FASTES DU RÈGNE DE MAXIMIN, DES DEUX GORDIENS, ET DE MAXIME ET BALBIN[1]. ..... SEVERUS. - ..... QUINTIANUS. AN R. 986. DE J.-C. 235.Maximin élu empereur par l'armée, demande et obtient la confirmation du sénat. Il fait son fils César. Il éloigne tous les amis d'Alexandre. Il exerce beaucoup de cruautés sur la maison de ce prince, clans laquelle il y avait un grand nombre de chrétiens. Il persécute le christianisme. Églises abattues. Première mention certaine et expresse des églises des chrétiens. Conspiration, ou réelle ou supposée, de Magnus. Quatre mille personnes sont mises à mort à cette occasion : Conspiration des Osrhoéniens. T. Quartinus empereur de six jours. Sa mort arrête le projet de révolte. Maximin passe le Rhin, et livre aux Germains plu sieurs combats, dans lesquels il fut toujours victorieux. C. JULIUS VERUS MAXIMINUS AUGUSTUS. - ….. AFRICANUS. AN R. 987. DE J.-C. 236.Exploits de Maximin vers le Danube. Il passe l'hiver à Sermium, et de là comme d'un centre il étend sur toutes les provinces de l'empire ses cruautés et ses rapines. Haine et détestation universelle contre lui. On le regarde comme un Phalaris, un Busiris, un Cyclope. ..... PERPETUUS. - ..... CORNELIANUS. AN R. 988. DE J.-C. 237.Vers le milieu du mois de mai l'Afrique se révolte, et nomme empereurs les deux Gordiens, père et fils, dont l'un était proconsul de la province, et l'autre lieutenant-général sous son père. Ils sont reconnus par le sénat, et les Maximin déclarés ennemis publics. Presque tout l'empire, acquiesce au décret du sénat. Fureur de Maximin. Son armée indisposée elle-même contre ses cruautés ; ne le seconde que froidement. Capétien gouverneur de Numidie, que Gordien voulut destituer, marche contre Carthage avec une armée. Combat où Gordien le jeune est tué. Le père s'étrangle lui-même. Cette catastrophe des Gordiens doit être arrivée à la fin de juin, ou dans les premiers jours de juillet. Le neuf juillet le sénat élit pour empereurs en leur place Maxime et Balbin, qui forcés par le peuple s'associent Gordien III sous le nom de César. Gordien III était alors un enfant de douze.ans, fils, ou plus vraisemblablement neveu de Gordien le jeune. Grands préparatifs, et sages mesures prises par les empereurs et par le sénat pour empêcher l'entrée de Maximin en Italie. Maxime part pour la guerre, et se rend à Ravenne. Horrible sédition dans Rome entre le peuple et les prétoriens. Combat. Une grande partie de la ville est brûlée. ANNIUS PIUS OU ULPIUS. - ..... PONTIANUS. AN R. 989. DE J.-C. 238.Maximin se met en marche avec son armée. Aquilée lui ferme ses portes. Siège de cette place, qui fait une vigoureuse défense. Maximin et son fils sont tués par leurs soldats, vers la fin du mois de mars. Leur mort rétablit la paix. Maxime vient de Ravenne à Aquilée. Il sépare l'armée de Maximin, et en renvoie les troupes dans leurs différentes provinces. Il retourne triomphant à Rome. Sage gouvernement des empereurs. Jalousie secrète entre eux. Ils sont massacrés vers le quinze juillet par les prétoriens. Maximin recueillit sans beaucoup de peine le fruit de son crime, qui d'abord demeura caché. On ignorait la part qu'il avait eue au meurtre d'Alexandre. Ainsi non seulement les nouvelles levées qu'il commandait, et qui lui étaient extrêmement affectionnées, le proclamèrent Auguste, mais bientôt après les autres troupes sollicitées par l'exemple, forcées de se donner un chef à l'entrée d'une campagne qui pouvait être périlleuse, d'ailleurs n'étant point retenues par l'horreur d'un crime dont elles n'avaient point de connaissance, joignirent leurs suffrages à celui de leurs camarades : et Maximin fut reconnu et salué empereur par toute l'armée. Il affecta dans les commencements d'accorder des respects à la mémoire d'Alexandre, auquel fut construit, comme je l'ai dit, un cénotaphe dans les Gaules, et dont les cendres portées à Rome, y reçurent les plus grands honneurs. Maximin écrivit aussi au sénat pour demander à cette première compagnie de la république la confirmation de son élection par les soldats ; et il l'obtint, parce que la crainte de ses armes et l'impossibilité de faire un autre choix, ne permettaient pas de lui refuser sa demande. Il avait un fils qui pouvait alors être âgé de dix-huit ans, le plus beau jeune homme qu'il y eût dans tout l'empire, bien élevé, instruit dans les lettres grecques et latines, et qui était déjà sur la route de la fortune et de la grandeur, puisque Alexandre avait eu la pensée de lui donner sa sœur en mariage, et qu'au défaut de cette alliance, qui apparemment n'avait pas été du goût de Mamæa, le jeune Maximin devait en contracter une autre presque aussi brillante avec Junia Fadilla, arrière-petite-fille d'Antonin. Son père ne se vit pas plus tôt empereur qu'il l'approcha du rang suprême, en lui conférant les titres de César et de Prince de la jeunesse. Il hait tout ce qui est grand dans Le caractère propre de Maximin était, comme nous l'avons vu, la férocité ; et ce vice était augmenté en lui par la considération de la bassesse de sa naissance, qui lui donnait lieu de se croire méprisé. Ainsi, ennemi décidé de tout ce qui était grand dans l'état, il ne tarda pas à manifester cette odieuse façon de penser. Le respect qu'il témoignait à l'extérieur pour la mémoire d'Alexandre ne l'empêcha pas d'écarter de la cour et de l'armée tous les amis de ce jeune et aimable prince, et tous ceux qui formaient son conseil. Il renvoya les uns à Rome ; il dispersa les autres en différentes contrées, sous prétexte d'emplois qu'il leur donnait. Ces hommes vénérables lui faisaient ombrage. Il était curieux de paraître seul, et il voulait, libre de tous les égards qu'attirent nécessairement la naissance et le mérite, faire de son camp une citadelle de tyrannie, d'où il pût sans aucun empêchement répandre partout la terreur. Les officiers qui composaient la maison d'Alexandre furent encore moins ménagés et traités plus rigoureusement que ses amis. Maximin, qui ne doutait pas qu'ils ne le détestassent comme le meurtrier de leur maître, leur rendit baise pour haine ; et non seulement il les cassa tous, mais il en fit mourir plusieurs. Il y avait entre eux un grand nombre de chrétiens ; et la haine qu'il leur portait s'étendit sur leur religion, contre laquelle il suscita une persécution que l'on compte pour la sixième. J'en dirai un mot ailleurs. Une conspiration qui se trama contre Maximin, ou qu'il supposa, lui présenta l'occasion ou le prétexte de déployer toute sa cruauté. Magnus, personnage consulaire et d'une illustre naissance, fut accusé d'avoir corrompu la fidélité de plusieurs soldats et centurions pour tuer Maximin, et se faire empereur ; et voici le plan qu'on lui imputa d'avoir dressé pour parvenir à cette fin. Maximin, se préparant à aller attaquer les Germains dans leur pays, avait jeté un pont sur le Rhin. Il aimait la guerre par inclination, et de plus il croyait être intéressé, pour l'affermissement de sa puissance, à vérifier par des victoires la haute réputation qu'il s'était faite dans les armes, et qui lui avait valu l'empire. Il reprochait à Alexandre, quoique sans fondement, d'avoir agi mollement contre les Barbares, et c'était pour lui un nouveau motif de montrer de la vivacité et de la vigueur. Ainsi, tout occupé de son expédition prochaine, il exerçait sans cesse ses troupes, il les tenait perpétuellement en baleine, lui-même toujours sous les armes, et animant les soldats par ses discours et par ses exemples. Il se comportait empereur comme il avait fait centurion et tribun. Ce mouvement, qui occupait tous les esprits, avait paru, disait-on, une occasion favorable aux conspirateurs. Ceux qui gardaient le pont étaient gagnés, et, lorsque Maximin serait passé, ils devaient rompre le pont pour lui couper la communication avec son armée. Ainsi Maximin en pays ennemi aurait été livré à la merci des conjurés, qui se seraient empressés de passer avec lui. Que ce plan ait été réel ou supposé, c'est sur quoi l'on ne peut rien dire de certain, parce qu'il ne fut fait aucune information en règle, aucune procédure ; rien ne fut examiné : mais Maximin tint le fait pour vrai et pour prouvé, et en conséquence il n'est point de cruauté qu'il n'exerçât sur tous ceux qu'il voulut regarder comme suspects. On prétend qu'il en coûta la vie à plus de quatre mille personnes, qu'il fit mourir par toutes sortes de supplices les plus cruels qu'il put imaginer. Les uns furent mis en croix, les autres enfermés dans le ventre d'animaux fraîchement tués. Plusieurs étaient exposés aux bêtes, quelques- uns mouraient sous le bâton, et cela indistinctement, sans égard pour la dignité ni pour la condition. Les nobles étaient ceux qu'il haïssait le plus : il les extermina tous et n'en souffrit aucun auprès de lui, voulant régner en Spartacus, qui ne commandait qu'à des esclaves. Ayant une fois lâché la bride à sa cruauté, il n'y mit plus aucune borne. Toujours plein de l'idée que l'obscurité de son origine l'exposait au mépris, il voulut en faire disparaître les preuves en tuant ceux qui en avaient une particulière connaissance. II tua urémie des amis qui, lorsqu'il était dans le besoin, lui avaient donné par commisération des secours, dont le souvenir était pour cette âme abominable un reproche de sa bassesse. C'est donc avec raison qu'il fut universellement fiai, que l'on cherchait dans les monstres de l'antiquité fabuleuse des noms qui lui convinssent, qu'on le traitait de Cyclope, de Busiris, de Phalaris. Il ne pouvait ignorer cette horreur que l'on avait de lui ; mais il n'en tenait aucun compte, persuadé de cette affreuse maxime Qu'un prince ne peut se maintenir que par la cruauté. Aveuglé par une brutale confiance en ses forces, il semblait qu'il crût être fait pour tuer les autres, sans pouvoir jamais être tué lui-même : Le contraire lui fut pourtant dit en face à un spectacle,
dans une langue qu'il n'entendait pas. Un comédien prononça des vers grecs[2] dont le sens est
: Celui qui ne peut pas être tué par un seul, peut
l'être par plusieurs réunis. L'éléphant est un grand animal, et on vient à
bout de le tuer ; le lion et le tigre sont fiers et courageux, et on les tue.
Craignez la réunion de plusieurs, si un seul ne peut pas vous faire craindre.
Maximin, qui n'entendait pas le grec, mais qui vit apparemment un mouvement
dans l'assemblée, demanda à ses voisins ce que signifiaient les vers que
venait de réciter le comédien ; on lui répondit toute autre chose que la
vérité, et il s'en contenta. Avant qu'il passât le Rhin, une conspiration, sur la réalité de laquelle l'histoire ne jette aucun doute, le mit en danger. Elle avait pour principe, non l'ambition d'un particulier, mais le mécontentement d'un corps. Les Osrhoéniens amenés par Alexandre en Gaule lui avaient été extrêmement attachés ; et le mystère du meurtre de ce prince, qui ne pouvait pas demeurer longtemps caché, commençant à s'éclaircir, ils conçurent une haine très-violente contre Maximin. Pour satisfaire leur vengeance, ils se cherchèrent un chef, et ils jetèrent les yeux sur T. Quartinus, homme consulaire, ami d'Alexandre, et que par cette raison Maximin avait destitué de son emploi. Ce sénateur sage et modéré voulut se refuser à leurs offres ; mais ils lui firent violence, et malgré lui ils le revêtirent de la pourpre et des autres marques de la dignité impériale ; ornements funestes, qui n'eurent d'autre effet que d'attirer une mort prompte à celui que l'on en décorait ; car au bout de six jours un ami perfide, qui avait insisté auprès de lui pour le déterminer à acquiescer au désir des soldats, l'attaqua pendant qu'il dormait, et le tua. Ce traître, qui se nommait Macédonius, comptait sur de grandes récompenses de la part de Maximin, à qui il porta la tête de Quartinus. Maximisa fut charmé d'être délivré d'un ennemi ; mais faisant réflexion que Macédonius était coupable envers lui pour avoir excité et fomenté la rébellion des Osrhoéniens ; d'ailleurs ne croyant pas pouvoir se fier à celui qui avait violé les droits les plus saints envers son ami, au lieu de le payer de son service ii lui fit subir la juste peine de son crime, et par sa mort il vengea Quartinus. Cet infortuné empereur de six jours avait pour femme Calpurnia, de l'illustre sang des Pisons, dont l'histoire nous a conservé le nom avec éloge. On loue son austère vertu. Après qu'elle eut perdu Quartinus, elle ne voulut point prendre d'autre époux ; et sa conduite se soutint de manière qu'elle lui mérita le respect pendant sa vie et après sa mort. Vivante, elle fut mise au rang des prêtresses, et après sa mort on lui érigea dans le temple de Vénus une statue qui partageait avec celle de la déesse le culte et les honneurs divins. Il n'est pas possible que l'ardeur de Maximin pour la guerre n'ait été retardée par les dangers domestiques et par les précautions cruelles qu'il prit pour sa sûreté : néanmoins ces délais ne furent pas longs, et, dans les premiers mois qui suivirent son élévation à l'empire, il passa le Rhin et entra en Germanie. Son année était nombreuse et florissante : Alexandre avait assemblé de très-grandes forces, et Maximin les augmenta encore. Les Germains n'étaient pas en état de tenir la campagne contre une si redoutable invasion. Ils abandonnèrent tout le pays découvert, et se retirèrent dans leurs forêts et derrière leurs marais, qui leur fournissaient des défenses naturelles. Maximin ravagea tout le pays abandonné, laissant aux soldats le butin, qui ne consistait guère qu'en bestiaux. H brûlait les bourgs et les villages, dont les maisons n'étaient que de bois, parce que les Germains connaissaient peu l'usage soit de la pierre, soit de la brique. Il arriva ainsi aux ennemis, et il leur livra plusieurs combats dans lesquels, malgré le désavantage des lieux, il eut toujours la supériorité. Les arbres des forêts où se livraient ces combats arrêtaient et rendaient inutiles une grande partie des traits des Romains ; souvent ils rencontraient des marais qu'il leur fallait traverser sans les connaître : au lieu que les Germains en connaissaient/les gués comme les routes de leurs bois ; et d'ailleurs, exercés à nager dès l'enfance, ils n'étaient point embarrassés lorsque le pied leur manquait. L'histoire remarque une action très-vive dans laquelle Maximin[3], plus soldat que capitaine, et pensant en barbare sur la bravoure personnelle, qu'il regardait comme la première qualité d'un général, s'exposa sans nul ménagement. Les Germains, battus à la tête d'un marais, se jetèrent dedans pour échapper aux vainqueurs. Les Romains craignant de s'y engager pour les poursuivre, Maximin y entra le premier, quoique son cheval eût de l'eau jusqu'au poitrail, et il tua de sa main quelques-uns des Barbares qui tournaient tête pour lui résister. Ses soldats eurent honte d'abandonner leur empereur, qui leur donnait l'exemple d'un courage si déterminé : ils le servirent en foule ; et les ennemis, qui se voyaient poursuivis dans leur retraite, s'étant mis en défense, il se livra au milieu des eaux un nouveau combat. Il fut longtemps disputé : les Romains y perdirent beaucoup de monde ; mais enfin l'avantage leur resta, et l'armée des Germains périt presque entière. Le marais fut rempli de corps morts, et les eaux teintes de sang. Maximin se fit grand honneur de cette victoire. Il ne se contenta pas d'en envoyer la relation à Rome ; il fit peindre l'action, et il voulut que le tableau qui la représentait fût exposé dans le lieu le plus éminent du sénat, afin que sa gloire frappât les yeux de ceux dont il savait bien qu'il n'était pas aimé. Son ordre fut exécuté ; mais le tableau ne resta pas longtemps en place : il fut enlevé et détruit avec les autres monuments honorables pour Maximin, dès que le sénat fut entré en guerre contre ce prince. Il y eut encore plusieurs autres combats entre lm et les Germains, et il fit toujours briller sa valeur. Cette guerre paraît l'avoir occupé pendant l'année de J.-C. 235 et la suivante. Il prit en conséquence, lui et son fils, le titre de Germanique. Il faut aussi qu'il ait remporté quelques avantages sur les Sarmates et sur les Daces, puisqu'on lui donne sur ses médailles les surnoms de Sarmatique et de Dacique. Son plan était de subjuguer toutes ces nations barbares, et d'étendre la domination romaine jusqu'à la mer du Septentrion. Il fit beaucoup valoir ces exploits, et voici de quel style
il en écrivit au sénat : Nous avons fait, sénateurs,
ses exploits plus que nous ne pouvons dire. Nous avons ravagé une étendue de
pays de quatre cent milles, brûlant les villages, enlevant les bestiaux,
emmenant des troupes de prisonniers, taillant en pièces tous ceux qui nous
ont fait résistance. Nous avons vaincu les ennemis malgré mille obstacles ;
et si des marais impénétrables ne nous eussent arrêtés, nous les aurions poursuivis
jusque dans les forêts qui leur ont servi de retraite. Dans une autre
lettre, adressée pareillement au sénat, il enchérissait encore sur ces fanfaronnades.
Sénateurs, disait-il, en un temps fort court j'ai fait plus de guerres, livré plus de
batailles qu'aucun des anciens. Le butin que j'ai amené sur les terres
romaines a passé nos espérances. Nous manquons d'espace pour loger nos
prisonniers. Mais quand les victoires de Maximin sur les Barbares auraient été aussi éclatantes que les termes dans lesquels il en parlait étaient fastueux, elles ne consolaient pas les Romains des maux que sa tyrannie leur faisait souffrir. Après la campagne de l'an 236, il passa l'hiver à Sirmium en Pannonie, et il n'y fut occupé que de rapines et d'exactions accompagnées des plus grandes cruautés. Non seulement il donnait toute liberté aux délateurs, mais il les invitait à tourmenter les citoyens par des recherches odieuses. Faussetés évidentes, calomnies grossières, tout était écouté. Sous prétexte de poursuivre les droits du fisc, on remuait des affaires oubliées depuis cent ans. Quiconque se voyait appelé en jugement devait s'attendre à une condamnation infaillible ; heureux s'il en était quitte pour la confiscation de ses biens ! Ces injustices se renouvelaient chaque jour, et l'on avait sans cesse sous lès yeux des hommes très-riches la veille, et le lendemain réduits à mendier. Bien loin que l'âge et les dignités fussent des sauvegardes respectées, c'était précisément aux grands de l'état que Maximin en voulait. Des généraux d'armée, des gouverneurs de province, après avoir été consuls et décorés des ornements du triomphe, étaient enlevés subitement sur le plus léger prétexte. On les enfermait dans des chaises de poste, seuls et sans domestiques, comme des prisonniers d'état ; on les faisait marcher nuit et jour ; et on les amenait ainsi des extrémités de l'Orient, de l'Occident et du Midi, en Pannonie, où, vexés et outragés, ils subissaient enfin la condamnation à la mort ou à l'exil. Ces vexations exercées sur des particuliers excitaient contre Maximin des haines particulières. Les peuples, assez communément indifférents pour les grands et les riches, souvent même envieux de leur éclat et de leur opulence, étaient moins touchés des disgracies qu'ils leur voyaient arriver : mais l'avidité de Maximin, à qui rien ne suffisait, donna bientôt lieu aux villes et aux peuples de joindre leurs ressentiments à ceux des particuliers. Il s'empara des fonds publics destinés dans les villes, soit à faire des provisions de vivres, soit. à être distribués aux habitants, soit à fournir aux dépenses des jeux et des Mies. Les ornements des temples, les statues des dieux, les monuments des héros, rien ne fut épargné ; toute matière d'or et d'argent était convertie en monnaie. Ces pillages, qui faisaient éprouver aux villes en pleine paix les calamités d'une guerre malheureuse, irritèrent infiniment les peuples : il y eut des mouvements de révolte en plusieurs lieux ; on disait publiquement qu'il valait mieux mourir que de voir la patrie dépouillée de tout ce qui en faisait la gloire et la splendeur. Maximin méprisait ce mécontentement universel. Il déclarait que tout ce qu'il faisait avait pour but d'enrichir ses soldats ; et il croyait, comme quelques-uns de ses prédécesseurs, que pourvu qu'il eût l'affection des troupes il pouvait compter pour rien et outrager impunément tous les autres ordres de l'état : il se trompait doublement. L'événement lui fit voir combien la haine des peuples est redoutable aux mauvais princes, et il ne gagna pas même l'amitié des soldats. Ils étaient fatigués des reproches de leurs parents et de leurs amis, qui souffraient à cause d'eux ; et, sensibles à leurs plaintes, ils partageaient leur indignation contre des violences dont néanmoins ils recueillaient le fruit. Leurs murmures éclatèrent, et furent réprimés par des cruautés, suivant la pratique de Maximin. Tout l'univers gémissait sous une si violente tyrannie, et n'attendait que l'occasion d'en secouer le joug insupportable. Quand les esprits sont ainsi disposés, la moindre étincelle peut produire tout d'un coup un grand incendie, et c'est ce qui arriva. Un mouvement de quelques villes d'Afrique, mécontentes de la dureté d'un intendant, fut le premier principe d'une suite d'événements qui enlevèrent en très-peu de temps à Maximin l'empire et la vie. Ce prince avait soin de mettre en place des hommes aussi féroces que lui, qui ne connussent ni justice ni modération, et qui n'eussent d'autre objet que de faire passer dans le fisc impérial toutes les richesses des provinces. L'intendant d'Afrique, qui était de ce caractère, et qui savait par quelles voies on faisait sa cour à Maximin, n'épargnait ni les confiscations, ni les rapines de toute espèce, et son tribunal était un brigandage pu-laie. Quelques jeunes gens des meilleures et des plus riches familles du pays, ayant été condamnés par cet intendant à des amendes qui n'allaient à rien moins qu'à les dépouiller de tous leurs biens, demandèrent et obtinrent un délai de trois jours. Ils en profitèrent pour ameuter tous ceux de leur connaissance qui avaient souffert de semblables injustices, et ils les engagèrent à se liguer avec eux pour assassiner le juge inique, auteur de leurs maux. Le dessein étant une fois pris, pour l'exécuter avec sûreté ils se firent accompagner de tout ce qu'ils avaient d'esclaves occupés à la culture des terres, à qui ils ordonnèrent de prendre sous leurs habits des bâtons, des haches, et les autres instruments du labour propres à être convertis en armes. Ces esclaves se mêlèrent parmi la foule du peuple qui se rassemblait dans la place autour du tribunal de l'intendant ; et ils étaient avertis de fixer leurs regards sur leurs maîtres, de demeurer tranquilles, quelque chose qu'ils leur vissent entreprendre ; mais s'ils les voyaient assaillis par les soldats qui environnaient le magistrat, de tirer leurs armes rustiques, et de s'en servir pour écarter d'eux le danger. Le projet réussit. Les chefs de la conspiration approchèrent sans difficulté de l'intendant, sous prétexte de lui parler du paiement de leurs amendes. Ils se jetèrent sur lui, et le tuèrent sur la place ; et lorsque les soldats voulurent venger sa mort sur les meurtriers, les paysans parurent avec leurs bâtons, leurs fourches, leurs haches ; et comme ils étaient en beaucoup plus grand nombre que les soldats de la garde, ils les mirent aisément en fuite. Nos auteurs ne nomment point la ville où cette scène sanglante se passa : les circonstances inclinent à conjecturer que ce fut à Adrumet. Les habitants furent charmés d'être délivrés d'un intendant qui les tourmentait, et dès qu'ils ne virent plus rien à craindre, ils se déclarèrent pour les conspirateurs. Il semble que ce qu'il y avait de troupes dans la ville ait été entraîné par ce concert universel. Mais il s'agissait de prévenir la vengeance de Maximin, et les chefs de l'entreprise comprirent qu'ils ne pouvaient éviter de périr s'ils ne faisaient un empereur. L'occasion était favorable : toute la terre détestait Maximin, et l'Afrique avait actuellement pour proconsul un homme vénérable par son âge, recommandable par sa naissance, par son mérite, par les dignités qu'il avait possédées, généralement estimé, et pour l'élévation duquel il paraissait aisé de réunir tous les suffrages. C'était Gordien, qu'il faut maintenant faire connaître au lecteur. Gordien, M. Antonius Gordianus[4], descendait, suivant le témoignage de Capitolin, par son père Métius Marullus, de la famille des Gracques, et par sa mère Ulpia Gordiana, de celle de Trajan. L'illustration des charges répondait à une si haute naissance : son père, son aïeul et son bisaïeul avaient été consuls ; la famille de sa femme Fabia Orestilla était décorée des mêmes titres, et de plus elle tenait par le sang aux Antonins. Gordien lui-même géra deux fois le consulat, et il en vit son fils revêtu. Il était le plus riche particulier de l'empire ; il possédait de vastes étendues de terres dans les provinces ; et logé magnifiquement à Rome, il avait pour maison celle qui avait appartenu à Pompée. Ces dons de la fortune étaient rehaussés en lui par les talents et par les vertus. Il orna son esprit de toute les connaissances. Dans sa première jeunesse il composa plusieurs poèmes, dont le plus mémorable, et qui par le choix même du sujet fait l'éloge de son auteur, est une Antoniniade en trente livres, comprenant l'histoire de Tite Antonin et de Marc Aurèle. Il cultiva aussi l'éloquence, et y réussit ; et il conserva jusqu'à la fin le goût de la belle et utile littérature. Il passa sa vie, pour me servir de l'expression de son historien, avec Platon, Aristote, Cicéron et Virgile. Ses mœurs furent dignes d'une si respectable société. Une modération parfaite, nul excès en aucun genre, une conduite toujours réglée par la raison et par la sagesse. Il aima tout ce qu'il devait aimer, bon citoyen, bon père, gendre respectueux au point que jusqu'à sa préture il ne s'assit jamais devant son beau-père Annius Sévérus, et qu'il ne laissait passer aucun jour sans aller lui rendre ses devoirs. Au reste, sa vertu n'était point austère : il vivait en grand seigneur ; et les dépenses qu'il fit dans l'exercice de ses charges passent ce que les règles et les usages exigeaient de lui, et prouvent qu'il se portait par goût à se faire honneur de ses richesses. Durant le cours de son édilité, par une magnificence dont l'exemple est unique dans l'histoire, il donna douze spectacles au peuple, un par mois ; et il y fit combattre quelquefois jusqu'à cinq cents couples de gladiateurs, jamais moins de cent cinquante. Dans le sixième de ces jeux il rassembla et livra au pillage des spectateurs un nombre prodigieux d'animaux tirés des bois, et amenés de divers pays : cerfs, chevaux et brebis sauvages, taureaux portant une bosse sur le dos, élans, chamois, autruches ; et il fit peindre cette fête dans une galerie de sa maison. Il fut revêtu de divers emplois, et gouverna successivement plusieurs provinces, où il se fit estimer et aimer. C'est tout ce que nous en pouvons dire : nous n'avons point d'autre détail. Il est étonnant qu'un homme aussi illustre ne soit parvenu au consulat que dans un âge assez avancé. Il était né l'an de J.-C. 157, puisqu'il mourut en 237, âgé de quatre-vingts ans ; et il fut consul pour la première fois avec l'empereur Caracalla l'an de J.-C. 213, étant dans sa cinquante-sixième[5] année. Il porta dans le consulat le même goût de splendeur et de magnificence qu'il avait marqué dans les autres charges. Sa robe prétexte, sa tunique laticlave, étaient d'une beauté à piquer la jalousie de Caracalla. Il fut le premier des particuliers qui eût à lui les habits consulaires. Nous avons vu que l'empereur Alexandre Sévère n'en avait pas lui-même qui lui fussent propres, et qu'il se servait de ceux que l'on gardait dans le Capitole à l'usage de tous les consuls. Gordien consul donna des jeux du cirque à très-grands frais : il distribua aux factions des conducteurs de chariots cent chevaux de Sicile, et cent de Cappadoce ; il fit exécuter à ses dépens, dans toutes les villes de l'Ombrie, de l'Étrurie, dé Picenum, et du pays appelé aujourd'hui la Romagne, des pièces de théâtre, et d'autres spectacles pendant l'espace de quatre jours. Il consacrait ainsi aux plaisirs des peuples des sommes immenses, et par là il s'en faisait sans doute aimer ; mais les sages auraient certainement trouvé dans ces dépenses un excès répréhensible ; et d'ailleurs il fallait que sa conduite fût bien modérée et bien exempte de tout soupçon d'ambition, pour ne point donner de l'ombrage avec un tel fracas à un prince aussi jaloux que Caracalla. Gordien trouva dans Alexandre Sévère un empereur favorable à la vertu, qui le décora d'un second consulat, dans lequel il voulut être son collègue ; et les amis du prince crurent honorer son gouvernement, en arrangeant les choses de façon que Gordien, au sortir de charge, fût nommé par le sénat proconsul d'Afrique. Ils ne doutaient pas que sous son administration la province ne se trouvât heureuse ; et ils espéraient que l'estime et l'affection pour le magistrat remonteraient au souverain qu'il représentait. Alexandre remercia le sénat de cette nomination par une lettre infiniment obligeante pour le sujet élu. Vous ne pouviez, sénateurs, disait l'empereur, rien faire qui me fût plus agréable, ni qui me causât une plus douce satisfaction, que d'envoyer Gordien en Afrique, homme d'une illustre naissance, généreux, éloquent, amateur de la justice, désintéressé, es, dont la bonté est le propre caractère. L'attente d'Alexandre et de ses ministres ne fut point trompée : Gordien fut aimé dans sa province plus que jamais ne l'avait été aucun de ses prédécesseurs. Les Africains le comparaient à tout ce que l'antiquité romaine offre de plus digne de vénération : et dans leurs acclamations ils lui attribuaient les noms de Scipion, de Caton, de Scævola, de Rutilius, de Lælius, prétendant qu'il faisait revivre tous ces grands hommes par sa sagesse et par son équité douce et bienfaisante. Suivant l'institution d'Auguste, les proconsuls ne devaient être qu'un an en place ; mais cette ancienne police était changée en bien des points. Gordien fut proconsul d'Afrique plus de sept ans entiers, puisque étant parti pour cette province immédiatement après son second consulat, qu'il géra l'an de J.-C. 229, y était encore au temps de la révolte qui le porta à l'empire en 237. Il avait actuellement pour lieutenant-général son fils, de même nom que lui, âgé de quarante-cinq à quarante-six ans, et consulaire, qui lui avait été envoyé comme un aide nécessaire à cause de son grand âge, soit par Alexandre Sévère, soit par Maximin. Gordien le fils était homme de mérite, mais voluptueux, donnant comme son père dans la magnificence, et y ajoutant l'amour du vin et des femmes. On dit qu'il ne voulut jamais se marier, et qu'il entretint vingt-deux concubines à la fois, de chacune desquelles il eut plusieurs enfants. Ses richesses lui donnaient moyen de se satisfaire, et il ne se refusait aucune sorte de plaisirs. Il avait des parcs immenses, des jardins délicieux, dans lesquels il passa une- grande partie de sa vie. Avec de si énormes taches il alliait néanmoins des qualités fort estimables, une bonté compatissante, du goût pour les lettres, l'intelligence du droit et des lois, la force de se refuser au plaisir lorsque les affaires l'appelaient. Il prit dans sa jeunesse des leçons de Sérénus Sammanicus le fils, qui s'attacha à lui par inclination et par estime, et qui en mourant lui laissa, comme je l'ai remarqué ailleurs, la bibliothèque de son père consistant en soixante-deux volumes : présent qui fit un honneur infini à Gordien, et qui lui donna de l'éclat et de la réputation dans toute la littérature'. Gordien cultiva les lettres jusqu'à devenir auteur. On avait de lui, au temps où Capitolin écrivait, des ouvrages en prose et en vers, dans lesquels on sentait un beau génie, mais qui se négligeait. Il fut questeur soin Héliogabale, qui se prêta volontiers à avancer un jeune homme dont le goût pour les voluptés, quoique renfermé dans certaines bornes, semblait se rapporter au sien. Une recommandation d'une tout autre espèce lui mérita les bonnes grâces d'Alexandre. Ce prince estima en lui la probité et la connaissance des lois. Il le fit préfet de la ville, et Gordien s'acquitta si bien de cet important emploi, qui le mettait à la tête de toute la justice civile de Rame, qu'il obtint de fort bonne heure le consulat, auquel son père n'était parvenu que dans un âge avancé. Il fut toujours extrêmement considéré d'Alexandre, et[6] il est compté parmi ces sages amis qui composaient son conseil intime. Habile jurisconsulte, homme d'état, il se rendit utile et aux particuliers qui le consultaient, et à la patrie. On voit, par tout ce qui vient d'être dit, qu'il était bien capable de soulager son père dans les fonctions du proconsulat d'Afrique, et il soutenait avec honneur l'emploi de lieutenant-général de la province, lorsque arriva le moment qui nous a donné lieu de parler des Gordiens. J'ai exposé les motifs qui portèrent les conjurés africains
à vouloir faire leur proconsul empereur, après qu'ils eurent tué l'intendant.
Ils craignaient Maximin, et d'ailleurs autant qu'ils avaient détesté son
intendant, autant aimaient-ils Gordien, qui s'était même montré le protecteur
des peuples contre la tyrannie de cet officier, et qui avait souvent réprimé
ses entreprises violentes ; en sorte que ce subalterne audacieux, comptant
sur l'appui du maître, avait eu l'insolence de menacer le proconsul et son
fils de les perdre. Les conjurés ne doutaient pas que le choix qu'ils avaient
fait entre eux ne fût approuvé de toute la province : ils étaient persuadés
qu'il suffisait de donner le signal, et qu'aussitôt tous s'empresseraient.de
les suivre. Maurice, l'un d'eux et le plus accrédité, ayant assemblé dans sa
campagne auprès de la ville de Tysdrus un grand nombre d'habitants des bourgs
et villages circonvoisins, leur fit part du projet par cette harangue : Mes chers concitoyens, je rends grades aux dieux immortels
de ce qu'ils nous ont fourni l'occasion, ou plutôt nous ont mis dans la nécessité
de nous précautionner contre les fureurs de Maximin ; car après avoir tué un
intendant digne de lui, et tout-à-fait semblable à son caractère et à son
génie, nous sommes perdus si nous ne faisons un empereur. Pour réussir dans
ce dessein, la fortune nous sert à souhait. Nous avons près d'ici dans la
ville de Tysdrus l'illustre proconsul de cette province avec son fils, que le
scélérat qui vient de subir la peine de ses crimes avait osé menacer l'un et l'autre
de la mort. Si vous m'en croyez, nous irons de ce pas les revêtir de la
pourpre et les proclamer empereurs. Toute l'assemblée applaudit à
cette proposition. Rien n'est plus juste,
s'écria la multitude ; rien n'est plus sage. Gordien
Auguste, puissent les dieux vous être favorables. Soyez empereur avec votre
fils. Pleins d'ardeur et de zèle, ils se transportent tous à Tysdrus, où était Gordien. Ils entrent dans son palais vers l'heure de midi, et ils le trouvent sur un lit de repos, tranquille, ignorant tout ce qui s'était passé, et ne songeant à rien moins, si nous en croyons le témoignage de nos auteurs, qu'à l'empire qu'on venait lui offrir. Lorsqu'on l'eut mis au fait, il fut plus frappé du danger de la proposition, que de ce qu'elle avait de brillant. Il refusa d'abord, il insista, jusqu'à obliger les chefs de la multitude attroupée d'employer les menaces, et de lui déclarer qu'ils allaient le tuer sur-le-champ, s'il ne consentait à leur désir. Gordien avait encore une autre crainte, qui contribua principalement à le déterminer. Il connaissait Maximin ; il savait qu'auprès de ce tyran farouche c'était un crime irrémissible que d'avoir été une fois jugé digne de l'empire. Le danger lui paraissait avec raison certain et inévitable, s'il s'obstinait à refuser ; et il en était surtout effrayé par rapport à son fils. Car pour lui personnellement, âgé de quatre-vingts ans, un faible reste d'une vie languissante ne le touchait pas beaucoup. Tout bien considéré, il préféra à un péril sans ressource et sans remède celui qui laissait quelque lueur d'espérance ; et, en cas de malheur, la pourpre impériale était une décoration pour son tombeau. Lorsqu'il eut donné son consentement, non seulement les conjurés et leur suite, mais toute la ville, qui s'était assemblée aux portes de son palais, le proclama Auguste, lui et son fils. Et ce mouvement se communiqua rapidement dans toute la province. Partout on abattit les statues de Maximin, on effaça son nom de tous les monuments, et on transporta aux Gordiens les honneurs dont on le dépouillait. On voulut même que le père fût surnommé Africain, comme renouvelant dans l'Afrique la gloire des Scipions. Les nouveaux empereurs ne demeurèrent pas longtemps à Tysdrus, séjour peu convenable à leur dignité, et peu commode pour leurs affaires. Ils se rendirent à Carthage avec un cortège de gardes, des faisceaux couronnés de lauriers, : et toute la pompe du rang suprême ; et cette ville capitale de l'Afrique, et l'une des plus illustres et des plus opulentes de l'empire, les reçut comme des sauveurs, en les comblant d'applaudissements. Carthage devint ainsi pour quelque temps une seconde Rome, par la résidence des empereurs par les troupes qui la remplissaient, tant anciennes que nouvelles levées, par le concours de ceux qu'y attirait soit la curiosité clans une résolution si subite, soit l'intérêt et le besoin des circonstances. Ce n'était pas assez pour Gordien d'être reconnu en Afrique, il fallait qu'il mît Rome dans son parti, et il n'épargna rien pour cet important objet. Il écrivit au sénat, et il adressa un édit au peuple romain, pour rendre compte de ce qui s'était passé à sou égard dans la province, et en demander la confirmation. Dans ces deux écrits il invectivait contre la cruauté de Maximin, qu'il savait être extrêmement odieuse. Au contraire, il annonçait de sa part un gouvernement dirigé par la douceur et l'humanité ; et, afin d'en donner un avant goût, il accordait à ceux qui avaient été injustement condamnés la révision de leur procès, aux exilés le retour dans leur patrie, et il ordonnait la punition des délateurs. Enfin il promettait aux soldats et aux citoyens du peuple une abondante largesse. L'édit et la lettre furent portés à Rome par une députation, à la tête de laquelle était Valérien, personnage consulaire, qui fut depuis empereur. Non content d'écrire au sénat en commun, Gordien adressa des lettres particulières à tous les principaux membres de la compagnie, qui étaient la plupart ses amis et ses parents. Il n'était pas besoin de prendre tant de précautions et tant de mesures. L'estime que l'on faisait de lui, et encore plus la haine que l'on portait à Maximin, étaient de suffisantes recommandations.. Une attention placée, et même nécessaire, fut celle qu'il eut de commencer par se défaire de Vitalien, préfet du prétoire, homme dévoué à Maximin, et digne de le servir. On avait lieu de craindre que ce magistrat civil et militaire en même temps, à qui obéissait tout ce qu'il y avait de prétoriens dans Rome, n'usât du pouvoir qu'il avait en main pour soutenir l'autorité du prince auquel il était attaché, et pour empêcher le sénat et le peuple de se déclarer en faveur de Gordien. On employa contre lui la ruse. Le questeur d'Afrique, jeune homme plein de vigueur et de courage, fut envoyé à Rome, accompagné de quelques braves avec ordre de se ménager une audience secrète de Vitalien, en lui présentant des dépêches adressée i Maximin, que l'on supposerait intéresser la sûreté de cet empereur. L'entreprise réussit Pendant que Vitalien examine les sceaux des dépêches, les soldats du questeur se jettent sur lui et le tuent : et aussitôt l'édit de Gordien au peuple fut affiché dans la place, les lettres qu'il écrivit au sénat furent remises entre les mains des consuls, et les autres chacune à leur adresse. Pour s'assurer un plus prompt et plus heureux succès, les députés de Gordien répandirent le bruit que Maximin n'était plus. Il est incroyable quelle fut la joie de la multitude. La haine si longtemps retenue par la crainte se manifesta enfin avec les plus vifs transports. Les clameurs, les invectives, les reproches les plus injurieux et les mieux mérités, furent prodigués à Maximin. On eut ses statues, on déchire ses images, on détruit tous les monuments qui faisaient de lui une mention honorable. Le sénat agit avec plus de décence, mais non avec moins de vigueur. Convoqué par le consul Junius Silanus, qui avait commencé par tenir un petit conseil chez lui avec les préteurs, les édiles et les tribuns du peuple, l'ordre s'assembla dès le jour même, qui était le 27 mai, dans le temple de Castor. Là on lut d'abord la lettre de Gordien, qui était très-respectueuse, et dans laquelle il reconnaissait que son état serait chancelant et douteux jusqu'au jugement du sénat. La délibération ne fut ni longue ni incertaine. Tous, d'une commune voix et par une acclamation unanime, déclarèrent les deux Gordiens Augustes[7], et les Maximins avec tous leurs fauteurs et partisans ennemis de la patrie. De ce moment, et en vertu de ce décret, les Gordiens doivent être tenus, suivant les maximes du gouvernement romain, pour empereurs légitimes, et nous les plaçons ici en cette qualité. |
[1]
J'unis ces trois règnes,
parce qu'ils sont mêlés l'un avec l'autre.
[2] Ces vers grecs nous sont
donnés par Capitolin traduits en latin.
[3] CAPITOLIN, Maximin, 12.
[4] Capitolin s'embarrasse beaucoup
à discuter si le nom de famille de Gordien était Antonius
ou Antonius, Antoine
ou Antonin. Les médailles et les
inscriptions décident la question, et le nomment toujours Antonius, lui, son fils et son petit-fils. (TILLEMONT, Gordien, 1 et 2.)
[5] On pourrait conjecturer, pour
lever cette difficulté, que le premier consulat de Gordien doit se rapporter à
quelqu'un de ceux que Caracalla exerça sous l'empire de son père. Mais il est
constant par le témoignage de Capitolin (Gordien, 18) que Gordien
l'ancien ne parvint que tard an consulat. Par quelle raison, c'est ce que nous
sommes obliges de laisser incertain.
[6] J'entends et je lis le passage
de Lampride suivant la correction qu'y a faite Saumaise.
[7] Ceux qui ont fait des listes
des empereurs romains, omettent pour la plupart les Gordiens, ou les placent
mal. M. de Tillemont n'en a point fait un titre à part, et il traite ce qui les
regarde sous le titre de Maximin.