HISTOIRE DES EMPEREURS ROMAINS

 

DE PHILIPPE À GALLIEN

LIVRE UNIQUE

§ V. Valérien.

 

 

FASTES DU RÈGNE DE VALÉRIEN.

 

C. VOLUSIANUS AUGUSTUS II. - ..... MAXIMUS. AN R. 1004. DE J.-C. 253.

Valérien, proclamé empereur par les soldats, est reconnu par le sénat qui défère à Gallien sou fils le titre de César : Valérien lui donne celui d'Auguste.

P. LICINIUS VALERIANUS II, AUGG. - P. LICINIUS GALLIENUS, AUGG. AN R. 1005. DE J.-C. 254.

L'emplit était alors attaqué de tous côtés par les Barbares.

Valérien envoie Gallien son fils dans les Gaules en lui donnant Postume pour adjoint et pour modérateur, et il se charge lui-même de défendre les pays qui sont à l'orient de l'Italie.

Quelques-uns placent en ce temps-ci l'exploit d'Aurélien contre' les Francs que nous avons rapporté au règne de Gordien III.

P. LICINIUS VALERIANUS III, AUGG. - P. LICINIUS GALLIENUS II, AUGG. AN. R. 1006. DE J.-C. 255.

Nous trouvons sous cette année un Valérien César qui paraît avoir été le second fils de l'empereur.

..... MAXIMUS. - ..... GLABRIO. AN R. 1007. DE J.-C. 256.

Victoire sur les Germains, d'où Gallien prit le titre de Germanicus Maximus. Cette victoire peut avoir été remportée par le ministère d'Aurélien depuis empereur.

Gallien traite avec un des princes germains qui s'engage à empêcher ses compatriotes de passer le Rhin.

S'il y a quelque chose de vrai dans ce que dit Zonaras d'une victoire remportée par Gallien près de Milan avec dix mille hommes sur trois cent mille Allemands, on peut rapporter cet événement à ce temps-ci, ou, plus vraisemblablement peut-être, à la première année dans laquelle Gallien jouit seul de la souveraine puissance.

P. LICINIUS VALERIANUS IV, AUGG. - P. LICINIUS GALLIENUS III, AUGG. AN R. 1008. DE J.-C. 257.

Valérien, qui avait d'abord favorisé les chrétiens, commence cette année à les persécuter, y étant engagé par Macrien. Cette persécution, qui est la huitième, dura jusqu'à la fin du règne de Valérien.

Il conduit par ses ordres la guerre contre les Goths qui ravageaient l'Illyrie et la Thrace. Claude et Aurélien, qui furent depuis empereurs, se signalèrent dans cette guerre. Probus alors fort jeune y acquis aussi beaucoup de gloire, quoique dans des postes subalternes.

MEMMIUS TUSCUS. - ..... BASSUS. AN R. 1009. DE J.-C. 258.

Valérien à Byzance.

Aurélien, adopté par Ulpius Crinitus, fut consul avec lui pendant une partie de cette année. Leur consulat commença le a mai.

Les Perses, sollicités par Cyriade transfuge, entrent en Mésopotamie, prennent Nisibe et Carres, pénètrent dans la Syrie, et se rendent maîtres d'Antioche qu'ils pillent et saccagent.

Cyriade prend les titres de César et d'Auguste. Courses des Scythes Borans, qui s'emparent de Trébizonde.

Martyres de saint Sixte pape, de saint Laurent, de saint Cyprien.

ÆMILIANUS. - ..... BASSUS. AN R. 1010. DE J.-C. 259.

Cyriade périt après avoir régné un an dans la Syrie.

Valérien à Antioche. Il rétablit cette ville.

La Bithynie ravagée par des peuples scythes. Valérien se met en mouvement pour les chasser ; mais ils étaient déjà retirés lorsqu'il arriva en Cappadoce. Il retourne à Antioche.

Valérien, fils aîné de Gallien, est fait César.

..... SECULARIS. - ..... DONATUS. AN R. 1011. DE J.-C. 260.

Valérien est défait par Sapor en Mésopotamie, et ensuite fait prisonnier dans une entrevue avec son vainqueur.

Sa captivité fut longue et surchargée des opprobres les plus ignominieux.

TYRAN sous le règne de Valérien.

CYRIADE en Syrie.

 

Jamais prince n'est monté sur le trôné avec une plus belle réputation que Valérien, ni avec des applaudissements plus sincères et plus universels de la part de tous les ordres de l'état. Né d'une illustre origine, éprouvé par tous les emplois civils et militaires, en ayant soutenu le poids avec dignité, il était parvenu au plus haut point de considération et d'éclat où pût aspirer un particulier. Consulaire, tenant le premier rang entre tous les sénateurs, député des Gordiens élus empereurs en Afrique vers le sénat, rien n'est surtout plus honorable pour lui que la manière dont il fut nommé censeur.

L'autorité de la censure, depuis l'établissement de la puissance impériale, y avait presque toujours été réunie. Paulus et Plancus sont les deux derniers particuliers qui l'aient gérée ensemble, vingt-deux ans avant l'ère commune de J.-C., Auguste étant déjà en paisible possession de l'empire. Claude s'associa Vitellius au titre et au pouvoir de censeur. Depuis ce temps les empereurs s'étaient constamment réservé l'exercice de cette charge, quoiqu'ils n'en prissent pas ordinairement le titre. Dèce, apparemment par zèle pour la réforme des mœurs, voulut confier ce soin à un particulier qui pût s'y livrer tout entier, n'ayant point d'autre objet ; et il ne craignit point de distraire de la puissance impériale une si importante fonction. Étant en Illyrie, occupé de la guerre contre les Goths, il écrivit au sénat pour lui ordonner de nommer un censeur.

Aussitôt que le préteur qui en l'absence des deux Dèces empereurs, et actuellement consuls, présidait à l'assemblée, eut fait lecture des ordres qu'il avait reçus, il ne fut pas besoin de délibération : le vœu unanime se décida tout d'un coup pour Valérien. De toutes parts on s'écriait : La vie de Valérien est une censure perpétuelle ; c'est à lui, qui est le meilleur de tous, qu'il appartient de juger de tous. Valérien dès son enfance a été un censeur respectable par l'intégrité de sa conduite : sénateur sage, modeste, plein de gravité, ami des bons, ennemi des tyrans, faisant la guerre aux vices. C'est lui que nous voulons avoir pour censeur ; c'est lui que nous nous proposons d'imiter. Plus illustre par son mérite que par la noblesse de son sang, il montre en lui l'innocence des mœurs, l'éminence de la doctrine. C'est un exemple unique : il fait revivre en sa personne la vénérable antiquité. Ces acclamations souvent répétées se terminèrent par la déclaration du consentement général. Nous sommes tous de cet avis, s'écria-t-on : et c'est ainsi que se forma le décret du sénat.

Valérien était alors à l'armée. Dèce le manda, aussitôt qu'il eut reçu le sénatus-consulte, et en présence des premiers de sa cour qu'il avait assemblés, il lui notifia son élection, en lui détaillant en même temps toute l'étendue des pouvoirs de sa charge : Valérien, lui dit-il, vous avez lieu de vous féliciter d'être honoré comme vous l'êtes par les suffrages du sénat, ou plutôt d'en posséder toute l'estime toute l'affection, tous les cœurs. Recevez l'autorité de la censure, que vous êtes seul capable d'exercer dignement, et que vous défère la république romaine sur tous ses membres, pour juger de leur conduite. Vous déciderez qui sont ceux qui méritent de conserver ou d'acquérir le rang de sénateurs ; vous rendrez à l'ordre des chevaliers son ancienne splendeur ; vous prendrez connaissance des revenus publics, et vous en ferez les baux ; les gens de guerre seront soumis à votre inspection ; vous jugerez les juges mêmes, les officiers de notre palais, ceux qui occupent les premières places de l'état. En un mot, excepté le préfet de la ville, les consuls en charge, le roi des sacrifices, et la première vestale, pourvu qu'elle soit fidèle à conserver son honneur, tous les ordres et tous les particuliers seront sujets à votre animadversion : et ceux mêmes qui en seront exempts ne laisseront pas de se faire un devoir de vous plaire.

Valérien, loin d'être ébloui d'un honneur si brillant, et qui lui était déféré d'une façon si flatteuse, n'en sentit que le poids, et s'excusa de l'accepter. Grand et vénérable empereur, dit-il, ne me forcez point à me charger d'un fardeau qui ne convient qu'à votre auguste place. La censure est une fonction impériale qu'un particulier ne peut remplir. Pour moi surtout, je sens que tout me manque, et les forces et la confiance. Je ne sais même si les circonstances n'y répugnent pas : et dans l'état où je vois le genre humain, je ne le crois pas susceptible de réforme.

Ici notre auteur nous laisse, sans nous apprendre[1] si les excuses de Valérien furent reçues, ou si Dèce le contraignit de se charger de la censure. Ce qui est clair par la suite des faits, c'est que supposé que Valérien ait été censeur, il ne peut pas avoir fait grand exercice de son pouvoir. Dèce périt peu de temps après : et une censure sévère aurait été bien déplacée sous Gallus, qui se livra à la mollesse et à la nonchalance.

Tel était Valérien lorsqu'il fut élevé à l'empire. Le sénat, le peuple, les provinces, approuvèrent avec empressement le choix des soldats : et si l'on eût donné à chacun la liberté de nommer un empereur, il n'était personne dont le suffrage ne lui fût assuré. Cependant ce mérite si universellement estimé se trouva au-dessous de sa place. Valérien, ayant brillé dans les emplois inférieurs, ne fut pas capable de soutenir le rang suprême : et l'on peut lui faire avec une justesse parfaite l'application de ce que Tacite[2] a dit de Galba, qu'il parut au-dessus de la condition privée, tant qu'il fut simple particulier ; et qu'il aurait été d'un consentement unanime jugé digne de l'empire, s'il n'eût jamais été empereur.

Si la probité suffisait pour gouverner une vaste monarchie, Valérien eût été sans doute un grand prince. Il avait de la simplicité dans les mœurs, de la droiture, de la franchise ; il aimait la justice ; il évitait de fouler les peuples ; il écoutait volontiers les bons conseils, et il en faisait honneur à ceux de qui il les avait reçus. Ils possédaient même une qualité bien importante dans un souverain, il aimait à placer le mérite : et l'on remarque qu'un grand nombre des officiers de guerre qu'il employa dans des commandements importants, ou devinrent empereurs, ou ayant usurpé la souveraine puissance, s'y conduisirent de manière que l'on ne pouvait blâmer en eux que l'illégitimité des voies par lesquelles ils s'y étaient élevés.

Voilà des parties tout-à-fait louables ; mais l'art de gouverner exige de plus des talents qui manquaient à Valérien : la supériorité des vues, la fermeté du courage, l'activité dans l'exécution, la connaissance des profondeurs du cœur humain, et une sage défiance contre les pièges que tend la méchanceté. Valérien était un esprit borné, mou, lent, crédule : et en conséquence de ces défauts, son règne ne fut qu'un tissu de malheurs, et se termina enfin par la plus ignominieuse catastrophe.

Il est vrai que l'empire était dans une situation déplorable lorsque Valérien en prit les rênes. Les divisions intestines des Romains, ces déplacements continuels d'empereurs qui tombaient les uns sur les autres, les frontières dégarnies par la nécessité où se mettaient les armées de faire reconnaître dans Rome les princes qu'elles avaient choisis, les soins que ces princes eux-mêmes étaient obligés de prendre pour établir leur autorité naissante, et prévenir s'ils eussent pu les révoltes ; tant de causes réunies affaiblissaient prodigieusement l'état, et l'exposaient en proie à l'étranger. Les Germains se faisaient craindre sur le Rhin ; les Goths, les Burgundes, les Carpiens, sur le Danube ; d'autres peuples scythiques couraient et ravageaient l'Asie ; les Perses attaquaient les provinces de l'Orient. L'étendue immense de l'empire semblait ne donner que plus de prise aux guerres et aux ennemis. Dans la suite Claude H, Aurélien, Probus, triomphèrent d'obstacles et de dangers tout pareils, ou même plus grands. Mais la supériorité de leur génie leur fit trouver des ressources que le faible Valérien ne sut ni découvrir ni employer.

En même temps que Valérien avait été reconnu par le sénat, son fils Gallien, qui était à Rome, fut aussi déclaré César. Valérien le fit Auguste, et il égala ainsi à sa personne et à son rang un fils âgé de dix-huit à vingt ans, et qui, sans manquer d'esprit, avait le plus mauvais cœur et le plus bas dont l'histoire fasse mention. Comme la famille de Valérien a été très-nombreuse, je crois que pour jeter de la clarté sur ce que nous aurons à dire dans la suite, il est à propos d'en tracer ici le tableau.

Valérien, nommé dans les inscriptions P. Licinius Valérianus, fut marié deux fois. De son premier mariage il eut P. Licinius Galliénus, que nous nommons simplement Gallien, nom emprunté de l'aïeul maternel de ce prince, qui fut un homme illustre dans la république. Valérien prit une seconde alliance avec Mariniana, que l'on ne connaît que par les médailles qui attestent son apothéose. De Valérien et de Mariniana naquirent deux fils, qui furent tous deux Augustes, Valérien le jeune et Égnatius[3]. Ces princes eurent des enfants qui ne sont pas connus dans l'histoire. Gallien épousa Salonine, et il en eut au moins deux fils, tous deux portant entre autres noms celui de Saloninus, tous deux décorés du titre de César. Nous appelons l'un Valérien, et l'autre Salonin.

L'empereur Valérien, se voyant sur un trône attaqué de toutes parts, prit des mesures pour faire face ns, lui à tous ses ennemis. Il envoya Gallien son fils dans les Gaules pour s'opposer aux Germains, et lui-même il se chargea d'aller chasser les peuples scythiques qui désolaient l'Illyrie et l'Asie.

Gallien était bien jeune pour la commission que son père lui imposait. Mais outre que le courage militaire trop. ne lui manquait pas comme les sentiments d'honneur et de vertu, Valérien ne lui donna que le nom et les honneurs de général, et il lui joignit pour conducteur et pour modérateur Postume, habile guerrier, qui dans la suite s'attribua le titre d'Auguste, et régna avec gloire dans les Gaules. Il avait eu la pensée de confier cet emploi à Aurélien, qui fut depuis empereur : mais il craignit sa trop grande sévérité. Mon fils, écrivit-il à un ami qui s'était étonné de la préférence donnée à Postume, mon fils est encore bien jeune, et même enfant. Il y a beaucoup de légèreté dans sa façon de penser et dans sa conduite. J'ai appréhendé, je l'avoue, qu'Aurélien, sévère comme il est, ne poussât trop loin la rigueur à son égard.

Gallien gouverné par Postume eut des succès contre les Germains. Ces Germains peuvent bien être les Francs[4] qui dans ces commencements de leur existence sont souvent désignés par un nom alors plus connu. Quelques savants même attribuent au temps dont nous parlons actuellement l'avantage que remporta sur eux Aurélien encore tribun, et que nous avons cru devoir placer sous Gordien III. Il est plus probable qu'Aurélien, qui est appelé dans une lettre de Valérien écrite à son sujet le restaurateur des Gaules, était parvenu sous ce prince à un grade supérieur ; qu'il commandait sous les ordres de Gallien et de Postume un corps d'armée considérable ; et qu'il signala son commandement par quelque victoire, plus éclatante que ce premier exploit. Les médailles nous font connaître en effet une victoire sur les Germains, qui valut à Gallien le titre de Germanicus Maximus, très-grand Germanique.

Gallien, pour assumer la tranquillité des Gaules, joignit la négociation à la force des armes : et après avoir dompté dans plusieurs combats la fierté des Germains, il fit alliance avec un de leurs princes, qui non seulement consentit à ne plus passer le Rhin, mais s'engagea à empêcher ses compatriotes de le passer.

Voilà l'idée que nous pouvons donner de ce que fit Gallien dans les Gaules pendant le règne de son père, ou plutôt de ce que firent Postume et Aurélien sous son nom. Selon Zonaras, Gallien s'illustra encore par un fait d'armes bien brillant en Italie. Avec dix mille hommes, au rapport de cet écrivain, il défit près de la ville de Milan trois cent mille Allemands. La chose est difficile à croire, et ce qu'il peut y avoir de vrai paraît devoir être rejeté à un temps postérieur..

La guerre ne se faisait pas moins vivement eu Illyrie. Les nations voisines du Danube inondaient toute cette vaste contrée, et y exerçaient d'horribles ravages. Valérien qui s'était transporté à Byzance, pour être plus près, des ennemis, employa contre eux divers généraux, dont les plus illustres sont Claude et Aurélien, tons deux depuis empereurs. Aurélien en particulier remporta une grande victoire sur les Goths, et il en fut récompensé par le consulat.

Probus, qui parvint aussi dans la suite à l'empire, était alors trop jeune pour pouvoir commander en chef. Mais il se distinguait déjà par toutes les excellentes  qualités d'une belle âme, et par la bravoure militaire. Valérien l'avait fait tribun avant l'âge, et il n'eut pas lieu de s'en repentir. Dans un combat contre les Sarmates et les Quades, Probus fit des prodiges de valeur, et il mérita la couronne civique, en délivrant des mains des Barbares Valerius Flaccus, jeune homme d'une haute naissance et parent de l'empereur.

L'Illyrie étant ainsi mise à l'abri des courses des Goths par les exploits de ces grands hommes, il s'agissait de secourir l'Asie mineure, qui était en proie à des nuées d'autres Barbares, peuples scythes, entre lesquels on nomme en particulier les Borans. C'est du côté du Phase et de la Colchide que leurs courses commencèrent à se faire sentir, et ils y vinrent par mer. Ils n'avaient point de vaisseaux ; mais ils en empruntèrent des habitants du Bosphore. Zosime observe que tant que le petit état du Bosphore avait eu ses rois héréditaires, ces princes amis et alliés des Romains, faisant le commerce avec eux, et en recevant des présents, empêchaient les Scythes de passer sur les terres de l'empire ; mais que par l'extinction de la famille royale, le sceptre étant tombé en des mains indignes, ces nouveaux souverains, mal affermis, et manquant de courage, craignirent les menaces des Scythes, et non contents de leur livrer passage, leur fournirent même des vaisseaux.

Les Borans, car c'est de cette nation scythique qu'il s'agit, lorsqu'ils furent abordés en Colchide, renvoyèrent les vaisseaux, et se rependant aussitôt dans tout le plat pays, ils le pillèrent et le ravagèrent en barbares. Ensuite ils osèrent même attaquer Pityonte[5], ville fortifiée, et qui défendait dans ces quartiers les frontières de l'empire. Successianus, qui commandait dans la place, brave officier, et secondé par de bonnes troupes qu'il avait sous ses ordres, reçut si bien les ennemis, qu'il leur ôta tout d'un coup l'espérance de réussir dans leur entreprise. Il les battit, il les poursuivit : et les Borans, ayant perdu beaucoup de monde, se trouvèrent trop heureux de s'enfuir précipitamment dans leur pays sur des vaisseaux qu'ils rencontrèrent à la côte, et dont ils s'emparèrent par force.

Les habitants de Pityonte et tout le pays voisin se croyaient totalement délivrés. Mais les Barbares à qui ils avaient affaire, toujours inquiets, toujours avides, n'ayant rien qui les attachât à leur patrie, accoutumés à errer sans demeure fixe, portant avec eux tout ce qu'ils possédaient, et amorcés par l'espoir du butin, ne se décourageaient point par les disgrâces. Battus une première fois, ils revenaient à la charge : et c'est par cette manœuvre, persévéramment et infatigablement continuée, qu'ils vinrent enfin à bout de ruiner l'empire romain.

Les Borans, à peine retournés dans leur pays, se préparèrent à une nouvelle course. Ils obtinrent encore des vaisseaux des peuples du Bosphore : et arrivés près du Phase, ils les gardèrent, afin de s'assurer une retraite dans le besoin. Ils commencèrent par attaquer un temple de Diane qui était dans ces contrées et la ville royale d'Æéta, père de Médée, si célèbre dans la fable. Repoussés avec perte, ils ne se rebutèrent point, et vinrent se présenter devant Pityonte. Malheureusement Successianus n'y était plus. Valérien, que la nécessité de résister aux armes des Perses avait amené à Antioche, y avait aussi mandé cet officier, qu'il fit préfet du prétoire, et des : conseils duquel il voulait s'aider dans la conduite de la guerre d'Orient. Pityonte fut mal défendue : les. Borans la prirent d'emblée, la pilIèren4 s'étant rendus maîtres des vaisseaux qu'ils trouvèrent dans le port, ils en accrurent leur flotte, se remirent en mer, et allant en avant ils s'approchèrent de Trébizonde, ville puissante, ceinte d'une double muraille, qui avait une garnison forte de plus de dix mille hommes.

Des Barbares, sans aucune connaissance de l'art si difficile des sièges, n'auraient jamais emporté cette place. Ils ne s'en seraient pas flattés, dit l'historien, même en songe. La négligence de la garnison leur procura un succès qui passait leurs espérances comme leurs forces. Les soldats et les officiers romains comptant sur leurs avantages, et méprisant l'impéritie des ennemis, ne se tenaient point sur leurs gardes, ne prenaient aucune précaution, et songeaient uniquement à se divertir et à faire bonne chère. Les Borans, instruits de cette sécurité, escaladèrent le mur pendant la nuit, et se trouvèrent ainsi tout d'un coup maîtres de Trébizonde. La garnison, aussi liche que mal disciplinée, sortit par la porte qui donnait du côté des terres, et abandonna les habitants à la discrétion des vainqueurs. Le butin fut immense. La ville était riche par elle-même : et de tout le pays des environs on y avait apporté, comme dans un asile assuré, tout ce que l'on possédait de précieux. Les Borans en profitèrent : et après avoir tout pillé, tout saccagé dans la ville, ils étendirent même leurs courses dans l'intérieur du pays, comme il paraît par l'épître canonique de saint Grégoire Thaumaturge, alors évêque de Néocésarée. Ils emportèrent ainsi les richesses du Pont, et les ayant chargées sur leurs vaisseaux, ils s'en retournèrent triomphants dans leur pays.

Un si heureux succès fut une puissante amorce pour d'autres peuples Scythes, voisins des Borans. Ces peuples, résolus d'imiter un exemple si utile, formèrent une armée de terre et une flotte. Pour la construction des vaisseaux, dont ils ignoraient les règles, ils se servirent du ministère des Romains qui se rencontrèrent parmi eux, soit pour y avoir été amenés prisonniers, soit attirés par le commerce[6]. Quant à la direction de leur marche, comme la côte orientale du Pont avait été pillée par les Borans, et ne promettait pas par conséquent une riche proie à ceux qui viendraient après eux, les Scythes dont nous parlons ici tournèrent vers l'Occident. Au commencement de l'hiver ils partirent vraisemblablement du voisinage du Tanaïs. La flotte et l'armée de terre marchant de conserve, côtoyèrent tout le rivage occidental de l'Euxin. Il est à croire que les troupes de terre passèrent le Danube sur la glace, et que c'était à ce dessein que l'hiver avait été choisi pour le temps du départ.

Arrivés près de Byzance, ils laissèrent cette ville, qui leur parut apparemment trop forte, et peut-être trop bien gardée ; mais ils passèrent, le détroit, partie sur leurs propres vaisseaux, partie sur des barques qu'ils avaient ramassées le long de la côte, et surtout dans un grand marais peu éloigné de Byzance ; et en abordant en Asie, ils surprirent Chalcédoine. Cette ville avait une garnison plus nombreuse que n'était la troupe de ceux qui venaient l'attaquer. Mais la terreur des Barbares était si grande, que les soldats romains prirent honteusement la fuite, avant même que d'avoir vu l'en. nemi. Les Scythes entrèrent dans Chalcédoine sans éprouver aucune résistance : et la facilité de la cou-quête, le butin qu'ils y firent, animèrent leur courage et augmentèrent leur avidité.

Ils s'avancèrent donc vers Nicomédie, où les appelait un traître, que Zosime appelle Chrysogonus. La prise de cette ville ne leur coûta pas plus d'efforts que celle de Chalcédoine, et le butin en aurait été beaucoup plus opulent, si les habitants, prévenant la venue des Barbares, ne se fussent enfuis pour la plupart avec tout ce qu'ils purent sauver de leurs trésors. Les Scythes y trouvèrent encore de quoi satisfaire abondamment leur cupidité ; et continuant leurs exploits de brigands, ils pillèrent de même les villes de Nicée, de Cius et de Pruse. Ils voulaient pousser plus avant, et aller jusqu'à Cyzique. Mais le fleuve Rhyndacus s'étant grossi subitement par les pluies, les arrêta tout court. Ils revinrent sur leurs pas, brûlèrent Nicomédie et Nicée, s'étaient d'abord contentés de piller, et ayant regagné la mer, ils se rembarquèrent et remportèrent tout leur butin dans leur pays.

Le ravage d'une province telle que la Bithynie, et de tant de villes considérables, sans que les Barbares aient trouvé aucunes troupes romaines qui leur fissent obstacle soit dans leurs courses, soit à leur retour, ne fait pas assurément honneur au gouvernement de Valérien, et prouve trop clairement la négligence et la pesanteur dont les historiens l'accusent. Ce prince était encore à Antioche. Il envoya Félix pour garder Byzance ; il se mit lui-même en mouvement, et vint jusqu'en Cappadoce : et là ayant appris apparemment la retraite des Scythes, il s'en retourna, sans avoir fait autre chose que causer beaucoup d'incommodités et de dommages' aux peuples sur les terres desquels il avait passé.

Aux incursions des Barbares, qui désolaient les plus belles provinces de l'empire, se joignait encore un autre fléau, c'est-à-dire la peste, qui déjà depuis plusieurs années exerçait de continuels ravages dans les villes, dans les campagnes, dans les armées. Et pour mettre le comble au désastre des Romains, Valérien alla chercher une fin funeste et honteuse dans la guerre contre les Perses.

Depuis les victoires remportées par Gordien III sur les Perses, et la paix conclue avec eux par Philippe, il n'y avait point eu de guerre ouverte entre les deux empires. Ce n'est pas que la paix fût bien religieusement observée par Sapor. Il est parlé d'entreprises renouvelées par ce prince contre les Romains dès le temps de Gallus. Zonaras fait mention d'un Tiridate roi d'Arménie, détrôné alors par les Perses, et par ses propres 61s qui s'étaient joints à ses ennemis. Mais ce fut sous le règne de Valérien, et à raide du traître Cyriade, que Sapor leva le masque et ralluma plus violent que jamais le feu de la guerre.

Cyriade, fils d'un père de même nom, qui doit avoir été un grand seigneur en Syrie, s'étant attiré la disgrâce de son père par sa mauvaise conduite et par son luxe insensé, le vola, lui enleva une grande quantité d'or et d'argent, et se sauva sur les terres des Perses. Il vint à la cour de Sapor, et il l'exhorta à attaquer les Romains, lui représentant sans doute combien l'occasion était favorable pour faire valoir ses anciennes prétentions contre un empire actuellement gouverné par un prince faible, et dévasté de tous côtés, par les Barbares. Il avait lui-même dans ce projet ses intérêts et ses vues, comme il paraîtra par la suite. L'ambition de Sapor le disposait à écouter avec joie une pareille proposition. Il se mit en campagne, profitant peut-être des intelligences que Cyriaque avait conservées dans le  pays soumis aux Romains. Il entra en Mésopotamie, où il prit Nisibe et Carres ; il pénétra dans la Syrie et surprit Antioche.

Les habitants de cette grande ville ne s'attendaient à rien moins qu'à un tel malheur. Livrés au goût qu'ils avaient pour les plaisirs et pour les spectacles, ils étaient actuellement au théâtre, et s'amusaient à considérer un pantomime et sa femme, qui exécutaient une farce pour les divertir. Tout d'un coup cette femme en se retournant, s'écria : Ou je rêve, ou voici les Perses. Ils arrivaient en effet, et ils n'eurent pas de peine à s'emparer d'une ville qui ne songeait nullement à se défendre. Ils la saccagèrent, ils pillèrent les environs.

Après cette conquête, les Perses auraient pu aisément s'étendre dans l'Asie-mineure, et la subjuguer. Mais leur armée était chargée d'un butin immense, et ils jugèrent à propos de s'en assurer la possession en le reportant dans leur pays.

Cyriade ayant comblé tous ses crimes par le parricide, traître à sa patrie, meurtrier de son père, il voulut enfin recueillir le fruit de ses forfaits. Resté en Syrie, il se décora du titre de César, et ensuite de celui d'Auguste. Mais cet éclat acheté par tant d'horreurs fut dé courte durée. Après en avoir joui un peu plus d'un an, Cyriade fut tué par les siens. S'il était permis de supposer que son nom dût être substitué dans le texte d'Ammien Marcellin à celui de Maréade, qui en approche et qui peut en être une corruption, ce seraient en ce cas les Perses eux-mêmes qui auraient fait justice du perfide, après avoir profité de la perfidie. Marcellin assure que Maréade, citoyen d'Antioche, qui les avait introduits dans cette ville, fut puni par eux du supplice du feu.

Cyriade n'était plus lorsque Valérien, appelé en Orient par la guerre des Perses, arriva à Antioche. Son premier soin fut de rétablir cette ville, que les ennemis avaient ruinée en grande partie : et c'est apparemment en conséquence dé ce bienfait qu'on lui donne sur quelques Médailles lé titre, si peu convenable à ses infortunes de restaurateur do l'Orient.

Valérien passa un temps fort considérable en Orient, et nous ne pouvons.pas dire ce qu'il y fit jusqu'à soli dernier désastre. Tout ce que nous en savons se réduit au rétablissement d'Antioche, dont nous venons de parler, et au mouvement tardif qu'il se donna pour aller chasser de Bithynie les Scythes, qui en étaient sortis avant qu'il fût arrivé en Cappadoce.

Enfin, obligé d'aller au secours d'Édesse, que Sapor assiégeait, et encouragé par la résistance vigoureuse que faisait la garnison de cette place, Valérien passa l'Euphrate et vint en Mésopotamie. Il livra une bataille, dont le succès fut malheureux pour lui. On en rejette la faute sur la trahison d'un général, en qui l'empereur avait une entière confiance, et qui en abusa pour l'engager dans un poste, où hi la valeur ni le bon ordre des troupes romaines ne pouvaient être d'aucun usage. Ce général est sans doute Macrien dont nous aurons lieu de parler amplement. Valérien, dont la timidité naturelle s'était encore augmentée par sa défaite, fit demander la paix à Sapor, prêt à l'acheter par de grandes sommes d'argent. Sapor, qui méditait une perfidie, renvoya les ambassadeurs romains en leur déclarant qu'il voulait négocier avec l'empereur en personne. Valérien fut assez imprudent pour s'exposer à une entrevue, sans mener une bonne et forte garde, et les Perses profitant de son imbécile crédulité, l'enveloppèrent tout d'un coup et le firent prisonnier. Voilà ce que nous trouvons dé plus vraisemblable et de mieux appuyé touchant ce triste et honteux événement, dont nous fixons la date, d'après M. de Tillemont, à l'an de J.-C. 260.

Tout le monde sait quel indigne et affreux traitement ce malheureux prince éprouva durant une longue captivité. On le couvrit de plus d'ignominies que le plus vil des esclaves. Son vainqueur superbe le traînait partout à sa suite, chargé de chaînes, et en même temps revêtu de la pourpre impériale, dont l'éclat aigrissait le sentiment de sa misère : et lorsque Sapor voulait monter à cheval, il fallait que l'infortuné Valérien se courbât jusqu'en terre, afin que son maître insolent lui mettant le pied sur le dos s'en servît comme de montoir. Souvent à cet outrage si cruel le roi barbare ajoutait encore des paroles insultantes, observant avec un ris moqueur, que c'était là vraiment triompher, et non simplement triompher en peinture, comme faisaient les Romains. Le comble du malheur de Valérien fut la lâche et criminelle indifférence d'un fils ingrat, qui assis sur le trône des Césars laissait son père dans une si déplorable situation, sans tenter aucun effort pour l'en tirer. La seule marque d'attention que Gallien lui donna, fut de le mettre au rang des dieux sur une fausse nouvelle de sa mort. Encore observe-t-on que ce fut malgré lui, et pour satisfaire les vœux du peuple et du sénat, qu'il lui rendit cet hommage prescrit par la coutume, et aussi frivole en soi que ridicule et déplacé par rapport aux circonstances.

L'ignominie du prince captif ne finit pas avec sa vie. Il languit dans un si horrible esclavage au moins trois ans, et quelques-uns disent jusqu'à neuf : et lorsqu'il fut mort, Sapor ordonna qu'on l'écorchât, que l'on teignît sa peau en rouge, qu'on la garnît en dedans de paille pour lui conserver la forme humaine, et qu'en cet état on la suspendît dans un temple, comme un monument immortel de la honte des Romains ; et lorsqu'il recevait des ambassadeurs de Rome, il leur montrait cet humiliant spectacle, afin qu'ils apprissent à rabattre de leur orgueil.

Tous les auteurs chrétiens ont regardé l'horrible catastrophe de Valérien comme l'effet de la vengeance divine pour le sang des justes et des saints, que cet empereur, d'ailleurs porté à la bonté, avait inhumainement répandu.

Je dis qu'il était bon par caractère : et c'est de quoi nous fournissent la preuve différentes lettres de lui que nous ont conservées les écrivains de l'histoire Auguste dans les vies de Macrien, de Baliste, de Claude II, d'Aurélien, de Probus. On y voit partout un prince qui rend justice au mérite avec franchise et avec candeur. Il montre même quelquefois des sentiments héroïques et dignes des anciens temps de Rome. Je n'en citerai qu'un trait, qui regarde Aurélien.

Il s'agissait de récompenser les services de ce guerrier, qui étaient grands, par l'honneur du consulat. Mais le consulat exigeait alors des dépenses énormes, surtout pour les jeux qu'il fallait donner au peuple ; et Aurélien était pauvre. Bien loin qu'au jugement de Valérien cette considération fût un obstacle à l'élévation d'un sujet estimable par ses qualités personnelles, elle lui parut au contraire une recommandation et un nouveau mérite : et en écrivant à Aurélien pour lui annoncer sa nomination, il lui déclara que le trésor public ferait les frais que ne pouvait supporter la modicité de sa fortune. Car, ajoutait-il, ceux qui en servant la république restent pauvres, sont bien dignes de louange, et nul ne mérite mieux d'être secouru par l'état. Valérien envoya pour cela ses ordres au garde du trésor public, et la lettre commençait par ces belles paroles : Aurélien, à cause de sa pauvreté, qui le rend vraiment grand à nos yeux, et plus grand que les autres, ne peut pas soutenir la dépense du consulat, auquel nous l'avons nommé. L'empereur règle ensuite dans un grand détail tout ce qui doit être fourni pour l'objet dont il est question.

Aurélien, qui n'avait pas voulu acquérir de la fortune Par des moyens illégitimes, y parvint par une voie honorable, ayant été adopté dans le même temps par Ulpius Crinitus ; riche consulaire, qui n'avait point d'enfants : et la bonté de Valérien était si grande, qu'il rendit à Ulpius des actions de grâces de cette adoption, comme si t'eût été un bienfait qui l'intéressât directement.

Les chrétiens se sentirent d'abord de la douceur et de la bonté de ce prince. Aucun de ses prédécesseurs, dit saint Denys d'Alexandrie cité par Eusèbe[7], ne leur avait témoigné tant d'humanité et même d'affection. Tout le palais impérial était rempli de chrétiens, et pouvait presque être regardé comme une église du Dieu véritable. Ce fut une impulsion étrangère qui changea ses sentiments à leur égard.

Macrien, homme de bas lieu et d'une ambition démesurée, adonné à la magie, et par conséquent grand ennemi des chrétiens, d'ailleurs ayant des talents soit pour l'administration dés affaires civiles, soit pour la guerre, s'était acquis la confiance de l'empereur. Les malheurs de l'état, désolé en même temps par la peste et par les ravages des Barbares, lui parurent une occasion favorable pour achever de subjuguer cet esprit faible, quel la douleur abattait et inclinait vers la superstition. Il lui enseigna et lui fit pratiquer des sacrifices magiques, comme mi moyen sûr pour détourner les fléaux dont on était accablé ; et tout de suite il lui persuada que les chrétiens n'adorant pas, et même blasphémant les dieux révérés par toutes les nations, étaient la cause des maux publics.

De là naquit la huitième persécution, ordonnée par l'édit de Valérien. Elle fut générale et très-cruelle, surtout par rapport aux évêques et.aux prêtres, uns épargner néanmoins les simples fidèles. Pendant trois ans et demi qu'elle dura, c'est-à-dire depuis l'an de J.-C. 257 jusqu'à la captivité de Valérien en 260, elle couronna un grand nombre de martyrs : à Rome saint Sixte pape, et saint Laurent son diacre, saint Cyprien à Carthage, et plusieurs autres saints évêques dans toutes les parties de l'empire. Saint Denys d'Alexandrie fut seulement envoyé en exil, et après la prise de Valérien par les Perses, il revint à son église.

Nous voyons par l'histoire de cette persécution que les cimetières étaient les lieux où s'assemblaient communément les chrétiens. On les en chassa par ordre de l'empereur, et on leur en ôta la possession.

Pendant que le christianisme était persécuté chez les Romains, il s'étendait parmi les nations barbares qui leur faisaient la guerre. Les Goths, et autres peuples scythiques, dans les ravages qu'ils exercèrent, ainsi que nous l'avons rapporté, en Illyrie, en Thrace, en différentes provinces de l'Asie, emmenèrent un grand nombre de prisonniers, entre lesquels il se, trouva de saints prêtres. Ces illustres captifs, par l'éclat de leurs vertus, par leur patience dans les maux qu'ils souffraient, par les miracles que Dieu opérait à leur intercession, attirèrent d'abord au culte qu'ils professaient le respect de leurs maîtres. Du respect pour la religion chrétienne les Barbares passèrent au désir de l'embrasser. Ils se firent baptiser en foule, mais non pas tous. La superstition idolâtrique demeura encore longtemps dominante parmi eux, et donna même des martyrs à l'Église.

Sozomène, de qui nous tenons ce récit, dit que les nations germaniques sur le Rhin commencèrent aussi alors à se convertir à la foi chrétienne. Mais nous ne trouvons point dans notre histoire de trace du christianisme parmi les Francs, avant la conversion de Clovis.

 

 

 



[1] Valérien est qualifié ancien censeur au commencement du fragment qui nous reste de sa vie par Trébellius Polio. Mais il est incertain si les premières parties de ce fragment sont de l'auteur ; et d'ailleurs Trébellius n'est pas un écrivain si exact, que l'on doive presser les tenues dont il se sert, et les prendre à la lettre. L'élection de Valérien à la censure pourrait lui avoir paru un fondement suffisant de l'appeler censeur.

[2] TACITE, Histoires, I, 49.

[3] Je suis M. de Tillemont dans ce que je dis de la famille de Valérien, quoique je n'ignore pas qu'il reste des difficultés par rapport à certains points. La chose est si embrouillée et ai peu importante, qu'il m'a para que le meilleur parti était de me fixer au sentiment d'un écrivain si savant et si exact, sans pourtant vouloir m'en rendre garant.

[4] Zonaras dit positivement que Gallien fit la guerre aux Francs.

[5] Zosime place visiblement, comme il paraîtra par ce qui est dit plus bas, la ville de Pityonte au-dessous et au midi du Phase. Strabon parle d'une Pityonte la grande, au nord de cette même rivière. Ou Zosime se trompe, ce qui n'est pas difficile à croire, ou il faut distinguer, comme a fait Callarius dans sa carte, deux villes de Pytyonte.

[6] Le texte de Zosime, tel que nous l'avons, signifie pour raison d'indigence. Mais au moyen d'un léger changement on y trouvera le sens que j'ai suivi comme beaucoup meilleur. Au lieu de κατ' άπορίαν, je crois qu'il faut lire κατ' έμπορίαν.

[7] EUSÈBE, Histoire ecclésiastique, VII, 10.