HISTOIRE GRECQUE

TOME TROISIÈME

LIVRE QUATRIÈME. — LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE.

CHAPITRE CINQUIÈME. — LA GUERRE DE DÉCÉLIE.

 

 

§ V. — LA FIN DU DRAME.

Athènes ne sut pas mieux profiter de la victoire des Arginuses pour se relever au dehors ; elle se contenta de délivrer Lesbos, bien que Sparte fut pour le moment tout à fait impuissante. Cyrus avait épuisé les subsides destinés aux Péloponnésiens et ne se souciait pas de la flotte battue ; les Spartiates avaient perdu courage. Étéonicos, complètement abandonné et privé de tout secours, stationnait avec ses vaisseaux devant Chios, off ses soldats gagnaient péniblement leur vie en travaillant à la journée dans les champs des insulaires ; à l’approche de l’hiver, ils se trouvaient dans un tel dénuement qu’ils résolurent de surprendre la ville de Chias pour se procurer des vêtements et des vivres ; la présence d’esprit d’Étéonicos les empêcha seule de réaliser leur projet[1]. Mais, tandis que la flotte athénienne, forte de 180 trirèmes, restait inactive à Samos, un mouvement important et fécond en résultats se produisit dans le camp ennemi. Ce mouvement n’avait d’autre but que d’opposer de nouveau aux Athéniens, qui s’étaient privés eux-mêmes de leurs meilleurs généraux, le seul homme dont on put attendre la lin de la guerre.

Pendant son séjour en Asie Mineure, Lysandre s’était arrangé de façon à faire naître chez une foule de personnages influents d’ambitieuses espérances dont la réalisation dépendait de sa personne. Des députés de toutes les villes d’Ionie se réunirent donc à Éphèse ; parmi eux, ce furent principalement ceux de Chios et d’Éphèse qui prirent la parole. Les premiers surtout étaient menacés par l’état de choses actuel ; ils n’avaient pu éviter d’être rançonnés par leurs propres alliés qu’au prix de nouveaux sacrifices d’argent. Les marchands d’Éphèse désiraient avant tout la paix pour pouvoir se livrer tranquillement à leur trafic lucratif avec Sardes, qui, comme résidence d’un vice-roi, avait pris une importance nouvelle. Les villes se mirent donc en relation avec Cyrus et envoyèrent, conjointement avec lui, une ambassade à Sparte pour prier instamment les autorités de la ville d’expédier de nouveau Lysandre en Ionie comme commandant de la flotte. On eut quelque peine à avoir sur ce point gain de cause, car une lui de l’État défendait formellement de revêtir deux fois le même homme des fonctions d’amiral[2]. Mais, comme le parti de la paix, depuis le rejet des dernières propositions pacifiques à Athènes, était sans force, que les moyens de continuer la guerre ne pouvaient venir que du dehors, que les dix envoyés de Cyrus promettaient d’abondants subsides, et que le parti de Lysandre appuyait énergiquement la proposition en question, on trouva, après une courte lutte entre les partis, un expédient pour éluder la loi. Les éphores, pendant l’automne de l’année 406, parvinrent à faire mettre Lysandre à la tête de la flotte Lila place d’Étéonicos, en qualité d’Épistoleus, c’est-à-dire, comme lieutenant du commandant en chef[3]. L’amiral en titre, Aracos, resta à Sparte, et Lysandre fut maître absolu de la situation[4].

Au commencement de l’année 405, toute la guerre prit une tournure nouvelle. Lysandre se trouvait de nouveau à Éphèse, au centre de toutes les relations qu’il avait nouées deux ans auparavant ; tous les partisans qui ne pouvaient attendre que de lui la récompense de leurs services et la satisfaction de leur ambitions se groupèrent autour de lui pour profiter, aussi rapidement que possible, de circonstances favorables dont personne ne pouvait garantir la durée. Lysandre, de son côté, fit tous ses efforts pour terminer l’ œuvre commencée ; chez lui et chez les alliés, il était considéré comme indispensable ; on avait mis le sort de la Grèce entre ses mains. Comme Cyrus le soutenait avec le plus grand zèle, il avait les mains pleines d’argent. Tous les arrérages de la solde furent payés, les anciennes troupes équipées de nouveau : de nouvelles recrues accouraient de toutes parts ; on réunit les escadres dispersées, et les chantiers d’Antandros a furent remis en pleine activité. Les nouvelles inquiétantes qui arrivaient à Sardes. au sujet de la sante du Grand-Roi, étaient également favorables à Lysandre ; car elles décidèrent Cyrus à obliger le plus possible le général lacédémonien, afin de pouvoir en toute sécurité compter sur lui dans le cas d’un nouvel avènement. Il le fit donc venir à Sarcles (vers le mois de février), lui renouvela ses promesses, s’engagea à faire venir la flotte phénicienne, le nomma son lieutenant pendant son voyage en Médie et lui confia son trésor et ses revenus. Avant la fin de l’hiver, Lysandre était de retour sur la côte et agissait avec tant de vigueur dans les villes d’Ionie, que ses amis et ses ennemis surent bientôt à quoi il fallait s’attendre de sa part.

Ce qui se passa à Milet caractérise à merveille sa politique. Là, après que Lysandre eut cessé d’être commandant en chef, le parti oligarchique, qui par lui était arrivé au pouvoir, s’était réconcilié avec ses adversaires. Lysandre parut approuver complètement cette entente pacifique ; mais il fit en secret à ses partisans les reproches les plus amers et les excita par tous les moyens possibles à tenter un coup de main. Puis, lorsqu’il sut que tout était prêt, il vint lui-même à Milet à l’époque des Dionysies[5], réitéra ses menaces contre les perturbateurs pour rassurer les citoyens fidèles à la constitution, et arriva ainsi, à force d’astuce, à renverser rapidement et complètement la démocratie. La mesure fut radicale, car il s’y prit de façon que presque tous les démocrates furent massacrés ; ceux qui purent se sauver cherchèrent un refuge auprès de Pharnabaze, qui accueillit généreusement ces malheureux.

Les préparatifs de Lysandre étaient terminés ; au printemps, il se trouva prêt à marcher et sûr de la victoire. Cette fois, aucun adversaire dangereux ne le forçait à se tenir sur ses gardes, car il savait à quoi s’en tenir sur la flotte ennemie ; il avait des complices parmi ceux qui la commandaient ; il pouvait donc se comporter partout en maître de la mer sans manquer aux instructions de Cyrus, qui l’avait vivement engagé à ne se lancer dans aucune aventure. Il croisa partout, débarqua à Égine et en Attique, où il eut une entrevue avec le roi Agis, et de là il mena en toute hâte sa flotte dans l’Hellespont, on devait se décider le sort d’Athènes. Il attaqua Lampsaque, qui avait une garnison athénienne, et cette ville opulente tomba en son pouvoir, avec tous ses approvisionnements, avant que la flotte athénienne m’IL le temps de venir à son secours.

Les Athéniens établirent leur camp en face de Lampsaque, dans une haie découverte où venait se jeter la rivière aux chèvres (Ægospotamoi), à quinze stades de Sestos. En choisissant cet endroit, les Athéniens ne pouvaient avoir d’autre but que de faire sortir Lysandre de son port commode et de le décider à les attaquer. Aucun lieu n’offrait moins d’avantages pour un long séjour ; il n’y avait ni défenses naturelles, ni ville dans le voisinage où les troupes eussent pu s’approvisionner ; tons les jours elles étaient obligées de faire un quart de lieue dans les terres pour se procurer les vivres nécessaires[6]. Néanmoins la flotte resta, et cela, dans nu état qui, même en admettant les circonstances les plus favorables, devait empêcher tout succès. Eu face de troupes bien exercées et pourvues de tout, que dirigeait à son gré un chef aussi intelligent qu’entreprenant, cette flotte, la dernière qu’Athènes pût équiper, était désunie comme Athènes elle-même et divisée par les partis. Les équipages, composés de gens de toute espèce, sans discipline, sans cohésion entre eux, sans énergie morale, étaient commandés par six généraux qui poursuivaient des buts complètement différents. Le commandant en chef était le brave Conon, personnellement aussi capable de soutenir l’honneur des armes athéniennes que fermement décidé à le faire ; mais Conon ne pouvait compter que sur une petite troupe d’élite composée de citoyens athéniens, et ses efforts étaient paralysés par ses collègues, dont la maladresse ou la trahison favorisaient les plans de l’ennemi. Parmi eux se trouvait Adimantos fils de Leucolophide, que Conon put plus tard accuser.de trahison. C’était un de ces oligarques qui ne voulaient, pas qu’Athènes fut victorieuse[7] ; les deux stratèges Ménandros et Tydeus appartenaient probablement au même parti, qui avait d’ailleurs dans l’armée beaucoup d’adhérents, tandis que Philoclès était un hâbleur irréfléchi, qui ne se rendait pas compte du danger et méprisait l’ennemi[8]. Il était naturel que Conon, associé à de pareils collègues, vît décroître de jour en jour la force de résistance de la flotte ; il était dans une situation désespérée, et il n’y avait qu’à ouvrir les yeux pour voir la catastrophe s’approcher.

Ce fut alors que se présenta une dernière chance de salut. Alcibiade s’offrit encore une fois comme sauveur. Il n’était pas resté inactif dans la Chersonèse, mais, conformément aux besoins de sa nature, il y avait cherché et trouvé l’occasion de déployer une brillante activité. Il s’était de nouveau mis en relations avec les peuplades thraces ; leurs rois recherchaient l’amitié de cet exilé qui, grâce à ses éminentes qualités, avait acquis lit une puissance considérable, une situation princière et de grands trésors. En faisant la guerre aux tribus barbares et en les châtiant, il était devenu le bienfaiteur des villes grecques de la côte. Il quitta ses domaines, situés à peu de distance du camp des Athéniens, et vint leur offrir ses avis et son secours. Avant tout, il conjura les généraux de doubler le promontoire pour se rendre à Sestos, où ils trouveraient la sécurité et les ressources nécessaires. Il leur fit voir que la dispersion journalière des équipages était un danger pour tonte la flotte. Il leur promit l’appui du roi Seuthès et du chef des Odryses Mandocos, qu’il avait su gagner à la cause athénienne. C’était la première alliance qui s’offrait à la ville abandonnée, une alliance qui, à cause des ressources qu’offrait l’Hellespont à la marine athénienne, eût été d’une importance exceptionnelle. Il se faisait fort enfin de contraindre Lysandre à accepter la bataille, si on voulait lui confier le commandement en chef. Il espérait, au moyen de semblables perspectives, amener un revirement d’opinion semblable à celui qu’il avait réussi à produire au camp de Samos ; il croyait à la possibilité de revoir encore une fois sa patrie en vainqueur. Mais les généraux repoussèrent avec hauteur la main qui seule eût pu sauver Athènes déjà au bord de l’abime, et la destinée s’accomplit, comme Lysandre le voulait[9].

Après que les Athéniens se furent en vain avancés en pleine mer quatre jours de suite pour offrir la bataille à l’ennemi, et que, après chaque retour, les équipages se furent dispersés sur la côte avec une insouciance croissante, le général ennemi donne, le cinquième jour, à toute la flotte l’ordre de se tenir prête et de commencer l’attaque dès que les vaisseaux envoyés en reconnaissance an milieu du détroit donneraient le signal que les marins athéniens étaient de nouveau descendus à terre. Tous les ordres sont ponctuellement exécutés. Les Péloponnésiens se jetèrent inopinément sur les vaisseaux ennemis après avoir mis en déroute l’escadre de Philoclès, tandis qu’on débarquait eu même temps des troupes de terre pour attaquer par derrière les retranchements athéniens. Il n’y eut même pas de bataille navale ; les vaisseaux encore montés furent si vivement refoulés qu’ils ne purent faire aucun mouvement ; le plus grand nombre étaient vides ou insuffisamment armés. Les Spartiates remportèrent la victoire la plus complète sans effusion de sang, et sans qu’il y eût la moindre perte du côté du vainqueur. Conon seul parvint à gagner la haute mer avec huit vaisseaux et la Paralos ; Nausimachos de Phalère échappa aussi avec le sien, ainsi que deux autres trirèmes[10] ; toutes les autres tombèrent au pouvoir du vainqueur. Lysandre envoya à Sparte le Milésien Théopompos qui, grâce à la marche rapide de son navire, put annoncer trois jours après la nouvelle de la victoire[11].

Une partie de l’équipage s’était réfugiée à Sestos. Plus de 300 prisonniers furent transportés à Lampsaque et traduits devant un conseil de guerre auquel Lysandre convoqua tous les alliés présents. Il réussit ainsi à faire éclater encore une fois la haine que ressentaient contre Athènes les Ioniens, les Béotiens, les Mégariens et autres, et à faire croire qu’il avait reçu du peuple hellénique la mission de punir Athènes de tous les crimes dont elle s’était rendue coupable envers l’Hellade. Les Spartiates aimaient à couvrir leurs actions les plus cruelles d’un simulacre de légalité. Ils écoutèrent donc avec complaisance, comme ils l’avaient fait autrefois contre les Platéens, les accusations les plus exagérées dont on chargea les Athéniens désarmés. La chronique da passé ne suffit pas. Pour augmenter la fureur des assistants, on répandit le bruit que les Athéniens avaient résolu, par délibération en forme, s’ils étaient vainqueurs, de faire couper la main droite à tous les prisonniers. C’est ainsi que toute l’armée navale fut en bloc condamnée à mort.

Philoclès repoussa avec indignation l’interrogatoire spécial auquel on voulait le soumettre ; après avoir pris un bain et avoir mis un vêtement brillant, il marcha courageusement au supplice avant les siens, expiant ainsi par sa mort son incapacité et sa confiance exagérée en lui-même[12]. Adimantos fut seul épargné, à cause des services qu’il avait rendus à l’ennemi[13]. Mais ce qu’il y eut de plus révoltant dans les scènes horribles qui se passèrent alors dans l’Hellespont, c’est que Lysandre n’accorda pas même aux suppliciés une sépulture honorable. Jamais, même durant les guerres entre Grecs et Barbares, on n’avait fait preuve d’une insensibilité aussi sauvage.

Un calme lourd pesait sur Athènes depuis le procès intenté aux généraux. Épuisée par l’effort immense qu’avait exigé l’équipement de la dernière flotte, abandonnée de toute la partie valide de la population, la ville ne pouvait rien faire, sinon suivre avec anxiété la marche des événements qui bientôt allaient décider de son sort.

Les nouvelles qui arrivaient du théâtre de la guerre n’étaient pas faites pour relever le courage. L’Ionie, qu’il mit fallu reconquérir avant tout, fut rattachée plus étroitement que jamais à Sparte, et les ennemis les plus dangereux se liguèrent contre les Athéniens au moment où ceux-ci venaient de bannir ou de mettre à mort leurs meilleurs généraux. Dans l’intérieur de la ville, il n’y avait ni sécurité, ni repos. On manquait de confiance et de ce courage que donne une bonne conscience. A quoi servait de comprendre maintenant qu’on avait été honteusement joué par les oligarques, de donner un libre cours à la colère qu’on ressentait contre Callixenos et de le faire arrêter, avec quatre autres, pour le soumettre à une enquête avec torture ? Les oligarques surent se garantir du danger, et Théramène lui-même y échappa, bien qu’il eût échoué comme candidat à une des places de stratège. Le parti oligarchique continuait à dominer au Conseil. Les citoyens ne savaient à qui se fier. Les démagogues, Cléophon, Archédémos et leurs pareils, ne leur inspiraient aucune confiance, aussi peu que les hommes du parti opposé, dont l’impudeur était manifeste. On détestait les uns, on méprisait les autres, et néanmoins on revenait tantôt aux uns, tantôt aux autres.

On essaya d’amender le régime social par diverses mesures, pour retrouver un point d’appui solide et faire cesser les abus les plus criants. On avait dérangé tout le mécanisme de l’État en suspendant si souvent le cours légal de la justice ; la notion du droit avait disparu à Athènes. Aussi, plusieurs fois déjà les citoyens s’étaient demandé si le moment n’était pas venu de réviser à nouveau le monceau de lois qui, depuis Solon, formait la base du droit athénien, de supprimer ce qui était suranné et de faire disparaître les contradictions. Après la chute des Quatre-Cents, on résolut d’exécuter ce projet, et un certain Nicomachos fut élu président d’une commission qui devait rapidement terminer ses travaux. C’était un de ces hommes de basse extraction que leur habitude des affaires semblait rendre propres à de pareils travaux, un de ces scribes alors très nombreux et très influents à Athènes, un homme enfin qui ne cherchait qu’à retirer du profit de la mission qu’on lui avait confiée et qui était accessible à la corruption[14]. C’est à un pareil personnage que l’on confia pour les réviser les lois de Solon, et le salaire qu’on lui accordait était pour lui une raison suffisante de ne pas trop se presser. L’affaire traîna d’une année à l’autre, et l’on profita de la circonstance pour introduire ou supprimer des lois avec un arbitraire criminel : on vit même des parties adverses commander au bureau où l’affranchi trafiquait de la loi la disposition légale Mont ils avaient besoin pour terminer un procès en suspens. Ces abus profitaient surtout aux oligarques qui, depuis le procès des Hermès, avaient tenté sans cesse d’ébranler le sentiment du droit afin de faire tomber de plus en plus en discrédit la constitution établie.

Dans ces circonstances. toutes les tentatives faites pour relever l’État au moyen d’une législation nouvelle devaient échouer. Le moment d’ailleurs n’était favorable ni pour organiser, ni pour créer. La vie intellectuelle était paralysée[15]. Les grands hommes, contemporains de Périclès, n’étaient plus ; Sophocle était mort un des derniers, l’année même où les Athéniens avaient remporté leur dernière victoire avait loyalement partagé avec les siens la bonne et la mauvaise fortune ; malgré les plus séduisantes invitations, il n’avait jamais voulu vivre à l’étranger. Beaucoup d’autres, an contraire, qui savaient faire apprécier au dehors leur art et leurs talents, avaient depuis longtemps quitté leur ville natale, dont l’esprit leur était odieux. On était las de cette culture malsaine du peuple athénien, auquel la sophistique avait ravi ses biens les plus précieux. On voyait sous un jour idéal ces libres et primitives peuplades du Nord qui avaient conservé, grâce à la simplicité et à la pureté de leurs mœurs, la piété des anciennes générations et les traditions de la sagesse antique, celles par exemple du Thrace Zamolxis ; mais l’attention se portait surtout sur ces contrées où la vie patriarcale d’autrefois avait donné naissance à une civilisation nouvelle et pleine de promesses pour l’avenir.

C’est pour cette raison que, pour les artistes surtout, aucune ville n’avait plus de charmes que la capitale de la Macédoine. Tout y était jeune et plein de vie ; là régnait depuis 413 (Ol. XCI, 4) Archélaos, fils de Perdiccas, un prince qui, pendant les troubles causés par la guerre de Décélie, mit de l’ordre dans son royaume, fit tracer de belles routes, fonda des villes, répandit l’instruction parmi son peuple, et attira à sa cour les artistes et les poètes les plus distingués.

Une Grèce nouvelle naissait au delà de l’Olympe ; en Piérie, la patrie des Muses, Archélaos fonda des jeux sous leurs auspices. Les Athéniens tournaient vers lui des regards pleins d’envie et de désirs ; ils le considéraient comme le plus fortuné des mortels et appelaient aussi bienheureux ceux qui pouvaient vivre à sa cour[16]. Parmi ces derniers figurait Euripide qui, découragé, avait quitté sa patrie, et Agathon, fils de Tisaménos, un poète orné des plus brillantes qualités du corps el de l’esprit, et qui mieux que le premier savait jouir des plaisirs de la cour. C’est ainsi qu’Athènes s’appauvrit de plus en plus[17]. Ceux qui restèrent ne pouvaient compenser ses pertes. Aux grands poètes succédèrent des poètes sans talent, de trop féconds versificateurs qui croyaient pouvoir remplacer la force du génie par leur habileté de sophistes ; sans élévation morale, sans pratique sérieuse de l’art, ils ne songeaient qu’à produire une impression passagère sur le public, qui lui-même n’avait plus le recueillement qu’il faut pour apprécier une sérieuse œuvre d’art.

La comédie résista mieux que la tragédie ; sa nature plus souple lui permit de traverser plus facilement ces temps difficiles, dont les vices mêmes lui fournissaient des sujets nouveaux. La muse comique ne pouvait pas aisément trouver en dehors d’Athènes une scène pour se produire ; aussi Aristophane resta-t-il fidèle à sa patrie ; il resta fidèle à lui-même, à ses sentiments patriotiques, et il eut la gloire de célébrer, de réjouir et de réconforter sa ville natale au moment de sa plus grande détresse par son inépuisable génie.

Il est vrai que les circonstances ne lui permettaient plus de toucher dans ses comédies aux questions politiques du jour ; l’affaissement moral était trop grand : elles lui défendaient aussi de prendre, pour affirmer ses opinions, cette attitude résolue et hardie qu’il avait prise autrefois vis-à-vis de Cléon. Il choisit donc, même pour la fête des pressoirs ou Lénéennes (janvier 105 : Ol. XCIII, 3), un domaine où il pût se mouvoir librement sans exciter de nouvelles passions. Avant la mort de Sophocle, la nouvelle de celle d’Euripide était arrivée de Macédoine ; Aristophane, profite de l’occasion pour mettre en scène, dans ses Grenouilles, le dieu Dionysos comme représentant le public athénien au théâtre. Les maîtres de l’art sont morts ou ont quitté la ville ; la scène est déserte. Or, comme la ville ne peut se passer de poètes, Dionysos veut descendre aux enfers pour en ramener un, et le meilleur qui soit ; on le reconnaitra comme tel aux conseils salutaires qu’il salua donner à ses concitoyens, à la manière des poètes d’autrefois. Les scènes humoristiques les plus divertissantes se succèdent, les unes sur la terre, les autres dans l’Hadès ; les chœurs fantastiques des grenouilles alternent avec les chants sublimes des initiés qui mènent une vie bienheureuse après la mort, et les spectateurs étonnés se sentent délivrés de tous les soucis du moment. L’auteur ne fait pas la moindre allusion aux blessures douloureuses de la vie publique ; son but principal est de rappeler les souvenirs du temps passé, de célébrer Eschyle, ce maître de l’art classique, et d’élever un monument à la mémoire du bien-aimé Sophocle. Cependant le poète, en songeant aux morts, n’oublie pas les vivants. Il voit la ville remplie de scribes immoraux, les citoyens, abâtardis par une demi-culture sophistique, tombés aux mains de vils trompeurs qui sèment et exploitent au-dedans la discorde. Il veut, au dernier moment encore, aider la ville de ses conseils.

Toujours ennemi des démagogues sans scrupules et enivrés d’orgueil qui, comme Cléophon, repoussent toute pensée de paix, et tout autant des oligarques sans principes, parmi lesquels sa muse sarcastique vise surtout Théramène, le poète invite l’élite des citoyens à rester unis par les liens d’une confiance réciproque et à pardonner enfin à ceux qui se sont laissé entraîner par les menées de Phrynichos dans la conspiration des Quatre-Cents. Il désire toujours la paix, sans laquelle il n’y a point de salut ; mais il ne veut pas la recevoir des mains des conjurés ; il veut une paix honorable, qui repose sur l’union des citoyens et sur une armée vigoureusement commandée. Pour cela, il faut Lm héros ; le héros existe, mais il est banni. Toute la question du salut de l’État tourne donc en définitive autour d’Alcibiade qui, présent ou absent, est toujours au centre de l’histoire d’Athènes.

Tandis qu’on se reprochait l’exécution des généraux qui avaient commandé aux Arginuses, un revirement de l’opinion s’était produit aussi à l’égard d’Alcibiade. On désirait ardemment le retour de celui dont la courte présence avait procuré à Athènes un dernier moment de bonheur. On le regrette, on le hait, et on voudrait le voir revenir, dit le poète. On n’avait pas assez d’énergie pour s’arracher à ces sentiments confus et pour vaincre par de viriles résolutions les influences contraires. Il ne peut y avoir de doute sur ce que voulait Aristophane et ceux qui pensaient comme lui. Ce n’est pas sans intention qu’il fait une description détaillée de la célébration des Mystères au milieu du calme et de la joie ; il rappelait ainsi à tous l’homme auquel on était redevable de la dernière fête de cette espèce’ : Eschyle est appelé le plus sage des poètes parce que, lorsqu’on lui demande ce qu’il pense d’Alcibiade, il donne cette réponse profonde :

Le mieux serait de ne point élever de lion dans Athènes :

Mais si on l’a fait, il faut se plier ses façons.

Quelques mois après, les Athéniens apprenaient qu’Alcibiade avait encore une fois tendu à leur armée une main secourable : elle avait été repoussée, et la Paralos qui apportait cette nouvelle était le seul des 160 vaisseaux qui rentrât au Pirée.

Tous les jours on s’attendait à voir paraître Lysandre lui-même. C’étaient les mêmes angoisses qu’on avait ressenties après la destruction de la flotte de Sicile. Mais combien la détresse d’alors était peu de chose comparée à celle du moment ! Cependant Lysandre ne paraissait pas. A sa place arrivaient des troupes de fugitifs, accourant de toutes les villes que Lysandre prenait l’une après l’autre, de Sestos, de Byzance, de Chalcédoine. Il avait laissé la vie et la liberté aux garnisons athéniennes qui s’v trouvaient, à condition qu’elles se rendraient immédiatement à Athènes[18]. C’est ainsi que se succédaient les terribles nouvelles. Bientôt on sut que Lesbos aussi avait fait défection, sans opposer de résistance, ainsi que les villes de la Thrace. Partout ces défections avaient été préparées par des conventions secrètes. Des nouvelles, dont une seule eût suffi naguère pour bouleverser Athènes, s’accumulaient de semaine en semaine et émoussaient la sensibilité[19]. Les Athéniens assistaient, sans pouvoir l’empêcher, au démembrement de leur empire ; ils se voyaient enlever une à une leurs ressources, tandis qu’un grand nombre de fugitifs, dénués de tout,  que Lysandre avait chassés des clérouchies, se pressaient dans l’intérieur de la ville et faisaient sentir plus que jamais le besoin d’approvisionnements venus du dehors.

C’est précisément ce que voulait Lysandre, qui, calme et sûr du succès, s’acheminait pas à pas à son but. Il établit dans les places prises des commandants lacédémoniens qui en furent rendus responsables ; il en donna le gouvernement aux chefs du parti oligarchique, qui, organisés en Conseils des Dix, étaient enchantés de régir leurs concitoyens sous l’autorité de Sparte. Les terres furent rendues aux anciens habitants ; les populations expulsées par les Athéniens furent invitées publiquement à rentrer sans crainte dans leur patrie, à Égine, à Scione, où récemment encore Athènes avait envoyé une colonie d’esclaves affranchis pour avoir combattu aux Arginuses, à Mélos et en bien d’autres endroits[20]. Un enthousiasme universel salua naturellement celle mesure ; toute l’Hellade s’inclina devant l’homme puissant qui savait non seulement exercer de terribles représailles, mais aussi réparer d’anciennes injustices.

Cependant le jour approchait où Athènes elle-même allait être jugée, après s’être vu arracher sa proie. Tous les Hellènes devaient assister à cette décision suprême ; on convoqua donc encore une fois tontes les troupes du Péloponnèse. Le roi Pausanias, qui deux ans auparavant avait succédé à son père Plistoanax, alla camper avec tons les alliés de Sparte dans les terrains bas de l’Académie pour enfermer Athènes du côté de l’ouest ; en même temps, Agis, qui depuis neuf ans déjà occupait Décélie, reçut l’ordre d’avancer par le nord et l’est ; car Lysandre devait paraître sous peu devant le Pirée avec deus cents vaisseaux de guerre.

Les premières terreurs une fois passées, les Athéniens avaient repris possession d’eux-mêmes. Ils avaient élu de nouveaux généraux et, sous leur direction, réparé les murs, pris des dispositions pour la défense, comblé l’entrée du port. La plupart des citoyens étaient remplis de patriotisme. Ils firent encore mie fois preuve de cette valeur qui les avait si souvent animés clans les moments les plus difficiles ; ils étaient bien décidés à faire un effort suprême pour sauver l’honneur de la ville.

Mais le fléau des anciens jours était là, lui aussi : ce mal invétéré avait sa source dans la présence d’un parti peu nombreux, mais compact, qui ne tenait pas à l’indépendance de la cité, qui s’entendait avec l’ennemi et qui avait besoin de lui pour établir son pouvoir sur les ruines de la démocratie. Ce parti, avec, sa solide organisation, était toujours là pour exploiter à son avantage la détresse publique ; dès qu’un orage menaçait d’éclater sur la ville et y répandait la terreur, ce parti affirmait sa puissance. A l’heure présente, des désastres inouïs avaient porté l’effroi dans la ville ; la perte d’un grand nombre de ses citoyens avait non seulement affaibli sa force de résistance, niais ébranlé son assiette même ; l’affluence d’une foule d’étrangers la remplissait de trouble et de désordre, et elle attendait avec angoisse un siège imminent.

Et pourtant, les oligarques n’arrivèrent pas aussi facilement à leur but à Athènes que dans d’autres villes où, avec le secours de Lysandre, on se débarrassa rapidement des démocrates. Il fallut, pour renverser la constitution à Athènes, une série de mesures préparatoires, d’astucieuses intrigues destinées à énerver le peuple et détruire en lui un dernier reste de confiance. Il s’agissait d’ébranler les institutions pour augmenter le désordre ; il fallait paralyser les organes constitutionnels de l’État et enlever la direction des affaires aux autorités établies pour la faire tomber entre les mains des conjurés, c’est-à-dire des clubs oligarchiques. On prit donc des mesures qui rappelaient l’institution récente des proboules ; seulement on agit avec beaucoup moins de scrupule et plus de résolution. Le parti révolutionnaire commença par élire parmi les chefs des associations oligarchiques, entre lesquelles il y avait quelques divergences d’opinion, un collège de cinq membres, qui avait mission de les grouper et d’unir leurs efforts, un comité de clubistes, comme nous pourrions l’appeler, une sorte de Comité de salut public qui, dans ces temps de troubles, devait veiller au bien de l’État. Son pouvoir reposait sur l’organisation d’un parti qui pouvait agir avec d’autant plus d’assurance que le reste des citoyens étaient plus indécis et plus désunis ; il réussit ainsi à étendre son influence sur d’autres sphères et, bien que sans mandat officiel, il parvint à s’arroger, avec l’appui du Conseil, une certaine autorité et à prendre le caractère d’un pouvoir régulièrement constitué.

Il est difficile de se rendre un compte exact de procédés révolutionnaires de cette nature ; d’ailleurs, nous n’avons pas d’informations suivies sur l’état de la ville à cette époque. Cependant il est probable que les oligarques relevèrent la tète après la défaite de l’armée, que, bientôt après, les Cinq commencèrent à fonctionner comme gouvernement occulte, et que leur pouvoir grandit avec la détresse de la cité[21]. Il est certain qu’ils s’arrogèrent peu à peu le droit de convoquer les assemblées du peuple, d’écarter les fonctionnaires constitutionnels, notamment les généraux, et de prendre des dispositions stratégiques pour la défense de la ville ; ces succès, ils les durent sans doute à l’appui des chevaliers, dont un grand nombre étaient ennemis de la constitution. A la fin, les Cinq purent afficher leurs tendances politiques si ouvertement et avec tant d’audace que, par allusion à la constitution spartiate, à laquelle ils s’efforçaient de faire ressembler celle d’Athènes, ils s’appelèrent et furent appelés par tout le monde les cinq éphores athéniens[22].

Pour augmenter les forces du parti, l’orateur du peuple Patroclide proposa de restituer leurs droits et leurs honneurs à tous les débiteurs de l’État, à tons ceux qui avaient été condamnés publiquement ou qui se trouvaient encore en état d’accusation, aux anciens membres du conseil des Quatre-Cents, à tous ceux enfin qui avaient perdu complètement ou en partie leurs droits de citoyens ; il demandait en même temps qu’on détruisit tous les documents antérieurs qui les concernaient[23]. Il n’y a que deux amnisties aussi générales dans l’histoire d’Athènes ; la première décrétée sous l’archontat de Solon, comme mesure préparatoire à sa grande œuvre de réconciliation ; la seconde, à l’époque de la bataille de Salamine, lorsqu’il parut nécessaire de faire coopérer toutes les forces disponibles au salut de la patrie. Cette fois encore, on fit valoir l’une et l’autre considération, de sorte que cette résolution fut approuvée même par de bons patriotes. bien qu’elle fût prise surtout dans l’intérêt des oligarques. Il parait qu’à cette époque où les mesures révolutionnaires et conservatrices étaient appliquées tour à tour, l’Aréopage fut revêtu de pouvoirs extraordinaires, comme aux temps des guerres médiques, afin qu’il contribuât pour sa part an salut de l’État[24].

Malgré toutes ces mesures, qui ne faisaient qu’augmenter le trouble et le manque de sécurité dans l’État, l’amour de la liberté et la fidélité à la constitution n’étaient pas éteints dans le peuple. Deux pouvoirs irréconciliables régnaient à Athènes ; les troupes ennemies s’approchaient de toutes parts ; une terrible disette menaçait la ville surpeuplée ; et néanmoins l’élite des citoyens était décidée à défendre l’indépendance de la patrie, en dépit des forces supérieures de l’ennemi et du parti hostile au peuple.

Vers la lin de l’automne, Lysandre avait paru devant le Pirée. pour ouvrir le siège conjointement avec les deux armées de terre. Il n’est pas douteux que l’ennemi eût pu bientôt s’emparer de la ville, dans l’état où elle se trouvait alors, s’il avait voulu l’attaquer avec énergie. Mais ni les rois ni Lysandre ne pouvaient avoir le désir de hâter la prise d’Athènes par des moyens violents, et de fournir à ses habitants l’occasion de montrer leur héroïsme dans un combat désespéré. On sait combien les Spartiates attachaient d’importance à ce que les villes ennemies se rendissent en quelque sorte de bon gré. Personne d’ailleurs ne pouvait disputer aux vainqueurs leur proie ; ils préférèrent donc faire prendre aux partisans qu’ils avaient dans la ville les mesures qui devaient amener la reddition sans qu’on eût besoin de verser du sang. Les oligarques étaient sans doute d’accord avec Lysandre ; ils s’étaient engagés à lui livrer la ville et le port, et ils avaient reçu en échange les promesses qu’on avait faites aux oligarques des autres villes et qu’on avait tenues.

Toutes les forces ennemies ne restèrent donc pas devant Athènes ; il est probable qu’une partie de l’armée de terre s’en éloigna pendant l’hiver et qu’une division de la flotte bloqua les ports, tandis que Lysandre, avec le reste, assiégeait Samos[25]. Cette île était la seule qui reste obstinément fidèle à sa constitution démocratique ; elle était avec Argos le seul État de la Grèce qui n’abandonnât pas les Athéniens, mime lorsque ceux-ci furent complètement abattus et que toute alliance avec eux ne fut plus qu’un danger.

Bien que, malgré la surveillance des vaisseaux ennemis, quelques navires chargés de blé eussent réussi à entrer dans le port, la disette augmenta si rapidement à Athènes que l’on convoqua, bientôt après le commencement du blocus, une première assemblée publique pour y discuter les conditions de la capitulation. On résolut de se soumettre à ce qu’on ne pouvait éviter et de reconnaître l’hégémonie de Sparte ; on se déclara prêt à renoncer à toutes les possessions du dehors, pourvu qu’on pût garder le Pirée et les murs.

Les ambassadeurs qui devaient porter ces propositions à Sparte furent renvoyés chez eux par les éphores, à Sélasia, sur les frontières mêmes de la Laconie. En effet, c’était sur les murs du port et les murs de jonction que reposait vis-à-vis de Sparte l’indépendance d’Athènes, ainsi que l’avaient reconnu Thémistocle et Périclès. Les Spartiates répondirent donc qu’il ne pouvait être question d’aucune entente si on n’abattait les Longs Murs sur une étendue de dix stades[26].

Cette réponse produisit dans Athènes l’émotion la plus vive ; on ne pouvait se Figurer la ville sans ses murs ; une fois ses murs rasés, elle était séparée de la mer et exposée sans défense aux assiégeants. On vit éclater encore une fois à Athènes la flamme d’un généreux enthousiasme pour la liberté ; et, sir de l’approbation d’un grand nombre de bons citoyens, Cléophon osa proférer les plus violentes menaces contre tous ceux qui conseilleraient d’accepter d’aussi honteuses conditions. Aussi, bien que les autorités spartiates eussent déjà fait entrevoir aux Athéniens la possibilité de maintenir leur constitution et de garder Lemnos, Imbros et Scyros, toutes les propositions relatives à la destruction des murs furent repoussées ; on rendit même un décret qui interdisait sous peine de châtiment toute discussion à ce sujet.

Tel était l’état de la malheureuse ville. D’un côté, l’impétuosité d’un turbulent démagogue qui, par ses bravades insensées, fermait à ses concitoyens les seules voies de salut qui leur restassent, sans pouvoir indiquer lui-même d’autre ressource ; de l’autre, les chefs rusés du parti lacédémonien, qui assistaient avec une cruelle satisfaction à la détresse croissante. Quant à ceux qui aimaient la patrie et ses lois sans pouvoir approuver la violence grossière d’un Cléophon, et qui comprenaient que la prudence seule et l’union pouvaient sauver l’État, ils étaient trop peu nombreux et trop peu préparés à agir en commun pour que leurs intentions pussent être utiles à la république. La niasse du peuple, terrifiée et malheureuse, était l’instrument docile de la dissension et de la fureur des partis.

Une tumultueuse assemblée du peuple n’amena aucun résultat ; tous les regards se fixaient sur le sombre avenir, lorsque Théramène, parut. Il avait attendu le moment où tout homme capable de faire briller une lueur d’espérance était sur d’être avidement écouté. Avec son éloquence douce et insinuante, et fort de sa réputation d’ami du peuple qu’il s’était acquise à l’époque des Quatre-Cents, il offre d’aller trouver Lysandre pour s’éclairer sur les véritables intentions des Spartiates, surtout au sujet de la démolition des murs. Il se fait fort d’obtenir des conditions beaucoup plus douces. Il laisse même entrevoir divers avantages qu’on pourrait obtenir de Sparte au moyen d’habiles négociations ; mais il demande la confiance absolue de ses concitoyens et des pouvoirs

En vain un grand nombre de citoyens sensés émettent des doutes ; ils devinent les intentions louches de Théramène et voient du danger à tout remettre en de pareilles mains. C’est en vain que l’Aréopage offre de se charger lui-même des négociations. La grande majorité des citoyens, qui ne soupirent qu’après la délivrance, se laissent prendre aux paroles de Théramène et ne peuvent pas renoncer à l’espérance qu’elles ont fait naître. Les conjurés font leur possible pour entretenir ces dispositions, et les pleins pouvoirs demandés par l’orateur lui sont accordés.

Théramène se rendit auprès de Lysandre, qui était alors probablement encore devant Samos. C’est sur Lysandre seul que les oligarques fondaient leur espoir, tandis qu’ils ne pouvaient pas compter sur les rois et les éphores. Ces derniers, en effet, avaient déjà fait espérer aux ambassadeurs d’Athènes le maintien de la constitution ; les autorités spartiates regardaient depuis longtemps avec inquiétude l’omnipotence de leur ambitieux général et ses allures indépendantes ; déjà ils avaient été obligés de l’arrêter lorsqu’il avait chassé les anciens habitants de Sestos, dans le but de faire occuper cette place importante par une partie de ses équipages[27]. Ils ne pouvaient pas favoriser sa politique, parce que, comme il faisait partout arriver au pouvoir ses partisans, il menaçait de devenir le maître absolu de toute la Grèce. Il était donc d’autant plus important pour des gens comme Théramène de s’entendre avec Lysandre et de pouvoir compter sur lui. Pendant l’absence des ambassadeurs, le peuple ne se réunit pas pour traiter de la paix, et les citoyens fidèles à la constitution ne purent, par conséquent, prendre aucune mesure de précaution ; ce fut là lin nouvel avantage pour les conjurés. Le courage des citoyens s’épuisait dans une attente anxieuse et une désolante inactivité, tandis que les oligarques profitaient du moment pour bitter la réalisation de leurs projets.

Cléophon les avait servis malgré lui en faisant échouer les premières négociations : maintenant il les gênait ; il fallait qu’il disparût, comme autrefois Androclès. On l’accusa de s’être soustrait au service militaire et d’avoir insulté le Conseil ; car il avait osé dire en public que ce dernier agissait de concert avec les conjurés. Il fut poursuivi pour crime de haute trahison, jeté en prison, et, comme son parti était encore assez puissant pour qu’il fallût se méfier d’un verdict rendu par des jurés régulièrement constitués en tribunal. on se servit du misérable Nicomachos pour se procurer une loi qui appelait, contrairement à tous ]es usages, les membres du Conseil à prendre part au jugement, et cela, dans un procès où le Conseil était la partie offensée. On arriva ainsi à faire condamner et exécuter Cléophon[28].

Les choses allant ainsi à souhait, Théramène revint après trois mois d’absence ; il demanda qu’on voulût bien l’excuser d’être resté si longtemps loin d’Athènes, disant pela faute en était à Lysandre, qui l’avait adressé aux éphores pour apprendre d’eux les conditions de la paix[29]. Puisqu’on en était là, il ne restait qu’à élire de nouveau Théramène plénipotentiaire et à l’envoyer à Lacédémone avec neuf ambassadeurs[30]. La misère était devenue si insupportable qu’il ne fallait pas songer à de longues délibérations. Les ambassadeurs fuient encore arrivés à Sélasia, et enfin invités à se rendre à Sparte. C’est là qu’on délibéra, en présence des députés des alliés. Il ne s’agissait plus de négociations avec Athènes : on siégeait pour juger un ennemi vaincu, et les opinions ne différaient que quant à la sévérité de la sentence à rendre. Corinthe et Thèbes demandaient la destruction d’une ville qui avait fait tant de mal ; elles voulaient qu’Athènes disparut de la surface de la terre et que la place qu’elle occupait fût convertie en pâturage[31]. Les Phocéens et d’autres s’y opposèrent, et la clémence l’emporta, parce qu’il était bien de l’intérêt de la politique spartiate d’affaiblir Athènes, mais non pas de la détruire. Si on le faisait, en effet, il était à craindre que l'orgueilleuse Thèbes ne prit l’attitude d’une grande puissance dans la Grèce centrale et ne fit de l’opposition aux Spartiates. L’oracle de Delphes se prononça aussi, dit-on, pour la conservation d’Athènes[32].

Athènes apprit clone sa sentence par un décret des éphores. La démolition des murs du port et des Longs Murs, la réduction de l’empire athénien à l’Attique, le retour des exilés, l’adhésion d’Athènes à la ligue du Péloponnèse, avec obligation pour elle de fournir des contingents à l’armée fédérale et de remplir les autres devoirs des alliés de Lacédémone, enfin la livraison de tous les vaisseaux de guerre dans les conditions que devaient indiquer ultérieurement les généraux spartiates : voilà à quel prix Sparte consentait à lever le siège[33].

Lorsque Théramène se présenta devant le peuple avec ces conditions et en proposa hardiment l’acceptation pure et simple, tous les bons citoyens furent indignés ; ils comprirent qu’il s’était indignement joué d’eux en abusant de la détresse publique. Des voix irritées se firent entendre pour lui reprocher son crime. Mais il savait trop bien qu’après un siège de cinq mois, pendant lequel les hommes avaient succombé en masse à la famine, il ne s’agissait plus de discuter des droits constitutionnels, mais de se procurer du pain ; et si quelques-uns, pour lui faire honte, lui rappelèrent l’œuvre de Thémistocle, il leur répondit que, dans certains cas, il pouvait être aussi méritoire de démolir des murs que d’en construire. En fin de compte, le bonheur des villes ne dépendait pas de leurs murailles, sans quoi Sparte serait la plus malheureuse de toutes[34] !

Le jour qui suivit le retour des ambassadeurs[35], les conditions furent donc acceptées, telles que les éphores les avaient dictées. Les Athéniens s’engagèrent à démolir les Longs Murs ainsi que ceux du port, à évacuer toutes les places qu’ils occupaient hors de chez eux, à se contenter de leur territoire, à livrer la flotte et à rappeler les exilés. C’est ainsi que finit, au mois d’avril[36], dix-sept ans après la paix de Nicias, cette guerre qui avait duré vingt-sept ans[37] et qui avait commencé par la surprise de Platée ; les premiers vaisseaux chargés de blé qui entrèrent au Pirée consolèrent la population affamée de ce qui était arrivé.

La paix était conclue ; les vaisseaux et les armées ennemies s’éloignèrent[38] : mais les oligarques n’avaient pas encore atteint leur but ; l’humiliation d’Athènes n’était pas encore à son comble. La situation extérieure de la ville se trouvait réglée ; mais la capitulation n’avait pas statué sur la forme de son gouvernement. Théramène, de tout ce que désirait son parti, n’avait pu obtenir que le rappel des exilés. Les autorités spartiates n’étaient pas disposées à aller plus loin, car la jalousie qu’alors déjà leur inspirait Lysandre ne leur permettait pas d’aider ses partisans à s’emparer du gouvernement d’Athènes. Le parti contraire reprit donc courage, et les patriotes qui avaient parlé librement dans la dernière assemblée du peuple s’unirent plus étroitement pour tenter de saliver, si c’était possible, dans l’enceinte de la ville la liberté et le droit. La lutte recommença donc entre les partis, et les oligarques, auxquels Lysandre, après avoir pris possession des vaisseaux, avait laissé l’administration des affaires, jugèrent à propos de s’emparer des chefs du parti opposé, en attendant qu’ils pussent réussir à remanier enfin la constitution conformément à leurs principes.

Les oligarques se servirent pour cela d’un affranchi, du nom d’Agoratos, un de ceux qui prétendaient avoir pris part, sept ans auparavant, à l’assassinat de Phrynichos, et qui par là s’étaient acquis la réputation, assez douteuse, il est vrai, de démocrates convaincus. On le contraignit en apparence de dénoncer an Conseil un certain nombre de citoyens honorables qui avaient servi l’État comme généraux et comme capitaines ; il les accusait d’avoir conspiré contre la constitution, bien que, pour le moment, il n’y eût point de constitution effective, et qu’on n’obéit qu’au gouvernement arbitraire et égoïste d’un parti. Le Conseil porta l’affaire devant le peuple ; il y eut une assemblée au Pirée, dans le théâtre de Munychie, et là, grâce à l’influence des oligarques, les accusés furent condamnés à mort. Parmi eux se trouvaient Strombichidès. un habile chef d’escadre, et Dionysodoros ; c’étaient des hommes d’honneur, qui avaient publiquement Marné Théramène, des républicains modérés, bien plus odieux aux oligarques que les plus fougueux démagogues.

Pendant qu’on se débarrassait ainsi des hommes fidèles à la constitution en les accusant de trahison, et que le petit nombre des patriotes courageux diminuait sans cesse, les exilés, profitant d’une clause de la capitulation, revinrent à Athènes et renforcèrent le camp du parti révolutionnaire. Parmi eux se trouvait Critias, l’homme le plus considérable entre tons les ennemis de la constitution, celui qui fit aboutir leurs plans depuis longtemps préparés.

Critias, fils de Callæschros, était une de ces natures qui ne peuvent se développer et jouer un rôle que dans les temps de révolution. Il appartenait à une des plus nobles et des plus riches familles d’Athènes, apparentée à celle de Solon dont son bisaïeul, le premier Critias, avait été l’ami intime. Il avait, comme héritage de famille, le goût des grandes choses, un amour de. la science et des arts que soutenaient des talents éminents et que développait une ambition ardente. Il profita de toutes les ressources qu’offrait Athènes pour cultiver son esprit ; il étudia Protagoras et Gorgias ; il s’attacha à Socrate et fut pendant plusieurs années un de ses plus zélés interlocuteurs. Mais ces relations exercèrent sur son caractère moins d’influence encore que sur celui d’Alcibiade. Celui-ci sentait réellement la grandeur d’âme de son maître ; mais Critias ne voulait apprendre de lui que ce qu’il pourrait utiliser au profit de son ambition. Car il voulait tout pouvoir et tout savoir. Il ne lui suffisait pas de se distinguer comme orateur et comme écrivain politique, par la variété de ses connaissances id un style vraiment. classique ; il voulut titre poète et écrivit non seulement des élégies politiques, à l’exemple de Solon, mais encore des tragédies, bien que, pour être poète, il lui manquât la profondeur et la chaleur du sentiment, ainsi que l’harmonie de la vie intérieure. Il devint tout aussi peu un véritable philosophe, dans l’acception que ce mot avait prise pour la première fois dans la grande âme du maître. Car, malgré toutes ses connaissances et toute sa pénétration, il ne parvint pas à équilibrer son esprit et à en faire disparaître les contradictions ; sa culture resta superficielle et sans suite, parce qu’il était trop égoïste pour s’adonner de tout cœur à quoi que ce fût. Il prenait un peu partout ce dont il croyait avoir besoin ; et c’est ainsi que toutes ses connaissances ne servirent, en définitive, qu’à le pervertir. Il devint hypocrite eu s’entretenant avec Socrate des vertus du citoyen sur le ton le plus édifiant, sans songer à pratiquer lui-même ces vertus ; lier de savoir tant de choses, il voulut être admiré et influent : et voilà comment cet homme, froid et calculateur par nature, devint inquiet, inconséquent, passionné ; dépourvu d’équilibre intérieur, il se jeta dans les exagérations des partis extrêmes, et il s’y jeta à corps perdu. Dédaigneux de toute mesure, il faisait chaque jour un pas de plus ; et plus le sentiment du droit s’obscurcissait en lui, plus il étouffait la voix de sa conscience, plus ce bel esprit vaniteux se changeait en un criminel qui finit par ne plus reculer devant aucune  action coupable.

On croira sans peine qu’un homme de cette espèce ait fourni une carrière politique remplie d’inconséquences et de contradictions ; aristocrate par tradition de famille et par principes, fils d’un homme qui passait pour être un des oligarques les plus zélés, il n’a jamais été à coup sûr un ami de la constitution. Du haut, de son orgueil de sophiste, il méprisait le peuple et était d’avis, comme ceux de son parti, que les marchands et les artisans devaient s’occuper de leur métier et laisser le soin des affaires publiques aux hommes de naissance et d’éducation. Il est à présumer qu’il suivit à cet égard la ligne politique d’Antiphon, qui dut aussi cire son modèle comme orateur. Toutefois il ne se rallia lias tout d’abord à ce parti, aimant mieux garder une position plus indépendante ; il était, parait-il, de ceux qui s’attachèrent à, Alcibiade ; aussi fut-il exposé, ainsi que les partisans de ce dernier, à bien des tribulations à l’époque de la mutilation des Hermès.

Ce n’est qu’après la chute des Quatre-Cents que nous le voyons agir pour son propre compte : il était alors l’ennemi le plus acharné des tyrans[39]. Ce fut lui qui accusa Phrynichos après sa mort, et ce fut sur sa proposition qu’on transporta les ossements du traître au delà de la frontière de l’Attique. Ce fut Critias aussi qui provoqua le décret qui rappelait Alcibiade, et, si, après la deuxième disgrâce de celui-ci, nous le trouvons loin d’Athènes, c’est sans doute parce que ce décret l’avait rendu impopulaire[40]. Ce qui est certain, c’est qu’a l’époque de la bataille des Arginuses. il s’était réfugié en Thessalie, contrée qui offrait les plus précieuses ressources aux chefs de parti errants[41]. Depuis longtemps ce pays était le théâtre de violents mouvements populaires ; les pénestes s’étaient soulevés contre les grands propriétaires fonciers, et les Athéniens n’étaient pas restés étrangers à ces agitations. Nous savons du moins que, déjà avant la paix de Nicias, ils y avaient envoyé des ambassadeurs, et que l’un d’eux, du nom d’Amynias, fut accusé d’avoir outrepassé son mandat parce qu’il s’était mêlé aux troubles pour favoriser les serfs. Critias aussi prit une part passionnée à ces mouvements ; il aida à armer les paysans, et soutint leur chef Prométheus dans ses entreprises. Il parait donc que, là comme dans sa patrie, il encouragea les efforts de ceux que des talents supérieurs semblaient appeler à diriger les destinées des États.

Ce séjour en Thessalie exerça, dit-on, une très fâcheuse influence sur le caractère de Critias : on comprend facilement ; en effet, que ses relations avec un peuple moins civilisé, ainsi que la participation à divers actes de violence, aient affaibli en lui de plus en plus le respect de la loi et du droit, l’attachement aux institutions de sa patrie, et l’impression qui pouvait lui être restée des vertus de Socrate. Ajoutons que l’importance qu’il put donner à sa personne en Thessalie devait accroître encore sa vanité et stimuler son ambition. Bref, on le trouva changé lorsque (après la capitulation, selon nous) il revint du Nord ; on vit qu’il était décidé à ne plus seconder les plans d’autrui, mais à être lui-même un point de ralliement et à réaliser par la force ce que jusque-là on n’avait tenté que prématurément et au moyen de demi-mesures. Il devint chef de parti, comme Antiphon l’avait été, et, instruit par l’insuccès des tentatives antérieures, il se crut appelé à corriger de ses travers sa patrie brisée par le malheur, et cela par des moyens violents, sans reculer devant le crime ou la trahison : il pourrait ensuite constituer d’après ses principes l’État épuré et le gouverner à son gré.

Mais, avant de pouvoir dévoiler ses projets personnels, il était nécessaire qu’il se joignit au parti qui voulait renverser la constitution et qu’il appuyât les mesures destinées à préparer un nouvel ordre de choses. Il entra donc, immédiatement après son retour, dans le Comité directeur des cinq éphores, et c’est sans doute à son activité qu’il faut attribuer la domination de jour en jour plus absolue qu’ils exercèrent sur la ville ; ils disposaient à leur gré du Conseil et avaient intimidé les citoyens[42]. Des hommes modérés se laissèrent convaincre que, dans les circonstances présentes, la patrie ne pouvait être sauvée que par un changement complet de la constitution et par l’imitation des institutions spartiates ; c’est ainsi que nous trouvons, par exemple, le jeune cousin de Critias, le noble Charmide fils de Glaucon, cet amant passionné de la sagesse, dans les rangs du parti oligarchique[43].

Après que, durant les mois qui suivirent la capitulation, le parti révolutionnaire eut rassemblé toutes ses forces et se fut débarrassé de ceux des citoyens qu’il soupçonnait d’attachement, à la constitution et de courage pour la défendre, les oligarques procédèrent à l’achèvement de leur œuvre. Ils se procurèrent, pour ce coup décisif, l’appui personnel de Lysandre[44].

Une fois que le roi Pausanias eut quitté l’Attique avec l’armée placée sous ses ordres, rien n’empêchait plus Lysandre de suivre sa politique et celle de ses partisans. Il prit pour prétexte qu’on n’avait pas mis à exécution les clauses du traité de paix : les murs étaient encore debout[45]. Lysandre, en compagnie de Théramène, quitta donc Samos, qui avait continué la lutte plus longtemps qu’Athènes, et entra au Pirée avec tonte sa flotte pour faire exécuter le traité. Il reprocha aux citoyens d’avoir laissé passer le délai fixé et traita la Ville avec dureté et dédain, affectant de la considérer comme coupable d’avoir violé les conventions. Il ordonna aux troupes de se couronner comme pour une fête. Les vaisseaux furent, trilles et les murs des fortifications démolis au bruit des chants et au son des flûtes[46]. Puis on convoqua une assemblée du peuple à laquelle assista Lysandre ; car, même en ce moment, il voulait garder l’apparence du droit et ne pas agir directement par lui-même.

C’est alors que Dracontidas, un misérable qui avait subi plusieurs condamnations, proposa de couiner le gouvernement de l’État à trente citoyens ; il fut soutenu par Théramène, qui prétendait que c’était lit la volonté de Sparte. Même en un pareil moment, ces discours provoquèrent une vive indignation ; après tous les actes de violence qui avaient été commis, il se trouva encore des hommes indépendants qui osèrent prendre la défense de la constitution, en s’appuyant sur ce que la capitulation acceptée ne disait mot des affaires intérieures de la ville. Alors Lysandre lui-même prit la parole dans l’assemblée et parla sans ménagement, comme un maître ; il déclara que, si les conditions étaient devenues plus dures, c’était la juste punition de la lenteur qu’on avait apportée dans l’exécution du traité, et il ne laissa aux Athéniens que le choix entre l’acceptation du projet de loi et l’anéantissement de la cité tout entière.

C’est par de pareils moyens qu’on réussit à faire passer la proposition de Dracontidas ; mais un petit nombre seulement de citoyens lâches et mal intentionnés levèrent la main en signe d’assentiment. Les meilleurs surent s’épargner la honte de participer à un pareil vote. Dix membres du gouvernement furent ensuite élus par les éphores, c’est-à-dire par Critias et ses partisans, dix par Théramène, le confident de Lysandre, dix enfin par la foule assemblée, probablement au vote non secret ; ces trente magistrats furent investis de l’autorité suprême par décision des citoyens présents. La plupart avaient été membres du conseil des Quatre-Cents, et par conséquent ils étaient d’accord entre eux depuis longtemps. Une formule de serment présentée par Théramène résumait les principes politiques d’après lesquels ils s’engageaient collectivement à régler leur conduite. Sparte prit la nouvelle constitution sous sa protection, et bientôt sept cents guerriers lacédémoniens s’installèrent dans l’acropole pour surveiller Athènes désormais impuissante, Athènes vaincue par ses ennemis du dedans et du dehors, par la violence et la trahison.

Quelque humiliante que Mt la fin de la guerre de Décélie, rien ne prouve d’une façon plus glorieuse la force et l’énergie de la ville d’Athènes que la résistance opposée par elle, huit ans durant, à ses ennemis après le désastre de Sicile.

La Grèce, la Sicile et la Perse étaient liguées contre la ville épuisée, et pourtant, on ne put la vaincre par la force ; sa Hotte était victorieuse dès qu’elle trouvait un chef capable ; l’élite de ses citoyens était vaillante et amie de la liberté, prête aux sacrifices et pleine de constance. Mais la guerre entière fut une lutte désespérée, parce que les Athéniens manquaient d’un solide point d’appui ; ils combattaient pour l’existence de l’État, mais cette existence dépendait d’une série de possessions étrangères, que leurs forces ne suffisaient pas à reconquérir et à garder. Toute la puissance d’Athènes résidait clans sa flotte, et celle-ci devait subvenir elle-même à ses besoins. Se procurer de quoi paver et nourrir les troupes, tel était perpétuellement le but principal des généraux ; aussi leur était-il impossible de suivre un plan de campagne bien arrêté. La guerre dégénéra en une vraie guerre de pirates, qui creusait un abîme toujours plus grand entre Athènes et ses anciens alliés.

L’argent est la grande question de toute la guerre de Décélie, et, comme Sparte n’a pas non plus de Trésor, c’est de l’argent du Grand-Roi que dépend l’issue de la lutte. Athènes parvenait à reconquérir sans cesse sa supériorité sur mer, mais non pas l’empire des mers, impossible sans un Trésor qui lui fût propre. De là ces combats sans but déterminé, et, malgré les plus brillantes victoires, cet état de lamentable incertitude, à partir du moment où Athènes fut réveillée par le désastre de Sicile de l’ivresse que lui avait inspirée le sentiment exagéré de sa force.

Cependant, même appauvrie et privée de ressources, Athènes n’a pas été vaincue par ses ennemis extérieurs. Elle a succombé sous les coups qu'elle s’est elle-même portés. Des divisions intestines avaient ébranlé l’État déjà avant l’expédition de Sicile. Ce sont les intrigues des partis qui ont poussé Alcibiade à montrer aux Spartiates le chemin de l’Ionie et celui du Trésor des rois de Perse ; ces mêmes intrigues ont livré à l’ennemi la dernière flotte d’Athènes, et enfin la ville elle-même. La victoire qui mit fin à toute la guerre est due à la trahison.

Même à l’époque des guerres médiques, l’histoire d’Athènes n’est pas complètement exempte des stigmates que laissent après eux les traîtres. Après qu’on eut rompu ouvertement avec Sparte, il se forma un parti lacédémonien dont les efforts tendaient à humilier la patrie. Mais ces intrigues ne devinrent un danger pour l’État que quand les doctrines des sophistes pénétrèrent à Athènes. Ce sont ces doctrines qui ont contribué, plus que toute autre chose, à susciter les forces destructives. Ce sont elles qui ont brisé les liens qui unissaient les cœurs des citoyens dans une volonté commune ; elles qui ont enseigné à la jeunesse athénienne à opposer avec un orgueil téméraire sa propre volonté à la tradition, et à mépriser les vertus de ses ancêtres ; elles qui ont fait déserter les gymnases où se développaient autrefois, dans des exercices communs, de vigoureuses générations ; elles qui ont détruit les vieilles croyances, le respect des dieux et des lois, l’attachement à la patrie et à la famille, l’horreur de l’injustice et de la malhonnêteté.

Il y avait dans la société athénienne un fonds abondant des aptitudes les plus éminentes ; mais les meilleures qualités se changèrent en vices, et les hommes les mieux doués devinrent les enterais les plus dangereux de l’État : la culture de l’esprit devint un poison qui rongeait la cité jusqu’à la moelle, et les ennemis de la constitution, qui prétendaient guérir l’État malade en créant une aristocratie nouvelle fondée sur l’éducation et la fortune, le gouvernement des meilleurs, étaient plus vicieux, plus égoïstes et moins scrupuleux que les plus fougueux démagogues. Les forces qui conservent un État, le civisme, l’amour de la patrie, s’usèrent dans des luttes sanglantes. Les adhérents des divers partis politiques ne se tendaient plus la main lorsqu’il s’agissait de sauver la patrie, comme l’avaient fait Aristide et Thémistocle avant la bataille de Salamine, mais ils sacrifiaient à leurs intérêts privés l’armée et la flotte, la ville et les ports, et assistaient tranquillement à la ruine d’Athènes, pourvu qu’ils pussent se venger de leurs ennemis.

Par la prise d’Athènes, Sparte redevint la seule grande puissance en Grèce. Les murs, dont la construction avait inauguré l’histoire indépendante d’Athènes, étaient rasés, et l’on put croire que le temps de la grandeur athénienne, dont le fondement avait été posé à Marathon, n’avait été qu’une courte interruption de l’état de choses que les ennemis de la ville regardaient comme le seul normal, c’est-à-dire, l’état de subordination volontaire de toute la Grèce à l’hégémonie spartiate. Mais Sparte, qui n’avait pas vaincu Athènes par ses propres forces, ne put pas davantage tirer de sa victoire l’honneur et le profit qu’elle semblait devoir apporter au vainqueur. Elle possédait bien encore des hommes comme Callicratidas, qui, en vrais patriotes, préféraient la paix avec Athènes à l’alliance avec la Perse ; mais elle ne devait en somme ses succès qu’à des moyens peu honorables et dangereux. Elle était hors d’état d’exercer l’empire qui lui était dévolu par sui te de la chute d’Athènes ; elle s’était fait des habitudes notoirement incompatibles avec sa propre constitution, et le vainqueur d’Ægospotamoi était l’ennemi le plus dangereux de l’État organisé par Lycurgue.

C’est ainsi que les deux États qui représentaient les forces des deux principales tribus de la nation sortaient de la lutte dépouillés tous deux de leurs biens les plus précieux, tous deux dégénérés et affaiblis. Le châtiment que les Hellènes avaient provoqué par leurs dissensions fondit sur eux avec une rapidité terrible ; Hérodote qui, des hauteurs où Athènes s’était élevée au temps de Périclès, pouvait embrasser du regard les guerres de l’Indépendance, déplorait déjà les maux que la guerre entre les deux grandes puissances avait causés à la Grèce ; il ne put terminer son œuvre, parce que les espérances qu’il avait nourries en la commençant sombraient sous ses yeux, dans une guerre sans merci et sans remède.

Mais combien est différente cependant l’histoire des deux États jusqu’au moment où nous sommes arrivés !

Depuis Solon, l’histoire grecque est surtout l’histoire d’Athènes ; c’est Athènes qui lui imprime son allure et lui fournit sa matière : Sparte et les autres États n’ont pas de volonté propre ; ils ne poursuivent pas de but qui intéresse la nation. Chez eux nous ne voyons agir d’autres forces que la négation et la contradiction, d’autres ressorts que la haine et la jalousie. Seuls, les Athéniens se sont efforcés de remplacer les anciennes confédérations par une union nouvelle de toutes les forces nationales. Ils n’ont épargné ni leurs biens ni leur sang pour affranchir la Grèce, et leur droit à l’hégémonie, dont Hérodote s’était fait le héraut, a été reconnu librement par les États d’outre-mer. Alors pour la première fois se trouva constituée une puissance hellénique devant laquelle les Barbares reculaient avec effroi. A côté d’elle il y avait place pour la puissance continentale de la ligue péloponnésienne, et la belle devise de la politique de Cimon : Guerre aux Perses, paix avec les Hellènes, pouvait devenir une réalité. Mais Sparte rendit cet accord impossible ; elle rompit les traités, et les Athéniens n’eurent plus d’autre parti à prendre que de ne plus se préoccuper de. Sparte, passée à l’état d’obstacle, de suivre librement leur vocation, et de faire de leur cité le centre de la puissance et de la culture helléniques. La politique de Périclès était la seule voie qui permit de travailler avec succès au développement des intérêts nationaux. Mais, quelques grandes choses qu’elle ait accomplies durant un petit nombre d’années de paix, elle était hors d’état d’assurer aux Athéniens une prospérité durable. Avec la gloire de la ville grandit la haine de ses ennemis, et la guerre devint inévitable ; l’achèvement de la souveraineté populaire divisa les citoyens et provoqua des tendances hostiles à la constitution. Ces divisions minèrent les forces de l’État ; la peste les ébranla encore davantage, non seulement en paralysant l’énergie du peuple athénien, mais encore en contribuant, pour une forte part, à corrompre ses mœurs.

Quant à l’organisme de l’État athénien, c’était une construction artificielle, qui manquait de solidité véritable, et de cette indépendance complète dont une grande puissance ne saurait se passer. Son propre territoire était devenu une partie peu importante de son immense empire ; il ne pouvait même pas suffire aux premiers besoins de la population urbaine : de là la nécessité où se trouvait cette dernière de faire venir du blé de l’étranger ; de là ce désir inquiet et incessant de nouvelles ressources, de là les malheureuses expéditions d’Égypte et de Sicile. Sa préoccupation exclusive des affaires maritimes rendit le peuple étranger à l’agriculture et incapable de défendre son sol natal ; il se battait à outrance, et jusqu’à épuisement de ses forces, pour conserver les villes de l’Hellespont et du Bosphore, tandis qu’il laissait durant neuf ans aux mains de l’ennemi, sans oser l’attaquer, le château-fort élevé sur une colline qu’on pouvait apercevoir d’Athènes. Ces inconvénients d’une politique exclusivement maritime, inévitables si Athènes voulait rester maîtresse de la mer, ne pouvaient être compensés que par une fusion véritable entre Athènes et les villes alliées. Périclès tenta d’opérer cette union en fondant ses colonies de citoyens ; il aurait peut-être réussi, par une colonisation progressive des côtes et des îles, à changer en districts d’une Attique d’outre-mer les points les plus importants de l’Archipel ; mais les années de paix, pendant lesquelles cette fusion dit pu s’opérer peu. à peu, furent beaucoup trop courtes. Les villes étaient trop disséminées, leur résistance trop opiniâtre ; incapables, comme toutes les républiques grecques, d’élargir pour elles l’idée de la cité et d’entrer dans l’organisme d’un vaste empire, elles ne pouvaient être maintenues dans l’obéissance que par la crainte que leur inspirait une flotte jusque-là invincible. L’empire des mers, pour lequel Athènes avait renoncé à la possession de son propre territoire, était donc incertain aussi, et cela d’autant plus que les forces de la Perse, qui, campée derrière les alliés d’Athènes, la surveillait pour profiter de ses défaites, pouvaient bien être momentanément refoulées, mais non pas détruites.

Un État dont la puissance reposait sur des bases aussi peu solides ne pouvait se soutenir, comme Périclès l’avait reconnu, qu’à force de prudence ; il ne pouvait être gouverné avec succès que par la volonté énergique d’un homme d’État doué d’un génie supérieur. Athènes eut encore bien plus besoin d’un pareil homme depuis que, pour s’être écartée de la politique de Périclès, elle eut perdu son hégémonie maritime et qu’il fallut songer à sauver l’État. Alcibiade semblait appelé à le sauver ; mais, par sa propre faute autant que par celle de ses concitoyens, il ne put remplir sa mission, et c’en fut fait de la splendeur d’Athènes.

Et pourtant, si courte qu’ait été cette période glorieuse, elle vaut, par ce qu’elle contient, l’histoire de plusieurs siècles. C’est le moment où l’énergie de la race hellénique s’est pour la première fois déployée dans toute son ampleur, et il n’y a pas dans toute l’histoire de l’humanité d’époque qui se puisse comparer, au point de vue des forces intellectuelles mises en œuvre, à celle dont ce volume retrace le tableau. La grandeur de l’Athènes de Périclès n’a jamais été rétablie par la suite, mais elle est restée, et pour toujours, un trésor national, et cela, non pas seulement à l’état de souvenir glorieux qui pût servir de consolation dans des temps moins heureux, mais comme un foyer d’influence énergique et bienfaisante, près duquel les générations suivantes sont venues sans cesse se réconforter. C’est pour cette raison que, même dans l’âge suivant, cette Athènes si humiliée est redevenue le d’aire le plus important de l’histoire hellénique.

 

FIN DU TROISIÈME VOLUME.

 

 

 



[1] XÉNOPHON, Hellen., VI, 1.

[2] La situation exceptionnelle du nauarque tient a ce que, n’ayant pas de collègues, il agit, plus que tout autre fonctionnaire, sous sa propre responsabilité. Aussi la nauarchie (ARISTOT., Polit., 49, 31), qui ne commence à être en évidence qu’avec la perte du Péloponnèse, est-elle un objet de défiance : et, bien qu’il n’y ail pas d’office pour lequel il fût, plus rare de trouver des hommes compétents, on n’en fit pas moins une loi d’après laquelle nul ne devait être deux fois investi de ces fonctions (XÉNOPH., Hellen., II, 1, 7. EPHOR., ap. DIODOR., XIII, 10). Cf. BELOCH, Die Nauarchie in Sparta (in Rhein. Museum, XXXIV, 1879). L’auteur de l’article, dissipant des doutes exprimés avant lui, a démontré le caractère annuel de cette charge et éclairci la question en dressant des listes exactes de nauarques.

[3] Sur l’envoi de Lysandre comme έπιστολεύς ou έπιστολιοφόρος en Asie vers la fin de l’hiver 406/5, voyez SCHEIDE, Oligarchische Umwälzung, p 13. WEISSENBORN, Hellen, p. 200. BELOCH, in Rhein. Museum, XXXIV, p. 123.

[4] Aracos n’est ici qu’un homme de paille. Cf. VISCHER, Alkibiades and Lysandros, p. 42, (Kleine Schriften, I, p. 137).

[5] DIODORE, XIII, 104, c’est-à-dire dans le mois Anthestérion (février-mars). Voyez CLINTON, Fasti Hellenici, II, p. 285. On célébrait cette même fête au printemps à Éphèse, Téos, Smyrne, Phocée, Massilia (Zeitschrift für Alterthumswissenschaft, 1830, p. 496).

[6] XÉNOPHON, Hellen., II, 1, 20.

[7] Sur Adimantos, voyez XÉNOPHON, Hellen., I, 5, 21. Il est tourné en ridicule dans les Grenouilles (ARISTOPH., Ran., 1513. SCHOL., ibid.).

[8] DIODORE, XIII, 100.

[9] XÉNOPHON, II, 1, 25. PLUTARQUE, Lysandr., 10. Alcib., 35. Le récit de Corn. Nepos (Alcib., 8) est lui inexact.

[10] Outre les huit vaisseaux de Conon et la Paralos, mentionna par Xénophon (Hellen., II, 1, 20), il faut compter comme sauvés du désastre le vaisseau de Nautimachos de Phalère, celui du plaideur qui porte la parole dans le XXe discours de Lysias, l’un et l’autre en dehors de la Houille de Conon (LYSIAS, Orat., XXI, § 9), et celui d’un triérarque inconnu : en tout douze navires (ibid., § 11).

[11] La date de la bataille d’Ægospotamoi ne peut être déterminée que par la capitulation d’Athènes. Celle-ci a été précédée d’un siège de quatre à cinq mois et d’une série d’autres événements, de telle sorte qu’il faut admettre un intervalle d’au moins sept mois. La bataille ne peut guère, par conséquent, être placée plus tard qu’en août 405 (Cf. PETER, Zeittafeln, Anm. 130). Ce qui rend cette date plus probable encore, c’est que, avant les tempêtes qui interrompaient d’ordinaire la navigation au lever matinal d’Arcturus, immédiatement après la moisson, surtout en Métagitnion (DEMOSTH., In Polycl., § 4), les arrivages de grains du Pont étaient particulièrement abondants. Cf. WEISSENBORN, in N. Jenäer Literaturzeitung, 1848, p. 660. Lysandre devait donc tenir à fermer l’Hellespont à ce moment.

[12] THEOPHRAST. ap. PLUT. Lysand., 13, XENOPH., Hellen., II, 1, 32.

[13] XÉNOPHON, Hellen., II, 1. 32. LYSIAS, In Alcib., XIV, § 38. DEMOSTHEN., XIX, § 401. Cf. PAUSAN., IV, 17, 2. X, 9, 11. Peut-être trouverait-on une allusion au fait dans Thucydide (II, 65). Cf. E. MÜLLER, De Xenoph. Hist. græc., note 24. BÖCKH (Mondcyclen, p. 36) avait rapporté à la condamnation d’Adimantos et à la vente de ses biens par les Polètes l’inscription donnée par RANGABÉ (I, n. 348) et le C. I. ATTIC., I, 274, 275, 276 : mais, d’après KIRCHHOFF (in N. Jahrbb. f. Philol., 1860, p. 238), le document date de 414, Ol. XCI, 3. Cependant la tradition qui accuse de trahison Adimantos n’a pas été réfutée.

[14] Cf. LYSIAS, In Nicomach. L’orateur vante la chance de ce personnage (ibid., § 27).

[15] Aristophane se plaint de l’appauvrissement du répertoire dramatique à Athènes (Ran., 91 sqq.).

[16] EURIPID., Bacch., 365. ARISTOPH., Ran, 85. Cf. VON LEUTSCH, in Philologus, II, p. 32.

[17] Parmi les hôtes d’Archélaos, on trouve le poète épique Chærilos et le poète dithyrambique Méianippide. D’après l’explication que donne VON WILAMOWITZ (in Hermes, XII, p. 390 sqq.) d’un passage de Praxiphane cité par Marcellinus (Vit. Thuc., § 29), il faudrait ajouter encore Nicératos, le comique Platon et Thucydide. On n’est pas encore arrive sur ce point une certitude historique.

[18] XÉNOPHON, Hellen., II, 2, 2. PLUTARQUE, Lysand., 13.

[19] Sur la situation d’Athènes après la bataille, voyez XÉNOPHON, Hellen., II, 2, 3. JUSTIN, V, 7.

[20] Sur le rappel des Éginètes, Méliens et autres, voyez XÉNOPHON, Hellen., II, 2, 9.

[21] Il n’est pas probable que les oligarques d’Athènes aient attendu longtemps après la défaite d’Ægospotamoi pour commencer leurs menées révolutionnaires. Or, comme Lysias, le seul auteur qui nous renseigne sur ce point, fait dater le début des intrigues révolutionnaires de l’institution de l’éphorat (Orat., XII,§ 43), je persiste à croire (avec RACCHENSTEIN, in Philologus, XV, p. 703 et FROHBERGER, Lysias, I, p. 15, contre G. LANGE, in N. Jahrbb. f. Philol., 1803, p. 217) que ce comité directeur tiré des clubs doit appartenir à l’époque qui précède la capitulation, tout en reconnaissant d’ailleurs que je ne trouve pas d’argument qui permette de préciser davantage.

[22] LYSIAS, ibid., § 76. Ils passaient à l’état d’autorité effective, reconnue, bien qu’inconstitutionnelle.

[23] Sur le décret de Patroclide, voyez SCHEIBE, Oligarch. Umwälzung, p. 36. Zeitsrchr. für Alterthumswisenschaft, 1842, p. 201. BÖCKH, Staatshaushallung, I, p. 269.

[24] LYSIAS, XII, § 69. PLUTARQUE, Cimon, 10. Cf. MEIER, in Rhein. Museum, I, p. 277. PHILIPPI (Areopag, p. 185) considère ces pouvoirs comme un mandat confié extraordinairement l’Aréopage et non comme partie intégrante des attributions de l’assemblée à cette époque.

[25] XÉNOPHON, Hellen., II. 3, 6. PLUTARQUE, Lysand., 14.

[26] XÉNOPHON, Hellen., II, 2, 15.

[27] PLUTARQUE, Lysand., 14.

[28] LYSIAS, XIII, § 12. XXX, § 10.

[29] Théramène se rend près de Lysandre (XENOPH., Hellen., II, 2, 10) puis à Sparte (ibid., II 2, 17).

[30] Lysias (XII, § 68) ne distingue pas entre les deux ambassades et ne dit mot des neuf collègues de Théramène.

[31] XÉNOPHON, Hellen., II, 2, 10. C’est bien à Sparte qu'eut lieu la délibération des alliés péloponnésiens sur le sort d’Athènes. Cf. WESSELING ad Diodor., XIII, 63. SCHEIBE, op. cit., p. 43. Il est possible néanmoins que la proposition de détruire la ville ait été reproduite plus tard dans le camp de Lysandre (WEISSENBORN, Hellen., p. 206).

[32] ÆLIAN, Var. Hist., II, 4, 6.

[33] XÉNOPHON, Hellen., II, 2, 20. PLUTARQUE, Lysand., 14. DIODORE, XIV, 3.

[34] PLUTARQUE, Lysand., 14.

[35] XENOPHON, Hellen., II, 2, 21. C’est dans cette première séance qu’eut lieu le compte-rendu des négociations et l’acceptation des conditions de la paix. Dans une deuxième assemblée, tenue à Munychie (LYSIAS, XIII, § 32), après la levée du blocus (ibid., § 25), eut lieu la dénonciation d’Agoratos. Enfin, il y eut une troisième séance (LYSIAS, XIII § 71), à laquelle Lysandre assista en personne. Sur l’ordre de ces dernières assemblées du peuple, où se décida le sort d’Athènes, voyez SCHEIBE, Odgarch. Umwälzung, RAUCHENSTEIN, in N. Schweiz Museum, I, 1866. FROHBERGER ad Lys., XII, § 34. STEDEFELDT, In Philologus, XXIX, p. 222 sqq. Comme Xénophon ne mentionne dans son récit sommaire que les événements principaux, il n’y a guère entre lui et Lysias que l’apparence d’une contradiction. Pour Lysias, il est impossible d’admettre qu’il ait à dessein altéré la vérité en parlant de faits qui s’étaient passés un an auparavant et au su de toute la ville. Une raison alléguée contre l’ordre adopté ici. c’est qu’il est incroyable, dit-on, que Lysandre ait différé si longtemps de mettre ces mesures à exécution (STEDEFELDT, op. cit., p. 236 sqq.) : mais il faut songer, étant donné le caractère de Lysandre, que nous ne pouvons pas savoir quels ont été pendant un temps ses desseins secrets, et ce qu’il comptait faire peut-être de la flotte et des murs d’Athènes. Cf. RENNER, Lysiac., Götting, 1869, p. 11.

[36] La capitulation, dont Plutarque (Lysand., 14) nous a gardé copie, eut lieu, d’après Plutarque lui-même, le 16 Munychion, et c’est à cette date que Thucydide (V, 26) arrête aussi la durée de toute la guerre.

[37] La guerre a commencé le dernier jour d’Anthestérion ou 4 avril 431, et elle terminée le 16 Munychion ou 25/26 avril 404 (THUCYD., V, 26 ; si l’on additionne ces trois phases, première guerre ou guerre de dix ans, armistice apparent et seconde guerre ou guerre de Décélie, elle a duré, comme le dit Thucydide, vingt-sept ans et un petit nombre de jours, exactement vingt-un jours). Cf. BÖCKH, Zur Geschichte der Mondeyclen, p. 81.

[38] D’après l’expression de Thucydide (V, 26), on peut croire qu’une garnison occupa le Pirée à partir de la capitulation ; en outre, il restait encore à Décèle Agis, qui parait devant la ville en même temps que Lysandre lors de l’installation des Trente (LYSIAS, XII, § 71) et ne se retire qu’après que le changement le constitution est un fait accompli (XENOPH., Hellen., II, 3, 3).

[39] Critias ne faisait pas partie des Quatre-Cents (WARRENBACH, De Quadringentorum Athenis factione, p. 46).

[40] XÉNOPHON, Hellen., II, 3, 15.

[41] XÉNOPHON, Hellen., II, 3, 37. Memorab., I, 2, 24.

[42] Le passage de Lysias (XII, § 13) sert aussi à prouver que les cinq éphores n’étaient pas toujours les mêmes : car la déposition des témoins sur le compte d’Ératosthène ne se comprend que si celui-ci a fait pour un temps seulement partie du comité. Pour Critias aussi, le plus simple est d’admettre qu’il est entré dans le collège des Cinq après son retour au pays, comme le veut RAUCHENSTEIN (Philologus, XV, p. 708).

[43] XÉNOPHON, Hellen., II, 4, 19.

[44] Lysandre était encore resté à la tête de la flotte, en qualité d'έπιστολεύς, pour l'année 405/4. Cf. BELOCH, Rhein. Museum, XXXIV, p. 123.

[45] On avait assigné pour la démolition des murs un délai qu'on avait dépassé (PLUT., Lys., 15. DIODORE, XIV, 3).

[46] Ceci eut lieu quelques temps après la capitulation, qui était intervenue en avril, car Lysandre rentra à Sparte après avoir pris Samos, à la fin de (XENOPH., Hellen., II, 3, 8). Toute l’histoire des dernières humiliations à Athènes est comprise entre ces deux dates principales : la capitulation de la ville et la seconde catastrophe, comprenant la destruction des murs, l’incendie des vaisseaux, l’abrogation de l’ancienne constitution, acclamée par les alliés e affranchis e, et l’installation des Trente.