FASTES DU RÈGNE DE TACITE. AURELIANUS AUGUSTUS IV. - ..... MARCELLUNUS. AN R.1026. DE J.-C. 275.M. Claudius Tacitus, élu empereur par le sénat le vingt-sept septembre, donne de grandes marques de considération et de déférence pour cette compagnie, qui en conséquence se relève et reprend une partie de son ancien éclat. Il fait plusieurs sages règlements : prince modéré, amateur de la simplicité, estimant et cultivant les lettres. Il témoigne un grand zèle pour la conservation des ouvrages de Tacite l'historien, duquel il se disait descendu. Il va se mettre à la tête des armées de Thrace. Il punit les principaux auteurs du meurtre d'Aurélien. M. CLAUDIUS TACITUS AUGUSTUS II. - ..... ÆMILIANUS. AN R.1027. DE J.-C. 276.Il passe en Asie, et il en chasse les Scythes ou Goths, qui s'y étaient répandus. Maximin son parent, qu'il avait fait gouverneur de Syrie, ayant irrité les troupes par sa dureté et sa violence, est tué ; et les auteurs de sa mort, s'étant associé ceux qui restaient de la conspiration contre Aurélien, tuent Tacite lui-même. Il périt, dans les premiers jours d'avril, à Tyane en Cappadoce, ou à Tarse en Cilicie. Tacite, ayant été élu empereur par le sénat, je viens de le raconter, se proposa, par reconnaissance, par amour du bien public, de relever l'autorité de cette sage compagnie, à laquelle il était redevable de l'empire. Ce sont les sentiments qu'il témoigna dans le premier discours qu'il fit au sénat. Sénateurs, dit-il, ainsi puissé-je gouverner l'état d'une manière qui réponde à l'honneur d'avoir été élu par vous, comme il est vrai que je suis résolu de suivre vos avis, et de me conduire par votre autorité. C'est à vous d'ordonner ; et je me charge du soin d'exécuter. L'empereur voulut en effet que le sénat se regardât comme jouissant du pouvoir suprême, comme arbitre de la paix et de la guerre, donnant des lois aux nations, recevant les ambassades des rois barbares. Le sénat fut rétabli dans le droit de nommer les proconsuls de toutes les provinces du peuple : droit qui lui appartenait par l'institution d'Auguste, et dont. souvent les empereurs s'étaient emparés. Il fut dit que les appellations des jugements des proconsuls ressortiraient au tribunal du préfet de la ville, dont le pouvoir était subordonné à celui du sénat. En un mot, cette compagnie recouvra toute la splendeur et toute l'autorité dont elle eût jamais joui sous les princes qui lui avaient le plus déféré. La joie des sénateurs fut extrême. On ordonna des actions de grâces aux dieux ; on leur promit des hécatombes ; chacun en particulier immola des victimes, et donna des repas somptueux. Le sénat en corps annonça l'heureux changement par des lettres adressées à toutes les grandes villes de l'empire : au sénat de Carthage, à ceux de Trèves, d'Antioche, d'Aquilée, de Milan, d'Alexandrie, de Thessalonique, de Corinthe et d'Athènes ; et plusieurs des membres de la compagnie en écrivirent à leurs parents et amis avec des transports d'allégresse. Vopiscus nous a conservé quatre de ces lettres, dans lesquelles voici les traits qui me paraissent les plus remarquables. Le, sénat termine celle qu'il envoie au sénat de Carthage par cette observation. Le changement que nous vous annonçons par rapport à nous, vous en promet un pareil par rapport à vous-mêmes ; car la première compagnie de l'état ne recouvre ses droits que pour conserver ceux des autres. Claudius Capellianus sénateur, en écrivant à son oncle, débute par exprimer sa joie et la joie publique, et il l'invite à venir y prendre part. Ensuite, il ajoute : Puisque nous avons commencé à nommer les empereurs, nous pouvons bien donner J'exclusion à ceux qui seraient nommés par d'autres. Un homme sage tel que vous entend à demi-mot. On voit que ce sénateur, suivant le caractère de l'esprit humain, faisait déjà des projets pour l'avenir ; et flatté d'une prospérité présente il l'étendait et l'agrandissait en espérance. Il ne faisait pas réflexion que le sénat ne devait le libre exercice de son droit qu'à la modération de l'armée, et que la modération n'est pas une qualité permanente dans les hommes, surtout lorsqu'ils ont la force en main. Si les sénateurs eussent pensé sérieusement à prendre des mesures pour rendre solide et durable l'éclat où ils se voyaient rétablis, c'était là le moment de faire révoquer l'ordonnance de Gallien qui leur interdisait le service militaire. On peut croire avec beaucoup de vraisemblance que, si les commandants et tous les principaux officiers de chaque armée avaient été tirés comme autrefois du corps du sénat, il ne leur aurait pas été extrêmement difficile de faire revivre parmi les troupes le respect pour l'ordre auguste qui était en possession du premier rang dans l'état. L'occasion était belle : ils la manquèrent, et elle ne revint plus. Les armées reprirent le droit de nommer les empereurs ; et le sénat, concentré dans les fonctions de détail de la police civile, n'influa plus que faiblement dans les affaires générales de l'état ; et loin de conserver sur les gens de guerre l'autorité qui lui était due, il en reçut au contraire la loi. Cet effet n'est pas étonnant, s'il est vrai, comme nous l'avons déjà observé d'après Aurélius Victor, que les sénateurs eussent pris goût pour la mollesse, qu'ils se fussent accoutumés à jouir paisiblement et sans embarras de leurs richesses, de leurs plaisirs, de leurs maisons de campagne. Avec de pareilles dispositions on ne peut manquer de s'avilir. L'empereur Tacite, dès sa première harangue au sénat, montra son zèle pour le bon ordre et pour la bonne administration des affaires publiques. Après s'être acquitté du tribut d'honneurs qu'il devait à la mémoire de son prédécesseur, en lui décernant une statue d'or dans le Capitole, et des statues d'argent dans le lieu des assemblées du sénat, dans le temple du Soleil et dans la place de Trajan, il proposa et fit passer une ordonnance qui défendait, sous peine de mort et de confiscation des biens, l'altération des métaux par l'alliage des matières étrangères. Les fraudes des monnayeurs sous Aurélien rendaient nécessaire cette sévérité. Il fit encore, ou plutôt il renouvela un autre régie-ment très-favorable à la tranquillité des citoyens. Il déclara qu'à l'avenir il ne serait jamais permis d'interroger les esclaves dans les causes criminelles de leurs maîtres, même lorsqu'il s'agirait d'accusation de lèse-majesté. C'était l'ancien droit, auquel nous avons vu comment Auguste et Tibère portèrent diverses atteintes. Sévère y avait dérogé par une constitution expresse dans le cas de lèse-majesté, et dans quelques autres. Tacite, en le rétablissant dans toute son étendue, se conciliait l'affection publique ; et tous les maîtres devaient être charmés de n'avoir plus à craindre.de voir leur fortune, et même quelquefois leur vie, dépendre du témoignage de leurs esclaves. Dans le même discours Tacite voulut, en honorant la mémoire des bons princes, attester la résolution où il était de les prendre pour modèles. Il ordonna que l'on construisît dans Rome un temple, qui serait appelé le temple des Empereurs divinisés ; que l'on y plaçât les statues des bons princes, et qu'on leur offrît des libations au jour anniversaire de leur naissance, et en quelques autres jours de l'année. Il est hors de doute que Tacite n'égalait pas le nombre des bons empereurs à celui des empereurs divinisés, parmi lesquels il s'en trouvait plusieurs qui méritaient à peine le nom d'hommes. En réduisant le titre de bons princes à ceux qui en étaient réellement dignes, le nombre n'en devenait pas grand ; et un bouffon de ce temps-là avait raison de dire qu'on pouvait les graver tous sur la pierre d'une bague. Toutes ces premières démarches de Tacite n'avaient rien qui ne parût louable au sénat ; mais il en ajouta une qui fit voir qu'il n'avait pas profité de l'avis que lui avait donné Falconius de se détacher de sa famille. Il demanda le consulat pour Forianus son frère, qui semble avoir été un homme de peu de mérite dont l'ambition passait les talents. Le sénat refusa nettement de le nommer consul, alléguant qu'il ne restait point de place vacante. L'empereur, dont la modération faisait le caractère, témoigna être content de la liberté dont usait le sénat à son égard. Ils savent, dit-il, quel est le prince qu'ils ont mis en place. Pour s'affermir dans la possession du trône, il était bon que Tacite allât promptement montrer aux armées d'Illyrie et de Thrace l'empereur à l'élection duquel leur modération avait donné lieu. D'ailleurs les provinces de l'Asie mineure, infestées de nouveau par les ravages des Barbares, imploraient sa présence et son secours. Il ne peut donc pas être demeuré longtemps à Rome depuis qu'il eut été élu ; et néanmoins le séjour qu'il y fit est marqué par plusieurs ordonnances qui donnent une idée avantageuse de ses principes de gouvernement. Il défendit les lieux de débauche dans la ville ; mais la corruption des mœurs, plus forte que toutes les lois, ne permit pas que cette réforme fût de durée. Il ordonna que les bains publics fussent fermés au coucher du soleil, pour prévenir les attroupements séditieux que la nuit pourrait favoriser. Il interdit aux hommes l'usage des étoffes toutes de soie, comme aussi des bandes de drap d'or sur les tuniques. Il eût voulu proscrire absolument toutes les dorures, et c'était lui qui en avait inspiré la pensée à Aurélien. Apparemment la difficulté de réussir empêcha ces deux princes de porter une loi qui n'aurait pas été exécutée. Tacite aimait la simplicité, et il en donnait l'exemple. Il ne souffrait point que sa femme portât des pierreries ; lui-même il se servit des mêmes habillements, particulier et empereur. Rien n'était plus frugal que sa table : la propreté et l'élégance lui suffisaient. Il était curieux et entendu en bâtiments, connaisseur en marbres, ayant du goût pour les ornements de verre dont les anciens paraient leurs maisons ; il se plaisait aussi à la chasse. Mais il n'est point dit que pour tous ces objets il ait fuit aucune dépense qui pat paraître excessive. Avec cette simplicité pour lui-même, il montra de la libéralité et de la magnificence par rapport au public, préférant néanmoins les bienfaits durables aux largesses passagères ; car, pendant six mois qu'il régna, à peine peut-on citer de lui une seule de ces distributions de vin et de viande usitées chez les Romains. Mais il fit abattre sa maison, pour construire en la place à ses frais des bains à l'usagé des citoyens. Il donna à la ville d'Ostie cent colonnes de marbre de Numidie, de la hauteur de vingt-trois pieds. Il céda au temple du Capitole, pour l'entretien et les réparations des bâtiments, les biens qu'il possédait en Mauritanie. Il consacra aux repas de religion qui se célébraient dans les temples, tout ce qu'il avait étant particulier d'argenterie dans son buffet. Il employa à payer ce qui était dû aux soldats les sommes d'argent qui se trouvèrent dans ses coffres lorsqu'il fut élu empereur. Mais j'ai peine à croire qu'il ait abandonné à la république son patrimoine, qui était immense, et dont le revenu si nous en croyons Vopiscus, montait à trente-cinq millions. Car si l'empire ne se perpétuait pas dans sa famille, comme il pouvait aisément le craindre, que devenaient ses héritiers ? La générosité de Tacite se fit aussi sentir à ses esclaves. Parmi ceux qu'il avait pour le servir dans la ville, il en affranchit cent ; et s'il n'alla pas au-delà de ce nombre, c'est qu'une ancienne loi[1] défendait de le passer. J'ai déjà dit qu'il estimait les lettres, et même qu'il s'y était rendu habile. Pour les cultiver, comme sa journée était trop remplie par les affaires, il prenait sur les nuits ; et il n'en passa jamais aucune sans en donner quelque partie à lire ou à écrire. La littérature ne l'avait cependant pas guéri de la superstition. Il s'abstenait de toute étude le second jour de chaque mois, qui était marqué comme malheureux dans les calendriers romains. Nous devons lui savoir gré de son zèle pour nous conserver les écrits de Tacite l'historien, quoiqu'il n'ait pas été aussi heureux que nous le souhaiterions. Ce prince ordonna que toutes les bibliothèques s'en fournissent, et que dans le dépôt des archives de l'empire on en transcrivît tous les ans dix exemplaires pour être distribués dans les bibliothèques. De si particulières attentions n'ont.pas empêché que nous n'ayons perdu la plus grande partie des ouvrages.de cet incomparable historien. Voilà ce que les anciens monuments nous apprennent de plus intéressant au sujet de l'empereur. Tacite jusqu'à son départ de Rome pour, aller, se mettre à la tête des troupes qui étaient en Thrace. Lorsqu'il fut arrivé dans le camp, il semble qu'il lui ait fallu une nouvelle prise de possession. L'armée s'assembla, et ce fut Mæcius Gallicanus, préfet du prétoire, qui ouvrit la séance par un petit discours, dans lequel il annonça aux soldats que le sénat leur avait donné l'empereur qu'ils avaient demandé, et que cette illustre compagnie avait déféré aux sentiments et aux désirs de gens de guerre. Après quoi il les invita à écouter l'empereur lui-même. Tacite prit la parole, et comme le préfet du prétoire il attribua aux soldats la première et principale part dans son élection. Je me fais honneur, leur dit-il, d'avoir été choisi premièrement par vous, justes estimateurs des princes, et ensuite par les suffrages unanimes du sénat. Je m'efforcerai, et je ferai en sorte, s'il ne m'est pas donné de vous animer par des exemples d'actions de vigueur, au moins de vous conduire par des conseils dignes de vous et dignes d'un empereur romain. Après ce discours, il leur promit les largesses accoutumées dans le cas où il se trouvait. Il devait à la mémoire d'Aurélien, et à sa propre sûreté, la punition de l'attentat commis en la personne de ce grand prince. Il fit périr dans les tourments les principaux coupables, et surtout Mucapor qui l'avait tué de sa main. Ceux qu'il épargna, soit pour ne les avoir pas connus, soit par une indulgence mal entendue, lui donnèrent bientôt lieu de s'en repentir. Tacite, reconnu paisiblement de tout l'empire, se mit en devoir de le venger des insultes des Barbares. Il était temps que les Romains sortissent de l'inaction où la mort d'Aurélien et la longue vacance du trône les avaient contraints de rester. Les Gaules d'une part, l'Asie mineure de l'autre, étaient attaquées par des ennemis dont les défaites réitérées ne pouvaient ni lasser l'audace, ni épuiser la multitude. Tacite se porta du côté de l'Asie, dont le besoin apparemment était plus pressant. Une nuée de Scythes ou Goths partis des environs des Palus Méotides s'était répandue dans le Pont, dans la Cappadoce, dans la Galatie et dans la Cilicie. Quelques-uns d'eux prétendaient avoir été appelés par Aurélien, pour lui donner du secours dans la guerre qu'il préparait contre les Perses. Tacite, joignant la prudence à la force, vint à bout de renvoyer tous ces Barbares dans leurs tristes demeures. II partagea ses troupes, prit le commandement de la principale armée, et donna l'autre à Florien son frère, qu'il avait fait préfet du prétoire. Tous deux ils remportèrent des avantages signalés sur les ennemis, en tuèrent tin grand nombre, chassèrent les autres, et rétablirent la tranquillité et la sûreté dans les provinces de l'Asie. Un si heureux succès ne coûta pas beaucoup de peine ni de temps : il doit tomber sous les premiers mois de l'année de J.-C. 276, dans laquelle Tacite prit un second consulat. Ce prince vainqueur songeait à repasser en Europe. Il fut prévenu par une conspiration qui lui fit perdre l'empire avec la vie. Il paraît qu'il y avait fourni occasion, en écoutant plus une affection inconsidérée pour sa famille que les maximes du bien public. Il avait fait gouverneur de Syrie un de ses parents, nommé Maximin, le subordonnant néanmoins selon les apparences à Probus, qui était, comme nous le dirons bientôt, commandant général de tout l'Orient. Maximin, homme violent et emporté, maltraitant et les officiers et les soldats qui lui étaient soumis, les irrita contre lui au point qu'ils se délivrèrent de sa tyrannie en le tuant. Les auteurs de ce meurtre craignirent d'en être punis ; et s'étant ligués avec ceux qui restaient de la conjuration contre Aurélien, ils se ménagèrent une occasion favorable d'attaquer l'empereur lui-même, et le tuèrent. Ainsi périt, après deux cents jours de règne, un prince que sa sagesse semblait devoir garantir d'une fin tragique. L'histoire ne lui reproche qu'un trop grand désir d'avancer sa famille : faible assez ordinaire aux vieillards, sur qui leurs proches prennent aisément l'ascendant. Il fut tué dans les premiers jours d'avril, quelques-uns disent à Tyane en Cappadoce, les autres à Tarse en Cilicie. Sa postérité subsista après lui, mais dans la condition privée. Nous en dirons un mot, en parlant sous le règne suivant de la mort de Florien son frère. |