HISTOIRE DES EMPEREURS ROMAINS

 

CONSTANTIN

LIVRE UNIQUE

§ I. Constantin grand prince, mais non exempt de taches.

 

 

FASTES DU RÈGNE DE CONSTANTIN.

 

GALERIUS MAXIMIAMUS VI, AUGG. - CONSTANTINUS VI, AUGG. AN R. 1057. DE J.-C 306.

Constantin proclamé Auguste par ses troupes, veut se faire reconnaître en cette qualité par Galérius. Mais celui-ci attribue à Sévère le titre d'Auguste, et réduit Constantin à celui de César.

Courses des Francs réprimées par Constantin, qui les ayant chassés des Gaules, passe le Rhin, ravage le pays des Bructères par le fer et par le feu, en emmène un grand nombre de prisonniers, qu'il fit exposer aux bêtes.

Maxence, fils de Maximien Hercule, soulève les prétoriens dans Rome, et prend la pourpre le 28 octobre. Sévère, qui était en Italie, marche contre lui. Maximien Hercule se met en mouvement comme pour venir au secours de son fils, qui lui rend la pourpre.

Maxence régna durant six ans, sans être jamais reconnu par Galérius. Ces deux princes furent toujours ennemis. De cette division résulta une double nomination de consuls, les uns choisis par Galérius, les autres par Maxence : ce qui met de la diversité.et de la confusion dans les fastes. A Rome on reconnaissait les consuls de Maxence, et dans le reste de l'empire ceux de Galérius. Nous les énoncerons ici les uns et les autres, en suivant pour guide M. de Tillemont.

 M. AURELIUS SEVERUS AUGUSTUS. - MAXIMUMS CÆSAR. AN R. 1058. DE J.-C 307.

A Rome. MAXIMIANUS HERCULIUS, AUGUSTUS IX. - MAXIMINUS CÆSAR.

Constantin fut aussi consul cette année, apparemment subrogé à Sévère, qui perdit bientôt le consulat avec l'empire, et même la vie.

Sévère s'était avancé près de Rome pour attaquer Maxence. Il fut trahi par les siens, et obligé d'aller s'enfermer dans Ravenne, où Maximien Hercule vint l'assiéger, et le réduisit à se remettre entre ses mains moyennant promesse de la vie sauve. On ne tint pas parole à Sévère, et il fut contraint de se faire ouvrir les veines.

Maximien passe en Gaule pour s'appuyer de l'alliance de Constantin, à qui il donne sa fille Fausta en mariage, et confère le titre d'Auguste. Constantin avait déjà été marié à Minervine, et il en avait eu un fils, l'infortuné Crispus César.

Galérius vient en Italie pour détruire Maxence ; et abandonné d'une grande partie de ses troupes, il est trop heureux de pouvoir s'enfuir.

Maximien revient à Rome, et il veut arracher la pourpre de dessus les épaules de son fils.

N'ayant pu réussir, il se transporte en Gaule, puis à Carnonte en Pannonie, où Galérius avait mandé Dioclétien pour nommer en sa présence et de son consentement Licinius Auguste. Maximien sollicite inutilement Dioclétien de reprendre la pourpre. Licinius est fait Auguste.

L'Afrique reconnaît Maxence.

MAXIMIANDS HERCULIUS X, AUGG. MAXIMIANUS GALERIUS VII, AUGG. AN R. 1059. DE J.-C 308.

A Rome. Point de consuls jusqu'au 20 avril. De ce jour MAXENTIUS AUGUSTUS. - ROMULUS CÆSAR.

Romulus était fils de Maxence.

Maximin Daïa se fait déclarer Auguste par ses soldats malgré Galérius, qui, obligé de le reconnaître eu cette qualité, ne fait plus difficulté d'accorder le même titre à Constantin.

Maximien Hercule revenu en Gaule abdique de nouveau la dignité impériale, et feint de se contenter de la condition privée, nourrissant toujours dans son cœur des projets ambitieux.

Alexandre se révolte en Afrique contre Maxence, et se fait empereur.

LICINIUS AUGUSTUS. AN R. 1060. DE J.-C 309.

Nous ne pouvons point assigner avec certitude le collègue de Licinius, de qui le consulat même n'est pas absolument assuré. Quelques fastes portent après le dixième et le septième consulat, dixième de Maximien Hercule, septième de Galérius, comme s'il n'y avait point eu de consuls cette année dans l'étendue des départements qui reconnaissaient l'autorité de. Galérius.

A Rome. MAXENTIUS AUGUSTUS II. - ROMULUS CÆSAR II.

Mouvements des Francs sur le Rhin, et en même temps révolte de Maximien Hercule.

Constantin repousse les Francs et se rend maître de la personne de Maximien dans Marseille. Il lut laisse la vie.

ANDRONICUS.  - PROBUS. AN R. 1061. DE J.-C 310.

A Rome. MAXENTIUS AUGUSTUS III, seul consul.

Maximien tenté d'assassiner Constantin dans soit lift et, pris sur le fait, il est forcé de s'étrangler lui-même.

Ses statues et ses images sont abattues, et conséquemment celles de Dioclétien, qui communément y étaient jointes. Il est mis au rang des dieux par Maxence son fils.

Expédition de Constantin au-delà du Rhin contre les Francs.

Galérius est attaqué d'une horrible maladie. Naissance et commencement du règne de Sapor II, roi des Perses.

MAXIMIANUS GALERIUS VIII, AUGG. - MAXIMINUS II, AUGG. AN R. 1062. DE J.-C 311.

A Rome, depuis le mois de septembre seulement, RUFINUS. - EUSEBIUS.

Galérius publie un édit pour faire cesser la persécution contre les chrétiens. Cet édit fut affiché à Nicomédie le 3o avril.

Il meurt à Sardique, et recommande en mourant Valérie sa femme, fille de Dioclétien, à Licinius.

Maximin s'empare de l'Asie, qui avait été dans le département de Galérius. Les états du même Galérius en Europe restent à Licinius.

La veuve de Galérius, maltraitée par Licinius, passe avec sa mère Prisca dans les états de Maximin, qui veut l'épouser, et ne pouvant l'y réduire, la relègue dans les déserts de Syrie.

Maxence reprend l'Afrique sur Alexandre, et la tyrannise.

Il faisait gémir Rome et l'Italie sous un joug de fer par ses violences et ses horribles débauches.

Bonté et douceur du gouvernement de Constantin. U visite et rétablit la ville d'Autun.

Maxence provoque les armes de Constantin, qui se prépare à porter la guerre en Italie.

2.4 HISTOIRE DES EMPEREURS.

Constantin implore le secours du vrai Dieu, qu'il connaissait confusément. Croix miraculeuse qui lui apparaît au ciel, pendant qu'il était encore en Gaule. Il se convertit au christianisme, et se fait instruire par des évêques. Osius paraît avoir eu grande part à sa conversion. Il fait de la croix son principal étendard. Labarum.

CONSTANTINUS II, AUGG. - LICINIUS II, AUGG. AN R. 1063. DE J.-C 312.

A Rome. MAXENTIUS AUGUSTUS IV, seul consul.

Constantin force le pas de Suse, et après avoir rem porté plusieurs victoires sur les lieutenants de Maxence, il arrive près de Rome.

Bataille le 28 octobre, près du pont Mulvius, oii Constantin est vainqueur, et Maxence, en fuyant, se noie dans le Tibre.

Constantin entre triomphant dans Rome, et il fait oublier à cette capitale les maux qu'elle avait soufferts sous Maxence.

Les prétoriens cassés et leur camp détriiit.

Constantin est déclaré par le sénat premier Auguste. Arc de Constantin, subsistant encore aujourd'hui dans Rome.

Statue de Constantin tenant en main une croix.

Ce prince donne en son nom et en celui de Licinius un édit en faveur des chrétiens.

Maximin avait été jusque là un ardent persécuteur des chrétiens : et même les Arméniens ayant embrassé le christianisme, il leur avait fait cette année la guerre pour les contraindre d'y renoncer. Cependant la crainte l'obligea de se conformer à l'édit de Constantin.

Ici Eusèbe marque la fin de la persécution ordonnée par Dioclétien.

Commencement des indictions.

CONSTANTINUS III, AUGG. – LICINIUS III, AUGG. AN R. 1064. DE J.-C 313.

Mariage de Licinius avec Constancie, sieur de Constantin, célébré à Milan. Entrevue des deux princes à cette occasion.

Ils donnent de concert un nouvel édit plus circonstancié et plus étendu en faveur du christianisme.

Constantin se transporte sur le Rhin pour combattre les Francs, qu'il défait et rechasse de nouveau au-delà du fleuve.

Dioclétien meurt dans sa retraite de Salones, accablé de chagrins. Il est mis au rang des dieux par Maximin et Licinius.

Maximin attaque Licinius, et entre hostilement dans la Thrace. Il est vaincu près d'Andrinople, repasse en Bithynie, et ne s'arrête que dans la Cappadoce.

Licinius fait afficher dans Nicomédie, le 13 juin, l'édit de Milan, dix ans et environ quatre mois après la publication de l'édit de Dioclétien pour la persécution.

Maximin forcé par ses malheurs rend aussi une ordonnance favorable aux chrétiens.

Paix générale de l'Église.

Licinius poursuit Maximin, qui s'empoisonne à Tarse en Cilicie, et meurt au bout de quelques jours dans les plus cruelles douleurs.

Sa famille est exterminée par Licinius, qui fit aussi mourir Sévérien, fils de Sévère, Candidien fils naturel de Galérius, Prisca et Valérie, l'une épouse, l'autre fille, de Dioclétien. Ainsi fut détruite toute la race des persécuteurs.

Jeux séculaires omis.

VOLUSIANUS II. - ANNANIUS. AN R. 1065. DE J.-C 314.

Concile d'Arles contre les donatistes.

Constantin demande à Licinius un nouveau partage de l'empire, et sur son refus il entreprend de l'y forcer par la guerre.

Bataille de Cibalis en Pannonie, où Licinius est vaincu.

Valens créé César par Licinius.

Bataille de Mardie, entre Philippoli et Andrinople, dont le succès ne fut pas bien décidé.

Paix conclue entre les deux empereurs. Valens mis à mort. Une grande partie de l'Illyrie, la Macédoine et la Grèce, cédées à Constantin.

CONSTANTINUS IV, AUGG. - LICINIUS IV, AUGG. AN R. 1066. DE J.-C 315.

Loi de Constantin pour abolir le supplice de la croix.

Il célèbre à Rome les fêtes de sa dixième année.

SABINUS. - RUFINUS. AN R. 1067. DE J.-C 316.

Constantin le jeune naît à Arles.

Loi pour permettre et autoriser les affranchissements des esclaves dans l'église, en présence de l'évêque.

GALLICANUS. - BASSUS. AN R. 1068. DE J.-C 317.

Crispas et Constantin, tous deux fils de l'empereur Constantin, et Licinianus, fils de Licinius, sont faits Césars.

Naissance de Constance, second fils de Constantin et de Fausta.

LICINIUS AUGUSTUS V. - CRISPUS CÆSAR. AN R. 1069. DE J.-C 318.

CONSTANTINUS AUGUSTUS V. - LICINIANUS CESAR. AN R. 1070. DE J.-C 319.

CONSTANTINUS AUGUSTUS VI. - CONSTANTINUS CÆSAR. AN R. 1071. DE J.-C 320.

Loi qui abolit les peines anciennement ordonnées contre le célibat.

Victoire remportée par Crispas César sur les Francs. Naissance de Constant, troisième fils de Constantin et de Fausta.

CRISPUS II, CÆS. - CONSTANTINUS II, CÆS. AN R. 1072. DE J.-C 321.

Loi qui ordonne la célébration du dimanche.

Licinius chasse les chrétiens de son palais, et commence ainsi la persécution aussi artificieuse que cruelle, qu'il exerça contre eux pendant trois ans.

PETRONIUS PROBIANUS. - ANICIUS JULIANUS. AN R. 1073. DE J.-C 322.

Les Barbares voisins du Danube battus par Constantin en divers combats.

SEVERUS. - RUFINUS. AN R. 1074. DE J.-C 323.

Courses des Goths repoussées par Constantin.

Ce prince, zélé protecteur des chrétiens, ne pouvait les voir sans douleur opprimés par son collègue. Licinius de son côté les craignait, comme affectionnés à Constantin. D'ailleurs il était brutal, cruel, violent. De ces dispositions naquit la guerre entre les deux empereurs.

Bataille d'Andrinople, où Licinius est vaincu. Il va s'enfermer dans Byzance, que Constantin assiège par terre.

La flotte de Constantin, commandée par son fils Crispus César, détruit celle de Licinius.

Celui-ci sort de Byzance, passe la mer, et vient à Chalcédoine, où il fait de nouveaux préparatifs. Il nomme César le grand-maître de sa maison, M. Martinianus.

Constantin passe en Asie. Bataille de Chrysopolis. Licinius vaincu se retire à Nicomédie, et, par l'entremise de Constancie sa femme, sœur de Constantin, il obtient sûreté pour sa vie, à condition de quitter la pourpre, et de se soumettre-au vainqueur. Il est envoyé à Thessalonique. Le César Martinianus est mis à mort.

Peu après, c'est-à-dire dès cette année même ou la suivante, Constantin fit tuer Licinius, qui supportait impatiemment la condition privée, et tramait des intrigues avec les Barbares. Licinius est déclaré tyran, et ses ordonnances cassées. Son fils le suivit de près, et fut aussi mis à mort, sans que l'on puisse alléguer aucun motif légitime de cette rigueur.

Constance, second fils de Constantin et de Fausta, est fait César.

CRISPUS III, CÆS. CONSTANTINUS III, CÆS. AN R. 1075. DE J.-C 324.

Constantin, seul maître de l'empire, travaille plus efficacement qu'il n'avait fait encore à étendre le christianisme, et à amener la ruine de l'idolâtrie.

Premières mesures prises par ce prince par rapport-à l'arianisme naissant.

PAULINUS. - JULIANUS. AN R. 1076. DE J.-C 325.

Concile de Nicée.

Constantin célèbre sa vingtième année à Nicomédie. Il la célébra l'année suivante à Rome.

Édit par lequel il invite tous ceux qui se trouveront opprimés par ses magistrats et officiers à recourir à lui.

Loi qui défend les combats de gladiateurs.

CONSTANTINUS AUGUSTUS VII. - CONSTANTIUS CÆSAR. AN R. 1077. DE J.-C 326.

Constantin vient à Rome.

Trompé par les calomnies de Fausta sa femme, il fait mourir son fils Crispus César ; et ensuite ayant découvert la vérité, il punit de mort Fausta elle-même.

Il fait éclater hautement dans Morne sou mépris pour les superstitions idolâtriques, et le mécontentement que le sénat et le peuple en témoignèrent par des plaintes et des murmures, commença à dégoûter le prince de sa capitale.

CONSTANTIUS. - MAXIMUS. AN R. 1078. DE J.-C 327.

Constantius, consul de cette année, ne parait point avoir été de la famille impériale.

Découverte du saint sépulcre et de la croix de J.-C.

Constantin commence le bâtiment de l'église de la Résurrection à Jérusalem.

JANUARIUS. - JUSTUS. AN R. 1079. DE J.-C 328.

Mort de sainte Hélène, mère de Constantin.

Commencements de Constantinople. Constantin avait voulu d'abord bâtir à Ilion, et même il mit en train l'ouvrage. Mais il renonça bientôt à ce dessein, et se détermina pour Byzance, dont il entreprit de faire une nouvelle Rome.

CONSTANTINUS AUGUSTUS VIII. - CONSTANTINUS CÆSAR IV. AN R. 1080. DE J.-C 329.

Il y a des raisons et des autorités pour différer jusqu'à cette année la fondation de Constantinople. Mais le sentiment que nous avons suivi est plus probable.

GALLICANUS. - SYMMACHUS. AN R. 1081. DE J.-C 330.

Dédicace de la nouvelle ville, à laquelle Constantin donna son nom, le lundi 11 mai.

Aucun exercice public du culte idolâtrique dans Constantinople. Son fondateur en fit une ville toute chrétienne.

Église des Apôtres.

Les édifices ayant été trop poussés, ne furent pas assez solides.

Constantin décora sa ville des plus beaux privilèges : il y établit un sénat, il s'appliqua à la peupler, et il la rendit en moins de dix ans la seconde ville de l'Univers.

BASSUS. - ABLAVIUS. AN R. 1082. DE J.-C 331.

Église bâtie par les ordres de Constantin à Mambré. Édit pour remettre à perpétuité le quart des impôts qui se levaient sur les terres.

On rapporte à cette même année la loi qui permet aux parties plaidantes de se faire juger par les évêques. Elle est suspectée de faux par Jacques Godefroi.

PACATIANUS. - HILARIANUS. AN R. 1083. DE J.-C 332.

Les Goths vaincus par le jeune César Constantin. Les Sarmates contraints de se soumettre.

DALMATIUS. - XENOPHILUS. AN R. 1084. DE J.-C 333.

Dalmatius, consul de cette année, est ou le frère ou le neveu de Constantin.

Ce qui n'est pas douteux, c'est que Dalmatius le père fut décoré du titre de censeur, et il est le dernier qui l'ait porté.

Ce fut donc en ce temps que Constantin commença à élever en dignité ses frères et neveux, que la prudence de sainte Hélène avait toujours pris soin de tenir bas.

Constant, troisième fils de Constantin, est fait César. On peut rapporter à cette année la mort du philosophe Sopatre.

Ambassades des Barbares du Nord, de l'Orient et du Midi, qui viennent faire hommage à la grandeur de Constantin.

L'empereur écrit à Sapor en faveur des chrétiens de Perse.

Il écrit et fait écrire ses enfants à saint Antoine.

OPTATUS. - ANICIUS PAULINUS. AN R. 1085. DE J.-C 334.

Les Sarmates vaincus par leurs esclaves viennent chercher un asile sur les terres de l'empire.

FLAVIUS JULIUS CONSTANTIUS. - RUFIUS ALBINUS. AN R. 1086. DE J.-C 335.

Jules Constance, consul de cette année, était frère

de Constantin. Il fut père de Gallus César et de Julien l'Apostat.

Constantin célèbre la fête de sa trentième année.

Depuis Auguste aucun empereur n'était parvenu à ce terme.

Il partage l'empire entre ses trois fils, marquant à chacun son département.

Il nomme César Dalmatius son neveu, et donne à Annibalien, frère de Dalmatius, le titre de roi, lui assignant pour états la petite Arménie, le Pont et la Cappadoce. Dalmatius César devait avoir la Thrace, la Macédoine et la Grèce. Constantin par tous ces arrangements ne se dépouillait pas : il se réservait la jouissance de tous ses domaines, qui ne devaient être partagés de fait qu'après sa mort.

Révolte de Calocérus dans l'île de Chypre.

NEPOTIANUS. - FACUNDUS. AN R. 1087. DE J.-C 336.

Népotianus, consul de cette année, parait être celui qui prit la pourpre en 350, et qui était fils d'une sœur de Constantin.

FELICIANUS. - TITIANUS. AN R. 1088. DE J.-C 337.

Les Perses ayant rompu la paix, Constantin se préparait à marcher contre eux en personne, lorsqu'il fut attaqué de la maladie dont il mourut.

Il est baptisé par Eusèbe de Nicomédie, et meurt le jour de la Pentecôte, dans la soixante-quatrième année de son âge, et la trente-unième de son règne.

TYRANS sous le règne de Constantin.

CALOCÉRUS en Égypte. ALEXANDRE régna durant trois ans dans l'Afrique, qu'il avait enlevée à Maxence. VALENS et MARTINIMIUS furent successivement créés Césars par Licinius.

 

En commençant l'histoire du règne de Constantin, je n'ai garde d'imiter l'adulation absurde et impie d'Eusèbe de Césarée, qui n'a pas rougi d'écrire que Dieu seul peut être un digne panégyriste de cet empereur. Je présente au lecteur un prince cher et respectable au christianisme, qu'il a délivré de l'oppression et placé sur le trône ; grand par les talents, grand par les vertus, mais non pas exempt de taches, depuis même qu'il eut embrassé notre sainte religion. Une politique intéressée, une prévention trop crédule, lui ont fait commettre des fautes inexcusables ; et il est un exemple de cette inconséquence trop commune, qui, en rendant un hommage spéculatif aux règles, s'en éloigne en bien des actions. Ce qui doit nous consoler, c'est que les dix dernières années de sa vie, toutes remplies d'œuvres inspirées par le zèle du christianisme, ne nous offrent plus le mélange d'aucun vice, et qu'enfin le baptême, qu'il reçut en mourant, est un bain salutaire qui aura purifié son âme de ses anciennes souillures, et l'aura mis en état de ne point perdre la récompense de ce qu'il a fait pour l'église chrétienne.

Je mets son nom en titre, quoique dans ses commencements il ne tint pas le premier rang entre les princes qui gouvernaient l'empire. Cet honneur suprême, après la mort de Constance Chlore, fut dévolu à Galérius : et mime Constantin, qui d'abord Pire avait reçu de ses soldats le nom d'Auguste, fut réduit bientôt par lui, comme nous allons le voir, au degré de simple César. Mais comme il entra dès lors en part de la souveraine puissance, et qu'il la réunit enfin tout entière en sa personne, la commodité de former un seul tissu d'histoire sans interruption m'a paru préférable à une exactitude scrupuleuse qui pourrait nuire à la clarté.

La première démarche de Constantin, après qu'il eut Galérius été proclamé Auguste par l'armée de son père, fut de demander à Galérius la confirmation de ce que ses soldats avaient fait en sa faveur. Pour cela il lui envoya, suivant le cérémonial établi alors, son portrait couronné de lauriers. Galérius n'était point du tout disposé à le recevoir. Ses vues et ses arrangements étaient tout autres, comme je l'ai dit, et il ne pouvait pas se promettre beaucoup d'affection et de déférence de la part de Constantin, qu'il avait cruellement offensé ; aussi, dans un premier mouvement de 'colère, peu s'en fallut qu'il ne fit brûler et le portrait et celui qui l'avait apporté. Mais, d'un autre côté, il pensa que s'il refusait son consentement il fallait en venir à une guerre dont le succès aurait été fort incertain. Le jeune prince était reconnu et chéri dans toute l'étendue des pays qui avaient obéi à son père ; et, si nous eu croyons Lactance, il avait même pour lui le cœur des troupes qui environnaient Galérius : en sorte que ce chef de l'empire n'avait pas lieu de compter sur leur fidélité, s'il entreprenait de les employer contre Constantin. Ce fut donc pour lui une nécessité de se plier aux circonstances, et de consentir à ce qu'il ne pouvait empêcher. Il voulut néanmoins venger au moins en partie les droits de son autorité, qui n'avait pas été assez respectée. Il conféra à Sévère le titre d'Auguste vacant par la mort de Constance Chlore, et en envoyant la pourpre à Constantin, il lui ordonna de se contenter du nom et des honneurs de César. Constantin, par une modération tout-à-fait louable, acquiesça à ce jugement, et il descendit sans murmurer du second rang au quatrième.

Galérius n'était pas absolument mécontent de l'état actuel des choses : s'il n'avait pas tiré de la mort de son collègue l'avantage qu'il espérait, au moins il n'y perdait rien de ce qui avait été précédemment en sa possession. Constantin ne se déclarait point son ennemi, et même il se soumettait jusqu'à un certain point à ses ordres. Un nouveau trouble donna à Galérius d'autres alarmes, et devint un mal auquel il ne lui fut pas possible de remédier.

Il dut s'en imputer la cause. J'ai dit que ce prince avait ordonné un dénombrement des biens et des personnes dans toutes les provinces de son obéissance, et que cette opération s'exécutait avec une rigueur qui dégénérait en tyrannie. Il prétendit y soumettre Rome même, et déjà il avait nommé les officiers qui devaient aller, sous le prétexte d'un dénombrement, ravager cette capitale de l'empire et de l'univers. Ayant ainsi alarmé et aigri les citoyens, il indisposa encore les soldats ; et continuant ce qu'avait commencé Dioclétien, il affaiblit les prétoriens par un nouveau retranchement. Maxence, fils de Maximien Hercule et gendre de Galérius, trouvant les esprits dans cette fermentation, profita de la conduite imprudente du souverain pour achever de les révolter et pour s'élever lui-même à l'empire. Il lui avait été bien dur de voir Sévère et Maximin passer devant un fils et gendre d'empereurs comme lui, et être nommés Césars à son préjudice. La promotion de Constantin, qui se relevait d'une pareille injustice qu'il avait soufferte, fut pour Maxence un nouvel aiguillon. Encouragé par son père[1], qui regrettait les grandeurs auxquelles on l'avait forcé de renoncer, et ayant gagné quelques-uns des principaux officiers du camp et de la ville, il se mit à la tête de ce qui restait de prétoriens ; et proclamé Auguste par eux, il se rendit maître sans peine de Rome, fit tuer celui qui y commandait pour Galérius, et quelques autres magistrats, et fut reçu du peuple comme un libérateur. Cette révolution est datée par M. de Tillemont du vingt-huitième jour d'octobre de la même année de J.-C. 306, où nous commençons le règne de Constantin.

Nos auteurs ne marquent point où était alors Sévère, qui avait l'Italie dans son département. Soit négligence de sa part, soit affaires qui l'occupassent ailleurs, son absence de Rome facilita sans doute le succès de l'entreprise de Maxence. Dès qu'il en fut instruit, il accourut pour arrêter les suites d'un mouvement qui tendait à le dépouiller ; et muni de l'autorité de Galérius, qui ne voulait pas se laisser donner la loi une seconde fois, et qui avait toujours bai son gendre, il rassembla tout ce qu'il y avait de troupes en Italie, et marcha vers Rome. Mais ces troupes étaient bien mal disposées à le servir : elles avaient toujours obéi à Maximien Hercule, et par conséquent elles devaient conserver de l'attachement pour le fils de ce prince. D'ailleurs les délices de la capitale, qu'elles avaient longtemps goûtées, étaient un attrait qui les portait à désirer plutôt d'y vivre tranquillement qu'à livrer à cette ville des assauts en ennemis. Pour les fortifier dans ces sentiments, Maximien reparut en ce moment sur la scène.

Ce vieillard inquiet, et possédé d'un désir ardent de remonter sur le trône, avait voulu probablement tenter l'aventure par son fils, et voyant qu'elle avait réussi, il résolut d'en tirer avantage pour lui-même, et de pousser l'affaire aussi loin qu'elle pourrait aller. Il vint donc à Rome sous prétexte de soutenir Maxence, et de réunir tous les esprits en faveur du nouveau prince par lequel il avait été mandé. Dès qu'il fut arrivé, son fils, qui ne se défiait de rien, lui proposa, et le fit prier par le sénat et par le peuple romain de reprendre la pourpre. Il ne fut pas besoin de lui faire violence, et Maximien se revit avec joie en possession d'un rang qu'il n'avait quitté qu'à regret. Alors il y eut six princes à la fois dans l'empire, Augustes ou Césars : Galérius, Sévère, Maximin, Constantin, Maximien Hercule, et Maxence. On rapporte qu'il ne tint pas à Maximien Hercule que ce nombre ne fût augmenté d'un septième, et qu'il écrivit à Dioclétien pour l'exhorter à imiter sa démarche. Mais il n'ébranla pas cette âme ferme, qui ne se déterminait pas légèrement, et qui, lorsqu'il s'agissait de prendre un parti, pensait aux conséquences.

Tout réussit d'abord à Maximien et à Maxence. Sévère s'étant approché de Rome, ses soldats mal affectionnés, et d'ailleurs gagnés par l'argent de ses ennemis, l'abandonnèrent, en sorte qu'il ne lui resta d'autre ressource que de s'enfuir à Ravenne. Maximien l'y poursuivit, et entreprit de l'assiéger. Mais comme la place était forte et bien munie, il appréhenda que, si le siège traînait en longueur, Galérius n'eût le temps de venir au secours d'un collègue fidèle et soumis. Il recourut donc à la perfidie : et comme il avait affaire à un esprit crédule et timide, il lui persuada qu'il n'en voulait point à sa vie, et que dès qu'il cesserait d'avoir lieu de le regarder comme un rival, il deviendrait son protecteur. Sévère le crut, vint se livrer entre ses mains, et lui remit la pourpre qu'il avait reçue de lui deux ans auparavant. Maximien, en homme religieux, ne voulut point violer son serment, mais il fit agir son fils. A peine le malheureux Sévère était-il sorti de Ravenne, et en marche pour se rendre au lieu de sa retraite, qu'une embuscade placée par Maxence se saisit de sa personne. On le mena aux Trois-Tavernes sur le chemin d'Appius ; et là tout ce qu'il put obtenir ce fut une mort douce : on lui permit de se faire ouvrir les veines. Il laissa un fils nommé Sévérien, qui n'eut pas un meilleur sort que lui, et qui fut tué peu d'années après, comme nous le dirons, par Licinius. La mort de Sévère doit être arrivée dans les premiers mois de l'an de 7. C. 307.

Maximien, délivré de Sévère, craignait Galérius. Il voulut donc se procurer un appui contre lui, en s'alliant étroitement avec Constantin. Ce jeune prince n'avait pas lieu, non plus que Maximien, d'aimer Galérius ; et d'ailleurs il commençait son règne d'une façon tout-à-fait brillante, aimé au dedans, redoutable aux ennemis du dehors. Le premier usage qu'il fit de sa puissance, fut d'accorder aux chrétiens le libre exercice de leur religion, en révoquant[2] expressément l'édit de persécution, que son père s'était contenté de ne point exécuter. Il traitait tous ses sujets avec la bonté et la douceur dont son père lui avait laissé l'exemple, et qu'il regardait comme la plus précieuse portion de son héritage. En même temps il repoussa les courses des Francs, que rien ne pouvait empêcher d'infester les Gaules et de chercher à s'y établir.

Ces peuples n'avaient pas plus tôt vu Constance passer dans la Grande-Bretagne, que profitant de son éloignement ils avaient rompu la paix et recommencé leurs ravages. Constantin ayant succédé à son père, marcha contre eux, les vainquit dans la Gaule, fit prisonniers deux de leurs rois, Ascaric et Gaïse ; et pour frapper la nation de terreur par l'exemple des rigueurs exercées sur ses princes, il les exposa aux bêtes dans un magnifique spectacle qu'il donna après sa victoire. Non content de cet exploit, Constantin passa le Rhin et entra dans le pays des Bructères[3] qu'il mit à feu et à sang. Rien ne fut épargné. Les villages furent brûlés, les bestiaux pris et égorgés, les hommes et les femmes massacrés ; et ceux qui échappèrent à l'épée et qu'il fit prisonniers eurent encore un sort plus cruel. Comme, il les jugeait incapables de rendre jamais aucun service vraiment utile, à cause de leur fierté intraitable et de leur perfidie, ils furent condamnés au même supplice que leurs rois, et livrés aux bêtes dont ils imitaient la férocité.

Il se proposait de réduire par cette sévérité inexorable les nations germaniques à un repos forcé. Pensant que ses armes pourraient être appelées ailleurs par des circonstances qu'il était aisé de prévoir, il voulait assurer la tranquillité de son pays avant que d'être obligé de s'en éloigner. Il prit toutes les précautions possibles pour fortifier la barrière naturelle que le Rhin oppose à la Germanie. Il entretenait une flotte sur ce fleuve ; la rive était bordée de forts construits de distance en distance, bien munis, bien gardés. Il commença un pont à Cologne pour se procurer un passage commode et facile toutes les fois qu'il en aurait besoin ; et la terreur de cette entreprise fut si grande parmi les peuples germains, que plusieurs d'entre eux vinrent implorer la clémence de Constantin, et lui demander la paix en lui donnant des otages et toutes les assurances d'une inviolable fidélité. Tel était l'état des affaires de Constantin lorsque Maximien vint en Gaule rechercher son amitié au commencement de l'an de J.-C. 307.

Il y avait déjà entre eux de grandes liaisons. Constance Chlore était fils adoptif de Maximien, et il avait épousé la belle-fille de ce même prince, Théodora, qui avait donné à Constantin plusieurs frères et sœurs. Maximien serra encore plus étroitement les nœuds de cette alliance en concluant le mariage de Constantin avec sa fille Fausta. Ce mariage était projeté depuis longtemps, si nous en croyons le témoignage d'un panégyriste ; et rien n'empêche que nous n'y ajoutions foi, puisque l'empereur Julien y est conforme et assure en ternies exprès que c'était une affaire concertée entre Constance Chlore et Maximien. Constantin avait pourtant été marié à Minervine qui n'est point connue d'ailleurs, et il en avait eu un fils nommé Crispus, qui pouvait être alors âgé de sept ans, et dont la fin malheureuse est la principale tache de la vie de son père. Peut-être Minervine était-elle morte dans le temps dont nous parlons ; peut-être fut-elle répudiée pour faire place à Fausta. Ce qui est certain, c'est qu'elle avait été, non pas concubine, mais légitime épouse. Les auteurs païens sont d'accord avec les chrétiens pour louer la chasteté de Constantin, et son éloignement de tout plaisir illicite.

Maximien, en même temps qu'il faisait Constantin son gendre, lui conféra le nom et le rang d'Auguste. Constantin s'en mit alors en possession, comptant que la nomination de Maximien était un titre incontestable et bien plus fort que n'avait été la proclamation des soldats après la mort de son père. Il ne fut pourtant reconnu en cette qualité par Galérius que l'année suivante.

Pendant que ce qui vient d'être raconté se passait en Gaule, Galérius était entré en Italie pour venger Sévère et détrôner Maxence. Son projet, si nous en croyons Lactance, dont le zèle est toujours vif contre ce prince, n'allait à rien moins qu'à exterminer le sénat et massacrer le peuple de Rome. C'était une entreprise plus aisée à former qu'à exécuter. Galérius menait une armée nombreuse, mais qu'il n'avait pas su s'attacher par les liens de l'estime et de l'affection. D'ailleurs il n'était point au fait de ce qu'il osait tenter.

Il n'avait jamais vu Rome, et, comme le Tityre de Virgile[4], il se figurait cette ville assez semblable à celles qu'il connaissait, à quelques légères différences près. Lorsqu'il fut à portée de la considérer, il fut effrayé de son immense étendue, et il commença à douter du succès. Bientôt Maxence, qui était habile à débaucher les soldats de ses ennemis, vint à bout de corrompre la fidélité de ceux de Galérius. Gagnés par argent, par promesses, ils se récrièrent sur l'indignité d'une guerre entre le beau-père et le gendre ; ils affectaient un respect religieux pour les droits de la patrie, et Romains ils se faisaient un scrupule d'attaquer Rome. Ils ne s'en tinrent pas à de vaines clameurs. Déjà des légions entières désertaient et passaient du côté de Maxence. Galérius se vit alors dans une position toute semblable à celle de Sévère, et il craignit un pareil désastre. Il fléchit son orgueil : il se jeta aux pieds des soldats qui lui restaient, et par ses prières, par ses larmes, par les promesses des plus magnifiques récompenses, il obtint d'eux qu'ils ne l'abandonnassent pas, et qu'ils l'escortassent dans sa retraite. Il prit donc la fuite sans avoir tiré l'épée ni tenté la fortune du combat.

Lactance assure qu'il aurait été facile d'achever de le détruire si on l'eût poursuivi. Mais Maxence, aussi Melle et aussi négligent qu'il était artificieux et fourbe, se trouva heureux d'être délivré de péril, et il laissa Galérius se retirer en toute liberté. Celui-ci, qui ne comptait pas sur une tranquillité si déplacée, prit une précaution conforme à son génie pour assurer sa fuite. Il permit et même ordonna à ses troupes de piller et de ravager tout le pays qu'elles traversaient. Cet ordre produisit la désolation d'une grande partie de l'Italie. Il n'y eut point d'excès que ne se permissent des soldats à qui l'on accordait pleine licence. Galérius en recueillait deux avantages : il enrichissait son armée, et il ne laissait à ceux qui voudraient le poursuivre qu'un pays réduit à la misère et où ils ne trouveraient aucune subsistance. Il retourna ainsi dans les provinces de son obéissance, avec la honte d'une entreprise manquée et une diminution considérable de ses forces.

Maxence affranchi de toute crainte et ivre de sa prospérité, se livra à tous les vices de la tyrannie. Il regardait comme sa proie les biens des citoyens, l'honneur des femmes ; et il exerçait toutes ces violences avec une pleine sécurité. Il ne savait pas qu'un nouveau danger le menaçait de la part de son propre père. Maximien empereur sans états, n'était pas de caractère à se contenter d'un vain titré. Son gendre régnait dans les Gaules, son fils en Italie ; mais leur puissance n'était pas la sienne, et il vivait dans leur dépendance. Il voulut armer Constantin contre Maxence : et n'ayant pu y réussir, il se transporta à Rome, mettant toutes ses ressources en lui-même, et résolu, puisque les appuis étrangers se refusaient à ses désirs d'exécuter seul une entreprise à laquelle son ambition effrénée ne lui permettait pas de renoncer. Il s'imaginait que les troupes qui lui avaient autrefois obéi reviendraient avec joie à leur ancien général et empereur ; et le mauvais gouvernement de son fils semblait lui fournir l'occasion la plus favorable d'exciter un soulèvement. Il dressa ses batteries, il manœuvra, et comme il était audacieux et téméraire, il se persuada aisément avoir acquis des forces suffisantes. Alors il convoqua une assemblée des soldats et du peuple, et là il invectiva contre les désordres du gouvernement de Maxence qui était présent, il le déclara indigne de l'empire, et il entreprit de l'en dépouiller par voie de fait, en lui arrachant lui-même la pourpre impériale de dessus les épaules.

Cette violence si étrange a paru à M. de Tillemont autoriser les soupçons que quelques écrivains ont jetés sur la légitimité de la naissance de Maxence. Ils ont dit qu'il n'était pas fils de Maximien, mais un enfant supposé par l'impératrice Eutropie, que des vues politiques avaient engagée à ce crime. Une pareille supposition n'est guère probable en soi ; l'autorité des écrivains qui l'attestent est médiocre ; et dans la réalité, Maxence a toujours joui des droits et de l'état de fils de Maximien. Si ce vieil empereur se porta coutre lui à l'excès que je viens de raconter, ce n'est qu'un effet peu surprenant de l'ambition furieuse qui le dévorait. Maximien était bien capable de violer les droits de la nature pour parvenir à régner.

Mais il avait mal pris ses mesures : Maxence trouva de l'appui dans les soldats qui prirent hautement son parti contre un père dénaturé, contre un vieillard turbulent, qui n'avait pu ni garder l'empire lorsqu'il le possédait, ni se contenter de la condition privée à laquelle il s'était réduit ; et qui voulait reprendre par un crime horrible ce qu'il avait abandonné ou par inconstance ou par faiblesse. Maximien courut risque de sa personne : il fut obligé de chercher son salut dans la fuite ; et il se vit chassé de Rome, dit Lactance, comme un autre Tarquin le Superbe.

Il se retira désespéré et confus, mais non changé, et il vint en Gaule auprès de Constantin son gendre, à qui il tacha inutilement de communiquer ses fureurs. Rebuté par ce prince, qui ne voulut ni épouser sa querelle ni aider sa vengeance, il recourut à Galérius, l'ennemi implacable de son fils. Lactance lui attribue le dessein digne de lui, mais peu vraisemblable dans la circonstance, de tuer Galérius et d'usurper sa place. H est vrai que l'objet de toutes ses démarches était le trône, et que ce désir allait en lui jusqu'à la frénésie, et le portait à vouloir détruire tout obstacle qui s'y opposerait. Mais la puissance de &S'échu était trop bien affermie pour pouvoir être aisément ébranlée, et les vues de Maximien ne tendaient pas, au moins directement, à la renverser. Il se proposait, comme nous le verrons, un autre plan qui échoua ; et il ne gagna à son voyage que d'être témoin de la promotion de Licinius au rang d'Auguste.

Galérius ne reconnaissait point encore Constantin pour Auguste. Il regardait Maxence comme usurpateur et tyran. Il est plus que probable qu'il tenait pour irrégulière la démarche que Maximien avait faite en reprenant la pourpre, et qu'il ne lui attribuait point d'autre caractère que celui d'ancien empereur. Ainsi la place d'Auguste que Sévère avait occupée était toujours vacante suivant son système, et il y destinait Licinius.

Licinius était son compatriote et son ami de tous les temps, et il lui avait rendu de grands services dans la guerre contre Narsès roi des Perses. Il passait pour habile dans l'art militaire, et savait maintenir la discipline parmi les troupes. Mais c'était là son seul mérite. Du reste rien n'est plus odieux que le portrait que font de lui les païens mêmes. Ils lui attribuent une avarice honteuse, des débauches internes, un caractère dur et prompt à s'irriter, une aversion incroyable pour les lettres, qu'il ignorait absolument, et que par cette raison il méprisait et baissait jusqu'à les appeler un poison et une peste publique. Il en voulait surtout à la science du barreau : mais en général quiconque cultivait son esprit par les belles connaissances lui devenait suspect ; et comme à ses autres vices il joignait la cruauté, souvent des philosophes, sans autre crime que leur profession, furent condamnés par lui à des supplices que les lois réservaient aux esclaves.

Il fut un violent persécuteur des chrétiens, autant qu'il lui fut permis de suivre son inclination ; et si dans certains temps il les épargna, ou même parut les protéger, ils n'eurent obligation de la douceur dont il usa à leur égard, qu'aux vues d'une politique qui savait s'accommoder aux circonstances. Ce fut une âme féroce, qui porta sur le trône tous les défauts d'une naissance rustique et d'une éducation grossière, quoiqu'il s'attribuât une sorte de noblesse en se faisant descendre de l'empereur Philippe : imagination qui ne faisait qu'ajouter à la bassesse de son origine le ridicule de la vanité. II lui resta pourtant de sa première condition une façon de penser estimable dans un prince. Né dans un village de la Dace et exercé durant son enfance aux travaux de la campagne, il conserva toujours une pente à favoriser ceux qui sont attachés à la culture des terres : portion de l'état trop souvent négligée, et qui en est néanmoins la base et le soutien.

Par cette idée du caractère de Licinius on voit qu'il n'y a pas lieu de s'étonner que Galérius le chérit, puisqu'il y retrouvait presque un autre lui-même. Il avait depuis longtemps, comme je l'ai déjà remarqué, le dessein de l'élever. Cependant il n'avait pas voulu, dans le premier changement dont il fut auteur, le proposer pour César à Dioclétien, parce que Licinius ayant alors plus de quarante ans lui paraissait d'un âge à être fait tout d'un coup Auguste : Il avait pour point de vue la place de Constance Chlore ; mais son plan ayant été dérangé par la promotion de Constantin, il saisit l'occasion de la mort de Sévère pour exécuter enfin ce qu'il avait résolu.

L'usurpation de Maxence et l'ambition forcenée de Maximien faisaient encore un obstacle ; et je me persuade que ce fut à raison de ces difficultés que Galérius voulut s'autoriser, dans ce qu'il prétendait faire, du suffrage de Dioclétien, qui était comme le père de tous les princes actuellement régnants, et à qui la dignité de la conduite qu'il tenait dans sa retraite conservait toujours une impression de majesté. Galérius le pria donc de se rendre à Carnonte dans la Pannonie, où il était alors, afin qu'ils pussent conférer ensemble. Ce fut dans cette ville que Maximien, qui n'était ni attendu ni désiré, vint les joindre avec des vues bien différentes des leurs. Il paraît que son dessein était d'obtenir de Dioclétien par des instances de vive voix ce qu'il avait inutilement tenté par lettres, et de l'engager à reprendre l'autorité suprême avec lui, afin d'empêcher, disait-il, que l'empire rétabli et conservé florissant par leurs soins et par leurs veilles de tant d'années, ne fût livré à la merci d'une jeunesse imprudente, qui s'immisçait d'elle-même dans un gouvernement dont elle était incapable. Il n'était pas difficile à Dioclétien de démêler à travers ces discours spécieux et ces couleurs de bien public le motif d'intérêt personnel qui faisait parler son collègue ; mais sans entrer dans des explications inutiles, il se retrancha à vanter les douceurs qu'il goûtait dans sa retraite, et il est probable que c'est alors qu'il cita les légumes de son jardin comme préférables à toutes les grandeurs. Ainsi tout se passa paisiblement à Carnonte. Licinius fut déclaré Auguste par Galérius en présence de Dioclétien et de Maximien, le il novembre de la même année 307 où Sévère avait été tué, et il eut pour son département la Pannonie et la Rhétie, en attendant sans doute l'Italie, lorsque Maxence en aurait été dépouillé.

Galérius, en nommant Licinius Auguste, avait confirmé et aggravé la disgrâce de Maximien. Il semble néanmoins qu'il ait voulu le consoler par quelques marques de considération, et qu'il lui ait même permis de conserver les honneurs et le titre d'Auguste, puisqu'il le fit son collègue dans le consulat l'année suivante. 308, lui déférant même le premier rang.

Je crois devoir avertir ici que, depuis l'usurpation de Maxence, la confusion qui régna dans l'empire en a introduit une grande dans les fastes ; en sorte que les consulats de toutes ces années sont fort brouillés. Maxence ne fut jamais reconnu par Galérius, qui était chef de l'empire ; et réciproquement Galérius n'était pas reconnu dans Rome où dominait Maxence. Chacun de ces deu4c princes nommait des consuls et ne voulait point recevoir ceux qui étaient nommés par l'autre. De là beaucoup de brouilleries, qu'il est souvent bien difficile d'éclaircir. Ce n'est point ici le lieu d'entrer dans ces sortes de discussions : ceux qui en sont curieux peuvent consulter M. de Tillemont.

Maximien, Auguste quant au titre, et jouissant des stériles honneurs d'un consulat qui n'était pas même reconnu dans Rome, ne s'accommoda pas longtemps du séjour auprès de Galérius. Il revint l'an 308 en Gaule, où Constantin lui tenait un asile toujours prêt, n'ayant pas encore appris à se défier de son beau-père, et de la passion incurable de régner qui dominait cet ambitieux vieillard. Celui-ci, polir nourrir la crédulité de son gendre, fit une démarche de modération apparente, et quitta une seconde fois la pourpre. Il prétendait se mettre ainsi à l'abri de tout soupçon, et travailler d'autant plus sûrement à relever sa fortune, que sa manœuvre serait plus sourde et plus cachée. La facilité de Constantin favorisa les espérances perfides de Maximien. Le jeune empereur ne se contenta pas de faire jouir son beau-père d'une opulence impériale dans la condition privée, il avait pour lui une déférence extrême : il voulait que ses sujets respectassent Maximien et lui obéissent, et il leur en donnait lui-même l'exemple, prenant ses conseils, étudiant ses volontés, jusqu'à se réserver presque uniquement les honneurs du rang suprême, et lui en laisser la puissance.

Un traitement si généreux aurait satisfait une âme capable de quelque modération. Mais comme le remarque à ce propos même un orateur que j'ai cité plus d'une fois[5], il n'est point de dons de la fortune qui puissent remplir l'avidité de ceux, dont la raison ne borne point les désirs. Ils ne sentent point leur bonheur qui ne fait d'eux que des ingrats ; et toujours pleins d'espérances, toujours vides des biens dont ils pourraient jouir, ils perdent le présent en courant après un avenir incertain et périlleux. Quelle différence, ajoute le même orateur, entre Maximien et son collègue ! Cet homme divin, qui le premier a fait part de l'empire qu'il pouvait posséder seul, et le premier y a renoncé, ne se repent point du parti qu'il a pris, et il ne compte point avoir perdu ce qu'il a cédé volontairement ; véritablement heureux, lorsque simple particulier il voit les maîtres de l'empire lui rendre des devoirs comme à un supérieur.

Il fallut quelque temps à Maximien pour disposer toutes choses par rapport à ses vues. Ainsi il resta tranquille toute l'année 3o8 et partie de la suivante.

Au commencement de 308 Constantin ne jouissait encore du titre d'Auguste que dans les provinces qui lui obéissaient. L'ambition d'un autre lui valut l'avantage d'être reconnu en cette qualité par Galérius, et conséquemment par tout l'empire, si l'on excepte les pays qui étaient sous la loi de Maxence. Maximin, qui trois ans auparavant avait été fait César par Dioclétien sur la présentation de Galérius, ne vit qu'avec un violent dépit Licinius élevé au rang d'Auguste. Il prétendait être lésé, et ses plaintes n'étaient pas sans quelque fondement. Comme il avait le droit d'ancienneté qui parlait- pour lui, il se croyait justement autorisé à ne point céder la prééminence à un nouveau venu, et il en écrivit en ces termes à Galérius, qui fut très-piqué de voir son neveu s'élever contre ses volontés. Il l'avait tiré de la poussière, comptant sur une aveugle obéissance de sa part : mais à vrai dire il ne la méritait pas. Son propre exemple retombait sur lui ; et après la violence qu'il avait faite à Dioclétien, il n'était pas en droit de se plaindre de ne pas trouver de la soumission dans ses créatures. Il voulait néanmoins être obéi, et il répondit à Maximin que ses arrangements devaient être respectés, et que d'ailleurs l'âge de Licinius était une raison solide de préférence. Maximin insista avec une nouvelle force : la chose tourna en négociation ; et Galérius, commençant à se relâcher, proposa d'abolir le nom de Césars, et de déférer à Maximin et à Constantin, dont la cause était la même, le titre de fils des Augustes. Ce changement était une illusion, qui laissait toujours subsister le tort que Maximin prétendait avoir souffert. Ne pouvant obtenir justice, il se la fit lui-même. Dans une assemblée de son armée qu'il convoqua, il fut déclaré Auguste, et il en manda la nouvelle à Galérius, supposant que ce qui venait de se passer à son sujet était l'ouvrage des soldats. Je ne me lasse point de faire observer quel était alors le pouvoir des gens de guerre dans le gouvernement romain. Galérius céda, et il consentit que le nom et les honneurs d'Auguste fussent rendus communs aux quatre princes, lui, Licinius, Maximin et Constantin. Maxence était toujours regardé comme rebelle et comme tyran.

De cet arrangement, auquel la force avait autant et plus de part que les lois, il résulta une contestation pour les rangs entre les Augustes. Galérius était indubitablement le premier ; mais les trois autres s'opposaient mutuellement des droits contraires et des prétentions respectives. Licinius avait pour lui la volonté de Galérius. Constantin était celui des trois qui le premier avait porté le nom d'Auguste. Maximin se prévalait d'être le plus ancien César. Cette querelle fut décidée par les événements.

Constantin soutenait les accroissements d'honneurs Nouveaux dont il était nouvellement décoré par de nouveaux exploits contre les ennemis de l'empire. Les Francs avaient repris les armes, et menaçaient encore les Gaules d'une invasion. Il n'en coûta à Constantin que de se montrer pour arrêter leurs courses ; et cela par deux fois dans un espace de temps fort court. Car les menées de Maximien Hercule obligèrent le jeune prince à laisser imparfaite sa première expédition, et ayant ainsi donné lieu aux Francs de réitérer leurs mouvements, elles le mirent dans la nécessité de retourner contre eux, et toujours avec le même succès. Dès qu'il parut, tout rentra dans le calme ; et comme son éloignement seul avait inspiré à ces nations inquiètes la hardiesse de remuer, son retour prompt et inespéré les glaça de terreur, et leur fit tout d'un coup tomber les armes des mains.

Son infidèle beau-père lui donna de plus vives inquiétudes par des intrigues domestiques, qui mêlées, comme on vient de le voir, avec la guerre contre dépouilla  les Francs, causèrent enfin la perte de leur auteur.

Sur la première nouvelle de la rébellion des nations germaniques, Constantin se disposant à se mettre aussitôt en marche pour aller les réprimer, Maximien lui conseilla de ne mener que la moindre partie de ses forces, comme plus que suffisante contre de pareils ennemis. Cet avis convenait assez au caractère de Constantin, actif, ardent, plein de feu et aimant sur toutes choses la célérité de l'exécution. Le perfide vieillard avait, en donnant ce conseil, une double vue de malignité. D'une part il ne désespérait pas que son gendre faiblement accompagné ne pérît dans quelque combat contre des nations belliqueuses ; et de l'autre il se proposait d'attirer à lui les nombreuses troupes que Constantin laissait dans l'inaction, et qui, n'étant plus retenues par la présence de leur prince, seraient plus disposées à se prêter à la séduction. Plein de ces pensées, dès qu'il vit Constantin éloigné, il travailla à se faire des partisans parmi les officiers et les soldats ; et lorsqu'il le sut entré sur les terres des ennemis, il lève le masque, reprend pour la troisième fois la pourpre, se fait proclamer empereur, et s'étant emparé des trésors du prince, il en fait largesse à tous ceux qui voulurent partager la proie avec lui. Il n'y trouva pas tous les esprits disposés, et la fidélité de plusieurs ne put être ébranlée par ses dons. Ceci se passait dans le pays que nous nommons la Provence.

Constantin, qui était alors sur le Rhin, en fut promptement averti, et comme il avait déjà remporté sur les Francs quelque avantage qui lui promettait sûreté de ce côté, il ne perdit pas un moment pour venir remédier à un mal qui le menaçait de sa ruine. L'ardeur de ses troupes égalait la sienne ; tout retardement leur paraissait odieux. Des rives du Rhin ils vinrent d'abord à Châlons-sur-Saône, sans prendre aucun repos dans une si longue marche. Là Constantin embarqua ses troupes et il descendit par la Saône et par le Rhône jusqu'à Arles, où il comptait trouver Maximien ; mais le vieil ambitieux avait abandonné la place. Surpris par la diligence de Constantin, et n'ayant pas eu le temps de grossir et de fortifier son parti, sa ressource fut de se sauver à Marseille, où il s'enferma, et se mit en état de défense, se proposant, dit Eutrope, de gagner du temps pour s'enfuir par mer en Italie, et espérant que la qualité de père lui ferait encore obtenir la protection de Maxence. Tout le pays abandonné par lui retourna avec joie sous les lois de son légitime maitre ; les troupes qui s'étaient laissé séduire s'empressèrent de lui renouveler leur serment. Constantin était aimé ; et il ne resta à Maximien que les soldats qu'il avait emmenés avec lui, et qui ne lui étaient guère attachés, comme l'événement le prouvera.

Il ne fut pas difficile à Constantin de réduire un si faible adversaire. En se présentant devant Marseille, il donna d'abord un assaut à la place ; mais les échelles s'étant trouvées trop courtes, il fit sonner la retraite, et retint l'ardeur de ses soldats, qui ne connaissaient point d'obstacle, et qui ne jugeaient rien impossible à leur courage. Il parait qu'il voulait vaincre à moins de risques et moins de frais, au moyen d'une intelligence qu'il avait dans la ville : car Maximien s'étant montré sur le mur, Constantin lia d'en bas une conversation avec lui, et lui fit sur sa conduite des reproches doux, auxquels le vieil empereur ne répondit que par des invectives brutales. Pendant que la conférence durait encore, ceux de la ville ouvrirent une de leurs portes par laquelle entrèrent subitement les gens de Constantin. Maximien saisi sur-le-champ fut amené aux pieds de son vainqueur, qui se contenta d'une réprimande en paroles, et lui laissa la vie par respect pour l'affinité qui les unissait. Il prit pourtant les précautions nécessaires pour sa sûreté : il dépouilla le anal-heureux vieillard de la pourpre impériale, et il le retint auprès de sa personne.

Maximien demeura en repos pendant le reste de l'année 309 à laquelle paraît appartenir la folle entreprise dont je viens de rendre compte ; mais la tranquillité était pour lui un état violent. Dès l'année suivante 310 de J.-C., il trama une nouvelle trahison, plus noire encore que la précédente, et qui enfin lui attira la mort qu'il cherchait.

Le crime aveugle et l'impunité des premiers forfaits est un attrait qui porte un mauvais cœur à en hasarder de nouveaux. Maximien fut assez scélérat et assez insensé pour solliciter sa fille de livrer Constantin à ses fureurs. Par prières, par caresses, par promesses flatteuses, il tacha de l'engager à laisser ouverte pendant la nuit la chambre où couchait l'empereur, et à en écarter les gardes. Fausta se trouvait dans un grand embarras. D'une part elle craignait sans doute les emportements de son père, si elle refusait de se prêter à ce qu'il exigeait d'elle ; et de l'autre elle était très-résolue de ne point trahir son mari. Elle promit de faire ce qui lui était proposé, et elle rendit compte de tout à Constantin. Il fut convenu entre eux que l'on se mettrait en état de convaincre le criminel, et de le prendre sur le fait. Pour cela on fit coucher dans le lit de l'empereur un eunuque que l'on craignait peu de sacrifier ; une négligence affectée dans tout l'appartement semblait inviter l'assassin. En effet au milieu de la nuit Maximien se lève, et voyant la garde ou endormie ou faisant mal son devoir, il ne douta pas que Fausta ne lui eût tenu parole. Il avance, il s'approche du lit, tue celui qu'il y trouve couché, et croyant avoir tué Constantin, déjà il se livrait à des transports de joie, lorsque Constantin parut environné de gens armés. Il est aisé de juger quelle fut la consternation du coupable. Une rage muette le rendit immobile. Il s'était ôté à lui-même tout moyen de défense, et il ne pouvait plus espérer de grâce. Constantin crut faire assez que de lui laisser le libre choix d'un genre de mort ; et Maximien termina par une corde, dont il s'étrangla lui-même, une vie souillée de crimes. Il était âgé de soixante ans, et il périt à Marseille.

Telle fut la catastrophe ignominieuse d'un prince qui avait régné avec gloire pendant près de vingt ans. Tant qu'il fut guidé par Dioclétien, il jouit d'une fortune heureuse et brillante. Abandonné à lui-même, sa vie ne fut plus qu'un tissu d'entreprises téméraires de crimes et de malheurs. Grand éloge pour la sagesse de celui dont l'autorité et les conseils avaient contenu dans les bornes un caractère fait pour donner dans tous les excès.

Maxence voulant paraître affligé d'une mort qui vraisemblablement était pour lui un sujet de joie, ordonna  l'apothéose de Maximien, et fit un dieu de ce prince détesté du ciel et de la terre. Constantin ne lui envia  point les honneurs de la sépulture, et il lui érigea même un magnifique tombeau. On crut vers l'an 1054  avoir découvert ce tombeau à Marseille. On l'ouvrît et le corps, qui fut trouvé entier, fut jeté à la mer par le conseil de Raimbaud, archevêque d'Arles.

Il est assez singulier que Constantin, en même temps qu'il dressait à Maximien une honorable sépulture, fit partout abattre ses statues et détruire ses portraits.  Cette opération, odieuse en soi, le devenait encore davantage en ce que l'outrage en retombait sur Dioclétien, dont les statues et les images accompagnaient ordinairement celles de sou collègue. Il me semble que Constantin aurait témoigné plus de générosité en épargnant les monuments de Maximien à cause de Dioclétien, qu'en enveloppant dans une disgrâce commune son bienfaiteur avec son ennemi.

La mort de Maximien tombe sous l'an 310. Il avait été un violent persécuteur des chrétiens, et, comme nous l'avons remarqué, il avait commencé à exercer sur eux ses cruautés longtemps avant que l'édit de Dioclétien lui en fit une espèce de loi. Comme le premier des persécuteurs, il périt le premier avec toutes les marques de la vengeance divine. Galérius ne tarda pas à le suivre. Il avait été le principal auteur de la  guerre solennellement déclarée aux serviteurs de Dieu, et Dieu le punit immédiatement par lui-même sans employer le ministère des hommes.

Ce prince, plein de sa grandeur, ne pensait à rien moins qu'au supplice rigoureux qui le menaçait. Dès les commencements de l'an 310, il s'occupait des fêtes de la vingtième année de son règne qu'il se proposait de célébrer le 1er mars de l'an 312, et comme si les réjouissances du souverain devaient être le malheur des peuples, il n'était point de violence qu'il n'exerçât sur ses sujets pour amasser des sommes immenses et se mettre ainsi en état de faire admirer la magnificence de ses vicennales. Nous avons déjà vu à quelles exactions avait donné lieu le dénombrement ordonné par lui dans tout l'empire. Cette nouvelle imposition se levait avec la même rigueur. Partout des soldats, qui faisaient plutôt l'office de bourreaux. Inutilement les malheureux contribuables alléguaient-ils leur indigence, il leur fallait ou souffrir mille tourments, ou payer sur-le-champ ce qu'ils n'avaient point. Nulle aire sans un impitoyable commis, nulle vendange sans gardien : on réduisait à mourir de faim et de soif les laboureurs et les vignerons, dont le travail fournit aux autres la nourriture et le boire. Outre les fruits de la terre, on exigeait encore de l'or, de l'argent, des étoffes précieuses pour les décorations des spectacles ; en sorte qu'en ôtant aux malheureux sujets de l'empire par l'enlèvement des richesses naturelles toute voie d'or.- quérir, on voulait néanmoins tirer d'eux ce qu'on les mettait dans l'impuissance de se procurer. Galérius ruinait ainsi pour de frivoles amusements tous ceux qui avaient le malheur d'être soumis à ses lois. Mais les chrétiens avaient de plus à souffrir de sa part une persécution violente qui durait depuis sept ans, et que la longueur du temps ne faisait qu'aigrir et rendre de jour en jour plus cruelle.

Enfin Dieu tira vengeance de cet implacable ennemi de son culte, et il le frappa d'une plaie incurable, dont le siège donne lieu de penser qu'elle avait été occasionnée, comme je l'ai déjà observé, par la débauche. Eusèbe et surtout Lactance[6] nous ont laissé une description de ce mal qui fait horreur. Je me contenterai de remarquer que le tourment fut très-long ; que tout l'art des médecins et toutes les opérations chirurgicales furent inutiles ; que la pourriture ayant pénétré dans les entrailles, il en sortit des vers en une multitude effroyable, et que la figure même de toute la personne du malade était devenue monstrueuse. Depuis la ceinture en haut, la phtisie et la maigreur l'avaient réduit en squelette ; et tout le bas du corps était tellement enflé, qu'on n'y distinguait plus la forme ni des pieds ni des jambes, et que l'on croyait voir une outre tendue.

Ge malheureux prince, souffrant des douleurs incroyables, suivit d'abord la barbarie de son caractère. Pour récompense des services que les médecins et chirurgiens lui rendaient, il en fit mourir plusieurs, et il continua la persécution contre, les chrétiens avec la même fureur. La longue durée du mal, qui fut d'un an entier, vint pourtant à bout de le dompter et de lui inspirer des remords sur les cruautés qu'il exerçait contre tant d'innocents. Rufin rapporte qu'un de ses médecins, qui sans doute était chrétien, l'aida à faire cette réflexion, en lui remontrant hardiment que sa maladie était manifestement une vengeance divine et ne pouvait céder à aucun remède humain ; que depuis longtemps il faisait la guerre aux serviteurs de Dieu, et que Dieu avait étendu sa main sur lui. Galérius ne put se refuser entièrement à cette pensée que la violence de ses maux autorisait. Nouvel Antiochus, il fut touché d'une sorte de repentir, mais moins vif encore et moins sincère que celui de cet ancien criminel. Son orgueil ne lui permit pas de reconnaître pleinement son tort, et en publiant un édit pour faire cesser la persécution, il voulut sauver l'honneur de sa conduite précédente.

Cet édit, quoiqu'il fût son ouvrage, porte avec son nom ceux des empereurs Constantin et Licinius. Maxence n'y est point nommé, parce qu'il n'était point reconnu par les autres princes. On ne voit pas par quelle raison le nom de Maximin n'y est point exprimé. Il y a toute apparence qu'il a été simplement omis par la négligence des copistes. L'édit fut publié en latin, qui était la langue de l'empire, et Lactance nous en a conservé l'original.

Galérius commence par y vanter les bonnes intentions qu'il a toujours eues de réformer les abus selon l'ancienne discipline des Romains. Il compte au rang des abus la religion chrétienne, et il taxe d'aveuglement ceux qui la suivent, en ce qu'ils ont abandonné les maximes de leurs pères, c'est-à-dire le culte idolâtrique. Il rend témoignage à la violence et à l'inutilité des voies qu'il a prises pour détruire le christianisme, et en même temps à la constance des chrétiens dont les uns ont souffert la mort, et les autres, depuis que leurs temples ont été fermés, n'en fréquentent pas plus les temples des dieux de l'empire. Il se dit touché de l'état où ils se trouvent, sans exercice d'aucune religion ; et c'est par indulgence et par bonté qu'il leur permet de recommencer à s'assembler pour honorer leur Dieu à leur manière. Il finit par leur enjoindre de prier Dieu pour sa conservation.

On voit assez combien une telle déclaration est différente d'un aveu de l'injustice de la persécution. Le mal arrache à Galérius un changement de conduite, mais il ne peut le forcer à condamner ce qu'il a fait. Il en résulta néanmoins un bien : les églises jouirent de la paix ; les particuliers qui étaient détenus dans les prisons pour cause de christianisme recouvrèrent la liberté ; les temples du vrai Dieu furent relevés. Mais Galérius ne méritait pas récompense pour une paix accordée de si mauvaise grâce. L'édit avait été affiché à Nicomédie le 30 avril 311, et l'empereur mourut le mois suivant, probablement à Sardique, capitale de la Dace, son pays natal. En mourant il recommanda Valérie sa femme, et Candidien son fils naturel, à Licinius qui, au lieu d'être leur protecteur, comme toutes sortes de raisons l'y engageaient, se déclara, ainsi que nous le rapporterons, leur ennemi, et les fit mourir au bout de quelques années l'un et l'autre.

Il paraît que Galérius considérait et aimait Valérie, dont il avait donné le nom à un petit canton de la Pannonie qu'il défricha, et qu'il rendit habitable en abattant de grandes forêts et en faisant écouler les eaux du lac Pelson[7] dans le Danube. La Dace sa patrie lui fut chère jusqu'à un excès même condamnable, s'il est vrai, comme le (lit Lactance, qu'il ait eu la pensée de l'illustrer, en abolissant le nom de l'empire romain et y substituant celui d'empire dacique. Tout ce que l'histoire nous raconte de ce prince annonce un caractère extrême, outré et qui ne savait garder aucune mesure. Quand il n aurait pas été ardent et cruel persécuteur des chrétiens, l'ambition, la dureté, l'injustice, qui régnèrent dans sa conduite, nous le feraient toujours regarder comme un méchant prince. Il fut ingrat envers Dioclétien, injuste envers Constantin, tyrannique à l'égard des peuples. Son bel endroit est la guerre : encore n'y réussit-il pas contre Maxence. Il avait régné dix-neuf ans deux mois et quelques jours, à compter depuis qu'il fut fait César ; six ans et quelques jours, depuis qu'il fut parvenu au rang d'Auguste.

Il n'est point dit qu'il ait fait aucune disposition de ses états. On peut conjecturer néanmoins avec beaucoup de vraisemblance que son plan était d'avoir Licinius pour successeur. Mais l'Asie mineure qu'il avait possédée était trop à la bienséance de Maximin pour ne pas irriter sa cupidité. Dès qu'il fut instruit de la mort de Galérius, il se mit en devoir de s'emparer de cette belle province, et profitant des lenteurs de Licinius, qui demeurait dans l'inaction, il vint jusqu'en Bithynie, reçu partout avec joie, parce que, pour se gagner l'affection des peuples, il abolissait la loi onéreuse du dénombrement. Licinius enfin s'avança à sa rencontre ; et sur les bords du détroit ou bosphore de Thrace, les deux princes rangèrent leurs troupes, se menaçant mutuellement d'une guerre qu'ils craignaient l'un et l'autre. La querelle fut terminée par un accord. Licinius céda ce pie son concurrent, plus diligent que lui avait déjà envahi, et il consentit que Maximin joignît l'Asie à l'Orient et à l'Égypte. Pour lui, il resta paisible possesseur de l'Illyrie, à laquelle la Thrace, la Macédoine et la Grèce étaient comme annexées.

Voici donc quel fut alors le partage de l'empire. Constantin, Licinius et Maximin, se reconnaissant tous trois pour Augustes, mais se disputant entre eux la prééminence, régnaient, le premier dans les Gaules, l'Espagne et la Grande-Bretagne ; le second en Illyrie ; le troisième dans l'Asie, l'Orient et l'Égypte. Le centre de l'empire, c'est-à-dire l'Italie et l'Afrique, était au pouvoir de Maxence que les trois autres princes traitaient de tyran.

Maxence avait commencé, comme je l'ai dit, par s'emparer de Rome. Ce fut cette année-ci même 311 qu'il réunit à son domaine l'Afrique, qui d'abord avait l'Afrique, refusé de le reconnaître, et oh s'était ensuite fait proclamer empereur un certain Alexandre, qui en jouit pendant plus de trois ans. Zosime est l'auteur qui nous qui y donne le plus de lumières sur cette révolution, mais avec le mélange de brouilleries et d'obscurités qui ne manque jamais d'accompagner les récits de cet écrivain.

Maxence, sorti avec avantage des attaques que Sévère et Galérius lui avaient livrées, et voyant son pouvoir bien établi en Italie, revendiqua l'Afrique, comme en étant une dépendance et comme faisant partie des domaines de Sévère qu'il avait vaincu. Il y envoya donc ses mages : c'était la forme de la prise de possession. Il paraît que tette démarche opéra une division entre les troupes qui étaient en Afrique. Une partie, et même la plus considérable, se soumit à Maxence. Il s'en trouva cependant plusieurs qui par attachement pour Galérius ne voulurent point promettre obéissance à son ennemi. Comme ils étaient les plus faibles, ils résolurent de se retirer à Alexandrie, où la protection de Maximin, qui régnait en Égypte, les aurait mis en sûreté ; mais on leur coupa le chemin : ils furent obligés de revenir :à Carthage et de subir la loi du plus fort.

Maxence, qui ne comptait pas beaucoup sur cette soumission forcée, eut la pensée de se transporter en Afrique pour s'y faire reconnaître en personne. D'ailleurs cruel et vindicatif, il voulait punir la résistance de ceux qu'il avait fallu contraindre par les armes à se ranger sous ses lois. Enfin il se défiait d'Alexandre qui commandait en Afrique en qualité de vicaire du préfet du prétoire. Alexandre n'était pourtant pas fort redoutable, homme sans courage et sans fermeté, mou et inappliqué par caractère, et en qui ces défauts étaient encore augmentés par les glaces de l'âge. Mais Maxence à tous égards valait encore moins que lui. Une résolution que lui dictaient des motifs si puissants manqua d'exécution par sa crédulité superstitieuse aux réponses des aruspices, ou peut-être par sa lâcheté qui aima à se couvrir de ce voile favorable. Les sacrificateurs consultés lui ayant dit que les entrailles des victimes qu'ils avaient immolées n'offraient point de présagés heureux, il renonça au dessein d'aller en Afrique, et il se livra tout entier aux plaisirs de Rome.

Il voulut néanmoins prendre ses sûretés par rapport à Alexandre, et il lui demanda son fils en otage. Alexandre craignit pour cet enfant, qui était dans un âge tendre et beau de visage, les honteux et brutaux dérèglements du tyran, et il refusa de l'envoyer. Maxence irrité aposta des assassins pour tuer secrètement Alexandre. Mais ce fut précisément cette odieuse démarche qui hâta la révolte. Les assassins furent découverts ; et les soldats justement indignés, et se rappelant tous les anciens sujets qu'ils avaient de haïr Maxence, secouèrent son joug et revêtirent leur chef de la pourpre : ceci se passa l'an de J.-C. 3o8. Alexandre, malgré son incapacité, ne laissa pas, parce qu'il avait affaire à Maxence, de jouir paisiblement de la puissance impériale en Afrique pendant plus de trois ans.

En 311 Maxence se réveilla enfin de son assoupissement, et te préparant à faire la guerre à Constantin, il voulut auparavant réduire l'Afrique sous son obéissance. Il ne lui en coûta pas de grands efforts. Il fit partir son préfet du prétoire Rufius Volusianus avec un petit nombre de troupes, et il lui donna pour aide.et pour conseil un homme peu connu d'ailleurs, mais qui passait pour habile capitaine ; il se nommait Zénas. Ces deux commandants livrèrent un combat à Alexandre, qui fut défait, pris et étranglé. L'Afrique rentra ainsi sous les lois de Maxence.

Dans cette petite guerre, ou dans les mouvements qui l'ont précédée, la ville de Cirte en Numidie eut à soutenir un siège, soit pour la cause d'Alexandre, soit contre lui ; car l'expression de l'auteur original est équivoque. Elle souffrit beaucoup de ce siège, et ayant été dans la suite réparée par Constantin, elle prit le nom de son bienfaiteur, et fut appelée Constantine.

Maxence vainqueur abusa de la fortune avec toute la cruauté d'une âme basse. Il ruina l'Afrique par des recherches tyranniques, dont la révolte d'Alexandre était le prétexte. Les délateurs eurent beau champ, dit Zosime, à accuser d'avoir favorisé ce rebelle tous ceux que leur naissance ou leurs richesses exposaient à l'envie. Aucun ne fut épargné. Plusieurs périrent : les moins maltraités souffrirent la confiscation. Maxence voulait même détruire Carthage, et priver ainsi l'empire romain d'un de ses plus beaux ornements. Il en triompha, comme si Carthage eût été encore la rivale de Rome. Mais il n'eut pas le loisir d'achever sa vengeance sur cette malheureuse ville, sans doute parce que la guerre contre Constantin lui parut un objet plus important.

Il feignait, comme je l'ai dit, d'être extrêmement irrité de la mort de son père, et de vouloir en tirer raison. Dans le vrai, le motif qui l'animait était l'ambition et le désir de s'enrichir de la dépouille de Constantin. Il ne se rendait guère justice en osant se mesurer contre un tel adversaire. Détesté et méprisé, il attaquait un prince qui était l'objet de l'estime et de l'amour de tous ceux qui lui obéissaient.

Ce ne sont pas les seuls écrivains chrétiens qui peignent Maxence avec les couleurs les plus noires. Les païens ne lui sont pas plus favorables Zosime assure que Maxence exerça soutes sortes de cruautés et de débauches dans Rome et dans toute l'Italie. Aurélius Victor à ces excès odieux ajoute la lâcheté, la timidité et un engourdissement de paresse qui, selon un panégyriste du temps, lui permettait à peine de mettre le pied hors de son palais. Il ne connaissait nul exercice militaire ; le Champ de Mars ne le voyait jamais. Ses exercices étaient de délicieuses promenades dans ses jardins et sous ses portiques de marbre. Se transporter à une maison de plaisance, c'était pour lui une expédition ; et il tirait vanité de cette inaction honteuse. Il ne feignait point de dire qu'il était le seul empereur, et que les autres princes combattaient pour lui sur les frontières. Telle était la mollesse de Maxence. Par rapport à ses autres vices, le détail nous en est fourni, surtout par un auteur chrétien, mais qui ne fait que développer ce que Zosime et Victor ont renfermé en deux mots.

Maxence, dit Eusèbe[8], au commencement qu'il se vit maître de Rome, voulut donner une idée avantageuse de la douceur de son gouvernement, en faisant cesser la persécution contre les chrétiens. Mais cette douceur était en lui feinte et masquée ; et si la religion de ses pères ne lui tenait pas assez au cœur pour aiguillonner sa cruauté, ses passions, auxquelles il lâchait la bride, le portèrent aux plus horrible ; violences contre tous ses sujets indistinctement. Brutalement débauché, il enlevait aux maris leurs épouses, et les leur renvoyait déshonorées. Et ce n'était point aux familles du peuple qu'il s'adressait : il attaquait par ses outrages ce qu'il y avait de plus éminent dans Rome et dans le sénat. Rien n'assouvissait la fureur de ses désirs, qui toujours renaissants à mesure qu'ils étaient satisfaits, couraient d'objet en objet, sans laisser aucune vertu en sûreté. Il échoua pourtant contre celle des femmes chrétiennes, qui, craignant moins la mort que le perte du trésor de la chasteté, bravèrent la violence du tyran. Eusèbe en cite une en particulier, qui, par une générosité que la morale du paganisme aurait autorisée, mais que la loi évangélique ne nous permet pas de louer, attenta elle-même sur sa 'vie, pour sauver son honneur.

Sophronie[9], femme chrétienne, mariée à l'un des plus illustres sénateurs, eut le malheur d'attirer le regard de Maxence. Déjà les satellites du tyran se présentaient à la maison pour l'emmener ; et le mari, par une Liche timidité, leur permettait d'enlever leur proie. Elle demanda un moment pour se mettre à sa toilette et se parer ; et lorsqu'elle se vit seule, elle prit un couteau, et se l'enfonça dans le sein. Il n'est point dit si cette aventure tragique causa quelque mouvement dans Rome ; mais elle ne corrigea point Maxence, qui, jusqu'à la fin de sa vie et de son règne, persista dans sa tyrannique infamie.

La cruauté chez lui, comme je l'ai dit, allait de pair. Excité par la cupidité, elle trouvait autant de coupables que de riches. Tout ceux dont les possessions avaient de quoi tenter Maxence, ne pouvaient éviter la mort. La douceur, la soumission, la patience, ne le désarmaient point ; encore moins la dignité des personnes. Il est impossible de compter, dit Eusèbe, le nombre des sénateurs qu'il fit périr sur des prétextes variés selon les circonstances, et toujours faux.

Suivant la maxime des méchants princes, il mettait tout son appui dans les gens de guerre. Aussi les comblait-il de largesses, et il épuisait pour eux les finances publiques. Jouissez, leur disait-il, prodiguez, dissipez : c'est là votre partage. Dans une querelle qui s'éleva entre le peuple et les soldats, il permit à ceux-ci de faire main-basse sur les bourgeois, et le carnage fut grand. En accordant ainsi aux troupes une pleine licence, il s'assurait des ministres pour l'exécution de toutes ses violences ; et non seulement Rome ; mais l'Italie entière était remplie de satellites de sa tyrannie.

Pour fournir aux dépenses énormes par lesquelles il s'attachait les troupes, le trésor public ne suffit pas longtemps : il fallut y joindre les confiscations injustes, les taxes sur tous les ordres de l'état, et jusque sur les laboureurs ; le pillage des temples. La suite d'une si mauvaise administration fut la disette des choses nécessaires à la vie, et une famine si grande, qu'aucun homme vivant ne se souvenait d'en avoir vu une semblable dans Rome.

Il ne manquait à Maxence pour être un monstre achevé, que l'impiété et la magie : il ne voulut pas que ce trait de moins rendit le tableau imparfait. Eusèbe l'accuse d'avoir offert, lorsqu'il se préparait à la guerre contre Constantin, des sacrifices abominables, dans lesquels il immolait des femmes enceintes et de tendres enfants, pour chercher l'avenir dans leurs entrailles palpitantes, et pour détourner sur ces malheureuses et innocentes victimes les maux dont il pouvait être menacé.

Après ce portrait de Maxence, il n'est pas besoin d'observer que rien ne lui ressemblait moins que Constantin, qui avait toutes les vertus contraires, et qui, au moment même que la division entre eux devint une guerre déclarée, se défit de la seule tache qui lui restait commune avec son ennemi, en renonçant au culte des idoles, et en devenant adorateur du vrai Dieu.

Guerrier et bienfaisant, Constantin s'occupait également du soin de repousser les ennemis du dehors, et de celui de rendre heureux ses sujets. Les Francs étaient la perpétuelle matière de ses triomphes. La plupart des peuples qui composaient cette ligue, les Bructères, les Chamaves, les Chérusques, et d'autres encore, se réunirent l'an 310 pour faire un plus puissant effort, et ils se préparaient à entrer hostilement dans les Gaules, où déjà depuis plus de soixante ans ils travaillaient vainement à s'établir. Constantin marcha contre eux, et, avant que de livrer bataille, il fit un acte de bravoure qui, dans un prince, a plus besoin d'excuses qu'il ne mérite d'éloges. Déguisé, et seulement accompagné de deux des siens, il s'avança jusqu'au camp des ennemis, et lia conversation avec quelques-uns d'entre eux, pour tirer des lumières sur leurs desseins. Plus heureux que prudent, il revint sans avoir été reconnu ; et ayant ensuite attaqué les Francs à son avantage, il défit entièrement leur armée. Ainsi la réunion des principales forces de la ligue ne servit qu'à abréger à Constantin les voies de la victoire, qui lui aurait coûté beaucoup plus de temps, s'il eût été obligé de vaincre, les uns après les autres, tous ces peuples séparés en différents corps. M. de Tillemont soupçonne que ce fut à l'occasion de cet important exploit, que Constantin prit le surnom de Maximus ou Très-Grand, qui lui a été confirmé par la postérité.

Il le méritait, moins encore par ses succès dans la guerre, que par ses attentions de bonté pour les peuples qui vivaient sous son empire. Il réprima les délateurs par des lois sévères, et mit fin aux vexations auxquelles souvent étaient exposés de leur part les plus gens de bien. Il visitait ses provinces, et partout il réformait les abus, portait le bon ordre, et faisait fleurir tous les biens de la paix. Eusèbe parle d'un voyage que Constantin fit dans la Grande-Bretagne avec cet esprit. Nous apprenons du panégyriste Eumène, que Trèves, qui était la plus ordinaire résidence de ce prince, et qui avait souffert beaucoup des courses des Barbares dans les temps précédents, se relevait et s'embellissait par ses soins : qu'il y bâtissait un grand cirque, une place, des basiliques, un palais pour rendre la justice. Cet orateur ne souhaite rien autre chose pour le bonheur d'Autun sa patrie, sinon que Constantin daigne y diriger ses pas.

Les vœux de l'orateur furent accomplis. Constantin vint à Autun en l'année 311, et il fut attendri de l'état misérable où il trouva et la ville et la campagne, que les guerres avaient dévastées, et que la rigueur des impositions achevait de ruiner. Résolu d'apporter au mal des remèdes efficaces, il lie donna pas même le temps au sénat et à tous les ordres de la ville, qui étaient sortis pour le recevoir, de lui représente leurs besoins ; il les prévint, et leur demanda ce qu'ils jugeaient nécessaire pour leur soulagement. La joie et la reconnaissance les engagèrent à se prosterner à ses pieds, Constantin ne put retenir ses larmes à un spectacle si touchant : larmes salutaires pour nous, dit Eumène, et glorieuses pour le prince qui les versait. Il s'instruisit de leur situation, et sur-le-champ, sans faire attendre son bienfait, il leur remit ce qu'ils devaient au fisc depuis cinq ans, et il diminua de plus d'un quart l'imposition ordinaire et annuelle. La ville, pour honorer un souverain si bienfaisant, prit son nom, et se fit appeler Flavia ; mais ce nom n'a pu prévaloir sur celui d'Augustodunum, qu'elle portait depuis Auguste, et qui s'est maintenu.

Ce fut dès cette même année 311 que la rupture éclata entre Constantin et Maxence. Jamais ils n'avaient été sincèrement unis, quoiqu'ils ne se fussent jamais fait la guerre, et qu'ils semblent même s'être reconnus mutuellement, au moins pendant un certain temps, pour collègues. Je tire cette conjecture de ce que les statues de Constantin, comme nous le verrons, subsistaient et étaient révérées dans Rome, dont Maxence était le maître. Mais la différence des caractères et des principes était trop grande, pour ne pas produire une division réelle des cœurs sous des dehors pacifiques.

Maxence leva l'étendard de la guerre. Constantin respectait l'apparence d'union qui arrêtait les grands éclats. Il fit même des avances vers son beau-frère : il l'invita à vivre en concorde et en bonne intelligence. Ses empressements demeurèrent sans fruit. Maxence enflé d'orgueil, et aussi rempli d'ambition que dénué de talents, rebuta ses offres, rejeta ses propositions. Il se voyait de nombreuses armées, et fier de cet avantage, il ne se proposait rien moins que de conquérir le département de Constantin, et peut-être même celui de Licinius. Il ne déclara pas ouvertement la guerre à ce dernier, mais il provoqua hautement les armes de Constantin, en faisant abattre et traiter ignominieusement ses statues. Cette insulte était une marque d'hostilité ; et le prince offensé ne voyant plus aucun jour à conserver la paix, se détermina à pousser vivement la guerre contre un ennemi aussi audacieux qu'il était méprisable. C'était même pour lui un sujet de joie, que de se voir forcé par les circonstances à ne pas souffrir plus longtemps que Rome demeurât asservie à un tyran détesté. Pour se faciliter le succès, il s'assura de l'amitié de Licinius, et dès lors fut projeté le mariage entre Constancie sa sœur et ce prince. Maxence de son côté se lia avec Maximin. Mais ni Licinius ni Maximin ne prirent aucune part effective à la querelle, qui fut vidée entre Constantin et Maxence.

Forces respectives des deux princes ennemis. Ce fut une grande guerre, non pour la durée, mais pour l'importance de l'objet, pour les apprêts formidables, et pour la variété des exploits auxquels elle donna lieu. Ce qui la rend encore infiniment plus considérable pour nous, c'est que le ciel y intervint d'une façon miraculeuse, et qu'elle est l'époque de la Conversion de Constantin, qui rendit la paix à l'Église, et qui mit fin aux persécutions continuelles contre lesquelles elle avait eu à lutter depuis son berceau.

Ceux qui parlent le plus modestement des forces de Maxence, lui attribuent cent mille hommes en armes. Zosime fait monter son infanterie à cent soixante-dix mille hommes, et sa cavalerie à dix-huit mille chevaux. L'armée de Sévère, dont il s'était rendu maître, lui avait fourni un fond qu'il avait ensuite augmenté par de nouvelles levées en Italie et en Afrique. Pour la subsistance de ces troupes si nombreuses, il avait fait de grands amas de blés, qui, réservés aux soldats, laissaient le peuple dans la misère. Selon le même Zosime, Constantin partit de la Gaule avec quatre-vingt-dix mille hommes de pied et huit mille chevaux : et c'est à quoi nous nous en tenons, sans nous arrêter au langage des panégyristes, qui, pour relever l'éclat de la victoire, en diminuant les forces avec lesquelles elle fut remportée, donnent à Constantin moins de troupes que n'en avait Alexandre lorsqu'il entreprit la guerre contre les Perses, c'est-à-dire moins de quarante mille hommes. Ce que nous, croirons sans peine sur leur témoignage, c'est qu'il ne put pas mener contre Maxence tout ce qu'il avait de monde sur pied, parce qu'il fut obligé d'en laisser une partie dans les Gaules, pour les défendre en son absence contre les courses des Germains.

Il paraît que Constantin ne laissait pas d'être frappé conversion de la, disproportion de ses forces avec celles de son ennemi ; et Dieu se servit de cette inquiétude pour le détacher du culte des idoles impuissantes, et l'amener à sa connaissance. Il l'y préparait dès longtemps. Né d'un père plein d'estime et d'affection pour les chrétiens, Constantin avait pris de bonne heure les mêmes sentiments. Les cruautés exercées sur eux par Dioclétien et.par les autres princes lui firent horreur. Il se rendit attentif à la vengeance que Dieu tira de Maximien et de Galérius. En conséquence de ces différentes impressions, il fut toujours favorable à ceux qui suivaient la loi du christianisme, et le premier usage qu'il fit de la puissance impériale, comme nous l'avons dit, ce fut d'abolir tout vestige de persécution. Mais néanmoins il n'était pas revenu des fausses idées dans lesquelles il avait été nourri sur la multiplicité dés dieux. Il trouvait bon que chacun adorât le sien ; et pour lui, il rendait ses hommages à ceux qu'on lui avait appris à révérer, ne connaissant point ce caractère du dieu jaloux, qui veut être honoré seul, parce que lui seul mérite notre culte. La grandeur du péril auquel il s'allait exposer en combattant contre Maxence, lui fit faire de sérieuses réflexions. Il savait que son ennemi employait les maléfices et les sacrifices magiques, pour s'appuyer du secours des puissances de l'enfer.

Lui au contraire, il invoqua ce Dieu qu'il ne connaissait encore que d'une manière imparfaite et confuse, et il le pria de se manifester à lui et de se déclarer son protecteur. Dieu exauça sa prière, qui partait d'un cœur sincère, et par une bonté qui n'avait pas seulement Constantin pour objet, mais dont l'effet devait s'étendre à toute l'Église chrétienne, il lui accorda un prodige signalé, qui, dit Eusèbe, serait difficile à croire s'il n'était puissamment autorisé. Mais j'en tiens le récit de l'empereur lui-même, et il m'en a attesté la vérité avec serment.

Étant en marche avec son armée, après midi, lorsque le jour commençait à décliner, Constantin vit dans le ciel, au-dessus du soleil, la figure d'une croix lumineuse, qui portait cette inscription : Triomphez par ceci. Son armée fut témoin comme lui de ce phénomène miraculeux, qui frappa tous les spectateurs d'un grand étonnement. Constantin, quoique vivant au milieu des chrétiens, quoique rempli de bonté pour eux, avait néanmoins si peu de notion du christianisme, qu'il ne comprit pas ce que signifiait cette croix. Il fallut qu'un songe l'en éclaircit. Pendant la nuit, Jésus-Christ se montra à lui avec sa croix, et il lui commanda d'en faire une représentation semblable à ce qu'il voyait, et de s'en servir dans les combats comme d'une défense assurée contre tous ses ennemis. Constantin obéit. Il ne fut pas plus tôt éveillé, qu'il manda des ouvriers, à qui il communiqua l'image qui lui était restée dans la mémoire ; il leur en fit tracer le dessin, et leur ordonna de l'exécuter magnifiquement. Voici la description que nous en donne Eusèbe.

Une longue pique revêtue d'or était traversée à une certaine hauteur par une pièce de bois qui en faisait une croix. Dans la partie supérieure, qui s'élevait au-dessus des bras était attachée solidement une couronne brillante d'or et de pierreries, au milieu de laquelle paraissait le monogramme de Christ formé par deux lettres grecques X et P qui se croisaient en cette façon connue de tout le monde. Des deux bras de la croix pendait un drapeau de pourpre tout couvert de broderies en or et de différentes pierreries dont l'éclat éblouissait les yeux. Sur la partie inférieure de la croix, au-dessous de la couronne et du monogramme, Constantin fit placer son buste en or et ceux de ses enfants. Ce trophée de la croix devint l'étendard impérial de Constantin. Les empereurs romains avaient toujours eu leur étendard propre, que l'on nommait Labarum ; et qui chargé de représentations de fausses divinités, était un objet de vénération religieuse pour les années : Constantin, eu substituant sur le Labarum le nom de J.-C. aux images des dieux du paganisme, déshabituait les soldats d'un culte impie, et les amenait sans effort à rendre leurs adorations à celui à qui elles sont dues.

Ce précieux drapeau était confié à cinquante gardes de l'empereur, choisis entre les plus vigoureux de corps, les plus vaillants et les plus pieux, qui étaient chargés de l'environner, de le défendre, et de le prendre successivement sur leurs épaules, à mesure que celui qui le portait s'en trouvait fatigué. Constantin en fit exécuter d'autres sur le même modèle, mais non pas avec la même magnificence, pour servir d'enseignes militaires à tous les corps de troupes qui composaient son armée. Il voulut que les armes mêmes des soldats portassent l'empreinte de la croix, et il la fit graver sur leurs boucliers et sur leurs casques.

Le lieu précis de l'apparition de la croix miraculeuse à Constantin n'est point connu avec certitude ; mais la suite des faits dans Eusèbe nous détermine, ainsi que M. de Tillemont, à penser que ce fut dans les Gaules que s'opéra ce prodige céleste. La date du temps est certainement l'année 311 de J.-C., lorsque Constantin faisait les préparatifs de la guerre contre Maxence.

La certitude du fait, appuyée sur le témoignage de Constantin lui-même, est au-dessus de toute critique. Il fit éclat ; et un orateur du temps, païen de religion, l'indique visiblement, quoiqu'en le racontant il le déguise et l'habille à la façon des fables anciennes. Nazaire assure que l'on avait vu une armée céleste, qui se mit à la tête de celle du prince, et dont les soldats s'exhortaient mutuellement à le secourir. Dans ce récit ainsi altéré paraît néanmoins l'idée d'un secours miraculeusement envoyé du ciel.

J'ai déjà observé combien Constantin avait peu de connaissance des éléments mêmes du christianisme. Aussitôt que le miracle dont je viens de rendre compte lui eut inspiré la résolution d'embrasser notre sainte religion, il appela des évêques auprès de sa personne pour être instruit par eux des articles fondamentaux de la croyance chrétienne. Il est assez étonnant qu'Eusèbe ne nomme point les maîtres d'un si illustre prosélyte. La malignité a porté Zosime à s'expliquer un peu davantage. Cet écrivain plein de fiel contre Constantin et contre les chrétiens attribue un changement qu'il traite d'impiété aux leçons d'un égyptien venu d'Espagne : désignation vague, mais dans laquelle, en démêlant le vrai d'avec le faux, on peut reconnaître Osius, le plus grand homme qui fût alors dans l'Église. Osius n'était point égyptien, mais il était évêque de Cordoue en Espagne ; et les témoignages singuliers d'estime, de considération, de confiance, que Constantin ne cessa de lui prodiguer durant toute sa vie, concourent à nous donner lieu de penser qu'il respectait en lui l'apôtre de sa conversion.

L'empereur devenu chrétien amena toute sa famille à la profession de la vraie religion. Il y fit élever ses enfants. Eutropie sa belle-mère, veuve de Maximien Hercule, Fausta sa femme, Constancie sa sœur, embrassèrent le christianisme. Mais sa plus glorieuse conquête en ce genre est Hélène sa mère, qui à la foi en Jésus-Christ joignit la pratique exacte des préceptes de l'évangile, et qui par une éminente piété a mérité d'être mise au rang des modèles que l'Église honore et propose à ses enfants.

C'était un puissant encouragement pour Constantin dans la guerre qu'il avait entreprise contre Maxence, que l'assurance de la protection du ciel. Il avait d'ailleurs, à l'exception du nombre des troupes, toutes sortes d'avantages sur son rival, soit que l'on comparât leurs qualités personnelles, soit que l'on examinât le droit des parties et la différence des causes. Quand on s'en tiendrait au récit du seul Zosime, il est manifeste que le bien de l'empire demandait que Constantin demeurât vainqueur.

Il prenait les voies nécessaires pour le devenir, marchant partout à la tête de ses troupes, pendant que Maxence tranquillement renfermé dans Rome ne faisait la guerre que par ses lieutenants. Constantin se présenta d'abord devant Suse, qui est, comme l'on sait, une clé des Alpes et de l'Italie. Cette place, alors très-forte, et qui avait une bonne garnison, se refusa à l'invitation qui lui fut faite de se rendre sans combat, sous promesse du plus favorable traitement. Constantin ne prétendit pas perdre un temps précieux à assiéger la ville dans les formes. Il fit appliquer les échelles aux murailles ; il mit le feu-aux portes ; et l'incendie gagna avec tant de rapidité et de violence, que les habitants et la garnison implorèrent la clémence de celui dont ils avaient rejeté les offres. Le vainqueur écouta leurs prières. Reçu dans Suse il donna tous ses soins à éteindre le feu, de peur qu'il ne consumât entièrement la place ; et maître du passage de l'Italie, il s'avança vers Turin.

Là il trouva une armée en bon ordre qui l'attendait pour lui livrer bataille. Une troupe de cavaliers bardés de fer, à la manière des cuirassiers orientaux, en faisait la principale force. Constantin attaqua avec confiance les ennemis, et il prit son poste vis-à-vis les cuirassiers. Le combat fut rude, et il y eut beaucoup de sang répandu. Il parait que ce fut la défaite des cuirassiers qui décida du succès général de la bataille. Constantin qui savait qu'emprisonnés eux et leurs chevaux, dans leurs armures, ils ne pouvaient qu'aller en avant, et que le moindre mouvement de calté ou en arrière leur était très-difficile, ouvrit ses rangs pour les recevoir, et les ayant ensuite enveloppés, il les fit assaillir par des soldats armés de massues, qui, frappant à grands coups hommes et chevaux, les assommèrent comme un troupeau de bêtes, et les tuèrent tous, sans perdre de leur côté un seul homme. Après la destruction de ce corps, en qui l'armée de Maxence mettait surtout son espérance, le reste ne tint pas. Tous prirent la fuite vers Turin ; mais cette ville leur ferma ses portes ; et c'est ce qui occasionna le plus grand carnage des fuyards. Turin reçut avec joie le vainqueur, et donna le signal à toute la Gaule Transpadane de se rallier au parti de Constantin. Ce prince entra peu après dans Milan au milieu des acclamations et des cris de triomphe ; et tout le pays à la gauche du Pô, depuis Turin jusqu'à Bresse, reconnut ses lois. Sa clémence lui facilitait infiniment ses conquêtes. Ce n'était point un ennemi victorieux qui portât partout la terreur et les ravages. Les villes qui se soumettaient avaient lieu de bénir leur sort, n'éprouvant de sa part que des traitements de bonté.

A Bresse un grand corps de cavalerie vint à sa rencontre, et bientôt mis en fuite, il se retira à Vérone, où se rassemblait une nouvelle armée par les ordres de Maxence. Ruricius Pompeianus, chef accrédité, la commandait, et il se disposait à arrêter Constantin devant cette place, et à en faire une barrière qui fixât les progrès de ce rapide vainqueur. Il se repaissait de vaines espérances, et il débuta même par une faute qui prouve en lui peu de capacité. Il devait garder soigneusement les bords de l'Adige, que l'ennemi était obligé de passer pour arriver à Vérone. Il manqua à une précaution si indispensable, et il n'en coûta à Constantin pour cette opération décisive, que d'envoyer un détachement vers la partie supérieure du fleuve, qui moins large, plus faible et nullement défendue, lui livra le trajet souhaité. Dès qu'il eut passé l'Adige, il vint mettre le siège devant Vérone.

Ruricius tenta plusieurs sorties, qui toutes lui réussirent mal, en sorte que craignant d'être forcé, il se déroba furtivement de la place pour aller chercher et ramasser d'autres troupes avec lesquelles il revint, résolu de livrer bataille à Constantin, et de lui faire lever le siège. L'empereur se trouva donc entre la ville qu'il assiégeait, et une armée ennemie dont les forces étaient considérables. Il forma son plan en brave et habile guerrier, et laissant dans son camp une partie de ses troupes pour continuer le siège, il alla avec l'autre au-devant de Ruricius. Il avait moins de monde que son adversaire, et il fut contraint de ranger toute son armée sur une seule ligne pour faire un front égal à celui des ennemis. Mais sa bonne conduite et sa valeur suppléèrent à ce qui lui manquait du côté du nombre. Lorsqu'il eut donné ses ordres, il se jeta lui-même au plus fort de la mêlée, il se risqua aux endroits les plus dangereux : en un mot, il se ménagea si peu, qu'après la victoire ses principaux officiers crurent devoir lui en faire des plaintes. A quoi pensez-vous, seigneur, lui disaient-ils, de nous exposer tous en votre personne ; et de quoi vous servent nos bras, si c'est vous au contraire qui combattez pour nous ? La bataille avait commencé sur le soir, et elle dura bien avant dans la nuit. Ruricius fut tué sur la place, son armée détruite ou dissipée ; et Vérone, n'ayant plus d'espérance ni de ressource, se rendit à la discrétion du vainqueur. Constantin usa modérément de ses avantages. Il n'ôta la vie à aucun de ceux qui s'étaient soumis ; mais il retint les soldats prisonniers de guerre, et comme le nombre en était trop grand pour être aisément gardé, il leur fit des chaînes de leurs propres épées battues et reforgées ; en sorte quel, comme le remarque le panégyriste, leurs armes, qui n'avaient pu servir à leur défense, servirent à assurer leur captivité.

Aquilée d'une part, Modène de l'autre, suivirent l'exemple de Vérone ; et tout le pays jusqu'à Rome fut ouvert à Constantin. Mais Rome n'était pas une facile conquête, si Maxence se fût obstiné à s'y tenir enfermé. Nul événement n'avait pu encore le déterminer à en sortir, et sa ressource contre tant de disgrâces accumulées coup sur coup avait été d'en supprimer autant qu'il avait pu les nouvelles. Aux approches de l'ennemi, il changea de résolution, moins par raison que par un aveuglement où les païens mêmes ont reconnu le doigt de Dieu. Il se flattait de débaucher l'armée de Constantin, par les mêmes artifices qui lui avaient réussi pleinement contre Sévère, et en partie contre Galérius. D'ailleurs les aruspices et les livres sibyllins, qu'il avait consultés, s'étaient accordés à lui prédire que dans le combat qui allait se donner, l'ennemi de Rome périrait. Réponse équivoque, mais qu'il interprétait en sa faveur, ne doutant point que celui qui venait attaquer Rome avec une armée ne dût en être regardé comme l'ennemi. Enfin son courage pouvait être rehaussé par un petit désavantage que Constantin avait récemment souffert dans une rencontre de peu d'importance. Par ces différents motifs, et encore piqué des cris du peuple qui dans les jeux du cirque lui avait reproché sa lâcheté, il sortit de la ville à la tête de son armée, et vint se camper le long du Tibre entre le pont Mulvius et un lieu nommé les Roches rouges. Là il prépara lui-même l'instrument et la cause de sa perte. Il dressa sur le fleuve un pont composé de deux parties qui n'étaient liées ensemble que par des boulons de fers qu'il était aisé de tirer ; moyennant quoi le pont se séparait, et laissait vide le milieu du courant. Son plan était d'attirer Constantin sur ce pont ; d'en ôter alors les liens, et de noyer ainsi son ennemi. Mais sa ruse tourna coutre lui-même.

Constantin, soutenu de plus justes espérances, animé par les succès précédents, et encore plus par la confiance au Dieu qu'il adorait, reçut encore une nouvelle preuve de la protection du ciel peu avant le combat. Il fut averti en songe de munir les armes de ses soldats du signe de la croix ou du monogramme de Christ, qui jusque là paraissait seulement sur le Labarum ; et ce fut alors qu'il établit cette sainte pratique, que j'ai rapportée par anticipation.

Il se félicitait beaucoup de voir Maxence sorti au-devant de lui, et disposé à confier sa fortune à la décision d'une bataille. C'était pour lui avoir vaincu que de pouvoir combattre. Ainsi, dès qu'il fut arrivé près de l'ennemi, il s'arrangea peur en venir aux mains. Maxence s'y était préparé ; mais il avait mal pris ses mesures. Il s'était réservé si peu de terrain, que ses derniers rangs bordaient le Tibre : en sorte que pour peu qu'ils fussent 'forcés de reculer, ils périssaient infailliblement, poussés et précipités dans la rivière.

Constantin fit à son ordinaire le devoir de soldat et de capitaine. Il disposa avantageusement son' armée, il donna de bons ordres, il combattit vaillamment de sa personne, et il fut parfaitement secondé par des troupes toujours victorieuses sous. sa conduite. Celles de Maxence étaient nombreuses, elles avaient de la bravoure ; mais il leur manquait un chef. Elles ne trouvaient dans celui qui les commandait ni habileté, ni courage, ni présence d'esprit, ni ressource. Elles ne purent donc pas disputer longtemps la victoire. Au premier choc elles furent rompues, Les plus vaillants se firent tuer dans le poste qu'ils occupaient : les autres éperdus et aveuglés se jetèrent dans le Tibre, et y furent la plupart engloutis. Maxence lui-même gagna son pont. Mais soit par la multitude de ceux qui le passaient avec lui, soit par quelque autre accident, le pont, qui était peu solide, se rompit : tous ceux qui étaient dessus tombèrent dans le fleuve ; peu échappèrent à la nage, Maxence fut noyé.

C'était le 28 octobre, jour auquel six ans auparavant il s'était emparé de Rome et, de la pourpre impériale. Son malheureux sort, dont il était bien digne, entraîna l'extinction, ou du moins l'obscurcissement total de tout ce qui lui appartenait. Sa femme, soit que ce fût la fille de Galérius, soit une autre, vivait encore lorsqu'il périt. Il avait aussi un fils vivant. Depuis sa mort il n'est plus parlé ni de l'un ni de l'autre dans l'histoire. Un fils aine nommé Romulus, qu'il avait fait César et deux fois consul, était mort avant lui, et nous avons des médailles de ce jeune prince qui nous apprennent son apothéose. C'est tout ce que nous en savons.

Le lendemain de sa victoire Constantin fit son entrée triomphante dans Rome, où la joie de tous les ordres égalait la sienne. La terreur du nom de Maxence était si grande, que d'abord on n'avait pas voulu ajouter foi à la nouvelle de sa mort, dans la crainte d'une redoutable vengeance, si le bruit était faux et venait à se démentir. Mais le corps du tyran, qui était resté enfoncé dans la vase, ayant été trouvé et reconnu, on lui coupa la tête, et Constantin dans son triomphe la fit porter au bout d'une pique devant lui, comme la preuve et le gage de la délivrance des Romains. Cet objet, affreux en lui-même, fut pour le peuple un objet de félicitation et de transport d'allégresse ; et l'on ne contemplait pas avec moins d'empressement cette tête pâle et sanglante, que le visage du vainqueur tout rayonnant de gloire.

L'orateur Nazaire célèbre la pompe de ce beau jour avec une éloquence qui en relève la splendeur, et qui met en évidence les motifs solides de la joie publique. Jamais, dit-il[10], aucun jour depuis la fondation de la ville ne lui a été plus heureux que celui-ci : aucun des triomphes que l'antiquité nous vante ne peut entrer en comparaison avec le triomphe de Constantin. On n'a point vu marcher devant le char du vainqueur des généraux ennemis chargés de chaînes, mais toute la noblesse romaine délivrée de celles qu'elle avait portées. On n'a point jeté des Barbares en prison, mais on en a tiré les consulaires. Ce ne sont point des captifs étrangers qui ont fait la décoration de cette fête, mais Rome remise en liberté. Elle n'a rien acquis sur l'ennemi, mais elle s'est recouvrée elle-même : elle ne s'est point enrichie d'un butin nouveau, mais elle a cessé d'être elle-même la proie d'un tyran ; et, ce qui est le comble de la gloire, en échange de la servitude qu'elle souffrait elle a repris les droits de l'empire. Au lieu de prisonniers de guerre, chacun substituait dans son esprit une autre sorte de captifs : on croyait voir enchaînés les monstres les plus terribles au genre humain, l'impiété domptée, la perfidie vaincue, l'audace réduite au désespoir, la tyrannie, la fureur, la cruauté, l'orgueil et l'arrogance, la licence et la débauche, ennemis furieux, dont nous avions ressenti les excès, et qui frémissaient de rage de se voir dans l'impuissance de nous nuire.

Constantin mit le comble à sa gloire par le noble usage qu'il fit de la victoire. Zosime écrit qu'il ne punit de mort que les principaux partisans du tyran. Quelques modernes ont pensé que le fils de Maxence fut de ce nombre. Mais le silence de l'histoire sur ce prince enfant n'est point une preuve que Constantin lui ait Sté la vie ; et j'aime mieux m'en rapporter au témoignage d'un orateur contemporain, qui assure en termes exprès que l'épée du vainqueur ne sortit point du fourreau après le combat fini, et qu'il épargna les têtes de ceux mêmes dont les cris du peuple romain lui demandaient la mort.

Je ne trouve bien attesté qu'un seul acte de sévérité de la part de Constantin après sa victoire sur Maxence, mais sans effusion de sang, et pour cause très-légitime. Les prétoriens, cette milice corrompue et énervée par les délices de la ville, séditieuse à l'excès, tant de fois souillée du sang de ses empereurs, qui presque jamais n'avait pu souffrir aucun bon prince, et qui en avait mis en place un si grand nombre de mauvais, s'étaient en dernier lieu attachés et dévoués au service de Maxence. Constantin les cassa, et détruisit leur camp, bâti autrefois, comme nous l'avons vu, par Séjan sous Tibère. En faisant justice des prétoriens, il travaillait pour le bien de Rome et de l'empire, et il ne se privait pas lui-même des gardes nécessaires autour de sa personne. Car il y en avait déjà d'autres corps, ainsi que nous l'avons dit, institués par les précédents empereurs sous les noms de protectores et de domestici. Il est à croire que les cohortes de la ville et celles du guet furent conservées pour veiller à la sûreté publique.

Les autres troupes qui étaient restées de l'armée du tyran devaient être suspectes à Constantin. Il ne jugea pas à propos de les tenir près de lui, et il les envoya sur le Rhin et sur le Danube oublier les plaisirs de l'Italie, et combattre contre les Barbares. Peut-être y incorpora-t-il les prétoriens qu'il venait de casser, les réduisant ainsi sur le pied de soldats légionnaires.

Le sénat, qui avait été cruellement maltraité et opprimé par Maxence, trouva en Constantin un libérateur. Nous avons vu l'orateur Nazaire compter pour le plus bel ornement du triomphe de œ généreux vainqueur fait datte les chefs de la noblesse, et les consulaires tirés des prisons où les avait jetés le tyran. Constantin rappela pareillement les bannis ; il rétablit en la possession de leurs biens ceux qui en avaient été injustement dépouillés. Outre ces bienfaits envers un grand nombre de particuliers, il témoigna et par ses discours et par ses actions un zèle vif pour l'honneur du sénat en général, auquel il rendit ses anciens droits, et dont il augmente la splendeur en y faisant entrer les plus illustres personnages des différentes, provinces, afin que cette auguste compagnie renfermât l'élite et la fleur de tout

Il sut se rendre aimable au peuple sans le flatter ni le corrompre. Il fit des libéralités de toute espèce aux indigents. Doux, accessible, affable, il montrait sur son visage la sérénité réunie avec la majesté. Sachant combien Rome était avide de spectacles, il donna des j eux, il y assista, poussant la complaisance au-delà des bornes prescrites par le christianisme, dont peut-être il ne connaissait pas encore toute la sévérité. Mais d'un autre côté il tint la main à réprimer toute licence qui aurait pu troubler la tranquillité de la ville. Il contint le peuple dans le devoir par une fermeté sage, et autant par l'affection et le respect qu'il inspirait pour lut, que par la crainte des châtiments.

Il donna aussi ses soins à l'embellissement de la ville. Il construisit des bains : il décora de nouveaux et magnifiques ornements le grand cirque et plusieurs portiques : dépense modeste, qui se rapportait à des monuments où il ne pouvait paraître qu'en second.

Un des traits les plus détestés de la tyrannie de Maxence avait été une débauche effrénée qui ne respectait aucune loi, et qui ne faisait point scrupule d'employer la violence lorsque la séduction ne suffisait pas. Constantin toujours sage, toujours chaste, ne connaissait que les plaisirs permis. Sous son empire, aucune femme qui eût des grâces dans sa personne n'eut à se repentir du présent que lui avait fait là nature. La beauté n'était point pour lui un attrait de licence, mais l'ornement de la pudeur.

J'ai dit que Constantin avait déjà donné une loi contre les délateurs. C'était une belle occasion pour cette race d'hommes malfaisants qu'une révolution opérée par une guerre civile. Combien de recherche, combien d'accusations, si le vainqueur eût été disposé à y prêter l'oreille ? Constantin alla au-devant du mal qui ne demandait qu'à renaître par des lois plus sévères que les précédentes, et qui condamnaient les délateurs à mort s'ils ne prouvaient juridiquement ce qu'ils auraient avancé.

Une autre loi, bien digne de la justice et de l'humanité d'un grand et bon prince, pourvoyait au soulagement des pauvres, que les préposés à la levée des deniers publics chargeaient souvent outre mesure à la taille pour favoriser les riches. Constantin fit un règlement pour prévenir cette odieuse et tyrannique inégalité.

Par une conduite si sage dans toutes ses parties il répara, si nous en croyons un panégyriste, dans un séjour de deux mois les maux d'une tyrannie de six ans ; ou, s'il y a de l'exagération dans cette expression, au moins ne peut-on lui refuser la louange d'avoir remis Rome sur les voies de reprendre l'état florissant qui convenait à la capitale du monde.

Tant de vertus remplaçant l'assemblage de tous les vices ne pouvaient manquer d'attirer à Constantin l'admiration, le respect, l'amour des peuples. Aussi accourait-on  de toutes les parties de l'Italie pour voir de ses yeux le bienfaiteur et le libérateur de l'empire, en qui les qualités estimables de l'esprit et du cœur étaient accompagnées des avantages du corps : une taille héroïque, un visage gracieux, des manières populaires avec dignité, une vigueur mâle sans dureté, et conservant encore l'éclat de la jeunesse.

L'Afrique, que Maxence, comme je l'ai rapporté, avait reconquise et réunie à son domaine l'année qui précéda sa chute, passa avec joie sous les lois de Constantin. On y envoya la tête du tyran qui l'avait dévastée par ses vexations et ses cruautés. Ce fut pour cette malheureuse province un doux spectacle, et une invitation à se ranger volontiers sous l'obéissance du prince qui l'avait vengée.

Le sénat témoigna sa reconnaissance envers Constantin en lui assignant le premier rang entre les Augustes. Maximin pouvait y prétendre, comme plus anciennement associé aux honneurs de la dignité impériale. Mais les vertus de Constantin parurent au sénat avec raison décider la question en sa faveur.

Ce ne fut pas là le seul gage de l'affection publique envers ce prince. Tout fut prodigué pour en éterniser la mémoire : statues, boucliers et couronnes d'or et d'argent ; édifices consacrés à son nom et à sa gloire, quoique bâtis par Maxence. J'ai déjà dit que la ville de Cirte en Afrique, qu'il aidait à se relever des maux qu'elle avait soufferts de la part de ce même tyran dans la guerre d'Alexandre, prit le nom de Constantine. Mais le monument le plus beau et le plus durable de la victoire remportée sur Maxence, est l'arc de triomphe que le sénat et le peuple romain dressèrent à Constantin, et qui subsiste encore aujourd'hui. L'inscription mérite d'être rapportée.

IMP. CÆS. FL. CONSTANTINO MAXIMO

P. F. AUGUSTO S. P. Q. R.

QUOD INSTINCTU DIVINITATIS MENTIS,

MAGNITUDINE CUM EXERCITU SUO

TAM DE TYRANNO QUAM DE OMNI EJUS

FACTIONE UNO TEMPORE JUSTIS

REMPUBLICAM ULTUS EST ARMIS

ARCUM TRIUMPHIS INSIGNEM DICAVIT.

C'est-à-dire : A la gloire de l'empereur César Flavius Constantin Auguste, le très-grand, le pieux, l'heureux, qui par l'inspiration de la divinité et par la grandeur de son courage, aidé de la vigueur de son armée, a vengé la république, et faisant triompher ses armes aussi justes que puissantes, l'a délivrée en même temps du tyran et de toute la faction qui le soutenait. En reconnaissance de ce bienfait le sénat et le peuple romain lui ont dédié cet arc triomphal.

Sur l'un des côtés de la grande arcade sont écrits ces mots LIBERATORI URBIS, au libérateur de la ville ; sur l'autre : FUNDATORI QUIETIS, à l'auteur de la tranquillité publique.

Il est à remarquer que l'on ne voit point paraître dans l'inscription les anciens titres que prenaient les empereurs. Il n'y est fait mention ni de puissance tribunitienne, ni de puissance proconsulaire, ni même des consulats de Constantin : c'est ce qui rend moins considérable l'omission de la qualité de grand pontife, qui sans cela mériterait attention.

Le soin de nommer l'armée ; et de la faire entrer en part de la gloire de l'exploit et du monument, est la suite et l'effet du pouvoir énorme que les gens de guerre avaient pris dans l'empire.

Les antiquaires et les curieux observent que cet arc porte dei bas-reliefs et des ouvrages de sculpture de deux goûts très-différents. Ceux d'en haut sont bons, et leur semblent avoir été empruntés et transportés de la place de Trajan : ils prétendent y reconnaître cet empereur et quelques-uns de ses exploits. Les autres sont du temps même où l'arc a été consacré à Constantin, et ils prouvent par leur grossièreté qu'alors les arts étaient beaucoup déchus.

Le décret pour ériger l'arc a été sans doute rendu aussitôt après la défaite de Maxence ; mais il paraît par le monument même qu'il n'a été achevé et dédié que dans la dixième année du règne de Constantin, c'est-à-dire en 315 ou 316.

Il manquerait l'essentiel à la gloire d'un prince chrétien, s'il n'eût pas rapporté à Jésus-Christ une victoire dont il était redevable à sa protection divine. Constantin s'acquitta fidèlement de cette obligation. Il ne fut point enflé ni des éloges infinis qu'il recevait, ni des honneurs dont on s'efforçait de le combler : et pour les faire remonter à leur source, il voulut qu'une statue, qu'on lui érigeait dans le lieu le plus fréquenté de la ville, tînt en sa main droite une croix avec cette inscription dans laquelle il adressait lui-même la parole aux Romains : PAR CE SIGNE SALUTAIRE, TROPHÉE DE LA VRAIE VAILLANCE, J'AI DÉLIVRÉ VOTRE VILLE DU JOUG DU TYRAN, ET J'AI RÉTABLI LE SÉNAT ET LE PEUPLE ROMAIN DANS LEUR ANCIENNE SPLENDEUR.

Nous rapporterions volontiers cette inscription dans sa langue originale : mais nous n'en avons que la traduction en grec qu'Eusèbe en a faite.

C'était aussi un devoir de religion pour Constantin, que de tirer les chrétiens ses frères de l'oppression sous laquelle ils gémissaient depuis dix ans. Il leur avait dès le commencement de son règne accordé la liberté de conscience dans ses états. Il les trouva en possession du même droit dans ceux qu'il conquit sur Maxence : et Licinius, actuellement son allié et son ami, ne pouvait manquer de les protéger sur sa, recommandation. Restait Maximin, qui, ayant interrompu la persécution contre eux en conséquence de l'édit de Galérius, l'avait bientôt après renouvelée avec fureur, ainsi que je le raconterai dans la suite plus amplement. D'ailleurs Constantin le regardait comme son ennemi caché, et les papiers de Maxence lui avaient découvert le secret de leur intelligence mutuelle. Cependant on dissimulait de part et d'antre, et les dehors de l'amitié subsistaient toujours. Ainsi Constantin ne douta point que la bienséance et la crainte n'obligeassent Maximin à se conformer au vœu de ses collègues. Dans cette pensée, étant encore à Rome, il donna en son nom et en celui de Licinius un édit par lequel, amplifiant les faveurs précédemment départies aux chrétiens, il leur permettait de tenir publiquement leurs assemblées et de bâtir des églises.

Il envoya son édit à Maximin, qui en fut très-mortifié. Ce prince haïssait les chrétiens et il n'aimait pas à se voir forcé par des collègues, qui lui semblaient plutôt des rivaux, d'agir dans ses états d'une façon contraire à son inclination. D'un autre côté, ne leur rien accorder c'était leur déclarer la guerre. Il prit un parti mitoyen, et dans un rescrit adressé à Sabinus, son préfet du prétoire, après avoir rappelé le souvenir de Dioclétien et de Galérius[11], qu'il qualifie ses seigneurs et pères, il témoigne d'abord vouloir à leur exemple maintenir le culte des dieux de l'empire. Mais comme les chrétiens sont en trop grand nombre, et qu'en les proscrivant et les exilant on prive l'état de sujets utiles, il défend qu'on leur fasse souffrir aucun mauvais traitement, et il déclare que son intention est qu'on les ramène par les caresses et par la douceur à ce qu'il appelle la bonne vole. Tel fut l'adoucissement que la piété de Constantin procura aux chrétiens d'Asie et d'Orient. On cessa de leur faire la guerre, mais ils né jouissaient point de la liberté d'exercer leur culte religieux ; et même ils ne furent pas totalement exempts du danger d'une mort violente. Si Maximin trouvait l'occasion de faire jeter secrètement quelque chrétien dans la mer, il ne la manquait pas. Cependant comme les exécutions publiques cessèrent, et que les lois étaient formelles pour interdire au moins toute violence contre les chrétiens, Eusèbe[12] compte cette année (312 de J.-C.), qui est la dixième de la persécution ordonnée par Dioclétien, pour la dernière et pour l'époque de la paix rendue à l'Église. Lactance en reculé le terme jusqu'au temps de la ruine de Maximin.

Cette même année (312) est celle où commence, selon plusieurs savants, l'indiction romaine, dont nous laissons l'origine et l'usage à examiner à ceux qui traitent de la chronologie.

Constantin, après un séjour d'un peu plus de deux mois dans Rome, où il est vraisemblable qu'il prit possession de son troisième consulat le 1er janvier 313, se transporta à Milan pour la célébration du mariage de sa sœur avec Licinius. Ces deux empereurs avaient jusque là toujours vécu en bonne intelligence, et ils furent bien aises de serrer encore plus étroitement le nœud de leur union par une alliance domestique et personnelle.

Pendant qu'ils étaient ensemble à Milan ils donnèrent un nouvel édit en faveur des chrétiens, pour expliquer et étendre celui qui était daté de Rome. Ils y ajoutèrent un important article, leur permettant de rentrer de plein droit, et sans rien payer, en possession de leurs églises et de leurs cimetières, dont on les avait dépouillés : et comme ces lieux avaient passé par vente, ou par donation des empereurs, entre les mains de divers particuliers, l'édit charge le fisc d'indemniser les propriétaires qui se trouveront dépossédés.

Au reste, cet édit ne fait pas mention des seuls chrétiens : il accorde liberté de conscience à tous ceux qui font profession de quelque religion que ce puisse être. On y trouve même des expressions assez pela orthodoxes, et plus conformes aux incertitudes des païens sur la nature divine, qu'au système décidé du christianisme. Il résulte de là que Constantin était encore peu instruit, et qu'il croyait pouvoir pousser bien loin la complaisance pour un collègue, qui ne fut jamais chrétien, et pour des sujets, dont le plus grand nombre tenait fortement aux anciennes erreurs.

Constantin ne s'arrêta pas longtemps à Milan. Dès le commencement du printemps, il était sur les bords du Bas-Rhin, où l'appela un nouveau danger de la Gaule ; et son arrivée empêcha les Francs de passer le fleuve. Mais son plan n'était pas de rester vis-à-vis d'eux pour le garder. Il voulait leur donner une forte leçon, qui leur ôtât, au moins pour un temps, l'envie de faire des courses sur les terres de l'empire. Dans cette vue il leur tendit un piège : il répandit le bruit qu'un mouvement subit sur le Haut-Rhin l'obligeait d'aller y porter remède ; et en effet il s'éloigna à quelque distance, laissant sur les lieux des troupes qui avaient ordre de se tenir à l'écart et cachées autant qu'il serait possible. Les Francs trompés par les apparences, et croyant avoir le champ libre, passent le fleuve et commencent leurs ravages dans le plat pays. Aussitôt Constantin, qui avait une flotte toute prête, descend à eux par le Rhin : les troupes embusquées leur firent un rude combat ; et les pillards enveloppés, n'ayant de ressources ni sur terre ni sur eau, sont taillés en pièces. Outre un grand nombre de morts qu'ils laissèrent sur la place, les Romains firent beaucoup de prisonniers, envers lesquels Constantin renouvela la peine rigueur dont il avait dépit usé en' pareille occasion : il les exposa aux bêtes ; traitement cruel, s'il n'était pas absolument indispensable.

Pendant que Constantin triomphait et des tyrans et des Barbares, Dioclétien subit enfin la punition de sa haine contre le christianisme, et il finit par une mort douloureuse, une vie toujours remplie de chagrins, depuis l'édit fatal par lequel il avait allumé là persécution contre les adorateurs du vrai Dieu. C'est depuis cette époque qu'il éprouva une longue et triste maladie, dont il ne revint jamais entièrement. Obligé ensuite de se dépouiller malgré lui de l'empire, sa retraite semblait au Moins lui promettre de la tranquillité : il n'y éprouva qu'amertumes. Ses statues renversées avec celles de Maximien Hercule, auxquelles elles étaient jointes, furent pour lui un premier sujet d'affliction ; mais le malheureux sort de sa femme Prima et de sa fille Valérie l'accabla de la plus vive douleur.

Elles avaient joui des honneurs dus à leur rang pendant la vie de Galérius, dont Valérie était l'épouse, et à la cour duquel il parait que Prisca était demeurée avec sa fille. Galérius en mourant recommanda sa femme à Licinius, en qui il avait une grande confiance sur la foi de ses bienfaits. Mais Licinius était un mauvais cœur, qui au lien de respecter la veuve de celui à qui il devait tout, eut avec elle des discussions sur ses reprises, et voulut même, autant qu'on petit le conjecturer par la suite et la liaison des faits, la forcer de l'épouser. Valérie crut trouver plus de sûreté auprès de Maximin, qui était marié ; et elle se sauva dans les états de ce prince avec sa mère, avec Candidien, fils naturel de son mari, qu'elle avait adopté, et avec Sévérien, fils de Sévère. Elle se trompait beaucoup dans ses espérances : Maximin, dont les passions ne connaissaient point de frein, et qui d'ailleurs se proposait peut-être de faire valoir les droits que la fille de Dioclétien pouvait prétendre sur tout l'empire, ne la vit pas plus tôt arrivée à sa cour qu'il la sollicita de s'allier avec lui par le mariage, offrant à cet effet de répudier sa femme. Valérie, princesse vertueuse, et qui de son ancien attachement au christianisme avait du moins conservé la sévérité des mœurs, sentit toute l'indécence de la demande de Maximin. Elle répondit avec fermeté, qu'une proposition de mariage était bien peu convenable dans le temps qu'elle portait encore le deuil de son époux, père adoptif de celui qui prétendait le remplacer ; que l'offre de répudier sa femme marquait dans Maximin une dureté de sentiment, qui lui annonçait à elle-même une pareille disgrâce si elle se mettait dans le cas de l'éprouver ; en un mot, qu'une princesse de son rang ne passait point à de secondes noces. Maximin fut outré du refus de Valérie, et il s'en vengea en tyran. Il la dépouilla de ses biens ; il lui ôta les dames qui l'accompagnaient, et il fit même condamner au dernier supplice, sur une fausse accusation d'adultère, celles pour qui elle avait le plus d'affection et de confiance ; il livra aux plus cruels tourments les eunuques qui la servaient : enfin il la relégua elle-même avec sa mère, changeant perpétuellement le lieu de leur exil. Valérie du fond des déserts de Syrie instruisit son père de ce qu'elle souffrait. Dioclétien y fut très-sensible. Il demanda, et par lettres et par députés, qu'on lui renvoyât sa fille, et il ne put rien obtenir. Il eut la douleur de se voir dans l'impuissance de tirer de la misère et de la captivité ce qu'il avait de plus cher au monde.

A ce chagrin, qui ne pouvait manquer d'être violent, s'en joignit un nouveau qui acheva de l'abattre. Constantin et Licinius l'ayant invité à venir à Milan pour la cérémonie du mariage de Constancie, il s'en excusa sur sa vieillesse et ses infirmités. Ses excuses furent mal reçues. Les deux princes lui écrivirent des lettres menaçantes, où ils l'accusaient d'avoir favorisé Maxence et d'être actuellement lié d'intérêts avec Maximin. Ces reproches n'ont aucune couleur de vraisemblance, et je souhaite qu'il soit possible d'en faire tomber l'injustice plutôt sur Licinius que sur Constantin. Dioclétien en fut alarmé : il craignit pour sa vie. Sa tête affaiblie par l'âge et par la maladie ne put supporter ce rude coup. Il tomba dans une agitation horrible, qui de l'esprit se communiquait au corps ; il ne prenait de repos ni jour ni nuit ; il se roulait tantôt dans son lit, tantôt par terre ; il passait tout le temps à soupirer, à gémir, à verser des larmes. Une situation si cruelle pouvait bien mener au tombeau un faible vieillard. Selon plusieurs auteurs, il n'en attendit pas l'effet, et il se fit mourir soit de faim, ou par le poison. Exemple mémorable, qui aurait dû guérir à jamais les souverains de la pensée d'abdiquer leur puissance. Au jugement des hommes, il peut sembler que l'on doive plaindre le sort de Dioclétien. Aux yeux de Dieu, ce prince était digne d'une profonde humiliation par son orgueil, et d'une mort funeste par ses cruautés exercées contre les saints.

Il mourut dans sa retraite de Salone, la neuvième année depuis son abdication, âgé de soixante-huit ans, l'an de J.-C. 313. On rendit de grands honneurs à sa mémoire : on lui dressa un tombeau magnifique, qui était encore couvert de pourpre au temps de Constance, fils de Constantin. Il fut même mis au rang des dieux : prérogative unique, dit Eutrope, par rapport à un homme mort dans la condition privée. Cette apothéose, aussi déplacée qu'irréligieuse, ne peut point être mise sur le compte de Constantin', qui faisait alors profession du christianisme : elle doit être attribuée à Licinius et à Maximin, qui avaient offensé Dioclétien vivant, mais à qui il ne coûtait rien de l'honorer après sa mort.

C'est peut-être la dernière démarche que ces deux princes aient faite de concert. Bientôt la guerre éclata entre eux, et apporta un nouveau changement dans l'empire dont il est à propos dé se rappeler ici l'état actuel.

Par la défaite et la mort de Maxence, l'empire romain se trouva partagé en trois maîtres : Constantin, défaite et la qui possédait tout l'Occident à la réserve de l'Illyrie ; Licinius, qui régnait dans l'Illyrie, sous laquelle la Thrace, la Macédoine et la Grèce étaient comprises ; Maximin, qui tenait sous sa puissance l'Asie mineure, la Syrie et l'Égypte. Constantin et Licinius étaient alliés. Maximin feignait de vouloir entretenir la bonne intelligence avec ses collègues ; mais au fond il les baissait et leur était suspect. Outre ses liaisons avec Maxence, d'autres causes d'inimitié opéraient entre eux une division subsistante, malgré les dehors de bienveillance que la, politique les engageait à garder réciproquement. On se souvient que Maximin avait été fait César au préjudice de Constantin, et que Constantin à son tour venait d'être déclaré par le sénat premier Auguste au préjudice de Maximin. La succession de Galérius avait presque allumé la guerre entre Maximin et Licinius, et le traité de partage conclu entre eux par nécessité, et par l'effet d'une crainte mutuelle, n'avait éteint ni leurs prétentions ni leurs animosités. Le christianisme même était pour les trois princes une occasion, et une semence de haine. Constantin le professait, Licinius le protégeait, et Maximin s'en montra l'implacable ennemi. Ce dernier article demande ici de moi quelque détail et quelque éclaircissement.

Maximin, neveu et créature de Galérius, ne pouvait manquer d'épouser les sentiments de son oncle et bienfaiteur. Par lui-même il était porté à la superstition jusqu'à créer de nouveaux prêtres et de nouveaux pontifes dans toutes les villes et bourgades de ses états, jusqu'à donner sa confiance avec une aveugle crédulité aux devins et aux astrologues dont il remplit sa cour. En voilà sans doute plus qu'il n'en fallait pour faire un ardent persécuteur des chrétiens, dont la vertu d'ailleurs lui était nécessairement odieuse, parce qu'il réunissait en lui-même tous les vices, l'avidité dans les exactions qui ruinaient les provinces ; les excès du vin qui lui troublaient la raison et l'amenaient souvent à donner des ordres dont il se repentait le lendemain ; une débauche effrénée et tyrannique qui le portait à des excès qu'une plume chaste n'ose rapporter. Couronnant donc dignement tant de mauvaises qualités par un attachement insensé au culte idolâtrique, il versa d'abord à flots le sang des justes et des saints. Ensuite voyant que les supplices et les genres de mort les plus cruels multipliaient le christianisme, au lieu de le détruire, il prit un parti dont il vantait la douceur et l'indulgence, et qui consistait à crever l'œil droit aux chrétiens détenus dans les prisons, à leur couper ou brûler le nerf du jarret gauche, et à las envoyer en cet état travailler aux mines, où on les matait par les plus rudes traitements. L'édit donné par Galérius aux approches de la mort pour faire cesser la persécution contraignit Maximin d'accorder aux chrétiens quelque relâche : mais ce ne fut pas pour longtemps. Rétabli par la mort de cet empereur en liberté de suivre son penchant, il renouvela contre eux ses fureurs observant néanmoins, pour ne pas se contredire lui-même, de se ménager des prétextes et de couvrir la violence par l'artifice.

Pour diffamer le christianisme dans son auteur, il publia avec affectation de faux actes de la mort de Jésus-Christ, qui venaient d'être récemment fabriqués avec tant d'audace et d'ignorance, que la mort du Sauveur ordonnée par Pilate y était datée du quatrième consulat de Tibère, c'est-à-dire d'une année qui précède de cinq ans entiers l'entrée de Pilate dans la Judée. Cependant comme ces actes étaient remplis d'injures et de blasphèmes contre Jésus-Christ, ils devinrent précieux à Maximin. Il commanda qu'on les affichât dans tous les lieux publics à la ville et dans les campagnes, et que les maîtres de grammaire les fissent apprendre par cœur à leurs jeunes disciples.

Dans le même temps, un duc ou général des troupes romaines en Syrie ayant enlevé de la place publique de Damas deux femmes de mauvaise renommée, les força par la crainte des tourments de déposer qu'elles avaient été chrétiennes, et en cette qualité témoins des abominations que les chrétiens commettaient dans leurs assemblées. Il dressa procès-verbal de cette déclaration, et l'envoya à l'empereur, qui en triompha et voulut qu'elle fût publiée dans toute l'étendue de son empire.

Des hommes ainsi décriés pouvaient paraître de dignes objets de la vindicte publique. Cependant Maximin, continuant à jouer le rôle d'une feinte douceur, ne voulut pas agir contre eux de son propre mouvement ; mais il suscita les villes pour demander l'expulsion des chrétiens dont le commerce les souillait. Celle d'Antioche donna l'exemple, qui fut bientôt suivi de toutes les autres : c'était la voie de plaire au souverain. Maximin répondit favorablement à ces requêtes dont il était l'auteur secret, et il rendit en conformité une ordonnance, qui gravée en bronze, afin d'éterniser l'opprobre de ceux qu'il haïssait, fut affichée par toutes les villes.

Dans cette ordonnance qu'Eusèbe nous a conservée, le prince vantait le bonheur de son règne, qu'il regardait comme la récompense de son zèle pour le culte des dieux. Il s'applaudissait de la fidélité des terres à rendre avec usure les semences qui leur avaient été confiées ; de l'ordre constant des saisons qui ne souffraient aucun dérangement nuisible à la santé des corps ; de la paix profonde dont jouissaient ses états : et la divine Providence se plut à démentir et à confondre ce langage superbe et impie, en envoyant la stérilité et la famine qui désolèrent le pays ; une maladie contagieuse qui en acheva le dépeuplement, et qui attaquait particulièrement les yeux, pour venger d'une manière caractérisée tant de chrétiens privés de l'œil droit par le tyran ; enfin une guerre malheureuse à laquelle la témérité de Maximin donna elle-même naissance, et dont le mauvais succès n'était que le commencement de ses malheurs.

Cette guerre a un caractère singulier : elle est la première qui ait été entreprise pour cause de religion : plût à Dieu qu'elle eût été la dernière ! Maximin, par une bizarrerie extravagante, non content de persécuter les chrétiens de son obéissance, étendit son zèle furieux jusque sur un peuple, qui n'était pas sujet de l'empire. Le christianisme florissait chez les Arméniens, sans que nous puissions dire au juste quand ni comment il s'y était introduit. L'empereur romain leur déclara la guerre pour les forcer de revenir au culte des idoles. Il n'y gagna que des fatigues et des disgrâces pour lui et pour son armée : il fut obligé d'interrompre son expédition, apparemment par la crainte que lui inspirait l'union de Constantin et de Licinius, et par la nécessité où il crut être de travailler à les détruire, s'il ne voulait périr lui-même.

Les fléaux de la colère céleste ne vengèrent pas seulement les chrétiens, mais tournèrent à leur avantage et à leur gloire, par les ouvres de charité secourable qu'ils leur donnèrent lieu d'exercer. Dans les horreur. de la famine et de la peste, seuls ils montraient des cœurs tendres et sensibles, ensevelissant ceux qui étaient morts de la maladie, distribuant du pain aux pauvres qui souffraient la faim ; et par cette conduite ils portèrent les païens mêmes à louer et. à bénir le Dieu dont les adorateurs remplissaient si bien les devoirs de l'humanité.

Ainsi les choses s'adoucissaient et se disposaient à la délivrance des chrétiens ; et ce fut dans ces circonstances que leur persécuteur ayant reçu de la part de Constantin et de Licinius l'édit donné à Rome en leur faveur, se crut obligé de s'y conformer, au moins en partie, comme il fit par l'ordonnance dont j'ai rapporté plus haut le précis. C'était bien malgré lui qu'il tempérait ses rigueurs ; et il compta pour une nouvelle injure la nécessité que lui imposaient ses collègues à cet égard. Il dissimula néanmoins, faisant sourdement ses préparatifs pour attaquer tout d'un coup Licinius, et le prendre, s'il lui était possible, au dépourvu.

Peu s'en fallut qu'il ne réussît. Pendant que Licinius était à Milan pour la cérémonie de son mariage, Maximin ayant assemblé en Bithynie une armée de soixante-dix mille hommes, se met à la tête, passe le détroit sans trouver d'obstacle ; et s'étant emparé de Byzance après un siège de onze jours, ayant forcé pareillement Héraclée de se rendre, il allait en avant, lorsque Licinius vint à sa rencontre. Ce prince averti dis danger s'était hâté de quitter l'Italie, et il se rendit d'abord à Andrinople avec fort peu de monde. De là il donna ses ordres pour assembler en diligence les troupes les plus voisines, et ayant mis ensemble trente mille hommes, il se présenta avec des forces si inégales, mains pour combattre que pour arrêter son ennemi.

Maximin était plein de confiance : le nombre de ses troupes, ses premiers succès, lui enflaient le courage ; mais surtout il comptait sur les prédictions de ses prêtres et de ses devins qui lui promettaient une victoire assurée, et dans l'enthousiasme de sa joie superstitieuse, il fit vœu à Jupiter d'exterminer le christianisme, après qu'il aurait vaincu Licinius. Il se flattait, même qu'il n'aurait.pas besoin de combattre. Comme il était prodigue envers les soldats, au lieu que Licinius les gouvernait plus sévèrement, il espérait que 'l'armée de son adversaire se rangerait d'elle-même sous ses enseignes ; et ses projets ne s'en tenaient pas là. Après avoir détroit Licinius, il prétendait passer à Constantin, le dépouiller et se rendre ainsi maitre de tout l'empire.

Mais Licinius était protégé du ciel : c'est de quoi l'on ne peut douter, puisqu'il demeura victorieux. Si l'on doit croire, merle foi de Lactance, qu'un ange lui apparût en songe et lui dicta une formule de prière, qu'il retint, qu'il fit apprendre par mémoire aux officiers et à tous les soldats de son armée, et qui récitée avant le combat lui en rendit le succès favorable, c'est sur quoi je n'ose prononcer. Une grâce si éclatante aurait quelque chose de bien étonnant à l'égard d'un prince païen, et que nous verrons bientôt devenir un cruel persécuteur du christianisme.

Ce qui est certain, c'est que la bataille s'étant engagée le dernier jour d'avril dans la plaine dite Sérène, entre Andrinople et Héraclée, Licinius, malgré l'inégalité des forces, remporta une victoire complète. La plus grande partie de l'armée de Maximin périt : le reste l'abandonna ; et ce malheureux prince, réduit à se déguiser en esclave pour cacher sa fuite, ne se crut en sûreté que lorsqu'il eut mis la mer entre lui et sou vainqueur et qu'il fut arrivé à Nicomédie : encore n'y séjourna-t-il pas, et continuant sa route vers l'Orient, il ne s'arrêta qu'en Cappadoce, où il rassembla quelques troupes avec lesquelles il se crut en état de tenter de nouveau la fortune.

Licinius passa en Bithynie ; mais il ne s'attacha pas à poursuivre vivement un fugitif qui ne pouvait lui échapper. Il était encore à Nicomédie le 13 juin, jour auquel il fit afficher l'édit qu'il avait donné avec Constantin à Milan pour accorder la liberté de conscience à tous les sujets de l'empire, et qui, par rapport aux chrétiens en particulier, contenait les dispositions les plus avantageuses. Il y avait dix ans et environ quatre mois que Dioclétien avait fait afficher dans la même ville sou premier édit de persécution.

La paix de l'Église fut alors pleine et générale ; car Maximin de son côté reconnaissant que les prêtres de ses dieux l'avaient trompé, déchargea d'abord sur eux sa colère, et massacra ceux qui étaient auprès de sa personne. Ensuite il rendit justice aux chrétiens, et publia un édit qui leur était tout-à-fait favorable.

Mais sa pénitence était aussi fausse que celle de Galérius, et elle eut le même sort : elle ne put désarmer, la vengeance d'un Dieu trop justement irrité. Aux approches de Licinius, qui s'était mis en mouvement pour achever la ruine de son adversaire, Maximin se retira à Tarse en Cilicie, laissant ce qu'il avait de meilleures troupes à la garde des passages du mont Taurus. Il n'eut pas le courage de se mettre à la tête de ce corps qui faisait sa dernière ressource ; et lorsqu'il en eut appris la défaite il se livra au désespoir, ii n'envisagea plus que la mort, et s'étant rempli de vin et de viandes, comme pour dire un dernier adieu aux plaisirs, il prit du poison. La nourriture dont il avait chargé son estomac empêcha que l'opération du poison ne fût prompte ; mais elle ne fit qu'en amortir l'effet et différer la mort pour prolonger les douleurs. Pendant plusieurs jours il sentit un feu dans ses entrailles qui le dévorait, et qui agissait avec tant de violence, que desséché et comme brûlé il devint un vrai squelette. Afin que sa punition eût un rapport plus sensible avec les crimes qu'il avait commis, les yeux lui sortirent de la tête, et devenu aveugle ; il croyait voir Jésus-christ qui se préparait à le juger ; il lui demandait glace, il le priait de l'épargner ; et ce fut au milieu de ces horribles tourments du corps et de l'esprit qu'il expira, vers le mois d'août de l'an de. J.-C. 313.

Licinius vainqueur extermina la famille de ce malheureux prince, et tout ce qui restait de la race des persécuteurs. La femme de Maximin fut noyée dans l'Oronte, et subit ainsi le même supplice qu'elle avait fait souvent souffrir à des dames innocentes et vertueuses. Son fils âgé de huit ans, et sa fille qui n'en avait que sept, et qui dès lors était promise en mariage à Candidien fils de Galérius, furent mis à mort. Candidien lui-même et Sévérien fils de Sévère perdirent pareillement la vie, s'étant rendus suspects de mouvements et d'intrigues pour faire valoir les prétentions qu'ils pouvaient avoir à l'empire. Enfin Prisai et Valérie, l'une veuve, l'autre fille de Dioclétien, cherchées et poursuivies pendant quinze mois, et changeant perpétuellement de retraites pour éviter de tomber entre les mains de leur implacable ennemi, ne purent échapper à la vengeance céleste, dont Licinius n'était que l'instrument. Elles furent découvertes à Thessalonique, condamnées et exécutées publiquement, et leurs corps jetés à la mer.

On ne nous dit point quel crime leur était imputé. IL est vraisemblable qu'elles furent accusées et couvain-aies d'intelligence avec Candidien et Sévérien, en qui elles pouvaient prendre plus de confiance qu'en Licinius, qui les avait toujours maltraitées. Le véritable crime de ces princesses devant Dieu était d'avoir eu la faiblesse de renoncer à la vérité après l'avoir connue, et de s'être souillées, contre les lumières de sa conscience, par des sacrifices idolâtriques. Il ne paraît point qu'elles se soient relevées de cette chute, et il y à tout lieu de croire qu'elles firent profession jusqu'à la mort de l'impiété païenne.

Maximin fut privé même du faible avantage qu'avaient eu les autres pinces persécuteurs d'être honorés après leur mort. Comme il eut pour successeur celui par les armes duquel il avait été vaincu, sa mémoire fut notée par les décrets les plus flétrissants. Il fut déclaré tyran et ennemi public ; ses honneurs furent détruits, ses monuments rasés, ses statues renversées, ses portraits effacés ou noircis : il n'est sorte d'ignominie dont on ne s'efforçât de le couvrir ; et il méritait mieux ce traitement, qu'il ne s'était montré digne des grandeurs pour lesquelles il n'était pas né et dont il avait abusé.

Zosime observe que dans l'année du troisième consulat de Constantin et de Licinius, qui est celle de la défaite et de la mort de Maximin, devaient être célébrés les jeux séculaires, cent dix ans après ceux que Septime Sévère avait donnés. Cet auteur ne fait point mention de ceux de l'empereur Philippe, que peut-être ignorait-il. En idolâtre zélé, il sait très-mauvais gré à Constantin de l'omission de cette importante cérémonie, à laquelle il prétend qu'était attaché le bonheur de l'empire romain ; il rend ainsi témoignage à la piété de Constantin, qui abolissait ou laissait s'abolir les fêtes les plus solennelles du paganisme.

Par la ruine de Maximin, il ne resta plus que deux princes dans l'empire, Constantin et Licinius, qui jusque là avaient été fort t'unis, mais que l'opposition des caractères et des intérêts divisa bientôt. Zosime atteste que Constantin demanda à Licinius un nouveau partage, et je ne vois rien dans cette prétention ni de difficile à croire, ni même de déraisonnable. Comme ils n'étaient plus que deux Augustes, leurs départements devaient être égaux. Or si Licinius joignait les pays qui avaient obéi à Maximin, c'est-à-dire, l'Asie mineure, l'Orient et l'Égypte, à l'Illyrie prise dans l'étendue que j'ai déjà marquée plus d'une fois, ce lot excédait de beaucoup celui de Constantin qui n'avait que l'Italie, l'Afrique et la Gaule avec la Grande-Bretagne et l'Espagne. Et inutilement Licinius aurait-il allégué en sa faveur le droit de conquête. Outre que Constantin pouvait prétendre avoir eu part à la victoire, parce qu'il avait assuré la tranquillité des opérations de Licinius en défendant les frontières de l'empire contre les Barbares du Nord, le fond de son droit résidait dans la nature même et la constitution de l'état. Ils n'étaient point, lui et Licinius, princes alliés mais collègues. Leurs domaines n'étaient point isolés. Quoique avec beaucoup moins de rapports et de communication que n'en avaient eu Dioclétien et Maximien, ils étaient pourtant deux chefs d'un seul empire. Par conséquent il fallait que tout fût. égal entre eux ; et celui dont le partage se trouvait le plus faible, avait non seulement intérêt, mais droit réel à demander une augmentation qui rétablît l'équilibre. Je ne vois donc pas que Zosime soit fondé à accuser ici Constantin d'injustice et de perfidie, à moins qu'il n'y ait eu des conventions précédentes que cet auteur n'explique point.

Licinius ne goûta point du tout les raisons de Constantin : il se tint offensé de la seule proposition de diminuer ses domaines ; et comme il était brave et expérimenté dans l'art militaire, il ne fut point effrayé de la nécessité de se défendre par les armes.

Voilà sans doute la vraie cause de la guerre qui éclata entre Constantin et Licinius dès l'année qui suivit la mort de Maximin. On ajoute que Licinius favorisa une conspiration tramée en Italie contre son collègue. Ce sera un nouveau motif qui justifiera d'autant mieux Constantin.

Les deux empereurs, chacun à la tête de leur armée, se rencontrèrent près de Cibalis en Pannonie. Cette ville était située entre la Drave et la Save, à peu de distance de Sirmium. On voit par cette position que Licinius s'était laissé prévenir, et avait reçu la guerre dans son pays. Il avait affaire à un ennemi plein de feu, et dont l'activité suffisait tellement à tout, que pendant qu'il entreprenait et conduisait en personne une guerre difficile et périlleuse, il faisait tenir un concile à Arles pour l'affaire des donatistes. Mais ce dernier fait n'entre point dans le plan que je me suis formé. Je me renferme dans mon objet.

Les deux armées ennemies ne tardèrent pas à se choquer, et la bataille fut vive et opiniâtre ; elle dura depuis le matin jusqu'à la nuit. Enfin l'aile droite de Constantin étant devenue victorieuse, entraîna la décision générale dé l'action. Licinius vaincu, et ne voyant aucune ressource, prit la fuite et se sauva à Sirmium ; d'où après avoir rompu le pont qui était dans cette ville sur la Save, il gagna Andrinople, résolu de rassembler de nouvelles forces pour arrêter les progrès de l'ennemi.

Constantin, maître du champ de bataille et du camp des vaincus, vint à Sirmium, rétablit le pont rompu par Licinius, et se mit sans perdre de temps à le poursuivre. Il traversa la Mésie supérieure et la Dace d'Aurélien, reçu partout comme vainqueur, et il vint à Philippopolis en Thrace, où Licinius lui envoya un ambassadeur pour lui proposer de terminer leurs différends par un accord. Mais il y avait opposé lui-même un nouvel obstacle par une démarche tout-à-fait extraordinaire dont le motif n'est pas aisé à deviner, et qui devait souverainement irriter Constantin. Licinius depuis la bataille de Cibalis avait nommé un César, et son choix était tombé sur Valens, homme peu connu d'ailleurs, de qui Constantin, dans une réponse que nous a conservée Pierre Patrice, parle avec le dernier mépris, et qui était apparemment sans aucune recommandation, au moins du côté de la naissance. La destitution d'un tel rival fut un préliminaire qu'exigea Constantin avant que d'entendre parler de paix ; et sur le refus de Licinius, on en vint à une seconde bataille qui se donna prés d'un lieu nommé Mardie entre Philippopolis et Andrinople.

Le succès de cette action ne fut point net ni décidé. Aucun des deux partis ne put se prétendre vainqueur ; aucun ne fut vaincu ; et les avantages balancés facilitèrent l'accommodement.

Au reste Constantin donna la loi. Valens fut déposé et même tué par ordre de Licinius, qui l'avait mis en place pour en tirer du service et qui le sacrifia sans peine dès qu'il le vit devenu nuisible à ses intérêts. Il fut sans doute plus amer à ce prince de céder la plus grande partie de ce qu'il possédait en Europe. Par le traité il ne se réserva en-deçà de la mer que la Thrace, la Mésie inférieure et la petite Scythie vers les embouchures du Danube, et il abandonna tout le reste à Constantin, qui remporta ainsi de la guerre un accroissement considérable de puissance, une grande partie de la Macédoine et la Grèce.

Cette paix, quoique conclue à des conditions très-inégales, n'eut point le sort des paix forcées, qui ne sont le plus souvent qu'un intervalle court de préparation à renouveler la guerre : elle dura huit ans entiers, et donna ainsi le temps à l'empire romain de se remettre des agitations et des secousses continuelles qu'il avait souffertes depuis la mort de Constance Chlore. Les deux empereurs étaient assez puissants pour se respecter et se craindre mutuellement, et ils parurent vivre en parfaite intelligence pendant un assez long temps. Trois ans après la paix d'Andrinople, c'est-à-dire l'an de J.-C. 317, ils se concertèrent de bonne grâce pour élever leurs fils à la dignité de Césars. Constantin en avait deux, Crispus né de Minervine sa première femme et qui commençait alors à entrer dans l'âge d'adolescence, et Constantin, l'aîné des enfants qu'il eut de Fausta, et dont on croit devoir rapporter la naissance à l'année précédente 316. Du mariage de Licinius avec Constancie était sorti un fils qui n'avait encore que vingt mois. Ces trois jeunes princes, dont les deux derniers n'étaient que des enfants au berceau, furent nommés Césars et désignés consuls pour les trois années suivantes ; et afin de mieux signaler l'union des deux familles impériales, Licinius voulut gérer le consulat avec Crispus César, et Constantin avec le fils de Licinius.

L'an 321 la concorde commença à s'altérer. J'en juge par le changement de la conduite de Licinius à l'égard des chrétiens. Jusque là il les avait protégés : alors il les chassa de son palais ; et c'est une preuve qu'il ne se faisait plus une affaire de conserver l'amitié de Constantin, dont il connaissait le zèle pour sa religion et l'affection tendre pour tous ceux qui la professaient : et en effet cette considération-là même inspirait des soupçons à Licinius contre les chrétiens. Il s'imaginait que ceux qu'il avait dans ses états étaient attachés de cœur à Constantin, qu'ils faisaient des vœux pour lui, qu'ils désiraient de l'avoir pour maître. Il ne pouvait pourtant leur reprocher ni sédition ni révolte. Il n'est point dit dans l'histoire qu'aucun chrétien ait conspiré contre Licinius ou lui ait refusé l'obéissance dans les choses purement temporelles. Mais ce prince voulait se persuader qu'ils le haïssaient dans l'âme, et en conséquence il les haïssait lui-même, et il leur aurait déclaré une guerre ouverte, si la crainte de Constantin ne l'eût retenu. Ainsi balancé entre deux sentiments qui se combattaient, il prit un parti mitoyen, et n'osant pas enfreindre la loi qu'il avait portée lui-même avec son collègue pour accorder aux chrétiens le libre exercice de leur religion, il résolut, sans ordonner une persécution, de les fatiguer par des chicanes qui produisissent le même effet.

Dans cet esprit, il publia une loi par laquelle il interdisait aux évêques tout commerce entre eux et leur défendait de se visiter les uns les autres, et sur. tout de tenir des assemblées et des conciles pour délibérer sur les affaires communes de leurs églises. C'était là, dit Eusèbe, une ruse très-bien, inventée pour avoir un prétexte de nous persécuter. De deux choses l'une : il fallait ou que contrevenant à cette ordonnance, nous nous missions dans le cas d'être punis, ou qu'en nous y soumettant nous violassions les lois de l'Église ; car il n'est pas possible que les grandes questions qui s'élèvent soient autrement terminées et que par la voie des conciles.

Licinius éloigna en même temps de sa personne et de son palais, comme je l'ai dit, tous ceux qui faisaient profession de christianisme. D'anciens officiers, apparemment eunuques ou affranchis, à qui leurs longs services avaient mérité des postes importants, étaient non seulement chassés avec ignominie, mais dépouillés de leurs biens que le prince confisquait à son profit, et même donnés pour esclaves des maîtres particuliers, sous qui ils souffraient toutes les indignités dé la servitude.

Pour autoriser les calomnies internes que l'on débitait contre les chrétiens, cet empereur, livré aux plus horribles débauches et souillé d'une infinité d'adultères, feignit un zèle rigide pour la pureté des mœurs et entreprit de réformer ce qui n'avait nul besoin de réforme. Par une seconde loi il défendit que les femmes chrétiennes s'assemblassent dans les mêmes églises avec les hommes et animent aux mêmes instructions : il voulait que les évêques, au lieu de leur expliquer par eux-mêmes les dogmes et les mystères de leur religion, choisissent des femmes pour catéchiser les femmes. Ce règlement était visiblement impraticable, et tendait à priver des connaissances les plus nécessaires la moitié du genre humain. Il ne fut dent pas plus respecté que le premier ; ce qui n'empêcha pas Licinius d'ajouter une troisième loi semblable aux deux précédentes, et d'ordonner, par égard, disait-il, pour la commodité publique, que les assemblées des chrétiens se tinssent, non au dedans des villes et dans des lieux fermés, mais à la campagne, et en plein air.

L'inobservation de ces différentes ordonnances fournit à Licinius le prétexte qu'il cherchait pour lever le masque et sévir avec plus de rigueur. Il commença par ceux qui formaient la milice des villes, auxquels il commanda de sacrifier aux idoles, sous peine d'être cassés. Il attaqua ensuite les évêques, non pas par une persécution générale et ouverte, mais, sans paraître lui-même, il suscitait contre les plus illustres d'entre eux les gouverneurs de provinces, qui, sur des accusations également atroces et calomnieuses, les maltraitaient, les faisaient mettre en prison, souvent même les condamnaient à la mort ; et on ne se contentait pas à leur égard des supplices ordinaires : on coupait leurs corps par morceaux, que l'on jetait à la mer pour servir de pâture aux poissons. Après la mort du pasteur, les brebis se dispersaient, et les forêts, les antres, les solitudes redevenaient, comme sous la persécution de Dioclétien, les asiles des saints. C'est principalement dans le Pont que ces cruautés furent exercées ; et en même temps que l'on versait le sang des évêques, on fermait ou même on démolissait les églises. C'est aussi à ce même temps que se rapporte la glorieuse victoire des quarante martyrs, à Sébaste en Arménie.

Il est important de remarquer que les chrétiens n'eurent pas seuls à se plaindre du gouvernement de Licinius. Il fit' le malheur de tous ses sujets. Tous les vices le dominaient : l'impudicité, l'avidité, la cruauté. De là mille vexations odieuses sur les peuples, violences commises contre des femmes recommandables par leur vertu et par leur rang, condamnations et proscriptions des premières têtes de l'état. Ce prince barbare poussa l'oubli de tout sentiment d'humanité jusqu'à punir la compassion pour les malheureux. Par une loi expresse il soumit à des peines ceux qui procuraient du soulagement et portaient de la nourriture aux prisonniers.

Un prince de ce caractère, qui avait entrepris la destruction du christianisme, n'était pas disposé à s'arrêter en chemin. Après y avoir travaillé durant trois ans, il se préparait, au commencement de l'an 323, à porter le dernier coup, et à donner un édit de persécution semblable à ceux de Dioclétien, ou plus rigoureux lorsque la guerre s'alluma entre lui et Constantin.

Il est difficile de dire qui des deux fût l'agresseur. A s'en tenir aux expressions et au langage d'Eusèbe, ce fut Constantin qui, après avoir plusieurs fois et inutilement averti Licinius d'épargner ses fidèles sujets, se détermina enfin à prendre en main la défense des serviteurs de Dieu persécutés et opprimés. Selon un autre écrivain du temps, Licinius rompit le premier l'amitié feinte dont il avait longtemps gardé les dehors : il trouva mauvais que Constantin, pour repousser une incursion des Goths, fût entré en armes sur ses terres, ou du moins s'en fût approché de trop près avec une armée ; il, s'en plaignit comme d'une infraction des traités, et s'opiniâtra à vouloir tirer raison de cette prétendue injure. Ce motif serait bien faible, s'il eût été seul. Disons plutôt que les deux princes voulaient la guerre ; que le zèle de l'un, les craintes de l'autre, la politique de tous les deux, concouraient à rendre la rupture inévitable ; et qu'il importe peu de savoir lequel a commencé ce que l'un et l'autre désiraient également.

Il ne paraît pas que Licinius eût fait aucune guerre depuis le traité d'Andrinople. Constantin, durant ce même intervalle, s'était aussi principalement occupé d'opérations pacifiques. Il avait célébré à Rome, l'an 315, les fêtes de sa dixième année, dans lesquelles Eusèbe atteste que laissant au peuple les réjouissances profanes, ce pieux prince adressait son culte et rendait ses actions de grâces au seul Dieu vivent et véritable. Il avait porté un grand nombre de lois, dont nous pourrons rendre compte dans la suite. Mais ses armes n'étaient pourtant pas absolument restées oisives, ni ses troupes sans exercice. En l'année 320, Crispus César son fils remporta une victoire sur les Francs. Lui-même, deux ans après, il combattit plusieurs fois, et toujours avec avantage, dans la Pannonie et dans la Mésie contre les Sarmates, qui avaient pissé le Danube ; et les ayant obligés d'abandonner les terres romaines, il passa ce fleuve après eux, et les défit dais leur propre pays. J'ai parlé de son expédition contre les Goths, qui peut-ire couvrait un plus grand dessein. Ce qui est certain, c'est qu'au commencement de l'année 323, tous ses préparatifs étalent faits pour la guerre contre Licinius.

 Comme il connaissait la grandeur et l'importance des forces navales de son adversaire, qui avait dans son département l'Égypte et la Phénicie, pays où la marine avait été de tout temps florissante, il s'était mis en état de lui disputer l'empire de la mer, en lui opposant une flotte considérable. Il ramassa ce qu'il avait de bâtiments ; il en construisit de nouveaux, et sa flotte réunie au port du Pirée, qui était le rendez-vous général, se trouva composée de deux cents vaisseaux de guerre.et de deux mille barques de charge. Son armée de terre s'assembla autour de Thessalonique, où il était lui-même, et elle se montait à six-vingt mille hommes de pied et dix mille chevaux. Ces troupes nombreuses et aguerries étaient bien capables d'enfler le courage d'un prince moins religieux. Mais Constantin mettait sa principale confiance dans le trophée de la croix, qu'il faisait porter à leur tête ; et il voulut être accompagné dans cette guerre de ministres sacrés et d'évêques, qu'il regardait, suivant l'expression d'Eusèbe, comme les gardiens de son âme.

Licinius, au contraire, redoubla de zèle pour l'idolâtrie : il multiplia les sacrifices, il consulta les prêtres de ses faux dieux, les devins, les oracles, les magiciens. Il fit de sa querelle une querelle de religion ; et ayant assemblé dans un bois sacré les principaux officiers de ses troupes, pendant qu'il faisait couler le sang d'un. grand nombre de victimes, il déclara, par un discours que rapporte Eusèbe, qu'il prétendait venger les dieux de l'empire outragés, et qu'il prenait le succès de la guerre pour arbitre et pour juge entre eux et le dieu de Constantin. Il croyait pouvoir d'autant plus sûrement porter au christianisme cet espèce de défi, qu'il était plus fort en nombre que son adversaire. Sa flotte se montait à quatre cent cinquante vaisseaux de guerre, et son armée de terre-à cent cinquante mille hommes d'infanterie et- quaterne mille chevaux. Il posta sa flotte à l'entrée de l'Hellespont, et il se rendit lui-même à Andrinople, à la tête dé ses troupes de terre.

Il y trouva ou y attendit Constantin, qui, toujours ardent à porter la guerre sur les terres de l'ennemi, s'avança de Thessalonique jusqu'à cette ville avec son armée. Licinius était campé sur une hauteur qui couvrait Andrinople, ayant l'Hèbre devant lui ; et il se tenait sur la défensive. Constantin voulait l'attaquer ; mais le fleuve était un obstacle, et les deux armées restèrent en présence pendant plusieurs jours, sans eu venir aux mains. Cette inaction mettait à la gêne la vivacité et le feu de Constantin : il résolut d'employer la surprise, et de tromper l'ennemi.

Il fit couper des bois et préparer de gros câbles, comme s'il eût eu dessein de jeter un pont sur l'Hèbre : et pendant que les gens de Licinius s'occupaient uniquement de la pensée d'empêcher ce travail, il gagna avec un petit détachement la partie supérieure du fleuve, où il s'était assuré de trouver un gué ; il le passa lui-même, et le fit passer, ensuite à toute son armée. Licinius, pris au dépourvu, ne put reculer, et la bataille s'engagea.

Il paraît que les troupes de Licinius ne firent que médiocrement leur devoir : elles étaient à demi déconcertées par la honte et la confusion de s'être laissé surprendre ; et, au contraire, le succès du passage animait celles de Constantin, et leur semblait un gage de la victoire. L'événement y répondit. L'armée de Licinius fut rompue et entièrement défaite, son camp pris et forcé ; et le prince vaincu s'enfuit à toute bride à Byzance, laissant trente-quatre mille des siens sur la place, et le reste dispersé dans les montagnes et les forêts voisines du champ de bataille. Le lendemain et les jours suivants tous ces malheureux fugitifs vinrent se rendre au vainqueur, qui les reçut avec bonté.

La flotte de Constantin savait vaincre, et il ne donna aucune relâche à son ennemi : il se mit à sa poursuite, l'enferma par terre dans Byzance, et en même temps envoya ordre à sa flotte, que commandait Crispus César, et qui, du Pirée, s'était rendu dans les ports de la Macédoine, d'aller chercher la flotte ennemie pour la combattre. Elle se porta à l'entrée de l'Hellespont, où était resté Abantus, amiral de Licinius. On se disposa de part et d'autre à une action : et comme l'espace était étroit, les généraux de Constantin crurent qu'il suffisait de faire agir quatre-vingts de leurs meilleurs vaisseaux, et qu'un plus grand nombre ne servirait qu'à embarrasser le combat. Abantus vint sur eux avec delà cents bâtiments, méprisant l'ennemi et comptant l'envelopper sans peine. Mais la précipitation et le désordre, suites ordinaires de la présomption, et la difficulté des évolutions dans un canal de peu de largeur, tournèrent contre les gelai de Licinius l'avantage de leur multitude : ils heurtaient leurs bâtiments les uns contre les autres, ils se brisaient mutuellement leurs rames, et ils semblaient se livrer d'eux-mêmes aux ennemis, qui s'étaient avancés en bon ordre et que rien ne gênait dans leurs mouvements. Plusieurs des vaisseaux de Licinius périrent et furent coulés à fond avec les soldats qu'ils portaient. Cependant il n'y avait pas encore de décision bien marquée, lorsque la nuit survint et sépara les combattants, qui se retirèrent, les uns à Éléus, ville de la Chersonèse, les autres dans le port d'Ajax, du côté de l'Asie.

Le lendemain Abantus voulut prendre sa revanche, et il partit par un vent du nord pour engager un nouveau combat. Les amiraux de Constantin ne s'écartèrent point de la rade d'Éléus, peut-être parce qu'ils prévoyaient ce qui allait arriver. En effet, vers le milieu du jour, le vent tourna du nord au midi, et excita une tempête horrible, qui ruina entièrement la flotte de Licinius. Cent trente vaisseaux furent fracassés, cinq mille soldats noyés : et la flotte de Constantin, pour qui les vents avaient combattu, n'ayant plus d'obstacle qui arrêtât son passage, cingla vars Byzance, pour enfermer Licinius du côté de la nier, comme il était déjà assiégé par terre.

Constantin avait poussé le siège avec vigueur : il avait fait de grands ouvrages, une terrasse qui égalait la hauteur du mur de la ville, plusieurs tours de bois qui, placées sur la terrasse et remplies d'archers et de frondeurs, ne permettaient à aucun des assiégés de paraître sur la muraille ; en sorte qu'il se préparait à battre en brèche. Licinius, dans un si extrême péril, voyant que s'il attendait l'arrivée de la flotte ennemie sa perte était infaillible, prit l'unique parti qui lui restait, et il se sauva à Chalcédoine avec ce qu'il avait de meilleures troupes, ne désespérant pas de rassembler encore d'assez grandes forces en Asie pour ramener la fortune. Il voulut aussi se procurer de l'appui en créant César M. Martinianus, qui était grand-maître[13] de sa maison ; et dés qu'il l'eut associé au pouvoir suprême, il l'envoya à Lampsaque, pour empêcher ou du moins retarder le passage des ennemis. Il se proposait de gagner ainsi du temps, afin de pouvoir se reconnaître et se mettre en état de soutenir un nouveau choc : et il parait que ces précautions ne furent pas inutiles, puisqu'il se vit à la tête d'une armée de cent trente mille hommes, lorsque son adversaire passa le détroit.

Constantin n'avait pourtant pas perdu de temps. Dès qu'il sut la retraite de Licinius en Asie, il ne s'occupa que de la pensée de l'y suivre. Il fit tous les apprêts nécessaires : il rassembla auprès de lui toute sa flotte, sur laquelle il embarqua toute son armée, et laissant le siège de Byzance, qui n'était plus de la même importance pour lui, il vint aborder au promontoire Sacré, situé à l'entrée du Pont-Euxin, à deux cents stades ou vingt-quatre milles au-dessus de Chalcédoine. Là il rangea ses troupes, présentant la bataille à l'ennemi.

Licinius, si nous ajoutons foi au témoignage d'Eusèbe, fit alors des propositions d'accommodement ; et, ce qui est plus difficile à croire, Constantin y consentit. Cet écrivain n'explique point quelles devaient être les conditions de l'accord, et il n'est pas aisé de les deviner dans une position où l'un des deux princes était en droit de tout exiger, et où l'autre n'était pas encore assez abattu pour tout abandonner. Ce même auteur ajoute que Licinius agissait de mauvaise foi, et que ce fut par sa faute que la négociation se rompit. Je ne puis m'empêcher d'observer que tout l'ouvrage d'Eusèbe sur la vie de Constantin est un panégyrique, et qu'il est besoin d'une critique attentive pour y démêler l'exacte vérité des faits. Je ne vois, par exemple, aucune raison de douter de ce qu'il raconte touchant la pratique religieuse de Constantin, qui faisait dresser hors du camp une tente pour le croix, et qui, aux approches d'une action, s'y renfermait pour passer un temps considérable en prière. Mais se persuadera-t-on, sur la parole d'Eusèbe, que ce prince, sur la vie duquel nous remarquerons bientôt des taches énormes, reçut dans l'oraison des faveurs singulières du ciel et des révélations prophétiques ? Il est fâcheux qu'un écrivain, précieux à tant de titres, n'ait pas joint à tous les secours qu'il avait pour composer une bonne histoire le mérite essentiel d'une scrupuleuse fidélité. Après tout, telle qu'a été sa vie, tels sont ses ouvrages. L'ambition et la flatterie, qui régnèrent dans sa conduite, ont aussi gouverné sa plume.

Quoi qu'il en soit de la prétendue négociation entre les deux princes pour parvenir à la paix, il est certain que ce furent les armes qui décidèrent la querelle. Licinius, voyant que toute la Bithynie se rangeait sous les lois de Constantin, rappela Martinianus de Lampsaque, et plutôt que de périr sans tirer l'épée, il aima mieux risquer une bataille. Les armées se choquèrent près de Chrysopolis, qui était comme le faubourg et l'arsenal de mer de Chalcédoine, et Licinius fut vaincu complètement. De cent trente mille hommes qu'il avait, cent mille furent pris ou tués : le reste se dispersa, et lui-même il s'enfuit à Nicomédie, n'ayant plus d'autre ressource que l'espérance très-douteuse de fléchir son vainqueur par les prières.

Il employa à ce dessein le crédit et les sollicitations de sa femme, sœur de Constantin. Il ne demandait que la vie sauve, et elle lui fut promise, à condition qu'il renoncerait à toutes ses prétentions à l'empire, et qu'il se remettrait au pouvoir de son beau-frère devenu son seigneur. L'accord fut exécuté : Constantin s'étant approché de Nicomédie, Licinius sortit au-devant de lui, sans aucune marque de la dignité impériale, l'appelant son seigneur et son maître, et demandant grâce. Constantin lui réitéra la promesse qu'il lui avait faite et l'envoya à Thessalonique. Il épargna à plus forte raison la vie du jeune Licinius, mais en le dépouillant du titre et des honneurs de César. Pour ce qui est du nouveau César Martinianus, il le fit tuer. Cet acte de rigueur est le seul qu'il ait exercé après sa victoire, et on peut le regarder comme nécessaire. Du reste il paraît que Constantin usa de clémence envers les vaincus : c'est ce qui est attesté non seulement. par Eusèbe, mais par Aurélius Victor, qui assure que le vainqueur reçut avec bonté et protégea tous ceux qui avaient porté les armes contre lui, leur conservant même la possession de leurs dignités et de leur fortune.

La générosité de Constantin contribua sans doute beaucoup à lui soumettre tous lés cœurs. Byzance et Chalcédoine lui avaient ouvert leurs portes aussitôt après la bataille de Chrysopolis, et tous les peuples de l'Asie et de l'Orient ne tardèrent pas à le reconnaître.

Il dut être bien doux pour les Romains de voir enfin les guerres civiles terminées, et tout l'empire réuni dans une heureuse paix sous un seul prince. J'ai déjà observé que depuis la mort de Constance Chlore jusqu'à la ruine de Maxence, et ensuite de Maximin, c'est-à-dire pendant sept ans entiers, tout avait été en combustion : l'état déchiré par des partages entre princes jaloux ou même ennemis ; interruption du commerce d'un département à l'autre ; nulle sûreté pour voyager ni sur terre ni sur mer ; guerres continuelles ou préparatifs de guerres, fabriques d'armes, équipements de flotte, vexations de toute espèce, combats, morts tragiques des princes suivies du désastre de ceux qui leur avaient été attachés ; il n'est sorte de calamité que l'empire n'éprouvât dans ce malheureux temps. A la mort de Maximin il ne resta plus que deux empereurs, qui paraissaient même amis, Constantin et Licinius, et les peuples commencèrent à respirer. Mais la bonne intelligence de ces princes et la tranquillité publique qui en était le fruit, ne furent pas et ne pouvaient pas être de longue durée. Une guerre ouverte on une paix suspecte et insidieuse remplirent les dix ans qu'ils jouirent ensemble de l'empire, et la ruine seule de Licinius amena enfin un calme parfait. Alors Constantin n'ayant plus de concurrent, et embrassant sous sa domination, comme les anciens empereurs, toute l'étendue de terres et de mers qui reconnaissait les lois de Rome, fit goûter à tout l'univers les douceurs d'une paix stable et assurée. Alors les maux anciens furent oubliés, et les peuples, par des réjouissances aussi sincères qu'elles étaient vives et animées, exprimaient à l'envi leur reconnaissance envers un prince né pour les rendre heureux. C'était surtout pour les chrétiens un grand sujet de joie que le triomphe complet de leur sainte religion, qui allait s'exercer sans crainte d'un bout à l'autre de l'empire. Ceux d'Occident jouissaient de la paix depuis quelques années. Mais nous avons vu avec quelle rigueur Licinius avait traité en dernier lieu les chrétiens des provinces d'Orient, et comment il avait renouvelé à leur égard les violences et les cruautés des Dioclétien et des Dèce. Constantin ne se contenta pas de mettre fin à la persécution : il voulut autant qu'il était possible réparer les maux qu'elle avait faits, et il publia pour cet effet un édit qui donnait lieu aux fidèles d'Orient de se réjouir pour les années durant lesquelles ils avaient été humiliés.

Cet édit, qu'Eusèbe[14] nous a conservé, renferme les dispositions les plus favorables aux confesseurs du nom de Jésus-Christ. L'empereur témoigne d'abord une vénération profonde pour leur vertu. Je sais, dit-il, que ceux qui se proposent les espérances célestes, et qui en ont établi les solides fondements dans la cité sainte et éternelle, n'ont pas besoin des faveurs humaines, et qu'ils jouissent d'une gloire d'autant plus grande, qu'ils se sont plus élevés au-dessus des faiblesses et des affections terrestres. Mais c'est moi qui ai intérêt à les protéger ; et il serait honteux qu'après qu'ils ont tant souffert sous les ennemis de la vraie religion, un prince, qui se reconnaît pour le ministre et le serviteur de Dieu, ne s'efforçât pas de les dédommager par les honneurs et les avantages qui sont en sa main.

Constantin révoque donc toutes les condamnations prononcées contre les confesseurs, soit qu'ils aient été exilés, ou enfermés dans des îles, ou envoyés aux mines, ou enfin soumis à des travaux pénibles et serviles. Il veut que ceux qui, étant dans le service militaire, ont été cassés pour raison de profession du christianisme, aient la liberté de le reprendre, ou de jouir avec un congé honorable d'une vie douce et tranquille, si elle est plus de leur goût. Il leur rend à tous la possession de leurs biens ; en un mot, il les rétablit dans tous les droits et privilèges dont ils ont été injustement dépouillés.

Comme plusieurs étaient morts par le martyre ou par les divers accidents de la vie humaine, Constantin pourvoit à leur succession, et ordonne qu'elle passe à ceux à qui elle appartient par les lois, ou que, s'il ne se trouve point d'héritiers, elle tourne au profit des églises des lieux où les biens seront situés. Les possesseurs de ces biens, à quelque titre qu'ils les aient acquis, doivent en faire leur déclaration et s'en dessaisir, sans être néanmoins tenus à la restitution des fruits, qui pourrait leur devenir trop onéreuse. Le fisc n'est pas traité sur ce point plus favorablement que les particuliers. On avait réuni au domaine impérial plusieurs fonds enlevés aux églises, terres, jardins, édifices. L'intention de l'empereur est que le tout soit restitué, singulièrement les lieux consacrés par la sépulture des martyrs : et si quelqu'un a acheté du fisc ou en a reçu en don des biens de cette nature, quoique l'empereur blâme la cupidité de ces acquéreurs, il promet néanmoins d'user d'équité et de douceur à leur égard.

Le christianisme devint donc universellement florissant. On rendait aux chrétiens tout ce qui leur avait appartenu, soit en particulier, soit en commun. Encouragés et aidés par le prince, ils réparaient leurs églises détruites ou endommagées ; ils en bâtissaient de nouvelles et plus grandes, à proportion de la multitude des prosélytes que leur attirait la liberté dont ils jouissaient ; et, comparant cet état tranquille et heureux à la tyrannie sous laquelle ils avaient gémi, ils ne pouvaient se lasser de louer premièrement Dieu, auteur de leur délivrance, et ensuite celui que la miséricorde divine en avait rendu le glorieux instrument.

Je ne sais si cette grande prospérité éblouit Constantin et lui fit perdre de vue les maximes de modération qu'il avait pratiquées jusqu'alors ; mais le haut éclat de sa gloire fut suivi d'assez près d'actions qui la ternissent, et que la fidélité de l'histoire nous oblige de rapporter.

Il ne laissa pas Licinius jouir longtemps de la vie qu'il lui avait accordée après l'avoir vaincu, et dès l'année suivante, au plus tard, il le fit étrangler. Zosime et Eutrope l'accusent en ce point de perfidie, et saint Jérôme, dans sa Chronique, n'a pas fait difficulté de copier les termes de ce dernier. Socrate nous fournit un moyen de défense en faveur de Constantin. Il rapporte que Licinius dans son exil tramait des intelligences avec les Barbares pour remonter sur le trône. La chose en soi n'a rien que de vraisemblable, et l'autorité de Socrate peut bien contrebalancer celle de Zosime et d'Eutrope. Il est néanmoins une circonstance fâcheuse pour la réputation de Constantin (car nous instruisons le procès à charge et à décharge). On se persuadera aisément qu'en ordonnant la mort de Licinius, il suivit les impressions d'une politique ombrageuse et cruelle, si l'on considère qu'après le père il tua le fils, qui était son neveu, jeune prince sur qui l'histoire ne jette aucun soupçon, et que son âge même justifie pleinement, puisqu'il n'avait encore qu'onze ans lorsqu'il fut mis à mort. Licinius le jeune périt l'an de J.-C. 326, et délivra ainsi la maison de Constantin du seul rival qui lui restât.

La funeste catastrophe de Licinius est un exemple que Lactance aurait ajouté au catalogue qu'il a dressé des morts tragiques des persécuteurs du christianisme, s'il avait poussé son ouvrage jusqu'à ce temps. Le désastre de ce malheureux prince ne finit pas même entièrement à sa mort, et sa mémoire fut flétrie par une loi de Constantin, qui le traite de tyran et qui casse ses ordonnances.

Le vainqueur aurait sans doute pu montrer plus de générosité envers un ennemi qui avait été son collègue et son beau-frère. Mais enfin c'était un ennemi de la part duquel il devait attendre le même traitement, s'il eût eu le malheur d'être vaincu. Ce qui est absolument inexcusable, ce sont les cruautés que Constantin exerça dans sa propre famille, et la mort violente qu'il fit souffrir à son fils aîné et à sa femme, sans se donner le temps, par rapport à des personnes si chères, soit d'approfondir les accusations, soit de revenir d'un premier transport de colère.

En l'année de J.-C. 326 Constantin avait quatre fils : Crispus, né de Minervine sa première femme, Constantin, Constance et Constant, sortis de son second mariage avec Fausta, fille de Maximien Hercule. De ces quatre princes les trois aînés étaient Césars. Crispus et Constantin avaient 'été décorés ensemble de ce titre l'an de J.-C. 317. Constance avait reçu le même honneur en 323. Constant n'y parvint qu'assez longtemps après.

Une famille si nombreuse et si florissante semblait devoir faire le bonheur comme l'appui du prince qui en était le chef et le père. Mais la' différence des mères, et l'incertitude de la succession au trône, qui était presque la proie du premier occupant, introduisirent dans la maison de Constantin les ombrages, les jalousies et tous les crimes qui viennent à la suite, lorsqu'un grand intérêt anime ces passions malfaisantes.

Crispus était inférieur à ses frères du côté de sa mère, femme sans nom ; mais à tout autre égard il avait sur eux une supériorité bien marquée : il était plus âgé de seize ans que l'aîné des enfants de Fausta, et il avait signalé sa valeur soit dans les guerres contre les Francs, soit dans celle qui, en détruisant Licinius, réunit tout l'empire sous le pouvoir de Constantin. Il paraît que le caractère de ce jeune prince était aimable et promettait de grandes choses. Il avait été élevé avec grand soin dans les lettres, sous la discipline du fameux Lactance, le plus habile maître de son siècle. Il est loué par Eusèbe et par l'orateur Nazaire, et l'histoire ne le charge d'aucun reproche, au moins qui soit prouvé.

Ce fut précisément son mérite qui causa sa perte. Fausta, dont le fils aîné n'avait encore que dix ans, trouvait qu'un tel frère était, plutôt pour ses enfants un rival redoutable. Elle entreprit de le ruiner dans l'esprit de son père, en jetant sur lui les soupçons les plus odieux elle l'accusa d'avoir voulu la corrompre, et se frayer par l'inceste la, voie du trône. Fausta pouvait être encore assez jeune pour que ce soupçon ne fût pas absolument destitué de vraisemblance. Constantin le reçut avec une crédulité qui ne souffre point d'excuse. Il était alors à Rome, où l'avait amené le désir de célébrer dans sa capitale la vingtième année de son règne. Il relégua son malheureux fils à Pola, en Istrie, et peu de temps après il l'y fit périr par le fer ou par le poison.

Ce premier acte de cruauté en amena un second. Hélène mère de Constantin fut extrêmement affligée de la mort violente et injuste de son petit-fils. Elle en approfondit les causes, et ayant découvert la manœuvre criminelle de Fausta, elle en instruisit l'empereur. Cette découverte donna lieu d'examiner la conduite personnelle de Fausta ; et l'on trouva que pendant qu'elle affectait un zèle si amer contre un prétendu projet d'inceste, elle se rendait elle-même réellement coupable d'adultère avec les plus vils officiers du palais. Constantin entra dans une indignation furieuse, et ne sachant point se modérer, il porta la vengeance à l'extrême. Fausta par son ordre fut mise dans un bain que l'on avait chauffé outre mesure, et dont la vapeur brûlante l'étouffa. Ainsi périt cette princesse, fille, femme, sœur d'empereurs, et mère de trois princes qui parvinrent à l'empire. Mais la famille dont elle sortait était aussi souillée de crimes que comblée de grandeurs ; et dans l'intrigue détestable qui lui mérita la mort, on reconnaît la fille de Maximien Hercule et la sœur de Maxence.

Il n'était pas possible qu'une scène aussi tragique se passât dans la maison impériale sans y faire bien des coupables. Aussi Eutrope rapporte-t-il qu'il en coûta la vie à plusieurs des amis de Constantin, et il courut dans le public un distique sanglant qui taxait en même temps le prince de luxe et de cruauté, et dont le sens est : Pourquoi désirerions-nous le siècle d'or de Saturne ? Celui où nous vivons est de perles, mais dans le goût de Néron. Il est fâcheux que dans la vie du premier empereur chrétien il se trouve des actions aussi contraires non seulement à la sainteté du christianisme, mais aux lois d'une vertu tout humaine. Telle est l'imperfection de notre nature, que la religion ne réforme pas dans ceux qui se contentent d'en embrasser les dogmes et les pratiques extérieures sans en prendre l'esprit. L'attachement de Constantin au christianisme paraît, dans les discours et dans les lettres qu'Eusèbe rapporte de lui, très-dépendant des prospérités temporelles que Dieu lui avait accordées. Il y insiste souvent et fortement sur la punition visible des princes persécuteurs ; et l'on y remarque peu de traces des vertus intérieures qui sont l'aine de notre sainte religion. A Dieu ne plaise néanmoins que je prétende juger un prince à la piété duquel tout chrétien doit de la reconnaissance ; et j'ai déjà-observé que la vertu des eaux du baptême, qu'il reçut à la fin de sa vie, est assez efficace pour en avoir lavé toutes les souillures.

Il y a même fondement de penser que Constantin fit pénitence du plus inexcusable des crimes qu'il avait commis, c'est-à-dire de la mort de son fils. Un grec moderne, mais qui cite des témoins plus anciens, rapporte que Constantin se reprochant son injustice envers un fils innocent, jeûna, pria, versa des larmes, et qu'il fit l'aveu public de sa faute, eu lui dressant une statue avec cette inscription : C'est ici mon fils innocent et malheureux. Je ne trouve rien dans tout cela que de très-vraisemblable ; et il est trop bien prouvé par le supplice de Fausta, que la mort de Crispus fut pour Constantin le sujet d'une douleur amère. Le silence d'Eusèbe n'est point une objection contre le récit de Godin : on en devine la raison aisément ; et pour ce qui est des autres écrivains contemporains, ils sont eu trop abrégés, ou peu exacts.

Je ne tiens compte de réfuter la fable alléguée par Zosime, qui a été détruite il y a bien des siècles par Sozomène. Zosime, dont la plume envenimée cherche toujours à répandre son fiel sur Constantin et sur le christianisme, dit que ce prince se sentant coupable d'aussi grands crimes que ceux qui viennent d'être rapportés, s'adressa aux prêtres païens pour leur en demander l'expiation ; et que sur la déclaration qu'ils lui firent qu'ils ne trouvaient rien dans leur religion qui fût capable d'expier de tels forfaits, il recourut aux chrétiens, qui se rendirent plus traitables ; et telle est, selon cet historien, l'origine de la conversion de Constantin au christianisme. Tout est faux dans ce récit. Le paganisme promettait l'expiation des crimes les plus atroces, et la fable en fournit des exemples. Mais ce qui porte jusqu'à l'évidence la fausseté de la narration calomnieuse de Zosime, c'est qu'il y avait quatorze ans que Constantin était chrétien lorsque arriva la mort de Crispus. Cette grossière bévue est digne d'un écrivain qui confond le Tamils avec le Danube, et qui fait mourir Maximien Hercule à Tarse en Cilicie.

Ce qui peut avoir fourni quelque légère occasion à Zosime de se tromper sur la date du christianisme de Constantin, c'est que ce prince dans le séjour qu'il fit à Rome en 326 manifesta avec éclat son zèle contre les pratiques de l'idolâtrie. Dans une fête solennelle, peut-être celle de sa vingtième année, qu'il célébra alors comme je l'ai dit, c'était l'usage des païens que les troupes de la garde de l'empereur montassent en pompe au Capitole pour y aller offrir des sacrifices à Jupiter. Constantin non seulement s'abstint de ces superstitions impies, mais il s'en moqua ouvertement, et, pour me servir de l'expression de Zosime, il affecta de les fouler aux pieds. Par là il s'attira la haine du sénat et du peuple de Rome, qui étaient fort attachés à leurs vieilles erreurs. On murmura contre l'empereur ; on ne lui épargna pas les épithètes odieuses. Il en fut instruit, et il en conçut du dégoût pour Rome, à laquelle il ne tenait que par des liens assez faibles, et peu capables d'arrêter l'effet de son mécontentement et de sa colère.

Il était né à Naïsse dans la Mésie[15]. Il avait passé la plus grande partie de sa jeunesse à la cour de Dioclétien en Orient. Ce fut dans l'île de la Bretagne quel l'armée de son père le proclama empereur ; et presque dans le même temps l'Italie fut envahie par Maxence.

Ainsi Constantin vit peut-être Rome pour la première fois lorsqu'il y entra vainqueur de ce tyran. Il y fit alors quelque séjour ; mais jamais il n'y établit sa demeure ; et depuis cette époque jusqu'à sa vingtième année, soit en temps de guerre, soit même en pleine paix, on le voit, par les dates des lois et par les autres monuments historiques, tantôt à Milan, tantôt à Arles, le plus souvent en Illyrie ; et s'il fit quelque voyage à Rome, ce ne fut que pour s'y montrer rapidement. Il suivait en cela l'exemple de ses derniers prédécesseurs, pour qui leur capitale avait paru devenir indifférente et presque étrangère. Il est donc peu surprenant que l'acharnement des habitants de Rome pour l'idolâtrie ait achevé de détacher Constantin d'une ville qu'il ne se sentait guère porté d'ailleurs à aimer, et l'ait déterminé à se chercher une résidence qui n'offense plus ses yeux par un culte impur, dont il ne pouvait souffrir l'image ; et comme il avait du goût pour la magnificence, il ne se proposa rien moins que de faire une seconde Rome, qui égalât l'ancienne en grandeur et en beauté, ou qui du moins ne lui restât pas beaucoup inférieure.

Si ce dessein était conforme aux vues d'une saine politique, c'est ce que je n'entreprendrai pas de décider. L'empire romain portait en lui-même de grandes semences de divisions intestines ; et c'était visiblement en ajouter une nouvelle que de lui donner deux capitales. Un inconvénient, trop éloigné alors pour être prévu, mais qui devint dans la suite très-réel, regarde le gouvernement ecclésiastique. Les évêques de la nouvelle Rome ne purent se voir sans dépit et sans jalousie soumis aux évêques de l'ancienne. De là naquirent des contestations, des querelles, des ruptures d'abord passagères, et qui enfin ont abouti à un schisme déplorable entre les églises grecque et latine.

C'est à quoi Constantin ne pensait en aucune façon. Occupé de son idée, qu'il croyait même utile au christianisme, il commença à bâtir dans la plaine entre l'ancienne Ilion et la mer, à l'endroit même où les Grecs qui assiégèrent Troie avaient établi leur camp. On ne nous explique point les motifs du choix qu'il avait fait de cet emplacement. Outre la beauté du climat et les avantages de la situation, on peut conjecturer que regardant la Troade comme le berceau de la nation romaine, il ne prétendait qu'exécuter un projet formé autrefois par Jules César, et que l'on soupçonne Auguste d'avoir voulu réaliser[16]. Un intérêt même plus direct et plus personnel pouvait toucher Constantin. Il tirait son origine paternelle de la Dardanie en Europe, où son grand-père Eutropius avait tenu le premier rang ; et lui-même il y avait pris naissance. Or les Dardaniens d'Europe peuvent passer pour une colonie de ceux de Phrygie. Nous avons même observé que quelques fabricateurs de généalogies avaient voulu faire descendre de l'ancien Dardanus Claude Il, premier auteur de l'élévation de la maison régnante. Ainsi Constantin en bâtissant près d'Ilion, élevait un monument qui réunissait l'origine de sa famille et celle de Rome, et qui rafraîchissait les anciens titres de parenté entre l'empereur et la nation. Qui pensera combien les grands et les princes sont communément sensibles à ces sortes de chimères, ne trouvera peut-être pas ma conjecture destituée de vraisemblance.

Ce plan n'eut pas néanmoins son exécution. Déjà on avait jeté les fondements, élevé les murs, construit quelques portes, lorsque Constantin prit le parti de laisser l'ouvrage imparfait, Byzance lui ayant plu davantage avec raison. Il dit dans une loi du code[17] qu'il agit en cette occasion par l'ordre de Dieu. Mais cette expression vague et susceptible de plusieurs sens ne nous portera pas à croire, sur la foi de Sozomène, que Dieu ait averti ce prince en songe de préférer Byzance. Les Grecs postérieurs à la fondation de Constantinople ont été passionnés pour la grandeur et l'éclat de cette ville, et ils ont pris plaisir à en relever la gloire par des miracles. C'est ainsi que Philostorge[18] raconte que, Constantin traçant lui-même l'enceinte de la ville, comme ceux qui marchaient à sa suite trouvaient qu'il en reculait trop les bornes, l'un d'eux lui dit : Seigneur, jusqu'où prétendez-vous aller ? et que Constantin répondit, jusqu'où ira celui qui marche devant moi, comme si un ange l'eût guidé dans cette opération. En écartant ces fables, il nous reste un motif de préférence en faveur de Byzance, savoir l'agrément et les commodités infinies d'une situation la plus belle peut-être qui soit au monde.

Cette ville occupe, comme tout le monde sait, l'entrée du canal par lequel le Pont-Euxin se décharge dans la Propontide. Ainsi elle est à portée de trois, mers, et en état de recevoir également les marchandises de l'Asie et celles de l'Europe. Son port est admirable. Le circuit en est, selon Procope, de quarante stades, ou cinq mille pas. L'ouverture regarde l'Orient, et il est pleinement à l'abri de tous les autres vents, en sorte que les vaisseaux y jouissent d'une parfaite tranquillité dès que le vent d'est ne souffle point. Procope ne met pas même la restriction que nous apposons ici ; et entrant dans une espèce d'enthousiasme, qui diminue un peu le poids de son témoignage, il assure que le bassin qui forme le port jouit d'un calme perpétuel, et n'éprouve jamais aucun trouble. L'agitation des flots, dit-il, semble respecter les bornes qui l'arrêtent à l'entrée, et s'abstenir, comme par respect pour la ville, de se communiquer au-delà. Quand même, ajoute-t-il, la mer serait grosse au dehors, et les vents irrités, dès que les vaisseaux ont touché l'entrée du port, ils avancent sans avoir besoin d'être gouvernés, et abordent sans précaution. Le bassin est port partout ; partout les vaisseaux y sont à flot, et ils approchent tellement de la côte, que pendant qu'ils ont la poupe à l'eau leur proue pose sur la terre, comme si les deux éléments se disputaient la gloire de rendre service à la reine des cités.

En retranchant ce que l'imagination de l'écrivain a ajouté d'embellissements à la chose, il résulte néanmoins de ses expressions que le port de Constantinople est excellent, et cela par le bienfait de la nature ; et c'est principalement cet avantage si précieux qui a donné naissance au conte que l'on a débité dans l'antiquité au sujet des fondateurs de Byzance. On dit que comme ils consultaient l'oracle d'Apollon sur le lieu où ils devaient s'établir, il leur fut répondu qu'ils allassent bâtir vis-à-vis d'une ville d'aveugles. C'étaient les Chalcédoniens qui étaient ainsi désignés, parce qu'étau venus les premiers dans ces contrées, et s'étant trouvés les maîtres de choisir, ils avaient pris le pire. Car il n'y a nulle comparaison entre la situation de Chalcédoine en Asie et celle de Byzance en Europe.

Byzance fut toujours une ville considérable, et il en est souvent fait mention dans l'histoire grecque et dans l'histoire romaine. Nous avons raconté le siège qu'elle soutint contre Sévère, et Constantin lui-même l'avait assiégée dans la guerre contre Licinius. Elle était donc une place importante, mais non pas du premier ordre ; et il fallait qu'un grand prince, en faisant l'objet de sa complaisance, la mît en état de jouir de tous les avantages qu'une heureuse situation pouvait lui procurer.

Constantin en agrandit l'enceinte. L'ancienne Byzance ne remplissait que la pointe du promontoire qui donne sur le canal, et qu'occupe actuellement le sérail du grand-seigneur. Elle était donc toute sur le Pont-Euxin. Constantin en prolongea les murailles de quinze stades pour atteindre jusqu'à l'autre mer, fermant ainsi entièrement le col de l'isthme. Cette enceinte fut encore amplifiée par ses successeurs. On bâtit même dans la mer sur pilotis ; et, par des accroissements rapides, Constantinople devint bientôt ce qu'elle est actuellement, une des plus grandes villes de l'univers.

En même temps que Constantin en élevait les nouveaux murs, il bâtissait les dedans. Il y construisit un magnifique palais pour lui, une place publique environnée de portiques, un cirque ou hippodrome pour les courses de chariots, des fontaines, et tous les édifices nécessaires pour l'embellissement et la commodité d'une capitale. Il bâtit même dans les différents quartiers des belles maisons particulières, dont il fit présent aux illustres personnages de sa cour, afin qu'ils vinssent s'y établir avec leurs familles. Il n'est point de voie qu'il n'employât pour attirer à sa ville chérie un grand nombre d'habitants. Il prodigua les privilèges, les largesses, les distributions journalières de blé, d'huile, de viande. On distribuait par jour dans Constantinople quatre-vingt mille boisseaux de blé, qui y étaient amenés d'Alexandrie : car Constantin délégua la flotte d'Alexandrie pour l'approvisionnement de la nouvelle Rome, ne laissant à l'ancienne que celle d'Afrique. Il avait tellement à cœur de peupler cette ville naissante, qu'il ne se contenta pas de grâces et de faveurs qui en fissent aimer le séjour, il y joignit les peines, et par une loi, assurément très-rigoureuse, il ordonna que les habitants de l'Asie proprement dite et du Pont ne pourraient transmettre leurs possessions en fonds de terre à leurs héritiers, s'ils n'avaient une maison dans Constantinople. Cet assujettissement eut lieu pendant cent ans, jusqu'à ce que la ville jouissant d'une splendeur qui n'avait plus besoin de pareils appuis, Théodose le jeune, par une constitution expresse, abrogea une si dure loi.

Parmi les édifices qui devaient servir à décorer la nouvelle ville, la piété de Constantin n'avait garde d'oublier ceux qui se rapportent au culte de la religion. Ce prince convertit les temples d'idoles qu'il trouva dans l'ancienne Byzance en églises du vrai Dieu ; il amplifia l'église de la Paix[19] ou de sainte Irène, qui subsistait déjà, mais petite et mal ornée ; et il bâtit à neuf celle des apôtres avec une magnificence extraordinaire. Il l'environna de portiques, où il choisit sa sépulture, voulant, dit Eusèbe, participer encore après sa mort aux prières que l'on adresserait aux saints prédicateurs de la foi évangélique, pour lesquels il avait toujours eu une singulière vénération. Il éleva encore plusieurs autres édifices sacrés. Dans le plus beau salon de son palais, au milieu d'un plafond tout doré, il fit représenter en pierres précieuses la croix du Sauveur, qu'il regardait comme sa protection et sa sauvegarde. La croix brillait en plusieurs endroits de la ville.

On y voyait aux fontaines des images du bon pasteur, Daniel dans la fosse aux lions. En un mot, le fondateur de Constantinople en fit une ville toute chrétienne. Si tous les habitants n'abjurèrent pas d'abord leurs vieilles superstitions, au moins le prince y abolit entièrement le culte idolâtrique. On n'y voyait ni simulacres des faux dieux honorés dans des temples, ni autels ruisselants de sang, ni victimes consumées par le feu, ni aucune fête païenne. Jamais Constantinople ne fut souillée de ce rit impur, si ce n'est pendant le peu de temps que Julien régna.

Cette attention de Constantin à purger sa nouvelle ville de tout vestige d'idolâtrie, fortifie beaucoup ce que nous avons dit d'après Zosime touchant le principal motif qui dégoûta de Rome ce prince religieux.

Il voulut même que les vains et frivoles objets de la superstition ancienne vinssent relever le triomphe du christianisme. Il transporta à Constantinople plusieurs statues de fausses divinités, mais dont il changeait la forme aussi bien que l'usage. Zosime, en zélé païen, déplore une Cybèle défigurée par l'ordre du prince, les images de Castor et de Pollux tirées de leur temple détruit, et employées à l'ornement de l'hippodrome, aussi bien que les trépieds de Delphes. Eusèbe parle d'Apollon Pythien, d'Apollon Sminthien, exposés dans Constantinople, non plus au culte, mais à la risée des peuples. C'est ce qui a donné lieu de dire que Constantin avait dépouillé toutes les villes de l'empire pour orner celle qui était son ouvrage ; et il est assez singulier que saint Jérôme dans sa chronique ait adopté cette expression.

Le dessein du prince était d'égaler en tout sa ville à l'ancienne Rome ; et pour cela aux avantages qui ne regardent que le matériel il joignit les droits et les privilèges honorifiques. Il voulut que les habitants de Constantinople jouissent des mêmes exemptions et immunités que ceux de Rome ; au lieu que Byzance, ville grecque, s'était jusqu'alors gouvernée par ses lois, il y substitua le droit civil romain, par lequel il ordonna que fussent décidées toutes les affaires ; la police générale de la ville, la magistrature, les tribunaux, tout fut réglé sur ce qui se pratiquait à Rome ; enfin Constantinople eut un sénat que son auteur revêtit des mêmes titres et des mêmes honneurs que le sénat de Rome, mais qui n'atteignit pourtant jamais à la même splendeur. Dans la suite, lorsque le partage en empire d'Orient et en empire d'Occident fut bien établi, le consulat fut aussi partagé entre les deux villes impériales. Rome fournissait un consul, et rende était tiré de Constantinople.

La grandeur de Constantinople, telle que je l'ai représentée dans la courte description que je viens d'en donner, fut l'ouvrage d'un grand nombre d'années et de plusieurs princes. Mais tout ce qui put en être exécuté dans le temps de sa fondation, fut poussé avec une extrême diligence. Les fondements de la muraille qui devait fermer la ville du côté des terres avaient été posés en l'année 328 peut-être déjà fort avancée ; et la ville fut dédiée solennellement le lundi 11 mai 330. Constantin, suivant la méthode des princes, voulait jouir ; mais il ne put pas forcer les lois de la nature. Ses édifices trop hâtés manquaient de solidité ; et l'église des apôtres vingt ans après sa construction avait déjà besoin d'être réparée.

La cérémonie de la dédicace fut tout à la fois religieuse et civile. Eusèbe dit que Constantin, par les églises qu'il bâtissait dans Constantinople, en même temps qu'il honorait la mémoire des martyrs, consacrait sa ville au dieu des martyrs. C'est ce qui fut solennellement accompli dans la fête de la dédicace ; et les réjouissances publiques marchèrent à la suite. Le prince donna à cette même occasion des jeux de cirque, et fit distribuer des vivres au peuple. La mémoire de ce grand jour fut célébré à perpétuité, et dans l'église par un office, et dans la ville par des courses de chariots et par la cessation de toute procédure judiciaire.

Ce fut sans doute dans la solennité de la dédicace que Constantin changea l'ancien nom de Byzance, et lui donna le sien, l'appelant la ville de Constantin, Κονσαντινου πολις, d'où nous avons fait Constantinople. Il voulut aussi qu'elle fût nommée la nouvelle ou la seconde Rome, et il en fit une loi expresse, qui fut gravée sur une colonne de pierre, que l'on dressa dans un des lieux les plus apparents de la ville, à côté de sa statue équestre.

J'ai tracé jusqu'ici la suite des agrandissements de Constantin, depuis le premier degré de son élévation jusqu'au faite de la puissance où il parvint par ses vertus et par la protection divine. Ce prince ne fut pas seulement guerrier, il réunit en lui toutes les qualités qui convenaient à son rang sublime. Il fut sage législateur ; il fut zélé pour la propagation du christianisme et pour la destruction de l'idolâtrie. C'est sous ces différents points de vue que je dois le peindre maintenant.

 

 

 



[1] L'expression originale semblerait dire que Maximien Hercule s'opposa au dessein de son fils. Mais des écrivains tels qu'Aurélius Victor ne doivent pas être suivis aveuglément. Prenons de lui ce qui est probable, et croyons sans peine que Maximien fut consulté. Dès que ce premier fait est admis, on ne peut pas douter qu'un prince aussi ambitieux n'ait exhorté et aidé Maxence à revendiquer l'empire, dans l'espérance et dans la vue d'y revenir lui-même, comme il arriva.

[2] C'est ainsi que je concilie les témoignages différents des auteurs qui attribuent les uns à Constance Chlore, les autres à Constantin, la cessation de la persécution dans les provinces d'Occident.

[3] Ce peuple habitait près de l'Ems.

[4] VIRGILE, Bucoliques, Eglogue I.

[5] EUMÈNE, Panégyrique de Constantin Auguste.

[6] EUSÈBE, Histoire ecclésiastique, VIII, 16. LACTANCE, 33.

[7] Si ce lac a été mis à sec par Galérius, il a repris depuis sa première forme. On l'appelle aujourd'hui Neusidlerzée, entre les villes de Vienne et de Rab.

[8] EUSÈBE, Histoire ecclésiastique, VIII, 14, et De vita Const., I, 33-34.

[9] Eusèbe ne nomme point cette dame. C'est de Rufin que nous apprenons son nom.

[10] NASARIUS, Panégyrique de Constantin Auguste.

[11] Le texte porte Maximien. Mais je ne doute point que l'on ne doive entendre Maximien Galérius, et non Maximien Hercule, que Maximin ne pouvait pas nommer son père.

[12] EUSÈBE, Histoire ecclésiastique, VIII, 26.

[13] Le titre de cette charge était magister officiorum. On entendait par officia tous les ministères qui se rapportaient an service du prince, même dans le militaire. Ainsi cet officier, outre l'inspection sur l'intérieur du palais, avait ainsi le commandement des différents corps destinés à la garde de l'empereur. Son autorité s'étendait oléine sur les troupes des frontières et sur ceux qui les commandaient. Comme il n'existe point en France de charge pareille, note ; n'avons point de terme pour l'exprimer. J'ai employé un titre qui en approche, et qui y a quelque rapport.

[14] EUSÈBE, De vita Const., II, 33.

[15] La Dardanie, à laquelle appartenait proprement la ville de Naïsse, faillait partie de la Mésie.

[16] Il est très-probable que c'est ce soupçon qui fournit à Horace l'idée de l'ode 3 du 3° livre, Justum et tenacem.

[17] Code Théodosien, lib. XIII, tit. V, l. 7.

[18] PHILOSTORGE, III, 9.

[19] Irène est un mot grec είρήνη qui signifie la paix. C'est aussi le nom d'une illustre martyre qui souffrit la mort à Thessalonique pour J.-C. dans la seconde année de la persécution de Dioclétien. Rien ne détermine ici clairement à l'un de ces sens plutôt qu'à l'autre.