HISTOIRE GRECQUE

TOME PREMIER

LIVRE DEUXIÈME. — DE L’INVASION DORIENNE AUX GUERRES MÉDIQUES.

CHAPITRE PREMIER. — HISTOIRE DU PÉLOPONNÈSE.

 

 

§ II. — HISTOIRE DE LA LACONIE.

Dans la légende du partage des Héraclides, la Laconie est désignée comme le plus désavantageux des trois lots[1] ; et, de fait, parmi les contrées du littoral, il n’en est point où le sol soit relativement aussi montagneux et se refuse autant à une culture régulière. Il faut ajouter à cet inconvénient une autre circonstance qui influa défavorablement sur les destinées du pays : c’est que la seule partie fertile du territoire se trouve tout, à fait au centre, séparée de la mer ainsi que des contrées adjacentes par de hautes montagnes. Aussi, les diverses parties de la population s’y trouvèrent-elles plus à l’étroit qu’ailleurs et plus froissées par leur contact mutuel. L’élimination des éléments étrangers, la répartition des éléments disparates, s’accomplit ici plus difficilement que dans un pays maritime ouvert de toutes parts comme l’Argolide. C’est pourquoi nulle part la lutte entre l’ancienne et la nouvelle population n’a été plus continue et plus opiniâtre que dans le bassin de l’Eurotas.

Et que de races différentes s’y étaient entassées dans le cours des siècles ! D’abord, la première couche formée par la population indigène ; puis, les matelots qui vinrent y aborder de l’autre littoral, et parmi eux, en première ligne, les Phéniciens, qui avaient fait de Cythère un point central de leur navigation et du golfe de Gytheion une grande pêcherie de pourpre : cette industrie s’est du reste répandue dans l’intérieur du pays, si bien que les tissus de pourpre teints à Amyclæ furent en vogue de bonne heure[2]. Puis vinrent les matelots de race grecque qui, sous le nom de Lélèges, s’étaient tellement identifiés avec les indigènes que, plus tard, vis-à-vis des nouveaux envahisseurs, ils passèrent eux-mêmes pour indigènes, et que la Laconie primitive put être appelée de leur nom Lélégie. Le berceau des Dioscures sur le rocher isolé de Thalamæ, à l’ouest du Taygète, indique les premiers points où ont débarqué ces tribus ; c’est avec elles, en effet, que s’est fixée en Laconie Léda, la mère des divins jumeaux qui prêtent aux nautoniers leur lumière secourable lorsque toutes les autres étoiles pâlissent. Or, Léda se retrouve avec ses antiques attributs sur les monuments de la Lycie, et l’on peut signaler bien d’autres points d’attache entre la Laconie et le littoral de l’Orient grec. Le cap Ténare était hanté par le souvenir d’Euphémos l’Argonaute, à qui la légende attribuait le pouvoir de marcher à pied sec sur les flots[3]. Non loin du berceau des Dioscures se trouvait l’oracle d’Ino, qui y était adorée avec Hélios et Séléné sous son nom crétois de Pasiphaé[4], et Amyclæ, le centre primitif de l’histoire lacanienne, porte également, un nom crétois. Enfin, la tradition qui fait voyager Ménélas en Égypte est encore un indice des relations maritimes de la Laconie dans ces temps reculés[5].

C’est là la première période de l’histoire de la Laconie, suffisamment désignée comme telle par les généalogies légendaires des rois du pays. En effet, après le premier roi, qui porte le nom de l’Eurotas parce qu’il en a fait un fleuve au beau cours[6], vient une dynastie éolienne, la race des Tyndarides, inséparable de Léda et des Dioscures, les divinités lyciennes de la lumière et de la mer, et apparentée à d’autres familles contemporaines, les Perséides d’Argos et les Apharéides de Messénie.

C’est dans cette période initiale qu’apparaît la tribu des Achéens ; ils viennent bâtir leurs forteresses dans cette même vallée de l’Eurotas. Ici, comme à Argos, la légende ente pacifiquement la nouvelle dynastie sur l’ancienne ; les Atrides deviennent les gendres de Tyndareus, et Ménélas repose à côté des Dioscures sous le tertre de Thérapné[7]. Après que les Pélopides se furent établis avec leurs compagnons d’armes dans la creuse Lacédémone, de nouveaux ébranlements survenus dans le nord amenèrent des Cadméens et des Minyens. Le Taygète a été longtemps occupé par des Minyens de Béotie[8], et cette montagne, qui domine de ses crêtes escarpées la vallée de l’Eurotas et se termine au sud par la presqu’île de Ténare, est parfaitement disposée pour permettre à des débris de peuples d’y conserver leur indépendance et leurs anciennes coutumes. Les Minyens se sont si bien identifiés avec le culte de Poseidon, tel qu’il existait sur le Ténare, qu’ils en fondèrent un tout semblable dans leur île de Théra. Au pied de cette même montagne se trouvait installé le culte d’Ino, déesse alliée aux Minyens, qui avait en cet endroit un oracle célèbre.

Ainsi, l’étroite vallée se trouvait remplie de groupes divers, recrutés dans toutes les tribus et venus à différentes épiques par terre et par mer, lorsque les phalanges des Doriens descendirent des sources de l’Eurotas, avec l’intention de conquérir des terres pour eux et leur familles. Ils envahirent à leur tour cette plaine dont les luxuriantes campagnes étaient chaque fois le prix du vainqueur. Ils s’emparèrent des hauteurs qui bordent la rive droite de l’Eurotas, à l’endroit où le fleuve, partagé par une île, se laisse plus facilement traverser. De là ils dominaient les voies qui donnent accès dans le pays au nord, aussi bien du côté de l’Arcadie que du côté d’Argos. Là, ils campaient pour ainsi dire devant les portes d’Amyclæ, le boulevard de la domination achéenne : là se trouvaient, sur les hauteurs de la rive gauche, à Thérapné, les tombeaux des anciens héros du pays et des rois leurs parents, tandis que, sur le sol où les Doriens se préparaient une demeure, existait déjà un groupe de bourgades serrées les unes contre les autres : c’étaient Limnæ et Pitane, dans les bas-fonds marécageux du fleuve, et, à côté, Mesoa et Cynosoura. Un sanctuaire d’Artémis, à qui l’on offrait des sacrifices sanglants, formait le centre de ces bourgades[9] : sur la hauteur s’élevait un ancien temple d’Athéna. La colline et les bas-fonds furent compris par les Doriens dans leur camp, qui devint peu à peu un établissement fixe. Le nom de Sparte, donné à la nouvelle colonie, indique les qualités agronomiques du sol sur lequel elle s’établit, par opposition à la plupart des villes grecques qui étaient bâties sur le roc[10]. La colline d’Athéna fut l’acropole de la ville dorienne.

Ce premier établissement ne peut avoir été assis que par une occupation de vive force. Mais les choses n’allèrent pas plus loin de cette façon. Ici, pas plus qu’en Crète, on n’en vint à subjuguer toute la population du pays, à renverser tout ce qui était établi et à inaugurer un ordre de choses entièrement nouveau. D’ailleurs, dans le camp dorien même, tant de liens de parenté rattachaient les envahisseurs aux familles éoliennes et achéennes restées dans la vallée de l’Eurotas qu’il ne put s’établir de part et d’autre un antagonisme décidé, et que, pour régler la situation, on eut bientôt recours à un autre moyen que la force des armes.

Il y a plus : si l’on examine de plus près les faits, présentés dans toute leur simplicité par la tradition, on voit clairement que déjà la fondation de la première colonie n’était pas dirigée par des mains doriennes. Là aussi, nous trouvons un prince indigène qui, comme Déiphonte auprès de Téménos, aide à établir le nouvel ordre de choses, et même, cette coopération s’accuse encore plus nettement ici qu’à Argos. Car celui qui aurait gouverné le premier, en qualité de tuteur des enfants d’Aristodémos, le royaume héraclidien de Sparte, est Théras[11], un membre de la tribu des Cadméens qui, abandonnant les ruines de l’antique Thèbes aux sept portes, étaient venus à Sparte, les uns avant les Doriens, les autres avec eux.

Ainsi, Thèbes avait une part considérable de la gloire attachée à cette fondation des Héraclides, et Pindare rappelle à sa ville natale qu’elle doit se réjouir, en se souvenant que c’est elle qui a préparé une base solide à la colonie dorienne. u Mais, il est vrai, ajoute le poète en déplorant déjà l’oubli des vicissitudes historiques, « il est vrai, la reconnaissance sommeille, et il n’est nulle part de mortel qui se souvienne du passé[12]. De bonne heure aussi on oublia que c’étaient ces mêmes Ægides qui avaient enseigné à Sparte l’art de la guerre, et que le dieu national tout bardé d’airain, Apollon Carnéios, était primitivement un dieu des Ægides. On fit reposer, sans s’en rendre bien compte, le droit des rois de Sparte sur les prétentions héréditaires des Héraclides, et on expliqua la double royauté par une circonstance fortuite, en disant que la femme de l’Héraclide Aristodémos, à qui la Laconie était échue en partage, était accouchée de deux jumeaux, Eurysthène et Proclès[13].

Seulement, ce ne sont pas des Eurysthénides et des Proclides qui revêtent à Sparte la dignité souveraine, mais bien des Agiades et des Eurypontides. Cette circonstance, à elle seule, prouve déjà que les chefs de l’invasion dorienne ne furent pas les fondateurs des deux maisons royales qui subsistaient à l’époque historique, mais qu’il y a eu là une interruption, dont on chercha plus tard à effacer la trace pour rétablir une succession pacifique et légitime de rois depuis le temps de l’invasion. Une forme politique si bizarre et qui ne se reproduit dans aucune colonie dorienne ne saurait être attribuée à un plan préconçu ou à une coutume nationale : elle ne peut avoir été importée dans le pays par les Doriens ; mais elle doit avoir son origine dans la tournure particulière que prirent les événements en Laconie.

Lorsque, en poursuivant l’examen du problème, nous remarquons comme, dès le début, ces « rois jumeaux » restent indifférents et étrangers l’un pour l’autre, comme cet antagonisme choquant s’est perpétué à travers toutes les générations, comme chacune des deux maisons a vécu de sa vie propre sans se rapprocher de l’autre par les liens du mariage et de l’hérédité, comme chacune a eu son histoire particulière, ses annales particulières, sa résidence et ses tombeaux à part, on est bien forcé d’admettre que c’étaient là deux familles différentes qui, en convenant de se reconnaître réciproquement, se sont assuré par un pacte l’exercice commun des droits de la souveraineté. Le seul trait commun aux deux maisons, c’est que leur puissance ne sortait pas des entrailles du peuple dorien, mais avait ses racines dans l’antiquité achéenne. Pareilles à des lignées Héroïques, elles s’élevaient au-dessus du peuple de toute la hauteur de leurs privilèges inviolables et complètement étrangers aux mœurs doriennes, et ce qu’elles avaient de prérogatives royales, l’autorité militaire et sacerdotale, la part d’honneur dans les banquets sacrés, les funérailles pompeuses et les lamentations bruyantes qui signalaient le deuil public, tout cela est le legs d’un âge bien antérieur à l’invasion dorienne. Un fait qui confirme pleinement ces conclusions, c’est que l’une au moins des deux maisons royales descendait incontestablement des mêmes familles qui, dans l’âge héroïque, avaient produit les pasteurs des peuples issus de Zeus. Sans cela, comment l’Agiade Cléomène eût-il osé déclarer publiquement, sur l’acropole d’Athènes (où on lui refusait l’entrée du temple d’Athéna, comme au chef d’un État dorien), qu’il n’était pas un Dorien, mais un Achéen[14] !

Ceci posé, comment la forme politique adoptée à Sparte put-elle s’établir ? Il n’est peut-être pas impossible de s’en faire une idée approchée, en consultant les traditions qui nous restent sur l’époque antérieure à l’existence de la double royauté. Nous savons, par exemple, qu’après l’invasion des Doriens, toute la contrée se partagea en six districts qui avaient pour capitales Sparte, Amyclæ, Pharis, les trois villes centrales baignées par l’Eurotas, Ægys près de la frontière arcadienne, Las sur la mer de Gytheion, et une sixième ville, probablement le port de Bœæ[15]. Comme en Messénie, les Doriens se dispersent dans ces différentes localités qui sont gouvernées par des rois ; ils se mêlent avec les anciens habitants ; de nouveaux colons, comme les Minyens, affluent de la campagne dans les villes.

Que tout ce mouvement se soit adapté à d’anciennes institutions locales, c’est là un fait évident ; ce n’est pas alors que les hexarques laconiens ont commencé à gouverner. Déjà, du temps des Pélopides, il existait une série de principautés vassales, placées sous leur suzeraineté, dont les détenteurs habitaient sur leurs terres. Ces princes, possédant par eux-mêmes une souveraineté propre, ne se soumirent qu’à regret au suzerain. La légende héroïque rappelle plus d’un exemple de l’insubordination des vassaux ; elle cite entre autres le roi d’Arcadie, Ornytos, qui refusa de suivre Agamemnon à Aulis[16], et le type le plus connu du vassal félon, c’est Ægisthe, l’assassin de son suzerain. En bien des endroits, la royauté héroïque s’est écroulée sous les coups des vassaux révoltés. Comme Thyeste, dont on plaçait la résidence dans les environs du cap Malée, d’autres princes vassaux étaient disséminés dans la Laconie. Aussi, lorsque les Atrides furent renversés et que tout ce qui leur tenait de près dut disparaître avec eux, les vassaux relevèrent la tète et reprirent leur indépendance. Ce sont eux qui conclurent des traités avec les troupes de l’invasion ; ils leur donnèrent certaines portions de terrain et en obtinrent en retour la reconnaissance de leur souveraineté ainsi pie l’engagement de soutenir leur puissance. Ainsi, là comme en Crète, les Doriens se trouvaient dispersés dans les villes, et la communauté du droit public entre les villes était le seul lien qui donnât encore au pays quelque cohésion. Telle était la Laconie à l’état d’hexapole, une confédération formée d’un mélange singulier d’anciens et de nouveaux éléments[17].

Cette confédération ne dura pas ; la fermentation s’empara de tant d’éléments accumulés : une jalousie réciproque arma les princes les uns contre les autres, et les principautés les plus faibles furent subjuguées par les plus fortes. Le pays arriva ainsi à une unité que ne connut jamais la Crète ; mais, là encore, cette unité ne fut pas due au triomphe absolu d’une seule dynastie : il resta, au contraire, plusieurs familles princières dont les forces se faisaient tellement équilibre qu’elles préférèrent aux chances d’une lutte une entente pacifique ; entente dont on rencontre ailleurs des exemples, entre autres, dans les villes ioniennes, où nous trouvons des dynasties lyciennes et pyliennes portant côte à côte la couronne[18]. A Sparte, il reste encore des indices manifestes d’un état de choses dans lequel trois familles se prévalaient au même titre des droits de la souveraineté, les Agiades, les Eurypontides et les Ægides. Les derniers furent peu à peu écartés et durent céder la place aux deux autres[19].

De ces maisons, celle des Agiades passait pour la plus ancienne et était la plus respectée ; c’était sans doute une famille achéenne fixée de longue date dans le pays ; quant aux Eurypontides, on ne peut rien dire de certain sur leur origine[20]. Mais les uns et les autres ont, triomphé parce qu’ils ont su gagner à leur cause l’élite du peuple dorien, le séparer de nouveau de la population indigène et en réunir les membres dispersés. Appuyés sur les troupes doriennes, ils firent de Sparte, l’ancien camp de leurs auxiliaires, le centre du pays et le siége de leur gouvernement.

Nous arrivons ainsi à la seconde période de l’histoire du pays, à partir de l’invasion dorienne ; la domination des deux familles, qui fournissent depuis lors une succession ininterrompue de rois, les Agiades et les Eurypontides. La tradition les place en tête d’une série nouvelle, preuve évidente qu’il se fit alors un renouvellement complet. Plus tard, les noms de Proclès et d’Eurysthène, les fils jumeaux d’Aristodémos, furent intercalés avant ceux d’Agis et d’Eurypon, pour expliquer mythologiquement la double royauté, pour faire oublier les troubles qui avaient précédé le nouvel ordre de choses, et pour rattacher pacifiquement les deux maisons à un même ancêtre, à Héraclès. Toutefois, on n’a jamais osé, pour consolider cette soudure artificielle, donner aux rois de Sparte, en dépit de la tradition authentique, les noms d’Eurysthénides et de Proclides.

Naturellement, les princes qui survécurent à la chute de la royauté achéenne ne restaient pas seuls et isolés au milieu d’un peuple étranger : sans quoi, comment eussent-ils pu maintenir leur pouvoir ? Ils avaient autour d’eux des familles de même origine, dont le rang et le prestige dataient également de l’âge héroïque. Les sacerdoces des anciennes divinités du pays subsistaient toujours, ainsi que les emplois militaires et les charges de cour en honneur dans l’État achéen. Les Talthybiades, qui descendaient du héraut d’Agamemnon, conservaient comme par le passé dans leur famille l’emploi de héraut public ; les joueurs de flûte lydiens, les cuisiniers royaux, les panetiers, les échansons, restaient en place, à titre héréditaire, et les héros que l’on vénérait comme les patrons des fonctionnaires, Matton et Kéraon, avaient leurs statues sur la voie sacrée d’Hyacinthe, parce que l’institution de ces charges se rattachait à d’anciens usages religieux[21]

En outre, les rois trouvèrent un point d’appui dans la population anté-dorienne qui, comme les paysans crétois, conservait à peu près les mêmes habitudes qu’autrefois. Ils formèrent le patrimoine des rois, et, tandis que les Doriens se bornaient à remplir leurs engagements, ils restèrent dans un état de dépendance complète. Ils payaient à leurs nouveaux maîtres leurs redevances annuelles, comme jadis aux Pélopides ; ils leur rendaient tous les honneurs dus par des sujets à leurs rois ; entre autres devoirs, ils se réunissaient, lors du décès d’un prince, pour le pleurer solennellement.

Ainsi, en Laconie comme ailleurs, tout ne s’est pas renouvelé d’un coup ; on n’a pas plus qu’ailleurs rompu avec le passé. La trône des Pélopides est renversé, mais les anciennes institutions, les anciennes habitudes subsistent toujours ; les traditions consacrées restent en vigueur, et ces familles régnantes, qui fondent leur puissance sur l’appui des Doriens, se montrent constamment préoccupées de renouveler les glorieux souvenirs du temps des Pélopides, auquel elles font remonter l’origine de leur pouvoir. Aussi les cendres de Tisaménos, les ossements d’Oreste, furent-ils ramenés à Sparte, pour renouer la trame de l’histoire nationale, interrompue par une révolution violente.

La nouvelle époque historique qui avait commencé pour le pays à l’avènement des Agiades et des Eurypontides ne pouvait s’achever sans effort et sans lutte ; car il fallait pour cela soumettre des princes indépendants, anéantir l’autonomie des villes, abolir cette égalité qui avait laissé aux anciens habitants du pays les mêmes droits qu’aux Doriens. C’est donc une nouvelle conquête du pays qui commence. Ces mêmes villes qui avaient rang de cités fédérées, Ægys, Pharis, Géronthræ, succombent l’une après l’autre ; elles sont réduites à la condition de bourgades soumises ; la puissance des rois de Sparte, à l’étroit dans la vallée de l’Eurotas, en dépasse de toutes parts les limites, et ainsi se forme avec le temps un royaume unifié qui s’avance, à travers de sanglants combats, du côté de la mer.

Mais ces entreprises n’empêchaient pas les discordes intestines et les démêlés entre les rois conquérants et les Doriens. En effet, chaque nouveau succès donnait aux rois la tentation de restreindre, avec l’appui de leurs sujets indigènes, les droits accordés à la soldatesque dorienne. Il s’en fallut même de peu que ces tiraillements n’allassent jusqu’à paralyser complètement au milieu de son développement et à dissoudre l’État en voie de reconstitution ; et la décadence était inévitable, si une main ferme n’était venue à temps mettre ordre aux affaires publiques. Sparte dut son salut à son Lycurgue, et les honneurs qu’elle rendit à sa mémoire attestent à quel point l’on comprenait que, sans lui, la société désorganisée marchait à sa ruine. Il fut regardé comme le véritable fondateur de l’État de Sparte, c’est-à-dire comme l’auteur des institutions auxquelles Sparte était redevable de sa grandeur.

Mais, autant l’opinion était unanime à reconnaître ses services, autant il y a d’incertitude et de confusion dans tout ce que la tradition ajoute sur son compte. Évidemment, sa législation date d’une époque où l’État tout entier était désorganisé et où les autorités régulières n’étaient plus reconnues[22]. C’est pour cette raison que tous points de repère fournis par des personnages ou des faits contemporains, tous renseignements authentiques, font absolument défaut. Les Spartiates avaient déjà de très bonne heure oublié les traits précis de sa personnalité ; ils le vénéraient comme un être divin et l’entouraient de figures symboliques ; ainsi, ils appelaient son père Eunomos et son fils Eucosmos[23]. Ce n’est pas à dire pour cela que Lycurgue soit un personnage imaginaire ; il est de ceux qui, comme Épiménide et Pythagore, ont, en leur qualité de médiateurs entre l’humain et le divin, leur auréole légendaire, et il n’y a pas lieu de contester qu’un homme de ce nom ait réellement vécu et gouverné à Sparte, dans la seconde moitié du neuvième siècle avant notre ère. Chacune des deux maisons royales chercha à se l’approprier en le donnant pour un de ses membres ; mais l’on s’accordait à dire que c’était comme tuteur d’un roi mineur, et non en qualité de roi, qu’il avait donné une constitution à sa patrie. La généalogie des Agiades, suivie par Hérodote[24], fait de lui le tuteur de Léobote, tandis que, d’après l’autre tradition, la plus répandue, il aurait été régent durant la minorité de son neveu Charillos ou Charilaos, de la maison des Eurypontides[25]. On peut conclure de là que, suivant l’opinion générale, les pouvoirs des deux rois auraient été suspendus durant la confection de l’œuvre législative.

Il est probable que Lycurgue n’appartenait pas plus que les législateurs crétois à la race dorienne ; on le devine rien qu’à l’étendue de son horizon, à ses voyages lointains et à ses cela- Lions d’outre-mer. Dans sa législation elle-même, on ne le voit nulle part préoccupé de l’intérêt particulier de la race dorienne ; un Dorien n’eût guère pensé non plus à introduire à Sparte les rapsodies d’Homère[26]. La tradition qui veut que le législateur ait étudié les institutions de la Crète[27] est très croyable. Il trouvait là le problème qui lui incombait résolu avec autant de sagesse que de succès, et rien n’a été plus salutaire pour Sparte que l’imitation, inaugurée par Lycurgue, des coutumes politiques et religieuses de la Crète.

L’expérience consommée du monde et la sagacité politique qui se trouve au fond de la législation de Lycurgue ne venait pas de Sparte ; d’après tout ce que l’on sait sur la matière, elle avait sa source à Delphes et reçut de là sa sanction. La Pythie reconnut Lycurgue pour un dieu, c’est-à-dire, pour un organe absolument sûr de la volonté divine[28]. Au fond, il n’est que l’instrument de la sagesse delphique et le succès de son œuvre ne s’explique que par l’immense influence à laquelle dut parvenir, durant les désordres politiques, le corps sacerdotal de Sparte en communion étroite avec Delphes. Ses lois furent elles-mêmes considérées comme des oracles, et un collège sacerdotal fut institué pour rendre des décisions officielles concernant le sens des lois de Lycurgue.

Le législateur avait, à tout prendre, une triple tache. Le premier besoin, en effet, était la cessation des luttes sanglantes qui désolaient le pays ; c’est pour cela qu’il a commencé sa grande œuvre en instituant une sorte de trêve de Dieu. Le second était la réconciliation entre les différentes races, fondée sur une détermination précise de leurs droits et de leurs devoirs réciproques ; le troisième, l’organisation de la communauté dorienne.

Cependant, ce ne fut pas d’un seul coup, comme le ferait croire Plutarque, et sans bien des luttes que fut atteint le but, la pacification générale.

Les premières de ces luttes s’engagent du temps même du législateur. En effet, ce même Charilaos, dont Lycurgue avait pris la tutelle[29], prince entreprenant et belliqueux, voulut appesantir son joug sur les Doriens à un tel point qu’il en mérita le nom d’usurpateur ou tyran. Il en résulta un soulèvement du peuple dorien, et c’est seulement lorsque de nouveaux règlements eurent considérablement restreint les prérogatives royales, de manière à ôter pour toujours aux princes l’envie de restaurer la royauté des Pélopides, que se consolida enfin l’ordre de choses qui resta depuis lors, sans éprouver d’altérations notables, la constitution de Sparte. D’après la manière de -voir des Grecs, qui sentaient le besoin d’attribuer chaque grande œuvre historique à un seul auteur, sans songer à établir une distinction entre les matériaux antérieurs ou les additions postérieures, le mécanisme politique tout entier fut considéré comme la législation de Lycurgue.

Jamais législateur ne se trouva en face d’une tâche plus difficile. D’un côté, deux maisons royales, avec des droits fondés sur des traditions archaïques, malveillantes l’une pour l’autre, en lutte avec des familles qui avaient été jadis leurs égales, rêvant le pouvoir absolu et toujours prêtes à rechercher la faveur de la population achéenne pour se débarrasser, avec son secours, de leurs obligations envers les Doriens, et, par surcroît, une foule d’autres restes d’usages, d’institutions, de cultes qui, datant de l’âge héroïque, avaient, à la faveur des siècles, poussé de trop profondes racines pour être supprimés : d’autre part, le peuple dorien, étranger à tout ce passé, altier et indocile, fier de sa supériorité militaire et veillant d’un œil jaloux sur les droits qui lui avaient été concédés. Toutes ces antinomies en présence se montraient toujours réfractaires à la fusion, et, au sein mémo de la population du pays, les divers éléments qui s’étaient superposés à différentes époques, se trouvant déjà trop mêlés pour pouvoir se séparer de nouveau, occasionnaient une fermentation perpétuelle dans laquelle les forces du peuple s’usaient sans profit. Il n’y a jamais eu en Grèce d’État plus désorganisé et plus malheureux que Sparte avant Lycurgue[30]. On le voit, il fallait à tout prix un accommodement ; il fallait concilier, aplanir les contrastes et trouver une transaction avantageuse aux deux parties[31]. Le succès, et le succès durable, d’une pareille entreprise reste à jamais un des plus brillants résultats de l’habileté politique.

Toute la législation était essentiellement un contrat ; c’est du reste le nom que lui donnent les anciens eux-mêmes[32] : le contenu n’en est par conséquent rien moins que purement dorien.

Et d’abord, l’État n’avait-il pas toujours à sa tète les familles royales entourées de tous les attributs de la puissance souveraine en usage au temps des Achéens ? Cette royauté était indispensable dans l’État qu’il s’agissait de réorganiser, car elle était le lien qui tenait unis les anciens et les nouveaux éléments de la population ; elle était la garantie de l’unité politique. Les rois étaient vis-à-vis des dieux du pays les représentants de la nation entière : ce n’est que par eux qu’il fut possible de rattacher le nouvel ordre de choses au passé, sans rompre avec les traditions consacrées. Vivant au milieu du peuple dorien, qui leur devait le service militaire, ils étaient en même temps un gage de l’obéissance et du dévouement de l’ancienne population qui révérait en eux ses chefs suprêmes. D’un autre côté, la coexistence de deux dynasties offrait un grand avantage ; c’est que, par là, deux partis puissants se trouvaient ralliés avec leurs intérêts à l’État, et que la population anté-dorienne se voyait représentée dans le gouvernement par deux de ses plus illustres familles, qui y avaient toutes deux une part égale. En effet, ce que la ligne dite aînée, celle des Agiades, avait de plus que l’autre, consistait en prérogatives honorifiques sans conséquence[33].

En outre, la double royauté était une garantie contre tout empiètement tyrannique : elle utilisait la jalousie mutuelle des deux lignes pour les empêcher d’outrepasser les attributions royales. Une précaution semblable avait motivé la défense faite aux rois d’épouser des femmes étrangères. Il ne fallait pas que quelque alliance avec d’autres maisons souveraines leur inspirât une politique dynastique et des fantaisies de tyrans. Ainsi, une prudence défiante, que l’on avait apprise dans les siècles de guerres civiles, s’alliait merveilleusement avec la Simplicité naïve de la royauté héroïque, avec les mœurs patriarcales qui donnaient pour insignes aux rois une double coupe et une double portion dans les banquets.

Le couple fraternel des Dioscures, révéré depuis longtemps sur les bords de l’Eurotas, était le modèle héroïque des deux souverains associés ; chacun des rois emportait avec lui à la guerre une image des Dioscures[34] ; et la preuve la plus frappante du crédit et de l’autorité qu’on accordait en toute occasion à la tradition héroïque, c’est que Lycurgue introduisit à Sparte les poèmes homériques. Des rivages de l’Ionie, la gloire des princes achéens revint éveiller les échos du Péloponnèse : les droits royaux se trouvèrent enregistrés et scellés dans l’épopée comme dans un document national : à Sparte aussi, la royauté allait avoir une consécration, et le trône, un appui.

Comme les rois de l’âge homérique, ceux de Sparte étaient assistés d’un Conseil des Anciens choisi parmi les citoyens les plus influents, et appelé à prendre part au gouvernement ainsi qu’à l’exercice de la juridiction. Tout ce qui autrefois dépendait du bon plaisir des princes fut soumis à des règlements fixes, et la royauté ne put décliner la coopération du conseil d’État. Surtout lorsqu’il s’agissait de la vie d’un citoyen, les rois ne pouvaient plus prononcer la sentence en leur propre nom, mais seulement comme membres du conseil, où ils avaient vingt-huit collègues. C’étaient des sénateurs (Gérontes) à vie, désignés par l’acclamation populaire comme les Meilleurs des citoyens, et qui, de plus, avaient fait leurs preuves durant une vie de soixante années, enfin, les hommes de la confiance publique.

Si donc, ici comme dans toutes les communes de l’antiquité, nous devons regarder le conseil comme une représentation de la communauté, le nombre de ses membres ne saurait être fortuit, mais doit correspondre à une division de la cité. Cette division, il est vrai, n’est pas positivement attestée, mais il est absolument probable qu’il y avait à Sparte trente subdivisions de tribus ou Obæ, dix hylléennes, dix dymaniques et dix pamphyliennes, et que chaque Obe envoyait un député au conseil[35]. Les rois n’avaient par conséquent d’autre privilège que d’être de droit les représentants des deux Obæ auxquelles appartenaient leurs familles, et que de présider. Chacun d’eux n’avait qu’une voix sur trente, et lorsqu’ils manquaient (ils devaient, à ce qu’il paraît, être ou tous les deux présents ou absents tous les deux), un des sénateurs disposait des deux voix et votait en troisième lieu pour son propre compte[36].

De même, pour ce qui regarde la constitution de la cité, il y entra certainement bien des usages archaïques qu’on se borna à rajeunir. Comment, sans cela, des antiquaires comme Hellanicos[37] auraient-ils pu faire remonter la législation tout entière au temps de l’invasion dorienne, à Eurysthène et Proclès ? Au nombre de ces institutions primitives, il faut placer sans aucun doute la division de la communauté dorienne en Phylæ et Obæ, ainsi que les dispositions concernant sa résidence et sa dotation foncière.

Les Doriens, lorsqu’ils vinrent à Lacédémone, avaient, là comme partout, exigé et reçu des terres. Les lots de terres, obtenus de gré ou de force, leur avaient été assignés par les autorités indigènes alors en fonctions, et l’on procéda en cette occasion à peu près de la même manière que pour une fondation de colonie[38], c’est-à-dire que les terrains destinés à être partagés, provenant soit de l’ancien domaine des Pélopides détrônés, soit de propriétés privées enlevées, au milieu des discordes intestines, à leurs anciens possesseurs, furent mesurés, et les colons reçurent tous des lots égaux dont la contenance était calculée pour suffire à l’entretien d’une famille.

Ces premiers arrangements étaient en rapport avec la situation dans laquelle se trouvait la Laconie après la chute des Pélopides ; car, là comme en Crète, les Doriens avaient été accueillis par les villes rendues à leur indépendance et avaient commencé à se familiariser de différentes manières avec les Achéens. Mais bientôt la discorde se mit entre tous ces petits États ; ils perdirent l’un après l’autre leur indépendance et, par suite, les Doriens durent se trouver également dans une situation des plus embarrassées. Lorsque, plus tard, Sparte devint un nouveau centre et le berceau d’un empire lacédémonien, il fallut réunir les membres dispersés de la race dorienne, dont l’énergie pouvait seule assurer un succès durable, et, après les avoir réorganisés, les grouper comme dans un camp autour du double trône des Héraclides. Il s’opéra donc une réorganisation de la colonie militaire, comme nous pouvons appeler la communauté dorienne, une nouvelle division, un nouveau recensement et un nouveau partage de terres.

Nous devons nous attendre à rencontrer, dans ces sortes de colonies, des chiffres très précis : il ne manque pas non plus de bons renseignements à ce sujet[39] Les différentes estimations qui portent à 4.500, 6.000 et 9.000 la somme des lots distribués par Lycurgue, ne sont pas une difficulté : ces chiffres appartiennent évidemment à des époques différentes, et nous avons de bonnes raisons pour admettre que les chiffres les moins élevés sont les plus anciens ; ils sont allés grossissant, parce que, plus tard, de nouvelles acquisitions territoriales entraînèrent une augmentation dans le nombre des lots. Une autre preuve que le premier nombre est celui de Lycurgue., c’est que le roi Agis le rétablit artificiellement six siècles plus tard, en admettant dans la communauté des périèques et des étrangers ; ce devait être, par conséquent, un nombre consacré par une ancienne tradition.

Les lots de terre alloués aux Doriens formaient au milieu de la contrée un domaine compacte dont, grâce cette fois encore aux réformes d’Agis, nous pouvons indiquer avec précision les limites. Il s’étendait au nord jusqu’à l’endroit où se resserre la vallée haute de l’Eurotas, à Pellana, et jusqu’au défilé de la vallée d’Œnos à Selasia ; au sud, les fertiles plaines qui s’ouvrent sur le golfe de Laconie et s’étendent jusqu’au cap Malée appartenaient encore au domaine dorien : à l’est et à l’ouest, les deux montagnes principales, le Taygète et le Parnon, en formaient les limites[40] Ainsi, le cœur de la Laconie était tout entier en la possession des Doriens ; ils habitaient là, divisés en Phylæ et Obæ, chaque phyle comprenant 1500 et chaque Obe, 150 familles. Les phylæ et obæ formaient aussi des cantons distincts : ainsi l’obe Agiadæ, la résidence de l’aînée des maisons royales, était un district sur les bords de l’Eurotas[41].

Du reste, même sous ce régime, les Doriens n’étaient pas le moins du monde propriétaires absolus du sol. Ils ne pouvaient rien vendre, rien acheter, ni donner ou léguer quoi que ce soit. Les lots se transmettaient sans altération de père en fils, à la façon des majorats ; à défaut d’héritiers mâles, ils revenaient à l’État, c’est-à-dire que les rois, comme étant les premiers possesseurs du sol, en disposaient.

Ainsi, tandis qu’en Crète nous trouvons les assignations de terres pratiquées sous deux formes, l’une qui abandonnait le sol en toute propriété aux colons, l’autre qui en réservait la propriété à l’État, la législation de Lycurgue, celle qui s’est montrée la plus sévère pour les Doriens, n’a admis que le dernier système. Les rois sont les seuls chefs de l’État, les successeurs et les héritiers de ceux qui ont fondé l’État, institué la commune et partagé le domaine commun, à la condition expresse que chaque détenteur devrait en retour au souverain le service militaire. C’est sur ce système que repose, ici comme en Crète, l’organisme de l’État. A chaque lot est attachée l’obligation du service, et comme celui-ci est le même pour tous, les lots sont naturellement aussi égaux que possible en surface et en valeur[42].

Ici, le point essentiel était le maintien de l’ordre établi, et les rois, en leur qualité de suzerains, étaient chargés d’y veiller ; ils avaient soin particulièrement qu’il n’y eût point rie lots vacants, et que les membres de la communauté militaire qui seraient dépourvus de terres en pussent avoir en épousant des héritières. Se marier en temps opportun était, pour le Dorien en possession de sa part, un devoir public : il était obligé de faire sou possible pour se préparer des successeurs robustes, et c’était si bien là le but avoué du mariage qu’une union inféconde n’était plus considérée comme un mariage et que l’État en exigeait la dissolution.

La communauté dorienne astreinte au service militaire corn, posait la Phroura ou garde des rois[43]. C’est au milieu d’elle qu’ils avaient leur tente pendant la guerre, au milieu d’elle qu’ils habitaient sur les collines de Sparte. Mais ce centre du pays ne devait pas être une forteresse fermée, comme un ancien château-fort achéen ; au contraire, il fallait que les rois se sentissent complètement en sécurité au dedans et au dehors sans se retrancher derrière des murailles, et que les Doriens n’eussent jamais l’idée de compter sur des remparts. C’est pourquoi la capitale du pays resta une ville ouverte, où les rois vivaient au milieu de la communauté dorienne dans une simple habitation bourgeoise. Sparte ne formait pas un groupe circonscrit de maisons comme les autres villes grecques, mais, assise avec un laisser-aller rustique sur les rives de l’Eurotas, elle déborda peu à peu dans la plaine[44], et les Doriens habitaient tout le long de la vallée, bien en dehors de Sparte, sans que les plus éloignés en fussent moins citoyens de Sparte que ceux qui étaient restés au gué de l’Eurotas. Ils étaient tous Spartiates, comme on les appelait, dans le sens rigoureux du mot, pour les distinguer des Lacédémoniens[45].

Tenue rigoureusement à l’écart de cette communauté militaire[46], l’ancienne population qui habitait dans les montagnes tout autour du pays des Spartiates (d’où le nom d’habitants des alentours ou périèques) avait conservé son genre de vie habituel. Plus de trois fois plus nombreux que les Spartiates, ils cultivaient le sol bien plus ingrat des montagnes, dont ils accommodaient les pentes escarpées, à force de terrasses maçonnées, à. la culture du blé et du vin. Ils exploitaient les carrières et les mines du Taygète, s’adonnaient à l’élevage des bestiaux et à la navigation, et pourvoyaient le marché de Sparte de fers, de matériaux de construction, de laines, de cuirs... etc. Propriétaires libres de leur sol, ils payaient aux rois leurs redevances, conformément aux antiques usages[47].

Mais les paysans qui résidaient sur les terres des Spartiates avaient un sort bien plus dur. Une partie d’entre eux se composait probablement d’anciens paysans du domaine, de Lélèges qui avaient déjà été tributaires des Achéens ; d’autres avaient perdu leur liberté plus tard, au milieu des guerres civiles. Ils purent rester sur leurs anciennes possessions, à la condition de livrer aux Spartiates logés chez eux une portion considérable de la récolte.

Cette contrainte provoqua bien des soulèvements, et il est probable que l’ancienne ville maritime d’Hélos fut pour un temps le foyer d’une révolte de ce genre. C’est, en effet, la seule manière d’expliquer l’opinion générale des anciens, qui faisaient venir de cette ville le nom d’Hilotes, usité depuis lors pour désigner toute la classe des campagnards soumis par les armes et dépouillés de leur liberté[48]. Le régime adopté à leur égard était en substance le même que celui que les Doriens avaient déjà vu appliqué aux Pénestes, en Thessalie.

Les familles d’hilotes vivaient disséminées sur les lots des Spartiates : ceux-ci leur abandonnaient la terre et exigeaient la livraison régulière du montant de la récolte auquel elle était estimée. Ce montant comprenait, pour chaque lot, quatre-vingt-deux boisseaux d’orge et une quantité proportionnelle de vin et d’huile[49] ; ce que les hilotes produisaient en plus leur appartenait, et chacun pouvait de cette t’acon arriver à une certaine aisance.

Les hilotes étaient esclaves et sans aucuns droits civiques : cependant, ils n’étaient pas non plus complètement à la merci de l’arbitraire. Ils étaient les esclaves de la communauté, et nul n’avait le droit de lui faire tort en s’attaquant à eux. Comme membre de l’État, le Spartiate pouvait exiger de tout hilote respect et obéissance, mais nul ne pouvait traiter un seul d’entre eux comme sa propriété. Ils ne pouvaient être ni vendus. ni donnés : ils appartenaient à l’inventaire du bien, et, même dans les meilleures années, le détenteur de ce bien ne pouvait, sous peine de punition sévère, exiger d’eux un seul boisseau d’orge de plus qu’il ne lui en était légalement dû.

Le législateur avait ainsi réglé les choses, à l’exemple de la Crète, afin que les Spartiates, sans inquiétude sur leurs moyens d’existence, pussent consacrer tout leur temps aux devoirs qu’ils avaient contractés envers la société. Mais ils n’étaient pas simplement les gardiens de la société et la force armée mise à sa disposition : ils prenaient encore part, dans une certaine mesure, à l’exercice de la souveraineté publique, au gouvernement et à la législation ; ils formaient, à proprement parler, la bourgeoisie de l’État fondé par Lycurgue. C’était pour les rois un devoir de convoquer les citoyens au moins une fois par mois ; le jour de la pleine lune, et ils n’avaient pas le droit de choisir à cet effet d’autre place que le coin de la vallée de l’Eurotas situé entre Babyka et Knakion[50], c’est-à-dire, probablement, entre le pont de l’Eurotas et le confluent de l’Œnos, par conséquent, juste au milieu de la résidence propre des Doriens, dans la banlieue de Sparte, d’où il ne fallait jamais écarter le centre de gravité de l’État.

Cette assemblée était en même temps une revue de la bourgeoisie valide, passée sous les yeux de ses généraux ; c’est là qu’avaient lieu les élections des Gérontes et des autres fonctionnaires[51], que l’on venait entendre les communications officielles des autorités, et que les affaires les plus importantes, telles que déclarations de guerre, propositions de paix, traités et lois nouvelles, étaient soumises à la ratification constitutionnelle.

Tous débats étaient interdits ; aucun amendement, aucune motion nouvelle ne pouvaient être proposés par la bourgeoisie : elle n’avait à dire que Oui ou Non. Encore le vote était-il, la plupart du temps, une pure formalité, car ce n’était ni au moyen d’urnes, ni par mains levées, mais uniquement, selon les usages militaires, par acclamation que la volonté du peuple se faisait connaître. Les assemblées étaient aussi courtes que possible et se tenaient debout ; on évitait tout ce qui eût pu inviter à prolonger commodément la réunion ; tout ornement, toute construction propre à abriter en étaient bannis. Il n’y avait probablement de sièges que pour les magistrats présidents[52]. Aussi le lieu de l’assemblée fut, dès le principe, bien distinct de celui du marché. On le voit, la participation des Doriens aux affaires publiques était réglée de telle sorte qu’ils se trouvaient satisfaits à l’idée d’avoir leur part de souveraineté et de pouvoir, dans les conjonctures graves, contrôler en dernière instance les mesures proposées par l’État. Il fallait qu’ils se sentissent citoyens et non pas comme incorporés à un État étranger : ils n’étaient pas simplement l’objet passif de la législation, mais ils y prenaient une part active, car ils n’obéissaient qu’aux ordonnances auxquelles ils avaient donné leur approbation. Et cependant, en règle générale, ils étaient gouvernés et ne gouvernaient pas. D’ailleurs, toute leur éducation était telle qu’ils n’avaient ni la capacité ni l’envie de se mêler de choses politiques ; leur horizon était trop étroit pour qu’ils fussent à même de juger des affaires générales et surtout des affaires étrangères. En outre, tout à Sparte était si minutieusement réglé, qu’il n’était pas facile de modifier quelque chose dans le mécanisme gouvernemental.

Ainsi donc, en somme, le Spartiate usait peu et rarement de ses droits politiques. Il n’en avait que plus de temps et d’énergie à consacrer aux exercices militaires. En effet, la grande préoccupation du législateur avait été de conserver intacte à l’État la force militaire dont il avait acheté la possession au prix de ses meilleures terres. C’est pourquoi les mœurs du peuple dorien, mœurs grâce auxquelles celui-ci s’était jadis imposé, avec une puissance si irrésistible, à la race énervée des Achéens, la forte discipline, l’austère simplicité de la vie, furent rétablies dans toute leur sévérité et protégées par toutes les rigueurs de la loi.

Cette sévérité était d’autant plus nécessaire que la nature luxuriante de la vallée portait davantage à une vie molle. L’aptitude militaire était la condition mise à la jouissance des droits et avantages accordés par la constitution ; car la naissance ne conférait par elle-même aucun droit. L’État se réserva expressément de soumettre les enfants des Spartiates, aussitôt après leur naissance, à un examen de leur conformation physique, avant qu’ils ne fussent reconnus enfants de la maison. Ceux qui étaient faibles et contrefaits étaient exposés sur le Taygète[53], c’est-à-dire qu’ils ne pouvaient être élevés qu’avec les enfants des périèques, car l’intérêt de l’État était compromis, si un lot devait passer aux mains d’un héritier incapable de porter les armes.

Celui même qui avait été élevé comme fils légitime de Spartiate pouvait être dégradé ; il perdait ses droits, s’il ne satisfaisait pas complètement à tous ses devoirs de soldat. D’autre part, le législateur de Sparte avait sagement pourvu à ce que la communauté spartiate pût se compléter avec des recrues d’un autre sang et des forces fraîches ; car il pouvait se faire que même des individus qui ne provenaient pas d’un mariage purement dorien, des enfants de périèques ou d’hilotes, s’ils avaient fait consciencieusement jusqu’au bout leur éducation militaire, fussent admis dans la communauté dorienne et mis en possession de lots vacants. Mais il fallait pour cela le consentement des rois ; c’est devant eux qu’avait lieu l’adoption solennelle du récipiendaire par un Dorien pourvu de son majorat[54]. C’est ainsi que l’État recrutait de nouveaux citoyens, et c’est à cette institution que Sparte dut une bonne partie de ses plus grands hommes d’État et de ses meilleurs généraux. Ainsi, c’était l’éducation, la discipline qui faisait le Spartiate, et non le sang des aïeux[55].

E est certain que l’éducation spartiate ressemblait en bien des points aux mœurs primitives des Doriens, et que, grâce à une pratique journalière, continuée de génération en génération, elle était devenue chez les membres de la communauté une seconde nature. Sous ce rapport également, Lycurgue avait encore enchéri sur les institutions de la Crète. Celles-ci laissaient le jeune Dorien dans la maison maternelle jusqu’à son adolescence ; Sparte prenait l’enfant dès l’âge de sept ans et l’incorporait dans sa compagnie, où il devait passer par tous les exercices préparatoires au service militaire, endurcir et exercer son corps, en se conformant exactement à la manière prescrite au nom de l’État par les magistrats. Ainsi l’enfant, avant d’avoir appris à réfléchir, se trouvait déjà serré entre des règlements étroits et inflexibles, qui lui faisaient perdre tous sas penchants et ses goûts naturels. C’est ainsi qu’il arrivait à l’adolescence : puis, adolescents et hommes faits continuaient à vivre sous l’empire du même sentiment, se pressant comme instinctivement les uns contre les autres, à la façon des abeilles.

Ce sentiment trouvait un aliment dans les chants en chœur, parce que leur bonne exécution dépend entièrement de la subordination des parties à l’ensemble, de la coopération désintéressée de chacun à une tâche commune ; il se retrempait dans les exercices guerriers et les danses des jours de fête, qui s’exécutaient en commun, ainsi que dans les repas communs (Syssitia-Phiditia[56]), auxquels ceux qui avaient déjà une famille à eux, et les rois eux-mêmes, ne pouvaient se soustraire. La maison devait toujours venir en second lieu, et, même dans son pays, le père de famille ne devait jamais perdre le sentiment et l’habitude de la guerre et de la vie des camps. Aussi, manger en commun s’appelait camper ensemble ; les compagnons de table n’étaient autres que les compagnons de tente ; la nourriture était si simple qu’on pouvait facilement faire aussi bonne chère en campagne. On s’asseyait à quinze à la même table, et ce qui décidait de la composition du groupe, ce n’était ni un règlement, ni le domicile, mais le libre choix des membres. En effet, avant l’admission d’un nouveau membre, on procédait à un scrutin, et une seule voix opposante suffisait pour faire écarter la proposition[57]. C’était une mesure tout à fait militaire, ayant pour but d’établir entre les convives un lien de camaraderie, car ils étaient tous dès lors obligés de répondre les uns des autres, en temps de paix comme sur le champ de bataille. Or, ceci était d’autant plus important que le cercle de convives était l’unité sur laquelle était basée l’organisation de l’armée. En effet, la communauté dorienne tout entière se composait de 300 camaraderies semblables. Là, un mélange heureux rompait la monotonie des relations que créent le voisinage et la parent4 ; là, au milieu d’un formalisme rigoureux, il y avait place pour la liberté, pour les liaisons spontanées, pour les inclinations. D’autre part, ces cercles avaient leurs traditions qui se conservaient d’une génération à l’autre, et de là naissait l’esprit de corps qui contenait dans de justes bornes les penchants individuels.

Mais précisément parce que, en définitive, la vie, telle que la loi l’avait faite, donnait peu satisfaction à l’instinct de liberté naturel à l’homme, que c’était une vie de contrainte et de règle, il était de l’intérêt du législateur d’empêcher les relations avec l’extérieur, de peur que la vue d’un genre de vie plus commode et plus humain ne dégoûtât les Spartiates de leur condition. Toute cette vie de communauté avait quelque chose de concentré, de voilé, de mystérieux. La situation de la vallée de l’Eurotas, cachée entre le Taygète et le Parnon, rendait l’isolement plus facile ; c’était comme un camp bien gardé, où l’on ne pouvait ni sortir ni entrer sans permission. Des postes gardaient les défilés de Belmina, Selasia et Caryæ, qui étaient comme autant de guichets conduisant dans l’intérieur de la vallée de l’Eurotas[58]. L’émigration était pour un Spartiate un crime entraînant la peine de mort, car ce n’était autre chose qu’une désertion ; les voyages étaient rendus impossibles rien que parla défense faite à tout Spartiate de posséder d’autre argent que la monnaie de fer du pays, monnaie qui, non seulement était peu maniable et extrêmement incommode, mais n’avait pas cours en dehors du pays[59]. Posséder de l’or et de l’argent était si sévèrement défendu qu’il en coûtait la vie à celui chez qui on en découvrait. Comme, d’ailleurs, la loi interdisait toute culture intellectuelle qui eût pu ouvrir à l’esprit de plus vastes horizons, comme elle ne tolérait, en fait de poésie et de musique, ce lien artistique qui rapprochait le plus les uns des autres les Hellènes, que ce qui avait reçu de la main de l’État une certain coupe, une forme officielle, toute l’éducation du Spartiate, comme sa monnaie, n’avait de valeur que dans son pays ; et, de même que tout Grec habitué à la liberté devait se sentir gêné et dépaysé à Sparte, de même le Spartiate, transporté hors de sa sphère, ne pouvait que se sentir partout étranger, embarrassé et mal à l’aise.

Lorsque des hauteurs du Taygète on abaissait le regard sur la vallée, elle devait ressembler à un vaste champ de manœuvre, aux cantonnements d’une armée prête à livrer bataille, campant en pays conquis. A certaines heures, la jeunesse s’avançait sur le lieu de ses exercices aux bords de l’Eurotas : la troupe se rangeait en groupes bien ordonnés, tous en armes ou avec un bâton, le signe de l’autorité, distingués des autres classes d’hommes, qu’ils faisaient courber devant eux, par le manteau court, les cheveux flottants et la barbe[60]. Tout, jusqu’aux fêtes, avait un caractère militaire. Commander et obéir — c’était là toute la science du Spartiate ; aussi avait-il la parole brève et concise. La plaisanterie et les saillies n’étaient pas défendues : au contraire, la familiarité entre camarades y donnait assez occasion ; c’était une école toujours ouverte où l’esprit s’exerçait aux remarques fines et aux reparties heureuses. Lycurgue lui-même passe pour avoir fondé un culte en l’honneur du dieu du Rire[61] ; c’était eu effet, de la part du législateur, une sage précaution que d’égayer et d’adoucir autant que possible le sérieux aride d’une vie livrée tout entière à la tyrannie du devoir. La véritable patrie de l’éloquence spartiate, le foyer d’où jaillirent tant de saillies à la spartiate, qui couraient toute la Grèce, était la Lesché, proche des champs de manœuvre, le rendez-vous où les oisifs se réunissaient par petits groupes et conversaient avec vivacité, comme on fait autour des feux de bivouac. C’est là que l’on apprenait le ton du dialogue spartiate et que l’on s’exerçait à la présence d’esprit[62].

Malgré tout, la monotonie d’une existence qui se passait tout entière sur les champs de manœuvre et sous les armes fût devenue intolérable, si la chasse n’eût offert aussi en temps de paix des distractions et des aventures. Les forêts qui couvraient à mi-côte la chaîne du Taygète fourmillaient de chevreuils, de sangliers, de cerfs, d’ours, surtout la ligne de hauteurs qui relient les cimes de Taléton et d’Evoras, au-dessus de Sparte, et qui portaient le nom de Théræ (chasses)[63]. Là, le long des ravins abruptes d’où les torrents se précipitent dans la vallée, les joyeuses bandes de chasseurs doriens grimpaient d’un pied léger, escortés par les aboiements impatients des limiers de Laconie, les,meilleurs de leur espèce. Les pics escarpés, que la neige couronne les trois quarts de l’année, fournissaient assez d’occasions de déployer une agilité virile, du courage et des muscles d’acier. Le gibier était considéré comme butin de guerre, et pouvait être servi à Sparte sur la table commune, pour varier agréablement le menu uniforme des phidities, tandis que les aventures de chasse assaisonnaient pendant longtemps les conversations de la Lesché.

Pour que la discipline spartiate, conformément aux intentions du législateur, embrassât la vie sociale tout entière, il ne fallait pas que la maison et le régime domestique restassent en dehors de son atteinte. Aussi, il ne manquait pas de règlements et de dispositions légales concernant le mariage, le développement corporel des jeunes filles, le genre de vie et les devoirs des femmes, l’entretien et l’éducation des enfants. Les nourrices de Laconie étaient recherchées dans toute la Grèce. Cependant, le législateur n’a pas réussi à faire pénétrer au delà du seuil domestique toute la rigueur de ses prescriptions, et à étendre jusque dans l’intérieur de la famille la discipline de l’État. Là, la mère de famille resta en possession de ses droits, et plus la maison devenait en somme le seul endroit où le Spartiate pût encore se sentir homme et se mouvoir spontanément, plus la femme, qui administrait l’intérieur de la maison, la Mesodoma[64], acquit de dignité et d’influence, elle qui devait au besoin, pendant l’absence de son mari, mener toutes les affaires domestiques et savoir gouverner ses hilotes. Son rôle devait être particulièrement difficile, mais aussi, son influence singulièrement puissante, lorsque plusieurs familles devaient tirer leur subsistance d’un seul lot de terre : en pareil cas, il arrivait fréquemment que plusieurs frères avaient en commun une seule femme[65].

De fonctionnaires, il en fallait peu à un État semblable. Le lien de la communauté spartiate était la subordination des plus jeunes aux plus âgés, des guerriers à leurs supérieurs, de tous à la loi ; la population achéenne était gouvernée par des intendants envoyés dans les différents districts des périèques ; la crainte d’une puissance toujours armée contenait les hilotes ; l’État tout entier était sous la garde des rois Héraclides, qui le maintenaient dans son antique communion avec ses dieux et ses héros, gage de sa prospérité, faisaient appliquer la loi et surveillaient le système de la propriété foncière, la base de tout l’édifice. Ils avaient pour les assister les quatre Pythiens, les représentants du dieu de Delphes, chargés de veiller à ce que l’État fondé sous son autorité restât constamment en harmonie avec sa volonté.

Les rois choisissaient les chefs militaires et les inspecteurs de la jeunesse ; enfin, pour la police générale, ils se donnaient aussi des auxiliaires et des représentants[66].

L’assistance de ces délégués était particulièrement nécessaire en Laconie, où tant d’hommes d’origine et de condition différente se touchaient de si prés, pour prévenir entre eux des froissements qui eussent troublé la paix publique. Notamment sur le marché de Sparte, où affluaient des gens de toute espèce, if fallait une police sévère. Le moindre tumulte, la moindre émeute était doublement à redouter dans un État fondé comme Sparte sur l’immobilité. C’était son orgueil de ne pas avoir de capitale aux ruelles encombrées et remplie d’une populace bruyante, mais d’offrir, rien que. dans l’extérieur des habitations, dans le calme du commerce quotidien, une agréable image de l’ordre ; c’est l’éloge que donne Terpandre à la ville dans les larges rues de laquelle habite la justice[67].

Il est probable que c’est dans cette nécessité de veiller à l’ordre public, d’accommoder les différends qui s’élevaient surtout entre acheteurs et vendeurs, qu’il faut chercher l’origine de l’éphorie, magistrature qui est vraisemblablement bien plus ancienne que la législation de Lycurgue et a ses racines ailleurs que dans le régime politique des Doriens[68]. Elle resta debout, comme tant d’autres choses, dans l’État de Lycurgue ; elle y acquit même une importance toute nouvelle, lorsque les fantaisies tyranniques des rois firent échouer la grande œuvre de réconciliation entreprise par Lycurgue, et que la défiance réveillée exigea le création d’une autorité chargée de défendre contre toute attaque les intérêts de la communauté dorienne.

La magistrature des éphores, qui ne déploya toute sa puissance que dans la période suivante, lorsque Sparte fut devenue un État conquérant, agrandit aussitôt l’influence de l’élément dorien. A l’extérieur, Sparte conserva son aspect d’autrefois, et celui qui se promenait par les rues de la ville ne rencontrait que des monuments dédiés aux dieux et aux héros de l’époque achéo-éolienne. Mais à l’intérieur s’opérait une transformation radicale ; la force dorienne, retrempée et disciplinée par les lois de Lycurgue, se montra de jour en jour plus envahissante, et l’État, qui jusque là était resté achéen dans ses institutions fondamentales, prit ainsi de plus en plus le caractère d’un État dorien[69].

Ce dorisme pénétra jusque chez les périèques, les anciens Lélèges et Achéens ; le dialecte dorien devint la langue officielle du pays. Du marché de Sparte, il se répandit dans les régions où les Doriens se trouvaient en contact avec les autres races ; toute la côte orientale, jadis argienne, devint du même coup lacédémonienne et dorienne ; l’administration du pays fut confiée à des fonctionnaires doriens. A Cythère, le point faible de la domination lacédémonienne, parce que l’île était habitée depuis l’antiquité la plus reculée par une population des plus mêlées et que, dans une station maritime si fréquentée, l’isolement vis-à-vis de l’étranger ne pouvait pas être maintenu avec autant de rigueur, on envoya chaque année un gouverneur avec une garnison dorienne, qui tint en bride le peuple remuant de l’île[70].

Le service militaire servit aussi à rapprocher l’une de l’autre la population dorienne et la population non dorienne. En effet, bien qu’à l’origine la communauté dorienne formât exclusivement la caste guerrière, jamais cependant les périèques n’Avaient été relevés de l’obligation, qui leur incombait jadis, de porter les armes, et nous ne connaissons pas d’armée lacédémonienne dans laquelle il n’y ait eu des périèques, même parmi les hoplites. Ils étaient formés et exercés ace service par les Spartiates, qui étaient de droit leurs officiers. Lorsqu’ils avaient appris à supporter la faim et la soif, à mépriser la douleur de la flagellation sanglante subie devant l’autel d’Artémis Orthia[71], lorsqu’ils avaient fait leurs preuves sur les arènes des bords de l’Eurotas et sous les ombrages de l’île du Plataniste, au milieu des jeux belliqueux de la jeunesse, et suivi jusqu’au bout l’école du soldat, ils portaient les armes d’abord dans leur propre pays, ‘pour montrer s’ils sauraient agir avec initiative, énergie et présence d’esprit. Ils jouaient alors le rôle de maîtres e t seigneurs du pays, surveillant les pilotes, les conspirateurs perpétuels, maintenant l’ordre et la discipline, depuis la frontière arcadienne jusqu’au cap Ténare, le centre de la population asservie. Dans tous les rapports entre les divers éléments de la population, l’esprit dorien prit une influence décidée et prédominante ; l’ancien caractère achéen s’effaça et disparut de jour en jour.

Ce sont là des résultats étrangers au but primitif des institutions de Lycurgue ; mais ils en étaient la conséquence nécessaire et furent regardés pour cette raison comme en faisant partie. L’antiquité n’en eut que plus d’admiration pour cette législation qui, à la juger par le résultat, est unique dans son genre. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de signaler en général les principes qui lui ont servi de hase, les modèles qu’elle imita, l’autorité religieuse sous l’œil de laquelle elle s’élabora ; mais le rôle personnel du législateur se dérobe complètement à nos regards. Thucydide lui-même, lorsqu’il parle de la législation lacédémonienne, se montre fort réservé au sujet de son auteur, tandis qu’il en détermine l’époque avec précision. Il estime sa durée, à la fin de la guerre du Péloponnèse, à quatre cent et quelques années : il place par conséquent la législation vers 820 avant J.-C. On avait des généalogies de rois qui remontaient jusqu’à Proclès, mais elles ne contenaient que des noms sans chiffres, et encore, le nom de Lycurgue n’y figurait pas. Plus tard, on calcula la succession des souverains d’après des moyennes, et on plaça, la régence de Lycurgue en l’an 219 après le retour des Héraclides (1103), par conséquent, en 884. C’est là le calcul d’Ératosthène, généralement accepté depuis lors[72].

Quant au jugement à porter sur la constitution de Lycurgue, il ne faut pas le chercher ailleurs que dans l’histoire de l’État qui lui doit d’être devenu un État historique et d’être sorti de l’étroite sphère où il était enfermé.

 

 

 



[1] PAUSANIAS, IV, 3, 3.

[2] OVIDE, Rem. amor., 707.

[3] O. MUELLER, Orchomenos und die Minyer, p. 309.

[4] Sur l’oracle de Thalamae, v. E. CURTIUS, Peloponnesos, II, 284. STARK, Niobe, p. 352. A. SCHÆFER, De ephoris, p. 18.

[5] Sur le commerce maritime de la Laconie, v. GILBERT, Stud. zur artspartan. Gesch., p. 40.

[6] Εύρώτας (rac. ρω, ρυ, d’après POTT et G. CURTIUS, Griech. Etymol., p. 355). Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, II, 216, Rhein. Mus., XXXII, p. 260.

[7] Atrides et Tyndarides (PAUSANIAS, III, 1). Tombeau de Ménélas (Μενελαΐον PAUSANIAS, III, 19, 9).

[8] HÉRODOTE, IV, 145.

[9] Sur le culte d’Artemis, v. TRIEBER. Quæst. Laconicæ, Gœtting., 1867. Pour plus de détails sur les éléments phéniciens en Laconie, v. TRIEBER, Untersuch., p. 121 sqq.

[10] Σπάρτη (E. CURTIUS, Peloponn., II, 312). C’est aussi l’opinion de POTT (Kuhn's Zeitschrift, V, p. 241).

[11] HÉRODOTE, IV, 147. PAUSANIAS, IV, 3, 4.

[12] PINDARE, Isthmiques, VI (VII), 10 sqq. L’action des Ægides s’exerce dans un sens favorable aux Achéens (Cf. PAUSANIAS, III, 10, 3). Gilbert attache une importance spéciale à l’influence des Ægides.

[13] La femme d’Aristodémos, Argéia, était de race cadméenne (HÉRODOTE, VI, 52. SCHŒMANN, Gr. Alterth., I3, 204. 210).

[14] HÉRODOTE, V, 72. Je ne vois pas trop de quel droit on prétend récuser un pareil témoignage.

[15] SCHÆFER (De ephoris) veut substituer Géronthræ à Bœæ. Je ne puis me rallier à son opinion.

[16] E. CURTIUS, Peloponnessos, I, 392.

[17] Éphore (ap. STRABON, VIII, 5, 4), fait commencer l’hexapole laconienne à Eurysthène et Proclès (E. CURTIUS, Peloponn., II, 309). Son autorité, déjà récusée par O. MUELLER (Dorier, I, 96) est de nouveau attaquée par GILBERT.

[18] Royautés géminées en dehors de Sparte, en Ionie, à Sicyone, etc. Cf. H. GELZER, De earum, quæ in Græcorum civitatibus præter Spartam inveniantur, diarchiarum vestigiis, Gœtting., 1868, dans le volume publié par la Soc. philol. de Gœttingen à l’occasion du départ de M. E. Curtius.

[19] HÉRODOTE, IV, 147. GILBERT (op. cit., p. 64 sqq.) distingue trois établissements différents, Achéens, Doriens, Algides. GELZER, (op. cit.) faisant valoir l’identité de noms que l’on remarque entre les Ægides de Théra et les Proclides de Sparte, et une indication du scoliaste de Pindare (SCHOL. PINDARE, Isthm., VI, 18), pense que les Ægides, qui formaient primitivement la seconde dynastie, ont été expulsés par les Eurypontides. SCHÆFER (De Ephoris, p. 5) admet præter binos Spartæ reges quinque civitatum fœderatarum. Je conclus, pour ma part, que les deux rois de Sparte sont les héritiers des six de l’hexapole : les deux dynasties sont entourées des mêmes institutions datant de l’antiquité achéenne.

[20] WACHSMUTH (Der hist. Ursprung des Doppel-Königthums dans les Jahrbb. f. klass. Philol., 1868) considère les Eurypontides comme une famille princière venue dans le pays avec les Doriens, L’opinion inverse a été soutenue par TH. MEYER (Gœtt. Philol. Gesellsch. Gelegenheitschrift, 1868, p. 15). Wachsmuth se fonde sur un passage de Polyænus (I, 10) dont le témoignage isolé ne méritait pas tant d’attention. Il trouve (Philol. Anzeig., 1872, p. 45) dans la politique sans préjugés des Agiades une preuve de leur origine non dorienne, c’est-à-dire achéenne. Mais, si l’autre maison eût été dorienne, il se serait probablement établi entre elle et les Spartiates une sympathie particulière qui aurait détruit ou compromis l’égalité entre les deux dynasties.

[21] ATHÉNÉE, Deipn., p. 39 c. Ce sont ces mêmes noms qu’il faut rétablir plus loin (p. 173 f.), comme on le voit par le mot μάζα qui suit. Cf. HAASE, Athen. Stammverfass., p. 53.

[22] La date de 819 av. J.-C. se déduit d’un passage de Thucydide (I, 18) qui se contente prudemment d’accepter la législation comme un fait historique, sans faire mention de la personne du législateur.

[23] PLUTARQUE, Lycurgue, 1. PAUSANIAS, III, 16, 6.

[24] HÉRODOTE, I, 65.

[25] ARISTOTE, Polit., 50, 25, v. GELZER, Rhein, Mus., 1873, p. 10.

[26] SENGEBUSCH, Homer. Diss., II, p. 82.

[27] ARISTOTE, Polit., 50, 27.

[28] HÉRODOTE, I, 65. En suivant cette indication, GELZER (loc. cit.) considère Lycurgue comme le nom officiel d’un sacerdoce apollinien existant à Sparte. D’après ONCKEN (Staatslehre des Aristoteles) le caractère sacerdotal n’a été attribué à Lycurgue que par une tradition récente, datant d’Éphore : l’ancienne tradition ne voit en lui qu’un organisateur militaire.

[29] ARISTOTE, Polit., p. 50, 25. Cf. 231, 22. Les additions postérieures à Lycurgue données pour l’œuvre de Lycurgue (PETER ap. Rhein. Museum, XXII, 64).

[30] HÉRODOTE, I, 65. THUCYDIDE, I, 18. PLUTARQUE, Lycurgue, 3.

[31] L’accord se fit par des intermédiaires.

[32] Les 'ρήτραι (συνθήκαι διά λόγων, HESYCHIUS, leçon attestée par des textes épigraphiques, Archæol. Zeitung, XXXV, p. 197) prises dans le sens de contrat par HERMANN, Staatsalt., § 23, 7. Gœtt. gel. Anz., 1849, p. 1231 sqq. Cf. XÉNOPHON, Républ. Laced., 15. — Les Rhètres, que GŒTTLING (Geber die vier lyk. Rhetren) avait cherché à restituer sous forme d’oracles pythiques, et dans lesquelles BERGK (Gr. Lit., I, p. 336) croit retrouver des formes du dialecte delphique, ont été récemment déclarées apocryphes et données pour des pastiches de l’époque hellénistique par TRIEBER. Cette opinion est combattue, entre autres, par GILBERT (Studien. zur altspartan. Gesch., p. 122) qui signale, avec O. Müller, des traces des Rhetra dans un fragment de Tyrtée (fr. 4).

[33] HÉRODOTE, VI, 52. Wachsmuth explique sa prérogative par le fait qu’elle était la dynastie indigène et primordiale, et qu’elle représentait la race achéenne, tandis que l’autre représentait les immigrants doriens. Cf. SCHŒMANN, Staatsalt., I3, 237.

[34] HÉRODOTE, V, 75.

[35] O. MUELLER, Dorier, II, 88, Hermann et Schœmann élèvent contre ce système des objections dont une partie au moins est facile à réfuter. La place de géronte, en dépit des restrictions apportées à l’éligibilité, est toujours un νικητήριον τής άρετής. Φυλάς φυλάξαντα καί ώβάς ώβάξαντα, τριάκοντα γερουσίαν σύν άρχαγέταις καταστήσαντα (PLUTARQUE, Lycurgue, 6). Urlichs corrige ce texte comme il suit : τρίακοντα  πρεσβυγενίας σύν άρχαγέται γερουσίαν καταστήσαντα. Le mot τριάκοντα parait être une glose et ne se trouve pas non plus dans SUIDAS, s. v. ώβαί.

[36] En ce qui concerne le mode de votation au Sénat, Hérodote (VI, 57) a parfaitement raison contre Thucydide (1, 20), comme l’a remarqué Wesseling. Le cas où un seul des deux rois délibérerait et voterait aven les Gérontes n’est pas prévu par Hérodote.

[37] HELLANIC. ap. STRABON, p. 366.

[38] PLATON, Legg., 736 c.). Cf., sur les assignations de terre chez les Romains. SCHWEGLER, Röm. Gesch., I, 618. II, 416.

[39] PLUTARQUE, Lycurgue, 8. A. SCHÆFER, De ephoris, p. 6. SCHŒMANN, Opusc. Acad., I, 139.

[40] PLUTARQUE, Agis, 8. E. CURTIUS, Peloponn., II 211.

[41] WACHSMUTH, Jahrbb. f. kl. Philol., 1868, p. 3.

[42] La répartition égale des lots, mise en doute par Grote, et plus tard par Peter et Oncken, a été appuyée d’un argument nouveau par WACHSMUTH (Gœtt. Gel. Anz., 1870, p. 1808). Ce savant a démontré par un passage de Polybe (VI, 43) que déjà Éphore la regardait comme une institution laconienne. Il est donc impossible, quoi qu’en dise ONCKEN (ibid., p. 351-370) d’en faire une institution du temps d’Agis, que l’on aurait antidatée et reportée artificiellement au temps de Lycurgue.

[43] Φρουρά équivaut à exercitus : φρουράς έξάγειν. SCHŒMANN (Gr. Alterth., I, p. 294) la considère comme une garde nationale, une landwehr.

[44] THUCYDIDE, I, 10. E. CURTIUS, Peloponn., II, p. 311.

[45] THUCYDIDE, IV, 8, etc.

[46] Μή γεωργεΐν τούς φύλακας était chez les Doriens un principe politique (ARISTOTE, Polit., 31, 9).

[47] PLATON, Alcib., I, p. 123.

[48] Έλος, οί πολίται Είλωτες ή Είλώται (STEPH. BYZ.). Cf. Όρνεάται, Cærites.

[49] Sur les mesures laconiennes, v. HULTSCH, Metrol., p. 260. Jahrbb. f. kl. Philol., 1867, p. 531. Le médimne laconien est au médimne attique comme 3 est à 2.

[50] PLUTARQUE, Lycurgue, 6. Cf. E. CURTIUS, Peloponn., II, 237 : URLICHS, Rhein. Mus., VI, 214. WACHSMUTH (Jahrbb. für kl. Philol., 1868, p. 9) rapporte cette prescription au siège des Agiades et des Eurypontides, et à la fusion des deux communautés respectives opérée par la législation de Lycurgue.

[51] ARISTOTE (Polit., 48, 32) fait la critique du système d’élection employé dans l’Apella.

[52] SCHŒMANN (Gr. Alt., I3, 247) pense, comme moi, que l’assemblée populaire se tenait debout : ce n’est pas l’avis de VISCHER (Rhein. Mus., XXVIII, 1873, p. 380 sqq.) qui, se fondant sur un passage de Thucydide (I, 67-78), admet qu’à Sparte aussi l’assemblée du peuple siégeait. Mais on ne trouve rien dans Thucydide qui indique qu’on ait pris des mesures pour faire asseoir et grouper autour d’une tribune l’assemblée entière des Spartiates.

[53] Aux lieux dits άποθέται (PLUTARQUE, Lycurgue, 16. E. CURTIUS, Peloponnesos, II, 252. 320).

[54] HÉRODOTE, VI, 57.

[55] PLUTARQUE, Instit. Lacon., 22. XÉNOPHON, Hellen., V, 3, 9.

[56] V. TRIEBER, p. 29. Φιδίτια est le mot propre ; συσσίτια ne s’est introduit que par abus. Xénophon emploie un mot à lui, συσκήνια et συσκηνεΐν. Cf. XÉNOPHON, Hellen., V, 3, 20.

[57] PLUTARQUE, Lycurgue, 12. La même chose se fait encore aujourd’hui dans les cercles d’officiers. Il n’y a donc pas de contradiction entre cet usage et l’esprit de la législation de Lycurgue, comme le pense PETER (Rhein. Mus., XXII, 65).

[58] E. CURTIUS, Peloponnesos, II, 200.

[59] POLYBE, VI, 49.

[60] La moustache était le symbole de la liberté : de là la défense : μή τρέφειν μύστακα (PLUTARQUE, Moral., p. 550 B).

[61] PLUTARQUE, Lycurgue, 25. O. MUELLER, Dorier, II, 381.

[62] O. MUELLER, ibid., p. 389.

[63] Θήραι (E. CURTIUS, Peloponnesos, II, 206. 307).

[64] Μεσοδόμα (HESYCHIUS, s. v.).

[65] Dyandrie et polyandrie (SCHŒMANN, Griech. Alterth., I3, 282). ή περί τάς γυναίκας άνεσις (ARISTOTE, Polit., 45).

[66] Sur les fonctionnaires, voyez SCHŒMANN, Griech. Alt., I3, 260.

[67] Terpandre et sa δίκα εύρυάγυια (E. CURTIUS, Peloponnessos, II, 225).

[68] O. MUELLER, Dorier, II, 108. Hérodote et Xénophon supposent, il est vrai, que les éphores ont été institués par Lycurgue (SCHÆFER, De ephoris, p. 7), mais c’est parce qu’ils prennent en bloc la constitution de Lycurgue ; et, lorsque Platon et Aristote rapportent cette fondation à Théopompe, ils entendent par là l’éphorat revêtu de ses attributions nouvelles, Schæfer explique le nombre de cinq éphores par celui des districts ruraux (ibid., p. 7. 12).

[69] HÉRODOTE, VIII, 73.

[70] THUCYDIDE, IV, 53.

[71] Sur la μαστίγωσις, v. TRIEBER, Quæst. Laconic., p. 25.

[72] En ce qui concerne la chronologie de Lycurgue, la base la plus sûre du calcul est encore le texte de Thucydide (I, 18) d’après lequel 404 + 400 + 15 = 819. Eusèbe et Cyrille (Adv. Julian., 12 a) sont d’accord avec Thucydide. Suivant Sosibius, cité par Clément d’Alexandrie (Strom., I, 327), 776 + 97 = 873 : suivant Eratosthène, 776 + 108 = 884. Cf. J. BRANDIS, De temp. græcorum antiquissimorum rationibus, p. 24. On plaçait la législation dans la vieillesse de Lycurgue, environ trente ans après l’έπιτροπία (FISCHER, Gr. Zeittafeln, p. 37. C. MUELLER, Fragm. Chron., p. 134). D’un texte d’Aristote, cité par Plutarque (Lycurg., 1), on a conclu sans motif qu’Aristote avait placé Lycurgue au début de l’ère des Olympiades. Timée se tirait d’embarras en admettant deux Lycurgues ; en outre, il y a dans les indications chronologiques un écart qui permet de remonter jusqu’au retour des Héraclides (Xénophon) ou de descendre jusqu’au VIIe siècle (Aristote, Démétrius Magnes). Le tableau complet de tous les calculs chronologiques a été dressé par GELZER (Rhein. Mus., XXVII, p. 30) qui a proposé, pour résoudre le problème, une méthode nouvelle, en admettant un nom sacerdotal, Lycurgos, qui se serait reproduit plusieurs fois. Zoëga et Uschold sont les premiers qui aient nié absolument la personnalité historique de Lycurgue, système qui a été soutenu dans ces derniers temps par Gilbert, même après les réfutations de BŒCKH (Abhandl. der Akad., 1856, p. 76).