HISTOIRE GRECQUE

TOME DEUXIÈME

LIVRE TROISIÈME. — DU DÉBUT DES GUERRES MÉDIQUES À LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE.

CHAPITRE TROISIÈME. — LES ANNÉES DE PAIX.

 

 

§ VI. — LA VIE ARTISTIQUE À ATHÈNES.

L’État ne peut exercer sur l’éloquence et la poésie, comme sur les progrès de la science, qu’une action indirecte, en donnant aux mitres de l’art une occasion de travailler pour l’intérêt public, en pavant les poètes d’une renommée incontestée[1], en leur distribuant des prix, en faisant réciter devant le peuple assemblé les œuvres d’un Hérodote, en organisant les fêtes où les pièces dramatiques sont représentées avec tout l'appareil qui leur convient. Pour les arts plastiques, la question est bien différente. Ceux-ci dépendent des circonstances extérieures : pour réaliser quelque chose de grand, elles ont besoin de certaines ressources que l’État seul peut leur assurer : et, là encore, une direction souveraine est nécessaire, pour appliquer à des desseins d'une utilité commune toutes les forces qu'on a sous la main, de façon à ce qu’elles ne s’éparpillent pas en efforts isolés.

Depuis les temps les plus reculés, l’Attique a été le terrain le plus favorable à la culture des arts. Le goût du beau qui distingue la race des Hellènes, ses habitants l'avaient à un degré supérieur : puis, le paysage et l’atmosphère même contribuaient à perfectionner leur sens de la ligne et de la couleur, et le sol fournissait à ce peuple industrieux une pierre incomparable pour la construction et pour la statuaire, ainsi qu’une argile excellente pour le modelage, pour la poterie et la décoration des terres cuites.

Ces deux genres de travail n’en formaient qu’un à l’origine, car le potier cherchait à donner à ses produits une valeur supérieure, non seulement par le fini de l’exécution et la noblesse de la forme, mais aussi par le vernis et l’ornementation. Dans les grands ateliers, on engageait des ouvriers spéciaux pour l’exécution des figures. C’est ainsi qu’un métier devint une branche de l’art : et les premiers noms de peintres que nous connaissons se lisent à côté de ceux des potiers sur les coupes et les vases. Cette peinture consistait uniquement en une esquisse dont leurs contours étaient remplis avec de la couleur : c'étaient des figures noires se détachant sur le fond rouge de l'argile. Puis vint une modification simple, mais profonde, de la technique. On réserva pour les figures la couleur de l'argile, et on les fit ressortir, sur le fond sombre, en rouge éclatant. Ce fut pour cet art le commencement d’une vie nouvelle : un style absolument nouveau apparut dans la forme et dans la décoration des vases, et c’est à Athènes que s’établit cette réforme qui fait époque.

Ce changement eut lieu à une époque qui fut, sous tous les rapports, le début d’un nouveau mouvement intellectuel. Vers l’an 500 avant notre ère, il y avait des ateliers renommés où d’abord on peignit en noir les figures, et où, après une courte période d’hésitation, on passa délibérément et promptement au style nouveau : on peut citer dans le nombre, l’atelier de Chachrylion[2]. Andocide peignit encore dans les deux styles ; et, à l’origine, les figures rouges conservaient encore tout à fait le type raide et contraint du dessin autrefois à la mode.

C’est chez Chachrylion que travailla Euphronios, qui plus tard se monta un atelier à lui[3]. Euphronios et Douris[4] fleurirent dans la pleine prospérité de l’époque de Périclès, et nous voyons par les ouvrages sortis de leurs mains comment, dans l’écriture et dans le dessin, ils suivirent le mouvement contemporain, comment ils s’affranchirent des lois d’un art suranné pour l’élever par degrés à une grâce plus libre.

Il y eut des artisans, appartenant à des classes inférieures, quine savaient même pas écrire correctement. Mais, tout en s’attachant fermement, comme c’est du reste la coutume des artisans, à la tradition héréditaire, ils se montrèrent cependant des artistes véritables, en ce sens qu’ils recueillirent dans leur âme impressionnable la riche matière de cette époque si vivante, et qu’ils ne se lassèrent pas de marcher toujours en avant. Dans le cours d’un petit nombre d’olympiades qui correspondent à peu près aux campagnes de Cimon, il se développa, sans qu’on renonçât à la méthode antérieure, un art nouveau qui, mieux que toutes les autres branches de l’activité artistique des anciens, nous fait reconnaître ce que les Hellènes ont pu faire avec les procédés techniques les plus modestes, et comment ils ont animé d’une vie idéale les objets les plus vulgaires. C’est ici que se marque de la manière la plus nette le passage régulier du métier à l’art ; et, quand nous voyons représentés dans les vases peints de Douris, d’Euphronios et autres, des scènes de batailles ou des fêtes joyeuses, le monde mythologique et la vie de tous les jours, nous ne pouvons refuser de reconnaître en eux des maîtres dans l’art populaire qu’ils pratiquent.

La céramique fut l’école de la peinture. On appliqua ses procédés au travail de la pierre ; c’est ce que prouvent les stèles funéraires sur lesquelles est représentée l’image du défunt, esquisse coloriée d’une simplicité svelte et gracieuse, comme le monument de Lyséas, de l’époque des Pisistratides[5].

Le culte donna naissance à des peintures plus développées, notamment sur les offrandes votives, destinées à rappeler des événements auxquels avaient pris part un plus grand nombre de personnes, par exemple, la construction du pont sur le Bosphore, ou la procession des prêtresses qui allèrent en suppliantes vers l’Aphrodite de Corinthe pour conjurer les dangers de la guerre médique. Le culte fournit aussi l’occasion de décorer de peintures les murs de la cella. On étendait sur ces surfaces ou sur des tablettes fixées au mur une couche de stuc lin, qu’on employa plus tard aussi dans la céramique, selon le procédé des peintres de tableaux, pour recevoir les couleurs. C’est ainsi qu’il Samos, à Corinthe, à Chalcis, à Paros, à Thasos et autres lieux, Fart de la peinture se perfectionna lentement.

Mais c’est à Athènes que s’accomplit enfin le progrès qui aboutit à un art grandiose et monumental, et cette gloire encore, la ville la dut à sa flotte victorieuse. En effet, au moment où l’île si riche de Thasos osa entrer en lutte avec Athènes, la peinture v était florissante, principalement dans la. maison d’Aglaophon. Celui-ci eut pour fils Polygnote, que nous trouvons, depuis la guerre de Thasos, lié par des relations étroites et un attachement personnel avec Cimon. Il est donc de toute probabilité que ce fut précisément Cimon qui détermina Polygnote à se fixer à Athènes, faisant ainsi de sa victoire une date importante et mémorable dans la vie artistique de son pays. Polygnote, en effet, à peine installé, déploya la plus étonnante activité. Il décora de ses peintures le temple de Thésée, que Cimon venait justement de terminer ; puis, dans le marché public que Cimon avait planté d’arbres, le nouveau portique bâti par Pisianax, parent de Cimon, probablement son beau-frère ; puis, le sanctuaire des Dioscures et la chambre sacrée, à l’entrée de l’acropole, qui plus tard fut connue sous le nom de Salle des peintures ou Pinacothèque. La renommée de Polygnote se répandit bientôt dans la Grèce entière. On lui confia la décoration du temple d’Athéna Aréia, à Platée, celle de la Lesché ou portique des hôtes, à Delphes : il fonda à Athènes une école à laquelle se rattachèrent des maîtres indigènes, comme Micon et Panienos, et des artistes étrangers, comme Dionysios de Colophon.

L’influence de cette école se fit sentir jusque dans les branches industrielles de l’art attique ; c’est à partir de ce moment que se développe rapidement et heureusement dans la céramique le style moderne, avec le groupement plus expressif de ses figures, son invention plus riche, sa grâce attrayante, d’autant plus effective qu’elle est soutenue par un fonds plus grave et plus sévère. On reconnaît jusque dans les métiers, à Athènes, l’action de cette grande époque qui commence à la venue de Polygnote.

Jamais l’hospitalité des Athéniens ne reçut plus riche récompense ; car en remerciement du droit de cité qu’on lui avait conféré, l’artiste exécuta pour eux, sans vouloir accepter aucun paiement, les grandes peintures murales qui rendirent leur ville célèbre entre toutes, et il établit chez eux la première école de peinture qu’ait eue l’Hellade.

Polygnote fut dans son art un homme tout occupé de hautes pensées : rien ne lui fut plus étranger que le dessein de séduire l’œil par l’attrait de la couleur et par des illusions décevantes. Son pinceau dédaignait ce qui n’agit que sur les sens ; il ne cherchait qu’à exprimer sous la forme la plus simple la pensée du maître. Pour lui, il vivait toujours par la pensée dans le monde des traditions religieuses et héroïques ; comme Pindare et Eschyle, il voulait en rattacher la matière aux faits du présent. Conformes au plan d’une trilogie eschyléenne, les trois peintures du portique du marché, quoique de différentes mains, furent sans aucun doute exécutées sous sa direction : elles représentaient le combat des Amazones, la ruine d’Ilion et la bataille de Marathon, c’est-à-dire, les diverses périodes de la grande lutte engagée entre l’Asie et l’Europe[6]. A Platée, il peignit le massacre des prétendants dans la maison d’Ulysse, allusion évidente à l’invasion des Barbares, qui avaient trouvé à Platée même leur châtiment.

Polygnote est le créateur d’une peinture d’histoire[7], dont le style grandiose n’a jamais été dépassé. Ce fier sentiment de soi-même qui exaltait les contemporains de Cimon animait toutes les œuvres qui sortirent de son école, qu’elles eussent pour sujets les légendes épiques ou les événements du jour. Quant à ces derniers, on s’appliquait à les rendre dans toute leur vérité. Ainsi, dans la bataille de Marathon, on voyait Miltiade en personne, représenté au moment où, s’élançant en avant, il entraînait les Athéniens à l’attaque ; on voyait les Perses refoulés dans les marais, le combat près des vaisseaux, la mort sublime de Callimachos ; on était aussi transporté dans le monde invisible, car les ombres des héros du pays sortaient des enfers pour prendre part à la bataille. Cette partie du sujet appartenant en propre à Athènes, Polygnote en avait confié l’exécution à un artiste athénien, Parænos.

En revanche, il avait une prédilection marquée pour les sujets qui intéressaient l’ensemble des Hellènes : on ne pouvait donc lui trouver une tâche plus attrayante que la décoration du portique de Delphes, où les Hellènes de tous les pays et de tous les dialectes se réunissaient à titre de membres d’une seule et même nation, de serviteurs des mêmes dieux. C’est là qu’il déploya dans toute leur richesse les légendes homériques ; toutefois, il ne se contenta pas de ranger des groupes à côté les uns des autres, hie manière de l’épopée ; mais, tout en composant d’une façon nette et distincte chaque groupe isolé avec un petit nombre de personnages, il eut soin de les rattacher tous à un point central. Tous les spectateurs reconnaissaient là l’esprit réfléchi qui domine complètement son sujet, en même temps qu’ils sentaient leur âme saisie et échauffée par les idées morales et religieuses de l’artiste. C’est à Delphes, en effet, que se manifestèrent plus ouvertement les tendances théologiques de Polygnote. Dans la ruine de Troie comme dans le tableau des Enfers, il sut représenter par des exemples terrifiants la justice divine qui commande aux vicissitudes des choses humaines. Celui qui comprenait la symbolique simple mais profonde de l’artiste, voyait dans l’image d’Anténor s’éloignant tranquillement de la ville en flammes la récompense de l’hospitalité, et dans les figures des initiés, l’expression de la félicité que donnent les mystères et qui se prolonge au delà du tombeau.

La sculpture avait en Grèce un passé bien plus riche que la peinture. Pendant la période des tyrans, les ateliers des statuaires et des architectes athéniens avaient été eu pleine activité ; dans les familles un peu en vue s’éveillait l’ambition de se faire connaître par de riches offrandes, et l’antique corporation des Dédalides était constamment occupée au service de la religion, en travaillant le bois, le marbre et l’ivoire ; les statues des dieux dues à des artistes athéniens, par exemple à Enduros, jouirent d’une renommée qui s’étendit bien au delà des limites de leur pays. Ce qui les caractérisait, c’était la sévérité majestueuse du style, la gravité religieuse, la dignité calme. Les Athéniens suivirent longtemps ces principes ; et tout ce que nous connaissons en fait de sculpture attique, soit par les restes conservés, soit par les descriptions, depuis cette époque jusqu’aux guerres médiques, nous prouve qu’à côté d’un travail patient et d’un effort sérieux pour atteindre dans le détail à la vérité de la nature, la figure demeura dans l’ensemble sèche et raide, sans liberté et sans vie, et garda assez tard un type contraint et archaïque. C’est à cette manière qu’appartiennent les statues en marbre d’Athéna, représentée avec un long vêtement et les bras collés au corps, assise majestueusement sur un trône, comme on en a découvert à l’acropole.

Un des caractères distinctifs de l’école attique est le style des bas-reliefs, qui dessine le contour des figures, comme des silhouettes, sur la plaque de marbre, exactement à la façon des peintures sur vases ; on les voit notamment sur les stèles funéraires, de forme allongée, qui, engagées dans un socle, s’élevaient au-dessus du tombeau qu’elles signalaient, juste assez larges et assez hautes pour qu’on y pût tracer une figure humaine de grandeur naturelle[8] L’étroitesse des proportions est la marque propre de l’art archaïque athénien, avec une certaine gaucherie qui mit longtemps à disparaître, de même que la façon conventionnelle de traiter le visage et les cheveux. grand et fixe, paraît dans toute sa largeur sur la tête en profil, tandis que déjà dans le modelé des joues se montre une observation fine de la réalité, et que les contours indiquent une recherche évidente de la vérité naturelle.

Une vie incomparablement plus active régnait dans le Péloponnèse, où le moulage du bronze était en pleine prospérité, où l’art avait atteint, en ce qui concerne les présents votifs et les statues des vainqueurs, un développement plus libre et plus complexe. Les écoles artistiques de Sicyone, d’Égine et d’Argos étaient alors les plus florissantes du monde grec : Sicyone, l’école de Canachos, qui, vers le temps des guerres médiques, façonna des statues d’Apollon pour Milet et pour Thèbes ; à Égine, l’école des fondeurs indigènes, fameuse de toute antiquité, qui, parallèlement au bien-être et à/a puissance de l’île, prit un essor de plus en plus brillant et arriva à son apogée avec Onatas.

Ce maître fut célèbre dans toute l’Hellade. Il fit pour les Pergaméniens un Apollon colossal, pour les Phigaléens, en Arcadie, une statue de Démêler[9], et celle-ci même eut ceci de particulier, que l’artiste ne s’attacha point, suivant l’exemple de ses devanciers, à suivre avec une préoccupation gênante le type sans goût qu’imposait la foi antique, mais s’affranchit de la tradition hiératique et, d’après sa propre inspiration, ennoblit la forme de l’image divine. Toutefois, ce fut dans la composition de groupes historiques plus vastes que son génie artistique se révéla tout entier. Ainsi, il exécuta pour les villes d’Achaïe un présent sacré qui représentait les héros grecs tirant au sort pour décider qui devait parmi eux se mesurer avec Hector[10] ; d’autre part, il représenta, sur la commande des Tarentins, les combats à pied et à cheval que les citoyens de cette ville avaient soutenus contre les Italiotes ; on y voyait présents les héros protecteurs de Tarente[11]. Un monument remarquable des aptitudes de cette école est l’ornementation du temple d’Athéna à Égine. Ce sont des figures en marbre, et pourtant elles font voir nettement que c’est par la fonte de l’airain que l’art éginétique est arrivé à la sveltesse de formes, à la vivacité expressive de mouvements qui nous frappent dans les ouvrages de cette origine ; tandis que le marbre, si abondant à Athènes, se prêtait plutôt à des ouvrages où se déployait une harmonie tranquille et où l’idéal conçu dans la tête de l’artiste trouvait son expression sensible.

A la même époque qu’Onatas, et en collaboration partielle avec lui, on vit travailler Agéladas et Calamis. C’est au temps des guerres médiques que ce dernier s’éleva au plus haut point de sa renommée, lorsque les citoyens d’Agrigente lui commandèrent une série de figures d’enfants dans l’attitude de la prière[12], et que Pindare consacra à Thèbes une statue de Zeus Ammon sortie de ses mains[13]. Il fut un maître dans la façon du bronze, du marbre, de l’argent, de l’or et de l’ivoire, également habile à représenter les dieux, les animaux et les hommes ; en lui se révélait déjà toute la souplesse du génie attique, et, bien qu’on ne puisse prouver qu’il soit Athénien de naissance, c’est du moins à Athènes qu’il se produisit, tandis qu’Agéladas fut à Argos le chef d’une école artistique célèbre et très active. Là, comme à Égine, on s’occupa surtout de la fonte du bronze ; et grâce aux nombreux présents votifs qu’il exécuta pour le compte des Tarentins, des Épidamniens, des Messéniens, etc., l’art atteignit, soit dans les figures isolées et dans les groupes, soit dans les statues des dieux et dans les quadriges, à une variété et à une habileté de technique et de composition qui attira à Argos, des contrées les plus lointaines, les artistes les plus zélés, venus pour se perfectionner à l’école d’Agéladas ; et ce qui atteste plus que tout le reste la haute valeur d’un tel maître, c’est que trois des plus grands sculpteurs de l’antiquité, Myron. Polyclète et, Phidias, ont été ses disciples.

Myron, né à Éleuthères, sur les confins de l’Attique et de la Béotie, était le plus figé des trois. Il fit pénétrer dans l’atelier des artistes du Péloponnèse l’esprit athénien, l’invention et l’énergie athénienne qui, loin de s’en tenir aux sujets traditionnels, s’ouvrait dans toutes les directions des chemins nouveaux. La vie dramatique qui se déployait dans la poésie attique anima aussi l’art de Myron et lui fit dépasser, dans les statues d’athlètes, le niveau ordinaire. Ainsi il représenta Ladas, vainqueur à la course, au moment où il atteint le but, avec son dernier souffle expirant sur ses lèvres[14] ; et son Discobole rendait visible, dans le corps qui se courbe et se ramasse, la tension extrême de tous les muscles, mouvement vivant et dramatique qui faisait deviner qu’un instant après chaque membre allait prendre une position absolument différente[15]. On voit là toute la sûreté de main qu’il avait acquise à Argos, et en même temps l’emploi nouveau qu’il sut faire des procédés de cette école. De plus, sous la direction des maîtres athéniens, il traita supérieurement les statues de dieux, tandis que d’autre part une certaine simplicité un peu rude, où nous croyons reconnaître le caractère béotien, le portait à façonner, avec une prédilection particulière et un particulier bonheur, des figures d’animaux soit réels, soit fabuleux, comme aussi à reproduire, dans des ouvrages de genre, des scènes de la vie familière[16].

Cette souplesse. de génie ne se trouve point chez Polyclète, qui vint de Sicyone à l’école d’Argos ; mais c’était une nature d’artiste, harmonique en soi, entraînée d’un élan infatigable toujours plus avant dans la contemplation et la représentation de la beauté parfaite, cherchant en conséquence à étudier scientifiquement les proportions normales du corps humain, comme à les rendre sous des formes typiques. Aussi ses statues étaient-elles en opposition marquée avec la manière de Myron, surtout par le calme des attitudes et par leur extrême simplicité. D’autre part, pour éviter le danger de la monotonie, il employa un artifice primitif, mais efficace : ce fut de faire poser principalement sur un seul pied ses statues debout, en sorte que les lignes du corps offraient un gracieux contraste entre les parties qui portent et celles qui sont portées, entre les côtés fortement tendus et les côtés relâchés et assouplis. En le dégageant de l’élément personnel, Polyclète donna au corps une harmonie parfaite ; et, pour la beauté idéale, la noblesse et la dignité, ses œuvres n’ont point été dépassées. Mais les grands sujets lui ont fait défaut : il a manqué à l’artiste une patrie dont l’histoire fût vivante, une cité qui considérât l’art comme un intérêt public. La tâche la plus importante qu’on lui ait confiée, l’exécution d’une statue pour le temple d’Héra, ne fut sans doute accomplie par lui que grâce h la situation particulière où se trouvait alors Athènes.

Les écoles attiques avaient été éclipsées par celles de Thasos, de Sicyone, d’Égine et d’Argos. Mais, si propres que fussent les petits États à cultiver et à encourager, au milieu de circonstances favorables, le développement des beaux-arts dans certaines directions, cependant l’art grec ne pouvait arriver à son épanouissement complet qu’au point même où se trouvait le centre de l’histoire grecque, le siège de la souveraineté, le théâtre de la gloire ; car les arts suivent la victoire, et leur plus beau rôle a été en tout temps d’éterniser, par des œuvres immortelles, les grands succès gagnés par l’habileté et la vaillance humaines. C’est ce que pensèrent les tyrans de la Grèce ; c’est pourquoi ils consacraient ces présents magnifiques qui devaient attester leur fortune à la postérité. Mais le peuple ne prenait aucune part à ces ouvrages, car la fortune de ces tyrans reposait sur l’oppression, et l’ambition égoïste de quelques despotes ne pouvait pas donner naissance à un art national. Après eux, la situation changea. Un grand mouvement national avait entraîné le peuple tout entier : et à la tête de ce mouvement se trouvait une cité libre, à qui la victoire avait donné en partage la richesse et la puissance. Ce n’était plus assez que ces présents sacrés offerts par quelques amis de l’art, par quelque eupatride libéral comme Callias, fils d’Hipponicos, qui y fit travailler Calamis[17] : l’État lui-même dut donner en son nom les commandes, et la cité athénienne eut assez le sentiment de l’art pour considérer l’exécution des grandes œuvres comme un intérêt public de premier ordre.

Ainsi toutes les circonstances se réunissaient pour favoriser la politique de Périclès, laquelle ne reposait pas sur des fantaisies personnelles, mais était une conséquence nécessaire de l’évolution historique. Car il ne pensait pas, en vérité, à fournir à Athènes l’occasion d’étaler fastueusement sa richesse ; il voulait plutôt que l’art hellénique, qui, devenu peu à peu habile à façonner toutes les matières, avait trouvé pour tous les genres de l’architecture et de la plastique le style vrai, perfectionné toutes les branches de la technique, depuis la statue colossale chryséléphantine jusqu’aux ustensiles domestiques les plus vulgaires, enfin, fait son apprentissage complet et achevé son éducation, fût alors porté à chercher dans la glorification d’Athènes une tâche où il pût affirmer toute sa puissance.

Le but de Thémistocle avait été de fortifier Athènes, car c’était là une condition de son indépendance. Cimon, homme de vues libérales, avait fait beaucoup pour embellir la ville et les faubourgs, et Polygnote fut précisément l’artiste qu’il lui fallait pour donner à ses travaux une consécration plus haute. Cependant, il leur manquait encore d’être rattachés à une conception d’ensemble. Cimon avait trop devant les yeux la gloire de sa famille[18] et sa satisfaction personnelle, pour envisager la décoration d’Athènes comme une partie des hautes fonctions qu’exerce un homme d’État. Périclès fut le premier qui le comprit. Pour établir la puissance d’Athènes telle qu’il la rêvait, il fallait que l’art plastique, c’est-à-dire la marque distinctive des Hellènes en face des Barbares, devint un art athénien et servît à orner la ville, deux fois sacrifiée et ruinée, de monuments modèles, vis-à-vis desquels toutes les œuvres précédemment façonnées par des mains grecques ne seraient plus considérées que comme des ébauches. Si Périclès fut en cela plus heureux que dans toutes ses autres tentatives, il convient d’attribuer ce succès non seulement à sa personnalité propre, mais à un concours de circonstances qui lui amena pour accomplir cette grande entreprise les hommes nécessaires, et, entre tous, Phidias.

Phidias, fils de Charmidès, était de quelques années plus âgé que Sophocle. Il appartenait à une famille où était héréditaire, avec le culte d’Athéna Erganè, la déesse ouvrière, la pratique d’arts très variés. Lui-même commença par être peintre, comme son frère Panænos, et ce fut plus tard qu’il se tourna exclusivement du côté de la sculpture, dont il étudia toutes les branches avec une extrême diligence. Fort jeune encore, il alla dans le Péloponnèse, où régnait la paix tandis que l’Attique défendait son propre territoire, et là, dans l’atelier d’Agéladas, il eut la première révélation d’une activité artistique vraiment grandiose. Dès son retour, il passa au rang des maîtres les plus estimés, si bien qu’il se trouva déjà en première ligne pour coopérer à l’exécution des monuments que la cité, dans sa reconnaissance, voulut consacrer aux vainqueurs de Marathon. On y dépensa pareillement les trésors gagnés par des succès plus récents, car les Athéniens eurent surtout à cœur de célébrer le souvenir de cette journée. Cimon avait un intérêt personnel à encourager cette tendance. En effet, une fois qu’on eut oublié le fâcheux procès de Miltiade, sa renommée remonta à la surface, plus brillante encore ; et tandis que Cimon, ainsi que les généraux ses collègues, n’obtinrent pour remerciement et pour loyer de leurs exploits en Thrace que le privilège de dresser sur la place du marché trois hermès ornés d’épigrammes, on décréta après coup, en l’honneur de la grande Victoire, l’érection de groupes en bronze de proportions colossales, qui furent exécutés pour Delphes dans l’atelier de Phidias : c’étaient les héros des dix tribus de l’Attique, représentant la communauté des citoyens ; à côté d’eux, Codros, Thésée, et en troisième lieu probablement Philæos, fils d’Ajax, qui avait réuni Salamine à Athènes, l’ancêtre des Philaïdes, auxquels se rattachaient Miltiade et Cimon : enfin, Miltiade lui-même, près d’Apollon et d’Athéna[19]. On ne pouvait honorer d’une expiation plus éclatante la mémoire des glorieux morts ; c’était leur donner, et au delà, la satisfaction qu’ils méritaient. Vers le même temps, on vit sortir des mains du même artiste le colosse en bronze d’Athéna Promachos, celle qui combat au premier rang, qu’on installa sur l’acropole, à l’ouest, devant le temple de la déesse protectrice, majestueux emblème du courage valeureux avec lequel les Athéniens s’étaient élancés au-devant des Perses.

C’est ainsi que déjà l’époque de Cimon offrit à l’artiste une riche matière pour réaliser des créations imposantes. Toutefois ce n’étaient là encore que des travaux de circonstance, exécutés sur commande, comme il en sortait de l’atelier d’Agéladas, avec cette grande différence, que les œuvres de Phidias servaient à la gloire de sa propre patrie et qu’elles formaient. une série liée par une connexion intime. Ces ouvrages mûrirent le génie du maître et le conduisirent lui-même jusqu’au moment on Périclès prit en mains les rênes de l’État.

Phidias possédait, à un degré éminent, cette souplesse et cette force d’intelligence qui distinguait ses contemporains. Non seulement il fut à la fois peintre et sculpteur, ce qu’on pouvait dire aussi de Micon, collaborateur de Polygnote : mais il parcourut en maître tout le domaine de l’art, et surtout il eut le génie fécond et inventeur. Il était pénétré de la grandeur du rôle que devait jouer sa patrie ; de plus, c’était un penseur, un homme complètement initié à toutes les connaissances de son temps sans être amené, plus qu’Eschyle ou Sophocle, à rompre avec la tradition héréditaire. Comme il avait atteint le sommet de la culture contemporaine, il s’appliqua à entrer avec pleine intelligence dans les idées de Périclès, et d’autre part, grâce à ses vues larges qui embrassaient toutes les branches de l’art, il put conduire d’une main sûre les plus vastes entreprises, forçant les autres artistes à reconnaître l’incontestable supériorité de son esprit. En un temps où l’émulation pouvait se donner libre carrière, Phidias fut un roi dans la province de l’art, comme Périclès dans l’administration ; il savait assigner à chaque artiste le poste qui lui convenait ; il était au milieu d’eux, comme un chef et comme un guide, sans nuire en rien à leur renommée, sans rien leur enlever de leur zèle.

Ce que voulaient Périclès et Phidias intéressait vraiment toute l’Hellade. En effet, la patrie tout entière avait été sauvée par les guerres de l’Indépendance ; tous les peuples des deux côtés de la mer avaient renouvelé leur union ; et pourtant on ne voyait pas encore se produire ce qui aurait dû être fait depuis longtemps, pour marquer par des monuments durables la grande époque de ce relèvement triomphant de la nation, et la prospérité qui l’avait suivi. Une génération nouvelle avait grandi, et beaucoup de sanctuaire, détruits gisaient encore en ruines sur le sol ; les vœux n’étaient point acquittés, et des périodes de divisions et de rivalités avaient interrompu les fêtes d’actions de grâces qu’on devais aux dieux. C’était donc un devoir national de réparer ces omissions ; Périclès entreprit de le remplir dans cet esprit. La ligue hellénique qu’Athènes avait naguère instituée contre les Perses, il voulut la faire revivre, sous la forme d’une alliance pour les travaux de la paix.

Dans ce but, on choisit parmi les citoyens vingt hommes d’un âge avancé, ayant pris part eux-mêmes aux guerres de l’Indépendance ; on les partagea en quatre groupes, qui furent envoyés, le premier vers les Ioniens et les Doriens d’Asie et vers les îles, le second dans l’Hellespont et la Thrace ; la troisième députation se dirigea sur la Béotie, la Phocide et le Péloponnèse, la dernière sur l’Eubée et la Thessalie. Tous les États libres furent ainsi invités à constituer un congrès national à Athènes et à y prendre, à la suite d’une entente commune, les mesures nécessaires pour relever les temples abattus et accomplir comme il convenait les vœux en souffrance[20]. On devait fonder une grande fête nationale, toute nouvelle, et le commerce pacifique de tous les États helléniques par terre et par mer allait gagner une garantie de plus. La date de ces ambassades n’est donnée nulle part avec précision ; elles se rattachent vraisemblablement à la paix de trente ans que conclut Périclès en 445 (Ol. LXXXIII, 3) ou même à l’armistice de cinq ans, dit à l’entremise de Cimon (451 : Ol. LXXXII, 2).

En tout cas, il y eut là une idée commune où les deux hommes d’État devaient se rencontrer. En effet, les guerres de l’Indépendance ayant constitué une nationalité nouvelle, et Thémistocle notamment ayant établi en principe, avec une rigueur inexorable, que les seuls véritables Hellènes étaient ceux qui avaient tenu tête aux Perses sur le champ de bataille, il importait maintenant d’atténuer cette distinction, et de laisser dans l’ombre les prétentions légitimes des Athéniens et de leurs alliés à s’attribuer en propre l’honneur de la victoire, afin d’amener tous les Hellènes à oublier leurs rivalités et à s’associer, dans un sentiment de conciliation et de concorde, au nouvel essor que prenait la vie commune de la nation. De même que Cimon, à la tète de sa flotte, songeait toujours aux intérêts de l’Hellade tout entière, ainsi Périclès voulut avant tout effacer l’antique antagonisme des races, et le transformer en une émulation pacifique sur le terrain de l’art et de la science. Il a du reste suffisamment prouvé, dans l’établissement des colonies d’outre-mer, son désir de réaliser une nationalité plus compréhensive, et affirmé le caractère panhellénique de sa politique.

C’est dans ce sens qu’Athènes, par les ambassades dont on a parlé, se constitua pour la première fois comme centre de la nation, en prenant en main une affaire qui était réellement du ressort de l’amphictyonie et dont l’initiative aurait dû venir de Delphes, si la confédération qui s’y rattachait eût été encore une puissance. On comprend pourquoi les envoyés d’Athènes revinrent avec des réponses évasives ou déclinatoires. Les grands États, et Sparte surtout, n’étaient nullement disposés à s’effacer devant Athènes de façon à ce qu’elle prît la direction des affaires nationales, et à accroître ainsi son prestige ; car tout ce qui rafraîchissait le souvenir de la grande guerre ne servait qu’à rehausser la gloire des Athéniens. Ainsi, le plan d’une fédération nationale ayant chi être abandonné, il parut alors d’autant plus légitime de donner à Athènes tous les moyens de réaliser chez elle ce qu’on avait voulu accomplir, dans des proportions plus grandioses, avec les ressources de la nation, à la gloire de la patrie commune.

Cependant, l’activité artistique ne resta pas confinée dans Athènes. Toutes les parties de l’Attique avaient été dévastées, et les lieux sacrés saccagés par les Barbares avec une rage plus forcenée encore. Dans toute l’étendue du territoire, on allait donc faire disparaître les traces de ces ravages, pour élever sur l’emplacement des ruines de nouveaux et de plus beaux édifices. On avait déjà fait beaucoup du temps de Cimon ; mais ensuite l’œuvre commencée fut poursuivie avec plus de régularité et de grandeur : probablement, l’État ajouta des subsides particuliers aux ressources propres que possédaient les différents sanctuaires ; l’émulation de citoyens généreux vint encore à son aide, et toute une série d’architectes distingués, Ictinos en tête, se groupa étroitement autour de Périclès et de Phidias. C’est de cette époque[21] que datent les constructions de Sounion, promontoire en forme d’île, qui, avec ses murailles rocheuses escarpées, s’élance dans la mer des Cyclades, endroit consacré, pour les marins, à Poséidon et aussi à Athéna. On na pouvait trouver une place mieux choisie pour signaler tout d’abord, aux regards des îles situées en face, l’Attique comme étant entre toutes la terre pieuse, heureuse, amie des arts, la terre de Pallas Athéna. C’est pourquoi on lui éleva là un nouveau temple, qu’on décora de statues ; un portique imposant, à l’entrée, donnait accès dans la cour du temple, où les colonnes, visibles de loin, s’élevaient dans leur majesté sereine au-dessus, des brisants de la mer. Ce temple était le centre d’une fête qu’on célébrait tous les quatre ans au nom de l’État avec un éclat extraordinaire ; un théâtre, taillé dans les falaises, recevait le peuple qui regardait les régates données par les trirèmes athéniennes. Sounion n’était pas seulement une station centrale entre Athènes et les îles, mais aussi par elle-même une localité populeuse, et la contrée environnante, grâce à ses mines, une des plus animées de toute l’Attique.

Bien différente était la tranquille Rhamnonte, située dans une gorge enfoncée de la Diacria, en face de l’Eubée, à une lieue au nord de Marathon. En haut de cette gorge se trouvait le sanctuaire de Némésis, qui rendit célèbre toute la région. Il y eut là, à ce qu’il semble, un temple nouveau et plus vaste construit à côté de l’ancien ; la statue de marbre de la déesse, sortie de l’atelier de Phidias, portant sur son diadème de petites Victoires et tenant en main une coupe ornée de figures d’Éthiopiens, rappelait la défaite des Barbares[22]. En réalité, on était si bien accoutumé à rattacher l’œuvre toute entière au souvenir de Marathon, qu’on racontait même que le marbre de la Némésis de Rhamnonte avait été traîné jusque-là par les Perses et destiné originairement à devenir un monument de la victoire persique.

A l’extrémité opposée de l’Attique, dans le voisinage du champ de bataille de Salamine, était située l’antique ville sainte d’Éleusis, qui, à côté d’Athènes, garda toujours une certaine importance comme ville, et qui avait un port à elle, ainsi que d’autres privilèges. La reconstruction des sanctuaires éleusiniens mit en lumière d’une façon toute spéciale l’art des architectes d’Athènes. Leur tâche était d’élever pour le culte des grandes déesses, qui comptait parmi les institutions les plus importantes de l’État et qui avait en même temps que lui grandi en renommée et en prestige, un édifice qui frit assez spacieux pour contenir, comme un corps participant à des fêtes communes, tous les initiés, par conséquent une foule telle que jusque-là on ne l’avait vue rassemblée que dans vies théâtres ouverts ou des stades. Cette construction fut regardée comme une des œuvres les plus grandioses de l’époque de Périclès. Ictinos prit la direction générale des travaux : Corœbos se chargea de l’étage inférieur, une salle carrée de 170 pieds de côté, avec quatre rangs de colonnes, qui partageaient l’espace intérieur ; Métagène éleva la colonnade supérieure avec les galeries, et Xénoclès se fit un nom comme inventeur d’une couverture d’un genre nouveau, en forme de coupole, laissant au milieu du toit passage à la lumière. A l’extérieur, l’édifice était sans portiques, sévère et fermé ; sa partie postérieure s’appuyait à la roche escarpée, et les autres côtés étaient environnés de murailles solides, qui enfermaient dans leur contour deux cours intérieures.

Dans la plaine centrale de l’Attique, les deux grandes villes, depuis que Périclès avait construit le côté sud des murs parallèles, avaient été réunies définitivement en une ville double ; mais à l’intérieur, elles étaient aussi dissemblables que possible l’une de l’autre. D’une part, Athènes, reconstruite précipitamment sur ses ruines antiques, sous le coup d’une nécessité impérieuse, jetée sans ordre et sans plan, avec des ruelles étroites et tortueuses ; d’autre part, le Pirée, ville moderne avec de vastes places, des portiques spacieux, de larges rues se coupant à angle droit. L’ensemble de celle-ci était une œuvre d’art, une création d’Hippodamos, qui, à titre de métèque athénien, possédait autrefois une maison dans le vieux Pirée, mais qui abandonna volontiers cette propriété quand, sur l’ordre de Périclès, il entreprit la tâche grandiose de rebâtir à nouveau comme une colonie, sur un plan régulier, la ville du port tout entière, en dedans de l’enceinte de Thémistocle. Il prit comme points d’attache les hauteurs de Munychie — la citadelle de la ville du port, avec son sanctuaire d’Artémis —, et les ports eux-mêmes. Des trois bassins, le plus vaste, le Pirée proprement dit, fut seul choisi pour le centre de la ville maritime, parce que les deux autres, trop étroits du reste, étaient séparés de la terre ferme par des crêtes rocheuses.

Le Pirée fut divisé en deux parties : à droite de l’entrée, dans une anse plus petite, était le Cantharos, un des trois ports où mouillaient les trirèmes, avec 94 chantiers et tout l’appareil nécessaire à une flotte de guerre. L’autre section de l’anse, au nord, deux fois et au delà plus grande, servait de port commercial, et Périclès en fit un ouvrage magnifique. La partie basse du rivage fut bordée de jetées qui s’avançaient assez pour donner toute facilité au chargement et au déchargement des navires. Des jetées plus petites faisaient saillie dans la mer, pour partager les vaisseaux en groupes distincts, d’après la nature de leurs chargements. Derrière le large quai s’élevaient les portiques publics, qui entouraient l’anse en hémicycle ; le plus remarquable de tous était la Halle aux grains de Périclès, où l’on gardait le blé venu d’outre-mer ; puis les magasins où, contre un droit de consigne payé à l’État, on entreposait les marchandises, même celles qu’on allait embarquer pour une autre destination ; les bureaux de la police du port et des douanes, le Deigma ou bâtiment de la Bourse, où se réunissaient les marchands et les patrons, où ils se communiquaient les échantillons de leurs marchandises, où ils concluaient de gré à gré les marchés et les contrats de toute sorte dont ils déposaient les pièces chez les banquiers. Dans le même édifice se tenaient aussi les tribunaux de commerce, principalement pendant l’hiver, au moment de la morte-saison. On voyait tout auprès des hôtelleries et des cabarets, que l’État affermait, et des boutiques où les marins trouvaient les approvisionnements nécessaires.

Toute cette portion de la ville qui touchait immédiatement à la mer était absolument réservée au commerce maritime ; c’était pour l’Attique entière un entrepôt et un port franc, le rendez-vous des indigènes et des étrangers, et là s’élevait, comme sur tous les marchés maritimes sans exception, un temple d’Aphrodite. Le port de commerce était rigoureusement séparé des chantiers, des abris couverts et des trirèmes par le Cantharos ; dans l’enceinte duquel ne pouvaient pénétrer que les personnes qu’un service public y appelait, c’est-à-dire des fonctionnaires assermentés ; taudis que les vaisseaux de guerre stationnant à l’entrée générale de la haie servaient également à protéger, contre une attaque soudaine par mer, la marine marchande aussi bien que les riches entrepôts. Ces deux quartiers, le port de commerce comme le port de guerre, étaient une propriété de l’État, soumise seulement à l’autorité officielle.

La troisième section comprenait la ville intérieure, placée sous la surveillance de la police urbaine du Pirée. Ses limites étaient indiquées par des inscriptions sur pierre, dont nous possédons encore un certain nombre, remontant au temps d’Hippodamos. C’est avant de passer cette ligne qu’on acquittait les droits d’octroi sur les marchandises importées pour la consommation d’Athènes ; de cette façon, on tenait loin de la ville intérieure du Pirée la foule bruyante des étrangers et des marins. Cette ville avait son marché particulier, appelé le marché d’Hippodamos ; une large rue en partait et montait directement au sanctuaire d’Artémis Munychia, en passant devant le théâtre. Sur les pentes de l’acropole, en face de la mer, s’étageaient des rangées de maisons bâties en amphithéâtre, offrant à celui qui entrait dans le port par la porte ouverte entre les deux tours et qui embrassait du regard le Pirée avec ses fortifications solides, avec ses vaisseaux serrés les uns contre les autres, avec sa ceinture de magnifiques colonnades, un spectacle d’une incomparable grandeur. Périclès avait fondé là une ville maritime qui servit plus tard de type pour la construction de Rhodes et même d’Alexandrie.

La ville haute se trouvait dans des conditions toutes différentes. Là, une reconstruction de fond en comble était impossible ; aussi fallut-il se contenter d’embellir les alentours, et, comme il arrive dans beaucoup de vieilles cités, les faubourgs devinrent singulièrement plus élégants et, plus brillants que le centre même de la ville. Depuis l’époque des Pisistratides, la population urbaine s’était de plus en plus étendue au nord et à l’ouest ; une partie du vieux bourg des potiers, ou Céramique, formait depuis longtemps un quartier à part ; l’autre resta un faubourg. Elles furent séparées par une double porte, le Dipylon, par où l’on sortait naturellement pour aller des quartiers du nord dans la vallée du Céphise : c’était la plus large et la plus belle porte de la ville. En effet, elle en était vraiment la façade, et les anciens avaient pour principe d’orner avec toute la dignité et l’éclat possibles l’entrée des villes et des enceintes sacrées. C’est de là que partait la large route carrossable qui, contournant d’une courbe légèrement infléchie les hauteurs voisines, reliait la ville du port à la ville haute, de ]à aussi que partait en droite ligne dans la direction de l’ouest la voie sacrée, la route d’Éleusis, le chemin des processions qui, à la lueur des torches, escortaient Iacchos, le dieu des Mystères, jusqu’aux sanctuaires des Grandes Déesses. Sur cette voie se bifurquait encore, une fois la porte franchie, la route conduisant à l’Académie, à la vallée ombragée du Céphise qui pénètre, de ses veines innombrables tout le territoire et fait pousser une végétation luxuriante, formant avec les collines rocheuses et desséchées de la ville un contraste assez vivant pour y attirer en tout temps les habitants avides d’ombre et d’air frais. Déjà Cimon s’était appliqué à rendre tout son agrément à ce rendez-vous favori des Athéniens, après la destruction des premiers embellissements qui remontaient à l’époque des tyrans : c’est à lui que l’Académie dut les belles plantations qui servaient à l’ornement du gymnase élevé en cet endroit.

Les grandes routes étaient bordées de monuments funéraires imposants, qui faisaient revivre le souvenir des générations disparues ; parmi elles on doit citer la voie qui traversait le Céramique extérieur. C’est là que se trouvait en effet le cimetière public réservé aux citoyens tombés sur le champ de bataille[23]. Ce vaste espace était partagé en plusieurs sillons, correspondant aux différents combats livrés à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire. Ce fut au temps de la guerre de Thasos, sous l’administration de Cimon, qu’eut lieu la sépulture des héros de Drabescos, morts dans des circonstances particulièrement émouvantes[24]. Peut-être alors fut-ce par l’initiative de Cimon qu’on décida de ramener aussi dans la patrie les reliques des soldats d’autrefois, comme il l’avait fait pour les ossements de Thésée. Car déjà dans Homère le rapatriement des cendres des morts est mentionné comme un acte de piété envers leur mémoire. Toutefois, on ne toucha point aux tombeaux de Marathon, parce que les héros de Marathon étant considérés comme des démons ou génies protecteurs du pays : on n’eût point osé les séparer du sol qu’ils consacraient. Mais si l’on suppose que de tous les autres champs de bataille les restes des guerriers ont été transportés au Céramique, la grande nécropole, avec ses cippes funéraires, put offrir aux yeux, en réalité, l’histoire complète des campagnes des Athéniens.

Le quartier oriental de la ville était le plus tranquille et le plus reculé. La, la porte de Diocharès conduisait au Lycée, emplacement consacré au culte d’Apollon, non loin du rivage de l’Ilissos, où, suivant l’exemple de Pisistrate, Périclès fit bâtir un grand gymnase. En troisième gymnase s’élevait un peu plus au nord ; c’était le Cynosarge, consacré à Héraclès. Ces trois vastes places on s’exerçait la jeunesse étaient, par leurs portiques, leurs palestres et leurs stades, par leurs fontaines et leurs bosquets, la principale parure d’Athènes : elles étaient non seulement la lice des jeunes gens, mais encore un centre d’attraction pour les hommes et les vieillards, qui venaient y jouir de leur loisir. Et même, plus le goût d’une libre culture se répandit dans toutes les classes du peuple, plus aussi les gymnases des faubourgs devinrent pour les citoyens rapprochés par leurs affinités intellectuelles le lieu de doctes réunions, et favorisèrent le commerce aimable et instructif des hommes faits et des adolescents.

Mais à l’intérieur d’Athènes elle-même, l’occasion ne manqua pas de faire appel aux embellissements de l’art. Dès l’époque des tyrans, le Céramique intérieur était le centre de la vie civique, et après leur chute ce caractère ne fit que s’accentuer. Il était en effet dans l’esprit de la démocratie, que la place où les citoyens tenaient journellement leurs assemblées se peuplât des souvenirs de l’histoire nationale, et que tous ceux qui voulaient se montrer les amis de la constitution, missent tous leurs soins à décorer l’agora. C’est pourquoi, les Perses une fois chassés, rien ne sembla plus pressant que de restaurer le monument élevé à la Liberté sur la terrasse qui dominait le marché. Dès 477/6 (Ol. LXXV, 4), les statues d’Harmodios et d’Aristogiton, emportées par Xerxès, furent remplacées par d’autres dues au ciseau de Critios et de Nésiotès. Les campagnes d’Ionie firent connaître les marchés de ce pays, entourés de colonnades, où les citoyens pouvaient aller et venir sans cesser d’être au frais, se promener commodément à toute heure et toute saison, et profiter ainsi de leurs loisirs. Cimon comprit qu’il ne pouvait rien faire de plus agréable à ses concitoyens que de s’adonner à la construction de semblables portiques et à leur décoration artistique. Alors le Céramique prit un tout autre aspect.

Du côté de l’ouest, s’éleva la colonnade en marbre de Zeus Éleuthérios, avec une statue colossale du dieu, dont le surnom même range cet ouvrage parmi les monuments des guerres de l’Indépendance ; puis, le portique de l’archonte-roi, édifice public où l’on conservait une partie des lois de Solon. En face, à l’est, Pisianax, parent de Cimon, bâtit le portique dont celui-ci fit plus tard le portique des peintures ou Pœcile. Au sud, le marché était enclavé par les édifices appartenant en propre au gouvernement : l’hôtel du Conseil, à l’entrée duquel se dressaient les stèles des lois de Solon ; la maison du Tholos, ou salle du Foyer, où les prytanes en charge avaient leur résidence ; le Métrôon, qui au temps de Périclès fut orné d’une statue de la déesse, ouvrage de Phidias, et où l’on plaça les archives d’Athènes, primitivement confiées à la garde de l’Aréopage. Au nord, l’agora resta bornée par les rangées d’hermès, où aboutissait la route du Dipylon. C’est là que se voyaient les monuments commémoratifs des victoires de Thrace ; mais leurs inscriptions ne portaient aucun nom, pas même celui de Cimon : sur une place commune, la communauté seule pouvait être glorifiée. Peu à peu, l’espace circonscrit prit aussi une autre figure. Cimon y lit planter des platanes, et ni les aqueducs ni les fontaines n’y devaient manquer.

A une petite distance du marché, sur le chemin de l’acropole, était un sanctuaire de Thésée, fondé par Cimon, et dont les murs intérieurs étaient décorés de trois peintures tirées de la vie des héros. Mais c’est sur la colline peu élevée dominant à l’ouest la plaine du Céramique que fut bâti le temple de marbre, le milieux conservé, jusqu’à nos jours, de tous les temples grecs. Il est connu sous le nom de temple de Thésée, quoiqu’il soit plus vraisemblable d’y voir l’Héracléon qui était situé dans le dème de Vélite. C’était un des plus beaux ornements de la ville basse ; il appartient à l’époque de Cimon. En effet, la décoration sculpturale montre, au moins dans les métopes, l’intention évidente de représenter Héraclès et Thésée comme deux compagnons d’armes, de même race et étroitement unis ; et cette fraternité établie entre le héros ionien et le héros dorien est l’expression la plus parfaite de la politique de Cimon, qui voulut rapprocher Athènes et Sparte pour la plus grande gloire de toutes les deux. Un indice qui se rapporte bien au même temps, c’est que les statues sont cri marbre de Paros, parce qu’on croyait encore que ce marbre seul se prêtait bien au travail de la statuaire ; tandis qu’à l’époque où Périclès avait la direction des ouvrages publics, on employait également la pierre du Pentélique pour la sculpture et pour l’architecture.

La partie sud-est de la ville avait également reçu des embellissements importants, grâce surtout à la construction du théâtre appuyé au rocher de l’acropole, dans le temenos de Dionysos : c’était un des plus magnifiques monuments d’Athènes, décoré de plus en plus richement à mesure que grandissait la majesté de la ville, et qui, par ses proportions seules — il était disposé pour recevoir 30.000 spectateurs — faisait déjà voir à tous les étrangers quelle place la culture des arts tenait dans les préoccupations de l’État athénien. C’est là qu’on célébrait, par la représentation de dithyrambes, de tragédies et de comédies, les deux fêtes urbaines de Dionysos, les Lénéennes pendant l’hiver, et, au printemps, les Grandes Dionysies. D’autre part, c’était au printemps, au moment où la mer redevient libre, qu’arrivaient de près ou de loin les hôtes avides de spectacles, et que les alliés apportaient leurs tributs. La fête alors était splendide : les drames d’un Eschyle et d’un Sophocle, d’un Cratinos et d’un Aristophane étaient joués devant un public panhellénique ; et tout ce monde ne pouvait s’empêcher de penser qu’une ville capable de célébrer des cérémonies aussi incomparables était vraiment cligne de se placer à la tète du inonde hellénique. Les citoyens d’Athènes qui avaient fourni au nom de leurs tribus le chœur couronné, exposaient aux abords du théâtre la rangée des trépieds qu’ils avaient gagnés. Ainsi se forma toute une rue de monuments choragiques, qui, partant du nord de l’acropole, tournait autour de la ville à l’est ; c’était un quartier à part, celui des Trépieds, où chaque monument était une œuvre d’art et en même temps, grâce à son inscription, un document pour l’histoire de la poésie dramatique.

Le vaste sanctuaire de Zeus, d’un style grandiose, bâti par les tyrans sur la terrasse près de l’Ilissos, fut sans doute reconstruit après la guerre, et, selon une hypothèse à la vérité peu sûre, Phidias, au commencement de sa carrière, aurait été employé à décorer de peintures la cella du temple[25]. Ce qu’on peut par contre affirmer, c’est que cet édifice fut plus tard abandonné[26] Il ne paraît pas que l’Athènes démocratique ait pris plaisir à achever une construction qui était destinée dans l’origine à rappeler pompeusement le souvenir de la tyrannie.

En revanche, on continua de tenir en grande vénération l’enceinte voisine, celle d’Apollon Pythien, au-dessus de Callirrhoé, scène antique des fêtes de la moisson ou Thargélies, où un concours de danse et de chant était institué entre des chœurs d’hommes et des chœurs d’enfants. Là aussi on distribuait en prix des trépieds qui, après avoir reçu des inscriptions, étaient consacrés dans le Python . En face étaient des terrains plats, avec le vieil Odéon sur le rivage de l’Ilissos. Un Odéon nouveau fut bâti par Périclès sur la pente sud-est de l’acropole, près du théâtre. C’était un édifice rond et couvert, destiné à des représentations musicales données à un public plus restreint. Le toit, en forme de pavillon, passait pour une imitation de la tente fastueuse qu’autrefois le roi Xerxès avait plantée sur le sol attique. Même on alla jusqu’à prétendre, tant on aimait ces allusions aux guerres médiques, qu’on avait utilisé comme solives du toit les mâts des vaisseaux perses. La construction de cet Odéon, du reste, eut lieu avant le bannissement de Thucydide.

Mais le plus imposant théâtre où Périclès et Phidias déployèrent leur activité créatrice, ce fut l’acropole. Ils avaient là libre carrière. En effet, dans la période qui suivit la guerre, l’attention avait été particulièrement attirée sur la ville basse et sur les ports, et on s’était d’abord contenté de relever de ses ruines le sanctuaire de la déesse Poliade. Plus tard, Cimon le premier appliqua à l’acropole une part du butin conquis. Là, sans doute, les Athéniens eux-mêmes avaient jeté à bas, avec le palais des tyrans, une portion des fortifications qui devaient faire de l’acropole une citadelle. A la limite sud, Cimon éleva une nouvelle muraille, qui servit du même coup à étayer la terrasse élargie de l’acropole. Surtout elle doit avoir contribué essentiellement à rendre plus grandiose l’aspect d’Athènes du côté de la mer, et elle passa jusqu’à la fin pour le chef-d’œuvre de l’art de la fortification chez les Hellènes. Dans ce temps, l’acropole était encore considérée comme une citadelle. Il n’en fut plus de même quand les grands murs d’enceinte furent achevés. Car Athènes n’avait plus besoin désormais de défenses intérieures, et la pensée de Périclès fut alors réellement de donner à l’acropole une importance nouvelle, toute pacifique, et d’orner dans la perfection, avec toutes les ressources de l’art attique, cet emplacement des plus anciens sanctuaires.

Le lieu saint par excellence fut de tout temps, dans l’acropole, le double sanctuaire de Poséidon et d’Athéna, à l’extrémité nord du plateau, ou les prêtres de la famille des Boutades desservaient le culte des deux divinités réunies sous le même toit. La partie ouest appartenait à Poséidon-Erechtheus, la partie est à la déesse Poliade ; à côté d’elle était honorée Pandrosos, et sous le pavé même du temple étaient les tombeaux d’Érichthonios et de Cécrops. Le problème à résoudre était donc ici de rassembler dans un édifice à plusieurs compartiments tout un groupe de sanctuaires, foyers vénérés de cultes héréditaires, et qui se trouvaient situés à des niveaux différents. On y travailla à plusieurs époques, et aussi dans la période qui suivit Périclès. Mais le plan fondamental et les parties essentielles, notamment les avant-corps qui se rattachaient au noyau de la double cella orientée de l’ouest à l’est, datent évidemment du temps de Périclès, aussi bien la façade ionique du nord, avec la porte grandiose qui conduisait à l’Érechthéon, que l’avancée du sud, dont le toit était supporté par six figures de femmes, et qu’on appelait le portique des Caryatides. En habits de fête richement drapés, dans l’attitude d’une marche lente, ces statues réunissaient d’une façon parfaite la tranquillité exigée des figures qui soutiennent une charpente, et le mouvement à peine indiqué sans lequel elles auraient paru raides et inanimées.

Si le temps de Périclès n’a pas vu l’achèvement de ce sanctuaire vraiment national, la cause en est sans doute dans ce fait, que l’activité de l’artiste fut alors absorbée par une tâche tout autre, où l’on se trouvait affranchi de toutes les exigences locales, et où l’on pouvait en toute liberté exécuter quelque chose de nouveau et de grand : il s’agit de la restauration de l’Hécatompédon.

Cet édifice n’est point né de la pensée d’installer un nouveau culte à côté de l’ancien ; ce n’était pas la résidence d’une divinité, comme la maison d’Athéna Polias, et en ce sens ce n’était pas un temple proprement dit ; c’est pourquoi on n’y rencontre aucune image sacrée, aucun clergé, aucun ordre régulier de sacrifices, aucune flamme éternellement entretenue. Cependant, par son aspect et par son nom, c’était encore un temple ou naos, parce que les formes de l’architecture sacrée étaient aussi appliquées aux édifices qui appartenaient au culte d’une façon générale . En effet, plus les États gagnaient en richesse et en prestige, plus en retour ils avaient besoin de nouveaux emplacements pour y garder les trésors agrandis de la divinité et les objets qui servaient aux processions, et pour servir de alaire à certaines solennités. Athènes tendit de plus à un but nouveau, purement politique, qui était de mettre à l’abri l’argent de l’État, depuis qu’on décida de confier à la garde de la déesse Poliade, comme trésor public, l’excédant des recettes fédérales, et de le faire administrer en son nom. Cette résolution a donc été une date même dans l’histoire architecturale d’Athènes[27] : soit que le temple même où le Trésor fédéral devait trouver une installation durable ait été complètement bâti dès cette époque, soit qu’alors seulement ait été mûr le plan de Périclès, qui était d’élever au point culminant de l’acropole un nouvel Hécatompédon, c’est-à-dire un édifice qui pût servir de dépôt au Trésor de l’empire, et en même temps représenter, avec une perfection répondant à toutes les exigences du présent, la fusion intime de l’État et de la religion, de la piété et de la culture artistique, de la richesse et de l’éclat des files, enfin toute cette puissance et cette gloire qu’Athènes devait à sa bravoure et à sa sagesse.

Une fois le plan de Périclès et de ses amis arrêté, il leur en coûta encore de grandes luttes pour parvenir à l’exécuter. Le parti de Cimon s’y opposa avec un acharnement désespéré. Ce fut seulement après sa défaite que Périclès fut désigné comme surintendant, des bâtiments publics et investi des pouvoirs les plus étendus pour terminer, sans interruption, dans une période d’environ seize années, les travaux de construction commencés. L’architecte sur les dessins duquel, conformément aux vues de Périclès et de Phidias, fut bâti le temple, était Ictinos ; il fut secondé par Callicrate, l’habile constructeur de la section sud des Longs-Murs. On ne songea pas à élever un édifice qui dût provoquer l’admiration par ses proportions colossales ou la nouveauté de son style ; on chercha plutôt à s’écarter le moins possible de ce qui existait déjà, et on utilisa comme fondation tonte la partie inférieure de l’Hécatompédon primitif, en la prolongeant seulement d’environ 50 pieds. Le Parthénon, mesurant 100 pieds de largeur, s’étendait sur une longueur de 225 pieds, de l’est à l’ouest ; sa hauteur, depuis le dernier degré jusqu’au bile du fronton, ne dépassait pas 65 pieds.

Un péristyle dorique entourait l’édifice tout entier, à raison de huit colonnes sur les plus petits côtés, et de dix-sept sur les plus longs. Au sortir du vestibule oriental on entrait dans un second portique orné de six colonnes, le pronaos, De là, une hante porte de bronze donnait accès dans l’intérieur, qu’on appelait, eu prenant l’acception la plus étroite du mot, l’Hécatompédon, partagé en trois nefs, dans le sens de la longueur, par une double colonnade ; sur celle-ci s’appuyait un second ordre de colonnes, qui formait une double galerie et supportait le toit de marbre ; le toit ne recouvrait pas toute la longueur de la cella, dont une partie resta ouverte, laissant pénétrer par le haut assez de lumière pour éclairer tout l'intérieur. A cette cella, profonde de 100 pieds, confinait la maison de derrière, l’Opisthodomos, salle carrée, avec quatre colonnes, qui s’ouvrait sur le vestibule de l’ouest. Mais, bien que l’édifice entier, dans ses grandes lignes, se rattachât au passé et à l’architecture ancienne, cependant, ce fut sur beaucoup de points une œuvre nouvelle et originale. Pour l’architecture, en effet, comme pour le reste, les Athéniens ont su, avec la finesse de leur intelligence, s’assimiler les résultats de toutes les évolutions antérieures et les fondre dans une unité suprême ; leurs constructions ne furent ni doriques, ni ioniques, mais vraiment attiques. De plus, on avait pleinement conscience de ne pouvoir jamais dépasser en sévérité grandiose et en dignité solennelle les édifices sacrés plus anciens ; en retour, on chercha à effacer toutes les œuvres antérieures par l’harmonie des proportions, la perfection de la technique, et surtout par une décoration à la fois riche et judicieuse de l’architecture au moyen d’ouvrages plastiques. Enfin on s’affranchit du type sévère de l’ancien art dorique, et on emprunta au style ionique les gracieux ornements de la frise[28].

C’est dans cette décoration sculpturale que le génie de Phidias se révéla dans toute sa puissance ; car là il fit œuvre d’artiste créateur, et tout un monde de figures vivantes sortit de ses ateliers. Il est vraiment impossible que plus de cinq cents statues colossales et quatre mille pieds carrés de hauts et bas-reliefs, exécutés dans une période restreinte pour un seul temple, soient considérés tous comme étant l’œuvre de Phidias. Cependant les sculptures, en dépit de toutes les différences de détail, portent la marque visible du même esprit : on y reconnaît une école arrivée à la perfection, et une harmonie intime, à travers des figurations différentes ; si bien qu’on n’y peut méconnaître la pensée dirigeante du maître, d’après les dessins et sous la direction duquel on exécuta les travaux isolés.

Les surfaces architecturales que décora la plastique étaient de trois sortes, d’après lesquelles les ouvrages de sculpture se distinguaient aussi par le style comme par l’exécution. La plus imposante était le grand triangle que formaient sur les façades orientale et occidentale, les saillies du toit incliné dans le sens des côtés les plus longs. Ces tympans furent remplis par des figures colossales, qui, proportionnellement à l’espace mesuré, représentaient une action dont le groupe principal occupait le milieu du triangle, tandis que sur les deux parties de droite et de gauche étaient disposés les autres personnages, de taille plus ou moins grande selon qu’ils prenaient part à l’action ou la contemplaient de plus près ou de plus loin. Là, on dut figurer les scènes les plus caractéristiques de la religion d’Athéna, à qui tout l’édifice était consacré. Le tympan du fronton oriental offrait aux yeux l’assemblée des dieux de l’Olympe, entourés des divinités du jour et de la nuit. Au milieu des Olympiens, Athéna, nouvellement née, mais déjà mûre, belle et guerrière, paraît être, avec son père Zeus, le centre lumineux de l’assemblée céleste, vers lequel d’un côté et de l’autre les dieux et les déesses, dans l’attitude de l’admiration, tournent leurs regards. Par contre, on voit sur le fronton occidental les divinités des eaux de l’Attique, figures qui, placées aux angles, forment le cadre du tableau, faisant ainsi de cette partie comme le sol de l’Attique. Athéna se tient au milieu, ainsi que Poséidon ; la première accompagnée de son cortège de divinités locales, le second escorté par les démons des eaux. Ils viennent tous deux de se disputer Athènes. Le combat est terminé ; le dieu farouche doit céder ; mais la terre heureuse pour laquelle les dieux immortels engagent une lutte jalouse a reçu des deux côtés le privilège d’une grandeur impérissable, et cette lutte même est devenue pour elle une bénédiction.

Sous le toit du temple s’étend l’architrave, décorée, sur les deux façades. d’écussons d’or, et sur elle repose la frise des triglyphes. Les tablettes des métopes, encastrées entre les blocs des triglyphes, furent complètement garnies de figures ; on comptait quatre-vingt-douze tablettes, de surface à peu près carrée, et il fallait trouver pour chacune d’elles une composition qui fût un tout en soi. Phidias choisit principalement des groupes de combattants, des luttes de divinités, par exemple d’Athéna contre les Géants, des batailles de héros ; ceux-ci, modèles de la jeunesse athénienne, luttent dans tout le déploiement de leur vigueur contre les forces brutales qui s’opposaient à la moralité et au bon ordre de la vie publique, comme les Amazones ennemies du mariage, et les Centaures, destructeurs de la paix et ravisseurs de femmes, ennemis de Thésée qui fonde la société sur les lois. Mais des scènes pacifiques furent aussi représentées, telles que l’établissement des institutions sacrées sur lesquelles reposait l’édifice de la religion athénienne.

Enfin, à l’intérieur du péristyle courait une frise, longue de cinq cent vingt-huit pieds, et entourant comme une bandelette étroite le mur extérieur de la cella. Pour une pareille surface on ne pouvait imaginer un sujet mieux approprié que la représentation d’un défilé de figures nombreuses, se suivant dans un ordre ininterrompu, d’une procession de fête qui fût en rapport étroit avec l’édifice lui-même. Au Parthénon, on ne pouvait penser qu’aux Panathénées ; et vraiment, quand on voit s’avancer des deux côtés les femmes portant les objets sacrés, les hommes conduisant les victimes, les corps de musiciens avec des instruments à vent et à cordes, les quadriges et les escadrons de cavaliers, rien ne semble plus facile : à comprendre que la frise du Parthénon. Cependant les groupes détachés et en partie encore non expliqués de la partie antérieure ne s’accordent pas avec cette hypothèse, qu’on a là la représentation fidèle de la cérémonie principale de la fête ; on est donc amené à penser que les préparatifs de la fête en sont plutôt le sujet. Du reste, à un point de vue purement artistique, on n’a point dû songer à donner une copie des Panathénées. Dans ces conditions, le génie créateur de l’artiste aurait perdu toute liberté ; il n’aurait pu éviter une solennité monotone, et toute représentation de ce genre fût certainement demeurée, comme un calque inerte, fort au-dessous de la réalité vivante. Mais le zèle avec lequel on préparait la fête était la mesure la plus exacte des sentiments religieux de la cité. Puis, on y trouvait cet avantage, de dessiner des groupes plus indépendants et plus libres, des cavaliers qui s’exercent à figurer dans la procession, des magistrats qui la règlent et donnent à tous les instructions nécessaires ; enfin, les dieux de l’Olympe à leur tour siègent parmi le peuple, auquel ils se mêlent familièrement, car c’est le temps des fêtes qui rapproche les hommes et les dieux[29].

Ces sculptures grandioses des temples nous montrent la plastique athénienne avec le caractère propre que lui a donné Phidias, pour la ronde-bosse comme pour le relief. Dans ce dernier genre se marque aussi la différence des styles. En effet, sur les cadres des métopes, les poses athlétiques ressortent en un relief puissant, si bien que les corps se détachent en partie de la surface du panneau ; dans la frise, en revanche, les figures n’offrent qu’une faible saillie sur le fond même, et l’œil glisse tout du long sur elles comme sur un dessin. C’est l’allure calme et aisée d’un tableau emprunté à la vie de la cité, mais cependant animé et grandi par la majesté religieuse ; tandis que, dans les groupes du fronton, nous saisissons sur le fait la vie dramatique, dont le mouvement se résume en un moment caractéristique et s’apaise ensuite, à droite et à gauche, dans la sévérité épique des figures assises et couchées.

La statuaire attique est sortie du travail du marbre ; on le reconnaît déjà au point où elle est arrivée du temps de Périclès. De là, le calme des attitudes, l’ampleur des formes, les masses compactes en opposition avec les figures plus élancées, plus légères et plus hardies, telles qu’elles sortaient des écoles artistiques qui travaillaient spécialement à la fonte du bronze. Mais, plus le bloc de marbre enchaîne l'artiste, plus en retour celui-ci s’efforce d’exprimer dans le repos même le mouvement et la vie. L’animation des statues de marbre est plus intime, plus idéale ; le sculpteur a la ressource de donner au visage une expression plus profonde, qu’on s’arrête à contempler et qu’on partage, tandis que, dans la statue en bronze, l’œil passe trop aisément sur la surface polie, et l’on s’accoutume à ne juger l’œuvre que d’après l’impression d’ensemble produite sur les sens. Or, c’est à Athènes que s’est développé l’art de rendre le marbre vivant. On reconnaît encore dans les colosses de marbre les lignes sévères et les formes nettement découpées qui sont la caractéristique de l’ancienne école ; mais la dureté et la symétrie rigide ont disparu ; les personnages sont assis ou couchés les uns près des autres dans un abandon plus gracieux, les draperies s’assouplissent autour du corps en masses ou en replis plus naturels ; on sent le souffle qui anime les membres, et dans les figures radieuses qui peuplent le fronton on retrouve quelque chose de la vie bienheureuse des dieux olympiens. Les métopes, qui représentent des couples de combattants, portent la trace plus évidente de l’influence des écoles artistiques du Péloponnèse. Mais ce qui, par contre, appartient en propre à l’Attique, c’est le style de la frise, qui est précisément attrayante parce qu’on n’y voit nulle part paraître la moindre tendance à l’effet, et que tout au contraire y est reproduit avec une aisance et une simplicité parfaites. Ce genre de figuration, qui avec si peu de moyens arrive à un tel résultat, était aussi merveilleusement propre à passer dans le domaine de l’art industriel ; et les pierres funéraires innombrables qui réunissent en un groupe familier le mari et la femme, ou les parents et les enfants, montrent clairement le même type que celui des bas-reliefs attiques, tel qu’il a été réalisé et fixé, sous les yeux de Phidias, dans la frise du Parthénon. Mais un caractère commun à tous les genres de la sculpture sacrée, en Attique, c’est sa subordination aux lois de l’architecture. Là, en effet, comme dans la tragédie, comme dans les peintures de Polygnote, nous trouvons, à côté d’une dose considérable de liberté d’esprit, une quantité pareille de solidarité qui lui fait contrepoids. Partout le sculpteur avait devant lui, tracées d’avance, des surfaces géométriques d’une forme arrêtée et en somme assez incommode. Pourtant, on ne s’aperçoit nulle part que le cadre extérieur soit une prison ; l’espace disponible est rempli de la façon la plus heureuse, sans qu’on sente dans l’œuvre plastique la contrainte et la gène.

Cependant, l’art avait aussi le droit de se mouvoir en pleine liberté, affranchi de tout service assujettissant ; une telle situation était même pour lui nécessaire, s’il devait traduire conformément à l’esprit du temps les conceptions religieuses des Athéniens. Car, en même temps que la nation prend conscience d’elle-même se développe l’idée qu’elle se fait de ses dieux ; elle leur prête les forces et les prérogatives qu’elle a reconnues en elle, et fait appel à Fart pour incarner ces notions devenues plus claires et plus expressives. Mais l’art, au temps de Périclès, a un rôle religieux bien déterminé. L’esprit scientifique nouveau avait en effet ébranlé partout la foi populaire, et il n’était plus possible de se laisser vivre en s’en tenant avec insouciance aux idées traditionnelles. La pensée philosophique s’était soulevée hautement et énergiquement contre la grossièreté de l’idolâtrie primitive. Ils prient des statues, disait Héraclite, comme si on parlait à des murs ! et le même philosophe avait cédé à son jeune frère le sacerdoce héréditaire dont il était revêtu. Une rupture dangereuse était près d’éclater, si on ne pouvait d’une façon opportune purifier et élever les croyances séculaires, pour sauver ce qu’elles contenaient de moral et de national. Il s’agissait donc d’ouvrir aussi dans les matières religieuses la route à la libre pensée, et de concilier ainsi la tradition du passé avec la culture moderne. Cet office de conciliation fut rempli par les grands poètes d’Athènes, Eschyle, l’homme de la foi antique, et le pieux Sophocle : et Périclès s’accordait avec leur pensée, lui qui, en dépit de sa philosophie, offrait avec zèle, en public comme dans sa maison, des sacrifices aux dieux, et qui ne commençait jamais une grande entreprise sans faire sa prière. Phidias agit d’après le même principe, en élevant dans une sphère toute nouvelle la sculpture religieuse, où Athènes s’était signalée depuis les temps anciens ; et c’est là, parmi toutes les manifestations de son activité artistique, celle qui lui a valu de beaucoup la plus grande gloire auprès de ses contemporains et de la postérité.

Sans doute, les dieux ne veulent pas voir altérer les formes sous lesquelles le peuple les adore, et Phidias ne pouvait songer à éliminer, pour faire place à des images nouvelles, la vieille statue en bois d’Athéna. Mais il pouvait créer des figures qui ne devaient être ni des objets de vénération ni des images miraculeuses, comme les vieilles et informes statues de bois, et qui cependant étaient des ouvrages religieux, en ce sens qu’elles représentaient l’essence de la divinité et disposaient les esprits à la piété. Les statues de ce genre devaient être consacrées comme offrandes à la divinité, et c’est par là que les citoyens se montraient reconnaissants pour tout accroissement de prospérité et de gloire qu’ils avaient gagné grâce à la bénédiction de leur déesse protectrice. En conséquence, il fallait faire appel à toutes les ressources de l’art pour honorer, dans l’offrande, la déesse, et dans la déesse, la ville elle-même.

C’est ainsi que des ateliers de Phidias sortit d’abord l’Athéna Promachos, statue colossale, haute de plus de 50 pieds, qui fournit la preuve que, même dans la fonte de l’airain, l’école attique ne pouvait être dépassée par aucune autre. Cette statue se dressait à ciel ouvert, sur l’acropole, entre la porte de la citadelle et le vieux temple d’Athéna, sur un piédestal imposant ; c’était la déesse guerrière, la lance en main et le bouclier en avant ; la pointe dorée de la lance et l’aigrette du casque étaient les premiers signes auxquels les marins qui approchaient du cap Sounion reconnaissaient la citadelle athénienne. L’image de la déesse personnifiait la vaillance résolue qui fait tête à toute espèce d’ennemis ; elle était l’idéal qui avait inspiré la génération des soldats de Marathon ; et c’est grâce au riche butin de Marathon qu’on avait pu consacrer la statue, vers l’époque où Aristide mourut et où Périclès commença à acquérir de l’influence.

La Promachos était la déesse de l’Athènes de Cimon, la guerrière qui défend l’Hellade. Au temps de Périclès, on eut de l’État une conception plus large et plus profonde, et l’idée qu’on se fit de la protectrice de l’État suivit le même progrès. Donc, lorsqu’on jeta le plan de l’Hécatompédon, on eut du même coup l’idée d’élever à l’intérieur une nouvelle statue d’Athéna, une œuvre magnifique et colossale, destinée à provoquer l’étonnement et l’admiration, à montrer par nu témoignage authentique la richesse de la grande ville commerciale, la floraison locale des arts, l’esprit religieux et politique qui animait les citoyens. Pour y parvenir, on adopta, dédaignant les matières ordinaires, la plus éclatante parmi toutes les variétés de la figuration plastique, la sculpture chryséléphantine. Des œuvres de ce genre dépassaient de beaucoup le domaine restreint de la plastique. En effet, bien que la tâche principale restât celle du sculpteur, qui concevait l’idée de l’ensemble et avait à la réaliser sous des formes corporelles, cependant l’architecte avait là aussi son rôle, consistant à établir l’ossature en bois solide qui formait la charpente du colosse, à en lier ensemble d’une manière habile et durable les nombreuses et diverses parties, à combiner si bien le tout que l’espace environnant ne servit qu’à donner le relief voulu aux proportions gigantesques de l’image divine, sans qu’on y pût sentir aucun défaut de proportion. Enfin, l’effet général de l’œuvre dépendait aussi essentiellement de la splendeur et de l’harmonie des couleurs. Le doux éclat des lames d’ivoire, qui formaient les parties nues de la surface, était relevé par le ton brillant de l’or ; le choix de pierres précieuses colorées pour les veux, la nuance des joues et des cheveux, la distribution de la lumière et de l’ombre dans l’arrangement de la draperie, tous ces détails et d’autres encore exigeaient l’expérience technique d’un peintre.

Un chef-d’œuvre de plastique, d’architecture et de peinture à la fois, telle était l’Athéna de Phidias, considérée surtout comme étant la Vierge (Parthénos), la fille chaste et hautaine de Zeus, qui personnifie en elle-même la sagesse et la force de pensée de son père. Elle est la déesse indigène, et c’est pourquoi on voit le serpent de l’acropole, symbole de l’indigénat, monter en s’enroulant à sa gauche ; elle est la déesse guerrière, et elle a le casque, le bouclier et la lance ; la déesse qui fait vaincre, et elle tient sur sa main droite ouverte une statue de Nikê ; cependant elle garde une attitude calme et pacifique, sans rien de hardi ni de provoquant, le front incliné, silencieuse et concentrée, regardant devant elle, sûre d’elle-même, le visage plein de douceur et de sérénité ; le casque, d’où s’échappe à flots la chevelure abondante, porte comme ornement caractéristique un sphinx et des griffons, qui symbolisent la force de l’intelligence et la pénétration du regard. Cette Athéna n’était donc pas une figure allégorique, semblable à celles que dans les temps anciens ou nouveaux on a cherché à représenter comme des personnifications d’une contrée ou d’une ville, mais plutôt, l’image d’une divinité qui avait été dès l’origine la protectrice de l’État. Du reste, cette image divine était douée de toutes les prérogatives qu’Athènes avait conscience de posséder, de toutes les vertus par lesquelles devait se signaler le citoyen d’Athènes. Aussi la Vierge de Phidias a-t-elle passé, plus qu’aucun autre de ses ouvrages, dans l’art populaire ; et, tandis que sur les monuments et les bas-reliefs sacrés de date plus ancienne la figure de la guerrière domine, — comme on la trouve par exemple sur les amphores données en prix aux Panathénées, où s’est conservé plus fidèlement le type archaïque, — en revanche, sur les pièces plus récentes, c’est la conception de la déesse pacifique, impliquée dans celle de la Vierge, qu’on voit paraître au premier plan.

Phidias, avant réussi de celle façon à mettre sons les yeux des fidèles les dieux qu’ils adoraient et à contenter ainsi une fois pour toutes, dans l’avenir comme dans le présent, les meilleurs parmi le peuple, devint un législateur sur le terrain de l’art religieux ; l’artiste acquit l’autorité d’un théologien, capable d’agrandir et d’ennoblir la religion héréditaire ; ses ouvrages furent comme des manifestations du divin et l’objet d’un hommage universel, parce que ses innovations, n’ayant rien d’arbitraire, sortaient non de sa fantaisie personnelle, mais de l’esprit public lui-même, et restaient en harmonie complète avec la poésie populaire. Aussi ses œuvres, quoique profondément attiques, furent en même temps vraiment nationales : en ceci encore, l’art attique ne fut que le perfectionnement des essais antérieurs ; et rien ne récompensa mieux de ses efforts l’Athènes de Périclès, que de voir ses artistes appelés même à Olympie. ; car là aussi c’est des ateliers athéniens que sortit la statue de Zeus, encore plus magnifique que celle de la Vierge, et considérée par tous les Hellènes comme le type idéal du Zeus hellénique.

Il y avait un rapport intime entre l’Hécatompédon ou Parthénon — nom qui désignait la maison d’Athéna Parthénos — et la fête des Panathénées, dont l’éclat et la majesté s’accrurent parallèlement à l’importance de l’État. Dans la vieille ville des Eupatrides, ce n’étaient d’abord que des jeux équestres, donnés en l’honneur de la déesse ; puis on y adjoignit des exercices gymnastiques ; après quoi vinrent les larges réformes des Pisistratides, qui fondèrent les Grandes Panathénées et les embellirent par les récitations des rapsodes. Cette organisation survécut au rétablissement de la constitution ; et, en effet, dans la fête ainsi réglée on célébra à la fois l’anniversaire de la mort du tyran et la mémoire d’Harmodios et d’Aristogiton. De nouvelles solennités s’y ajoutèrent qui prirent le pas sur les anciennes, et enfin Périclès, en qualité d’ordonnateur des fêtes, y introduisit les concours de musique. A partir de cette époque, il y eut vraisemblablement une série de six jours de fêtes, auxquelles prenaient part toutes les classes de citoyens, et où pouvaient se montrer toutes les supériorités artistiques qui fleurissaient dans l’État[30].

La série commençait par les représentations de l’Odéon, où les maîtres du chant et de la récitation, de la cithare et de la flûte se faisaient entendre ; la musique chorale s’exécutait dans le théâtre voisin. Puis venaient les jeux gymniques, comprenant, outre les luttes ordinaires du stade, course, pancrace et autres, la course aux flambeaux, qui avait lieu par une nuit sans lune devant le Dipylon, et était la partie la plus brillante de toute la fête. La plupart de ces exercices faisaient paraître successivement des concurrents d’âge différent, enfants, adolescents et hommes faits ; les rivaux se présentaient tantôt en leur nom, tantôt au nom de leur tribu. Les vainqueurs recevaient en prix des vases d’argile peints, remplis d’huile de l’Attique, huile provenant des oliviers sacrés de l’Académie : on attribuait aux vainqueurs qui avaient concouru individuellement de 6 à 140 amphores de cette sorte : les autres recevaient seulement des présents d’honneur, qu’ils consacraient pieusement à la déesse au nom de la tribu victorieuse. C’était encore là un motif d’émulation pour les dix tribus de la cité, chacune d’elles voulant mettre en ligne les champions les plus beaux et les plus robustes parmi les hommes comme parmi les vieillards.

A une faible distance du Pirée était l’Hippodrome, où se donnaient les courses de chevaux et de quadriges ; devant le Pirée avaient lieu les régates des trirèmes ; et la tribu dont les vaisseaux de guerre s’étaient le mieux montrés recevait une somme d’argent, pour offrir des victimes en sacrifice d’actions de grâces. Quand tous les jeux étaient terminés, alors, comme conclusion des grandes Panathénées, le troisième jour avant la fin du mois Hécatombæon, jour consacré à Athéna, on célébrait la procession qui, dès le lever du soleil, se massait dans le Céramique pour monter de là à l’acropole. De même qu’aux petites Panathénées OU offrait annuellement à la déesse un voile tissé sous la surveillance des prêtres par les jeunes filles d’Athènes, pour habiller à neuf la vieille statue de bois, le jour anniversaire de la naissance de la déesse ; de même aussi dans les grandes Panathénées on montait à son sanctuaire un tissu magnifique, fixé comme une voile sur un vaisseau à roulettes. C’était un tapis où étaient brodées les actions de la déesse, ainsi que les événements de l’histoire nation ale, même les portraits des citoyens qui avaient bien servi leur ville natale. A cette procession on voyait naturellement défiler tous les vainqueurs des jours précédents, les plus beaux et les plus forts des Athéniens de tout âge, sur des chars, à cheval, à pied, en habit de fête, couronnés de fleurs, et dans une ordonnance solennelle c’était l’élite de la cité qui se présentait ainsi à la divinité de l’État.

Mais la puissance de l’État lui-même se manifestait aussi dans la procession des Panathénées. Après les citoyens marchaient les métèques, qui se chargeaient de certains offices inférieurs, qui devaient porter les ombrelles, les sièges, les vases précieux, les bassins, les amphores, etc., et à qui on rappelait ainsi leur état de sujétion ; toutes les colonies d’Athènes étaient représentées par des députations, qui étaient obligées d’offrir à la déesse des bœufs et des brebis ; même on avait coutume, à ce moment, d’inviter les ambassadeurs des États étrangers pour qu’ils assistassent à cette montre splendide de la force et de la richesse d’Athènes ; et généralement, tous ceux qui voulaient connaître la ville choisissaient pour leur voyage l’époque des grandes Panathénées.

C’est pour cette fête que Périclès avait bâti l’Odéon ; c’est pour elle encore qu’il bâtit l’Hécatompédos, et la plus brillante des Panathénées qui aient jamais animé Athènes fut le jour où, dans l’année 438/7 (Ol. LXXXV, 3), sous l’archontat de Théodoros, le magnifique édifice fut enfin achevé, et où, pour la première fois, aux veux du peuple assemblé, les grandes portes de la cella s’étant ouvertes, apparut la Vierge de Phidias. Après lit cérémonie, on organisa aussi l’administration des finances ; car les collèges de trésoriers nommés par le peuple devaient présenter leurs comptes allant d’une fête annuelle à l’autre, selon les dispositions de la loi de 435/4 (Ol. LXXXVI, 2) ; avec l’année suivante commença le groupement des documents par périodes de quatre ans, les doubles inventaires des deux sections du Trésor, ce qu’on appelait les certificats de remise ; et tous les documents, gravés sur des stèles de marbre, furent déposés autour du Parthénon, afin de porter à la connaissance de tous ce qui se trouvait dans le Trésor à l’expiration d’une administration de quatre années, quelle somme bien comptée et pesée les fonctionnaires remettaient à leurs successeurs. Parmi ces documents, ceux qui concernent le trésor d’Athéna, de 434 à 407, ont été conservés assez complètement, et nous indiquent à quoi étaient affectés les divers emplacements du Parthénon.

Dans la partie antérieure du temple, ou pronéion, dont les colonnes étaient réunies par une grille, étaient déposés des vases d’or et d’argent, des bassins consacrés, des lampes, et d’autres objets de prix. La cella elle-même comprenait deux compartiments pour les présents sacrés, celui de l’Hécatompédon et relui du « Parthénon», dans le sens étroit du mot, c’est-à-dire l’espace le plus voisin de la statue de la Vierge. Enfin, la partie postérieure, l’opisthodome, était proprement la caisse : là se trouvait tout le numéraire consistant en métal monnayé et non monnayé, originairement consacré à Athéna seule. Mais quand on eut recueilli dans la ville basse, dans les faubourgs et les dèmes. pour n’en faire qu’un, les trésors des autres dieux et héros du pays, de l’Artémis d’Agræ, d’Apollon Délien, des Dioscures, de Thésée, d’Ilissos et autres, on prit cette disposition, qu’Athéna garderait pour elle, comme étant propriétaire depuis l’origine, le côté droit de l’emplacement, tandis que les Trésors des autres dieux seraient déposés à gauche de l’entrée[31]. On entrait par le vestibule de l’ouest.

Le Parthénon toutefois n’était pas seulement un Trésor public. La cella, notamment, avait aussi son rôle important dans les solennités des Panathénées. En effet, c’était là, aux pieds de la Vierge, que siégeaient les magistrats et les juges des jeux ; que les vainqueurs, sous le regard de la déesse, venaient recevoir leurs couronnes et leurs prix, tandis qu’un groupe de spectateurs choisis pour assister à la cérémonie remplissait la partie inférieure du temple, et que des galeries supérieures, où aboutissaient des escaliers aménagés de chaque côté de la Vierge[32], retentissaient les hymnes de victoire et les chants de joie. Les allusions à l’émulation et à la lutte qui était l’âme de l’État de Périclès, nous frappent dans le Parthénon même et autour, comme dans le temple d’Olympie. Il y faut ranger non seulement la statue de Nikê., qui, de la main d’Athéna, prenait son essor au-devant des vainqueurs, mais aussi les vases, semblables aux prix distribués, qu’on voyait sur l’arête du fronton, et les écussons de l’architrave. Les tympans montrent dans Athéna la divinité qui, au ciel comme sur la terre, marche en avant et triomphe ; sur les métopes, les héros sont figurés dans leurs luttes victorieuses ; sur la frise, ce sont les Athéniens eux-mêmes, représentés comme les premiers des Hellènes par la bravoure et par la piété. Mais, une fois la grande fête terminée, on refermait les portes et on y apposait les scellés ; le Parthénon redevenait simplement le Trésor public ; la statue d’Athéna était dépouillée de sa parure et voilée, on lui enlevait sa Nikê, et les seuls trésoriers étaient occupés dans le temple à payer avec les deniers de l’Opisthodome les dépenses courantes, à encaisser et à placer ce qui y entrait en argent et en présents votifs.

Ainsi l’édifice qui, plus clairement que tous les autres, marque l’esprit de l’Athènes de, Périclès est en harmonie avec les Grandes Panathénées. C’était un culte qui avait pour foyer l’État lui-même, une fête qui, avec tout ce qui s’y rapportait, avait un caractère essentiellement politique. Donc le temple de la déesse Poliade, après comme avant, demeura le vrai sanctuaire, le centre même de la religion d’Athéna, l’autel on sacrifiaient les prêtres et les citoyens, avec les tombeaux des héros indigènes, le logis d’Érichthonios figuré sous la forme d’un serpent, l’olivier et la fontaine de Poséidon. Surtout il demeura toujours le Temple de l’acropole, et c’est pour la vieille statue de bois qu’on célébrait les véritables fêtes religieuses de la citadelle, les Callyntéries et les Plyntéries, pendant lesquelles on purifiait le sanctuaire, ainsi que les Panathénées annuelles, où le voie fabriqué sous la surveillance des prêtres était offert à Athéna à titre de présent, pour l’anniversaire de sa naissance.

A côté de la Poliade, on vénérait sous le même toit Pandrosos, la déesse de la rosée ; c’était, à l’origine, Athéna elle-même ; plus tard, après que le caractère naturaliste de la déesse fut de plus en plus effacé par le côté moral et politique, Pandrosos fut honorée du même culte que les héros, comme première prêtresse d’Athéna. Près du Parthénon, Athéna avait un autre sanctuaire sous le nom d’Erganè, c’est-à-dire maîtresse des travaux féminins ; elle avait aussi, en qualité d’Athéna-Nikê, une antique statue en bois, à l’entrée de l’acropole, où on l’adorait comme divinité de la victoire et de la paix gagnée par la vaillance[33]. Comme, déesse guerrière brandissant sa lance, on l’appelait Promachos ; comme gardienne de la citadelle, Cleidouchos, celle qui tient les clefs ; on l’invoquait aussi comme une divinité maternelle, soignant les enfants, comme celle qui a établi la culture de l’olivier, qui répand sur la terre la fécondité, qui a inventé la charrue et l’art d’atteler les chevaux ; on la nomme encore Hygieia on déesse du salut, Périclès lui-même éleva à Athéna Hygieia un autel sur l’acropole, après qu’elle lui eut indiqué en songe un remède pour sauver un excellent ouvrier à qui il était arrivé un accident pendant les travaux[34]. Ainsi l’on pensait que la déesse prenait une part personnelle à cette activité grandiose qui se déplorait là-haut sous les yeux de Périclès ; sous toutes les formes de son être, elle remplissait l’acropole.

Pour achever d’une manière digne de l’État l’ensemble de ces constructions, il ne fallait plus qu’une nouvelle porte d’entrée, qui désignât toute l’enceinte de la citadelle comme l’emplacement sacré des fêtes d’Athéna. Ce fut là, après l’Odéon et l’Hécatompédos ou Parthénon, le troisième grand travail de Périclès : les portiques antérieurs, ou Propylées, avec la montée en escalier[35]. L’architecte des Propylées fut Mnésiclès. Sa tâche était de couvrir l’extrémité occidentale du rocher, le seul point par on la citadelle soit abordable, d’une construction propre à fermer l’esplanade par son côté le plus étroit et, en même temps, à l’ouvrir d’une façon solennelle. on trouvait eu haut des degrés une colonnade dorique, avec un fronton semblable à celui d’un temple puis on pénétrait dans un portique de :10 pieds de profondeur, dont le magnifique toit de marbre était supporté par six colonnes ioniques ; ce portique était fermé par un mur transversal, qui, avec ses cinq portes grillées, formait la clôture de la citadelle. Après les avoir franchies, on passait de nouveau dans une salle dorique à six colonnes, et de là dans l’intérieur même de la citadelle. Du bâtiment central des Propylées, de la porte d’entrée proprement dite, parlaient à gauche et à droite deux ailes, qui complétaient le couronnement du rocher : l'aile nord comprenait la salle peinte par Polygnote, la Pinacothèque. Les deux ailes s’ouvraient par des colonnades sur le large escalier découvert qui montait en pente douce jusqu’au portique d’entrée et joignait la ville haute à la ville basse. A droite de cette entrée, le mur de Cimon s’avançait vers les gradins par un bastion en forme de tour ; sans ce détail, il n’y avait rien dans le voisinage qui rappelât les anciennes fortifications. Avec ces colonnades hospitalières, éclatantes, qu’on voyait de loin dans la plaine, l’acropole s’ouvrait à tous ceux qui voulaient fréquenter les temples et les fêtes des Athéniens ; elle s’élevait au-dessus des bas quartiers, comme la couronne de la ville, comme nue offrande grandiose, avec ses statues colossales, ses temples et ses portiques : et sur son front brillait, comme un diadème, la ligne de marbre des Propylées.

Quand on bâtit les Propylées, Phidias n’était pas à Athènes. Jamais sculpteur grec n’avait obtenu jusque-là une gloire comparable à celle de Phidias après l’achèvement du Parthénon et ce devait être encore un triomphe pour la politique de Périclès de voir non seulement Athènes considérée comme l’école supérieure des arts plastiques, mais aussi ses maîtres appelés à l’étranger, partout où l’État avait les moyens et se sentait le devoir d’élever des monuments publics d’architecture et de sculpture qui répondissent aux exigences modernes. Il n’y avait point, en dehors d’Athènes, de maîtres qui eussent un nom.

C’est ainsi que nous trouvons les artistes athéniens à l’œuvre dans tous les centres importants des contrées les pins diverses, entre autres à Delphes, où du reste on s’était efforcé en tout temps d’attirer les forces les plus actives de tous les pays. Les tympans du temple bâti par Spintharos furent exécutés par deux Athéniens. Praxias fut appelé le premier, et, après sa mort, Androsthène acheva cette grande œuvre[36]. Sur le fronton oriental on voyait Apollon trônant avec Artémis et Léto, au milieu des Muses ; sur celui de l’ouest, Dionysos avec les Thyiades ; ce qui répondait exactement à l’année religieuse delphique, dont le culte d’Apollon occupait l’été, et dont l’hiver était consacré aux fêtes de Dionysos. Les deux artistes étaient les contemporains, mais non les disciples de Phidias, On voit par là qu’à côté de lui certaines écoles plus anciennes gardaient leur réputation, et étaient notamment bien vues des autorités de Delphes. Praxias était disciple de Calamis ; son successeur travaillait selon la manière d’Eucadmos, d’ailleurs inconnu.

Ce qui est plus étonnant, c’est que l’art attique ait été aussi bien accueilli par les Doriens et Péloponnésiens. Déjà les plus grandes œuvres de Polyclète ont été achevées sous l’influence d’Athènes : on dirait que, sur le terrain de l’art, l’antique rivalité des races s’est apaisée. Phidias lui-même aida le Mégarien Théocosmos dans l’exécution d’une statue de Zeus ; parmi ses disciples, Thrasymède travailla pour Épidaure[37], Agoracritos pour Coronée en Béotie ; et l’architecte du Parthénon, Ictinos, fut chargé par les Phigaléens, dans l’Arcadie méridionale, de bâtir leur temple d’Apollon.

Mais le fait le plus considérable, c’est que Phidias ait été appelé au centre religieux de la péninsule dorienne ; et on peut être convaincu que Périclès éprouva une satisfaction particulière quand son ami partit pour Olympie, où il allait façonner, avec toutes les ressources de l’art, la statue de Zeus ; nous savons, en effet, combien Périclès avait à cœur d’effacer l’antagonisme violent des races, et de ménager leur réconciliation par l’art et par la science.

Élis, aussitôt après les guerres médiques, s’était soustraite à l’influence de Sparte. Il est vraisemblable que la reconstruction du temple de Zeus coïncide avec cette époque de l’histoire grecque où toute la contrée se groupa autour d’une capitale, et où l’on voulut aussi montrer dans la décoration d’Olympie plus d’indépendance et de libéralité, pour donner de plus en plus au sanctuaire péloponnésien le caractère d’un sanctuaire panhellénique. Une fois donc l’édifice bâti par un architecte du pays, Libon, et les sculptures des métopes exécutées par des artistes du Péloponnèse, on demanda, pour les travaux qui exigeaient une tendance artistique plus idéale et un talent de composition plus élevé, des maîtres de l’école athénienne, chargés de remplir avec des groupes de marbre gigantesques les tympans laissés vides. Pæonios, né à Mendé en Thrace, ne nous est pas connu comme disciple de Phidias ; mais sa représentation de la lutte engagée entre Œnomaos et Pélops, sur le fronton oriental dont les angles sont occupés par les figures couchées des dieux fluviaux d’Olympie, le rattache sans contestation à l’école attique. La composition du fronton occidental était due à Alcamène, le plus célèbre des compagnons et des disciples de Phidias. Dans les groupes mouvementés du Combat des Centaures, ou voit sans doute la dépendance où restait encore la statuaire attique vis-à-vis de la période antérieure de Part, car les tètes des dieux et des héros sont frappantes de rigidité et d’archaïsme ; mais d’autre part, on reconnaît dans ces morceaux de sculpture un progrès décidé, car dans les limites du cadre architectural elles déploient une plénitude de vie dramatique qui dépasse la sérénité épique du fronton du Parthénon, et attestent en même temps un effort vers une caractéristique plus précise, dont le naturalisme hardi se fait voir à travers l’idéalisme de l’art attique. Nous apprenons donc là plus clairement qu’ailleurs à considérer l’époque de Périclès comme une période de transition, où se rencontrent à la fois la docilité fidèle à la tradition du passé, et une poussée impatiente en avant vers un mouvement plus vivant et plus inspiré, vers une complexité plus riche dans les sujets.

Les Éléens cependant ne voulurent pas seulement avoir en style attique, comme les Delphiens, les groupes des tympans, mais décorer aussi de telle façon l’intérieur du temple de Zeus qu’il parût l’égal du Parthénon. Les deux édifices eurent cette ressemblance, qu’ils n’étaient point des sanctuaires pour le culte ordinaire, mais des temples réservés aux fêtes, et des Trésors publics. En effet, le foyer du culte de Zeus, à Olympie, n’était pas le temple même, mais bien le grand autel, dressé au nord-est du temple, et qui n’en dépendait en aucune façon. Mais c’est dans le temple qu’avait lieu le couronnement solennel des vainqueurs ; et c’est là, bien que l’édifice n’eût pas originairement cette destination, qu’allait s’élever, à l’extrémité de la cella, comme offrande sacrée des Éléens, une magnifique statue de Zeus qui devait dépasser en éclat et en richesse la Vierge d’Athènes.

C’est dans ce but qu’on fit venir Phidias, après l’achèvement du Parthénon ; avec son parent Panænos, il se mit au grand travail qui lui était confié par les autorités du temple, pour une somme déterminée par un contrat. On lui fournit un atelier, où il s’établit avec toute la colonie de ses ouvriers, comme autrefois Bathyclès à Amyclæ, pour entreprendre la plus grande [Ache qui pût être assignée à la plastique hellénique ; il s’agissait, en effet, avec toutes les ressources d’un art mûri à Athènes, de tirer de l’or et de l’ivoire le Père des dieux et des hommes, l’arbitre suprême de la destinée nationale, jusque-là adoré sans statue, et d’en donner pourtant une image si parfaite, que les meilleurs parmi les Hellènes y reconnussent l’expression même de leurs sentiments.

C’était une statue assise, de grandeur colossale, pour laquelle même le vaste temple semblait une demeure trop étroite. La tète exprimait à la fois la toute-puissance et la clémence, la fierté et la douceur affable : la chevelure était bien celle du Zens homérique, qui en la remuant ébranlait l’Olympe. Le vêtement d’or qui couvrait les parties inférieures du corps laissait libre la poitrine puissante ; la main gauche tenait le sceptre surmonté d’un aigle, la droite portait, comme la Vierge d’Athènes, la statue de la déesse de la Victoire. Car là Zeus non plus n’était pas conçu seulement comme un vainqueur couronné, qui a terrassé tous ses ennemis, mais comme celui qui donne la victoire, puisque c’est devant ses yeux et en son nom qu’on distribuait les couronnes olympiques, les plus hautes récompenses que le mérite d’un Hellène pût conquérir. Le siège du trône était tout éclatant d’or et d’ivoire, et orné de figures en plein relief ou en demi-bosse, qui représentaient les jugements rendus par Zeus, aussi bien que des scènes de batailles et des Victoires, tandis que les Charites et les Heures couronnaient le dossier, et que les pieds reposaient sur un escabeau dont le bord antérieur reproduisait un combat d’Amazones. Panænos avait décoré de peintures les parois qu’on voyait entre les pieds du siège. Enfin l’œuvre tout entière était dressée sur un socle imposant, haut d’environ douze pieds, orné de reliefs en métal doré représentant le cénacle des Olympiens enserrés par Hélios et Séléné.

Ainsi, c’est en Élide que l’art attique porta ses fruits les plus mûrs qu’il s’épanouit avec le plus de richesse et de grandeur, par cette statue dont on a pu dire qu’elle avait élevé et purifié la conception que les Grecs avaient de leur dieu suprême œuvre commune. de Phidias et de son compagnon Colotès, un maître de premier ordre pour la sculpture chryséléphantine, qui a exécuté aussi dans le même style la table destinée à recevoir, avant la distribution, les couronnes des vainqueurs. Panænos à son leur fut le collaborateur de Colotès pour une statue d’Athéna, à Élis. Quant à Phidias, il sculpta encore une Aphrodite Ourania, qui appuyait le pied sur une tortue, et une statue d’enfant s’attachant lui-même le diadème de la victoire. Voilà comment, dans l’atelier de Phidias, le grand artiste et ses amis travaillèrent pour Olympie, pour la ville d’Élis ainsi que pour Cyllène, la ville du port, et comment les artisans d’Élis se formèrent d’après les modèles et sous la direction de maîtres athéniens.

Pæonios fit sans doute partie de cette association, lui qui, après avoir achevé son fronton, resta avec d’autres Athéniens à Élis, où à, ce moment il v avait plus de commandes à obtenir, plus d’argent et de, réputation à gagner que dans la ville de Périclès, absorbée par ses luttes du dedans et du dehors. Les Messéniens de Naupacte lui confièrent la tache de leur sculpter en marbre une déesse de la Victoire, d’une valeur égale à la dîme prélevée sur leur butin. Il éleva la statue, d’une façon tout a fait nouvelle — c’était probablement une allusion tacite à la victoire de Sphactérie qui survint pendant l’exécution même, — sur un socle de marbre triangulaire, aussi haut qu’une tour, devant la façade orientale du temple de Zeus ; ce fut un morceau brillant de la sculpture attique sur marbre ; Nikê y était figurée descendant, à travers les airs, les ailes déployées. Ce chef-d’œuvre n’a peut-être été achevé que vers 422 avant J.-C.[38]

Les descendants de Phidias demeurèrent aussi à Olympie, où ils furent revêtus de la dignité de phædryntes[39] : c’étaient des magistrats chargés de veiller à l’entretien de la statue de Zens. Ainsi l’art et les artistes athéniens furent naturalisés à Élis, et la gloire d’Athènes devint celle de toute l’Hellade. Non seulement dans les colonies lointaines, comme Périclès l’avait tenté, mais aussi dans la terre mère, dans le Péloponnèse dorien lui-même, la fusion s’opéra, et les États qui s’étaient le plus étroitement attachés à Sparte, tels que l’Élide et l’Arcadie, mirent leur honneur à se parer d’ouvrages dus à des maîtres athéniens.

Mais le principal avantage revint à Athènes elle-même, comme patrie de l’art qui avait été ainsi acclamé par la nation entière. Pendant la courte durée des années de paix sous Périclès, elle s’était transformée ; et si on réfléchit combien était complexe l’activité artistique, on comprend quelle influence elle a dû exercer sur toute la vie sociale et industrielle de la cité. Déjà le seul transport des matériaux amena la science de la mécanique, dans ce temps fertile en inventions, à faire, elle aussi, de grands progrès, et, dans cette partie, Artémon se rendit fameux entre tous ses contemporains. Tous les ouvriers qui étaient nécessaires aux grandes entreprises artistiques, les maçons, charpentiers, statuaires, forgerons, fondeurs de bronze, tailleurs de pierre, teinturiers, les orfèvres qui travaillaient le métal pour en revêtir le bois, les maîtres de la plastique chryséléphantine qui savaient rendre une matière rebelle si ductile qu’elle se collait comme une peau sur le moule de bois, les peintres, sculpteurs sur bois, tisseurs de tapis, les brodeurs d’or et d’argent, les graveurs sur pierre, etc., tous eurent part à ce développement brillant que prit à Athènes, dans le domaine de l’art, le génie humain. Chacun d’eux fut encouragé dans sa vocation et rendu capable d’un travail supérieur. En effet, les restes de l’art attique montrent de la façon la plus évidente que l’industrie artistique a été aussi animée d’une vie plus noble ; et, jusque sur les terres cuites ou les bas-reliefs funéraires sans valeur, on reconnaît, en dépit d’une exécution purement industrielle, le sens délicat de la forme, la netteté de conception, le calme et la sérénité, la dignité morale qui distinguent les œuvres de Phidias. Son atelier a été une école populaire, d’une action étendue et durable.

Jusque-là les métiers artistiques avaient été pratiqués dans des familles indigènes, qui se transmettaient de père en lits la technique héréditaire. Cette forme du culte de l’art, nous la trouvons établie pour la musique et la poésie, par exemple, dans les familles de Simonide, de Bacchylide, de Pindare, de Stésichore, de Sophocle et d’autres encore ; il en fut de même pour tous les arts plastiques. Ici l’organisme de la famille avait une influence toute particulière, parce qu’il soutenait solidement la marche assurée et constante de la technique vers la perfection ; et même, sans lui, tout progrès eût été impossible.

L’âge de Périclès fut aussi une véritable époque de transition en ce sens qu’alors on renversa les barrières de ces traditions familiales, du moins en tant qu’elles pouvaient entraver l’art ; cal ; non seulement la libre concurrence fut ouverte à tous dans l’intérieur de la cité, mais aussi les artistes étrangers arrivèrent pour prendre part à ce concours de talent et de travail établi à Athènes. Bientôt on y vit travailler, en même temps que le Thasien Polygnote, Nicanor et Arcésilas, deux peintres de Paros ; et de cette même île de marbre, qui fut de tout temps particulièrement fertile en sculpteurs capables, vinrent Agoracritos, un des disciples favoris de Phidias, Colotès, que le maître estimait comme son aide le plus habile, Thrasymède, Locros, Aristandros, père de Scopas. Tous trouvèrent à Athènes une seconde patrie et l’emploi glorieux de leurs talents ; on peut donc bien dire que jamais la vie artistique d’une nation ne s’est développée dans des conditions plus favorables.

C’est là qu’après avoir poussé librement dans les contrées les plus diverses de l’Hellade, les arts furent pour la première fois associés dans des œuvres grandioses, sous la tutelle du plus riche des États, sous la surveillance du plus éclairé des connaisseurs, qui disposait des ressources publiques sans que rien gênât ses intentions, enfin, sous la direction d’un génie supérieur, qui régnait sur tons les domaines de l’art plastique. Dans l’Athènes de Périclès, le zèle de tous pouvait s’unir à l’influence bienfaisante d’une autorité ferme, et les travaux commandés par l’État pouvaient s’exécuter avec la spontanéité d’un enthousiasme qui n’était point du reste confiné dans le monde des artistes. Car les pacifiques et industrieux habitants d’Athènes aimaient l’activité provoquée par les constructions de Périclès. Il fallait aller chercher au loin des matériaux de toute sorte, métaux, ivoire, pierres précieuses, bois d’espèce étrangère. Toutes les classes participèrent ainsi à la vie artistique commune, depuis l’artiste qui dans la solitude mûrit ses pensées et trace ses plans, en passant par toutes les séries de marchands, d’industriels et d’artisans, jusqu’aux mineurs et aux terrassiers, aux charrons, aux cordiers et aux voituriers, qui eurent pour fonction de monter sur les hauteurs de l’acropole d’innombrables blocs de marbre. Tout ce qu’on gagne vient de l’État ; tous sont engagés dans ses entreprises. Les capitalistes sont contents, parce que les occasions se multiplient de placer leur argent dans des affaires lucratives ; ils peuvent fixer un intérêt de plus en plus élevé pour la location de leurs maisons, de leurs navires, de leurs esclaves. Les paysans sont contents, parce que la valeur du sol et de ses productions augmente sans cesse. Quant aux gens absolument sans fortune, l’État prend soin d’eux ; ce ne sont pas pour lui des indigents qu’il secourt, mais des citoyens qu’il emploie, qui prennent une part active aux entreprises publiques, et qui, grâce au taux élevé des salaires, peuvent arriver rapidement à un gain proportionné à leurs capacités. Ainsi les constructions de Périclès contribuèrent essentiellement à favoriser une heureuse répartition de la richesse parmi la population libre.

Le bien-être universel parvint donc à un si haut point, que pour cette seule raison la masse du peuple se fût associée avec joie à la politique de Périclès, quand bien même elle n’eût pas été en même temps pénétrée de ce sentiment, que ces travaux servaient plus que tout le reste à la gloire de la ville natale. Les plus humbles services avaient leur dignité, puisqu’eux aussi aidaient la communauté à réaliser de tels desseins. Les citoyens éprouvaient une fierté patriotique plus haute, quand ils voyaient leur république ornée des plus nobles chefs-d’œuvre de l’art, et éclipsant toutes les autres villes des Hellènes ; et, comme ces ouvrages possédaient à côté de toute leur magnificence une noble simplicité, comme ils étaient intimement pénétrés d’une pensée sublime, admirables de mesure et d’harmonie, brillants de sérénité et de grandeur, ils devaient assurément élever et purifier les âmes de ceux qui les voyaient graduellement s’avancer et qui, une fois achevés, les avaient tous les jours sous les yeux. En effet, ces œuvres avaient en elles-mêmes une force secrète qui emportait l’homme au delà des limites étroites de sa condition personnelle, et le forçait à se faire une idée haute et vénérable aussi bien de l’État capable de telles créations, que des devoirs du citoyen.

Mais ceux-là même qui ne pouvaient regarder cette ville avec l’affection naturelle à ses enfants, les sujets et les étrangers, ne purent se soustraire à l’impression produite par la splendeur d’Athènes. Les uns devaient trouver moins lourd d’obéir à une telle république ; les autres, reconnaître que tout ce qui distinguait la race hellénique, la culture intellectuelle et la noblesse de l’art, avait. atteint à Athènes sa perfection : donc, quiconque avait le goût de ces grandes choses devait considérer Athènes comme la capital e de la Grèce, et, en un certain sens, se sentir lui-même Athénien.

Voilà bien ce qu’avait voulu Périclès : qu’Athènes se montrât un jour digne de commander aux Hellènes. L’argent employé à atteindre un tel but ne fut réellement point gaspillé ; car non seulement ces dépenses ont répandu pour le présent le bien-être et le contentement, mais ces œuvres d’art ont constitué pour Athènes un trésor inaliénable, un capital dont les intérêts ont fait vivre la ville jusque dans l’extrême décadence ; si bien qu’aucun homme d’État n’a procuré à sa patrie des avantages matériels d’une valeur plus durable que ne fit Périclès. Et puis, il pensait aussi à la gloire de la ville dans l’avenir ; il voulait qu’il restât des monuments de sa grandeur, capables de survivre à son histoire, et que l’acropole, dans les âges les plus reculés, portât témoignage en faveur du siècle de Périclès.

On travailla aux Propylées pendant cinq ans, à partir de la dédicace du Parthénon. Les dépenses totales furent évaluées à 2.012 talents[40]. En 435 (Ol. LXXXVI, 2), les crédits extraordinaires pour constructions publiques furent limités à 10.000 drachmes par an : c’était la troisième année de l’entreprise. Pendant la quatrième et la cinquième années, on poussa les travaux avec une hâte croissante[41]. On sentait que c’étaient lit les dernières années de paix ; en effet, avant que l’édifice fia achevé, éclatait la guerre qui allait réclamer et absorber toutes les ressources de la République.

 

FIN DU DEUXIÈME VOLUME.

 

 

 



[1] L’État alloue des honoraires même aux poètes. (BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 39. FRITZSCHE, ad Aristoph., Ran., 307.)

[2] LÖSCHCKE, ap. Helbigs, Italiker in der Po-Ebene, p. 124 sqq.

[3] W. KLEIN, Denkschriften der Wiener Akad., 1878.

[4] MICHAELIS, ap. Archäol. Zeitung, XXXI, p. 1 sqq.

[5] Mittheil. d. D. Arch. Inst., IV. Taf. 1. 2, avec le commentaire de LÖSCHCKE, ibid., p. 36.

[6] MICHAELIS (Parthenon, p. 37) admet encore, d’après A. SCHÄFER, Archäol. Anzeiger, 1862. p. 372), dans la Ποικίλη quatre tableaux, dont le premier représentait la protection accordée parles Athéniens aux Héraclides.

[7] Sur la peinture d’histoire telle que l’entendait Polygnote, voyez Götting. Nachrichten, 1861, p. 368.

[8] Sur les anciens bas-reliefs funéraires de l’Attique, cf. Abhandl. der Berl. Akad., 1873, p. 157 : et, sur l’art grec en général, le grand ouvrage — en cours de publication — de G. PERROT et CH. CHIPIEZ, Histoire de l’art dans l’antiquité (Paris, 1881), t. III.

[9] PAUSANIAS, VIII, 42, 6.

[10] PAUSANIAS, V, 25, 8.

[11] PAUSANIAS, X, 13, 10.

[12] PAUSANIAS, V, 25, 5.

[13] PAUSANIAS, IX, 16, 1.

[14] ANTHOL. PLANUD., IV, 54, cf. 53.

[15] LUCIAN, Philops., 18. QUINTIL., II, 13. 8.

[16] Sur la manière de Myron, cf. Archäol. Zeitung, 1879, p. 21 sqq.

[17] Sur l’ex-voto consacré par Callias dans l’acropole, cf. O. JAHN, De antiquis Minervæ simulacris, p. 8, KÖHLER ap. Hermes, III, p. 166. C. I. ATTIC., I, n. 393.

[18] Sur le zèle de Cimon pour la gloire de Miltiade, voyez BRUNN, Gesch. der griech. Künstler, I, p. 102 ; II, p. 19. C’est ainsi également qu’il faut entendre le passage d’Eschine, In Ctesiph., § 186.

[19] PAUSANIAS, X, 10 : Cf. GÖTTLING ap. Ber. d. Sächs. Ges. d. Wiss., 1854, p. 17. E. CURTIUS, Ueber die Weihgesehenke der Griechen nach den Perserkriegen (ap. Nachr. d. Götting Ges. d. Wiss., 1861). Dans cette dissertation (ibid., p. 306), j’ai traité de l’œuvre de Phidias à Delphes et établi la conjecture que, à côté de Codros et de Thésée, figurait comme troisième personnage Philæos, l’ancêtre mythique de Miltiade et de Cimon, qui, en s’expatriant, donna Salamine à l’Attique.

[20] PLUTARQUE, Pericl., 17. On a des fragments d’inscriptions ayant appartenu à des ex-votos consacrés en souvenir d’anciens exploits des Athéniens, et qui ont été ou renouvelés ou érigés pour la première fois au temps de Périclès (KIRCHHOFF, ap. C. I. ATTIC., I, 333. 334, cf. IV, p. 40, et Monatsber. der Akad. der Wiss., 1869, p. 409 sqq.).

[21] En ce qui concerne le commencement des constructions de Périclès, Sauppe cherche à arriver à une date précise à l’aide des inscriptions datées d’après les années du Conseil. Il émet cette conjecture que l’an 2 de la LXXXIIIe Olympiade (447/6) a été l’année où toutes les constructions de luxe ont été proposées à la fois d’après un plan d’ensemble, agréées et confiées ensuite à la haute surveillance du Conseil. Il est vrai qu’on discuta jusqu’au bannissement de Thucydide sur l’exécution de ces ouvrages de luxe.

[22] WELCKER, Griech. Götterlehre, III, p. 28.

[23] Pour ce qui concerne l’histoire des sépultures officielles au Céramique, voyez E. CURTIUS, Zur Gesell. des Wegebans (ap. Abh. d. Berl. Akad., 1851, p. 266) et la recension de VISCHER, Jahrbb. für Philol., LXXIII, p. 133 (Kleine Schriften, II, p. 651).

[24] L’inscription du C. I. ATTIC., I., n. 432, appartient au monument des citoyens tués à Drabescos (PAUSANIAS, I, 29, 4).

[25] PLINE, XXXV, 8. 54.

[26] L’Olympiéon ne fut continué que par Antiochos Épiphane (TITE-LIVE, XLII, 20, VELL. PATERCULUS, I, 10) qui ne put l’achever.

[27] Tout ce qui concerne le Parthénon se trouve aujourd’hui réuni dans le volumineux ouvrage de A. MICHAELIS, Parthenon, 1871. Les inscriptions du C. I. ATTIC., 300 sqq. sont, aux yeux de KÖHLER (Mittheil. d. D. A. Instit., IV, 31 sqq.), les débris d’un vaste mémoire des dépenses faites pour la construction du Parthénon. Les N° 297 et 298 (et aussi C. I. ATTIC., IV, p. 36) ont trait aux livraisons de marbres pour les groupes des frontons. La quatorzième (et peut-être dernière) année de comptes mentionnée dans l’inscription est la 3e de la LXXXVIe Olympiade (431), de sorte que la comptabilité devait remonter jusqu’à l’année 447.

[28] Sur l’effet monumental du Parthénon et la destination des espaces intérieurs d’après les recherches approfondies de BÖTTICHER, Berichte über die Untersuch. auf der Akropolis, 1862. Ueber die Agonaltempel (ap. Philol. XVII. XVIII), recherches dont les résultats me paraissent toujours, en dépit d’attaques récentes, solides et assurés dans toutes les questions principales, voyez MICHAELIS, Parthenon, p. 21 sqq.

[29] L’interprétation de la frise du Parthénon est encore une question pendante qui, avec les ressources dont nous disposons, ne peut plus être complètement vidée. La scène représentée est la solennité des grandes Panathénées ; mais, si c’est la procession elle-même qu’on a voulu représenter, nous ne trouvons plus de point central où vienne aboutir l’ensemble. Même sur la face orientale, nous ne voyons que de simples groupes qui font penser plutôt aux préparatifs de la fête. Mais, cette préparation que nous croyons reconnaître, n’est pas un exercice consistant en évolutions et manœuvres, elle constitue elle-même un acte religieux, sans quoi les dieux n’y assisteraient pas. Certaines grandes fêles athéniennes étaient précédées de journées préparatoires qui, suivant la coutume des ancêtres, avaient un caractère solennel et attiraient une grande affluence de peuple. et nous n’avons pas le droit de restreindre aux Dionysies ces προάγωνες qu’on trouve mentionnés dans une inscription (Άρχ. Έφημ., 1862, p. 351. Cf. HILLER, ap. Hermes, VII, p. 405). Il est aussi très vraisemblable en soi qu’au moment des Panathénées les députations venues des colonies et les représentants de la classe des métèques se présentaient avant la Tète aux autorités, que les morceaux de musique étaient exécutés et les cérémonies arrêtées au préalable. La comparaison avec les représentations de parades et de batailles (MICHAELIS, Parthenon, p. 203) n’est pas très juste, attendu que la procession réelle ressemblait précisément à une parade, sujet qui échappe et résiste à une main d’artiste. Sans doute, je n’entends donner mon essai d’interprétation que pour une hypothèse ; mais j’affirme que si l’on ne parvient pas à expliquer d’une façon certaine les groupes figurés au centre du fronton oriental, il est impossible de trouver pour l’ensemble une interprétation inattaquable.

[30] Sur le cycle des cérémonies observées aux grandes Panathénées, cf. SAUPPE, Inscript. Panathen., 1858. A. MOMMEN, Heortologie, p. 116 sqq.

[31] Cf. A. KIRCHHOFF, Bemerkungen zu den Urkunden der Schatzmeister der anderen Götter, ap. Abhandl. der Berl. Akad. d. Wiss., 1864, p. 1 sqq.), à qui l’on doit la détermination de la date du décret attribué jadis à l’année 418 (BÖCKH, Stautshaushaltung, II, p. 56. C. I. ATTIC., I, n. 32).

[32] Cf. BÖTTICHER (ap. Philologus, XVII, p. 580).

[33] Sur l’âge du temple de Nikê, cf. MICHAELIS (ap. Archäol. Zeitung, XX, p. 250), dont les arguments ne me paraissent pas assez convaincants pour me faire admettre que le temple actuel de Nikê fût déjà bâti quand Mnésiclès construisit les Propylées. Cf. KEKULÉ, Balustrade des Tempels der Athena-Nike, p. 36. Reliefs an der Balustrade [1881] p. 30. E. CURTIUS, ap. Archäol. Zeitung, XXXVII (1870), p. 97.

[34] PLUT., Pericl., 13. Cf. ROSS, Archäol. Aufsütze, I, p. 158, C. I. ATTIC. I, n. 335.

[35] En ce qui concerne la disposition architectonique de la montée de l’acropole, de l'άνοδος (Cf. Archäol. Zeitung, 1853, p. 202), les recherches inaugurées par Beulé n’ont pas encore été menées à leur terme, même après le travail considérable de MICHAELIS (Mittheil. d. D. A. Instit., I, p. 275 sqq.). Il a dû y avoir plus bas probablement des tours pour vigies.

[36] BRUNN, Künstlergeschichte, I, p. 247 sqq.

[37] BRUNN, Künstlergeschichte, I, p. 214.

[38] Les indications bibliographiques concernant la Nikê de Pæonios dans l’Archäol. Zeitung, XXXV, p. 50. SCHUBRING (Ibid. p. 66), y expose une chronologie à laquelle je me rallie d'une manière générale, sans pouvoir accepter cependant le sens qui y est donné à άκρωτήρια.

[39] Les descendants de Phidias dans leur office de φαιδρυνταί à Olympie (PAUSANIAS, V, 14, 5) : ils sont mentionnés dans une inscription olympique du IIe siècle après J.-C. (Archäol. Zeitung, XXXV, p. 193, n. 100).

[40] Environ 11.858.840 francs. Au sujet de ces 2.012 talents, voyez KIRCHHOFF, Zur Gesch. des athenischen Staatsschatzes, p. 56 (Abbandl. d. Preuss. Akad., 1876).

[41] Documents sur la construction des Propylées : voyez BÖCKH, Staatshaushaltung, II, p. 336 et KIRCHHOFF, ap. Jahrbb. für Philol., 1861, p. 47 sqq. C. I. ATTIC., I, n. 314, 315. Cf. KIRCHHOFF, De fragmentis quibusdam tituli Attici ad opus aliquoci ætatis Pericleæ referendi (ap. Nuove Memorie dell’ Institut. di Corr. Arch., 1865, p. 129).