§ IV. — COLONISATION GRECQUE EN AFRIQUE. La côte sud de Sans doute, au cours de la colonisation poursuivie par les
Phéniciens sur une vaste étendue du littoral africain, des groupes de
nationalité carienne et ionienne s’étaient aussi transportés dans ces parages[1]. On retrouve les
traces de leur présence dans le culte d’Iolaos, héros qu’une fraction de la
population libyco-phénicienne honorait comme son ancêtre et qui fait supposer
là un mélange de races analogue à ce qu’on a vu en Sardaigne[2]. Un indice non
moins significatif, c’est celui que fournit la religion, le culte des dieux.
Les cultes de Poséidon et d’Athéna s’étaient implantés, dès l’âge
préhistorique, en Libye, surtout près de la petite Syrte, la baie la mieux
pourvue d’eau qu’il y ait sur toute la côte, à l’embouchure du Triton. C’est
la raison pour laquelle la légende des Argonautes a déjà fait entrer dans le
cercle de ses pérégrinations les bords du Triton. On cite aussi des
résidences occupées par des colons de S’il y avait un pays qui, par sa position géographique,
fût appelé à continuer ces anciennes relations entre Les Minyens, partis de Théra, commencèrent de nouvelles expéditions des Argonautes, et le rejeton d’une de leurs plus nobles familles, l’Euphémide Battos, réussit à fonder sur la côte de Libye une souveraineté qui devait singulièrement éclipser sa métropole insulaire. Là aussi, on commença, suivant la méthode des Phéniciens, par occuper une île qui se trouve à proximité de la côte, au milieu d’un golfe bien abrité, le golfe actuel de Bomba. Cette île, appelée Platéia, et le rivage voisin ont été le premier théâtre sur lequel s’est déployée l’activité hellénique en Libye. Mais, sur ce terrain, on n’aboutit qu’à des résultats médiocres. La mer y était bonne et la passe commode ; mais, l’île était petite et le rivage marécageux. Il fallut, par conséquent, abandonner le golfe et aller par terre plus loin dans la direction de l’ouest. On découvrit de ce côté, non plus une oasis isolée, mais un vaste territoire où l’on pouvait asseoir une ville, et une ville capable de dominer la région. L’emplacement était, il est vrai, assez étrangement situé, surtout pour des insulaires ; on se trouvait à plusieurs milles de la mer, et la côte était dépourvue de port naturel. Sauf cet inconvénient, on avait tout à souhait : au lieu du sol resserré et pierreux de la mère-patrie, c’étaient des terres à blé des plus fertiles, de larges plaines d’un niveau élevé, baignées d’un air pur et sillonnées de sources vives, une côte boisée, exceptionnellement disposée pour fournir aux Hellènes tous les produits naturels qui étaient pour eux de première nécessité. A l’arrière-plan s’étendait le désert, un monde mystérieux et inintelligible pour les Grecs, d’où sortaient, — avec des chevaux, des chameaux, des esclaves noirs, des singes, des perroquets et autres animaux surprenants, avec des dattes et des fruits rares, — les tribus libyques, peuplades de naturel pacifique et débonnaire, qui venaient sur la plage toutes prêtes à entamer des relations commerciales avec les nouveaux venus. Une source abondante qui jaillit à quelque distance de la côte fut tout naturellement le rendez-vous des hommes bruns du désert et des marins. On s’habitua à y tenir des entrevues régulières. Le bazar devint un marché permanent, le marché, une ville qui se déploya, large et majestueuse, sur deux mamelons rocheux que le plateau du désert projette du côté de la mer[7]. On l’appela Cyrène, du nom de la source qui avait provoqué la fondation de la colonie. Entre les deux mamelons s’inclinait en pente douce la grande route commerciale qui passait devant la source et conduisait les caravanes à la mer. Lors du premier établissement, on s’était surtout préoccupé de l’élève du bétail ; mais, en y regardant de plus près, combien d’autres ressources s’offrirent à l’industrie des colons ! De tous les produits du pays, le plus important était le silphion ; une tige dont le suc constituait une épice en même temps qu’une drogue médicinale très recherchée dans tout le monde grec, et qui poussait là à l’état sauvage[8]. Une fois séché et pétri, le précieux suc était empaqueté dans des sacs, et nous voyons, sur les vases peints, les rois de Cyrène surveiller en personne le pesage, la vente et l’emballage de la denrée qui rapportait à la couronne des revenus considérables. Pendant longtemps, il n’y eut, pour former le noyau de la
colonie grecque au milieu des Libyens, qu’un tout petit groupe de Théræens
qui cherchèrent à grossir leurs rangs en s’assimilant les indigènes. On peut
se faire une idée de ce qui pénétra d’éléments libyens dans la colonie rien
que par le nom dynastique de Battos, qui était lui-même un titre royal en
usage chez les Libyens. A l’avènement du troisième roi de la dynastie des
Euphémides, vers 576 (Ol. LI), la colonie se mit de nouveau en rapport
avec l’oracle de Delphes, parce qu’elle se voyait en danger de perdre
complètement, à la longue, son caractère de cité hellénique. Cyrène fut, comme Massalia, le point de départ de tout un groupe de colonies, le centre d’une petite Grèce : les villes de Barca et d’Hespéride étaient ses filles. Il se forma autour d’elle une nation, adonnée à l’agriculture, qui gagna du terrain et réussit à imprégner de civilisation hellénique tout un morceau du continent africain. Telle fut l’ère nouvelle qui commença pour Cyrène avec le règne de son troisième roi, Battos II, connu et vanté dans toute l’Hellade sous le nom de Battos l’Heureux, à cause du merveilleux épanouissement de la prospérité de son empire[9]. Les Libyens, refoulés dans le désert, appelèrent à leur secours le roi d’Égypte, Apriès. Une armée innombrable marcha sur Cyrène, en 570 (Ol. LII, 3), et fut complètement anéantie par Battos qui était allé à sa rencontre jusqu’à Irasa, près de la source de Theste. Pour le coup, les Battiades passaient au rang de grande puissance hellénique : le successeur d’Apriès, Amasis, se hâta de conclure avec. Cyrène un traité de paix et d’amitié, et prit pour femme une Cyrénéenne. |
[1] Sur les rapports
entre l’Hellade et
[2] Iolaos en Libye (MOVERS, op. cit., p. 505).
[3] HÉCATÉE ap. STEPH. BYZ., s. v.
[4] DIODORE, XX, 57. MOVERS, op. cit., p, 22. Cf. Chalke (ibid., p. 518).
[5] PTOLÉMÉE, IV, 2, 6. POMPONIUS MELA, I, 2. PLINE, IV, 2.
[6] BLUEMNER, Gewerbliche Thaetigkeit, p. 96. BURSIAN, Geogr. von Griechenland, II, p. 525.
[7] D’après Solin (p.
140, 11, éd. Mommsen), Cyrène a été fondée 586 ans après la prise de Troie,
c’est-à-dire en 598 avant (Ol. XLV, 3). Théophraste et Pline donnent la date de 611 (Ol. XLII, 2) ; Eusèbe
croit Cyrène fondée en 631 (Ol. XXXVII, 2) avec la participation d’un certain Chionis (?) qui a
été vainqueur aux jeux de Ol. XXVIII, XXIX
et XXX. En
conséquence, DEIMLING
(Leleger, p 139) place la fondation de l’établissement de Platéia en
639, celle d’Aziris en 637, et celle de Cyrène en
[8] Le silphion, disparu de l’Afrique, a été récemment découvert dans une plante ombellifère du Kaschmir septentrional (FRIEDLÆNDER, Wien. Num. Zeitschrift, III [1872], p. 430).
[9] HÉRODOTE, IV, 159. SCHOL. PINDARE, Pyth., IV, 342.