§ III. — ATHÈNES SOUS LES PISISTRATIDES. L’œuvre de Solon est le produit le plus achevé de la législation élevée à la hauteur d’un art. Comme en présence de toute œuvre d’art affinée à loisir, il fallait commencer par saisir les idées qui en sont l’âme. Mais ce n’était point un chef-d’œuvre destiné à être contemplé et à procurer aux connaisseurs de nobles jouissances : ce n’était pas non plus un système abstrait de sagesse humanitaire, mais bien un code de vie pratique, un plan destiné à être mis à exécution au milieu des orages d’une époque agitée, dans une société déchirée par les partis et, en se réalisant, a former, à anoblir, à rendre heureux les membres de cette société. Une œuvre semblable ne peut donc être appréciée que d’après l’histoire de l’État, comme on attend pour juger des qualités d’un navire qu’il ait fait ses preuves en pleine mer. Il serait cependant peu équitable de juger de la vitalité et de la valeur pratique de la législation de Solon d’après la période qui suit immédiatement. Si le grand homme d’État avait tenu à comprimer par des moyens rapides l’effervescence des partis, il aurait suivi le conseil de ceux qui s’attendaient à le voir mettre l’ordre dans la cité par les procédés familiers aux tyrans, à l’aide de soldats étrangers, à grand renfort de bannissements et d’exécutions militaires. Mais Solon comprit mieux que ses amis que les résultats obtenus par de pareils moyens risquaient de ne pas durer. L’histoire contemporaine démontrait assez clairement que ce que l’on fonde par la force est détruit par la force. Un homme qui, comme Solon, voulait non pas enchaîner, mais délier les forces humaines ; qui, au lieu d’élever le citoyen, à la mode de Lycurgue, uniquement en vue du rôle déterminé qui lui serait assigné dans sa propre cité, entendait lui apprendre à développer en lui toutes les vertus humaines et à se soumettre librement à la justice qui maintient dans l’État la cohésion des parties ; un tel homme devait se dire qu’il ne fallait pas compter à bref délai sur un résultat en proportion avec ses efforts. En revanche, Solon pouvait espérer que, sa législation entrant chaque jour plus avant dans les habitudes, le peuple athénien finirait par y reconnaître l’expression de ses meilleurs instincts, le langage de ses plus nobles aspirations, et y reviendrait toujours aux époques de calme. Il ne s’est pas trompé en cela, et son espoir a été réalisé au delà de toute attente. En dépit de toutes les fluctuations, sa loi est restée le terrain légal sur lequel reposait l’assise de l’État ; elle était comme le cri de la conscience athénienne qui ramenait toujours au bien, par une douce violence, l’humeur changeante du peuple. Solon ne se fit pas illusion : il savait que le moment présent ne promettait guère une accoutumance paisible à la pratique de ses règlements. Il fit ce qu’il put. Sa législation une fois acceptée en la forme constitutionnelle, on eut recours au délai décennal, dont le droit public d’Athènes faisait depuis longtemps grand usage, pour lui assurer l’obéissance durant un temps limité d’abord, mais, comme Solon l’espérait, avec d’autant plus de garanties de docilité. En attendant l’expiration du délai, rien ne devait être modifié : chacun devait suspendre son jugement et s’interdire de proposer au Sénat et au peuple quelque retouche que ce fût. Ce laps de dix années[1] dut être pour Solon, s’il resta à Athènes, une attente pénible. On est donc tout à fait autorisé à croire ce que ses biographes racontent, à savoir, qu’il est allé à l’étranger pour suivre de loin la marche des événements dans sa patrie. Il ne pouvait donner une meilleure preuve de son désintéressement, au sortir de son année de charge, durant laquelle il avait été le régent d’Athènes. Ces voyages du législateur en Égypte et en Asie ont donné lieu à une foule de récits qui sont dus, pour la plupart, à l’idée que les Grecs se faisaient de Solon. Solon était pour eux le type achevé de l’Hellène, et ils se représentaient comme atteint en sa personne le but de leur civilisation nationale. Mais, pour donner à ce sentiment toute la netteté dont l’esprit grec sentait le besoin, on mit en face du représentant de la race hellénique des étrangers célèbres, notamment le roi de Lydie, Crésus. Avec tous ses trésors, avec toute la magnificence de sa cour, Crésus ne pouvait arracher au simple bourgeois d’Athènes le moindre signe d’étonnement, le moindre hommage à son bonheur, et, à la fin, sur les ruines de sa splendeur, il était forcé de convenir que le sage Athénien avait raison quand il disait qu’il n’y a, pour les hommes qu’un seul bonheur véritable, c’est-à-dire, une vie innocente et une conscience pure devant les dieux. Les anciens ont déjà révoqué en doute l’entrevue de Solon avec Crésus, et, quand Plutarque cherche à accréditer l’anecdote en disant qu’elle répond parfaitement au caractère des interlocuteurs, il oublie que cette vérité intrinsèque, qui en fait le prix à nos yeux, est précisément ce qui en rend l’authenticité plus suspecte. E est, par conséquent, inutile de s’ingénier à lever la difficulté chronologique qu’elle soulève. Crésus n’est monté sur le trône que 23 ans après la fin des voyages de Solon (593-583), et il faudrait, par exemple, admettre des voyages accomplis les uns plus tôt, les autres plus tard[2]. Solon se trouve également mis en rapport personnel avec le roi Amasis (après 570) et avec des prêtres égyptiens, Senchis de Saïs, Psénophis d’Héliopolis, qui sont censés l’avoir renseigné sur les très anciennes relations de certaines tribus grecques avec le bassin du Nil[3]. En tout cas, ce qui se reflète dans ces traditions, c’est l’idée, d’ailleurs parfaitement juste, de la solidarité qui unissait alors les côtes de la Méditerranée, de la grande renommée de Solon et de l’intérêt très vif qu’il portait à la sagesse et aux souvenirs historiques de l’étranger. De toutes les accointances de Solon avec le dehors, la mieux attestée est son séjour à Cypre, où il fut l’hôte et le bienfaiteur du roi Philocypros[4]. Pendant que la renommée de Solon se répandait sur toutes les côtes de la mer grecque, des expériences douloureuses l’attendaient dans sa patrie. Il dut se convaincre que son traité de paix n’avait été qu’un armistice et que son labeur avait agi à peu près comme l’huile que le pécheur verse sur les flots pour les apaiser. Sur le moment, l’eau est unie et transparente, mais bientôt l’agitation recommence et les vagues s’entrechoquent comme auparavant. En Attique, il n’y avait pas d’oppositions aussi simples que dans les Etats doriens, où l’élément étranger et l’élément indigène se trouvaient l’un en face de l’autre. C’est pour cela que l’instabilité et les fluctuations durèrent si longtemps. Il y avait là plus de partis qu’ailleurs, et des partis moins homogènes. Leur force, leur influence, leur tendance même était sujette à varier, suivant le talent et la personnalité du chef. Il est à remarquer que les chefs de parti de quelque notoriété appartenaient tous aux familles aristocratiques. Cela prouve que le peuple était encore habitué à se voir dirigé et représenté par les hommes de la noblesse, mais aussi, que la noblesse était assez divisée, de son côté, pour être incapable d’agir avec entente et de restaurer l’ancien État eupatride. Parmi les familles nobles, c’étaient naturellement les plus riches qui avaient les moyens et l’ambition d’organiser des partis. C’étaient les maisons qui, en élevant des chevaux et remportant des prix avec leurs quadriges, s’étaient fait une situation exceptionnelle. Elles avaient contracté du même coup le goût de la domination, ce goût qui, à l’époque, était dans l’air et germait partout où l’esprit de parti avait remué le sol. Les membres de ces familles étaient les grands du pays ; c’étaient des hommes qui avaient une trop haute opinion d’eux-mêmes pour se soumettre à une justice égalitaire et bourgeoise, et cet instinct de rébellion se trouvait encouragé chez eux par leurs alliances avec les dynasties princières du dehors. C’est ainsi que Cylon s’était un jour lancé en avant avec son parti ; et il y avait là, caressant les mêmes rêves, les Alcméonides, les Cypsélides attiques, auxquels appartenait Hippoclide, la maison de Lycurgue et celle de Pisistrate. Les influences de race et de résidence contribuaient à accentuer cet antagonisme. Lycurgue, fils d’Aristolaïdas, appartenait à la noblesse indigène. Sa famille était installée, de temps immémorial, dans la grande plaine et se sentait appelée à représenter les intérêts des grands propriétaires. L’institution des naucraries avait rendu plus étroite la solidarité entre les maisons riches et la population d’alentour. Les familles venues du dehors et moins anciennes s’étaient établies plus près des frontières de l’Attique, dans des régions où la propriété foncière n’était pas aussi exclusivement la base des fortunes. Ainsi, les Pisistratides avaient assis leur foyer dans les montagnes de la Diacria. Ceux-là étaient amenés, par leur situation même, à frayer de plus près avec les classes les plus mobiles de la population. Les chefs des grandes maisons cherchèrent donc par tous les moyens à se faire des partisans ; ils se montrèrent de jour en jour plus habiles dans l’art d’attirer à eux les petites gens, en prenant la défense de leurs droits, eu les assistant de leurs conseils et de leurs démarches, en tâchant, à force de cadeaux et d’affabilité, de se faire passer pour des amis du peuple. Les différentes maisons rivalisaient de zèle sous ce rapport : elles tournaient de plus en plus aux coteries réciproquement hostiles ; chacune déployait son drapeau, et toute aspiration qui hantait les cerveaux populaires trouvait parmi elles son représentant. Seule, l’idée de la concorde n’en trouvait pas ; et Solon, qui avait compté, pour appliquer ses principes, sur l’accord des citoyens, se trouvait impuissant au milieu des partis en lutte. Il voyait l’œuvre de sa vie tomber en ruines sous ses yeux ; il voyait la destinée de sa patrie de nouveau suspendue aux hasards des luttes sanglantes et l’État pareil à un vaisseau qui, au moment d’entrer au port, se trouvait rejeté dans une mer en furie. Dans ces conjonctures, c’était un grand bonheur que le pays fût assez fortement unifié par le groupement de ses habitants autour d’Athènes et dans Athènes pour qu’il n’y eût pas de désagrégation à craindre. Il ne pouvait y avoir d’Attique sans Athènes. Sans elle, les différentes maisons qui avaient les moyens de se créer une tyrannie se seraient fait chacune un domaine à part. L’Argolide s’était émiettée de cette façon. Cette fois, il s’agissait seulement de savoir lequel des chefs de parti saurait exploiter sa situation avec le plus d’habileté et le moins de scrupules : celui-là devait élue maître d’Athènes et de l’Attique. Quand des partis sont aux prises, la plus grande chance de succès est toujours pour celui qui veut aller le plus loin et qui s’appuie sur la partie de la, population où s’est amassée la plus grande somme de mécontentement. Les mécontents étaient les pauvres gens, les bergers, les charbonniers, les vignerons de la montagne. Ils se croyaient trompés dans leur attente par Solon ; ils avaient compté sur des avantages plus matériels, sur le partage des biens, sur l’égalisation des propriétés foncières. Il y avait là des passions faciles à mettre en jeu, des gens qui n’avaient rien à perdre et tout à gagner : c’était tin milieu tout prêt à faire écho à une parole ardente. La parole n’avait nulle part plus de puissance que chez un peuple curieux et excitable comme les Athéniens. Aussi les Eupatrides attiques prenaient-ils depuis longtemps grand souci de se former à l’art de la parole, et la même puissance dont Solon avait usé pour le salut de la patrie allait maintenant servir aux visées égoïstes des chefs de parti. Homère vante Nestor, le sage de Gérénia, et il met les paroles emmiellées qui coulent de ses lèvres sur le mémo plan que les exploits d’un Achille et d’un Agamemnon. Les Pisistratides prétendaient descendre de Nestor, et ils pouvaient invoquer, comme preuve de cette glorieuse filiation, le talent de parole qui était dans leur famille un don héréditaire. C’était une famille de haut rang et de vastes relations, installée à Philaïdæ, près de Brauron[5] ; elle possédait des propriétés considérables et faisait paître dans la montagne, près de Marathon. les coursiers avec lesquels elle comptait remporter des couronnes sur les bords de l’Alphée. Le chef de la famille était cet Hippocrate dont on raconte qu’il avait consulté le dieu d’Olympie, à l’autel des Iamides, sur sa descendance, et qu’il avait reçu la promesse d’un fils illustre. Ce fils naquit vers 600 avant J.-C.[6] ; il reçut le nom de Pisistrate, qui était de tradition dans la famille des Néléides, et il justifia de bonne heure, par ses facultés brillantes, les espérances de son père. Au cours de la guerre contre Mégare, il trouva occasion de se signaler par la prise de Nisæa[7]. C’était un coup de main, tenté dans le but d’étendre la domination d’Athènes sur une région limitrophe que se disputaient les Ioniens et les Doriens. II était d’accord avec Solon, son parent du côté maternel[8], toutes les fois qu’il s’agissait d’ajouter, par quelque trait d’audace, à l’honneur de la patrie. Mais, lorsqu’il fallait que les grands du pays fissent le sacrifice de leurs intérêts personnels à l’amour de la patrie et à la paix intérieure, alors Pisistrate suivait son penchant ; il était trop gâté par le succès, trop habitué aux visées ambitieuses, pour se résoudre à n’être qu’un citoyen comme un autre. Il redoubla de zèle pour se recruter des partisans dévoués parmi les populations du Parnès et du Brilessos. Il prodiguait l’argent, ouvrait ses résidences, laissait ses jardins sans surveillance ; il ne se lassait pas de représenter aux petites gens leur situation besogneuse, leurs espérances déçues, et de faire miroiter à leurs veux un avenir séduisant. Il savait cacher son orgueil nobiliaire sous les dehors de l’affabilité la plus gracieuse et se donner pour l’ami désintéressé de tous les opprimés ; le charme de sa personne et de sa parole avait sur la foule un effet irrésistible ; c’est en lui qu’apparaît pour la première fois le type du démagogue athénien. Comparé à ses adversaires, il avait toutes les chances pour lui. Le parti des Pédiéens, dont Lycurgue était le chef, était bien aussi un parti compact et qui savait ce qu’il voulait. Mais il voulait plutôt rétrograder que marcher en avant ; il se composait de gens qui trouvaient que déjà Solon était allé trop loin ; ils n’avaient pas de but capable de les enthousiasmer et de les tenir unis pour l’action. L’intérêt de caste rapprochait seul les familles qui représentaient la grande propriété ; elles n’acceptaient pas de direction énergique, et les petits propriétaires ne pouvaient être tentés de risquer leur fortune et leur vie pour une cause qui leur était étrangère. La situation la plus étrange était celle des Alcméonides, les collatéraux de l’ancienne dynastie royale[9] et ceux de tous qui aspiraient avec le plus de passion à prendre dans l’État la première place. Depuis qu’ils étaient rentrés, ils se trouvaient dans une position des plus fausses. Ils ne pouvaient plus, en effet, marcher d’accord avec l’ancienne noblesse indigène qui les avait abandonnés : il y avait depuis lors, entre elle et eux, un abîme qui n’a jamais été comblé. Ils se sentaient, par conséquent, rejetés vers le parti du mouvement ; suais celui-ci, qui s’était grossi de bien des débris de la faction de Cylon, ne voulait pas entendre parler d’hommes qui avaient encore aux mains le sang des Cyloniens. Et cependant, rester dans une situation inférieure était, pour des Alcméonides, une chose impossible. Ils s’ingénièrent clone à se créer des relations au dehors et des ressources pécuniaires dépassant la mesure commune. Sous ces deux rapports, la famille eut un bonheur extraordinaire. Elle avait déjà utilisé son premier exil pour prendre pied à Delphes et pour se mettre eu renom. Alcméon était général dans la guerre sacrée ; il s’associa avec Sicyone, contracta une alliance de famille avec Clisthène, et se trouva par là entraîné dans une politique hostile à la noblesse et tournée aux nouveautés. Depuis 574 environ, Clisthène et Alcméon avaient un héritier commun, à l’avenir duquel il fallait songer. Les projets ambitieux allèrent ainsi toujours plus avant. Alcméon trouva moyen de rendre des services aux envoyés lydiens venus à Delphes : il fut invité à Sardes ; on lui ouvrit le trésor royal et il en revint le plus riche des Hellènes[10]. Quand Hérodote le représente la tunique et les chaussures bondées d’or, les cheveux saupoudrés d’or, les joues gonflées d’or, il nous donne un échantillon des facéties populaires qui avaient cours en ce temps-là. A partir de ce moment, l’éclat de la maison grandit tout d’un coup. Elle a maintenant les moyens de rivaliser, pour le luxe de la vie et l’élève des chevaux, avec les tyrans eux-mêmes. Mégaclès, le fils d’Alcméon et le gendre de Clisthène, prend ouvertement en Attique l’attitude d’un chef de parti. Comme le parti démocratique est aux mains de Pisistrate, il se crée une faction moyenne parmi les Paraliens, dans le district desquels il devait avoir la plupart de ses propriétés. Les Alcméonides avaient plus d’argent que leurs deux rivaux, mais ils inspiraient moins de confiance : ils avaient dans leurs manières quelque chose de raide et de hautain qui les empêchait de devenir populaires. En outre, ne fût-ce qu’à cause de la dispersion de leurs habitations, les Paraliens étaient peu propres à former un parti compacte ; ils vivaient aussi trop absorbés par leurs affaires et, en somme, trop satisfaits de leur sort pour tenir beaucoup à changer l’état de la société. Dans ces conditions, Pisistrate était supérieur à ses rivaux : il était personnellement le mieux doué, décidé à aller jusqu’au bout coûte que coûte, et son parti, composé de rudes montagnards au bras vigoureux, était le mieux organisé. Ainsi, Pisistrate devint le plus puissant chef de parti, l’homme le plus admiré et le plus détesté qu’il y eût à Athènes. Lorsqu’il vit tout préparé à point, il commença le jeu qui, avant lui, avait déjà conduit au but plus d’un ambitieux. On le vit déboucher un jour sur l’agora encombrée de monde, haletant, blessé, son attelage en sang. Il raconta à la foule qui se pressait autour de lui comment il avait échappé à grand peine aux embûches de ses ennemis, lesquels n’auraient point de repos qu’ils ne l’eussent mis à mal, afin d’anéantir du même coup tout ce qu’il se proposait de faire pour le bien du peuple. La foule une fois allumée par ce qu’elle voit et entend, un des partisans de Pisistrate, Ariston, saisit le moment favorable et propose au peuple assemblé de donner une garde au martyr de la cause populaire, pour préserver sa personne contre les perfidies du parti adverse[11]. Le pas le plus difficile se trouva ainsi franchi du premier coup. Les gens sérieux ne pouvaient être dupes ; mais, les uns étaient aveugles, les autres ne voulaient pas voir ; il y avait peu de vrais patriotes, et ceux-là étaient impuissants. Solon fut celui qui sentit le plus vivement le coup. Il allait çà et là dans le peuple, cherchant à ouvrir les yeux aux naïfs, à ramener les exaltés, à tirer les indolents de leur torpeur, avertissant, gourmandant : Chacun
de vous marche sur les traces du renard ; Mais,
pris ensemble, vous avez l’esprit léger. Car
vous regardez il la langue et à la parole chatoyante d’un homme, Et vous ne voyez pas l’action qui vient derrière. Pendant ce temps, Pisistrate marchait résolument à son but, la tyrannie. Le nombre de ses gardes du corps fut porté de 50 à 300 et 400 : à la fin, ce fut une bande de mercenaires, en nombre illimité, qui était à sa disposition et lui donnait une situation incompatible avec le principe fondamental de la constitution républicaine, l’égalité devant la loi. La conséquence immédiate fut que les autres grands du pays s’armèrent et se fortifièrent, soit pour s’emparer eux-mêmes du pouvoir, soit pour maintenir au moins leur indépendance. Il y avait en Attique un seigneur puissant et adversaire décidé des Pisistratides ; c’était le fils de Cypsélos, Miltiade. Songeant avec amertume au cours des événements qui l’empêchaient d’arriver à la renommée[12], il était assis un jour devant sa maison et, par la porte de la cour, regardait pensif dans la rue. A ce moment passe un groupe d’hommes en costume étranger, vêtus à la mode de Thrace, qui jetaient sur les maisons autour d’eux des regards timides et curieux. Ce qu’ils cherchent, on le voit bien, c’est un salut amical, c’est une porte ouverte. Miltiade les fait inviter à entrer et, selon la coutume de sa maison, offre aux étrangers l’hospitalité sous son toit. Personne n’a jamais été plus vite récompensé d’un bon mouvement. A peine les hôtes de Miltiade ont-ils franchi le seuil de sa porte qu’ils le saluent leur maître et lui rendent hommage comme à leur roi. C’étaient des députés des Dolonces qui habitaient la Chersonèse de Thrace, au bord de l’Hellespont. Assaillis par les tribus du nord, ils avaient senti le besoin d’un chef autour duquel ils pussent se grouper. Il leur fallait un homme qui, comme les rois de l’âge héroïque, pût fonder son autorité sur le prestige d’une civilisation supérieure, et c’est pour cela qu’ils avaient demandé à la Pythie de leur indiquer, parmi les Grecs, un homme à qui ils plissent confier leurs destinées. II leur avait été enjoint de suivre la Voie sacrée dans la direction d’Athènes et de confier, au nom de leur tribu, la dignité de prince au premier qui les inviterait à entrer. C’est ainsi que, par l’intermédiaire du sacerdoce delphique, lequel se montrait reconnaissant des grands services à lui rendus par Athènes, cette investiture extraordinaire échut à un Athénien de la famille de Cypsélos, à mi homme qui, depuis longtemps déjà, se sentait trop à l’étroit dans la république de Solon, et qui en trouvait le séjour tout à fait insupportable depuis qu’il lui fallait plier sous le joug détesté d’un de ses pairs. Pisistrate ne pouvait que souhaiter l’éloignement de son plus dangereux adversaire, et Solon passe pour avoir, lui aussi, favorisé l’entreprise de Miltiade[13], sans doute en vue du développement de la marine athénienne, pour qui il était extrêmement important de prendre pied sur les Dardanelles si l’on voulait soustraire ces parages à la domination de Mégare. C’était, en quelque sorte, la vieille querelle entre voisins qui se continuait dans les colonies. A coup sûr, Miltiade dut, emmener avec lui d’autres Athéniens, qui appartenaient à la clientèle des Cypsélides ou qui s’y adjoignirent à ce moment. Il est probable que toute cette affaire, où intervient l’influence de Delphes, fut considérée comme engagée par l’État et dirigée par lui[14], bien que Miltiade ne fût guère d’humeur à se laisser lier par une autorité étrangère et n’eût d’autre désir que de se chercher, pour lui et pour sa descendance, un nouvel établissement moins étroit d’horizon. La part que prit Solon à cette entreprise est la dernière trace de son intervention dans les affaires publiques. Tandis que Pisistrate cherchait à se débarrasser de ses autres contradicteurs par la violence et la ruse, il laissa Solon tranquille : il l’honorait mémo autant qu’il pouvait, satisfait de voir que son ambition n’avait rien à craindre de lui. En effet, à mesure que les haines devenaient plus âpres et le gouvernement plus tyrannique. la voix de la modération cessait de trouver un écho. Comme Solon répétait toujours les mêmes avertissements et toujours sans succès, on répondit au vieillard par des railleries. On haussait les épaules en présence du prophète de malheur, de l’idéologue de l’excellent homme retombé en enfance. A la fin, il se retira sans bruit dans sa maison, se confinant dans un petit cercle d’amis, jeunes et vieux, qui comprenaient son chagrin et à qui il pouvait léguer les trésors de sa sagesse. La semence déposée dans leurs cœurs n’est pas restée stérile. Il y eut des Athéniens qui, en dépit du désordre croissant, crurent fermement que les idées de Solon étaient le pressentiment de l’avenir et devaient se réaliser. De ce nombre était Mnésiphilos qui, à son tour. a élevé Thémistocle dans les principes de la politique de Solon[15]. Solon s’était habitué à ne pas faire dépendre son bonheur des circonstances extérieures : il vit, sans en être jaloux, le triomphe de ses adversaires, et l’ingratitude même du peuple ne put lui enlever cette sérénité d’âme qu’il garda jusqu’au bout et qui se reflète avec une netteté admirable dans ses poésies. Nombre
de méchants sont riches, alors que de braves gens sont pauvres : Mais
nous, nous n’échangerons pas avec eux La
vertu contre la richesse ; car, la vertu est chose à jamais stable, Les biens, au contraire, tantôt l’un, tantôt l’autre les possède. L’homme capable de penser et de chanter ainsi, dans l’allégresse d’une conscience pure, pouvait vivre sans envie et sans crainte dans la ville de Pisistrate. Lorsque le tyran désarma le peuple et occupa la citadelle. Solon déposa ses armes dans la rue, devant le seuil de sa porte[16]. Les séides du tyran n’avaient qu’à venir les prendre ; quant à lui, en guerre comme en paix, il avait servi son pays du mieux qu’il avait pu. Tandis que Solon, sans rien sacrifier de sa dignité et de son indépendance, restait à Athènes jusqu’à sa mort (559. Ol. IX, 2[17]), les chefs de parti et adversaires déclarés de Pisistrate durent quitter le pays pour attendre en lieu sûr des temps meilleurs. Ainsi, les Alcméonides prirent pour la seconde fois le chemin de l’exil : Lycurgue se retira également. Leurs coteries furent dispersées et, pour le moment, rien ne bougeait quand les soldats du tyran faisaient leurs rondes dans les rues de la ville intimidée. Cependant, le nouveau maître d’Athènes ne pouvait asseoir sur un premier succès un ordre de chose stable : ce n’était là que le commencement de nouvelles discordes civiles. En effet, la situation en Attique était telle que le parti dominant en avait deux contre lui et se trouvait menacé par leurs forces réunies. C’était surtout le parti moyen des Paraliens qui, suivant les circonstances, penchait tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, comme le voulait, du reste, la position équivoque des Alcméonides. Mégaclès chercha à s’entendre avec Lycurgue : en unissant leurs efforts, ils parvinrent à expulser Pisistrate avant qu’il eût eu le temps de consolider son pouvoir. Pisistrate dut évacuer Athènes : pourtant, il ne quitta pas le pays, mais se maintint dans les montagnes de la Diacria, en chef de bandes indépendant. Durant les années suivantes, ce fut donc en Attique une guerre ouverte ; les routes étaient peu sûres, la confiance publique ébranlée ; nul ne savait qui était le maître dans le pays. Pisistrate ne s’était pas trompé en supposant que ses adversaires ne resteraient pas longtemps unis. Il remarqua bientôt que les Pédiéens se serraient les uns contre les autres et laissaient de côté les Alcméonides avec leurs adhérents ; il arriva à la conviction que ceux-ci ne supporteraient pas de tels procédés ; il se rendit compte de leurs tendances, qui étaient démocratiques au fond, et put s’attendre à des ouvertures de leur part. Mégaclès envoya en effet un héraut dans la Diacria, et, renonçant pour son compte aux honneurs de la tyrannie, il fit offrir à Pisistrate la main de sa fille Cœsyra[18]. Pour réintégrer le chef banni, on ourdit une intrigue qui doit avoir été combinée par l’imagination inventive de Pisistrate. Il devait y avoir prochainement une fête d’Athéna, fête dans laquelle une procession solennelle s’acheminait de la campagne vers la ville et où la déesse elle-même, trônant sur son char, était représentée d’ordinaire, en chair et en os, par une jeune fille d’une taille et d’une beauté majestueuse. C’est arec ce cortége dont personne n’osait troubler la solennité, et comme conduit par la déesse elle-même qui se tenait à ses côtés, que Pisistrate rentra dans la ville et y reprit le pouvoir, appuyé cette fois par ses partisans et par ceux des Alcméonides. Mais cette alliance elle-même était contre nature. La fille de Mégaclès se sentit outragée dans la maison de son époux qui ne voulait pas avoir de postérité d’un tel mariage : le père s’aperçut qu’il n’était plus qu’un instrument aux mains d’un adversaire astucieux ; il eut la honte de voir raviver le souvenir de la malédiction lancée jadis sur sa famille et déjouer tous les plans sur lesquels il fondait l’avenir de sa maison. Sa colère éclata. Avant que Pisistrate fia assez fort pour se passer de l’argent et de l’appui des Alcméonides, il rompit avec lui, se rejeta. du côté des Pédiéens et sut en peu de temps renverser si bien les rôles que le tyran, suivi de sa bande, dut non seulement évacuer la citadelle et la ville, mais encore, s’éloigner de l’Attique. Pisistrate fut proscrit et ses propriétés vendues à l’encan par décret publie. L’incertitude du lendemain fit que personne n’osa se porter acquéreur, ii l’exception d’un seul homme, Callias, fils de Phænippos, qui eut l’audace d’acheter les biens du tyran fugitif, ne voulant pas que celui-ci put se vanter de tenir, même de loin, les Athéniens dans l’anxiété et la crainte[19]. Cette fois, on fut plus prudent. Tous ceux qui haïssaient le tyran resserrèrent leur ligue ; il se forma un parti solide de républicains constitutionnels auquel appartenait ce Caillas, le premier de sa famille, riche d’ailleurs et considérée, qui se soit fait un nom. Les Alcméonides se rallièrent à ce parti, ainsi que la plupart des grandes familles, de celles qui avaient été le plus lésées par l’installation de la tyrannie ; et, de cette façon, on parvint à rétablir à Athènes un ordre de choses assez stable pour que Pisistrate n’eut plus l’occasion de nouer de nouvelles intrigues. On dit mémo que, surpris de la ferme attitude des citoyens, il fut près d’abandonner tout espoir de retour. Néanmoins, il était bien difficile à une maison qui avait goûté le charme du pouvoir absolu de reprendre les habitudes de la vie bourgeoise. Les fils du tyran, alors dans toute la force de l’âge, étaient moins disposés que personne à renoncer aux espérances au milieu desquelles ils avaient grandi. Aussi, celui qui parla le plus haut dans le conseil de famille fut Hippias[20] Celui-là ne voulait pas entendre parler de renonciation. Le dernier échec, à l’entendre, était imputable à une étourderie. Les oracles divins, qui garantissaient à leur maison un avenir de grandeur, ne pouvaient tromper. Il n’y avait pas d’autre politique à suivre que de reconquérir une troisième fois, et avec des ressources autrement étendues, ce joyau du pouvoir qu’ils avaient déjà possédé cieux fois. L’éloquence d’Hippias ne rencontra pas de résistance sérieuse. La résidence choisie par les Pisistratides montre bien, à elle seule, qu’ils ne s’en allaient que pour revenir. Il se peut qu’ils aient d’abord été attirés à Érétrie par des relations de famille ; d’ailleurs, cette ville était en rapport, de temps immémorial, ne fût-ce qu’à cause du culte d’Artémis, avec le bourg natal des Pisistratides, Philaïdæ, et avec Brauron, le chef-lieu de cette région. Mais, ce qui les décida, ce furent des considérations politiques, des projets pour lesquels ils ne pouvaient trouver en dehors de l’Attique d’endroit plus favorable qu’Érétrie. Là, en effet, ils étaient près de leurs Diacriens ; de là, ils pouvaient observer tous les mouvements survenant dans ces cantons, les plus remuants de tout le territoire attique, et, le moment venu, se trouver prêts à agir par terre aussi bien que par mer. D’autre part, ils étaient là dans un centre de vastes relations commerciales ; ils avaient occasion de se mettre en rapport avec des ambitions de même nature, dans les îles ou même par delà la mer Égée, et de se procurer de nouvelles ressources, de nouveaux éléments de puissance. En effet, ils ne vivaient pas à Érétrie en simples citoyens, mais en princes qui, même détrônés et bannis, n’en suivaient pas moins avec une énergie opiniâtre la politique de leur maison. Ils tiraient de l’argent de leurs mines du Strymon, dont ils devaient probablement la possession à leurs attaches de famille, car c’est par Érétrie qu’avait été fondée tout une série de colonies sur le littoral de la Thrace. Ces ressources pécuniaires, s’ajoutant à leur prestige personnel, les mirent en état de se créer, même dans l’exil, une puissance avec laquelle des princes et des États ne dédaignaient pas de traiter. On croyait à leur avenir, et on leur prêtait volontiers de l’argent parce qu’on espérait le placer ainsi à gros intérêts. Les Thébains se montrèrent tout particulièrement disposés à fournir aux Pisistratides des subsides de toute espèce. A leurs yeux, le développement de la liberté civique dans le pays -voisin constituait un danger ; ils soutinrent le prétendant dans lequel ils voyaient le geôlier du Minos et dont ils espéraient obtenir, en échange de leurs avances d’argent, des concessions importantes. Il y eut aussi des relations entamées avec la Thessalie, avec la Macédoine, et même avec les villes du sud de l’Italie. Or, plus les ressources des conspirateurs s’accroissaient, plus ils trouvaient de volontaires prêts à les suivre, d’aventuriers entreprenants qui avaient été chassés de leur patrie à la suite de conflits analogues et qui comptaient y rentrer plus aisément s’ils associaient leur fortune à celle de Pisistrate. Parmi ces partisans, le plus considérable et le mieux accueilli était Lygdamis de Naxos. Il va de soi que Pisistrate ne rassemblait point de troupes pour le plaisir de les passer en revue sur sa place d’armes et de dissiper inutilement son argent ; il faisait tout ce qu’il fallait pour tenir ses bandes en haleine el les habituer à vaincre. Il tenait en état de blocus le littoral le long duquel résidait le parti adverse et le canal de l’Euripe. Il employait des marins et des vaisseaux à l’exploitation de ses propriétés du Strymon ; il faisait des coups de main hardis, pour accroître par là ses ressources, pour s’attacher plus étroitement ses hommes et pour attirer sur lui l’attention des Athéniens. Il est très probable que c’est vers ce temps qu’il faut placer ses entreprises du côté de l’Hellespont, entreprises qui mirent pour la seconde fois en contact Lesbos et Athènes. Athènes se trouvait depuis longtemps déjà en relation avec l’Hellespont. On avait compris l’importance des voies de mer ouvertes sur le nord, au point de vue de l’approvisionnement des grains, et on surveillait avec attention tout ce qui se passait dans ces parages, surtout les agissements des Mityléniens. Ceux-ci se trouvaient alors dans le plein épanouissement de leur culture intellectuelle, une culture à laquelle aucune autre branche de la tribu éolienne n’a pu atteindre. De puissantes familles de la classe noble y dirigeaient l’État, s’adonnaient à l’art et acquéraient des richesses en se livrant au commerce maritime. A la fin du VIIe siècle, elles cherchèrent à étendre leur domination sur le continent ; elles commencèrent à coloniser la Troade et à fonder un empire sur les deux rives du détroit. Des noms comme celui de Scamandronymos, dans la famille noble à laquelle appartenait Sapho, montrent à quel point on s’attachait aux souvenirs d’Ilion. Si l’on voulait créer un empire maritime, qu’y avait-il de mieux à faire que de fortifier Sigeion sur les bords de l’Hellespont ? Cette idée attira l’attention des Athéniens. Au milieu des troubles intérieurs qui les agitaient, une diversion au dehors leur parut avantageuse. Un général athénien, nommé Phrynon, qui avait remporté une victoire à Olympie en 636 (01. xxxvi), lit la guerre aux Mityléniens. Il périt dans un combat singulier livré à Pittacos, et, après d’interminables contestations dans lesquelles on eut recours à l’arbitrage de Périandre, les deux parties conservèrent les positions conquises ; mais Sigeion resta aux Mityléniens[21]. Après cette guerre (vers 608-606. Ol. XLIII, 1-2), des discordes civiles éclatèrent à Lesbos. Le parti conservateur et les masses avides de réformes se constituèrent en état d’hostilité permanente. Une tyrannie surgit, et les membres des grandes familles cherchèrent au loin honneurs et richesses. Antiménidas, frère d’Alcée, combattit en 604 (Ol. XLIV, 1) sous Nabuchodonosor contre Nécho d’Égypte[22]. Les tyrans indigènes, Mélanchros et Myrsilos, furent renversés par une alliance des nobles avec le peuple. Mais ensuite, tout comme à Athènes, les ultras et les modérés se séparèrent ; les haines de parti se montèrent à un degré de violence dont témoignent encore les poésies d’Alcée. Une partie des familles nobles furent bannies, et, lorsqu’elles voulurent rentrer de force, le chef des modérés, Pittacos, un homme qui avait les idées de Solon, fut mis, avec des pouvoirs étendus et le titre d’æsymnète[23], à la tête de la cité (Ol. XLVII, 3 ; 590 av. J.-C.) qu’il gouverna dix ans avec justice et sagesse. Après s’être démis de ses fonctions, il vécut encore dix ans en simple citoyen[24]. Peu de temps après sa mort, les querelles recommencèrent, et ce qui en résulta de plus important fut que Pisistrate s’empara de Sigeion. Cet événement doit être rapporté à la période initiale de sa tyrannie, et c’est pour cela qu’on peut le placer sans invraisemblance dans ces années où Pisistrate, établi en Eubée, parcourait avec ses vaisseaux et ses volontaires les mers du nord, et où il dut avoir à cœur de se signaler par d’heureux faits d’armes, pour montrer aux Athéniens comment, jusque dans l’exil, il avait souci de leur gloire et de leurs intérêts. Les années s’écoulèrent ainsi, sans que les Pisistratides songeassent sérieusement au retour. Enfin, la onzième année[25], encouragés par les prophéties de leurs devins, parmi lesquels Amphilytos d’Acharnæ leur inspirait une confiance particulière[26], ils se décidèrent à céder à l’impatience du bouillant Lygdamis. Une bande de mercenaires était arrivée d’Argos ; l’état de l’opinion à Athènes paraissait favorable : ils franchirent donc le détroit d’Eubée avec leur infanterie et leur cavalerie pour installer à Marathon un camp retranché. Leur armée grossissant tous les jours, ils poussèrent plus loin, contournèrent par le sud le Brilessos et, traversant les cantons qu’ils connaissaient le mieux et qui leur étaient le plus dévoués, ils s’avancèrent lentement dans la direction d’Athènes (541. Ol. LIX, 4). Une rencontre décisive eut lieu à Pallène, sur la hauteur où s’élevait le temple d’Athéna, situé près des passages qui séparent le Brilessos de l’Hymette. Pisistrate surprit les Athéniens au moment où ceux-ci prenaient sans défiance leur repas du matin. Il n’y avait pas à résister ; la victoire était à lui, et il était libre de se venger de ses adversaires. Mais il tenait à ce que sa victoire ne fit pas couler le sang et qu’il n’y eût point de lugubres souvenirs attachés au jour de son nouvel avènement. Montés sur des chevaux rapides, ses fils couraient après les groupes de fuyards, leur parlaient sur un ton amical et les engageaient à reprendre sans crainte leur train de vie ordinaire[27] C’est ainsi que Pisistrate rentra pour la troisième fois dans Athènes, avec une suite nombreuse et quantité de soldats étrangers qu’il distribua dans la ville et dans la citadelle. Les familles Eupatrides, qui étaient l’âme du parti adverse, s’enfuirent de l’Attique ; celles qui demeurèrent durent lui livrer, comme à un conquérant, leurs enfants en bas âge, et il transporta ces otages à Naxos pour les faire garder par Lygdamis, dès qu’il eut réintégré celui-ci dans son île. Cette restauration de Lygdamis fut la première de ses entreprises. Il devait avant tout se montrer l’allié fidèle de ceux qui lui avaient prêté un concours actif, et il ne pouvait trouver plus à propos l’occasion de signaler son avènement comme étant le début d’une nouvelle ère de gloire pour la cité athénienne qui, affaiblie par ses longues discordes, était bien déchue du rang qu’elle occupait parmi les cités grecques en sortant des mains de Solon. Pisistrate comprit, et en cela il voyait juste, qu’Athènes n’était pas appelée à devenir une puissance continentale, mais que son avenir était du côté de la mer Égée, surtout du côté des Cyclades qui ne semblaient pas devoir jamais, ni isolément ni distribuées dans leurs groupes naturels, constituer une puissance indépendante. Lors donc qu’il eut accompli avec succès l’expédition de Naxos, il profita de l’occasion pour affermir l’influence athénienne dans l’Archipel et se fit donner par l’oracle de Delphes mission de rétablir dans tout son éclat le culte de Délos. Délos était l’ancien sanctuaire national de la race ionienne installée sur les deux rivages de la mer Égée ; seulement, les villes d’Asie avaient cessé d’y apporter leurs hommages : durant les guerres maritimes, les anciens usages étaient tombés en désuétude, si bien que, pour citer un exemple, les alentours du temple étaient profanés par des sépultures. Pisistrate y prit donc le rôle d’un envoyé du dieu, d’un représentant de la pieuse cité d’Athènes, et, tandis que ses vaisseaux remplissaient la rade, il fit purifier sous ses yeux les alentours du temple, de manière que les prêtres et les hôtes venus pour fêter le dieu pussent offrir leurs sacrifices sans être dérangés et souillés par la vue des tombes[28]. En même temps, les anciennes relations entre Athènes et Délos furent rétablies avec apparat. Athènes, en qualité de protectrice du sanctuaire amphictyonique, s’attribua dans l’Archipel’ une sorte de primauté. Les revenus des mines du Strymon l’aidèrent à grossir sa flotte ; elle profita, pour étendre son commerce, de ses relations amicales avec les princes de la Thessalie et de la Macédoine, qui accordèrent toute espèce d’avantages aux navires athéniens fréquentant les golfes de Pagase et de Therma[29]. On renoua également avec Argos et Thèbes les rapports d’autrefois, et on se mit avec Sparte sur le pied d’une hospitalité amicale. Pisistrate n’était pas moins heureux les armes à la main. Sigeion avait été, pour ainsi dire, son cadeau de noces à la cité athénienne. Les Mityléniens eurent beau se maintenir dans le pays, bâtir le fort d’Achilleion pour tenir tête à la forteresse ennemie et revendiquer avec une opiniâtreté singulière leur droit de possession, Sigeion n’en resta pas moins aux mains des Athéniens qui se trouvaient, par là, les maîtres de l’Hellespont. Parmi les nombreux trophées qui, à la suite de combats heureux, avaient été appendus aux murailles du temple d’Athéna à Sigeion, figurait même le bouclier du poète Alcée[30]. Ainsi, les Athéniens avaient une forteresse à eux sur la plus importante route maritime du nord, et le tyran montra combien il y tenait en la donnant pour résidence seigneuriale à son fils Hégésistrate[31], absolument comme Périandre avait établi à Ambracie une branche collatérale de sa dynastie. On est étonné en voyant, avec quelle énergie et quelle prudence Pisistrate, dirigeait de tous côtés les affaires de sa politique, et avec quelle rapidité Athènes, au sortir de ses discordes intérieures, reconquit, après la troisième restauration du tyran, un rang glorieux parmi les cités grecques. On sentait qu’elle avait à sa tète un prince de race et un vrai général. Ce qui était infiniment plus important encore, c’était l’attitude du tyran en ce qui concerne les affaires intérieures. Il se gardait bien de renverser la constitution d’Athènes ; au contraire, il laissa en vigueur les ordonnances de Solon[32]. Solon avait partout tenu compte de la marche raisonnable et nécessaire du progrès politique qui était, au fond, la cause du mouvement d’où sortit en Grèce la tyrannie. C’est pour cela que des tyrans modérés et sages pouvaient gouverner avec ses lois. Pisistrate honorait la mémoire de son parent, qu’il avait fréquenté de bonne heure et dont il connaissait bien les pensées, en appliquant et recommandant ses règlements, eu tant qu-ils étaient compatibles avec son autorité à lui. Il se soumettait lui-même aux lois, et on dit qu’il comparut de sa personne devant l’Aréopage, sous le coup d’une accusation, pour s’entendre juger[33] ; de telle sorte qu’en somme son gouvernement a beaucoup contribué à familiariser les Athéniens avec la pratique de leurs lois. Il ne montra pas, il est vrai, le même scrupule en ce qui concerne l’argent dont il avait besoin pour l’entretien de ses troupes, pour ses bâtiments et pour les fêtes publiques : il le préleva en vertu de soli pouvoir tyrannique, en soumettant à la dîme les propriétés foncières des citoyens[34]. Les nouvelles dispositions et mesures édictées par lui avaient aussi un caractère de sage douceur[35] et se trouvaient d’accord avec l’esprit des lois de Solon. Ainsi, il fit un devoir à la société de prendre soin de ceux qui avaient été blessés à la guerre et des familles de ceux qui étaient restés sur le champ de bataille[36]. Il prit un soin tout particulier de l’éducation et de la moralité publique, maintenant les saines traditions qui consistent dans le respect des jeunes gens pour les vieillards et la révérence de tous pour les sanctuaires. Il porta une loi défendant de se tenir oisif par les rues[37], et, bien qu’il dût lui-même sa grandeur aux foules de l’agora, aux campagnards venus de leurs districts ruraux, il trouva à la fin que la masse croissante de la population urbaine devenait un danger. En Attique comme dans tous les pays de race ionienne, chacun aspirait à mener l’existence des grandes villes. Pisistrate voulut enrayer ce mouvement, à l’exemple de Périandre et des Orthagorides[38], en rendant plus difficile la transplantation dans la capitale. Il chercha à relever la classe des paysans, que Solon avait sauvée de l’anéantissement, et à encourager le goût de l’agriculture. Pour que la population n’en vint pas à former une masse indivise, il accusa les distinctions de classes ; il aurait même, dit-on, prescrit aux gens de la campagne un costume spécial, pour les empêcher de se montrer dans -la ville, genre de contrainte auquel il n’a dû avoir recours que vers la fin de sa tyrannie. Ce qui est certain, c’est que, par quantité de sages règlements, il a donné à l’agriculture[39] aux plantations d’arbres, et spécialement à la culture de l’olivier[40], une impulsion remarquable ; c’est qu’il a prévenu, dans la mesure de ses forces, la formation d’un prolétariat urbain, l’engouement exclusif pour le commerce et l’industrie, et, du même coup, les dangers inséparables d’un pareil ordre de choses. Durant ce temps, la ville elle-même avait subi des remaniements considérables. A l’origine, la ville et la citadelle ne faisaient qu’un, et tout ce qui maintenait la cohésion de l’État se trouvait réuni sur le rocher de l’acropole. Mais, depuis le temps de Thésée, depuis que les grandes familles avaient quitté la campagne pour se grouper autour de la citadelle de Cécrops, elles s’étaient bâties des demeures au pied, du côté du midi. Là, elles avaient l’air frais de la mer, la vue du golfe et des navires ; là, elles étaient aussi près que possible de la rade de Phalère. C’est donc du côté du sud qu’étaient situés aussi les plus anciens sanctuaires de la ville basse, ceux de Zeus Olympien, d’Apollon Pythien, de Déméter et de Dionysos. Au-dessous de l’Olympiéon coulait la source de Callirhoé, qui se jette directement dans l’Ilissos. C’était là que, depuis des siècles, les filles el les servantes des Eupatrides allaient puiser l’eau à boire ; là aussi que, dans le lit spacieux et le plus souvent à sec du ruisseau, étaient aménagés les lavoirs, et que, par conséquent, les vieilles légendes plaçaient les histoires de, jeunes filles enlevées par des pirates. Le marché de cette Ville-Vieille ou Cité d’Athènes ne pouvait être placé ailleurs qu’à la montée qui donne accès à l’acropole du côté du midi. Il y a là une large pente où aboutissent les routes de terre et de mer. C’est là que, les jours de marché, les gens de la campagne venaient vendre leurs denrées ; c’est là que les citoyens d’autrefois se réunissaient. Ils délibéraient en commun sur une terrasse voisine, le Pnyx, d’où l’on domine le quartier bas. Mais, à mesure qu’Athènes tendait à devenir le cœur du pays, à mesure que les métiers lucratifs s’y multipliaient, la population y affluait d’autant. Les districts des environs se changèrent en faubourgs ; et ces faubourgs formaient une sorte de contraste avec l’ancienne Athènes dont une partie s’appelait, à cause des familles nobles qui étaient installées, Kydathénæon ou l’Athènes d’honneur. Le plus important de ces faubourgs était le Céramique, qui devait son nom à ses potiers[41]. Il s’étendait depuis le bois des Oliviers jusqu’au flanc nord-ouest de l’acropole. Cette région était le principal foyer des revendications populaires qui avaient disputé aux Eupatrides le droit de se considérer comme formant à eux seuls la bourgeoisie athénienne. Là, habitaient des gens qui devaient leur aisance à leur industrie, car les poteries attiques étaient partout demandées et constituaient le premier article d’exportation pour l’industrie indigène. Le Céramique avait vu commencer les agitations populaires : il avait été, par conséquent, le berceau de la tyrannie. Cette partie de la ville resta, en dépit des mesures restrictives prises par le tyran, le quartier le plus animé de la ville. La population s’y accroissait d’une façon continue, tandis que le quartier sud devenait de plus en plus un accessoire, parce que l’émigration, les sentences d’exil, le renversement complet des conditions sociales le dépeuplaient peu à peu, et que le mouvement commercial se reportait vers le côté nord. C’est probablement vers le temps de Pisistrate que le marché de cette ancienne bourgade suburbaine — car chaque bourgade, en Attique, avait le sien — fut pris pour être le marché ou agora de la ville[42]. Un pareil changement indiquait assez sur quelle partie de la population reposait l’avenir de la cité. A cette innovation se rattache une série de mesures complémentaires qui ont eu toutes pour but de donner à. Athènes une physionomie nouvelle. Les Pisistratides avaient trouvé la ville dans un désordre qu’explique sa croissance rapide : c’était un assemblage de quartiers juxtaposés, sans lien entre eux. Les aristocraties cherchaient partout à maintenir une séparation entre la ville et la campagne : l’intérêt des tyrans était, au contraire, d’abattre toute barrière de ce genre, pour effacer aussi de ce côté les vieilles traditions, pour réunir en un tout de création nouvelle les hautes et les basses classes, les anciens et les nouveaux citoyens, les citadins et les paysans. C’est pour cela qu’ils réunirent Athènes avec les bourgs par des routes allant dans toutes les directions ; le parcours de ces routes fut tracé avec soin, et elles convergeaient toutes vers le Céramique, au milieu duquel fut élevé un autel des douze dieux[43]. De ce point, qui était le nouveau centre de la ville et du pays, on mesura les distances des diverses bourgades, des ports, des principaux sanctuaires de la patrie commune. On dressa le long des routes des pierres, non pas des pierres milliaires d’un modèle uniforme, mais des œuvres d’art, des hermès de marbre, placés enfles endroits commodes où l’ombre invitait le passant à s’asseoir. Sur l’épaule droite de l’hermès, un hexamètre énumérait les localités desservies par la route ; sur l’épaule gauche, un pentamètre offrait au voyageur une courte sentence, un salut doublé d’un bon conseil, qu’il emportait avec lui[44]. Ainsi, le pays tout entier, qui avait tant souffert de ses longues discordes, non seulement retrouva. le repos et la sécurité, mais prit un aspect d’ordre, une physionomie philanthropique et hospitalière ; et chaque voyageur entrant en Attique sentait qu’il avait mis le pied sur un sol où toute la vie des citoyens était pénétrée des principes d’une culture supérieure. A ces magnifiques travaux, dont l’initiative revient surtout à Hipparque, le promoteur actif et méritant de la civilisation dans le pays .tout entier, il faut ajouter les grands aqueducs qui amenaient l’eau potable des montagnes à la capitale par des conduits souterrains creusés dans le roc. Pour pouvoir surveiller partout et ; nettoyer ces canaux, on avait, de distance en distance, percé à travers le roc des soupiraux par où l’air et la lumière pénétraient dans les tranchées obscures. En arrivant aux portes de la ville, le torrent dérobé à la montagne se déversait dans de grands bassins de pierre où l’eau se clarifiait avant de se distribuer dans la ville et d’alimenter les fontaines publiques. Ces admirables ouvrages, qui ont fonctionné jusqu’aujourd’hui. sans interruption, datent, pour la plus grande partie, du temps des tyrans. Une preuve entre autres, c’est que c’est Pisistrate qui a décoré Callirhoé d’un portique à colonnes et d’un déversoir à neuf bouches[45]. C’était en quelque sorte un remerciement offert par lui, au nom du peuple, à la source qui avait si longtemps désaltéré la ville, pour ses bons et loyaux services. En même temps, comme on n’avait plus besoin d’elle pour la consommation journalière, on en fit une source sacrée, et son eau fut réservée exclusivement aux cérémonies du culte. Pisistrate gouvernait Athènes ; mais il ne portait aucun titre au nom duquel il entendît revendiquer une souveraineté absolue. II avait, il est vrai, fondé sa domination sur la force. II gardait même à son service une armée de mercenaires qui, dépendant uniquement de lui, n’ayant rien à voir avec l’opinion publique, pouvait d’autant mieux comprimer toute tentative de soulèvement que la plus grande partie de la bourgeoisie était désarmée, que le chiffre de la population urbaine avait diminué, et que l’attention publique se trouvait détournée des affaires politiques, soit par l’impulsion donnée à l’agriculture, soit par les travaux et embellissements de la ville. Pourtant, l’organisation des magistratures officielles resta ce qu’elle était. Seulement, Pisistrate avait soin qu’il y en eût toujours une aux mains d’un membre de sa famille[46], et, comme il s’entendait à merveille à étouffer chez les siens toute dissidence d’opinions, il en résultait que la maison régnante formait aux yeux du peuple un seul corps animé d’un même esprit. C’est dans ce sens qu’on parlait du gouvernement des Pisistratides, et on ne pouvait s’empêcher de rendre hommage aux aptitudes multiples qui caractérisaient cette famille. C’était un sage conseil que les anciens maîtres de la science politique donnaient aux tyrans en leur recommandant de donner autant que possible à leur autorité le caractère de l’ancienne prérogative royale, afin de faire oublier que l’usurpation était l’origine de leur pouvoir[47]. Aussi, Pisistrate ne voulait pas, comme les Cypsélides et les Orthagorides, rompre avec le passé : il aimait mieux se donner pour le continuateur de l’ancienne et glorieuse histoire du pays, pour le sauveur qui, après les maux déchaînés sur l’Attique par la domination égoïste de la noblesse, venait lui rendre le bienfait d’une autorité unitaire et placée au-dessus des partis. Il se croyait particulièrement qualifié pour ce rôle, en raison de sa parenté avec l’ancienne dynastie royale. Pour cette raison aussi, il avait sa demeure sur l’acropole, à côté de l’autel de Zeus Herkeios, le foyer domestique des anciens rois, et, du haut de ce rocher, alors d’accès incomparablement plus difficile qu’après la construction des Propylées, il surveillait la remuante cité[48]. Cette résidence suffisait déjà pour le mettre en rapports intimes avec la déesse de l’acropole et avec ses prêtres. Depuis l’attentat de Cylon, Athéna elle-même avait, pour ainsi dire, pris parti dans les luttes intestines, et les anciennes familles, qui étaient attachées aux sanctuaires des dieux par des sacerdoces héréditaires, ne pouvaient faire autrement que de se ranger du côté des adversaires des Alcméonides. Aussi les Pisistratides avaient-ils, par deux fois, choisi pour rentrer le jour d’une fête d’Athéna. Pour le même motif, le tyran, une fois bien installé et tranquille sur l’acropole, s’occupa avec une attention particulière du culte d’Athéna. Il renouvela l’ancienne fête estivale des Panathénées, comme pour copier Thésée dont il avait déjà suivi les traces en rétablissant la solennité de Délos. Il institua pour les fêtes d’Athéna un cycle quadriennal[49], afin d’avoir, chaque cinquième année, une cérémonie plus brillante dont il élargit le programme pour y intéresser plus de monde. En effet, tant qu’il n’y avait que des concours équestres, les riches pouvaient seuls y prendre part. Dès 566 (Ol. LIII, 3), on y introduisit des exercices gymnastiques[50] : la fête populaire accueillit aussi le débit des rapsodes, et ces tournois poétiques, non seulement ouvrirent au talent un plus libre accès, mais ajoutèrent encore à la fête elle-même un ornement nouveau et significatif. Pisistrate obtint par là le double avantage d’entendre célébrer devant le peuple ses ancêtres, immortalisés par Homère, et de rajeunir les souvenirs de la royauté héroïque, qui lui tenaient à cœur. En outre, les quartiers nouvellement annexés et les anciens faubourgs avec les artisans qui les habitaient furent entraînés dans le mouvement joyeux des fêtes publiques : la large rue qui joignait le Céramique du dedans à celui du dehors devint le théâtre d’une course aux flambeaux qui, tant que dura l’Athènes antique, resta la plus aimée des réjouissances populaires[51]. Enfin, il doit y avoir un rapport entre la rénovation des Panathénées et la construction d’un nouvel édifice destiné aux fêtes, de l’Hécatompédos, ainsi appelé parce était large de 100 pieds. Ce n’était pas un édifice servant au culte : aussi n’était-il pas bâti, comme le temple d’Athéna Polias, à la mode ionienne, mais de style dorien. Il servit sans doute, dès le début, à garder les trésors de la patronne de la cité ; un nouveau local était d’autant plus nécessaire pour cet office que, précisément, les Pisistratides déployaient plus de zèle pour augmenter les revenus de la déesse. Ils n’ont certainement pas manqué de convertir en riches présents la dîme du butin de leurs victoires, et on attribue expressément à Hippias un règlement en vertu duquel, pour chaque naissance et chaque décès en Attique, on portait à la prêtresse d’Athéna une mesure d’orge, une mesure d’avoine, et une obole[52]. Les Pisistratides administraient eux-mêmes les fonds sacrés, et ils mettaient sous la protection de la déesse de l’acropole leurs propres trésors, dont faisaient partie leurs archives de famille et leurs collections d’oracles. Il semble bien que le mois des Panathénées, l’Hécatombæon, mis hors de pair par le nouvel éclat dont il brillait, est devenu vers cette époque le premier mois de l’année attique[53]. L’image de la déesse ornait la face des monnaies, Pisistrate continuant en cela un usage introduit avant lui[54]. Le culte d’Athéna recommandait, par surcroît, la culture de l’olivier, arbre dont les tyrans s’occupèrent avec prédilection. On sait, du reste, qu’ils ne négligeaient rien pour encourager l’agriculture en général et pour soutenir les paysans dans leur labeur. Nous voyons ainsi confirmés, par une série de faits, les rapports étroits et de grande conséquence qui rattachaient à Athéna Polias les Pisistratides, en leur qualité de seigneurs royaux de l’acropole, de gardiens du sanctuaire, d’ordonnateurs des solennités périodiques, et de tuteurs fidèles de la prospérité nationale fondée par la déesse elle-même. Un autre culte, auquel les tyrans donnèrent une importance nouvelle, fut celui de Dionysos. Ce dieu des paysans fait partout contraste avec les dieux des familles chevaleresques ; aussi fut-il favorisé par tous les souverains qui cherchaient à briser la puissance de l’aristocratie. Pisistrate tenait encore à Dionysos par un lien particulier, car les pays vignobles de l’Attique étaient précisément les hauteurs de la Diacria, notamment Icaria, non loin de Marathon, et dans le voisinage, Semachidæ : Brauron était aussi renommée depuis l’ancien temps par ses fêtes bachiques[55]. C’est donc le pays natal des Pisistratides qui était le séjour du Dionysos attique : c’est de là que se répandaient à travers l’Attique les fêtes des vignerons et des pressoirs, les réjouissances des jours où l’on goûtait le vin nouveau, tous amusements qui égayaient la morte saison et faisaient oublier les distinctions de rang. Aussi, les tyrans se montrèrent pleins de zèle pour le dieu démocratique. Ils le mirent en honneur à Athènes et en vinrent à un tel degré d’intimité avec leur compatriote que Pisistrate osa, dit-on, ériger à Dionysos une statue dans laquelle on croyait reconnaître ses propres traits[56]. Par la lustration de Délos, les Pisistratides avaient déjà offert à Apollon, l’ancêtre divin des vieilles familles ioniennes, un hommage éclatant. A Athènes même, dans le quartier du sud-est, ils embellirent et agrandirent le domaine du dieu pythien qui, depuis Solon, était devenu un dieu révéré de la cité entière. Là, Pisistrate, petit-fils du tyran, consacra en mémoire de son archontat l’autel dont Thucydide a copié l’inscription à demi effacée, conservant ainsi à la postérité un des plus anciens documents de l’histoire attique[57]. Certainement, cette dédicace a rapport à l’institution des processions apolliniennes qui maintinrent Athènes en relations avec les deux foyers principaux du culte d’Apollon. Dans ce même quartier, Pisistrate commença la construction du temple de Zeus, dont l’emplacement était un des lieux les plus saints qu’il y eût sur le sol de l’Attique, car on montrait là le gouffre par où, suivant la légende, les eaux s’étaient écoulées après le déluge de Deucalion. On éleva en cet endroit, en l’honneur du plus ancien culte d’Athènes, de celui qui tenait unies toutes les classes de la société, un temple qui devait être la grande œuvre, le monument de la tyrannie, comparable à l’Artémision d’Éphèse et à l’Héræon de Samos[58]. Dans la partie nord-est de la ville fut aménagé, en l’honneur d’Apollon, le Lycée, avec de grands espaces pour les exercices de la jeunesse[59]. Du côté de l’ouest, le double Céramique fut remanié et embelli, ainsi que les faubourgs avoisinants, surtout l’Académie, un terrain bas, planté d’arbres, voué au culte d’Éros, qui devint un lieu de plaisance de plus en plus fréquenté par les Athéniens[60]. Ainsi, la vie publique des Athéniens fut remplie d’excitations diverses et transformée de toutes manières. Athènes devint une ville nouvelle, au dedans comme au dehors. Avec ses chaussées militaires et ses rues neuves, ses places, gymnases, fontaines et aqueducs, avec ses nouveaux autels, ses temples tout nouvellement bâtis pour des cérémonies nouvelles, la ville prit dans la foule des cités grecques une place d’honneur, et les Pisistratides ne négligèrent rien pour lui donner, en la mettant en relation de mille manières avec les Îles et les côtes de la mer Égée, un rôle digne de son apparence. Pour cela, il ne suffisait pas que les Athéniens eussent la haute main sur Délos, sur Naxos, sur l’Hellespont ; ils devaient encore s’approprier les trésors intellectuels du rivage opposé, où le génie hellénique avait le plus heureusement déployé ses aptitudes, et en enrichir leur propre existence. C’est dans ce but que déjà Solon avait attiré à Athènes les rapsodes homériques et avait porté leurs récitations publiques au programme des fêtes. Pisistrate, pénétré de l’importance de la question, tourna ses efforts dans le même sens, non plus sans doute, comme Solon, par pur amour de l’art, mais avec une arrière-pensée d’intérêt personnel. En effet, il mettait ainsi en lumière la gloire de ses aïeux et les titres de sa maison, dont la grandeur passée légitimait la domination présente ; de sorte qu’Homère était destiné à appuyer ici les prétentions d’un tyran, comme il avait servi à Sparte à consolider le trône des rois légitimes. Il n’est pas jusqu’au pays natal des Pisistratides qui n’eût sa part dans les souvenirs homériques, caria légende plaçait à Brauron le sacrifice d’Iphigénie, et c’est même à cause de cela que l’on choisit le jour de la fête d’Artémis Brauronia pour faire réciter sur l’acropole les chants épiques[61]. Ces chants s’étaient jusque-là transmis de bouche en bouche. Il y avait des écoles de chanteurs, dispersées de toutes parts, où l’élite des enfants de l’Hellade se donnait pour mission de conserver ce trésor national. Cependant, si fidèle que fût leur mémoire, il était impossible d’éviter que la tradition orale ne subit des altérations de tente espèce, que le fonds primitif ne fût défiguré, le texte authentique perdu à force d’interpolations, et que l’ensemble, la propriété collective la plus importante de la nation hellénique, ne s’en allât en miettes. Le péril était d’autant plus imminent que les temps devenaient plus agités, que les États s’isolaient davantage les uns des autres en suivant des directions divergentes, et que les préoccupations de l’âge moderne prenaient le pas sur les souvenirs. On considéra donc comme un devoir pour l’État de parer au danger et d’accomplir une tâche à laquelle ne suffisaient pas les forces des individus. L’État, du reste, s’y trouvait directement intéressé, depuis que le débit des poésies homériques figurait parmi les exercices des fêtes officielles. Le grand mérite de Pisistrate est d’avoir compris que rien ne pouvait assurer aux Athéniens une renommée plus grande et plus durable que l’exécution de cette tâche. Il convoqua donc un grand nombre de savants et leur confia le soin de rassembler et de comparer les textes rapsodiques, de les trier pour en éliminer les surcharges, de réunir les fragments dispersés, de faire enfin de l’épopée homérique un ensemble et comme un grand dépôt des traditions nationales fixées sous une forme universellement acceptée. Ainsi travaillèrent, sous la présidence du régent, Onomacrite d’Athènes, Zopyre d’Héraclée, Orphée de Crotone. Ils formèrent une commission scientifique[62] dont les travaux embrassèrent un vaste domaine, car ils révisèrent non seulement l’Iliade et l’Odyssée, mais encore l’épopée de l’âge suivant, c’est-à-dire, les chants des poètes dits cycliques, qui s’appuyaient sur l’Iliade et l’Odyssée et en formaient le complément. Enfin, à côté du trésor de l’épopée ionienne, mis tout entier sous le nom d’Homère, ils placèrent Hésiode et les poésies religieuses. Pisistrate prit une part directe au travail, et l’on sent encore, çà et là, le caractère de la tyrannie aux modifications, omissions ou interpolations qui furent faites pour flatter son goût ou servir ses desseins politiques[63]. C’est ainsi, par exemple, que, pour attester par une sorte de document juridique un droit qu’Athènes aurait eu de temps immémorial sur Salamine, les Salaminiens furent incorporés au contingent athénien dans le dénombrement des vaisseaux[64]. Le but principal fut complètement atteint. La branche la plus importante de l’art poétique qui se soit épanouie chez les Hellènes, l’épopée des écoles ionienne et béotienne, se trouvait transplantée à Athènes. Athènes vit, naître du même coup une philologie hellénique, car, au cours de la compilation, la faculté critique s’éveilla, elle aussi : en colligeant, on fut conduit à séparer le vrai du faux, le fonds ancien de l’apport nouveau. Sans doute, la partie scientifique du travail ne put être menée avec une méthode rigoureuse ; mais il n’en reste pas moins acquis que les Athéniens ont été les premiers à apprécier la valeur des poésies homériques, considérées comme trésor national. C’est chez eux que l’écriture a été, pour la première fois, employée à’ préserver des dangers d’une transmission purement orale une propriété appartenant à la nation et dont la perte eût été irréparable. Sans distraire le moins du monde ces chefs-d’œuvre de la circulation et de la vie ordinaire, le texte écrit permit d’en tirer un bien plus grand parti pour les fêtes de la cité et pour l’éducation de la jeunesse. La ville de Pisistrate eut l’honneur d’avoir, pour ainsi dire, donné des lois au monde de la poésie nationale : grâce à son chef, il y eut désormais un Homère et un Hésiode qu’on put lire, dans une teneur identique, d’un bout à l’autre du monde grec. Les collections et les recherches remontèrent, au delà d’Homère, jusqu’aux plus anciennes sources de la théologie hellénique, que l’on disait avoir été constituée par l’aède de Thrace, Orphée. Remaniée par Onomacrite, cette tradition devint un formulaire nouveau de sagesse mystique et fut utilisée en même temps pour donner au culte favori de la dynastie, au culte de Dionysos, un surcroît d’importance[65]. A ces textes s’ajouta une collection d’oracles à laquelle les Pisistratides attachaient un prix particulier, ainsi qu’un classement des documents historiques, entre autres, des listes généalogiques[66]. En effet, fiers comme ils l’étaient de leurs aïeux, les Pisistratides devaient tenir avant tout à restaurer leur arbre généalogique, d’une façon aussi complète et aussi certaine que possible, jusqu’au temps de Nélée. De là aussi, sans doute, la première ébauche d’une chronologie destinée à relier l’âge homérique au présent. On dut commencer déjà à calculer, en remontant à partir du premier archonte décennal, l’époque de l’invasion dorienne qui avait déterminé les ancêtres de Pisistrate à transporter leur foyer à Athènes. Ainsi, Athènes devint un centre d’érudition et de travaux scientifiques. Quiconque voulait avoir une idée d’ensemble de ce qui valait la peine d’être retenu, de ce qui avait été composé en langue grecque, de ce que les anciens avaient pensé concernait les dieux et la morale, en un mot, de ce que l’on avait reçu du passé, devait se transporter à Athènes. C’est là, dans le palais de Pisistrate, que se trouvait rassemblé le trésor entier, là qu’on trouvait les œuvres des sages et des poètes de la nation rangées côte à côte en rouleaux soigneusement écrits et de belle apparence. Mais, on n’entendait pas seulement emmagasiner ce qui restait de l’ancien temps ; on voulait aussi encourager l’art vivant et en posséder à Athènes les maîtres, surtout ceux de l’art lyrique qui avait succédé à l’épopée et qui, au temps des tyrans, était en pleine floraison. Les lyriques étaient plus aptes que personne à rehausser l’éclat des cours et à donner aux fêtes princières un air de grandeur : aussi étaient-ils mandés d’un palais à l’autre. C’est ainsi que les Pisistratides envoyèrent leur galère officielle pour amener à Athènes Anacréon de Téos, le joyeux poète et familier de Polycrate[67]. C’est ainsi que Simonide de Céos et Lasos d’Hermione vécurent à la cour des tyrans, devenue le séjour des Muses. Lés Pisistratides firent davantage. Des germes tout nouveaux de poésie nationale s’épanouirent sous leur règne et par eux. Ils étaient pleins de zèle pour le culte de Dionysos, et les fêtes du dieu s’embellirent non seulement de danses chorales et du chant choral du dithyrambe, inventé par Arion et perfectionné par Lasos, mais encore de représentations mimiques où paraissaient des chœurs masqués et des coryphées qui se séparaient des chœurs pour jouer un rôle distinct, qui leur parlaient et engageaient avec eux des conversations dialoguées. Ainsi se développa une action, un drame qui, une fois créé, s’affranchit bientôt des légendes bachiques et changea de sujets comme de masques. Peu à peu, le cycle entier des légendes héroïques fut mis à contribution et traduit en action dramatique. Le fondateur de ce ballet dionysiaque fut Thespis d’Icaria. Ainsi, les Pisistratides rassemblèrent et fixèrent les échos laissés derrière elle par l’épopée ; ils protégèrent l’art alors florissant de la chanson lyrique, et ils firent naître, en l’encourageant, une branche nouvelle, bien attique celle-là, de l’art national, le drame, qui rapprochait l’une de l’autre la poésie lyrique et l’épopée. Ce n’est pas tout. Les meilleurs architectes, comme Antistate, Callæschros, Antimachide, Porinos, et les meilleurs sculpteurs travaillaient à l’Olympiéon et à l’Hécatompédos ; les premiers ingénieurs du temps exécutaient les ouvrages hydrauliques. Les hommes distingués dans tous les genres apprenaient à se connaître et échangeaient les enseignements de leur expérience. Il y eut aussi sans doute bien des froissements ; on s’observait de part et d’autre, et Lasos ne craignit pas de reprocher publiquement à Onomacrite, lequel voulait se rendre utile à son maître en falsifiant des oracles, d’abuser de la confiance du prince, provoquant ainsi un scandale qui fit exiler le faussaire[68]. Dans de pareilles conditions, en effet, alors que tout dépendait des caprices ambitieux d’une dynastie égoïste, il fallait s’attendre à bien des bassesses. Jusque dans la rédaction des doctrines orphiques, on découvrit des traces d’interpolations arbitraires pratiquées par Onomacrite, qui était trop bon courtisan pour être scrupuleux. Cependant, la renommée des Pisistratides n’est pas usurpée. Ils ont compris que la mission d’Athènes était de réunir dans son sein et de perfectionner tout ce qui avait une valeur nationale, et en peu de temps, grâce à une activité incroyable, ils ont obtenu des résultats qui sont restés acquis. Le régent, il est vrai, ne réussit pas plus que les autres tyrans à jouir en paix de ses succès ; il se sentait toujours sur un terrain volcanique. L’inquiétude le prenait au moindre mouvement populaire ; il tremblait dès qu’une famille cherchait à se grandir ou qu’un Athénien recevait de la fortune quelque faveur inaccoutumée. On en a la preuve dans les moyens mesquins et superstitieux que le puissant despote employait pour calmer les agitations de son âme. Il accepta que des Athéniens vainqueurs à Olympie fissent proclamer, au lieu de leur nom, celui de Pisistrate. Cimon Coalémos, frère consanguin de Miltiade, usa de cette flatterie lors de sa seconde victoire à la course des chars (528. Ol. LXIII), et mérita par cette preuve de loyalisme d’être rappelé de l’exil[69]. On cherchait sans cesse, avec une activité anxieuse, des oracles qui garantissent la durée de la dynastie ; et, comme le tyran, envieux et jaloux lui-même, se sentait entouré de l’antipathie des autres, il fit attacher aux murs de son château l’image d’une sauterelle, ce qui passait pour un moyen de détourner le mauvais œil, de rendre inoffensif le regard de l’envie. Cependant, Pisistrate vieillissant pouvait raisonnablement espérer que ses fils et petits-fils, doués comme ils l’étaient pour l’exercice de la souveraineté, associés par lui au gouvernement, maintiendraient après lui, en restant fidèles à sa politique, une dynastie à laquelle Athènes devait tant de prospérité extérieure et intérieure. C’est en caressant cette espérance qu’il mourut, à un âge avancé, au milieu des siens (527. Ol. LXIII, 2). Suivant sa volonté, Hippias lui succéda dans la tyrannie, et les deux frères restèrent étroitement unis, comme ils l’avaient promis à leur père. Hipparque, plus doux et plus délicat, se résigna sans peine au second rang ; il se consacra à l’administration, en n’en prenant que les côtés pacifiques. Et cependant, il n’y avait pas à s’y tromper, on sentait que le gouvernement avait changé de mains. Tandis que le père, qui s’était fait par lui-même sa situation exceptionnelle, avait conservé jusqu’au bout la souplesse de sa nature, les fils ne se souvenaient plus d’avoir mené la vie des simples particuliers. Ils s’étaient toujours sentis fils de prince, et les vicissitudes de leur destinée n’avaient laissé dans le cœur d’Hippias qu’un sentiment de rancune. Ils montrèrent bientôt des velléités d’arbitraire, et l’on vit percer chez eux un orgueil qui faisait fi des lois. Leurs mercenaires devaient être prêts à leur obéir en toute chose, dès que leur défiance exigeait une victime. Lorsque Cimon Coalémos revint pour la troisième fois à Athènes avec la palme olympique (524. Ol. LXIV), les Pisistratides, effrayés du bonheur des Cypsélides, le firent assassiner près du Prytanée. La responsabilité de l’attentat retomba principalement sur le frère aîné ; mais on pouvait aussi reprocher à Hipparque ses déréglementa voluptueux et ses débauches. On le vit, en sa qualité d’ordonnateur des Panathénées, refuser à une jeune Athénienne l’honneur de porter la corbeille, sans autre motif, à ce que l’on dit, que le dépit de voir ses avances repoussées par le frère de la jeune fille, Harmodios. Celui-ci pouvait d’autant moins pardonner au tyran l’affront fait à sa maison que, chez les gens de sa race, les Géphyréens, l’honneur de la famille passait avant tout[70]. Il trama, avec Aristogiton et d’autres parents ou amis, un complot contre les tyrans, qui devait être mis à exécution durant la procession des grandes Panathénées. Le coup une fois fait, on pouvait, vu l’état de l’opinion, compter sur l’approbation universelle. Au début, tout alla à souhait. Le peuple se massait sans défiance dans la grande rue, el les deux frères se trouvaient au milieu de la foule, Hippias dehors, dans le Céramique, occupé à organiser le cortège, Hipparque sur l’agora[71]. Parés de rameaux de myrte, symbole de la concorde maintenue dans les sociétés par Aphrodite, les citoyens se rangeaient en groupes alignés lorsque les conjurés, qui croyaient leur secret trahi, se précipitèrent avec leur épée préalablement dissimulée sur Hipparque. Une mêlée sanglante interrompit la fête, sans que le but fût atteint. En effet, le frère survivant agit avec décision et énergie. Avant que le cortége resté en arrière sût ce qui s’était passé, il fit arrêter tous ceux qui portaient des armes cachées[72]. Coupables et innocents furent mis à la torture et exécutés : la souveraineté menacée était affermie à nouveau (514. Ol. LXVI, 3). Tout ce sang répandu n’apporta que malédiction. Hippias se crut désormais autorisé et même obligé à adopter un autre système de gouvernement. Il saisit cette occasion de se débarrasser de citoyens qu’il détestait et de confisquer les biens des bannis. Sombre et défiant, il se retira sur l’acropole, se chercha des appuis au dehors, noua avec Sparte, avec les princes de Thessalie et de Macédoine, des alliances étroites, donna sa fille Archédice au tyran de Lampsaque, parce que celui-ci était en crédit à la cour des Perses[73], et chercha à extorquer de l’argent par tous les moyens[74]. Il fit la police des rues avec une telle rigueur qu’il fit confisquer et mettre à l’encan, par autorité de justice, les saillies des maisons, si bien que les propriétaires étaient forcés de racheter à très haut prix des parties de leur propre maison ; il démonétisa les espèces courantes et remit en circulation, en lui donnant une valeur pins élevée, l’argent qu’il avait fait rentrer[75] ; il permit à certains citoyens d’acheter la dispense des prestations publiques, notamment des frais de chorégie, de sorte que les autres furent surchargés d’autant. C’est ainsi que le gouvernement, naguère si populaire, des Pisistratides se changea en une insupportable tyrannie. La contradiction inhérente à un système politique qui prétendait associer les formes de la république de Solon avec un despotisme sans bornes devint de jour en jour plus choquante ; le régime tout entier mérita chaque jour davantage le mépris public, parce qu’il ne prenait plus à son service que des personnes indignes ; et par contre, les ennemis de la dynastie, sentant leurs chances croître dans la même proportion, tournaient maintenant vers Athènes des regards pleins d’espérance. Les ennemis clos tyrans avaient leur quartier général à Delphes. A leur tête se trouvaient les Alcméonides, qui étaient depuis longtemps les familiers du sanctuaire pythique. Ceux-ci avaient eux-mêmes pour chef Clisthène, le petit-fils du tyran de Sicyone, un homme prédestiné par sa descendance paternelle et maternelle aux visées ambitieuses. Clisthène avait autour de lui des hommes appartenant aux plus nobles familles, comme Alcibiade l’ancien, Léogoras, Charias, et d’autres encore[76]. Ces partisans soutinrent leur querelle de deux manières : d’abord, par les armes. Ils réussirent, grâce à un coup de main audacieux, à occuper un point fortifié sur les hauteurs du Parnès, le Leipsydrion, où les mécontents vinrent les rejoindre. Les sanglants combats livrés sans succès par la garnison aux troupes du tyran restèrent longtemps dans la mémoire des Athéniens. Une chanson qu’ils chantaient à table disait : Maudit Leipsydrion, traître aux amis ! Quels hommes tu as fait périr, des hommes braves au combat et de, noble maison, qui ont montré alors de quels pères ils provenaient ![77] Bientôt les Alcméonides, en hommes prudents, s’avisèrent d’un autre moyen pour arriver au but. Le temple de Delphes avait brêlé en 548 (Ol. LVIII, 1)[78] corporation sacerdotale fit son possible pour qu’on le rebâtit magnifique. Elle ordonna, comme pour une affaire nationale, des quêtes en tous les lieux où habitaient des Grecs. Lorsqu’on eut réuni un capital de 300 talents et qu’il fut question de chercher un entrepreneur pour exécuter la construction nouvelle suivant nu plan donné, les Alcméonides s’offrirent et, mie fois le contrat passé avec les Amphictyons, fournirent, sous tous les rapports, infiniment plus qu’ils n’y étaient obligés par leurs engagements. Ils employèrent notamment le marbre de Paros au lieu de calcaire ordinaire pour la façade orientale du temple. Par là, ils s’attachèrent d’une façon sérieuse les autorités de Delphes et, comme ils ne manquaient aucune occasion de se montrer généreux, ils les disposèrent à s’occuper désormais sans relâche des intérêts de leur famille et à prendre ouvertement parti contre les Pisistratides. A partir de ce moment, les cités grecques, et surtout Sparte qui depuis plus de cinquante ans luttait avec gloire contre les tyrans de la Grèce, furent sollicitées dans ce sens par les paroles de la Pythie. Toutes les fois que des citoyens de Sparte ou l’État lui-même envoyaient à Delphes, on ajoutait à chaque réponse une invitation à délivrer Athènes de la tyrannie ; et quand les Spartiates, entre autres objections, alléguaient les liens d’hospitalité qu’il y avait entre eux et les Pisistratides, on leur répondait que les ordres du dieu ‘passaient avant les considérations humaines[79]. Enfin, voyant qu’on ne leur laissait point de repos, les Spartiates se décidèrent à agir. Il n’y avait pas longtemps qu’ils avaient fait dans la mer Égée la guerre à Polycrate ; ils avaient renversé Lygdamis et délivré les otages athéniens de Naxos[80] ; cette fois, malgré la répugnance instinctive qu’ils éprouvaient à se mêler des affaires du continent, ils envoyèrent par mer, à Phalère, une armée commandée par Anchimolios. Ils croyaient pouvoir à cette occasion renouer avec Delphes les relations qui avaient été précisément dérangées et rompues par la politique d’Athènes. Cette entreprise eut pou de succès. Les Pisistratides détachèrent la cavalerie des Thessaliens leurs alliés, assaillirent l’armée spartiate, qui s’était installée en rase campagne dans une position défavorable, et taillèrent en pièces le général avec une bonne partie de ses troupes[81]. Pour le coup, Sparte devait prendre l’affaire au sérieux, si elle voulait sauver son honneur. Elle s’était fait scrupule d’abord, à cause de ses relations d’amitié avec les Pisistratides, d’envoyer une armée royale ; mais, cette fois, elle mit son roi Cléomène à la tète des troupes et le chargea d’envahir l’Attique par terre. C’était un homme extraordinaire que celui qui portait alors la couronne dans la branche des Agiades, un homme qui sentait bouillir dans ses veines surchauffées le vieux sang des Héraclides. Possédé d’un indomptable amour-propre, il n’avait nulle envie de jouer le râle de roi à la maison, sous la surveillance détestée des éphores. Il y avait, au fond de ses actes, des instincts de tyran, et toute expédition aventureuse à l’étranger faisait son compte. Les démêlés avec Argos se prolongent à travers les siècles, d’un bout à l’autre de l’histoire lacédémonienne, aussi loin que vont nos informations. Avant et après les guerres de Messénie, les rois de Sparte se portèrent dans la région montagneuse du Parnon, pour défendre les districts que l’on avait conquis sur la frontière. Au septième siècle, Argos avait profité de sa victoire, après la sanglante journée pour marcher en avant. Au milieu du siècle suivant, la Thyréatide, c’est-à-dire, la partie septentrionale de la Cynurie, était tombée tout entière aux mains de Sparte, et cela, grâce au fameux combat auquel est attaché le nom d’Othryade. On sait l’histoire du héros spartiate qui, resté seul de tous ses compagnons, éleva, dit-on, le trophée, attestant sa victoire[82]. Le fait se passait vers le moment où Crésus était assiégé dans Sardes (546). Mais, ce combat même n’avait pas mis fin aux hostilités. De nouvelles occasions vinrent réveiller le vieux levain de discorde. Les Argiens s’étaient liés avec les tyrans attiques ; ils avaient donné en mariage à Pisistrate une fille de leur pays, Timonassa[83], et envoyé des troupes en armes au secours du tyran. On ne voulut pas tolérer une politique aussi indépendante et aussi décidément anti-spartiate, et, lorsqu’on eut châtié les alliés péloponnésiens d’Athènes, lorsque la puissance de Sparte, fut restaurée et plus solide qu’elle n’avait jamais été, Cléomène, en capitaine qui avait fait ses preuves, marcha, la tête pleine de projets ambitieux, contre Athènes[84]. Il s’était suffisamment pourvu de cavalerie : les Alcméonides, tous les émigrés et ennemis des tyrans se joignirent à lui : les tyrans furent vaincus à la même place où ils avaient jadis conquis le pouvoir, près du sanctuaire de Pellène, et enfermés dans leur citadelle de l’acropole. On s’attendait à un long siége. Mais il advint que les enfants du tyran, pendant qu’on les emmenait pour les transporter hors du pays, tombèrent aux mains tic patrouilles ennemies. Pour les saliver, Hippias se retira avec ses trésors, après avoir gouverné quatorze ans avec son frère et trois ans et demi seul. Les édifices, pour lesquels on avait compté sur une plus longue durée de la dynastie, notamment l’Hécatompédos et l’Olympiéon, restèrent inachevés[85]. |
[1] HÉRODOTE, I, 29. Plutarque dit cent ans, ce qui est moins vraisemblable (PLUTARQUE, Solon, 25).
[2] Voyages de Solon à diverses dates (SUIDAS, s. v. Σόλων. DIOG. LAËRTE, I, 50, 62).
[3] D’après Platon (Tim., 21), Solon a emprunté à l’Égypte la légende de l’Atlantide, légende que DUNCKER (Gesch. des Alterth., IV, 299) croit phénicienne. Sur les Sages grecs en Égypte, voyez LEPSIUS, Chronol. der Ægypt., Einleitung, p. 41.
[4] PLUTARQUE, Solon, 26. HÉRODOTE, V, 113. Philocypros équivaut à Cypranor, quoi qu’en dise ENGEL, Kypros, I, 264.
[5] PLUTARQUE, Solon, 10. De Brauron même, d’après ROSS, Demen, p. 100.
[6] CLINTON, FISCHER, etc., placent en 593 l’année de la naissance de Pisistrate. Tout ce que nous savons, c’est qu’il mourut γηραιός en 527 (Ol. LXIII, 2).
[7] HÉRODOTE, I, 39. Justin (II, 8), distingue nettement les combats livrés pour la conquête de Salamine et pour celle de Nisæa. Pisistrate à Mégare (HUG, Æneas von Stymphalos, p. 18). Il ne faut donc pas, avec VŒMEL (Exerc. chronol. de ætat. Solonis et Crœsi) et WESTERMANN, considérer le Pisistrate qui prend part à la guerre de Mégare comme étant le grand-père de celui-ci, mais bien admettre une reprise de la guerre après Solon, vers 565. Cf. PRINZ, p. 13.
[8] PLUTARQUE, Solon, 1. SOSICRATE ap. DIOG. LAËRTE, I, 41.
[9] Histoire des Alcméonides (HÉRODOTE, VI, 125 sqq. Cf. VISCHER, Ueber die Stellung des Geschlechts der Alkmœoniden in Athen, Basel, 1847).
[10] Alcméon à Sardes vers 556 (WEISSENBORN, Hellen., p. 27). D’après une conjecture de SCHŒMANN (Jahrbb. f klass. Philol., 1875, p. 466), les services rendus par Alcméon aux Lydiens remonteraient au temps où il était général dans la guerre sacrée. Schœmann suppose clone que le roi qui fut si généreux est, non pas Crésus, comme le dit Hérodote, mais Alyatte.
[11] PLUTARQUE, Solon, 30.
[12] HÉRODOTE, VI, 35.
[13] DIOGÈNE LAËRTE, I, 47.
[14] SCHOL. ARISTIDE, III, p. 200. WALCKENAER ad Herod., loc. cit., et cela, à l’instigation de Pisistrate (MARCELL., Vit. Thuc.).
[15] PLUTARQUE, Thémistocle, 6.
[16] PLUTARQUE, Solon, 30. Quelques divergences, portant sur des questions de détail (DIODORE, IX, 4. ARISTIDE, Orat., XLI, p. 765. DIOG. LAËRTE, I, 50. VAL. MAXIME, V, 3. 3), ne peuvent infirmer le fait pris dans son ensemble.
[17] On rencontre des données différentes concernant la mort de Solon, que les uns placent Longtemps après le commencement de la tyrannie de Pisistrate (HÉRACLYDE PONT, ap. PLUTARQUE, Solon, 32), les autres, sous l’archontat d’Hégestratos, la deuxième année de la tyrannie (PHAN. ERES. ap. PLUTARQUE, ibid.).
[18] Sur Κοισύρά, voyez SCHOL. ARISTOPHANE, Nub., 48. Cf. HÉRODOTE, I, 60. 61.
[19] HÉRODOTE, VI, 121. Cf. PLASS, Tyrannis, I, p. 195.
[20] HÉRODOTE, I, 61. HEINZE, De rebus Eretriens, p. 29.
[21] Sur les guerres entre Lesbos et Athènes, voyez A. SCHŒNE, Untersuchungen über das Leben der Sappho (Symb. philol. Bonn., p. 733 sqq.). Les sources sont : SUIDAS, s. v. Πιττακός. HÉRODOTE, V, 94. DIOG. LAËRTE, I, 7, 1. STRABON, p. 599. Il y a dans le récit de Strabon, des traits empruntés à la légende poétique. Pittacos y est dépeint en Poseidon, avec le filet et le trident. La guerre de Phrynon est donnée comme une δικδικασία au sujet de la possession d’Ilion, entre compétiteurs qui prétendaient y avoir droit pour avoir pris part à la guerre de Troie. La guerre de Troie n’est donc pas non plus considérée ici comme une expédition isolée, mais comme une prise de possession définitive, autrement dit, comme une colonisation. La transaction se fit sur le pied du statu quo. Périandre jugea qu’aucun des deux États ne devait évincer l’autre de ce point important.
[22] STRABON, p. 617. O. MUELLER, Rhein. Mus., I [1827], p. 287. A. SCHŒNE (op. cit.) place après cette date, suivant un calcul vraisemblable, la chute de Myrsilos.
[23] Pittacos nommé æsymnète contre les φυγάδε (ARISTOTE, Politique, p. 85, 18).
[24] Mort de Pittacos en 570, d’après SCHŒNE, op. cit., p. 751.
[25] La chronologie de la tyrannie de Pisistrate s’établit d’après ARISTOTE, Polit., 230, 10. THUCYDIDE, VI, 50. SCHOL. ARISTOPHANE, Vesp., 502, D’après ces textes, la première tyrannie date de 560 (Ol. LV, I) : la mort du tyran tombe en 527 (Ol. LXIII, 2). Sur ces trente-trois ans, il y a dix-sept années pleines de tyrannie ; par conséquent, puisque le second exil a duré de dix onze ans, la première interruption doit avoir été de cinq à six ans, La meilleure manière de répartir les trente-trois ans est clone la suivante : première tyrannie, environ un an et demi ; premier exil, cinq ans ; seconde tyrannie, un an et demi ; deuxième exil, onze eus ; troisième tyrannie, quatorze ans.
[26] HÉRODOTE, I, 62.
[27] HÉRODOTE, I, 62 — 63.
[28] HÉRODOTE, I, 64.
[29] Le nom de Thessalos, qui se rencontre dans la famille des Pisistratides, est à lui seul, un indice de leurs relations extérieures.
[30] SCHŒNE, op. cit., p. 750 sqq.
[31] HÉRODOTE, V, 94.
[32] THUCYDIDE, VI, 54.
[33] ARISTOTE, Politique, 229, 32.
[34] THUCYDIDE, VI, 51. Pisistrate fit servir à ses desseins politiques des institutions sacerdotales (Cf. E. CURTIUS, Rede am 22 Mürz., Berlin, 1878, p. 10). Les plaintes de Solon (fragm., 4, 12, Bergk) font, croire à une sécularisation des biens du clergé. Le sacerdoce eut pour dotation certaines redevances fixes payées par les citoyens. Cf. Monatsber. der Berl. Akad., 1869, p. 479.
[35] Modération et libéralité de Pisistrate (THÉOPOMPE, fragm., 147, ap. ATHÉNÉE, p. 533).
[36] BŒCKH, Staatshaushaltung der Athener, I, 342.
[37] La loi de paresse (PLUTARQUE, Solon, 31), qui autorisait une accusation publique contre les désœuvrés, est attribuée à Dracon, à Solon et à Pisistrate. Cf. Att. Prozess, p. 299.
[38] Les oligarques et les tyrans s’accordent sur ce point. Cf. MEIER, De bonis damn., 185, et, d’une manière générale, PLASS, Tyrannis, I, 199.
[39] PLUTARQUE, Solon, 31. DION CHRYSOSTOME, XXXV, 341, Dind. ARISTOPHANE, Lysistrata, 1153. POLLUX, VII, 68. L’auteur qui donne le plus de détails sur les encouragements à l’agriculture est Élien, lequel parle mémo de distribution de semences... etc. (ÆLIEN., Var. Hist., IX, 25).
[40] DION CHRYSOSTOME, I, 358.
[41] Κεραμεικός ou κέραμος, argile plastique ou poterie.
[42] Sur le transfert de l’agora, voyez Verhandlungen der Hamburger Philologenversammlung, 1856. Att. Studien, II, 46. Monatsber. d. K. Akad. d. Wiss., 1876, p. 83.
[43] Sur les constructions des tyrans et leurs travaux de voirie, voyez E. CURTIUS, Erläuternder Text der sieben Karten Topographie von Athen, 1868, p. 27 sqq. Zur Geschichte des Wegebaus, p. 39 (347).
[44] Inscription d’Hermès par Hipparque (C. I. ATT., I, n. 522).
[45] Sur les aqueducs, voyez Archäol. Zeitung, 1847, p. 26.
[46] THUCYDIDE, VI, 54.
[47] ARISTOTE, Politique, 1315 a. [229, 11].
[48] HÉRODOTE, I. 59.
[49] A. MOMMSEN, Heortologie, p. 80 sqq. 117 sqq.
[50] A. MOMMSEN, op. cit., p. 123.
[51] WECKLEIN, Hermès, VII, 19. Comment. in hon. Th. Mommsenii, p. 593.
[52] ARISTOTE, Œconom., II, 2, 1.
[53] D’après A. MOMMEN, op. cit., p. 81, le début de l’année a été transporté de Gamélion en Hécatombæon.
[54] Suivant BEULÉ et suivant HULTSCH, Metrologie, p. 152, la tête de Pallas a été mise pour la première fois sur les monnaies par Pisistrate.
[55] Sur le culte de Dionysos, cf. GERHARD, Gesamm. Abhandl., II, 210. O. RIBBECK, Einführung des Dionysosdienstes in Attika. Sur Icarie et Semachidæ, cf. LEAKE, Demen, tr. par WESTERMANN, 1840, p. 114. (Indications erronées dans ROSS, Demen, p. 73). L. PRELLER, Griech. Myth., I2, p. 527.
[56] ATHÉNÉE, p. 533 c. Ici βαρύς signifie outrecuidant, et je serais tenté de croire que ce Dionysos est celui qui vint un jour d’Icaria à Athènes, où il fut bien accueilli par les autres dieux (PAUSANIAS, I, 2, 5).
[57] THUCYDIDE, VI. 54. L’inscription dédicatoire, textuellement transcrite par lui, a été découverte dans des fouilles, le 15 mai 1877, et l’emplacement du sanctuaire s’est trouvé par là déterminé avec certitude. Cf. Hermès, XII, p. 492. C. I. ATTIC., IV, p. 41.
[58] ARISTOTE, Polit., 224, 31. Les architectes sont nommés par VITRUVE, VII, Præf., p. 160 (éd. Rose et Müller-Strübing, qui ont accepté le nom étrange de Pormos).
[59] THÉOPOMPE, fragm. 148 (ap. HARPOCRATION).
[60] SUIDAS, s. v. Άκαδήμεια.
[61] Arch. Zeitung, 1853, p. 156 sqq.
[62] Cf. BERNHARDY, Griech. Litterat., II3, 1 (1867), p. 108.
[63] SCHOL. VENET., in Iliade, X, 1. EUSTATHE, 785. BERGK, Griech. Literaturgesch., I, p. 562.
[64] Ajax avec les Salaminiens dans le corps d’armée attique (HOMÈRE, Iliade, II, 557). Cf. Hermès, IX, 326.
[65] Cf. Monatsber. der Berl. Akad., 1861, p. 3.
[66] Cf. BRANDIS, De temp. antiq. rationibus, p. 16.
[67] PS. PLATON, Hipparch., p. 228 c. ÆLIAN., Var. Hist., VIII, 2. WELCKER, Kleine Schriften, I, p. 203.
[68] HÉRODOTE, VII, 6. GERHARD, Gesamn. Abhandl., II, p. 210. Onomacrite a été banni après la mort de Pisistrate, à cause des falsifications commises sur les Orphica, et, suivant la conjecture plausible de Gerhard, en vue de recommander au respect le culte de Dionysos.
[69] HÉRODOTE, VI, 103. JUL. AFRICANUS, Olymp., éd. Rutgers, p. 24. Arch. Zeitung, 1860, p. 40.
[70] EUSTATHE, ad Iliade, VII, 221. Cf. MEINEKE, Abhandl. der Berl. Akad., 1832, 96.
[71] Hipparque frappé dans le Léocorion (Monatsber., 1878, p. 86).
[72] Les Athéniens pouvaient porter lance et bouclier, mais point d’épée.
[73] THUCYDIDE, VI, 59.
[74] Sur les mesures financières d’Hippias, voyez BŒCKH, Staatshaushaltung, I, 92, 775.
[75] ARISTOTE, Œconorn., II, 2, 4. BŒCKH, op. cit., 769.
[76] ISOCRATE, De bigis, 19. ANDOCYDE, I, 106. II, 26.
[77] ATHÉNÉE, XV, p. 695 e. BERGK, Poet. Lyr. [Scolia, 14].
[78] PAUSANIAS, X, 5, 13. HÉRODOTE, II, 180. V, 62.
[79] HÉRODOTE, V, 63.
[80] PLUTARQUE, De maligit. Herod., 21.
[81] HÉRODOTE, V, 63.
[82] HÉRODOTE, I, 82. PAUSANIAS, II, 20,7. Cf. KOHLMANN ap. Rhein. Mus., XXIX, p. 462.
[83] PLUTARQUE, Cat., 24.
[84] Les faits et gestes de Cléomène sont difficiles à classer par ordre chronologique. D’après Pausanias, III, 4, 1 (suivi en cela par O. MUELLER, SCHULTZ ap. Kiel. Philol. Stud., 163, etc.), c’est-à-dire, d’après le seul auteur qui groupe les faits en un récit continu, l’expédition en Argolide est antérieure à celle de l’Attique et tombe vers le commencement du règne de Cléomène. Il est contredit par Hérodote (VII, 148), qui représente la défaite des Argiens comme survenue peu de temps avant 481 (Ol. LXXIV, 4). De même, d’après Hérodote (VI, 19. 77), la catastrophe de Milet et celle d’Argos sont données comme contemporaines. En conséquence, CLINTON et DUNCKER placent la guerre d’Argolide plus tard ; Clinton, en 510 ; GROTE, PETER, de 497 à 493. C’est le parti qu’ont pris aussi SCHNEIDERWIRTH, Gesch. des dor. Argos, I, et KAEGI, ap. Jahrbb. f. Philol. Suppl., VI, p. 469. La manière la plus naturelle de résoudre la contradiction est, ce me semble, d’admettre que Pausanias a confondu deux expéditions argiennes en une seule.
[85] Cf. Philologus, 1862, p. 6. Stèle érigée sur l’acropole (THUCYDIDE, VI, 55).