HISTOIRE GRECQUE

TOME TROISIÈME

LIVRE QUATRIÈME. — LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE.

CHAPITRE CINQUIÈME. — LA GUERRE DE DÉCÉLIE.

 

 

§ II. — LA LUTTE DES PARTIS À ATHÈNES.

Il y avait longtemps qu’Athènes n’avait pas été aussi calme que pendant les dernières années. Chacun faisait tous ses efforts pour sauver l’État ; les regards de tous se portaient au dehors, et les citoyens s’exerçaient continuellement chez eux et dans les camps. On s’occupait uniquement des nécessités -les plus urgentes, et celte sage modération qu’on avait commencé à pratiquer après le désastre de Sicile durait encore. La première terreur était passée, la possibilité de la résistance démontrée ; mais comment pouvait-on espérer des succès durables et une heureuse issue de la lutte lorsque les finances étaient complètement épuisées et que la Perse était l’alliée de Sparte ! On en était au deuxième hiver de la guerre recommencée : on était las, et l'ardeur guerrière faisait partout défaut.

Dans ces circonstances, l’idée de rendre possible la fin de la guerre en changeant complètement la constitution surgit d’abord dans l’esprit des riches, qui souffraient le plus des charges de la guerre, et notamment des triérarques du camp de Samos ; car, aussi longtemps que les masses populaires gouverneraient Athènes, on ne pouvait songer à s’entendre avec Sparte. A la tête du mouvement étaient les chefs des associations oligarchiques, qui avaient une première fois essayé leurs forces dans le procès des Hermocopides ; étant donné l’état actuel de l’opinion, il ne leur fut pas difficile d’intéresser à leurs projets plus d’un honnête patriote.

Ce fut Alcibiade qui imprima à ce mouvement un caractère plus accentué. Il se mit en relation avec les oligarques les plus influents du camp de Samos, leur lit espérer des subsides de Tissapherne et l’amitié du Grand-Roi, et leur promit son appui sans restriction s’ils réussissaient à renverser la constitution athénienne. Car personne, disait-il, ne pouvait attendre de lui qu’il se fie de nouveau à cette n’ému démocratie qui l’avait banni, et il fallait tout aussi peu demander au Grand-Roi et à ses lieutenants d’accorder leur confiance à un État où le peuple était souverain.

Phrynichos était le plus perspicace des généraux athéniens ; de basse extraction — il avait, disait-on, dans son adolescence gardé les bestiaux —, il était arrivé à force d’habileté et d’intrigue ; il était devenu riche et influent en faisant le métier de sycophante, et avait ensuite fait preuve d’un grand talent comme orateur du peuple et comme général. Phrynichos voyait bien qu’on ne pouvait guère se lier aux propositions d’Alcibiade. Il représentait à ses collègues combien il était peu probable que cet homme, qui connaissait parfaitement les auteurs de sa chute, pût jamais devenir l’ami sincère des oligarques. L’alliance des Perses avec Athènes lui paraissait tout aussi inadmissible, aussi longtemps que les Péloponnésiens seraient puissants en Ionie : il était évident qu’ils étaient pour Tissapherne les alliés les plus utiles et les plus désirables ; le satrape ne pouvait rien faire de plus insensé que de les abandonner tout à coup pour s’en faire des ennemis, alors qu’il lui était impossible d’arriver à une entente durable avec les Athéniens. Édit), disait-il, ou se trompe fort en croyant pouvoir se lier aux partis oligarchiques des États confédérés. Les Athéniens, en changeant leur système de gouvernement, ne ramèneront pas ceux qui ont fait défection et ne s’attacheront pas davantage ceux qui sont restés fidèles. C’est leur propre indépendance qui leur importe, et non la constitution athénienne. Ces réflexions ne furent point écoutées. Les oligarques étaient aveuglés par la passion ; ils croyaient avoir enfin trouvé le moyen de renverser la constitution en s’appuyant sur des raisons que la foule elle-même était capable d’apprécier, et ils étaient bien décidés à profiter de cette occasion. Les négociations secrètes avec Alcibiade furent donc continuées avec ardeur. Il se forma un noyau de conjurés ; déjà on osait par ci par là parler de certaines réformes nécessaires dans l’administration, et, bien que le sentiment de l’armée leur fût évidemment hostile, la perspective d’une solde pavée par la Perse était si séduisante qu’il n’y eut point d’opposition sérieuse. On crut donc pouvoir agir en toute sécurité, et on envoya Pisandros, qui maintenant ne cachait plus ses préférences, avec quelques autres achever à Athènes l’œuvre commencée, au camp.

Lorsque les plans des conjurés furent connus à Athènes, il y eut d’abord un grand tumulte. Les uns vociféraient contre tout ce qui menaçait la constitution, les autres, contre le retour d’Alcibiade ; les orateurs du peuple partageaient l’opinion des familles sacerdotales, qui détestaient par dessus tout le profanateur des Mystères. Mais les voix furent partagées lorsqu’il s’agit de choisir entre trois propositions et trois perspectives diverses, qu’on avait mêlées habilement les unes aux autres. Depuis longtemps la première fureur qu’avait excitée Alcibiade s’était calmée ; l’irritation causée par sa trahison s’était apaisée, parce qu’on ne se sentait pas soi-même exempt de reproche, tandis que les brillants succès qui accompagnaient partout cet homme extraordinaire augmentaient l’admiration qu’on éprouvait pour lui ; ses succès lattaient la vanité athénienne. La foule sentait renaître en elle son amour d’autrefois ; elle désirait le retour de son ancienne idole ; ou osait de nouveau exprimer l’opinion qu’Alcibiade seul pouvait ramener la victoire dans le camp athénien, et qu’on pouvait bien pour cela faire quelques sacrifices. Les partisans de l’oligarchie se familiarisèrent avec l’idée de voir revenir Alcibiade, pourvu qu’on mit fin au gouvernement populaire. Ce qui séduisait le plus, c’était la perspective de nouvelles ressources pécuniaires, d’autant plus qu’on y rattachait l’espoir — dans un avenir lointain, il est vrai, d’une paix définitive.

Peu avant l’arrivée de Pisandros, on avait représenté pendant les fêtes Lénéennes la Lysistrata d’Aristophane[1]. Le sujet de cette pièce, c’est encore la paix ardemment désirée de tous ; mais comme les hommes, semble-t-il, ne peuvent pas la faire, les femmes se décident à s’occuper des affaires publiques pour mettre fin à un état de choses qui ne permet à personne de jouir de la vie, qui condamné les femmes à vivre comme des veuves et les jeunes filles à se flétrir sans trouver de mari. Les Athéniennes croient pouvoir gouverner l’État au moins aussi bien que leurs époux. Elles ont appris leur rôle à l’époque des conspirations. Toutes les femmes de l’Hellade s’unissent donc en secret, occupent la citadelle, bravent les Proboules responsables du salut de la ville, et savent inventer les moyens les plus efficaces pour forcer les hommes à plier devant elles.

C’est ainsi que le poète, au moyen d’une farce pleine d’en train, fait oublier à ses contemporains les misères du présent ; et pourtant, la pièce entière porte l’empreinte d’un certain abattement, d’un manque de confiance, du peu de sécurité qu’offrait l’état des affaires publiques, toutes choses qui ne permettaient pas de se livrer à une franche gaieté. Le poète attaque les gens qui, comme Pisandros, fomentent des troubles dans un but intéressé, et ces artistes politiques sans mandat qui exercent aux dépens de la ville malade leur métier de charlatans ; mais le poète lui-même est incapable de donner des conseils à ses concitoyens et de ranimer leur courage. C’est pour cette raison que sa Lysistrata manque de cette parabase dans laquelle le poète patriote indique d’ordinaire avec tant d’énergie les mesures qu’il croit les plus salutaires. Dans les rues et sur la place publique, on se plaint de ce que, dans toute l’Attique, il n’y ait pas un seul homme capable de sauver la patrie.

Pisandros ne se laissa pas déconcerter par les premières attaques dirigées contre lui. Il réunit en groupes plus ou moins nombreux les principaux citoyens, pour les intéresser à ses projets. Il ne s’agissait, selon lui, que de prendre une mesure commandée par les circonstances, de restreindre d’une manière transitoire les libertés du peuple, comme d’ailleurs on l’avait déjà fait. On ne prétendait pas rompre pour toujours avec le passé d’Athènes ni abolir sa constitution. On gagna les membres des clubs en leur représentant qu’on pourrait bien se défaire une seconde fois de l’odieux Alcibiade, lorsqu’il aurait rendu le service qu’on attendait de lui. Mais ce qui faisait la force de Pisandros, c’est qu’il pouvait demander à tons s’ils connaissaient un autre moyen de sauver Athènes. Comment pouvons-nous, disait-il, sans recourir à des moyens extraordinaires, faire la guerre à Sparte. qui a des vaisseaux et de l’argent et qui a établi son quartier général à la fois en Ionie et sur notre propre territoire ? Il ne s’agit pas ici d’une question de principe, sur laquelle il est impossible que tout le inonde soit d’accord, mais du salut de la cité.

C’est ainsi que s’accrut peu à peu le nombre de ceux qui jugeaient nécessaire un changement de constitution, les uns croyant sincèrement qu’il n’y avait pas d’autre issue, les autres parce qu’on leur faisait espérer qu’ils auraient leur part des avantages attachés à la réforme. Les associations politiques étaient de nouveau en pleine activité et travaillaient d’après un plan commun, tandis que le reste de la foule était intimidé et sans cohérence. Enfin, ces menées étaient puissamment encouragées par les Proboules, dont les fonctions existaient depuis deux ans déjà et avaient affaibli de plus en plus les organes constitutionnels de l’État. Ils auraient pu déjouer d’emblée tous les plans des conjurés, s’ils n’avaient partagé pour la plupart leurs opinions. Rien plus, c’est sous leurs auspices que fut prise la résolution d’autoriser Pisandros et ses adhérents à entamer avec Tissapherne et Alcibiade des négociations dont on se promettait un changement subit dans la situation de la ville. On décréta en même temps que Phrynichos et Scironide devaient se démettre de leurs fonctions de stratèges, mesure qui paraissait absolument nécessaire après ce qui s’était passé sur la flotte[2].

Le succès des menées oligarchiques, que Phrynichos avait combattues de toutes ses forces, remplissait ce général d’inquiétude, non pour sa ville natale, mais pour lui-même. Toutes ses actions avaient été inspirées par sa haine contre Alcibiade ; il savait que celui-ci le connaissait pour son ennemi, et la pensée d’être obligé de plier devant lui le tourmentait. Il épiait donc toutes les occasions de lui nuire ; il recherchait les ennemis d’Alcibiade pour s’en faire de fidèles alliés ; et, comme on pouvait supposer que la plus grande animosité contre Alcibiade régnait dans le camp spartiate, le général athénien ne se fit aucun scrupule de préparer une entente secrète avec l’amiral de la flotte ennemie. Mais Phrynichos, qui d’habitude jugeait si bien les hommes et les choses, s’adressait. mal cette fois. L’amiral spartiate était pavé par Tissapherne. Aussi, lorsque Phrynichos eut fait part à Astyochos des négociations d’Alcibiade avec les Athéniens, la nouvelle en arriva immédiatement au quartier général des Perses et à la connaissance d’Alcibiade.

Celui-ci profita de l’occasion pour se montrer l’ami des Athéniens : il les mit en garde contre la trahison de leur général ; il demanda sa mort, et Phrynichos, an lieu de se venger de son ennemi, lui avait donné contre lui une arme terrible. Pourtant, il n’abandonna pas la voie où il était entré ; il crut qu’Astyochos n’avait été qu’imprudent ; il le Marna dans une seconde lettre et offrit en même temps de livrer toute l’armée de Samos à l’ennemi, si son correspondant voulait tenter un coup de main qu’il lui proposait. Ce ne fut qu’après le départ de la lettre qu’il ouvrit, les yeux : alors, pour se sauver, il fit prendre contre la surprise qu’il avait conseillée à Astyochos les dispositions les plus minutieuses. Lorsque cette nouvelle trahison fut annoncée aux Athéniens, comme la première l’avait été, ils n’y voulurent point croire ; ils prirent Alcibiade pour un calomniateur qui n’avait d’autre but que de renverser Phrynichos, et celui-ci, qui était sans contredit le plus habile des généraux de Samos, jouit dans le camp de plus de considération que jamais. Mais à présent que le succès dépendait entièrement de la bonne volonté d’Alcibiade, Phrynichos ne pouvait rester en fonctions. Sa destitution fut le premier effet de la puissance qu’Alcibiade avait reconquise à Athènes.

Au moment où commencèrent les négociations à Magnésie, résidence de Tissapherne, la situation en Asie Mineure s’était passablement modifiée. A Sparte, on était très mécontent de la manière dont la guerre était menée ; on avait honte des traités ; on était irrité contre Astyochos aussi bien que contre l’insidieux satrape ; on résolut, malgré la mauvaise saison, d’envoyer sans délai 27 vaisseaux sous Antisthène, et avec lui une commission de onze citoyens qui devaient. examiner l’état des affaires en Asie-Mineure et veiller sur l’honneur de la cité[3]. Le départ de la mission eut lieu vers la fin de décembre. La personnalité la plus marquante parmi ces commissaires de la guerre était Lichas, fils d’Arcésilaos, un riche et fier Spartiate qui avait osé, malgré l’exclusion prononcée contre les Spartiates, paraître aux fêtes d’Olympie avec un attelage victorieux (420 : Ol. XC). Pour le punir, les autorités d’Élis l’avaient fait battre de verges, probablement à l’instigation d’Alcibiade, dont il était l’ennemi acharné[4]. Au commencement de l’année 411, Astyochos s’était joint près de Cnide à la flotte d’Antisthène, et Tissapherne s’y rendit aussi pour s’entendre avec les Spartiates. Il s’aperçut bientôt qu’un esprit tout différent régnait dans leur camp. Car, au lieu de prêter de nouveau l’oreille à ses trompeuses promesses, Lichas lui déclara nettement que Sparte n’était pas disposée à lui servir de jouet. fallait aussi que les traités fussent révisés, attendu qu’on ne faisait pas la guerre pour replacer les Hellènes sous le joug de la Perse. Si donc le satrape ne voulait pas prêter la main à d’autres arrangements, on essaierait de se passer de lui[5]. Tissapherne rompit les négociations et s’en retourna à Magnésie.

Les circonstances étaient donc en apparence très favorables aux Athéniens. Leurs députés arrivèrent bientôt après à Magnésie et commencèrent par déclarer que, de leur côté, ils avaient satisfait aux conditions préalables d’une entente avec la Perse, puisque, grâce à leurs efforts, la démocratie pouvait être considérée comme abolie à Athènes ; ils attendaient maintenant la récompense qu’on leur avait fait espérer. Mais le Perse rusé n’était nullement disposé à conclure à la hâte une alliance avec les Athéniens. L’attitude altière de Lichas et l’aspect d’une flotte imposante avaient produit leur effet. Après qu’Astyochos, en se rendant à Cnide, eut infligé une défaite au général athénien Charminos et que l'île de Rhodes fut tombée, par suite de la trahison des oligarques, aux mains des Spartiates, ceux-ci étaient sans contredit la puissance prépondérante sur la côte d’Asie : ils avaient transporté leur quartier général de Milet à Rhodes, pour être plus loin du satrape et plus indépendants. Ils étaient trop forts pour qu’il pût à son gré se débarrasser d’eux, et il prévoyait bien que la suspension de la solde n’aurait d’autre résultat que de forcer les troupes à se dédommager en ravageant les côtes. L’idée que les Spartiates se joindraient alors à Pharnabaze, lequel les attendait avec impatience, était pour lui plus pénible encore. Si donc, d’un côté, il était heureux de pouvoir effrayer et, rendre plus souples les Spartiates par ses négociations avec Athènes, il jugeait, de l’autre, absolument contraire à ses intérêts de s’en faire des ennemis par une résolution précipitée et de s’engager à payer des subsides aux Athéniens. A cet égard, il se montra très ferme vis-à-vis d’Alcibiade et agit comme Phrynichos l’avait prévu. Alcibiade faisait semblant d’avoir une influence qu’au fond il n’avait point ; il était pour le satrape le compagnon le plus agréable, un conseiller précieux dans toutes les affaires concernant la Grèce, un chargé d’affaires, un négociateur, un homme enfin tel que Tissapherne, dans sa situation politique, avait toujours dû le désirer ; mais le satrape était bien loin de se livrer complètement : il ne se conforma à ses désirs qu’en se gardant de soutenir trop efficacement et trop franchement les Péloponnésiens ; quant à changer de politique, il avait le coup d’œil assez sûr pour s’en abstenir.

Dans ces circonstances, Alcibiade se fût trouvé dans le plus grand embarras si le parti que représentaient les négociateurs avait été le sien, s’il avait fondé sur eux ses projets de retour. Sans aucun doute, dès le début, son intention n’avait pas été de laisser Pisandros et ses compagnons jouir du triomphe d’une heureuse négociation. Il s’arrangea donc de façon à couvrir avant tout sa personne. Ce qui lui importait le plus, c’est que personne dans le camp des Perses ne doutât de son influence ; sa considération ne devait pas être amoindrie ; or, si les négociations n’aboutissaient pas, il fallait que la faute en retombât sur les négociateurs. Il se fit donc charger par Tissapherne de les diriger en sa présence, et il se donna tout d’abord la satisfaction d’humilier devant lui les oligarques qu’il détestait et de les forcer à lui faire la cour. Les conférences commencèrent, et Pisandros, qui s’attendait à de grandes exigences, commença par renoncer au nom d’Athènes à toute l’Ionie, pour la possession de laquelle on avait épuisé les dernières ressources de l’État. Alcibiade demanda ensuite pour les Perses les îles situées en face de la côte, Lesbos, Samos, Chios ; ceci lui fut également accordé. En troisième lieu, le Grand-Roi devait avoir le droit de faire parcourir à ses vaisseaux de guerre toutes les parties de la mer Égée et d’aborder sur to-tes les côtes. C’était toucher au point le plus sensible, à l’honneur d’Athènes. Elle eût renoncé ainsi non seulement à ses possessions au delà de la mer, mais encore à la sécurité de sa domination dans ses propres eaux. Après de pareilles concessions, qui effaçaient d’un trait de plume tout le passé d’Athènes, les ambassadeurs n’auraient pu reparaître devant leurs concitoyens, auxquels ils avaient promis une nouvelle ère de prospérité. Ils reconnurent avec quelle justesse Phrynichos avait jugé la duplicité d’Alcibiade et s’en retournèrent à Samos pleins de colère d’avoir été joués de la sorte[6].

Ils se trouvaient dans lé plus cruel embarras ; ils ne rapportaient aucun des avantages pour lesquels ils avaient demandé au peuple de si grands sacrifices et risqué leur propre honneur. Cependant il n’était pas possible de reculer. La propagande oligarchique avait déjà fait trop de progrès dans l’armée, et les oligarques de Samos, avec lesquels on était entré en rapport, exigeaient qu’on tînt ferme. On se décida donc au camp à laisser de côté Alcibiade, qui du reste ne pouvait trouver sa place dans l’État tel qu’on voulait le constituer. Ce qui jusque-là n’avait été qu’un moyen devint maintenant laid unique ; et ce but, on le poursuivit avec ardeur. Les membres du parti s’imposèrent des contributions volontaires ; ils envoyèrent Pisandros à Athènes pour y amener la conspiration à maturité, et en même temps d’antres députés dans les villes alliées, par exemple, Diotréphès sur la côte de Thrace, afin de renverser partout la démocratie. C’était un pouvoir absolument révolutionnaire, qui travaillait sans scrupules à donner à Athènes et à tout son territoire une nouvelle constitution. L’exemple de Thasos nous montre avec quelle aveugle imprévoyance on procédait. Car, lorsque Diotréphès y arriva pour renverser la constitution, es aristocrates de l’endroit acceptèrent ses services avec reconnaissance, mais n’eurent rien de plus pressé, après son départ, que de construire des murs et de rompre, avec l’aide de Sparte, toute alliance avec Athènes. Lorsqu’Athènes se laissait aller à des compromis avec les partis aristocratiques du dehors, elle en était punie sur le champ.

On réussit mieux dans la capitale. Là, depuis le départ de Pisandros, bien des choses avaient contribué au succès des plans des oligarques. Toutes les associations de cette couleur s’étaient réunies et formaient une société, une ligue puissante qui agissait en commun.

L’âme du complot était Antiphon, fils de Sophilos, alors âgé de plus de soixante ans, mais d’une activité infatigable ; un homme fait pour être le conseiller et le chef d’un parti, plein d’expérience, au fait de la politique et connaissant les hommes, toujours prêt à donner un avis salutaire, sûr et discret, supérieur par sa pénétration et sa parole entraînante à tous ses concitoyens, complètement maître de lui-même et libre de cette ambition inquiète qui veut à tout prix arriver au premier rang. Un autre chef était Théramène, fils du proboule Hagnon, rempli de brillantes qualités, discret, intelligent et habile, capable de sentiments nobles, mais sans consistance au-dedans ; un vrai disciple des sophistes, un des meilleurs élèves de Gorgias et de Prodicos, et,. par ses talents et ses puissantes relations, un des plus solides soutiens du parti oligarchique. Phrynichos s’était complètement rallié à cette coterie, depuis qu’on était décidé à rompre toute relation avec Alcibiade, car, quelque hasardée que parût à cet homme prudent l’entreprise tout entière, il n’avait plus le choix : il était forcé de mettre toute son audace et toute sa ruse au service du parti opposé à Alcibiade. Au nombre des amis d’Antiphon et de Théramène était Archeptolémos, fils d’Hippodamos, qui autrefois avait combattu Cléon lorsque, après les événements de Pylos, on se demandait s’il fallait faire la paix ou continuer la guerre, et qui maintenant était un chef de parti autour duquel se pressaient les ennemis de la démagogie et de la démocratie. Parmi ceux dont d’anciennes traditions de famille avaient fait ses adhérents, se trouvait Mélésias, fils de Thucydide.

L’immense majorité de ceux qui composaient cette faction étaient des jeunes gens formés à l’école des sophistes ; ils méprisaient les lois de l’État et la basse classe, désiraient des réformes pour divers motifs personnels et écoutaient avec avidité les théories politiques que, dans les réunions du parti, leur exposait avec sa brillante éloquence Antiphon, qu’on avait coutume d’appeler le Nestor du parti. L’opinion régnante et les expériences des dernières années étaient bien faites pour gagner un grand nombre de citoyens des classes aisées, qui jusque-là s’étaient tenus à l’écart des coteries.

On s’appuya sur diverses considérations d’une justesse incontestable, et l’on fit habilement ressortir les défauts du système en vigueur, afin de cacher les mobiles égoïstes qui faisaient agir le parti. On posa en fait que la démocratie était la plus injuste et la plus mauvaise des constitutions. Le peuple  lui-même, disait-on, reconnait son incapacité à gouverner, puisqu’il n’a jamais demandé que les fonctions les plus importantes de l’État fussent conférées par voie de tirage au sort ; il vaudrait donc mieux aussi pour le peuple que le gouvernement fût tout entier entre les mains de ceux auxquels jusqu’à présent on n’avait fait supporter que les charges de l’État, que les classes fussent de nouveau distinctes, et que l’on rendit aux premiers de la nation, abaissés au rang de serviteurs de la foule, les droits qui leur appartenaient. L’ambiguïté de l’expression par laquelle les Grecs, conformément à l’ancien usage, désignaient ceux-qui avaient de la naissance, de l’éducation et du savoir-vivre, les braves et honnêtes gens[7], vint en aide aux partisans de l’aristocratie. Ils pouvaient faire remarquer qu’on avait déjà commencé à abandonner le gouvernement insensé des masses pour revenir à un ordre de choses d’accord avec le bon sens, et que ce commencement avait porté ses fruits. Seulement il ne fallait pas s’arrêter là La démocratie était beaucoup trop coûteuse pour pouvoir être maintenue après la défection des alliés ; dans ces temps de détresse publique, il était impossible de trouver de quoi paver les membres du Conseil et les jurés. Il fallait donc que les fonctions publiques redevinssent honorifiques comme au bon vieux temps, que le Conseil fût composé de l’élite des riches et des gens instruits, et qu’il eût des pouvoirs plus étendus, afin de pouvoir diriger l’État d’après des principes et dans un but déterminés. Alors seulement on pourrait mettre fin à une guerre qui devait infailliblement ruiner Athènes. Il ne s’agissait pas toutefois d’enlever au peuple tous ses droits : il y aurait toujours une bourgeoisie ; mais les plus pauvres et les plus incultes ne devaient plus affluer en masse dans les assemblées et dégoûter les honnêtes gens de prendre part aux délibérations. Il fallait faire un choix ; cinq mille citoyens environ, qui ne prétendraient à aucune indemnité pour s’occuper des affaires publiques, devaient être investis des droits souverains du peuple athénien. On pourrait ainsi attendre avec confiance des temps plus prospères pour la république[8].

Telles étaient les théories que, depuis plusieurs années, on avait répandues arec zèle et, grâce au talent et aux habiles sophismes de leurs représentants, avec un succès incontestable. Les conjurés avançaient pas à pas et préparaient en silence le coup d’État décisif ; des moyens permis ils passaient aux moyens défendus, de la persuasion à la violence ; car, d’après les principes des sophistes, on n’était pas tenu d’être trop consciencieux pour atteindre un but utile.

Ils avaient pour réaliser leurs plans une caisse commune. Des âmes vénales leur servaient d’instruments. Des hommes armés, enrôlés à l’étranger, étaient, prêts à rendre n’importe quel service. On employa des gens de cette espèce pour se débarrasser des chefs du parti démocratique. C’est ainsi qu’Androclès périt assassiné ; d’autres victimes suivirent. On n’osait même pas rechercher les coupables. Ceux qui n’appartenaient pas aux sociétés secrètes étaient intimidés ; la puissance de ces dernières semblait d’autant plus grande qu’elles agissaient dans l’ombre ; personne n’avait le droit de parler librement ; les organes constitutionnels de l’État étaient réduits a l’impuissance ; les Proboules étaient ou d’accord avec les conjurés, ou âgés et sans énergie ; le Conseil s’était habitué à n’exister que pour la forme ; le peuple était désuni et privé de chefs[9]. En apparence, les formes constitutionnelles subsistaient. encore, mais le pouvoir était entre les mains des conjurés : de jour en jour ils manifestaient plus librement leurs. intentions ; et les Athéniens,  devenus craintifs et pusillanimes, finirent par considérer comme inévitable une réforme de la constitution. La comédie des Thesmophoriazousæ, qu’Aristophane fit représenter trois mois après Lysistrata, nous permet de juger de l’état des esprits ; dans cette pièce, le poète évite de toucher aux questions politiques du jour ; il traite un sujet inoffensif ; il se moque de la poésie d’Euripide et des femmes athéniennes ; ce n’est que çà et là qu’on voit percer une allusion aux ennemis des traditions léguées par les ancêtres, à la tacheté du Conseil et à la tyrannie imminente[10].

Pisandros trouva donc à Athènes le terrain tout préparé. Il ne songea pas à faire un l’apport fidèle sur l’insuccès de son ambassade ; à l’entendre, tout était convenu avec le Grand-Roi, et il ne s’agissait plus que de prendre à Athènes les mesures nécessaires. Il proposa donc à ses concitoyens de nommer une commission chargée de présenter dans le plus bref délai possible un projet de constitution améliorée. Outre les proboules, ou élut parmi les citoyens vingt assesseurs, et on octroya à ce collège des pouvoirs illimités[11]. Il les lui fallait pour écarter l’obstacle le plus sérieux opposé à toutes les modifications de l’ordre établi, le Palladium des libertés civiques, le droit d’accuser publiquement les auteurs du toute proposition illégale. Un décret de la commission constituante interdit sous peine de châtiment l’exercice de ce droit ; il était désormais permis à chaque citoyen de proposer les mesures qu’il croirait exigées par le salut de l’État ; Pisandros et ses adhérents trouvaient ainsi la route toute frayée, et la commission n’avait au fond plus rien à faire.

Ce ne fut pas sur le Pnyx qu’on frappa le coup décisif — car on n’osait pas renverser la constitution dans ce lieu consacré par la tradition —, mais en dehors de la ville, à un quart de lieue du Dipylon, à Colone ; c’est là, auprès du sanctuaire de Poséidon Hippios, que les citoyens furent convoqués. A cause de la proximité de l’armée ennemie, il fallut se renfermer dans un enclos, et l’on profita de cette circonstance pour empêcher le concours de masses trop considérables et des scènes tumultueuses. On fit part à l’assemblée des propositions de Pisandros, telles qu’elles avaient été adoptées dans les assemblées antérieures du parti. Elles étaient brèves et nettes, car elles n’avaient d’autre but que de remettre tous les pouvoirs aux mains des conjurés. Les points principaux étaient que tout salaire accordé par l’État, toute indemnité pour journées passées à son service seraient à jamais supprimés, à l’exception de la solde en temps de guerre, et qu’on créerait un nouveau Conseil de quatre cents membres, qui devait gouverner l’État comme il le jugerait à propos et convoquer, aussi souvent qu’il lui plairait, une assemblée de 5.000 citoyens. En même temps, on fixa le mode d’élection des conseillers : un comité de cinq citoyens devait choisir ensemble cent conseillers ; chacun de ceux-ci en choisirait à son tour trois autres pour collègues. Le peuple consentit à tout, et s’en retourna tranquillement chez lui après avoir enterré à Colone ses droits et ses libertés[12]. L’assemblée avait été probablement peu nombreuse. Il y manquait non seulement tous les équipages de la flotte, mais encore les citoyens armés qui étaient de garde dans la ville.

Il ne restait plus maintenant qu’à dissoudre l’ancien Conseil. Lorsque l’élection des Quatre-Cents fut terminée, ceux-ci se rendirent à la salle du Conseil armés de poignards et entourés des mercenaires qui leur servaient de gardes du corps. On n’eut pus besoin d’employer la force. Les membres de l’ancien Conseil se laissèrent congédier l’un après l’autre sans protester. Le nouveau collège occupa les sièges, élut ses présidents, et lit les sacrifices d’usage avant d’entrer en fonctions ; le coup d’État avait donc parfaitement réussi, sans que la loi fût violée en apparence[13].

Les Quatre-Cents ne manquèrent pas de poursuivre énergiquement leur but à l’intérieur et au dehors. Ils éloignèrent des fonctions publiques tous ceux qui leur déplaisaient et supprimèrent les tribunaux populaires ; des citoyens qui leur paraissaient dangereux, les uns furent exécutés, les autres mis en prison ou bannis. On proposa le l’appel des exilés ; mais il n’eut pas lieu, parce qu’on n’osait ni comprendre Alcibiade dans l’amnistie, ni l’en exclure personnellement ; car on ne s’était expliqué franchement ni sur son compte ni sur la question des subsides perses. Par contre, on envoya des ambassadeurs à Décélie, pour avertir le roi Agis des changements survenus à Athènes et lui exprimer en même temps l’espoir que l’Athènes actuelle inspirerait plus de confiance aux Lacédémoniens et les trouverait plus disposés à traiter avec elle. Mais ce roi ambitieux songeait à mettre à profit d’une autre façon ce qui s’était passé à Athènes. Il crut qu’un désordre complet régnait dans la ville ; il rassembla donc autant de troupes que possible et tenta une attaque sur les portes de la ville. Le coup ayant échoué, il reçut plus favorablement une deuxième ambassade, et, sur son invitation, des députés se rendirent immédiatement à Sparte pour y traiter de la paix au nom des Quatre-Cents[14].

Mais le nouveau Conseil se préoccupait surtout de la flotte ; car là se trouvaient réunis ceux des citoyens chez lesquels on devait supposer le plus d’attachement à la constitution. On avait donc, immédiatement après la constitution du Conseil, envoyé dix hommes de confiance pour tranquilliser l’armée et prévenir toute opposition par des représentations propres à calmer les esprits. Toutes ces réformes, disait-on, étaient uniquement un moyen de sortir de l’embarras présent. Les cinq mille citoyens qui, avec le Conseil, composaient l’assemblée publique et qui étaient les véritables représentants de la souveraineté de l’État prouvaient bien que la constitution réformée n’était pas hostile-au peuple. Les assemblées n’avaient guère été plus nombreuses jusqu’alors. Mais, avant que les Dix pussent remplir leur mission à Samos, le vaisseau de l’État, la Paralos, entra dans le port et apporta de Samos des nouvelles qui laissaient loin derrière elles les plus fâcheuses appréhensions des Quatre-Cents.

Ils s’attendaient bien à entendre parler de troubles et de difficultés de toute espèce qu’ils rencontreraient dans l'armée ; au lieu de cela, ils apprirent que leurs plans avaient complètement échoué à Samos. Ils se voyaient surtout déçus par Léon et Diomédon, qu’ils avaient espéré gagner à leur cause en leur conférant la dignité de stratèges. Bien qu’ils eussent des opinions aristocratiques, ces hommes étaient de bons patriotes fidèlement attachés à la constitution. De concert avec le triérarque Thrasybule, avec Thrasyllos, un Athénien distingué qui servait alors comme simple soldat, et avec d’autres amis de la liberté, ils avaient déjoué le complot ourdi à Samos par Pisandros avant son deuxième départ pour Athènes ; ils avaient d’été le concours le plus énergique aux Samiens, au moment où ceux-ci allaient. élue placés, avec l’aide des généraux athéniens, sous un gouvernement oligarchique, en faveur duquel Pisandros s’était formé un parti de ceux-là même qui, l’année précédente encore, avaient. combattu les aristocrates. Les conjurés étaient vaincus, et la Paralos avait mission d’apporter la nouvelle de cette victoire à Athènes pour confirmer les citoyens dans leur fidélité à la constitution[15].

C’est avec terreur que les Quatre-Cents reconnurent, par le rapport de l’équipage, qui lui-même avait pris une part considérable à la victoire remportée sur les conjurés, quel esprit animait l’armée. eut des scènes de violence ; quelques marins de l’équipage furent jetés en prison ; les autres furent éloignés tin navire, et, avant qu’ils pussent atteindre la ville, embarqués à bord d’un autre vaisseau pour servir en Eubée. Tout ce qu’on pouvait faire en attendant, c’était de cacher aussi longtemps que possible la nouvelle des événements de Samos et d’empêcher également toute information d’arriver d’Athènes à l’armée.

Mais les tyrans ne réussirent même pas à faire le silence : car le capitaine de la Paralos, Chæreas, sut leur échapper. Il arriva à Samos, et, bien qu’il n’eût pas eu l’occasion de s’instruire de l’état des choses à Athènes et des intentions des oligarques, il fit un tableau détaillé, et en partie exagéré, du gouvernement terroriste qui régnait à Athènes. Il n’y avait plus de sécurité là-bas, ni pour la vie des citoyens ni pour l’honneur des femmes. On ne reculait devant aucune violence, et l’on pensait même à s’emparer des familles de ceux qui servaient sur la flotte, pour forcer par ce moyen l’armée à se montrer complaisante. A cette nouvelle, les équipages entrèrent dans une telle fureur qu’ils se fussent jetés sur tous ceux qu’on soupçonnait d’opinions oligarchiques, si Thrasybule et Thrasyllos n’étaient intervenus. Ils leur firent voir combien il était nécessaire de maintenir la paix et la concorde en face de l’ennemi. Toute l’armée s’engagea alors, par un serment solennel, à rester fidèle à la constitution, à continuer vaillamment la guerre coutre Sparte, et à considérer les Quatre-Cents comme des ennemis de la patrie[16] Les Samiens prêtèrent le même serment, et dès lors, il y eut comme cieux Athènes. L’armée avait de bonnes raisons pour se considérer comma la véritable Athènes ; les combattants étaient l’élite de la nation. Ce n’étaient pas eux, disaient-ils, qui s’étaient séparés d’Athènes, mais bien Athènes qui s’était séparée d’eux. Ce ne sont pas des murs et des ports qui constituent la ville, mais les citoyens qui pensent et agissent comme il convient à des Athéniens.

L’armée s’organisa comme un État à part. Elle se réunit en assemblée pour prendre des décisions ; elle déclara qu’elle percevrait les contributions des alliés ; elle procéda à de nouvelles élections, pour écarter des fonctions de stratège tous les suspects et confier le commandement à des hommes qui avaient fait leurs preuves. C’est ainsi que Thrasybule et Thrasyllos furent élus généraux. On avait à combattre un double ennemi ; l’union, l’entrain et le courage n’en étaient que plus grands. Même sans la patrie infidèle, on sentait qu’on était fort, qu’on pouvait se suffire, et, si le retour était impossible, on avait des vaisseaux et des armes pour conquérir ailleurs une ville et un territoire.

Il appartenait aux généraux de porter leurs regards plus loin, et de trouver le moyen d’atteindre à des résultats positifs. Thrasybule était l’homme le plus influent du camp ; car, plus que tout autre il avait donné au parti constitutionnel la cohésion, la force et le sentiment du devoir. Il semblait que la gloire suprême d’arracher sa patrie au gouvernement criminel d’un parti et de rendre Athènes à elle-même lui était réservée. Mais les difficultés étaient extraordinaires, et l’ardeur joyeuse de l’armée ne suffisait pas a les surmonter. On ne pouvait pas abandonner la mer d’Ionie pour commencer la guerre civile à Athènes ; et d’un autre côté, si on laissait longtemps le pouvoir aux mains des Quatre-Cents, les suites étaient incalculables. On était entouré d’ennemis, sans pouvoir en attaquer aucun avec énergie ; on n’avait pas d’autre patrie que la flotte, mais elle n’était plus maîtresse de la mer. Les Péloponnésiens, avec leurs nouveaux alliés d’Italie et de Sicile, l’égalaient par le nombre de leurs vaisseaux, et, à tout moment, la flotte phénicienne pouvait sortir de son embuscade ; si elle se joignait aux Péloponnésiens, la mer Égée était à eux. Le courage qui animait les marins athéniens au temps de Cimon, alors que, sûr de vaincre, on demandait seulement où était l’ennemi pour aller le relancer dans tous les ports, ce courage n’existait plus, et Thrasybule n’était pas non plus le héros plein de foi dans le triomphe et capable de l’inspirer aux autres. Mais il avait un noble et pur amour de la patrie, qui, dans ces temps d’intrigues et de trahisons, produit une impression doublement bienfaisante.

Comme il comprenait que, dans la situation présente, il fallait des moyens et des capacités extraordinaires, il eut assez de désintéressement pour chercher à donner sa place à un antre ; et cet autre, il le trouva dans Alcibiade. A coup sur, il connaissait les faiblesses de ce caractère, et, généreux comme il l’était, il devait les trouver plus répugnantes que personne. Mais il savait aussi apprécier les dons extraordinaires d’Alcibiade ; il savait que rien ne découragerait autant les Quatre-Cents que le retour de cet homme à l’armée. Il n’y avait aucune raison de craindre une alliance entre eux et lui. Si Alcibiade mettait son point d’honneur à venger sa ville natale de ses ennemis du dehors et du dedans, qui étaient aussi les siens, il pouvait en résulter un changement de fortune que d’autres moyens ne pouvaient amener. Après tout, Tissapherne, impuissant par lui-même et peu belliqueux, était cependant maître de la situation. Celui qui savait le dominer — et l’on croyait sous ce rapport l’influence d’Alcibiade plus absolue qu’elle n’était —, celui qui pouvait le décider à mettre la flotte en mouvement ou à la faire rester où elle était, à payer ou à refuser la solde, celui-là était l’homme le plus puissant de la Grèce. Il est vrai que l’armée était très mal disposée. Elle ne voulait pas entendre parler d’Alcibiade, qui avait traité avec les oligarques et mis en train toutes ces conspirations hostiles contre l’État ; mais Thrasybule revint sans cesse à ses propositions, jusqu’à ce qu’enfin il fût chargé par l’armée réunie en assemblée de rappeler l’exilé au nom du peuple.

Alcibiade avait attendu ce moment. Par d’habiles manœuvres, il avait réussi à tenir en ses mains les fils de la politique athénienne. Il s’était, lié avec les aristocrates pour les tromper ; il avait indirectement amené l’attentat contre la constitution, afin que la ville, déchirée par les factions, eût besoin de lui, qu’il pût revenir comme représentant d’une cause digue et grande, afin que lui, qu’on avait si souvent soupçonné de tendances tyranniques, pût se poser en sauveur des libertés civiques et détruire le gouvernement tyrannique d’un parti dont il avait clairement reconnu la faiblesse. Il céda sans résistance à l’invitation de Thrasybule, et celui-ci se retira de la scène pour remettre aux mains d’Alcibiade le salut de la patrie.

Après quatre ans d’absence, Alcibiade se trouvait de nouveau au milieu de ses concitoyens ; il n’aurait pu revenir en temps plus opportun. Car à Samos le souvenir de ce qui s’était passé dans la patrie était moins vif ; ses pires ennemis, les oligarques et les prêtres, étaient absents ; le bon accord régnait dans l’assemblée, animée de sentiments élevés et docile ; tous étaient occupés du présent- et des devoirs qu’il imposait, et l’entente avec Alcibiade était d’autant plus facile qu’exilé lui-même il venait trouver des hommes privés de leur patrie. Il sut profiter de ces circonstances avec une grande habileté. Il gagna les cours en s’apitoyant sur son triste sort, sur son long exil ; il releva le courage de ses concitoyens en leur faisant part de ce qu’il croyait pouvoir espérer pour l’avenir d’Athènes, après les expériences qu’il avait faites à Sparte et en Perse. Mais avant tout, il parla, en l’exagérant, de son influence sur Tissapherne, qu’il avait, disait-il, complètement gagné à la cause athénienne, au point que le satrape vendrait au besoin ses meubles et ses tapis pour payer les troupes athéniennes ; il tenait aussi sa flotte toute prête à les soutenir, dès qu’il aurait une garantie de leur fidélité[17].

Les Athéniens agréèrent tout ce qu’Alcibiade leur exposait ou leur donnait à entendre. Ils le nommèrent général en chef avec des pouvoirs illimités. Avec lui, ils croyaient pouvoir arriver à tout ; et on voulait qu’il commençât à faire ses preuves en renversant immédiatement les Quatre-Cents. Alcibiade aurait eu, en cédant à leur impétueux désir, une excellente occasion de se venger de ses ennemis. Mais, comme les Spartiates campaient de nouveau près de Milet depuis le commencement d’avril, on ne pouvait sans le plus grand danger abandonner la station de Samos. Il ne voulait pas d’ailleurs d’un retour qui devait être suivi des événements les plus tragiques. Il songeait à un autre retour ; et celui-là, il fallait le préparer à l’avance. Il commença par prouver sa supériorité en empêchant l’armée de se rendre au Pirée ; ce fut là son premier acte d’autorité comme général, un acte par lequel il réparait bien des fautes passées, et qui lui valut, de l’aveu même de ses juges les plus sévères, le nom de sauveur d’Athènes. Cet homme d’un égoïsme indomptable se vainquit lui même, et, dans ces temps où l’esprit de parti l’emportait sur toute autre considération, il fut le premier à faire valoir de nouveau l’intérêt de l’État. C’est dans cet esprit qu’il traita les députés des oligarques athéniens, qui, après s’être assez longtemps arrêtés à Délos, avaient enfin osé se présenter au camp. Il les protégea contre la fureur des soldats. Il écouta tranquillement tout ce qu’on les avait chargés de dire pour présenter le coup d’État sous un jour favorable, et les congédia en déclarant que, dans les circonstances présentes, il approuvait entièrement les économies projetées dans4les dépenses de l’État, et qu’il n’avait pas non plus d’objection à faire contre la réforme concernant le droit de vote des citoyens, mais que le nouveau Conseil devait immédiatement donner sa démission et faire place aux Cinq-Cents établis par la constitution[18]. Tout cela était très habilement calculé. Il semblait élevé au-dessus des partis et seul capable d’amener une réconciliation. En même temps, il réussit par ces propositions à diviser le parti qui gouvernait Athènes et à lui faire miner lui-mente son autorité.

Pour ce qui est de l’Asie Mineure, il avait là une position qui répondait parfaitement à ses vœux et à son caractère ; car rien ne flattait davantage son amour-propre que de pouvoir montrer qu’il savait réunir dans sa personne les aptitudes les plus diverses, être à la fois le défenseur de la liberté et l’ami des Perses, le premier à la cour de Tissapherne et dans le camp athénien. Vis-à-vis de ses compatriotes, il se vantait d’être le confident du satrape ; et, comme général en chef d’Athènes, il pouvait prendre vis-à-vis du satrape une attitude toute différente : il pouvait maintenant lui être utile ou lui nuire. Par son seul passage à Samos, il avait exercé une influence décisive sur les rapports de la Perse avec les Spartiates. Ceux-ci ne comprenaient plus rien à la conduite de Tissapherne, depuis qu’ils savaient que son confident se trouvait à la tête de la flotte athénienne sans que leurs rapports en fussent altérés. Tous ceux qui dans le camp péloponnésien avaient conservé le sentiment de l’honneur étaient indignés contre Tissapherne et Astyochos, qu’on accusait maintenant ouvertement de trahison. Le roi Agis avait au moins essayé de faire profiter Sparte du désordre qui régnait à Athènes. Mais Astyochos était resté complètement inactif avec sa flotte, qui comptait jusqu’à 112 trirèmes, sous prétexte d’attendre les Phéniciens. Quelques entreprises sans importance qu’il avait tentées n’avaient eu aucun succès. Il n’y avait plus de discipline ; on injuriait publiquement l’amiral : mais c’étaient les alliés qui avaient le plus de peine à contenir leur colère, surtout les Syracusains et leur chef Hermocrate, profondément irrité de l’attitude indigne de Sparte. On finit par se soucier si peu des égards dus à Tissapherne qu’on laissa tranquillement les Milésiens prendre d’assaut le château-fort qu’il avait fait construire chez eux. Il est vrai-que Tissapherne se transporta alors lui-même sur la côte méridionale pour aller chercher la flotte de 147 voiles qui était à l’ancre sur la côte de Pamphylie ; mais il songea tout aussi peu à en opérer la jonction avec les Péloponnésiens que son lieutenant à fournir aux Grecs pour leur subsistance ce qui était convenu par les traités. Les Athéniens n’avaient donc rien à craindre ; ils recommençaient à se sentir maîtres de la mer, et Alcibiade sut s’arranger de façon à faire attribuer à son influence tous les avantages obtenus.

Cependant l’Athènes de Samos était de plus en plus reconnue, même au dehors, comme la véritable Athènes. Des ambassadeurs d’Argos vinrent de leur propre gré offrir du secours. Ils arrivèrent avec l’équipage de la Paralos, qu’on avait mis pour le punira bord d’un vaisseau de transport stationné dans la mer d’Eubée. Là, cet équipage avait reçu l’ordre de conduire à Sparte les ambassadeurs que, par suite des négociations entamées avec Agis, on s’était décidé à y envoyer pour traiter de la paix, trois hommes complètement dévoués au parti oligarchique, Læspodias, Aristophon et Mélésias ; ce dernier était probablement un fils de Thucydide. Il est difficile de dire comment l’idée put venir aux Quatre-Cents de choisir pour ce service important le navire monté par l’équipage de la Paralos, si c’était pure négligence de leur part ou s’ils voulaient ainsi froisser les sentiments libéraux des citoyens qui le composaient, Quoi qu’il en soit, leur procédé était bien maladroit ; car les marins de la Paralos prirent à bord les oligarques sans protester, mais, arrivés près d’Argos, ils déclarèrent qu’ils faisaient défection au gouvernement de la ville, livrèrent aux Argiens les ambassadeurs chargés de chaînes, reçurent à bord à leur place les envoyés d’Argos et les conduisirent au quartier général à Samos, où leurs frères d’armes les reçurent avec dos cris de joie[19]. l’ont contribuait ainsi, avant même qu’on se fût battu, à relever le courage des troupes ; la gloire de cet heureux changement revenait tout entière à Alcibiade, de sorte que les Samiens lui élevèrent une statue devant leur temple d’Héra pour perpétuer le souvenir de l’heureux jour de son retour.

A Athènes, pendant ce temps, les choses avaient pris une tournure tout autre que ne l’avaient pensé les oligarques d’après leur premier succès. A peine les Quatre-Cents eurent-ils occupé leurs sièges dans la salle du Conseil qu’on vit combien étaient peu faits pour agir de concert ces hommes qui devaient gouverner l’État dans les circonstances les plus difficiles et prouver que la mise en pratique de leurs théories pouvait seule ramener l’ordre et la prospérité. On s’était hâté de compléter le nombre des conseillers. On avait choisi à dessein non seulement des conjurés, mais aussi d’autres citoyens, pour éviter l’apparence d’un gouvernement de parti. Phrynichos surtout avait travaillé sans relâche à attirer au Conseil, par toutes sortes de ruses, d’honnêtes patriotes, et à les rendre ainsi contre leur gré complices dans une certaine mesure du coup d’État. Mais l’erreur qu’on commit en élisant Léon et Diomédon montre bien à quel point on pouvait se méprendre en pareille matière.

Ce ne fut qu’après l’installation du gouvernement qu’un grand nombre des nouveaux conseillers se rendirent compte des intentions qui animaient les auteurs des réformes accomplies, et qu’ils reconnurent l’impossibilité d’agir de concert avec eux. Le retour des ambassadeurs envoyés à Samos exerça surtout une influence décisive. L’unanimité avec laquelle l’armée avait embrassé la cause de la constitution avait imprimé art gouvernement de la ville un caractère révolutionnaire ; Alcibiade, dont le retour avait paru à un grand nombre de citoyens un motif suffisant pour approuver un changement de constitution, Alcibiade, que l’on voulait reconquérir en s’imposant, à soi et aux autres, les plus grands sacrifices, Alcibiade se trouvait à la tête de l’armée, et maintenant seulement on comprenait à quel point on avait été trompé par Pisandros. La modération des citoyens armés qui tenaient entre leurs mains le sort de l’État, leur calme, le respect du devoir qui les faisait rester à Samos, la réponse sensée d’Alcibiade, tout cela contribua à détacher complètement du parti révolutionnaire les indécis, car ils sentirent que tout le bien qu’on avait espéré d’un changement de constitution eût pu être obtenu d’une façon beaucoup plus légale et plus sûre ; ils comprirent qu’ils avaient servi d’instruments à des traîtres ; et, comme à ce rôle leur ambition ne trouvait pas son compte, la diversité d’opinions qui dès le début avait existé au sein du Conseil se changea en dissentiment manifeste. Les uns voulaient enrayer le mouvement ; les autres, qui étaient allés trop loin, voulaient au contraire user de plus de sévérité et employer des mesures plus énergiques à mesure que le danger grandissait : les uns voulaient s’ouvrir une voie pour sortir d’embarras, les autres, conserver le pouvoir à tout prix[20].

Parmi les mesures les plus discutées, il y avait la convocation des Cinq-Mille. Les plus modérés demandaient qu’on prit la chose au sérieux ; sans cela, disaient-ils, Athènes est sous un régime de pure tyrannie : les autres voulaient qu’on remit à une époque indéterminée cette mesure dangereuse, pour consolider le pouvoir gouvernemental et prévenir autant que possible toute agitation. Ils jugeaient nécessaire de maintenir un certain temps la ville comme en état de siège. Ils se servaient pour cela des archers étrangers, qu’ils avaient pris à leur solde et qui plus que tout le reste donnaient à leur gouvernement le caractère de la tyrannie ; c’étaient des Barbares d’une apparence farouche, en grande partie des Ibères, dont il est fait mention dans les comédies du temps[21]. Ils leur avaient fait occuper les points les plus importants de la ville haute et de la ville basse, et leur manière de rendre la justice et de faire la police parmi les citoyens répondait à cet état de choses. Le droit de réunion, la liberté de la parole et de l’enseignement étaient supprimés ; et le parti des fanatiques, fortement représenté au Conseil, profila de l’occasion pour revenir aux persécutions religieuses. C’est peut-être à cette époque qu’on intenta un procès au vieux Protagoras, à l’ami de Périclès, au sujet de son livre Des choses divines ; il dut fuir, et les exemplaires de son ouvrage furent brillés publiquement sur la place du marché[22].

Mais ce fut surtout lorsqu’on entreprit la construction d’un château-fort au Pirée que le dissentiment entre les divers partis du Conseil devint manifeste. Là, la presqu’ile rocheuse d’Eétionia s’étend du nord vers l’entrée du grand port ; en cet endroit, une garnison peu nombreuse peut parfaitement empêcher une flotte d’entrer dans la rade ou d’en sortir[23]. Cette presqu’ile fut coupée par un mur, de telle sorte que la halle au blé et le marché au grain furent compris dans l’enceinte des murailles. On allégua, comme motif de ces constructions, la nécessité de protéger le port contre une attaque imprévue des troupes de Samos ; mais, dès le début, le bruit courut que ce fort n’avait d’autre but que de recevoir des troupes péloponnésiennes. Cc fut sur ce point que le parti des modérés rompit le plus nettement avec les chefs des conjurés. Ceux-là se groupèrent autour de Théramène et d’Aristocrate, ceux-ci autour de Phrynichos, de Pisandros, d’Antiphon, d’Aristarchos et de Callæschros.

Dès lors les deux partis travaillèrent l’un contre l’autre, et le résultat inévitable de cette hostilité fut que les véritables oligarques, qui voyaient grandir sans cesse le danger du côté de l’armée, des citoyens et de leurs propres collègues, cherchèrent leur salut dans des mesures de plus en plus désespérées. Sparte était leur unique espoir ; et, bien qu’ils eussent volontiers conservé à Athènes sort indépendance, ils étaient décidés, s’ils ne pouvaient faire autrement, à gouverner leur patrie sons la protection des troupes du Péloponnèse, car le pouvoir de leur parti leur importait plus que tout le reste. Antiphon, Phrynichos et Archeptolémos se rendirent donc eux-mêmes à Sparte pour entamer de nouvelles négociations. Personne ne sut rien du résultat ; mais ces conventions secrètes inspiraient d’autant plus de soupçons, et une flotte péloponnésienne qui se trouvait dans les ports de la Laconie, prête à faire voile, ne fit qu’augmenter l’inquiétude.

Dès lors rien ne retient plus le parti adverse ; car lui aussi est perdu si le fort est terminé et si la trahison réussit. Mais il ne peut se sauver qu’en faisant cause commune avec le peuple. Une contre-révolution se prépare ainsi parmi les Quatre-Cents, et c’est dans des réunions secrètes qu’on désigne ceux qui tomberont victimes de la haine populaire. On en veut avant tout à Phrynichos.

A peine est-il revenu de son odieuse ambassade qu’un soir il est assassiné sur la place du marché, au milieu de la foule, non loin de la salle du Conseil[24]. L’auteur du crime s’enfuit, mais on s’empare de son complice Apollodoros. Ils faisaient partie tous les deux des mercenaires enrôlés par les Quatre-Cents : on ne peut donc plus se fier à eux ; les adversaires des oligarques disposent d’une partie d’entre eux. La torture même ne peut arracher à Apollodoros le nom de ceux qui l’ont chargé de commettre le crime ; mais il déclare que les conjurés sont nombreux, qu’ils se réunissent chez les chefs des soldats de la police et dans les maisons bourgeoises. Ces aveux effrayent la majorité ; on n’ose prendre aucune mesure décisive. Quelques-uns quittent secrètement la ville ; d’autres restent indécis : il était impossible d’augmenter les mesures coercitives. Aussi le parti modéré agit-il avec plus de fermeté ; il n’a plus besoin de se cacher ; il se met en rapport avec les citoyens pour préparer l’insurrection ouverte.

Le premier signal est donné au Pirée ; les milices qui avaient reçu l’ordre de travailler aux fortifications d’Eétionia se soulèvent contre le gouvernement et font prisonnier Aristoclès leur commandant ; Hermon, qui commande la garnison de Munychie, se joint à eux ; tout le port est en armes contre les Quatre-Cents. Il se trouve encore au Conseil un parti qui veut employer la force ; mais la majorité reconnaît la nécessité d’avoir recours à des mesures conciliatrices et cède au désir de Théramène, qui demande à être envoyé au port comme commissaire du gouvernement. Théramène écoute les griefs des troupes ; il les trouve justes et se joint aux insurgés pour démolir le fort à moitié terminé. A partir de ce moment, l’insurrection se déclare ouvertement. Une assemblée de citoyens a lieu au théâtre de Munychie. De là ils se rendent en bon ordre à Athènes où, tout armés, ils prennent position dans l'Anakeion, l’enclos sacré des Dioscures, au pied de la citadelle, sous le temple de la déesse protectrice de la ville, à l’endroit où chaque citoyen avait juré dans sa jeunesse de maintenir l’intégrité de la patrie sur terre et sur mer et de défendre au prix de sa vie les lois de la cité contre toute agression.

Tout en se souvenant de leur serment, ils montrèrent une généreuse modération. Le sort de la ville était entre leurs mains ; le Conseil, sans aucun pouvoir, était livré à leur ressentiment ; et pourtant, ils reçurent les députés qui vinrent à eux de la salle du Conseil pour les supplier individuellement de maintenir l’ordre et la tranquillité ; ils consentirent même à ce que le Conseil continuât provisoirement à gouverner, à condition de convoquer immédiatement les Cinq-Mille et de se compléter en faisant un choix parmi eux[25].

Pour prendre ces mesures, on fixa un jour où la concorde devait être rétablie dans l’assemblée du peuple. Et déjà la foule se rassemblait au théâtre à l’heure indiquée pour consommer l’œuvre de réconciliation et rétablir la libre république athénienne, lorsque tout à coup la nouvelle se répand qu’une flotte de 42 voiles, venant de Mégare, est en train de contourner Salamine. Les citoyens crurent naturellement, et non sans raison, que c’était la flotte dont Théramène leur avait dit qu’elle agissait de concert avec les Quatre-Cents ; tous ceux qui étaient capables de porter les armes se précipitèrent au Pirée pour défendre le port contre les ennemis du dedans et du dehors. Les vaisseaux qui stationnaient dans le port furent garnis d’équipages, d’autres rapidement mis à flot, les murs occupés par des troupes, et les entrées du port fermées. Mais l’amiral spartiate Agésandridas passa avec ses vaisseaux devant le port, et le danger immédiat disparut.

Mais bientôt on signala un autre péril. La flotte tourna autour de Sounion et cingla vers Oropos. Il s’agissait maintenant de sauver l’Eubée. Les Athéniens se précipitèrent une seconde fois sur les vaisseaux ; on forma en toute hâte une escadre, dont le commandement fut confié à Thymocharès, avec ordre de rallier le plus tôt possible les autres vaisseaux stationnés dans les eaux de l’Eubée. Trente-six vaisseaux se rassemblèrent près d’Érétrie ; les ennemis se trouvaient en face d’eux, à Oropos. Rien encore ne semblait perdu ; les Athéniens étaient pleins d’ardeur. Mais là encore les infortunés avaient l’ennemi devant et derrière eux. Les Érétriens allaient les trahir. Lorsque les Athéniens voulurent acheter des provisions, ils trouvèrent que le marché situé près de la mer était vicie ; ils durent courir jusque dans les rues les plus éloignées pour se procurer l’indispensable. Or, lorsque le signal du départ fut donné, les équipages n’étaient pas au complet, et la flotte fut obligée de s’avancer dans le plus grand désordre contre l’ennemi, qui d’Érétrie avait reçu le signal de se porter en avant. Néanmoins, les Athéniens tinrent bon au début de la bataille ; mais ils furent vaincus et rejetés sur le rivage ; ceux qui s’enfuirent vers Érétrie furent tués par les habitants ; 22 vaisseaux tombèrent aux mains de l’ennemi, et, peu de. jours après, toute l’ile. avec ses colonies de clérouques fut perdue pour Athènes, à l’exception d’Oréos, l’ancienne Histiæa, qui était complètement occupée par des citoyens athéniens et que ceux-ci conservèrent à leur patrie[26].

Lorsque la nouvelle de la bataille livrée dans le détroit d’Eubée et de ses résultats arriva à Athènes, les meilleurs perdirent courage ; car ce désastre était beaucoup plus grand que la défaite de Sicile elle-même. L’Eubée était en effet plus indispensable aux Athéniens que leur propre territoire ; d’ailleurs ils n’avaient plus ni vaisseaux, ni argent, ni troupes ; l’armée était séparée de la cité, celle-ci désunie, le Conseil d’accord avec l’ennemi. A quoi pouvait-on s’attendre, si ce n’est à ce qu’Agésandridas parût devant le Pirée ? Si la garnison de Décélie les avait en même temps attaqués par terre, les Athéniens n’auraient pu résister avec succès ; il semblait qu’au dernier moment la trahison des oligarques allait enfin réussir. Car, même en admettant que l’armée de Samos accourût pour sauver la patrie, on pouvait prévoir qu’elle arriverait trop tard ; et d’autre part, si l’on abandonnait Samos, on livrait en même temps à l’ennemi l’Ionie et l’Hellespont, et toute la gloire d’Athènes, la ville et son empire étaient anéantis d’un seul coup. Les Athéniens, en un mot, s’attendaient à la ruine de leur cité.

Mais l’ennemi resta immobile. Étonné de ses succès, il ne sut pas en profiter. Agis et Agésandridas ne songèrent même pas à marcher de concert sur la ville et laissèrent aux Athéniens le temps de se remettre de leur première terreur. Ceux-ci équipèrent donc vingt nouveaux vaisseaux pour défendre leurs ports, et s’occupèrent ensuite sérieusement de mettre de l’ordre dans les affaires publiques. Car ils sentaient qu’ils ne sortiraient d’embarras qu’en consolidant d’abord le terrain dans la ville même, par l’établissement d’une constitution légale.

Peu de temps après la défaite du détroit d’Eubée, environ vers le milieu de juin, nous retrouvons les Athéniens réunis comme autrefois sur le Pnyx, d’où les avait bannis le gouvernement des tyrans. On agit avec un calme parfait, mais avec fermeté et énergie. Le Conseil fut destitué et le pouvoir suprême rendu au peuple, mais non pas à la masse tout entière. On réserva dans leur plénitude les droits de citoyen à une délégation prise dans la classe aisée, et, comme les listes des Cinq-Mille n’étaient pas dressées, on décida, pour arriver rapidement au but, à l’exemple d’autres États qui avaient pris des mesures analogues, que tous les Athéniens qui pouvaient complètement s’armer à leurs frais auraient le droit de vote et de participation au gouvernement ; la dénomination des Cinq-Mille, bien qu’assez vague, fut conservée, parce.que depuis quelques mois on s’y était habitué. En même temps, on décréta que toute rémunération des fonctions et emplois civils était supprimée ; et ce ne fut pas à titre de mesure temporaire : cette gratuité des fonctions fut érigée en principe pour l’avenir, et les citoyens s’engagèrent à l’accepter par un serment solennel. En somme, c’était un sage mélange d’aristocratie et de-démocratie ; selon Thucydide, ce fut la meilleure constitution que les Athéniens eussent eue jusque-là[27]. En même temps et sur la proposition de Critias, le rappel d’Alcibiade fut décidé et une ambassade envoyée à Samos pour consommer l’union de la ville et de l’armée[28]. Dans des assemblées successives, ou continua l’ouvre commencée ; on renouvela le Conseil et on nomma une commission législative pour réviser la constitution, après les perturbations subies par le droit public, et pour mettre toutes choses en harmonie avec les principes qu’on avait posés. On décida qu’au bout de quatre mois ce travail devait être terminé[29].

L’homme le plus influent de ce temps était Théramène, et, si un juge aussi sévère qu’Aristote le met au nombre des meilleurs citoyens qu’Athènes ait jamais eu[30], son principal mérite. n’est pas sans doute d’avoir déjoué les menées insidieuses d’un parti prêt à tout, mais surtout d’avoir, après la chute de celui-ci, prévenu les explosions de la passion populaire qui auraient consommé la ruine de la cité, rétabli l’entente parmi les citoyens et obtenu un résultat qui est des plus rares dans la vie des États.

Nous voyons échouer un coup d’État qui avait porté une atteinte criminelle aux biens les plus précieux des citoyens, à l’égalité devant la loi, à la liberté de conscience et de la parole ainsi qu’à leur indépendance extérieure, et pourtant aucun mouvement violent ne se produit du côté opposé, aucune réaction sanglante et avide de vengeance ; bien plus, les citoyens, indignement trompés et gravement offensés, ont tant d’empire sur eux-mêmes, après avoir reconquis le pouvoir, qu’ils reconnaissent volontiers ce qu’il y avait de bon dans les plans de réformes des oligarques et s’en font une règle de conduite en inaugurant un nouvel ordre de choses. Si l’on considère que dans d’autres États, par exemple à Argos et à Corcyre, de semblables événements furent accompagnés des plus terribles explosions de la fureur des partis, il faut reconnaître que le peuple athénien ne s’est jamais conduit d’une façon plus sage et plus raisonnable. L’attitude de la population, aussi bien que celle de l’armée, est une preuve éclatante de la valeur morale qu’avait encore l’élite de la bourgeoisie. Le malheur avait contribué à réveiller et à fortifier les vertus civiques, et, s’il est vrai que cette généreuse conduite inspira au peuple entier un nouveau courage et lui donna la force de résister aux terribles coups de la fortune, ceux qui dans ces temps difficiles ont mis leur éloquence au service du peuple et lui ont donné de salutaires conseils méritent bien d’être mis au rang des plus grands bienfaiteurs d’Athènes.

Pendant ce passage progressif d’une constitution à une autre, et alors que quelques-unes des dispositions les plus importantes du régime précédent étaient adoptées par le nouveau, la participation au gouvernement des Quatre-Cents ne pouvait être considérée comme un acte coupable. Quelques-uns de ses membres n’étaient-ils pas devenus les sauveurs de la cité ? Par contre, d’autres membres du Conseil s’étaient rendus à tel point suspects des plus grands crimes d’État qu’on ne crut point devoir passer outre. On nomma donc des accusateurs publics et une commission d’enquête pour demander compte de leurs actes à tous les membres du Conseil. Beaucoup d’entre eux furent complètement acquittés. Ceux qui, comme Pisandros, refusèrent de se défendre et passèrent à l’ennemi, furent condamnés. Aristarchos non seulement s’était échappé mais avait emmené avec lui une division des archers ibères à Œnoë, qu’assiégeaient précisément alors les Corinthiens et les Béotiens. Il avait fait croire à la garnison, qui le considérait comme un membre du gouvernement, que la forteresse avait été cédée par un traité aux Lacédémoniens, et avait ainsi fait tomber entre les mains de l’ennemi une des places les plus importantes de la frontière[31]. Il reçut plus tard le châtiment de sa trahison. Deux seulement des instigateurs les plus influents du coup d’État comparurent devant les juges. Archeptolémos et Antiphon, le seul qui nous intéresse personnellement[32].

D’une rare énergie de caractère, un modèle de perspicacité et de finesse athénienne, incomparable comme orateur et comme professeur d’éloquence, il était admiré de tous ceux qui savaient apprécier la culture de l’esprit ; mais le peuple ne l’aimait pas, parce qu’il blessait les gens par ses manières hautaines et qu’il prenait en toutes choses le contre-pied de l’opinion-publique[33]. La dignité vraiment antique de sa parole était tout l’opposé de l’éloquence démagogique telle qu’elle était à la mode depuis Cléon ; lorsqu’il parlait des affaires publiques, il combattait sans cesse la politique démocratique, surtout en ce qui concernait les alliés. Le régime populaire lui inspirait tant d’aversion qu’il ne voulut jamais accepter aucune fonction publique. Ce n’est qu’après le désastre de Sicile qu’il crut son heure venue ; il fut depuis le principal fauteur des menées subversives des oligarques. Il devait donc être considéré comme le plus coupable.

Trop fier pour fuir, il comparut devant ses juges, et ceux de son parti tentèrent de reconquérir leur popularité à ses dépens. Théramène était du nombre des généraux qui l’accusèrent de trahison auprès du Conseil ; Andron, également un des Quatre-Cents, avait provoqué le décret du Conseil qui mit Antiphon en état d’accusation.

Le vieil orateur fit appel une dernière fois à toutes les forces de son intelligence pour défendre virilement les principes d’après lesquels il avait agi. L’accusation portait surtout sur la dernière ambassade, sur la construction du fort au Pirée, et sur le rapport qu’avait eu avec ces mesures l’expédition maritime d’Agésandridas. Son discours Sur la réforme de la constitution fut une œuvre très admirée, mais ne put le sauver[34]. Antiphon ne put dissiper le soupçon qui pesait sur cette ambassade ; toute sa vie témoignait contre lui ; les accusateurs allèrent jusqu’à s’appuyer sur la conduite de son grand-père pour représenter toute sa maison comme un foyer d’opinions anticonstitutionnelles. Il essaya en vain de faire valoir que les Quatre-Cents avaient été solidairement liés entre eux et qu’il fallait les punir tous ou les acquitter tous[35]. Il fut condamné à mort avec Archeptolémos et livré aux Onze. Leur fortune fut confisquée et leurs maisons démolies ; les membres de leurs familles furent déclarés infâmes, et leur sépulture sur le territoire attique interdite. On exposa en public leur sentence, avec le vote préalable du Conseil.

C’est ainsi que, pendant l’été de 411, au début de la seconde année de la XCIIe olympiade, cent ans après la chute des Pisistratides, finirent les quatre mois de la tyrannie des oligarques. Elle n’avait été possible que grâce au pouvoir des clubs politiques, qui avaient préludé à des entreprises plus audacieuses par le procès des Hermocopides ; elle devait son existence aux talents extraordinaires qui se mirent à son service et aux dispositions favorables des classes aisées ; mais elle ne pouvait durer, parce que l’élite de la nation restait fidèle à la constitution, parce que ce qui subsistait de la domination maritime d’Athènes ne pouvait être sauvé que par la démocratie, et qu’à Athènes même l’honneur de l’État était inconciliable avec le gouvernement oligarchique.

Un homme comme Thucydide n’aurait pas pu avoir une aussi haute opinion d’Antiphon n’avait été persuadé de la pureté de ses intentions. Antiphon était un théoricien inflexible, dont le regard pénétrant était si choqué des vices incurables de la constitution, qu’il aimait mieux voir sa patrie se mettre sous la dépendance de Sparte que périr par le poison de la démocratie. C’est ainsi que même des hommes sincères purent croire qu’il était de leur devoir de sacrifier la liberté et l’indépendance d’Athènes. Mais la plupart des conjurés, comme ils l’avaient prouvé par leur conduite récente, n’étaient que des traîtres égoïstes, qui, pour satisfaire leurs instincts de domination, étaient prêts à livrer leur patrie.

Malgré sa courte durée et sa complète instabilité, ce gouvernement de parti laissa des traces de son passage. La puissance de avait reçu d’incurables blessures ; plus que jamais sa faiblesse était devenue manifeste aux ennemis, et Sparte avait pu éprouver la force de ses adhérents. Le sang des citoyens avait de nouveau coulé à Athènes ; on avait rasé d’antiques maisons bourgeoises, élevé des monuments à la honte du régime de la terreur, et, par une série de procès de haute trahison et de confiscations, on avait répandu une semence de haine qui leva rapidement. Une époque d’agitation avait commencé pendant laquelle on voulut réparer ce qu’on avait négligé dans des temps plus calmes. On fit donc aussi comparaître les morts devant les tribunaux ; car le meurtre par lequel avait commencé l’insurrection devait être complètement justifié. Toute la haine qui animait les citoyens contre la tyrannie, des oligarques fut accumulée sur la tête de Phrynichos, de celui qui primitivement avait été l’adversaire déclaré des ennemis de la constitution et n’avait été entraîné à prendre part a leurs coupables projets que par les complications extérieures. La défense de la victime ne fut permise qu’à la condition que le défenseur, en cas de condamnation, fût réputé coupable du même crime que Phrynichos[36]. Après que ce dernier eut été condamné, dans sa tombe comme coupable de haute trahison et que ses ossements eurent été jetés au delà des frontières de la contrée, ses assassins purent revendiquer toute la gloire qui revient aux meurtriers des tyrans et aux héros de la liberté ; ils devinrent citoyens ; une partie des biens confisqués servit à les récompenser, et leurs noms eurent l’honneur de figurer sur des monuments publics[37] ; c’était comme une fête séculaire en mémoire de la première délivrance d’Athènes par Harmodios et Aristogiton. Toute cette procédure traînait en longueur. On était assiégé de déclarations de toute espèce de gens, de réputation fort douteuse, qui prétendaient avoir été acteurs dans la scène du meurtre nocturne, et qui revendiquaient leur part d’honneurs et de récompenses. Mais même les honneurs décernés aux deux auteurs principaux du meurtre, à Thrasybule, et à Apollodoros, soulevèrent bien des objections qu’on fit examiner par des commissions spéciales ; de sorte que l’affaire rie fut complètement terminée que dix-neuf mois seulement après l’assassinat de Phrynichos, au mois de mars 410 (Ol. XCII, 3).

C’est ainsi que les passions avaient été de nouveau excitées, et plus d’un qu’on crut avoir traité avec trop de douceur lors de la première enquête fut sommé de comparaitre et condamné ; ce fut le sort de ceux-là surtout auxquels on put prouver qu’ils était restés partisans du Conseil après la destruction du fort. La recherche des menées tyranniques était de nouveau à l’ordre du jour, et le sentiment de la sécurité au foyer ne revenait pas. Sur la proposition de Démophantos, on décida qu’on punirait comme coupables de haute trahison même ceux qui accepteraient des fonctions d’un gouvernement illégal. On essayait ainsi de prévenir le danger de nouveaux coups d’État ; et, il faut bien le dire, le parti oligarchique, malgré sa défaite, était bien loin d’être anéanti ; le discours qu’Antiphon avait légué à ses amis comme un testament politique eut sur eux un effet durable, et ils n’attendaient qu’une occasion favorable pour réaliser leurs projets.

 

 

 



[1] Cf. JEEP, Quo anno et quibus diebus Lysistrata et Thesmophoriazusæ doctæ sint, 1859.

[2] THUCYDIDE, VIII, 54.

[3] THUCYDIDE, VIII, 30.

[4] THUCYDIDE, V, 50.

[5] THUCYDIDE, VIII, 43. 52.

[6] THUCYDIDE, VIII, 56.

[7] καλοκάγαθοί ; cf. optimates.

[8] On a le programme des oligarques dans le traité De la république des Athéniens faussement attribué à Xénophon. D’après KIRCHHOFF (in Abhandl. d. Berl. Akad., 1874 p. 1 sqq. et 1878, p. 1 sqq.), l’écrit en question a été rédigé par un Athénien inconnu, d’opinion oligarchique, vers la fin de la guerre Archidamique, après l’occupation de Pylos et avant la mort de Brasillas dans la Chalcidique. E. BELOT (Rép. d’Athen., Paris, 1879) essaie de restituer cet opuscule à Xénophon.

[9] THUCYDIDE, VIII, 66. L’historien dit que la défiance était surtout excitée par l’attitude équivoque prise par certains personnages entre les oligarques et les démocrates. GILBERT (Beiträge, p. 257) rappelle à ce propos, avec beaucoup de raison, l’exemple de Pisandros.

[10] ARISTOPHANE, Thesmophor., 31. 311. 808. 1143.

[11] THUCYDIDE, VIII, 67.

[12] D’après Philochore (ap. HARPOCRAT., s. v. συγγραφεΐς), il y a eu trente commissaires : on retrouverait ce nombre dans Thucydide (VIII, 67) en adoptant la modification proposée par K. Fr. Hermann (Α au lieu de Δ).

[13] Sur l’ensemble de cette révolution, voyez WATTENBACH, De Quadringentorum Athenis factione, 1842.

[14] THUCYDIDE, VIII, 70-71.

[15] THUCYDIDE, VIII, 93-73. Hyperbolos, qui probablement faisait cause commune avec les démocrates samiens, est mis à mort durant cette échauffourée à l’instigation du stratège Charminos, partisan de l'oligarchie (THUCYD., VIII, 73).

[16] THUCYDIDE, VIII, 74-75.

[17] THUCYDIDE, VIII, 81.

[18] THUCYDIDE, VIII, 86.

[19] THUCYDIDE, VIII, 86.

[20] Sur la division des Quatre-Cents en modérés et ultras, voyez THUCYDIDE, VIII, 89.

[21] Voyez BERGK, Comment. de reliq. Com. attic., p. 343 sqq.

[22] L’accusateur de Protagoras, Pythodoros, était εΐς τών τετρακοσίων (DIOG. LAERT., IX, 55). Cf. BRANDIS, Gesch. der Philos., I, p. 525. MEIER (Opusc., I, p. 232) recule la date du procès jusqu’au temps des Hermocopides. C’est aussi l’opinion de SAUPPE (Zu Plut. Protagoras, p. VI).

[23] THUCYDIDE, VIII, 90. Cf. G. HIRSCHFELD, Peiraieus (in Ber. d. Sächs. Ges. d. Wiss., 1878).

[24] έν τή άγορά πληθούση (THUCYDIDE, VIII, 92). Thucydide, comme l’indiquent la préposition et l’article, n’entend point préciser le moment ; il n’y a donc point entre son texte et celui de Lycurgue (νύκτωρ. LYC., In Leocrat., § 112) la contradiction qu’y trouvent BERGK (in Zeitschrift f. Alterthumswissenschaft, 1847, p. 1110). KIRCHHOFF (in Philologus, 1858, p. 18), RANCHENSTEIN (Einleitung zu Lysias, Orat., XIII, p. 56, 5e édit.) et autres. Après la sieste de midi, l’agora commençait à se remplir de nouveau, et, en saison d’été, il y avait foule jusque bien avant dans la nuit. Cf. E. CURTIUS, Attische Studien, II, p. 44.

[25] THUCYDIDE, VIII, 92-93.

[26] THUCYDIDE, VIII, 94-95.

[27] THUCYDIDE, VIII, 97.

[28] Alcibiade est rappelé sur la proposition de Critias, avec la coopération de Théramène (PLUT., Alcib., 33). Cf. CORN. NEPOS, Alcib., 7. DIODOR., XIII, 38.

[29] Sur la commission des nomothètes, voyez SCHÖMANN, Opuscul., I, p. 250 (BERGK, zu Schillers Andokides, p. 145.).

[30] ARISTOTE ap. PLUTARQUE, Nicias, 2.

[31] THUCYDIDE, VIII, 98.

[32] Onomaclès, le troisième personnage impliqué dans le procès, s’était éloigné par avance (Vit. X. Orat., p. 833).

[33] Voyez le portrait dans THUCYDIDE, VIII, 68, 1-3.

[34] D’après Thucydide (VIII, 68) le discours περί μεταστάσεως était la meilleure apologie du coup d'État.

[35] Dans les fragments qui nous en restent (ap. HARPOCRAT., s. v.  Στασιώτης, Έμποδών), il semble pourtant que l’orateur cherche établir des catégories peu justifiées entre les personnes ayant pris part au complot. C’est du moins ce qu’indique la distinction des τύραννοι et des δορυφόροι.

[36] LYCURGUE, In Leocrat., § 113.

[37] Le décret du peuple rendu en l’honneur des meurtriers sous l’archontat de Glaucippos (Ol. XCII, 3) nous a été en partie conservé dans un fragment inséré au C. I. ATTIC. (I, n. 59) fragment découvert pas BERGK (in Zeitschrift für Alterthumswissenschaft, 1871, p. 1099) et restitué par KIRCHHOFF (in Philologus, XIII, p. 16 et Monatsber. d. Berl. Akad., 1861, p. 603).