§ III. — PROGRÈS DE Entre temps, la conversion des côtes de Sicile en terre
grecque avait aussi fait des progrès. Les Syracusains n’osaient, il est vrai,
doubler le cap Pachynos et pénétrer dans la mer du sud qui, durant tout le
vine siècle, resta un domaine abandonné aux Barbares. Mais, en revanche, il
vint de Rhodes de hardis marins qui s’étaient habitués dans leurs pays à
suivre les voies frayées par les navires phéniciens et qui, en s’associant au
négoce de leurs voisins, avaient appris au fur et. à mesure à faire des
affaires pour leur propre compte. Les Rhodiens, après la fondation de leurs
trois villes, Lindos, Ialysos et Camiros, ont formé de bonne heure une
puissance maritime et se sont rendus maîtres des eaux d’alentour. Ils ont
bâti des villes sur les côtes de L’entreprise hardie et le succès des Rhodiens fit époque dans l’histoire grecque : on avait enfin surmonté l’effroi qu’inspirait la mer du sud et frayé la voie à des entreprises nouvelles. Cet effroi n’était pas simplement affaire d’imagination. D’abord, la côte méridionale est bien moins hospitalière que celle de l’est. Il y a là de longues arêtes montagneuses, flanquées de contreforts qui s’avancent jusqu’à la mer et forment des falaises escarpées, avec des courants et des récifs dangereux. On n’y peut naviguer sans une connaissance très précise des lieux. Les ports sont mauvais ; aussi ne s’est-il jamais formé, dans la région, d’États maritimes de quelque importance. Les montagnes de la côte sont coupées de tranchées où coulent des torrents qui ont une pente très forte et qui, en saison d’hiver, font des dégâts avec leurs inondations[2]. Comme la nature, la population se montrait aussi là plus sauvage et plus rebelle qu’ailleurs ; car, les anciens distinguent très nettement les Sicanes des Sicules, regardant ceux-là comme plus étrangers, plus barbares que ceux-ci. On croyait même avoir des raisons de supposer que les Sicanes étaient un peuple venu de quelque pays celtique[3]. En outre, les colons rencontraient là une résistance énergique opposée parles Phéniciens, qui se cramponnaient avec opiniâtreté aux positions acquises et ne voulaient pas abandonner des stations aussi commodément placées sur la route de leurs possessions occidentales. Cependant, tous ces inconvénients et ces dangers ne
parvinrent pas à faire reculer les Rhodiens. Il faut dire que ceux-ci étaient
favorisés par les circonstances. C’était, en effet, le moment où la dynastie
belliqueuse des Sargonides était en pleine prospérité. Le roi Sargon (720-703), s’élançant de Ninive sa capitale,
avait soumis Le succès des Rhodiens éveilla le courage et provoqua l’émulation. Les Mégaréens, qui ne pouvaient pas s’étendre, placés comme ils l’étaient à côté du quartier général de la colonisation corinthienne, envoyèrent, vers 628 (Ol. XXXVIII, I), le trop-plein de leur population dans l’ouest de Pile, au beau milieu du domaine punique, et se créèrent sur les bords de l’Hypsas occidental une nouvelle patrie. Ainsi sortit de terre Sélinonte, la ville de l’ache, cent ans après la fondation de Mégara de Sicile, au moment où, dans la métropole, se préparait ou venait de commencer le règne brillant de Théagène[5]. Experts en fait de travaux hydrauliques, les Mégaréens desséchèrent les fondrières malsaines du bassin de l’Hypsas et firent si bien que leur nouvelle ville prospéra rapidement. Mais, d’autre part, Gela datait à peine de trois générations que déjà, renforcée par un nouvel appoint de familles énergiques venues de la mère-patrie, elle fondait, au milieu de la côte méridionale, sur un rocher formant une espèce de fronton à pic, Agrigente, dont l’éclat et la puissance éclipsa bien vite la fortune plus modeste de sa métropole. Agrigente était située entre les rivières d’Hypsas et d’Acragas et avait les proportions d’une grande ville. Le commerce d’huile et de vin qu’elle faisait avec Carthage était la principale, mais non l’unique source de sa prospérité ; les riches pâturages arrosés par les ruisseaux qui se jettent à la côte faisaient prospérer l’élève des chevaux ; le produit des champs de blé s’exportait en Grèce ; les carrières fournissaient des matériaux en abondance à la production artistique et au luxe des habitants[6]. La presqu’île qui fait saillie au sud-est était le domaine assigné aux Syracusains. Ils s’en emparèrent en procédant méthodiquement, par avancées successives[7]. Soixante-dix ans après la fondation de leur propre cité, ils élèvent, pour commander les passages des montagnes, la ville d’Acræ ; vingt ans plus tard, c’est Casmenæ ; quarante-cinq ans après, ils bâtissent, dans un vallon bien pourvu d’eau, sans doute sur l’emplacement de quelque établissement phénicien, Camarilla, qui achève la série des places syracusaines[8]. Par Camarina, les Syracusains prirent part, eux aussi, à l’hellénisation de la côte méridionale, et, vers le temps oui Athènes demandait des lois à Solon, il y avait, du cap Pachynos au cap Lilybée, une série ininterrompue de cités helléniques se touchant par les bornes de leurs territoires. Mais les Hellènes avaient atteint ainsi la limite extrême
de l’extension de leur puissance. En vain, les intrépides Rhodiens et
Cnidiens cherchèrent à pousser plus avant ; dans l’angle nord-ouest de l’île
où, du cap Lilybée à Éryx, les montagnes s’avancent dans la mer et forment
autour du rivage une ceinture de récifs crevassés et d’îlots escarpés, les
Phéniciens tinrent bon : c’était la face tournée du côté de Carthage, et la
cité africaine faisait tous ses efforts pour s’y maintenir, car elle avait
besoin de Motye pour son trafic avec Les Carthaginois, depuis que la puissance de leurs
métropoles avait été brisée parles Assyriens, s’étaient chargés du rôle qui
incombait jadis aux cités de la mère-patrie : seulement, ils entendaient la
colonisation d’une tout autre manière. Au lieu de se borner à établir des
factoreries commerciales, ils soumettaient le pays et ses habitants ; ils se
créaient des provinces qu’ils tenaient au moyen de forteresses. Les
Phéniciens se sont vengés par le bras des Carthaginois de toutes les
humiliations que leur avaient infligées les Hellènes : dans l’ouest de Cela ne veut pas dire que cette région soit restée
complètement en dehors de l’influence grecque. Aux alentours de l’Éryx
habitait le peuple des Élymes[10] qui, d’après le
témoignage unanime de la tradition, était apparenté avec les populations du
littoral de l’Asie-Mineure et notamment avec les Dardaniens. Ils descendaient
de colons qui avaient été jadis emmenés de leur pays par les Phéniciens ou
qui les avaient suivis volontairement. C’est la raison pour laquelle
l’Héraclès tyrien passait pour le suzerain mythique des Élymes : la situation
dépendante où ils se trouvaient jadis vis-à-vis de Tyr fut symbolisée par un
devoir de vassalité qui les obligeait vis-à-vis d’Héraclès. Leur chef-lieu
était Égeste ; leur sanctuaire national, la chapelle d’Aphrodite, sur le
rocher de l’Éryx, avec la mer au pied. Il s’était formé là une population
mêlée, composée d’indigènes, de Phéniciens et de Grecs, qui, attachée par
d’anciennes habitudes à la fortune des Phéniciens, soutenait leur domination
dans le pays. Aussi, les Élymes étaient-ils considérés par les colons grecs
comme un peuple barbare. C’est que, chez eux, le génie grec n’avait pas
pénétré à fond, et ce qu’ils en avaient apporté avec eux n’avait pas été
renouvelé par des recrues envoyées après coup de l’Hellade[11]. Nulle part,
dans l’ancien monde, on n’eût trouvé amassés autant d’éléments de discorde
que dans cette pointe occidentale de Si les Hellènes, partis du détroit de Sicile, s’avançaient par le sud vers la pointe occidentale, ils en faisaient autant du côté du nord. Dès 716 (Ol. XVI, 1), les Zancléens avaient établi, sur la langue de terre qui fait saillie en face des îles Lipari, Mylæ, dont ils firent leur port sur la mer Tyrrhénienne[12] ; soixante-huit ans plus tard, ils élevaient Himère à l’embouchure du fleuve du même nom, avec la coopération d’un nombre considérable de gens de Chalcis[13]. Mais, de ce côté comme de l’autre, les Grecs durent renoncer à aller plus loin. La meilleure rade de toute File, la baie de Palerme, enfermée entre ses deux promontoires, n’a jamais été enlevée aux Carthaginois. Là, les Hellènes, ne pouvant être les maîtres, firent ce qu’avaient fait souvent les Phéniciens dans les ports grecs : ils vinrent habiter au milieu de la population punique, et prirent librement part au mouvement commercial et industriel qui était à Panorme en pleine activité. De même que, sur les monnaies de la ville, on rencontre des types helléniques, par exemple, la tète de Déméter, symbole des riches moissons de blé récoltées dans file, à côté de la légende phénicienne qui qualifie Panorme de camp des artisans[14], de même, — en ce qui concerne la langue, les mœurs, le droit, — les deux nationalités, phénicienne et grecque, subsistaient côte à côte au sein d’une même communauté politique. L’étroite solidarité que suppose cet état de choses entre
l’industrie grecque et celle des Phéniciens se trouve confirmée par une
preuve qui lui donne un haut degré de vraisemblance, par l’établissement grec
fondé sur les îles Lipari. Là, l’activité incessante des forces volcaniques
engendrait une grande quantité d’alun, substance employée par les anciens
comme mordant et indispensable à leurs ateliers de teinture[15]. Il y vint, pour
exploiter ce produit important, des colons grecs : on cite, entre autres, des
Cnidiens qui, vers 580 (Ol. L, 1), s’étaient associés à une expédition
commerciale dirigée de la côte de Carie vers La fondation de Sélinonte, et d’Agrigente avait porté les
avant-postes des Hellènes jusque dans le voisinage du bras de mer qui sépare Les Phéniciens et les Carthaginois surveillaient avec anxiété les côtes de Sardaigne et de Corse, pour empêcher les étrangers de s’établir même sur le sol dont ils n’avaient pu se rendre maîtres. Leurs croiseurs avaient surtout affaire aux Rhodiens dont les bandes hardies parcouraient en tous sens la mer d’Occident, cherchant à entamer, par tout où elles le pouvaient, l’empire phénicien et dépassant la station moyenne des Baléares pour atteindre la côte ibérique. Là, au pied d’uni promontoire formé par les Pyrénées, elles fondèrent une ville rhodienne[17]. Mais nulle cité ne fut plus heureuse de ce côté et n’obtint plus de résultats que Phocée. Les citoyens de Phocée avaient été les derniers à se créer un abri tranquille sur le littoral de l’Ionie. Ils n’y possédaient qu’un rocher en forme de presqu’île où, ne fut-ce qu’à cause du manque d’espace, ils durent se faire marins de profession. En raison de leur situation géographique, ils s’étaient tournés du côté du Pont-Euxin : ils avaient fondé des établissements sur les Dardanelles et sur les bords de la mer Noire, et pris part également au commerce avec l’Égypte. Cependant, il leur fut impossible de se faire une place dans ces régions à côté des Milésiens. Lampsaque et Amisos les abandonnèrent pour Milet, la capitale du nord ; et, du coup, les Phocéens songèrent à chercher fortune ailleurs. Ils se tournèrent cette fois vers l’Occident, et suivirent la direction imprimée au mouvement maritime par Chalcis. Ils y étaient d’ailleurs poussés par des raisons particulières. En effet, le sol qu’ils habitaient, ils l’avaient reçu des Kyméens qui s’étaient retirés de plus en plus vers l’intérieur du continent pour se livrer à l’agriculture. Or, ceux des Kyméens qui ne voulurent pas renoncer au métier de marin, à la vie qu’ils avaient menée dans l’Eubée, leur pays d’origine, ceux-là se joignirent aux Phocéens ; ils leur firent part de ce qu’ils avaient appris en Eubée sur les pays du couchant et dirigèrent leur attention de ce côté. Du reste, les Phocéens de la mère-patrie (Phocide) leur avaient déjà montré le chemin, car il y en avait, au rapport de Thucydide, qui s’étaient installés avec les Élymes dans le pays occupé par ces derniers[18]. C’est ainsi que les Phocéens d’Ionie allèrent à leur tour dans la mer d’Occident. Comme ils furent tout d’abord obligés d’entreprendre de longues et dangereuses traversées, au lieu que les autres villes maritimes se contentaient des voyages faciles de la saison d’été, ils devinrent les marins les plus hardis du monde. Ils commençaient là où les autres finissaient ; ils allaient à la découverte dans des régions que les autres évitaient ; ils restaient en mer, même lorsque le ciel obscurci par les brumes d’hiver rendait difficile l’observation des étoiles : aussi firent-ils leurs navires longs et effilés, pour leur donner plus d’agilité ; leurs navires marchands servirent en même temps de vaisseaux de guerre, avec leurs vingt-cinq rameurs exercés sur chaque flanc et leurs matelots équipés comme des soldats. Ils allaient donc à travers les mers, saisissant toutes
les occasions de faire quelque bénéfice, et, à cause de leur petit nombre,
errant çà et là à la façon des pirates plutôt qu’en état d’établir des
relations suivies avec des possessions coloniales. Ils pénétrèrent dans la
partie de l’Adriatique où les écueils sont le plus multipliés[19] ; ils firent le
tour des îles de la mer Tyrrhénienne, en dépit des croiseurs carthaginois[20] ; ils sondèrent
les baies de C’est en Gaule et en Ibérie qu’enfin, à l’époque où l’Ionie commença à être opprimée par les Lydiens, les Phocéens, qui jusque-là s’étaient contentés de petits dépôts de marchandises, se décidèrent à fonder des villes. L’embouchure du Rhône avait, pour leur commerce de terre et de mer, une importance particulière : ils surent, avec une souplesse tout ionienne, se glisser dans le pays, afin d’y nouer en douceur des relations durables. La légende d’Euxénos, qu’un chef gaulois invite à un banquet de noces et qui est choisi par la fiancée au lieu et place du prétendant indigène, montre à quel point les étrangers avaient su se concilier les sympathies des gens du pays, A partir de 600 (Ol. XLV), Massalia [Marseille] fut un foyer de civilisation hellénique fixé à demeure dans le pays des Celtes, en dépit de l’hostilité des corsaires liguriens et de la flotte punique[21]. Sur le rivage furent installées de grandes pêcheries ; le sol pierreux des alentours se transforma en vignobles et en plantations d’oliviers. On ouvrit du côté de (intérieur des routes qui amenèrent à l’embouchure du Rhône les produits de la contrée ; on établit dans les villes celtiques des comptoirs de commerce qui expédiaient à Massalia les chargements d’étain de Bretagne, métal précieux pour l’industrie du cuivre, tandis que Massalia fournissait en échange aux régions de l’intérieur du vin, de l’huile, ainsi que des produits fabriqués, notamment des ustensiles de bronze. Un horizon tout nouveau s’ouvrit à la curiosité des Hellènes : dans leurs voyages de découverte, ils poussèrent hardiment à l’ouest et au nord jusqu’à l’Océan, où le phénomène du flux et du reflux occupa pour la première fois l’attention des Grecs. On s’enquit des pays qui produisaient l’ambre et l’étain[22], et on chercha à coordonner scientifiquement l’énorme quantité de matériaux d’où allait sortir une nouvelle conception du monde. Du côté de la mer, Massalia pourvut à la sécurité de son négoce en établissant sur le littoral quantité de places de défense. A l’est, elle avait pour voisins les Ligyens, une peuplade belliqueuse, apparentée aux Sicules d’Italie, et qui, à ce qu’il semble, a dû subir certaines influences gréco-phéniciennes : du moins, cette tribu s’habitua de bonne heure à hanter la mer aussi bien que la montagne et faisait usage d’armes de bronze. Les Massaliotes continuèrent de ce côté jusqu’au golfe de Gênes une ligne de stations fortifiées adossées au pied des Alpes maritimes : ils ensemencèrent de céréales et protégèrent par des garnisons permanentes les îles adjacentes, notamment les Stœchades [îles d’Hyères] ; ils conquirent de haute lutte sur les Ligyens une partie de la côte formée par les Alpes et y fondèrent Olbia, Antipolis [Antibes], Nicæa [Nice] et Monœcos [Monaco]. Les magnifiques bois de construction que l’on abattait sur les Alpes de Ligurie, le bétail nourri dans les pâturages alpestres, des fourrures, du miel, du poisson, constituaient pour les ports qu’ils avaient sur cette côte les principaux articles d’exportation. Du côté opposé, où les Ligyens étaient mêlés d’Ibères, ils s’avancèrent de l’embouchure du Rhône dans la direction des Pyrénées et fondèrent en chemin Agathe [Agde]. Au point où les Pyrénées font saillie dans la mer se trouvait leur principal établissement, Emporiæ, assis d’abord sur une petite île voisine de la côte, puis transplanté sur le continent, à l’endroit où se tenait le marché des affaires avec les indigènes. Les lieux où campaient, les uns en face des autres, les trafiquants des deux nations devinrent des établissements fixes : du côté de la mer, le quartier des Grecs ; du côté de l’intérieur, celui des Ibères. Ce rendez-vous d’affaires fut protégé par un rempart qui en faisait le tour, et ainsi se forma une ville double, composée de deux populations distinctes qui, séparées l’une de l’autre par un mur intermédiaire, s’unissaient pour surveiller et défendre ensemble contre d’autres tribus plus sauvages la porte commune ouverte du côté de la terre[23]. Ainsi, jusque dans leurs colonies lointaines, les Phocéens restaient toujours sous les armes, et les Barbares qui habitaient autour de Massalia appelaient pour cette raison les marchands étrangers des Sigynes, mot qui, chez les peuples adonnés à l’industrie du bronze, notamment chez les Cypriotes, signifiait lance[24]. L’ancien établissement rhodien de Rhodes [Rosas], situé entre Emporiæ et les Pyrénées, passa aux mains des Phocéens, de la même manière que jadis leurs propres colonies du Pont s’étaient ralliées à Milet. C’était un commerce important que celui de la côte orientale d’Espagne, laquelle fournissait du sel, des métaux et des matières tinctoriales[25]. Les Phocéens et Massaliotes s’y firent leur part, mais au prix de luttes perpétuelles avec leurs rivaux, les Phéniciens et les Carthaginois. S’ils ne réussirent pas, là non plus, à helléniser une bordure continue de côtes, ils élevèrent pourtant en face des Baléares, sur une hauteur qui domine au loin la mer, le fort d’Héméroscopion, où se trouvaient des forges et des pêcheries productives et où l’Artémis d’Éphèse avait un sanctuaire des plus courus[26]. Ils suivirent les traces des Phéniciens jusqu’au détroit de Gibraltar, dans le voisinage duquel ils bâtirent la ville de Mænake[27] ; ils dépassèrent même les colonnes d’Héraclès et s’acclimatèrent à l’embouchure du Bætis [Guadalquivir], dans la région exploitée jadis par les Tyriens qui y venaient trafiquer sur leurs vaisseaux de Tarsis et y amenaient avec eux des aventuriers de toute espèce. C’était la terre lointaine par excellence : au huitième siècle, le prophète Jonas songeait à s’enfuir de devant la face du Seigneur sur un vaisseau de Tarsis, tant il semblait que cette colonie fût au bout du monde. Les Grecs l’appelaient Tartessos[28]. Après la chute de la puissance tyrienne, vers le milieu du vile siècle, les Samiens y avaient inauguré avec un succès inattendu le commerce grec. Les Phocéens s’emparèrent à leur tour de ce trafic ; ils nouèrent avec les princes tartessiens des relations d’amitié tellement intimes qu’Arganthonios fit bâtir à ses frais, autour de Phocée, un rempart destiné à la protéger contre les attaques des rois de Médie[29]. Ainsi, les Phocéens ont déployé, depuis la mer Noire
jusqu’au rivage de l’Océan Atlantique, une énergie digne d’admiration. Ils
ont mis en relation les unes avec les autres les bouches du Nil, du Tibre, du
Rhône et du Bætis. En prenant la suite des affaires des Chalcidiens dans le
commerce du bronze, ils ont fini par pénétrer jusqu’aux sources de production
les plus éloignées, et ce sont leurs navires qui ont semé à travers l’Hellade
le cuivre de Tartessos, la marque la plus estimée que l’on connût dans toute |
[1] Fondation de Gela par Antiphémos et Entimos (PAUSANIAS, VIII, 46, 2. HÉRODOTE, VII, 153. D’après SCHUBRING (Histor.-geogr. Studien über Alt-Sicilien ap. Rhein. Mus., XXVIII, p. 81 sqq.) il y avait à Gela un fonds primitif de Sicules indigènes, attendu que, d’après Étienne de Byzance (STEPH. BYZ., s. v.) γέλας signifiait givre dans la langue des Opiques et des Sicules. Cette opinion a contre elle la tradition conservée par SCHOL. PIND., Ol., II, 16, et PAUSANIAS, VIII, 46, 2, est un nom carien. Omphake, ville des Sicanes, détruite par Antiphémos (PAUSANIAS, VIII, 46, 2. IX, 40, 4. HOLM, Gesch. Siciliens, I, p. 60, 135).
[2] Sur les difficultés qu’offre la côte méridionale, voyez SCHUBRING, Topographie von Gela ap. Rhein. Mus., XXVIII, p. 87.
[3] THUCYDIDE, VI, 2.
[4] Sur l’histoire des Sargonides, cf. OPPERT, Inscriptions des Sargonides ; BRANDIS, art. Assyria, ap. Paulys Real-Encyclopædie, I, p. 1898.
[5] D’après Eusèbe,
Sélinonte a été fondée dans
[6] Sur Agrigente,
voyez SCHUBRING,
Geschichte und Topographie von Akragas. Commerce de la ville (DIODORE, XI, 25. XIII,
81). Schubring admet qu’Agrigente expédiait du blé à Athènes au VIe siècle, se
fondant sur le fait que, dès cette époque, Agrigente avait adopté le système
monétaire inauguré après Solon (cf. SALINAS, Revue Numism., 1867, p. 339). Sur le commerce de
céréales entre
[7] Sur les colonies des Syracusains, voyez SCHUBRING ap. Philologus, XXXII, p. 495.
[8] Camarina a été fondée 135 ans après Syracuse (THUCYDIDE, VI, 5. TH. MOMMSEN, Rœm. Gesch., I4, p. 145) dans une région malsaine, probablement, comme l’indique son nom, à la place d’un établissement phénicien.
[9] D. MUELLENHOFF, D. Alterthumskunde, I, 109.
[10] Έλυμοι (LYCOPHRON, 951. SERVIUS, Æn., I, 650).
[11] C’était un mélange d’indigènes, de Puniens et de Grecs asiatiques, à peine frottés de civilisation hellénique : de là l’épithète de βάρβαροι (SCYLAX, Perieg., 13). HOLM (Gesch. Sicil., p. 88) fait venir les Elymes du fond de l’Asie, en rapprochant l’Aphrodite d’Éryx de l’Artémis perse. Éryx et Ségeste sont des noms de lieux qu’on rencontre encore ailleurs.
[12] Mylæ = Cherronnesos (SYNCELL., p. 212 c. EUSÈBE, Chron. ad Ol. XVI, 1).
[13] D’après HOLM (op. cit., p. 136, 393) Himère a été fondée en 643 avant J.-C., parce que, dans DIODORE (XI, 49), l’année 489 est comprise dans le compte.
[14] D’après MOVERS (Colonien, p. 336) la légende des monnaies de l’ancienne Panorme est machanat-choschbim. L. MUELLER (Num. de l’anc. Afrique, II, 86) traduit par camp des Carthaginois.
[15] Lipara avec son στυπτηρίας μέταλλον (STRABON, p. 275. PAUSANIAS, X, 11, 3. HOLM, Gesch. Sicil., I, p. 141).
[16] Iolaos et les Iolæens (STRABON, p. 225 ; DIODORE, IV, 29. V, 15 ; PAUSANIAS, X, 17, 5). Cf. E. CURTIUS, Ionien vor der ionischen Wanderung, p. 30. 53. MOVERS, op. cit., p. 565. DONDORFF, Ionien auf Eubœa, p. 7.
[17] Rhodes, Rhodanusia (SCYMN. CHIUS, 208. STEPH. BYZ., s. v. STRABON, p. 654).
[18] THUCYDIDE, VI, 2.
[19] HÉRODOTE, I, 163.
[20] Bataille navale entre Phocéens et Carthaginois (HÉRODOTE, I, 166. THUCYDIDE, I, 13. Cf. CHR. ROSE, ap. Jahrbb. für kl. Philol., 1877, p. 251 sqq.).
[21] Fondation de Massalia (ARISTOTE, ap. ATHÉNÉE, p. 576. STRABON, p. 179-181. JUSTIN, XLIII, 3, 4-5).
[22] Sur le commerce de l’étain, voyez BRUECKNER, Hist. Reipubl. Massil., p. 57 ; sur le commerce de l’ambre, GENTHE, Etrusk. Tauschhandel, p. 17.
[23] Sur les deux Emporiæ, voyez STRABON, p. 159.
[24] HÉRODOTE, V, 9.
[25] MUELLENHOFF, op. cit.. p. 73. 121.
[26] STRABON, p. 159.
[27] STRABON, p. 156. Le Périple qui nous est parvenu sous le nom d’Avienus a été émit pour des touristes allant à Marseille (MUELLENHOFF, p. 201). Au temps où il fut composé, d’après Muellenhoff (p. 178), il n’y avait pas de colonies au sud des Pyrénées. Aussi, ce savant nie du même coup et la fondation de Rhodes par les Rhodiens, attribuée par Strabon et autres aux Massaliotes, et la dérivation de Sagonte venant de Ζάκυνθος. Eudoxe connaît Άγάθη (STEPH. BYZ., s. v.) ; Scylax. Έμπορίας Éphore, probablement toute la série depuis Mænake jusqu’à Rhodanusia.
[28] STRABON, p. 148. Sur les possessions coloniales des Tyriens dans la région, voyez MOVERS, Colonien, p. 594. MUELLENHOFF, op. cit., p. 123 sqq.
[29] HÉRODOTE, I, 163.