Il lui avait emprunté cette science de la vie, qui néglige les détails pour atteindre l'objet principal. La royauté était une dignité brillante, mais sans puissance correspondante au rang. Ses efforts tendirent à lui donner une importance nouvelle, mais il dissimula son ambition et évita tout conflit ; il se montra plus affable envers le peuple, plus docile envers les éphores, plus indifférent au sujet des marques extérieures de respect que pas un de ses prédécesseurs. Comme il n'avait pas grandi dans la situation exceptionnelle d'un prince, il savait manier les hommes ; il fut un des rares occupants du trône des Héraclides qui eût appris à obéir avant d'y monter. Par habileté, il fut modeste et humble. Comme à Lysandre tout moyen lui était bon pour se faire des amis dans toutes les classes ; comme lui il chercha à étendre son pouvoir par des attaches personnelles, avec circonspection et sans bruit, afin de rehausser avec son pouvoir personnel celui de l'État.

Vue du dehors, Sparte n'avait jamais été plus forte que lors de son avènement. Elle était la première puissance continentale et maritime du monde grec ; dans la Péninsule toute résistance était brisée ; au delà de l'isthme, elle avait acquis à Héraclée une nouvelle place d'armes pour la domination du continent, et en Thessalie, elle avait soutenu le tyran Lycophron de Phères contre les attaques de ses ennemis. Ses garnisons étaient réparties dans Mégare, Égine, Tanagra, et sur les îles ; au delà de la mer, en Éolide et en Ionie, les troupes spartiates tenaient victorieusement la campagne contre les satrapes ; en Thrace, Dercyllidas isolait par une muraille la presqu'île grecque, comme avaient fait jadis Miltiade et Périclès, afin de placer sous la protection de Sparte les villes de la région ; sa flotte commandait aussi la mer d'occident, et le nouveau maître de Syracuse, Denys, ne se maintenait contre ses adversaires du dedans et du dehors qu'avec l'appui de Sparte.

Au dedans, la tournure des choses n'en était que plus alarmante. La rancune des classes les unes contre les autres s'était irritée d'année en année ; l'État ressemblait à un double camp d'armées ennemies, dont l'une n'épiait que le moment d'anéantir l'autre. La récente élection royale avait augmenté l'agitation : on y apercevait déjà une tentative pour rompre avec la tradition. Les agissements de Lysandre contribuaient à semer l'inquiétude dans les esprits, car ce n'était plus un mystère qu'il méditait des innovations radicales. Partout on ébranlait les anciennes institutions ; des idées nouvelles avaient pénétré dans le peuple. Comment les classes inférieures pouvaient-elles rester tranquilles dans ce mouvement universel ? Comment n'auraient-elles pas conçu la pensée que, pour elles aussi, le temps était venu de se délivrer de l'intolérable oppression qui pesait sur elles ?

En dehors du petit groupe rangé autour des maisons régnantes, une colère sourde fermentait dans toutes les parties de la population. Elle grondait chez les Spartiates dont les familles avaient, en s'appauvrissant, perdu leurs droits politiques[16] ; chez les campagnards ou périèques, qui formaient le principal effectif de l'armée et ne recueillaient aucune reconnaissance en échange de leurs services, qui étaient forcés d'aller affranchir les places de l'Élide, et qui demeuraient eux-mêmes dans un état de sujétion ; et enfin chez les hilotes, qui depuis des siècles supportaient en grinçant des dents ce joug si lourd, mais aujourd'hui avec plus d'impatience que jamais, parce que, dans les entreprises extérieures de la cité, on exigeait d'eux bien davantage et qu'il leur fallait ensuite, quand on les avait utilisés au profit de l'État, retomber dans l'ancien esclavage.

Ainsi la grande masse de la population libre et non libre se sentait animée d'une égale fureur et finit par constituer un parti déterminé à mettre un terme aux injustices dont regorgeait le régime politique, et à renverser la domination des familles privilégiées.

Cinadon, un jeune Spartiate qui appartenait lui aussi aux familles déchues, doué de grandes qualités et enflammé par l'amour des honneurs, se mit à la tête du parti révolutionnaire. Ses capacités l'avaient fait employer à plusieurs reprises par les autorités dans d'importantes affaires d'État, mais il était resté exclu de tous les honneurs et prérogatives. Il organisa la multitude pour l'attaque ; il indiqua les moyens de former une armée capable de livrer bataille ; tous les ustensiles en fer qui se trouvaient entre les mains du peuple des campagnes devaient être transformés en armes. Il recrutait personnellement des complices parmi ceux qui hésitaient encore ; il les prenait à part, allait avec eux jusqu'au seuil de la place publique et leur demandait à quel, nombre ils évaluaient les citoyens jouissant de leurs droits, à quel nombre les citoyens inégaux, les périèques et les hilotes, et quand on lui répondait qu'outre les rois, les gérontes et les éphores, on pouvait bien compter environ quarante Spartiates sur la place et plis de quatre mille Lacédémoniens sans droits, il disait : Eh bien ! ceux-ci sont tes alliés, et ce petit nombre tes ennemis. Est-il juste et tolérable de voir dominer ce petit nombre-là ? Est-ce une question de savoir à qui appartiendra la victoire quand viendra le jour décisif ?

C'est ainsi qu'il préparait le soulèvement destiné à opérer là destruction de la classe dirigeante. La certitude de la victoire le rendit imprudent, tandis que les autorités veillaient d'autant plus attentivement que leur force réelle était moindre. Elles furent, cette fois encore, instruites assez tôt par leurs espions pour prévenir l'insurrection.

Elles n'osèrent pas saisir Cinadon dans Sparte même. Elles ]e chargèrent d'une mission en apparence importante à Aulon, sur la frontière de Messénie et d'Élide, le firent arrêter en chemin, mettre à la torture, et lui arrachèrent les noms de ses complices. Quand on se fut assuré de ceux-ci et qu'on eut empêché toute explosion de l'émeute, Cinadon fut ramené comme prisonnier, le cou et les mains pris dans des chaines de fer ; il fut conduit sous les coups de fouet et autres tourments avec ses compagnons à travers les rues de la ville, puis exécuté. Après ce châtiment, le peuple retomba dans une stupide indifférence et l'oligarchie se sentit sauvée[17].

Ce fut un bonheur qu'immédiatement après soient survenus des événements qui détournèrent l'attention des affaires intérieures. La guerre d'Asie-Mineure n'était interrompue que par une suspension d'armes[18], et cette interruption, Pharnabaze l'avait utilisée avec succès pour ébranler le crédit de Tissapherne et donner à la situation une tournure toute nouvelle. Il s'était rendu à Suse pour représenter au Grand-Roi l'ignominieux état des provinces maritimes et la nécessité d'une autre tactique. Il remontra que le système politique de Tissapherne, qui reposait sur la haine et la peur de la Grèce, minait complètement la domination perse. Avec ces honteux traités qu'on passait aujourd'hui, on en arrivait à entretenir les armées ennemies avec l'argent du roi au sein de l'empire. Il fallait remettre en honneur la puissance du Grand-Roi, et pour cela, il ne se présentait qu'un moyen, c'était de prendre à son service un général grec et de lui confier une flotte. C'était la pensée la plus raisonnable qu'on pût concevoir, et Pharnabaze était en situation de nommer le personnage particulièrement désigné pour ce rôle : c'était l'Athénien Conon.

Conon, fils de Timothée[19], le seul innocent des dix stratèges qui commandaient la flotte athénienne à Ægospotamoi[20], avait échappé au désastre avec huit vaisseaux et avait gagné Cypre, où Évagoras lui offrit un accueil hospitalier[21]. Mais Conon n'était pas homme à se contenter d'avoir assuré sa sécurité personnelle ; il aimait sa patrie d'un amour sincère, et il avait l'espérance tenace. Il se préoccupait sans cesse du rétablissement de la grandeur d'Athènes, et ses aspirations trouvaient dans son noble ami le plus complet écho. Ce fut un pacte singulier et d'une haute portée que celui qui se conclut à la limite extrême du monde grec entre le fugitif athénien et le souverain de Salamine.

Évagoras est la figure la plus sympathique que nous rencontrions dans cette époque pauvre en hommes et en faits, et, tandis qu'on ne surprend ailleurs dans la vie sociale, chez les Hellènes comme chez les Barbares, que recul et décadence, Cypre est un pays plein d'avenir, dont le développement est dû tout entier aux hautes aspirations d'un seul homme[22] Avec l'énergie d'un héros, Évagoras avait non seulement reconquis la principauté ravie à sa maison, mais cette île qui, après le temps de Cimon, avait été inondée de Phéniciens et totalement aliénée à la Grèce, il avait commencé à la transformer en pays grec, si bien que les Cypriotes se séparèrent de l'Orient sémitique, ne voulurent plus que des femmes grecques et rivalisèrent de passion pour les mœurs, la culture et les arts de la Grèce. Évagoras se considérait lui-même comme un Athénien, parce qu'il descendait des Teucrides, qui avaient aussi pris pied dans la Salamine attique ; dans les dernières années de la guerre du Péloponnèse, il avait pourvu Athènes d'approvisionnements de blé ; il était heureux de tout rapprochement avec Athènes, le foyer de cette civilisation qu'il s'était donné pour mission de propager ; et c'est ainsi que fut récompensé l'effort déployé au siècle de Périclès pour faire d'Athènes le Centre de l'art et de la science helléniques. En qualité de citoyen d'Athènes, Conon trouva à Cypre l'appui le plus empressé pour ses desseins patriotiques.

Conon comprit fort bien qu'avec les seules ressources de la Grèce on n'aboutirait à rien : il fallait en revenir à la politique d'Alcibiade et travailler à faire couler au profit des Athéniens les sources d'or grâce auxquelles Sparte avait remporté ses victoires. Il importait donc de gagner de l'influence à la cour du Grand-Roi, et les circonstances y prêtaient. La révolte de Cyrus avait essentiellement modifié les sentiments de la cour ; la fausse amitié de Sparte était démasquée. La Perse avait besoin d'autres amis et d'une autre politique ; aussi à Suse ne fut-on jamais plus accessible à de bons conseils, et il ne manquait pas non plus de Grecs, qui dans l'entourage d'Artaxerxès jouaient un grand rôle (notamment le danseur Zénon et les médecins Polycritos et Ctésias) et qui se montrèrent disposés à servir d'intermédiaires.

Les négociations furent entamées avec une grande habileté. Il était essentiel, en premier lieu, de rétablir de bons rapports entre le Grand-Roi et Évagoras, sinon tout ce qui émanait de Cypre eût été mal venu. Aussi l'on calma les appréhensions qu'avait fait naître à la cour l'audacieuse élévation dans l'île d'une maison princière hellénique : de riches tributs contribuèrent à poser Évagoras en fidèle vassal, si bien que son amitié fut une recommandation pour Conon. Ensuite Conon rédigea un rapport sur le plan de campagne à suivre. Il montra quel contre-sens commettait la Perse en consumant inutilement ses forces dans la guerre continentale, puisque c'est sur mer, en définitive, que devait se décider la question de savoir à qui reviendrait la domination du littoral. Sur mer, Sparte était faible et maladroite, tandis que le Grand-Roi disposait de ressources inépuisables en argent, en vaisseaux et en marins. Il s'agissait seulement d'en tirer parti et de trouver un chef éprouvé contre les Spartiates, qui pouvaient être aisément réduits à la pire situation, vu qu'ils étaient détestés des Grecs autant que des Perses. En même temps, Conon offrait ses services. Ctésias remit la lettre et. en traduisit le contenu ; Évagoras recommanda avec instance d'accepter les services de l'Athénien, et Pharnabaze, avec qui Conon s'était déjà mis en relations, s'associa à cette démarche. Déjà le satrape avait fait un voyage à Suse pour plaider la cause d'une alliance avec Athènes ; il réitéra dans des conjonctures devenues plus propices ses propositions, qui lui fournissaient en même temps l'occasion d'abaisser Tissapherne. Pour la même raison, Parysatis dut favoriser les plans de Conon, car elle ne réglait sa politique que d'après des motifs personnels.

On décida donc l'armement d'une flotte ; on alloua dans ce but à Pharnabaze 500 talents[23], et Conon fut désigné pour le commandement des forces navales[24]. Mais, en dépit de cette résolution, on se montra si intimidé qu'on redoutait l'impression que produirait à Sparte la nouvelle des préparatifs. On ne voulait pas l'irriter prématurément ; on retint son ambassadeur, qui justement se trouvait à la cour, et on adressa aux autorités de la ville une note destinée à les maintenir en une complète sécurité.

Le Grand-Roi tremblait donc à la pensée des projets belliqueux des Spartiates, et ceux-ci, de leur côté, entrèrent dans la plus grande agitation lorsqu'arriva en Laconie un Syracusain, du nom d'Hérodas, qui avait eu affaire en Phénicie et qui se trouva être le premier à rapporter d'outre-mer la nouvelle des grands préparatifs faits dans les ports militaires d'Asie[25]. On était loin de s'attendre à des dangers de cette nature. Soudain, l'on vit une nouvelle guerre médique en train ; on se sentait impuissant à affronter seul de pareils événements, et, quelque peu de compte qu'on tînt d'habitude de l'opinion publique, on convoqua pourtant les députés des États confédérés pour se concerter en vue de cette guerre de race, que l'on devait considérer comme une affaire nationale, et pour prendre des résolutions communes[26].

C'était une situation bien faite pour inspirer à Lysandre l'idée que son heure était venue.

C'est maintenant qu'allaient se déployer son activité, son expérience, son bonheur dans la guerre maritime, son influence sur les villes asiatiques, son habileté à nouer des alliances avantageuses. Il espérait aussi pouvoir exécuter les plans qu'il tenait en réserve, car comment pouvait-il douter que le roi, qui lui devait tout, ne se laissât diriger par sa volonté ? Il mit donc en œuvre toute son autorité pour décider ses concitoyens à poursuivre avec une nouvelle énergie la guerre d'Asie avant que les Perses, lents à se mouvoir, ne prissent l'offensive, et à charger de la conduite des opérations leur roi récemment élu, pour témoigner par là aux Hellènes et aux Barbares de la sérieuse portée de leurs desseins. A l'instigation de Lysandre arrivèrent des députés des villes d'outre-mer, pour demander Agésilas comme général[27]. Le roi lui-même briguait le commandement[28] et ne réclamait qu'une escorte de trente Spartiates ; il était impossible, au milieu des difficultés de la situation intérieure, d'en éloigner un plus grand nombre du pays. Ils étaient destinés à former le conseil de guerre annuellement renouvelé ; ils devaient exercer le contrôle au nom de l'État, comme en temps ordinaire les Dix[29], et de plus nommer les chefs des différents corps. A la tête des Trente était placé Lysandre, qui certainement croyait avoir, par cette nouvelle organisation, travaillé de son mieux pour ses intérêts. Ensuite on leva dans le reste de la population 2.000 hommes, et 6.000 de troupes fédérales. Mais combien l'on s'était trompé en pensant qu'une guerre nationale proclamée par la Sparte d'aujourd'hui trouverait de l'écho dans le peuple ! Qui pouvait avoir confiance dans la politique hellénique de Sparte ? Elle n'était pas même assez puissante pour contraindre les autres à fournir les corps auxiliaires. A Athènes, on était informé déjà du changement qui se préparait par l'entremise de Conon ; la république se déroba à ses engagements envers Sparte, en alléguant pour prétexte son épuisement. Thèbes refusa purement et simplement son contingent, bien qu'on lui envoyât Aristoménidas[30], parent du roi, un de ceux qui autrefois, pour l'amour des Thébains, avaient condamné les Platéens à mort. Les Corinthiens aussi firent défaut, en alléguant pour excuse l'inondation de leur temple de Zeus, considérée comme un mauvais présage[31].

Le début était peu encourageant, et, comme il fallait subir tranquillement tous les refus, qu'il n'y avait pas moyen de songer de sitôt à des mesures coercitives ou à une répression, on avait toutes les raisons de procéder le plus modestement possible avec ces minces forces militaires. Mais c'est le contraire qui arriva. Agésilas ne songeait qu'à donner à son entreprise la plus éclatante mise en scène ; il voulait réveiller les plus glorieux Souvenirs de passé ; il voulait se donner l'air de commencer une deuxième guerre de Troie. Aussi ne prit-il pas le chemin direct vers l'Asie ; il longea avec ses troupes la côte jusqu'en Eubée[32], et se rendit de là à Aulis, aux lieux où l'antique souverain des Achéens avait sacrifié devant le temple d'Artémis avant de marcher contre Ilion, pour y 'accomplir lui aussi son sacrifice à titre de successeur d'Agamemnon. Comme Lysandre était encore la principale autorité dans l'armée, on est tenté d'admettre qu'il fut l'instigateur de cette comédie de mauvais goût ; et en ce cas, on ne peut guère lui supposer d'autre motif que l'envie de ridiculiser le roi de Sparte et avec lui la royauté[33]. Du moins, il semble n'avoir rien fait pour s'opposer à la puérile vanité d'Agésilas, qui fut aussitôt punie de la façon la plus cruelle. En effet, tandis qu'à Aulis l'autel flamboyait et que le devin annonçait solennellement les signes de la faveur des dieux, un escadron de cavaliers thébains accourut soudain à toute bride et interrompit la solennité, parce qu'Agésilas, contre la coutume locale, avait exclu de la cérémonie le prêtre indigène d'Artémis. Les débris fumants du sacrifice furent dispersés et le nouvel Agamemnon contraint à une prompte retraite sur son navire.

Le roi mit le cap sur Éphèse, espérant effacer bientôt l'impression de ce mauvais présage par des succès militaires. Mais ici encore ses vœux furent déçus. En effet, bien que Tissapherne n'eût pas achevé encore ses préparatifs, Agésilas était trop faible pour frapper dès le début un coup décisif, et il se vit obligé d'accepter un armistice[34]. Le satrape promit d'employer cette trêve pour obtenir du Grand-Roi l'affranchissement des villes d'Asie-Mineure, et, quelque peu de créance qu'on dût ajouter à la loyauté de ses intentions, Agésilas n'en avait pas moins, pour satisfaire son amour-propre, la gloire apparente d'avoir produit par sa simple apparition en Asie-Mineure une telle impression. D'ailleurs il aspirait à ce répit pour se créer une situation en pays étranger et surtout à l'égard de son propre entourage.

Lysandre était comme chez lui en Ionie ; toutes les relations du temps passé furent renouvelées ; ses anciens partisans se rassemblèrent autour de l'illustre capitaine, tandis que s'éclipsait la personnalité inconnue et en soi peu marquante d'Agésilas. Lysandre laissa voir assez clairement que l'on devait le regarder comme le personnage principal[35]. C'est avec la pleine conscience de sa force qu'il rentra en scène et voulut montrer à ses amis qu'ils n'avaient pas compté sur lui en vain ; il prétendit reprendre l'œuvre commencée et la mener à bout[36]. Mais, comme jadis sur le compte des autorités de Sparte, il se trompait aujourd'hui sur celui d'Agésilas.

Celui-ci n'avait nulle envie de paraître à côté de Lysandre en simple figurant, comme avait fait autrefois Aracos. Il se sentait profondément froissé des hommages qu'avec ou sans préméditation recueillait son compagnon ; d'autres personnes de son entourage, que blessait également l'esprit dominateur de Lysandre, l'excitèrent davantage encore ; il commença à se soustraire à cette importune influence ; il rejeta les propositions

 et les recommandations de son conseiller, parce qu'elles venaient de lui, et enfin il se mit en mesure de lui infliger une humiliation publique. Il lui attribua une des charges de cour qui restaient encore de l'antique royauté achéenne, et le nomma son majordome[37]. Ce qui pour des gens insignifiants eût été une distinction était un affront dans cette circonstance, et un affront qui ne pouvait atteindre personne plus durement que Lysandre, lequel s'était toujours moqué de la pompe vieillie des maisons royales. Humilié une première fois par le roi Pausanias, il le fut une seconde fois et plus sensiblement par son propre élève ; sa position était intenable. Il demanda une mission en quelque autre lieu : Agésilas l'envoya sur l'Hellespont et trouva pour le remplacer dans Xénophon[38] un homme capable de lui rendre les plus grands services sans l'importuner par ses prétentions à la reconnaissance, et sans porter ombrage à la dignité royale.

Lysandre tomba, cette fois-ci encore, sans que sa chute provoquât un mouvement quelconque ; l'apothéose dont il avait été l'objet autrefois dans les villes ioniennes s'était depuis longtemps changée en indifférence. Agésilas, au contraire, grâce à la vigueur avec laquelle il s'était débarrassé de ce tuteur égoïste, conquit une situation et prit une attitude tout autre. A partir de ce moment, l'armée le reconnut comme son chef et les membres du conseil de guerre se subordonnèrent à lui,-puisqu'il se montrait à la hauteur de sa tâche ; car, quelque hasardeuse que parût la tentative de lutter avec une troupe si faible contre l'empire des Perses, pourtant la tâche était de celles dont un général même médiocrement doué pouvait venir à bout. On trouvait dans les riches villes maritimes un excellent appui : on avait devant soi un pays mal gardé, pays plein de ressources, habité par une population de même race, mal disposée pour les Perses, et qui entretenait aisément un nombre restreint de troupes. Le climat favorisait les incursions, qu'interrompaient des hivernages commodes ; les satrapes qui avaient à garder les provinces maritimes étaient animés les uns contre les autres d'une hostilité plus vive que contre le capitaine grec. Chacun l'excitait contre l'autre, ou du moins restait absolument tranquille. Lorsqu'il voyait son collègue menacé, Tissapherne se tenait de préférence au fond de la Carie, où étaient situées ses propriétés ; Pharnabaze, dans sa satrapie de l'Hellespont. Chacun cherchait à épier les mouvements de l'ennemi, puis à les prévenir ; mais d'une résolution énergique, du dessein arrêté de pousser jusqu' à la côte, d'écraser les forces ennemies ou de les forcer à la retraite, il n'en est pas question. Enfin, la vigilance et l'habileté des généraux perses étaient si peu de chose qu'ils se laissaient duper par les stratagèmes les plus simples. La flotte phénicienne ne causait encore au début aucune alarme. Dans ces circonstances, la conduite des opérations ne présentait guère de difficulté, surtout du moment qu'il ne s'agissait pas d'atteindre un but déterminé et important, mais de quelques entreprises lucratives.

Tissapherne ayant rompu l'armistice, Agésilas fit sa première campagne dans l'été 396. Il fit annoncer le passage de ses troupes par la route de Carie, afin de retenir son adversaire sur la ligne du Méandre, puis il marcha sans être inquiété dans la direction opposée, vers les côtes de l'Hellespont, emporta une série de villes et un immense butin, mais il fut obligé, devant la cavalerie ennemie, de se replier sur Éphèse[39]. On s'aperçut alors qu'on manquait de chevaux et de troupes légères.

L'hiver fut activement employé à améliorer l'armement. Éphèse devint une grande place d'armes et un champ de manœuvres ; on ne reconnaissait plus cette voluptueuse ville de commerce en voyant tous les magasins remplis de matériel de guerre, le marché plein d'armes et tous les artisans travaillant pour la guerre. On fit dés enrôlements sur une grande échelle. Le riche butin donnait le goût du métier militaire. Les gymnases et les palestres se remplissaient ; Agésilas présidait à des tournois propres à enflammer les imaginations, et portait avec ses jeunes compagnons les couronnes remportées à l'Artémision. La vie et le train des bords de l'Eurotas semblaient avoir été transplantés en Asie-Mineure, et l'on ne négligeait rien pour allumer chez les citadins l'amour des combats. Agésilas fit exposer les prisonniers nus, afin que l'on pût voir de près les corps délicats des Asiatiques, qui quittaient rarement leurs vêtements et qui, habitués au char, étaient impropres aux labeurs de la guerre. Se mesurer avec de pareils adversaires, c'était un combat d'hommes contre des femmes[40]. Pourtant les villes ioniennes préférèrent, au lieu du service personnel, fournir des remplaçants. Elle levèrent des hommes à leurs frais et se procurèrent des chevaux provenant des contrées les plus réputées pour l'élevage. C'était là sans aucun doute, le meilleur parti que pussent prendre les Ioniens, et pour eux-mêmes, qui pouvaient tranquillement vaquer à leurs affaires, et pour les intérêts d'Agésilas[41].

La deuxième campagne commença par une nouvelle méprise de la part de Tissapherne. Agésilas, cette fois, fit connaître ses véritables intentions ; puis, pendant que le satrape, persuadé qu'on voulait le tromper, craignait de nouveau pour la Carie et y attendait l'attaque, il remonta avec son armée, qui dans l'intervalle s'était montée jusqu'à 18 ou 20.000 hommes, la vallée du Caystros, tourna ensuite à gauche et pénétra, en longeant la chaîne de l'Olympos, dans la vallée de l'Hermos où l'armée se répandit dans les terres luxuriantes et jusqu'a, lors préservées sans rencontrer de résistance. Mais cette fois, Tissapherne concentra ses troupes pour sauver le centre de la domination perse en Asie, l'antique capitale de la Lydie. Agésilas vit descendre la cavalerie des Perses dans la plaine de l'Hermos, tandis que leur infanterie restait encore en arrière. Il se jeta promptement sur l'avant-garde, qu'il atteignit près du confluent du Pactole et de l'Hermos, et il réussit, grâce à l'habile emploi des diverses armes, en quoi il se révéla le disciple de Xénophon, à battre complètement l'ennemi. Le riche camp fut pillé, tandis que Tissapherne demeurait tranquille à Sardes et n'avait pas le courage de venger, avec les forces qu'il n'avait pas encore employées, cette honteuse défaite subie aux portes mêmes de la capitale[42].

Ce fut là le premier fait d'armes de grandes proportions et un événement dont les conséquences se firent sentir de divers côtés.

La conséquence la plus immédiate fut la ruine de Tissapherne, dont la situation à la cour était minée depuis longtemps. Pourtant, le Grand-Roi répugnait à laisser succomber le serviteur auquel il devait son trône ; mais le parti de Pharnabaze avait toujours gagné en crédit. On persuada au roi que Tissapherne obtenait de l'ennemi à prix d'argent qu'il épargnât sa province ; la défaite du Pactole lui porta le dernier coup, et la vengeance de la sanguinaire Parysatis, qui savait frapper successivement tous les ennemis de Cyrus, se satisfit aussi sur cette victime. On l'appela à Colosses pour un conseil de guerre, et là par la même ruse où il se croyait passé maître, on s'empara de lui ; ensuite on le livra à son successeur, qui inaugura ses fonctions en envoyant à Suse la tête de Tissapherne[43].

Les Grecs ne se tinrent pas de joie en apprenant la chute du plus détesté de leurs adversaires, et l'autorité d'Agésilas ne fit que grandir à leurs yeux. Sa patrie aussi lui adressa les plus éclatants témoignages de satisfaction. Il était, après Léotychide[44], le premier roi de Sparte qui eût vaincu les Perses dans leur propre pays ; le premier qui, si loin de la patrie, entouré de toute la splendeur orientale, en possession des pouvoirs militaires les plus absolus, n'en était pas moins resté parfaitement sûr et loyal. On fonda sur sa personne les espérances les plus téméraires, et l'on décida d'unir à la royauté la dignité d'amiral, dont une loi rigoureuse l'avait jusqu'alors maintenue distincte[45]. Puis la guerre continentale entra dans une nouvelle phase. Jusqu'ici elle consistait clans des expéditions isolées ; c'était là un système d'opérations approprié aux circonstances et pour lequel le roi comme l'armée étaient tout à fait propres. Après la dernière victoire, les prétentions s'étaient haussées ; il fallait des plans plus vastes, et cette ambition jetait les vainqueurs dans l'embarras. Car une véritable guerre de conquête, la soumission de l'intérieur, était loin de cadrer avec les plans du roi et l'intérêt bien entendu de Sparte.

Le seul résultat auquel il parut possible d'arriver, c'était d'anéantir la puissance perse en Asie-Mineure en poussant à la révolte les gouverneurs. Des succès de cette sorte ne dépassaient pas les calculs raisonnables. Les gouverneurs se voyaient complètement hors d'état d'opposer avec leurs moyens quelque résistance aux Grecs ; même le successeur de Cyrus avait dû reconnaître en fait l'indépendance du littoral ; les rigoureuses exigences de la Cour, qui ne voulait pas renoncer aux tributs de ces villes, causaient aux satrapes d'insupportables difficultés. En outre, les satrapes, à cause de leur éloignement de la cour, jouissaient d'une telle indépendance dans l'exercice de leur pouvoir qu'on n'osait ni déposer ni rappeler un homme comme Tissapherne, et qu'on ne savait que le supprimer par trahison. Dans une telle situation, ces potentats devaient naturellement finir par penser que la meilleure politique consisterait pour eux à s'entendre de leur propre initiative avec des Grecs, et à se rendre, avec le secours des Grecs, indépendants de Suse. Tissapherne lui-même, le pire ennemi de la Grèce, n'avait-il pas une garde du corps grecque, la seule au milieu de laquelle il se sentît en sûreté ? Après la ruine de Tissapherne, qui passait pour un homme absolument dévoué au roi et que les petits potentats redoutaient à cause de ses pouvoirs étendus, les liens de l'obéissance et de la solidarité avec l'empire se relâchèrent encore davantage. On fit des ouvertures à Agésilas de divers côtés[46]. L'Asie-Mineure semblait se décomposer en une série d'États et de, nations, dont les princes invoquaient la protection des Grecs et se prêtaient par conséquent à toutes les concessions.

C'est dans ce sens qu'Agésilas travailla. Il réussit à entraîner le roi indigène de Paphlagonie, Otys, à une défection ouverte, par l'entremise, il est vrai, de Spithridate, un subordonné de Pharnabaze, que Lysandre avait amené à s'attacher aux Grecs[47]. Agésilas fit aboutir un mariage entre Otys et la fille de Spithridate[48], pour s'attacher encore plus solidement le roi et former autant que possible un groupe de princes unis dans un intérêt grec. On espérait même attirer Pharnabaze dans une pareille alliance ; mais, avant que ces, plans ne fussent arrivés à maturité, il se produisit du côté où l'on ne s'y attendait pas, comme conséquence pourtant de la victoire du Pactole, un changement complet dans la marche des hostilités.

Tissapherne avait été remplacé par Tithraustès, personnage beaucoup plus difficile à manier, parce qu'il poursuivait des desseins plus élevés[49] Tithraustès ne se fit aucune espèce d'illusion. Il comprit l'impossibilité de se défendre par les armes contre les armées étrangères, et il commença en conséquence à négocier sur de nouvelles bases[50]. Il se déclara prêt à reconnaître la liberté et l'autonomie des villes maritimes, à la charge pour celles-ci d'acquitter un certain tribut au Grand-Roi, qui se regardait comme propriétaire du sol où elles étaient bâties[51]. Cette proposition était sans aucun doute la seule base possible sur laquelle les deux parties pussent se rencontrer et s'entendre, la seule manière d'assurer aux villes maritimes leurs franchises politiques sans qu'une armée étrangère séjournât en Asie-Mineure et que l'état de guerre se perpétuât indéfiniment. Plusieurs colonies grecques vivaient sous un régime analogue, sans qu'on leur contestât le titre de républiques grecques.

Mais Agésilas ne pouvait, après sa victoire, admettre de pareilles conditions, et Tithraustès était pour le moment hors d'état de faire autre chose que de se débarrasser de son adversaire à la manière de Tissapherne, en lui payant de fortes sommes pour la solde de ses troupes et en obtenant à ce prix qu'il se tournât de nouveau vers l'Hellespont[52]. Ainsi Pharnabaze non plus ne tirait aucun profit de la chute de son rival ; il s'en trouva même plus mal qu'auparavant. Sa magnifique résidence de Dascylion sur la Propontide devint le quartier d'hiver d'Agésilas, qui chassait dans les parcs du satrape tandis que celui-ci avec ses trésors errait à l'aventure, avec des bandes de pillards à ses trousses.

Cependant Tithraustès avait découvert d'autres expédients plus efficaces pour mettre fin à la confusion qui régnait en Asie-Mineure. S'il fallait continuer la guerre à prix d'or au lieu d'employer les armes, il valait mieux ne pas donner cet or au roi de Sparte, qu'on ne faisait qu'enchaîner ainsi au sol de l'Asie-Mineure, mais bien aux ennemis de Sparte dans la mère patrie. Tithraustès connaissait la situation de la Grèce ; il savait que les matières incendiaires y étaient amoncelés, et qu'une guerre allumée là-bas était le sûr moyen de rendre aux provinces maritimes de l'empire la paix après laquelle elles soupiraient depuis si longtemps. Déjà Conon avait pris le commandement sur mer ; alors Tithraustès envoya, dans l'été 395, le Rhodien Timocrate à Athènes, Thèbes, Argos et Corinthe[53]. Les subsides perses, que dans la guerre du Péloponnèse les Athéniens avaient si ardemment convoités et que les Spartiates avaient achetés à force de bassesses, ces subsides étaient offerts aujourd'hui spontanément et apportés aux cités hostiles à Sparte. Les archers d'or, placés en lieu convenable, firent leur effet[54]. Les chefs du parti démocratique, dont les intérêts concordaient maintenant avec ceux du Grand-Roi, délivrèrent son empire de cet incommode ennemi, tandis qu'ils faisaient de la Grèce, après une courte trêve, le théâtre d'une guerre qui continua pendant sept ans sur terre et sur mer, et qui modifia essentiellement la situation respective des États de la Grèce.

 

 

 



[1] Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, II, p. 15.

[2] Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, II, p. 86.

[3] 2.000 mines, à raison de 2 mines par hoplite (THUCYDIDE, V, 49).

[4] PAUSANIAS, III, 8, 4. XÉNOPHON, Hellen., III, 2, 27. C'était un ami de Lysias (Vit. X Orat., p. 835).

[5] XÉNOPHON, Hellen., III, 2, 23.

[6] Quoi qu'en dise Xénophon (Hellen., III, 2, 26), Pausanias et Diodore affirment qu'il y eut résistance à Olympie.

[7] XÉNOPHON, Hellen., III, 2, 26.

[8] Le promontoire de Katakolo.

[9] La chronologie de cette guerre n'est pas très sûre. Xénophon en fait coïncider le début avec l'expédition de Dercyllidas (Hellen., III, 2, 21). En conséquence, MANSO la place de 399 à 398 ; KRÜGER, de 398 à 397. C'est à ce dernier avis que se rangent SIEVERS et HERTZBERG (Agesilaos, p. 242). Diodore, au contraire, donne comme date initiale 401 (Ol. XCIV, 3). Il ne résulte pas nécessairement du texte de Xénophon que les hostilités en Asie et en Élide aient eu lieu en même temps, et il y a à ce système plusieurs objections : 1° l'histoire de l'Éléen Phédon, qui fut vendu comme esclave à Athènes avant la mort de Socrate et qui, sans aucun doute, ainsi que l'a montré PRELLER (Rhein. Museum, N. F. IV, 394. Gesamm. Abhandl., p 365), avait été fait prisonnier dans la guerre d'Élide — 2° la chronologie des rois de Sparte. D'après Diodore (XII, 35), Agis règne vingt-sept ans, et Thucydide (III, 89) le fait monter sur le trône en 426 (en 427, Archidamos était probablement déjà malade. Cf. LEY, Fat. et condit. Ægid., p. 38). Dans cette hypothèse, Agis serait mort en 400 ou en 399. D'autre part, c'est bien en 399 qu'Agésilas arrive au trône, si l'on place sa mort, avec BÖCKH (Manetho, p. 369-371, A ; cf. SCHÄFER, Demosthenes, I, p.442), en 358, et si on lui accorde (suivant PLUTARQUE, Agésilas, 40) 41 ans de règne. Or, comme dans l'été de 400 on a célébré la XCVe olympiade, — et, comme nous devons l'admettre, avec la solennité ordinaire, — la guerre d'Élide doit avoir eu lieu de 401 à 400, et GROTE (XII, p. 274, 1, trad. Sadous) a raison de supposer que les Éléens se sont efforcés d'y mettre fin avant la fête. Seulement, Grote commet une inexactitude en faisant durer la guerre trois ans.

[10] DIODORE, XIV, 34. PAUSANIAS, IV, 26. Lycon était commandant de Naupacte à l'époque des Trente : le comique Métagène le signale comme προδούς Ναύπακτον (MEINEKE, Fragm. Comic., II, p. 755. BERGK, Rel. Com., p. 422).

[11] DIODORE, XIV, 34. POLYÆN., II, 21, 1. Cf. Hermes, VII, p. 382.

[12] De là le nom d'είσπνήλας. Cf. SCHÖMANN, Griech. Alterthümer, I3, p. 276.

[13] Sur ce débat, voyez XÉNOPHON, Hellen., III, 3, 1-4. PLUTARQUE, Lysandre, 22. Agésilas, 3. PAUSANIAS, III, 8, 7 sqq. Il rappelle celui qui s'était élevé entre Léotychide et Démarate (HÉRODOTE, VI, 61-70) ; mais, dans le cas rapporté par Hérodote, le litige n'avait pas été soulevé lors de l'avènement.

[14] PLUTARQUE, Agésilas, 3. XÉNOPHON, Hellen., III, 3, 3. C'est le même qui s'était fait déjà l'accusateur d'Anaxagore (ARISTOPHANE, Aves, 988. Equit., 1085).

[15] L'avènement d'Agésilas (né en 442) eut lieu en 399 (HERTZBERG, Das Leben des Königs Agesilaos II [1856], p. 246. Agesilaus in Pauly's Realencyclopädie, I2, p. 553).

[16] ARISTOTE, Polit., 207, 27 [49, 26].

[17] XÉNOPHON, Hellen., III, 3, 4-11. POLYÆN., II, 14.

[18] Pharnabaze conclut un armistice en 399 (Ol. XCV, 2) après quoi il fait le voyage de Suse (DIODORE, XIV, 39. JUSTIN, VI, 1).

[19] Le père et le fils de Conon portent le nom de Timothée (nom de famille des Eumolpides : cf. REHDANTZ, Vitæ Iphicratis, Chabriæ, Timothei, p. 46).

[20] Parmi ses collègues, Philoclès s'était aussi honorablement conduit.

[21] XÉNOPHON, Hellen., II, 1, 29.

[22] Sur Évagoras, voyez ISOCRATE, Evagoras (Orat. IX). DIODORE, XIV, 98. CTÉSIAS, p. 58, 77 éd. C. Müller.

[23] Environ 2.947.000 francs.

[24] Ctésias racontait, à la fin de ses Περσικά, qu'il avait été accusé pour avoir pris part à la construction de la flotte de Rhodes ; or, d'après Diodore (XIV, 46), il termina son livre à l'année 398/7 (Ol. XCV, 3). La construction de ladite flotte peut avoir commencé en 398, et Ctésias avoir été accusé cette même année. Cf. VOLQUARDSEN, Quellen des Diodor, p. 421.

[25] XÉNOPHON, Hellen., III, 4, 1.

[26] XÉNOPHON, Hellen., III, 4, 2. PLUTARQUE, Lysandre, 23. Agésilas, 6.

[27] HERBST (op. cit., p. 702) révoque en doute cette démarche des villes d'Asie. L'envoi d'Agésilas en Asie ne saurait être considéré, ainsi que le prétend VOLQUARDSEN (op. cit., p. 122), comme motivé par la délivrance de Conon, bloqué à Caunos, de 397 à 395.

[28] En sa qualité de roi, Agésilas était, il est vrai, général de droit. Cependant on peut dire qu'en cette occasion il brigue le commandement, parce qu'il ne s'agit pas d'une levée régulière de l'armée lacédémonienne ayant à sa tête son chef naturel, mais bien d'une expédition tout à fait inaccoutumée, dont on demande que la conduite soit confiée au roi.

[29] Les Trente étaient plutôt, à vrai dire, une espèce d'état major qu'une autorité investie du contrôle ; mais on les appelle σύμβουλοι et συνέδριον, tout comme les Dix qui accompagnaient Agis, et il n'est pas douteux qu'ils ne dussent remplir auprès du roi des fonctions analogues, bien qu'en fait on les ait réduits à la situation de subordonnés, tellement qu'on laissa Agésilas les nommer lui-même (DIODORE, XIV, 79). Il régnait à l'époque, dans toutes les institutions publiques de Sparte, une grande incertitude.

[30] Aristoménidas (ou peut-être Άριστομηλίδας, d'après KEIL, Anal. Epigraph., p. 236), était, d'après Pausanias (III, 9, 3), le grand-père maternel d'Agésilas. Seulement, Plutarque (Agésilas, 1) appelle ce grand-père maternel Mélésippidas. Cf. HERTZBERG, op. cit., p. 235.

[31] PAUSANIAS, III, 9, 2. Au lieu de κατακλυθέντος, Camerarius donne la mauvaise leçon κατακαυθέντος [maintenue par Schubart]. Cf. Peloponnesos, II, p. 537. Ce que dit Pausanias de la grande envie qu'avaient les Corinthiens d'aller se battre est assez surprenant : cela ressemble à de l'ironie.

[32] Géræstos (pointe S. de l'Eubée, en face d'Andros) était la tête de ligne pour la traversée entre l'Asie et l'Attique (STRABON, p. 444).

[33] On pourrait croire qu'Agésilas a fait ce renforts de plus, et notamment pour négocier (PLUTARQUE, Agésilas, 6). Mais Xénophon (Hellen., III, 4, à Aulis comme le principal souci d'Agésilas et son dire. détour pour obtenir quelques avec les béotarques (PLUTARQUE, 3) indique aussi le sacrifice Pausanias (III, 9, 3) confirme son dire.

[34] PLUTARQUE, Agésilas, 6.

[35] XÉNOPHON, Hellen., III, 4, 5.

[36] Sur la conduite de Lysandre en Ionie, voyez XÉNOPHON, Hellen., III, 4, 7 sqq. PLUTARQUE, Agésilas, 7.

[37] PLUTARQUE, Agésilas, 8.

[38] PLUTARQUE, Agésilas, 9.

[39] XÉNOPHON, Hellen., III, 4, 11-15.

[40] XÉNOPHON, Hellen., III, 4, 45119. PLUTARQUE, Agésilas, 9.

[41] Agésilas dispensa du service personnel les riches Ioniens, ceux qui fournissaient un cavalier : les autres servirent eux-mêmes ce sont les milices dont il sera question plus loin.

[42] XÉNOPHON, Hellen., III, 4, 20-24. PLUTARQUE, Agésilas, 10.

[43] Sur la chute de Tissapherne, il y avait différentes versions. Tantôt on l'accuse de défection et de trahison vis-à-vis de son suzerain (CORN. NEPOS, Conon, 2. 3). D'autres nient le fait (XÉNOPHON, Hellen., III, 4, 25. DIODORE, XIV, 80. PLUTARQUE, Agésilas, 10). Cf. NICOLAÏ, Politik des Tissaphernes, p. 37.

[44] Léotychide commandait à Mycale.

[45] Plutarque dit qu'Agésilas a été seul investi à la fois des deux commandements (PLUTARQUE, Agésilas, 10). Pausanias (III, 9, 6) en dit autant. Il doit donc avoir existé — probablement depuis la trahison de Pausanias — une coutume légale interdisant la réunion des deux dignités.

[46] XÉNOPHON, Agésilas, I, 35.

[47] XÉNOPHON, Hellen., III, 4, 10.

[48] XÉNOPHON, Hellen., IV, 1, 3. Ce roi est souvent appelé Cotys (PLUTARQUE, Agésilas, 11. XÉNOPHON, Agésilas, II, 26).

[49] Tithraustès, commandant de la garde royale, appartient au parti de Ctésias (NICOLAÏ, op. cit., p. 34).

[50] Les négociations avec Agésilas (DIODORE, XIV, 80) se font par l'intermédiaire d'un Spartiate nommé Callias (XÉNOPHON, Agésilas, VIII, 3 sqq).

[51] XÉNOPHON, Hellen., III, 5, 25. Il y avait des colonies, Olbia, par exemple, qui payaient l'impôt du sol.

[52] Agésilas conclut le marché à 30 talents (XÉNOPHON, Hellen., III, 4, 26).

[53] XÉNOPHON, Hellen., III, 5. C'était la vieille méthode perse (THUCYDIDE, I, 109).

[54] PLUTARQUE, Agésilas, 15. On trouve, en effet, sur les monnaies le Grand-Roi représenté en archer (BRANDIS, Münzwesen in Vorder-Asien, p. 244, 360. E. CURTIUS, Ueber die knieenden Figuren, Berlin, 1869, p. 7).