HISTOIRE DES EMPEREURS ROMAINS

 

QUATRE RÈGNES, SIX EMPEREURS (suite)

LIVRE UNIQUE

§ III. Maxime et Balbin.

 

 

Le trône, qui ne fut jamais un objet d'envie pour les était bien capable d'inspirer de la terreur Maxime et à Balbin lorsqu'ils y montèrent. Aux portes de l'Italie ils voyaient un ennemi redoutable par ses forces et par sa cruauté, contre lequel il fallait pousser la guerre à toute outrance sans aucune espérance de paix, sans autre alternative que celle de tuer ou de périr. Dans Rome une milice indisciplinée, un peuple turbulent et toujours prêt à se soulever. Ajoutez la jalousie inévitable entre deux collègues, et la contrariété des humeurs fortifiant celle des intérêts. Le concours de tant de fâcheuses circonstances leur annonçait les malheurs qu'ils éprouvèrent effectivement.

Après qu'ils se furent acquittés du premier devoir que leur imposaient les bienséances, et qu'ils eurent fait rendre par le sénat un décret pour mettre les deux Gordiens au rang des dieux ; après qu'ils eurent pourvu  aux deux grandes charges de préfet de la ville et de préfet du prétoire, dont l'une fut donnée à Sabinus, apparemment celui qui avait ouvert l'avis de les nommer empereurs, et l'autre à Pindarius Valens, oncle de Maxime, ils partagèrent entre eux le soin des affaires. Maxime, comme le plus guerrier, se chargea de marcher contre l'ennemi ; Balbin resta dans la ville pour y maintenir la tranquillisé.

Quelque pressant que fût le danger de la part de Maximin, les Romains étaient si fidèlement amateurs des spectacles, qu'il fallut, que Maxime leur ne donnât avant de partir, pièces de théâtre, courses ; dans le cirque, combats de gladiateurs. Sur ce dernier article Capitolin nous fournit fine anecdote qui ne doit' mie âtre omise. Il assure que c'était une loi que les empereurs donnassent des combats de gladiateurs avant que de se mettre en marche pour la guerre. Il allègue deux raisons de cet usage. La première était la superstition les Romains s'imaginaient par l'effusion du sang dans la ville contenter les divinités malfaisantes, et leur procurer d'avance une compensation pour le sang des soldats qu'elles épargneraient. L'autre motif se rapportait à une fin moins absurde : on voulait, dit l'écrivain cité, encourager ceux qui allaient à la guerre par l'exemple du courage des gladiateurs, et familiariser leurs yeux avec le sang. Quoi qu'il en soit et dé IV-sage et. des raisons sur lesquelles on le dit fondé, à peine Maxime était-il parti qu'un trouble affreux qui s'excita dans Rome[1], et qui mit la ville en danger de périr, manifesta et la mauvaise disposition des esprits, et l'incapacité de Balbin.

Maxime avait laissé dans Rome une grande partie des prétoriens, principalement les plus vieux soldats. Plusieurs d'entre eux vinrent avec une grande foule de citoyens du peuple s'attrouper autour de la porte du sénat, qui délibérait actuellement sur les affaires de la république : et même deux ou trois, poussés par la curiosité, firent si bien qu'ils entrèrent dans le lieu de l'assemblée, et se placèrent, pour mieux entendre, près de l'autel de la Victoire. Ils étaient en habit de paix et sans armes : et au contraire tous les sénateurs étaient armés, parce que dans la situation des choses, dans le mouvement général qui agitait la ville et tout l'état, ils craignaient à chaque instant quelque danger subit et imprévu, contre lequel il leur paraissait sage de se précautionner. Gallicanus personnage consulaire, et Mécénas ancien préteur, caractères vifs et impétueux, ayant aperçu les soldats dont je parle, en prirent ombrage : et par une violence aussi téméraire qu'injuste, il les attaquent avec leurs poignards qu'ils tirent de dessous leurs robes, et les renversent morts au pied de l'autel de la Victoire. Les autres prétoriens, effrayés de la mort de leurs camarades, et n'ayant point leurs armes pour se défendre, prennent le parti de fuir vers leur camp. Gallicanus sort du palais, son poignard ensanglanté à la main : il crie qu'il vient de tuer deux espions de Maxime ; il accuse tous les prétoriens d'être dans les mêmes sentiments, et il exhorte le peuple à les poursuivre. Ses exhortations ne furent que trop écoutées ; et les prétoriens poursuivis par une multitude immense, ne trouvèrent de sûreté que dans leur camp. Ils s'y enfermèrent et se mirent en défense.

La témérité forcenée de Gallicanus ne s'en tient pas là. Il échauffe de plus en plus la populace, et l'engage à attaquer le camp. Pour cela il lui fournit des armes, en faisant ouvrir des arsenaux : un grand nombre s'armèrent de tout ce qu'ils trouvèrent sous leur main : les gladiateurs que l'on tenait rassemblés, et que l'on formait en diverses écoles, se joignirent au peuple ; et Gallicanus à la tête de cette troupe confuse et tumultueuse, vint livrer l'assaut au camp des prétoriens.

Ceux-ci, bien armés et dressés à tous les exercices militaires, n'eurent pas de peine à rendre inutile une pareille attaque. Enfin le peuple se lassa, et sur le soir chacun songea à se retirer chez soi. Les prétoriens voyant leurs adversaires qui tournaient le dos et marchaient négligemment comme s'ils n'avaient rien eu à P craindre, sortent sur eux, en font un grand carnage, et rentrent ensuite dans leur camp, dont ils avaient eu soin de ne pas s'écarter beaucoup.

De ce moment il se forma une guerre civile dans Rome. Le sénat prit parti pour le peuple, et ordonna des levées de troupes. Les prétoriens de leur côté, quoiqu'en petit nombre vis-à-vis d'une multitude infinie, se défendirent avec tout l'avantage que leur donnaient leur expérience dans la guerre et une place bien fortifiée : et jamais le peuple ne put réussir à faire brèche à leur camp.

Il me paraît étonnant que dans uni mouvement si terrible, il ne soit fait aucune mention ni du préfet de la ville, ni du préfet des cohortes prétoriennes. Peut-être devons-nous nous en prendre à la négligence des historiens. Balbin lui-même ne fait pas ici tin beau personnage. Renfermé dans son palais, il publiait des édits pour exhorter le peuple à la paix ; il promettait amnistie aux soldats qui ne semblent pourtant pas avoir été les plus coupables, et aucun des deux partis ne l'écoutait : leur fureur réciproque s'allumait par les obstacles.

Les généraux du peuple s'avisèrent d'un expédient pour vaincre l'obstination des prétoriens, et ils coupèrent les canaux qui portaient l'eau dans leur camp. Les prétoriens au désespoir font une sortie ; il se livre un combat qui fut longtemps disputé, mais dans lequel le peuple enfin succomba et prit la fuite. Les vainqueurs le poursuivent l'épée dans les reins, et entrent dans la ville : mais là ils se virent assaillis d'une grêle de pierres et de tuiles, qu'on leur lançait de dessus les toits des maisons. Ils ne balancèrent pas à y mettre le feu. L'incendie devint furieux : il consuma tout un quartier, qui excédait en étendue et en richesses les plus grandes et les plus opulentes villes de l'empire.

Il paraît que la violence du mal força Balbin de sortir de son inaction. Il se présenta, il voulut interposer son autorité pour apaiser le désordre. On le méprisa, et il fut même blessé, les uns disent d'une pierre lancée contre lui, les autres d'un coup de bâton. L'unique remède fut de montrer aux séditieux le jeune César Gordien, qui était adoré également des deux partis. Le nom qu'il portait, la vénération pour la mémoire de son aïeul et de son oncle, le rendaient infiniment cher au peuple et aux soldats. On le produisit monté sur les épaules d'un homme de la plus haute taille, et dès qu'il parut avec la pourpre impériale, les esprit se calmèrent, et le tumulte cessa.

Le sénat jouit ainsi de quelque tranquillité, et put se livrer uniquement aux soins de la guerre, pour laquelle il prit les mesures les mieux entendues. Il s'agissait d'empêcher l'entrée de Maximin en Italie. Le sénat envoya dans toutes les villes qui pouvaient se trouver sur sa route des hommes titrés et qui eussent de l'expérience dans l'art militaire, et il leur donna tout pouvoir pour rétablir les fortifications, lever des troupes, faire en un mot tout ce qui serait nécessaire pour mettre leurs places en état de défense. ll ordonna que l'on abandonnât tons les lieux qui n'étaient pas fortifiés, et que les habitants se retirassent dans les villes avec leurs grains, leurs bestiaux, et tout ce qu'ils possédaient, afin que quand même l'ennemi pénétrerait dans le pays, il ne trouvât rien pour faire subsister son armée. Des défenses furent portées dans toutes les provinces de fournir aucunes provisions soit de guerre, soit de bouche, à Maximin, avec menaces de traiter en ennemi public quiconque lui prêterait aucune aide. Enfin l'on poussa la précaution jusqu'à faire garder tous les ports et toutes les rades de l'Italie, et à barricader tous les grands chemins, et même les chemins de traverse, afin que rien ne pût passer qui ne fût visité et examiné, et que l'ennemi public ne reçût ni nouvelles ni secours par quelque voie que ce pût être. Maxime, qui devait présider à l'exécution de ces différents ordres, se transporta à Ravenne, pour être plus à portée de l'ennemi, qui arrivait par les Alpes Pannoniennes.

Maximin n'avait pas fit beaucoup de diligence. Car c'est au mois de mai de l'an de J.-C. 237 que les Gordiens furent proclamés empereurs en Afrique : et son armée n'arriva aux portes de l'Italie qu'au commencement du printemps de l'an 238. J'ai rapporté la principale cause de ce retardement, savoir la froideur que Maximin trouva dans ses troupes pour ses intérêts. Il lui fallut du temps pour réchauffer dans leurs cœurs un zèle éteint par sa mauvaise conduite. Nous pouvons ajouter que le dessein d'entrer en armes en Italie ayant été pris en conséquence d'un mouvement subit et imprévu, les préparatifs d'une telle entreprise traînèrent nécessairement en longueur. Ce qui est certain, c'est qu'on ne peut attribuer ce délai au caractère de Maximin, qui poussait l'activité jusqu'à l'emportement et la fureur.

A la nouvelle de la mort des Gordiens, il avait conçu quelque espérance d'une soumission volontaire de la part de ceux qu'il traitait de rebelles ; mais l'élection des empereurs Maxime et Balbin lui prouva que la haine du sénat était irréconciliable, et que la force des armes pouvait seule réduire des cœurs aussi ulcérés. Il employa donc le reste de l'année à faire des apprêts formidables ; et voici de quelle manière il disposa sa marche, lorsqu'il approcha de l'Italie au temps que j'ai marqué.

Il venait de Sirmium ; et quand il se vit près d'Émona[2], dernière ville de la Pannonie au pied des Alpes, après avoir sacrifié aux dieux tutélaires du pays, afin qu'ils favorisassent son entrée en Italie, il fit son avant-garde de ses légions formées en bataillons quarrés, qui avaient pourtant plus de profondeur que de front. A la suite il plaça les bagages. Il fermait lui-même la marche avec sa garde prétorienne. Il avait jeté sur les ailes toute sa cavalerie, qui était partie bardée de fer, partie composée de Germains ; et tout ce qu'il avait de troupes légères, gens de trait maures, archers orshoéniens. Il arriva en et ordre à Émona, faisant observer sur la route une exacte discipline, afin de se concilier la faveur des peuples.

Ses coureurs, qui précédaient l'armée, vinrent lui apprendre que la ville d'Émona était déserte et sans aucun habitant : ce qui d'abord lui causa de la joie, dans la pensée que la terreur seule de ses armes mettait en fuite ses ennemis, et lui livrerait avec la même facilité toutes les places de l'Italie. Mais lorsqu'il sut que cette désertion ne s'était point faite précipitamment et en désordre, qu'il y paraissait visiblement du dessein, que les habitants en se retirant avaient emporté toutes leurs richesses et toutes leurs provisions, et brûlé ce qu'ils ne pouvaient emporter, en sorte qu'il ne trouverait dans cette ville ni dans les campagnes qui l'environnaient aucune ressource de subsistance ni pour les hommes ni pour les animaux, il changea de sentiment ; et ses troupes mêmes commencèrent à murmurer, parce que s'étant flattées que l'Italie leur fournirait des vivres en abondance, elles s'en voyaient manquer dès les premières approches. Il voulut suivant son caractère, arrêter l'indocilité et la mutinerie des soldats par les voies de rigueur, et il ne réussit qu'à s'en faire haïr.

Il traversa les Alpes sans rencontrer aucun ennemi qui lui en disputât le passage, et il en conçut un heureux augure. Il recommença à croire que le peuples de l'Italie, qui n'avaient point profité des avantages qu'ils pouvaient prendre sur lui dans les défilés de ces montagnes, ne songeaient point à lui faim résistance. Les nouvelles qui lui vinrent d'Aquilée le détrompèrent. Il apprit que cette place, la première d'Italie qu'il dût trouver en son chemin, fermait ses portes, et se montrait disposée à se bien défendre ; que les troupes pannoniennes, qui faisaient la tête de son armée, et en qui il mettait une singulière confiance, parce qu'elles l'avaient les premières nommé empereur, et s'étaient toujours distinguées par leur zèle pour son service, s'étant approchées des murailles de la ville, les avaient trouvées bordées de gens armés, et qu'ayant tenté d'insulter la place, elles avaient été repoussées avec perte. Maximin, persuadé que tout devait, plier devant lui, attribua le mauvais succès des Pannoniens à leur négligence et à leur mollesse, et il ne doutait pas que la ville ne se rendit dès qu'il paraîtrait lui-même avec son armée devant les murs. Il se trompait encore dans cette pensée, comme l'événement le lui prouva.

En, effet, le sénat avait choisi Aquilée pour en faire sa place d'armes dans la guerre contre Maximin. C'était alors une ville bien peuplée, riche et florissante par le commerce de l'Italie et de l'Illyrie, dont elle était le centre. Les fortifications par lesquelles autrefois on avait pris soin étaient tombées dans un grand délabrement pendant une paix de plusieurs siècles. Le sénat les fit réparer ; il mit dans la place une forte garnison, à laquelle il donna pour commandants deux consulaires, Ménophile et Crispinus tous deux gens de mérite et de tête. Ménophile avait commandé les troupes avec honneur dans la Mésie pendant trois ans sous Alexandre ; et Crispinus, dont le département propre paraît avoir été de gouverner l'intérieur de la ville, assit de la douceur, de la dignité, et le talent de la parole. Ces deux gouverneurs eurent une extrême attention à bien approvisionner leur place et on y était dans l'abondance de toutes choses quand Maximin arriva.

Ce prince lorsqu'il fut instruit de l'état des choses, vit bien qu'Aquilée, ne serait pas pour lui une facile conquête ; et, tout fier qu'il était, il jugea à propos d'employer les voies d'insinuation, avant que de recourir à la force. Il avait dans son armée un tribun natif de la ville même, et dont toute la famille y était enfermée actuellement. Cet officier, qui lui parut propre à se faire écouter de ses concitoyens, vint de sa part au pied des murs avec quelques centurions, et, de là, il exhorta les habitants à rentrer dans leur devoir et dans l'obéissance envers leur légitime souverain ; leur représentant d'une part les maux affreux auxquels ils s'exposaient, et de l'autre, leur promettant une amnistie, en laquelle ils devaient prendre d'autant plus aisément confiance qu'ils la méritaient, puisqu'ils n'étaient coupables que de s'être laissé séduire par les artifices des auteurs de la rébellion. Le peuple qui bordait les entrailles ne laissait pas de prêter l'oreille aux paroles du tribun : l'idée de la paix est toujours flatteuse par elle-même. Crispinus accourt, et détruit une impression par une autre. Il rappelle aux habitants leurs engagements envers le sénat et le peuple romain ; il les détourne d'ajouter foi aux promesses d'un tyran cruel et trompeur ; leur fait envisager la gloire de devenir les sauveurs de l'Italie ; il les assure de la victoire, qui leur est annoncée par les entrailles des victimes, et par les oracles de leur dieu Apollon Bélénus. Ce dieu, que nous avons nommé ailleurs[3] comme l'un des objets de la vénération religieuse des anciens Gaulois, était honoré d'un culte spécial à Aquilée ; et dans la circonstance dont il s'agit, plusieurs des assiégeants, après le mauvais succès de leur entreprise, témoignèrent qu'ils l'avaient vu dans les airs combattre pour la ville, soit, dit Hérodien, que l'apparition ait été réelle, soit que ceux qui la débitèrent l'eussent inventé pour couvrir leur honte. Les représentations de Crispinus eurent leur effet ; et Maximin se convainquit enfin de la nécessité d'assiéger la place dans les formes.

La rivière de Lisonzo l'arrêta pendant trois jours. Ce n'est, à proprement parler, qu'un torrent ; mais qui, grossi alors par les neiges fondues, roulait de grandes eaux avec beaucoup d'impétuosité ; et un beau pont de pignes, que les empereurs y avaient anciennement bâti, venait d'être détruit par les habitants d'Aquilée, qui n'en étaient qu'à quatre ou cinq bues. Il n'était pas possible à une armée de traverser cette rivière sans pont ; et quelques : cavaliers germains, qui voulurent en faire l'essai, parce qu'ils étaient accoutumés à passer dans leur pays lés plus grands fleuves à la nage, furent entraînés par la rapidité du torrent, et périrent avec leurs chevaux. Maximin, qui n'avait point de bateaux., fut obligé de faire un pont, avec des futailles liées ensemble, et recouvertes de broussailles et de terre ; et toute son armée passa sur ce pont.

En arrivant devant la place, Maximin brûla d'abord et ravagea les faubourgs, bien ornés, bien bâtis, remplis de jardins que les habitants, par une attache naturelle à leurs possessions, avaient épargnés. Les ennemis arrachèrent les vignes, coupèrent les arbres, et s'en servirent, aussi bien que des bois des maisons qu'ils jetaient bas, pour construire des machines de guerre.

Après un jour de repos, ils commencèrent les attaques, et s'y portèrent avec furie. Les assiégés les reçurent bien, et leur opposèrent une pareille vigueur. Tout était soldat dans la ville. Les femmes mêmes donnèrent leurs cheveux pour être employés aux machines destinées à lancer des traits. Ils firent grand usage dans leur défense de poix et de résine bouillante, qu'ils versaient à pleins tonneaux sur les assaillants. Il se livra ainsi plusieurs combats, dans lesquels les troupes de Maximin souffrirent beaucoup, sans pouvoir jamais parvenir à faire brèche à la muraille. Le courage des assiégés croissait par le succès, pendant qu'au contraire les assiégeants, rebutés de l'inutilité de leurs efforts, se dégoûtaient d'une cause détestée de tout l'empire, et peu heureuse. Ajoutez la disette extrême à laquelle ils étaient réduits, ne recevant aucun convoi de tout le pays qui était devant eux, et n'ayant communication qu'avec la Pannonie, qu'ils avaient mangée ; au lieu que la ville abondamment fournie nourrissait à l'aise ses habitants ; en sorte que l'armée de Maximin semblait plutôt assiégée qu'assiégeante. La férocité du prince acheva de mettre le comble au mécontentement et au désespoir des soldats. Ce barbare, accoutumé à toujours vaincre, entrait en fureur à la vue d'une résistance dont il ne pouvait triompher. Il était encore aigri par les insultes dont les assiégés l'accablaient lui et son fils. La haine qu'ils avaient contre lui s'était tournée en mépris depuis qu'ils cessaient de le craindre ; et lorsqu'il s'approchait des murs, il n'était point de reproches injurieux et outrageants qu'ils ne lui prodiguassent. Maximin outré ne se connaissait plus. Il déchargeait sa colère sur ses troupes, qu'il accusait de timidité et de lâcheté ; il punissait les officiers par la mort et par l'ignominie. Ainsi haï de tout l'univers, il eut encore soin de se procurer la haine de ceux qui seuls faisaient sa ressource, et lui servaient de remparts.

Les plus susceptibles de l'esprit de révolte furent les prétoriens, dont les femmes et les enfants étaient à Rome. Ils s'animèrent réciproquement, en se communiquant leurs plaintes sur la longueur d'un siège pénible et meurtrier, dont ils ne voyaient point la fin ; sur la triste nécessité où ils se trouvaient de faire la guerre à l'Italie pour un tyran haï des dieux et des hommes. De ces plaintes ils passèrent aisément à la résolution de se défaire de Maximin : il ne s'agissait que d'en trouver l'occasion. Ils profitèrent d'un jour accordé aux troupes pour se rafraîchir et se reposer de leurs fatigues ; et pendant que les autres soldats dispersés dans le camp, ou tranquilles dans leurs tentes ne pensaient qu'au délassement, les prétoriens en armes vont à la tente impériale sur le midi. Ceux qui faisaient actuellement la garde se joignirent sans balancer à leurs camarades, et ils arrachèrent de leurs drapeaux les images de celui qu'ils ne reconnaissaient plus pour empereur. Maximin averti par le bruit, sortit 'au-devant d'eux pour essayer de leur imposer en paraissant ne les pas craindre. Ils n'écoutèrent point ses discours, ils le massacrèrent avec son fils, et leur ayant coupé la tête, ils laissèrent les corps en proie aux vautours et aux bêtes carnassières. C'est ainsi que Maximin expia le meurtre d'Alexandre son maitre et son bienfaiteur, par une catastrophe toute semblable à celle qu'il lui avait fait éprouver. Son préfet du prétoire Anulin, et ceux qui étaient regardés comme ses amis les plus chers, furent tués avec lui. M. de Tillemont place cet événement à la fin du mois de mars de l'an de J.-C. 238. Maximin pouvait être âgé de cinquante-cinq ans.

Son fils, qui était César, comme nous l'avons dit, et même, selon quelques -uns, Auguste, n'en avait que vingt-un : jeune prince, qui fut entraîné par le malheur de son père, et dont l'histoire n'a guère conservé que le souvenir de sa belle figure. Les amis des Gordiens ont extrêmement décrié ses mœurs ; mais leur témoignage est suspect. Capitolin le taxe d'une attention curieuse à relever par la parure l'éclat de sa bonne mine. Il l'accuse aussi d'orgueil et d'arrogance. Il dit que pendant.que Maximin le père, malgré sa fierté barbare, se levait néanmoins pour faire honneur aux personnes illustres qui l'approchaient, le fils demeurait assis, et qu'if poussa même l'insolence jusqu'à se faire souvent baiser les pieds. Dans un autre endroit le même écrivain au contraire plaint le sort du jeune Maximin, comme indigne de la bonté de son caractère ; et il cite un auteur qui avait écrit que les Romains furent presque aussi affligés de sa fin tragique, qu'ils eurent de joie de celle de son père. On voit que ce que nous savons de certain sur Maximin le jeune se réduit à bien peu de chose.

Le règne de Maximin dura trois ans et quelques jours, à compter jusqu'au temps de sa mort. J'ai dit que la haine qu'il portait à la mémoire d'Alexandre l'engagea à persécuter les chrétiens, que ce prince avait favorisés. Cette persécution n'attaquait que les évêques et les prêtres ; et Orose[4] assure que Maximin en voulait  personnellement à Origène, qui pourtant échappa à ses fureurs, et lui survécut. Dans cette même persécution on abattit les églises des chrétiens ; et M. de Tillemont observe que c'est là le plus ancien témoignage formel que nous ayons d'édifices consacrés publiquement par les chrétiens au culte de leur religion, et connus pour tels par les païens. Nous avons vu un trait qui y a rapport sous le règne d'Alexandre Sévère ; et c'est peut-être la protection que ce prince accordait aux chrétiens, qui leur donna lieu de bâtir hardiment des églises, au lieu des oratoires secrets qu'ils avaient auparavant dans l'intérieur des maisons.

La mort de Maximin excita d'abord quelque trouble dans l'armée. Les Pannoniens, les Thraces, et autres corps de troupes barbares, qui avaient principalement contribué à son élévation, conservaient de l'affection pour lui, et le regrettaient. Mais enfin il n'était plus : le grand nombre approuvait sa mort, et s'en réjouissait. Il fallut que les plus faibles cédassent, et se laissassent entraîner par le vœu général. Les Maximins ne furent plus traités que de tyrans : les restes de leurs cadavres furent jetés à la rivière, et leurs têtes envoyées à Maxime, qui était à Ravenne.

Toute l'armée d'un commun accord se présenta alors devant les murs d'Aquilée, non plus hostilement, mais sans armes, et avec des dispositions pacifiques, annonçant la mort de Maximin, et demandant que les portes de la ville fussent ouvertes, et que l'on ne regardât plus comme ennemis ceux qui avaient cessé de l'être. Les gouverneurs de la place ne se hâtèrent point d'ajouter foi à ces discours. Ils usèrent d'une sage défiance, et commencèrent par proposer à la vénération de l'armée les images des deux Augustes, Maxime et Balbin, et de Gordien César. L'année leur ayant rendu sans difficulté ses hommages comme à ses princes légitimes, la paix fut rétablie entre la ville et le camp, mais non pas la pleine liberté du commerce. Les portes d'Aquilée restèrent fermées : seulement de dessus les murs on fournissait aux officiers et aux soldats les vivres et tous les rafraîchissements dont ils avaient besoin : et ils comprirent mieux que jamais, combien le siège d'une ville si abondamment approvisionnée aurait été long pour eux, et d'un succès incertain. Les choses demeurèrent en cet état mitoyen, qui laissait subsister des vestiges de division, jusqu'à ce que l'on eût reçu des ordres de Maxime.

Ce prince était, comme je l'ai dit, à Ravenne, occupé du soin d'assembler des forces pour une guerre, qu'il lui fallait faire, disait-il, non contre un homme, mais contre un Cyclope. Toute l'élite de la jeunesse d'Italie se rendait auprès de lui ; et il lui était venu un secours considérable de la Germanie, qu'il avait autrefois gouvernée avec équité et avec sagesse, et qui en ayant retenu le souvenir se portait ardemment à le seconder empereur. Son plan était de laisser Maximin se consumer au siège d'Aquilée, qu'il savait être en état de tenir longtemps ; et d'aller, lorsque le moment serait venu, avec des troupes lestes et fraîches tomber sur une armée diminuée pour le nombre, et épuisée de fatigues.

Pendant qu'il préparait toutes choses pour ce dessein, non sans quelque inquiétude sur le succès, arrivent les cavaliers qui lui apportaient les têtes des deux Maximins. On peut juger quelle fut la joie d'une victoire si imprévue, et pour laquelle il n'avait pas même tiré l'épée. Il offrit sur-le-champ aux dieux des sacrifices d'actions de graves, et la nouvelle s'étant répandue en un instant dans toute la ville de Ravenne, partout les autels fumaient du sang des victimes. Maxime, après avoir envoyé les têtes des Maximins à Rome par les mêmes cavaliers qui les lui avaient apportées, partit lui-même pour Aquilée.

A sa venue les portes s'ouvrirent, et toute apparence de siège et de guerre cessa. On ne peut pas douter qu'il n'ait loué et récompensé la fidélité et le zèle des habitants de cette ville, qui avait été le boulevard de l'Italie et de l'empire. Il y reçut les députations de toutes les villes voisines, qui lui envoyèrent leurs magistrats vêtus de blanc, couronnés de lauriers, et portant les statues de leurs dieux, et tout ce qu'il y avait d'ornements plus précieux dans leurs temples. L'armée qui avait assiégé Aquilée se présenta aussi à lui, rangée en ordre, et portant des branches de laurier. Elle le reconnut d'un consentement qui paraissait unanime ; mais il était déjà arrivé du changement dans les esprits. La jalousie pour les droits du corps se réveillait : et un grand nombre de soldats conservaient dans leur cœur un secret dépit, de ce que l'empereur qui leur devait son élévation était remplacé par des successeurs du choix du sénat.

Maxime n'ignorait pas ces dispositions, et il régla sur ce point de vue le discours qu'il leur tint le troisième jour depuis son arrivée. Il les assembla dans la plaine, et étant monté sur son tribunal, il les félicita d'abord de ce qu'ils étaient rentrés dans le devoir, et avaient renoué les engagements du serment qui les liait aux légitimes empereurs. Il leur fit observer que le sénat et le peuple avaient usé de leur droit, en donnant des chefs à l'empire. Car, ajouta-t-il, l'empire n'est point le domaine d'un seul. Il appartient en commun au sénat et au peuple, à remonter jusqu'aux premières origines : c'est dans la ville de Rome que réside la fortune publique, et nous sommes délégués pour administrer et gouverner les affaires de l'état avec votre secours. L'observation de la bonne discipline, et une obéissance respectueuse de votre part envers ceux qui sont revêtus du commandement, vous procureront des établissements avantageux, et un heureux calme à l'univers. Maxime termina son discours par leur ôter toute inquiétude sur le passé, en leur promettant une amnistie de bonne foi, et déclarant que le jour où il leur parlait devait être regardé par eux comme l'époque d'un traité d'alliance, et le gage d'une bienveillance et d'une union éternelles. Pour établir cette union, il y joignit l'amorce alors nécessaire auprès des soldats, et il leur promit une magnifique distribution d'argent.

Il prit ensuite une précaution sage en séparant cette armée. Il renvoya les légions et les autres troupes dans leurs quartiers, et dans les provinces d'où Maximin et Alexandre les avaient tirées ; et il n'emmena avec lui à Rome, que les prétoriens, les nouvelles levées faites par Balbin, et les Germains, sur l'affection et sur la fidélité desquels il comptait pleinement.

A Rome tout était dans la joie. Il n'est pas possible d'exprimer les transports d'allégresse qu'y avait causés la nouvelle de la mort des Maximins. Le courrier, qui n'avait été que quatre jours en chemin depuis Aquilée, arriva pendant que Balbin assistait avec le jeune César Gordien à des jeux, que n'avaient pu interrompre même les dangers d'une guerre si voisine et si redoutable. Aussitôt que l'on sut dans l'assemblée ce que le courrier apportait, le spectacle se sépara. Occupés d'un seul objet, les sénateurs se rendirent au lieu destiné à leurs délibérations, et le peuple courut à la place publique. Dans le sénat ce ne furent qu'acclamations et qu'applaudissements, mêlés des témoignages les plus énergiques de détestation contre la mémoire des Maximins. On décerna aux empereurs des statues triomphales, et de solennelles actions de grâces aux dieux. Le peuple avait prévenu ce décret par son empressement à se répandre dans tous les temples. Tout âge, tout sexe y courait en foule. Les citoyens dans une espèce d'enthousiasme se répétaient les uns aux autres la bonne nouvelle, se félicitaient, s'embrassaient mutuellement. La joie était aussi excessive, qu'universelle. Mais personne n'y fut plus sensible que Balbin, qui naturellement timide avait été jusque là frappé d'une telle crainte, qu'il ne pouvait entendre le nom de Maximin sans trembler. Alors, accompagné des magistrats et de tout le sénat, il offrit une hécatombe : et le zèle des particuliers ne fut pas moins vif. Chacun se croyant délivré d'une hache tranchante qui menaçait sa personne et sa vie, s'efforçait de témoigner sa reconnaissance aux dieux par des sacrifices.

La joie publique se renouvela à la vue des têtes des Maximins apportées à Rome par les cavaliers qui les avaient présentées à Maxime. Elles furent données en spectacle et portées au haut d'une pique dans toutes les rues de Rome ; et la populace, dans l'ivresse de sa joie, les insulta, les outragea en mille manières, et enfin les brûla dans le Champ de Mars.

Le retour de Maxime à Rome fut un vrai triomphe. On lui avait déjà envoyé à Aquilée pour le féliciter une députation solennelle de vingt sénateurs, dont quatre consulaires, huit anciens préteurs, et huit anciens questeurs. Lorsqu'il revint, et qu'il fut proche des murs de la capitale, Balbin son collègue, le jeune César, tout le sénat, et une foule innombrable de peuple, sortirent au-devant de lui. Il fut reçu comme un libérateur, comme un sauveur. Quoique la guerre eût été terminée sans lui, on ne lui en attribuait pas moins l'honneur de la victoire : et véritablement les bons ordres qu'il avait donnés pour arrêter et rendre inutile les efforts de Maximin, en étaient la principale cause.

Dans la joie commune de tous les ordres, les soldats seuls paraissaient tristes et mécontents. Les discours de Maxime, l'amnistie offerte et assurée, les largesses promises, rien n'avait pu les consoler de la nécessité où ils se voyaient d'obéir à des empereurs qu'ils n'avaient point élus : et le sénat augmenta cette mauvaise disposition par ses acclamations imprudentes. Au milieu des applaudissements dont les sénateurs comblaient Maxime et Balbin, comparant leur fortune avec celle de Maximin, ils s'écrièrent : Ainsi triomphent les empereurs mis en place par un choix sage : ainsi périssent ceux qui s'élèvent par la faveur d'une multitude inconsidérée. Les soldats n'eurent pas de peine à comprendre que cette censure tombait directement sur eux : et le ressentiment qu'ils en conçurent produisit bientôt les plus tristes effets.

Pendant un calme de fort courte durée dont jouirent les deux empereurs, ils donnèrent une idée avantageuse de leur gouvernement. Ils témoignaient une grande déférence pour le sénat, rendaient la justice par eux-mêmes, faisaient de sages réglementa, disposaient toutes choses avec vigilance et activité pour, la guerre qu'ils prétendaient pousser contre les Perses d'une part, et contre des nations germaniques ou scythiques de l'autre. Maxime devait marcher vers l'Orient, et Balbin du côté du Nord.

Néanmoins cette conduite si louable au dehors cachait un mal funeste, et presque inévitable entre deux collègues qui partagent la souveraine puissance. Ils paraissaient agir en tout de concert : au fond la jalousie les divisait. Balbin avait été blessé des éloges donnés à Maxime pour une victoire remportée, disait-il, sans coup férir, pendant que lui, il avait essuyé tant de fatigues et couru tant de risques pour apaiser une sédition qui menaçait Rome de sa ruine. D'ailleurs il méprisait son collègue, comme inférieur à lui pour la naissance ; et Maxime de son côté tirait avantage de sa supériorité dans le mérite des armes, et il tournait en risée la timide faiblesse de Balbin. Tous deux ils se regardaient presque avec des yeux de rivaux : et chacun aspirant dans son cœur à devenir seul maître, devinait dans son compagnon la façon de penser qu'il trouvait en lui-même. Ces divisions n'éclataient pas ouvertement, mais il en transpirait des signes non équivoques, qui affligeaient les bons citoyens, et qui donnèrent aux prétoriens l'espérance et la facilité de réussir dans le noir dessein qu'ils tramaient contre leurs empereurs ;

Car cette milice, toujours ennemie de la sagesse et de la vertu dans ses princes, n'épiait que le moment de tuer Maxime et Balbin. Aux motifs de haine que j'ai allégués, se joignaient la crainte et la défiance. Ils se souvenaient que Sévère, pour venger la mort de Pertinax, avait cassé le corps entier des prétoriens. Ils appréhendaient le même traitement de la part des empereurs régnants : et les Germains, que Maxime avait amenés avec lui, et qui lui étaient comme je l'ai dit, singulièrement 'affectionnés, leur paraissaient des successeurs tout prêts à les remplacer.

Ils trouvèrent l'occasion qu'ils cherchaient dans les jeux Capitolins, qui attiraient toute la ville, en sorte que les empereurs étaient presque seuls dans leur palais. Les prétoriens s'ameutent, et partent en armes pour exécuter leur horrible attentat. Maxime fut averti du danger, et il manda ses fidèles Germains. S'il avait pu les rassembler autour de sa personne, il lui aurait été aisé de se défendre contre la fureur des meurtriers. Mais Balbin, par un aveuglement aussi étrange que pernicieux, donna des ordres contraires, s'imaginant que l'intention de Maxime était dé se servir des Germains pour s'emparer seul de la souveraine puissance, et pour se défaire d'un collègue importun. Il ne tira d'autre fruit de ces ombrages si déplacés, que sa perte et celle de Maxime. Les prétoriens n'ayant à vaincre aucune résistance, entrent dans le palais, et se rendent maîtres de la personne des deux empereurs. Ce ne fut pas assez pour eux de leur ôter la vie : ils poussèrent la rage jusqu'à vouloir déshonorer et outrager des princes si vénérables par la majesté du rang suprême, par leur âge, par leur vertu. Ils les dépouillent, et les traînant par les rues de Rome vers leur camp, ils les frappent au visage, ils leur arrachent les sourcils et les poils de la barbe, ils mêlent en mille manières la dérision à la cruauté, et se font un plaisir barbare de prolonger leurs douleurs et d'insulter en eux le caractère d'empereurs choisis par le sénat. Enfin, lorsqu'ils surent que les Germains accouraient à la défense des princes, ils finirent leurs tourments avec leurs vies, et les ayant massacrés ils laissèrent leurs corps morts étendus au milieu de la rue, et s'en retournèrent au camp. Les Germains, dont le zèle apparemment n'avait pas grande vivacité, voyant que ceux qu'ils se proposaient de secourir n'étaient plus, ne jugèrent pas à propos d'entreprendre pour des morts un combat qui n'avait plus d'objet, et ils se retirèrent tranquillement.

Telle fut la fin déplorable de deux empereurs capables par leurs talents différents de rétablir la gloire et la splendeur de Rome, si la fureur des soldats le leur eût permis : événement atroce, et tel qu'il ne se trouve rien de plus horrible dans l'histoire d'aucune nation même barbare ; fruit amer, mais infaillible, des molles complaisances par lesquelles le gouvernement des Césars nourrissait l'insolence des troupes.

Maxime avait prévu ce triste sort dès le moment de son élévation à l'empire. Quelle récompense devons-nous nous promettre, dit-il à Balbin, si nous délivrons le genre humain du monstre qui le tyrannise ? Balbin lui ayant répondu : Nous pouvons compter sur la reconnaissance et l'amour du sénat et du peuple romain, et même de l'univers. — Ajoutez, reprit Maxime, et sur la haine des soldats qui nous deviendra funeste. Sa prédiction et celle de Balbin furent également vérifiées ; car ils périrent extrêmement regrettés. Ils avaient toujours été fort estimés du sénat, Balbin toujours aimé du peuple ; et Maxime lui-même était parvenu à s'acquérir l'affection du commun des citoyens qui, d'abord alarmés, comme on l'a vu, de sa sévérité, s'étaient laissé regagner par l'importance du service qu'il avait rendu et par la modération de son gouvernement.

Balbin laissa une postérité qui subsistait florissante au temps de Dioclétien. L'histoire ne parle point de celle de Maxime. Il avait commencé la splendeur de sa maison, et elle finit avec lui.

La mort de ces deux empereurs est placée par M. de Tillemont vers le 15 juillet de l'an de J.-C. 238. Ils avaient régné un peu plus d'un an.

 

 

 



[1] Capitolin se contredit, et est plein de brouilleries dans les différents récits qu'il donne de cette sédition. Je suivrai principalement Hérodien.

[2] Laubach dans la Carniole.

[3] Voyez Histoire Romaine, t. X, p. 100.

[4] OROSE, VII, 19.