HISTOIRE DES EMPEREURS ROMAINS

 

DE PHILIPPE À GALLIEN

LIVRE UNIQUE

§ III. Gallus.

 

 

FASTES DU RÈGNE DE GALLUS.

 

DÉCIUS AUGUSTUS DÉCIUS CÉSAR. AN R. 1002. DE J.-C. 251.

Gallus est proclamé Auguste avec Hostilien, second fils de Dèce, par les troupes de Mésie et de Pannonie.

Il décore son fils Volusien du titre de César. Il fait un traité honteux avec les Goths.

C. VIBIUS TRÉBONIANUS GALLUS AUGUSTUS III. - C. VOLUSIANUS CÆSAR. AN R. 1003. DE J.-C. 252.

Gallus vient à Rome.

Peste dans tout l'empire, qui avait commencé dès l'an 25o.

Martyre des saints Corneille et Lucius, papes. Gallus ôte la vie à Hostilien, et fait courir le bruit que ce jeune prince était mort de la peste.

Il fait Volusien son fils Auguste.

C. VOLUSIANUS AUGUSTUS II.- ..... MAXIMUS. AN R. 1004. DE J.-C. 253.

Invasion des Goths dans la Mésie.

Émilien les ayant vaincus se fait proclamer empereur.

Il vient avec son armée en Italie. Gallus est tué avec son fils près d'Interamna par ses propres troupes.

TYRAN sous Gallus.

M. AUFIDIUS PERPERNA LICINIANUS.

 

Le temps dont j'expose ici les évènements est un temps de révolutions, de catastrophes sanglantes, de règnes courts, et qui né font que passer rapidement sous les yeux. L'empire romain ressemblait alors parfaitement à la royauté misérable du temple de Diane dans le bois d'Aricie, qui ne pouvait être possédée que par un esclave qui eût tué son prédécesseur. Les commandants des armées, presque tous gens de basse naissance, ne manquaient point l'occasion d'ôter l'empire avec la vie à celui qui était en possession, et ils se plaçaient sur son trône dans l'attente d'un pareil sort. Philippe, Dèce, Gallus dont il s'agit maintenant, et Émilien qui remplaça Gallus, sont la preuve de ce que j'avance.

C. Vibius Trébonianus Gallus fut proclamé empereur sans difficulté, après la mort de Dèce, par les troupes de Mésie et de Pannonie. Il était natif ou originaire de l'île de Méninge, aujourd'hui Gerbi, près des côtes d'Afrique, et il représenta fidèlement dans sa conduite la perfidie africaine. Après avoir fait périr Dèce par une lâche et horrible trahison, il rendit des respects à sa mémoire, et il le mit avec son fils aîné au rang des dieux. C'était une politique constamment pratiquée par tous ces usurpateurs du trône pour déguiser leur crime. Maximin en avait usé ainsi à l'égard d'Alexandre, Philippe par rapport à Gordien III, et Dèce lui-même par rapport à Philippe. Gallus fit plus. Quoiqu'il eût un fils connu dans l'histoire sous le nom de Volusien, il adopta Hostilien fils de Dèce, et il lui conféra le titre d'Auguste. On peut même soupçonner qu'il avait commencé par faire déclarer Hostilien Auguste, comme fils du dernier empereur, et que ce fut sous le prétexte de lui servir de tuteur à cause de son bas âge, qu'il se fit lui-même revêtir des titres de la souveraine puissance. Philippe lui avait donné l'exemple de cette ruse. Quoi qu'il en soit, ce qui est certain, c'est que sous les témoignages d'honneur et de bienveillance que Gallus donnait à Hostilien, il cachait le noir dessein de s'en défaire.

Il avait été trop bien servi par les Goths pour les traiter en ennemis, et d'ailleurs ses intérêts l'appelaient à Rome. Il conclut avec eux une paix honteuse, leur permettant de retourner dans leur pays avec tout leur butin, et d'y emmener même un grand nombre d'illustres prisonniers, et s'engageant à leur payer tous les ans un tribut en or. Après avoir ainsi vendu aux Barbares l'honneur de l'empire, il se rendit à Rome, où il était déjà reconnu, le sénat ne faisant nulle difficulté de subir, dans ces temps orageux ; la loi du plus fort.

Un empire acquis par les voies par lesquelles Gallus y était parvenu demande de l'activité et de la vigilance pour être conservé. Gallus se livra à la mollesse, aux délices, à la nonchalance, ayant quelque légère attention sur la capitale, et négligeant tout le reste d'une si vaste monarchie. Aussi son règne n'est presque connu que par les maux qu'y éprouva l'empire, par les dévastations des Barbares, et surtout par une peste effroyable, qui ayant commencé dès l'an de J.-C. 250, prit de nouvelles forces en 252, et dura encore dix ans au-delà.

Gallus, et Volusien que son père avait fait consul avec lui et Auguste, s'acquirent quelque honneur auprès du peuple de Rome par le soin qu'ils prirent des funérailles de ceux qu'emportait la maladie, sans excepter les personnes les plus viles. Mais il n'est point dit qu'ils aient songé au remède, ni qu'ils aient donné les ordres nécessaires pour arrêter la contagion et empêcher que la communication ne la répandît.

Ils s'amusèrent à recourir à leurs faux dieux par des sacrifices, dont ils commandèrent la célébration dans tout l'empire ; et il est assez vraisemblable que c'est ce qui fit naître la persécution contre les chrétiens, qui pleins de zèle pour le bien de l'état ne voulaient pas, par des cérémonies sacrilèges, irriter de plus en plus le vrai Dieu, seul arbitre et dispensateur des biens et des maux. Cette persécution, que l'on peut regarder comme une suite de celle de Dèce, procura la couronne du martyre à deux saints papes, Corneille et Lucius.

La peste vint fort à propos pour couvrir d'un voile l'exécution des desseins que Gallus avait formés contre la vie d'Hostilien. Il craignait que le nom de Dèce ne fût une puissante recommandation pour ce jeune prince, et n'engageât les soldats à vouloir réunir en sa personne le pouvoir avec le titre et les honneurs de la dignité impériale. Il cherchait donc l'occasion de se délivrer d'un concurrent qui lui faisait de l'ombrage. La maladie contagieuse lui fournit cette occasion[1]. Il fit donner apparemment du poison à Hostilien, et il répandit le bruit que la peste avait terminé ses jours. Peut-être doit-on remettre jusqu'après la mort d'Hostilien, l'élévation de Volusien au rang d'Auguste. Le fils de Gallus aura. ainsi rempli la place vacante et profité de la dépouille du fils de Dèce.

Si nous en croyons Zosime, les Barbares, Scythes, Borans, Burgundes[2], Carpiens, ne firent pas de moindres ravages que la peste dans toutes les provinces de l'empire. Mais il paraît que les courses dont parle ici cet écrivain doivent plutôt être rapportées au règne de Valérien. Ce qui appartient au temps de Gallus, c'est une nouvelle invasion des Goths, qui, soit qu'ils ne fussent pas payés exactement du tribut qu'il leur avait promis, soit par leur inquiétude naturelle, passèrent le Danube et désolèrent la Mésie, brûlant les bourgades, tuant les habitants ou les emmenant prisonniers, et amassant un butin immense.

Émilien, maure de nation, d'une très-basse origine, et qui néanmoins avait été consul peut-être déjà deux fois[3], commandait alors les troupes romaines dans la Mésie. Ce général savait la guerre, et plein d'ambition, il ne se croyait pas moins digne de l'empire que Gallus. Il pensa qu'il ne s'agissait pour lui que de le mériter par quelque glorieux exploit, et remarquant que ses troupes étaient découragées, il les ranima non seulement par les motifs du devoir et de l'honneur, mais en leur promettant de tourner à leur profit la pension ignominieuse que l'on payait aux Barbares. Il réussit : ses soldats, flattés d'une si douce espérance, firent des merveilles. Ils battirent les Goths dans la Mésie ; ils les poursuivirent même dans leur pays au-delà du Danube, et là ils livrèrent un nouveau combat, taillèrent en pièces leur armée, et reconquirent tout le butin qui avait été emporté de la province romaine. Émilien vainqueur fut proclamé empereur par l'armée. Il ne perdit point de temps pour faire valoir ses prétentions, et il se hâta de passer en Italie.

Gallus effrayé envoya Valérien sur le Rhin pour lui amener les légions de Gaule et de Germanie ; et lui-même, avec ce qu'il avait de forces, il marcha au-devant de l'ennemi. Les deux armées se rencontrèrent près d'Interamna[4] en Ombrie ; et celle de Gallus se trouvant trop inférieure, et d'ailleurs n'ayant que fort peu d'estime pour son chef, termina la querelle en le tuant avec son fils, et en accédant volontairement au parti d'Émilien.

Gallus avait régné environ deux ans, un peu plus ou un peu moins. Émilien n'était pas le premier concurrent qui se fût élevé contre lui. Un certain M. Aufidius Perperna Licinianus avait pris le titre d'Auguste quelque temps auparavant ; mais son entreprise malheureuse fut étouffée en naissant.

 

 

 



[1] Zosime d'une part dit que Gallus ôta la vie à Hostilien, et de l'autre Aurelius Victor témoigne qu'Hostilien mourut de la peste. Il est aisé de penser que l'un a raconté la chose telle qu'elle est dans la réalité, et que l'autre a suivi le faux bruit répandu par le meurtrier.

[2] Ces Burgundes ne sont pas ceux qui ont fondé dans les Gaules le royaume de Bourgogne ; mais ils étaient sans doute une branche de la même nation.

[3] On trouve un Émilianus consul l'an de J.-C. 224 ; un M. Émilianus consul pour la seconde fois en 249. Il n'y a rien qui empêche d'attribuer ces deux consulats à l'Émilien dont il s'agit ici.

[4] Terni.