HISTOIRE DES EMPEREURS ROMAINS

 

HÉLIOGABALE

LIVRE UNIQUE

 

 

FASTES DU RÈGNE D'HÉLIOGABALE.

 

OPELIUS MACRINUS AUGUSTUS II. - ..... ADVENTUS. AN R. 969. DE J.-C. 218.

Héliogabale vainqueur vient à Antioche, et sauve cette ville du pillage.

Il adresse une lettre au sénat, et un édit au peuple, prenant, en vertu des seuls suffrages des soldats, tons les titres de la puissance impériale.

Il promet de ne point conserver de ressentiment des délibérations prises par le sénat contre lui et contre la mémoire de Caracalla ; et il tint parole.

Il fait mourir les principaux amis et partisans de Macrin, et plusieurs autres illustres personnages.

Il se transporte à Nicomédie, où il commence à manifester son goût pour la débauche et pour un luxe insensé.

Il tue de sa propre main Gannys, à qui il avait les plus grandes obligations.

Divers mouvements de révolte, qui demeurent sans effet.

M. AURELIUS ANTONINUS AUGUSTUS II. - ..... SACERDOS. AN R. 970. DE J.-C. 219.

Héliogabale comptait le consulat qu'il prenait cette année pour le second, parce qu'il s'était ridiculement attribué celui de Macrin.

Sa folie pour le culte du dieu Héliogabale, dont il était prêtre, et dont il porte le nom dans l'histoire.

Il vient à Rome. Son aïeule et sa mère entrent au sénat avec lui.

Sénat de femmes.

Il bâtit à son dieu un temple, dans lequel il transporte tous les objets les plus sacrés de la vénération des Romains. Lui-même préside aux cérémonies 'religieuses, et célèbre les fêtes de ce dieu étranger avec une pompe et une dépense infinies.

Tous les événements de son règne se réduisent à ses débauches monstrueuses, et à la fureur de son luxe. Sujets indignes mis dans toutes les places.

M. AURELIUS ANTONINUS AUGUSTUS II. - EUTYCHIANUS COMAZON. AN R. 971. DE J.-C. 220.

Le collègue d'Héliogabale dans le consulat était un affranchi, à qui son premier métier de farceur avait fait donner le nom de Comazon, qui a cette signification en grec. Il fut aussi préfet du prétoire, et trois fois préfet de Rome.

GRATUS SABINIANUS. - SELEUCUS. AN R. 972. DE J.-C. 221.

Colonie d'Emmaüs, autrement Nicopolis, renouvelée et rétablie par le ministère de Jule Africain, savant chronologiste chrétien, qui finissait sa chronique à cette année.

Prétendu fantôme d'Alexandre, qui parcourt avec quatre cents hommes la Mésie et la Thrace, et disparaît en Asie.

Héliogabale, sur les sollicitations de Massa, adopte Alexien son cousin, fils de Marnée, le fait César, le désigne consul pour l'année suivante avec lui, et change son nom en celui d'Alexandre.

Il le prend en haine, et veut le dépouiller des droits et des titres qu'il lui avait donnés, et le faire périr. Sédition des prétoriens, qui force Héliogabale de se réconcilier avec son fils adoptif.

M. AURELIUS ANTONINUS AUGUSTUS IV. - M. AURELIUS ALEXANDRE CÆSAR. AN R. 973. DE J.-C. 222.

Héliogabale, renouvelant ses mauvais desseins contre Alexandre, est tué avec sa mère dans le camp des prétoriens le onze mars.

Sa mémoire est détestée, et son nom effacé des fastes.

 

L'histoire n'offre aucun exemple plus capable de faire sentir les inconvénients et les dangers horribles d'un gouvernement militaire, et d'une élection de souverain laissée au caprice des soldats, que l'élévation d'Héliogabale sur le trône des Césars. Un enfant de quatorze ans, syrien d'origine et n'ayant rien de romain, dont la plus puissante recommandation était d'être réputé bâtard d'un des plus méchants empereurs qui aient jamais été : voilà celui que la licence effrénée des gens de guerre mit à la tête de l'empire romain, et aux mains duquel elle confia le sort de la plus belle et plus noble portion de l'univers.

Les suites vérifièrent l'imprudente témérité de cet indigne choix. Héliogabale fut un monstre, par une impudicité qui lui assigne le premier rang d'infamie entre tant de princes décriés pour leurs mœurs abominables, par un luxe poussé jusqu'aux derniers excès d'extravagance, par le mépris de toutes les lois, et même, ce qui peut sembler étonnant dans un tel caractère, par la cruauté. Tout jeune qu'il était, il avait déjà fait preuve d'une partie de ces vices, et la souveraine puissance lui donna moyen de les déployer sans aucune retenue.

Il débuta néanmoins par un trait qui a quelque chose de louable. Le lendemain de sa victoire sur Macrin, il vint à Antioche, et ses soldats voulaient piller cette grande et opulente ville. Héliogabale les en empêcha moyennant la promesse qu'il leur fit de leur distribuer deux mille sesterces par tête[1]. Il est vrai qu'il ne lui en coûta rien, et que la somme à laquelle se montait cette largesse fut tirée des habitants d'Antioche ; mais ils se trouvèrent heureux d'en être quittes à si bon compte.

D'Antioche il écrivit une lettre au sénat, et adressa un édit au peuple romain. Ces deux pièces étaient remplies d'invectives contre Macrin, auquel il reprochait surtout la bassesse de sa naissance, et l'audace qu'a avait eue de se faire empereur, n'ayant pas encore à droit d'entrée au sénat. Ce dernier reproche était bien déplacé dans la bouche d'un empereur de quatorze ans. Avec aussi peu de jugement il insistait sur le bas âge de Diadumène, nommé empereur par son père avant sa dixième année accomplie. Il en voulait singulièrement à ce jeune prince, qu'il regardait avec lieue a. des yeux de rival ; et dans la suite il répandit contre lut toutes sortes de bruits injurieux, qu'il obligea même des écrivains à insérer dans leurs ouvrages.

Pour ce qui le concernait lui-même, Héliogabale dans sa lettre et dans son édit prodiguait les plus magnifiques promesses. Il s'annonçait comme devant prendre pour modèles de sa conduite Auguste et Marc Aurèle. Il s'engagea en particulier à ne tirer aucune vengeance des délibérations prises contre lui, ou contre la mémoire de Caracalla, en vertu des ordres de Macrin ; et sur cet article, il tint parole. D'autres objets et d'autres crimes l'occupèrent, et le passé sortit de son esprit.

Il fit sentir tout d'un coup combien il aurait peu de considération pour le sénat et pour les anciennes maximes, en s'attribuant sur le simple suffrage des soldats tous les titres de la puissance impériale. Dans les deux pièces dont je viens de donner le précis, il se qualifiait l'empereur César, fils d'Antonin, petit fils de Sévère, le pieux, l'heureux, auguste, proconsul, revêtu de la puissance tribunitienne. Aucun de ses prédécesseurs n'en avait usé ainsi. Tous avaient voulu devoir à un décret du sénat et à une ordonnance du peuple les titres de puissance et d'honneur qui caractérisaient le rang suprême. Cette innovation était d'une dangereuse conséquence, et elle marquait dans le prince et dans son conseil ou une grande ignorance ou un grand mépris des lois.

L'indignation que les sénateurs en conçurent fut étouffée par la crainte, d'autant plus qu'il y avait ordre à Pollion, actuellement consul, d'employer la force et les armes, s'il se trouvait quelqu'un qui fit résistance. Ils décernèrent donc à Héliogabale tous les titres dont il s'était emparé. Il est vraisemblable qu'ils décorèrent aussi alors Mæsa et Soæmis du nom d'Augusta, qu'elles prennent sur leurs médailles. Ils regrettaient Macrin, et détestaient Caracalla ; et leur misérable servitude les avilissait au point que, contraires à tous leurs vieux, ils chargèrent Macrin d'opprobres, et le déclarèrent ennemi public, honorèrent Caracalla des plus grands éloges, et, pour comble d'ignominie et d'infortune, témoignèrent souhaiter que son fils lui ressemblât.

L'acharnement d'Héliogabale sur Macrin, quoique peu étonnant de la part d'un ennemi, choqua néanmoins, comme poussé à l'extrême. Dans la vue de rendre odieux son prédécesseur aux gens de guerre, et de s'en faire aimer par comparaison, il rendit publics les mémoires secrets des arrangements que cet empereur avait projetés pour la réforme des armées, et la lettre dans laquelle il se plaignait beaucoup des soldats à Marius Maximus, préfet de la ville.

On trouva aussi non seulement de l'excès, mais de l'extravagance dans la fantaisie qu'il eut de s'approprier le consulat de Macrin. Ce prince s'était fait consul ordinaire au commencement de l'année, et n'ayant géré sa charge tout au plus que quatre mois, il en était sorti avant qu'il fût en aucune manière question d'Héliogabale, et dans un temps où celui-ci se jugeait bien honoré du titre de prêtre du Soleil. Le nouvel empereur se rendait donc souverainement ridicule, en substituant son nom à celui de Macrin dans les fastes et dans les actes publics ; de façon qu'il s'attribuait un consulat dont il n'avait pas pu avoir l'idée même en songe. Mais ce sont là des taches légères, et qui ne valent pas la peine d'être remarquées dans un Héliogabale.

Sa cruauté se manifesta avant même qu'il eût quitté la Syrie. Les principaux amis et créatures de Macrin éprouvèrent sa vengeance, tels que Julianus Nestor préfet du prétoire, Fabius Agrippinus, gouverneur de Syrie, plusieurs chevaliers romains, Réanus, commandant en Arabie, Claudius Attalus, proconsul de Chypre, Décius Triccianus, qui commandait au temps de la révolution des prétoriens du camp d'Albe, après avoir été, comme je l'ai dit, gouverneur de la Pannonie. Des ordres furent pareillement envoyés à Rome pour mettre à mort plusieurs grands personnages, que les liaisons qu'ils avaient eues avec Macrin rendaient suspects au nouveau gouvernement. D'autres, que l'on ne pouvait accuser d'avoir eu aucune part aux troubles précédents, mais qui par leur crédit, par leurs places, par leurs talents semblaient capables de se faire craindre, furent sacrifiés aux ombrages que l'on avait conçus d'eux. Dion en nomme plusieurs, qui ne nous sont pas d'ailleurs connus, quoiqu'ils eussent un rang considérable dans la république ; et cet historien observe qu'Héliogabale, en abattant un si grand nombre de têtes illustres, ne daigna pas même en écrire un seul mot au sénat.

Ce prince et son conseil traitaient tout-à-fait cavalièrement les affaires les plus graves, et ils semblaient se jouer de la vie des premiers hommes de l'empire. Silius Messala et Pomponius Bassus furent déférés par ordre du ministère comte mécontents du gouvernement, et sur cette condamnation vague condamnés à mort. Après le jugement arriva une lettre d'Héliogabale au sénat, dans laquelle commençant d'abord par se plaindre de ce que ces deux sénateurs s'étaient rendus les censeurs de sa conduite et les inquisiteurs de ce qui se passait dans le palais, il ajoutait : Je ne vous envoie point les preuves de la conspiration qu'ils avaient tramée contre moi, parce que ces pièces seraient maintenant inutiles, et les trouveraient déjà morts.

Au reste, les soupçons qu'il se formait d'intrigues concertées pour envahir le trône, n'étaient pas sans quelque fondement. Après l'exemple de son élévation, et dans la confusion où étaient toutes choses par la licence militaire et par le mauvais gouvernement, il n'était personne qui ne crût pouvoir aspirer à l'empire. Dion cite jusqu'à cinq entreprises de cette nature, toutes tentées par des hommes plus méprisables les uns que les autres ; et ce ne sont pas les seules, mais les plus importantes dont il ait eu connaissance. Deux de ces chefs de conspiration étaient sénateurs, mais l'un avait servi longtemps comme centurion ; l'autre était fils d'un médecin. Un fils de centurion, un ouvrier en laine, eurent la même audace. Un homme du peuple essaya de soulever la flotte de Cyzique pendant que l'empereur était à Nicomédie. Tous ces mouvements demeurèrent sans effet, et ne causèrent que la perte de leurs auteurs. Mais ils n'en prouvent pas moins l'affreux désordre, où l'altération des anciennes maximes, et l'indignité de ceux qui remplissent la première place, sont capables de plonger les plus puissants états. Et ce n'est ici encore que l'échantillon du trouble et de la combustion où nous verrons l'empire romain dans un certain nombre d'années.

Je viens de parler du séjour d'Héliogabale à Nicomédie. Il s'y était transporté pour s'approcher de Rome, et il y passa l'hiver. En y arrivant il se souilla d'un meurtre plus criant encore que tous ceux que j'ai rapportés jusqu'ici. Il avait les plus étroites obligations à Gannys, instituteur de son enfance, et principal instrument de sa haute fortune. C'était Gannys qui avait tramé l'intrigue, soulevé les soldats, introduit le jeune Héliogabale dans le camp, contribué plus qu'aucun autre à la victoire sur Macrin. Gannys était estimé de Mæsa, et ne plaisait que trop à Soæmis. Peu s'en fallut même qu'il ne l'épousât avec le consentement du prince son fils, qui ne s'éloignait pas de lui donner le nom de César. Avec de grands vices il réunissait des qualités très-estimables. Il aimait le plaisir ; il recevait volontiers de l'argent ; mais il n'exerça jamais sur personne aucune vexation odieuse, et il se montrait même bienfaisant. Nous avons vu qu'il était brave et entendu dans la guerre. Ministre appliqué, gouverneur attentif, il voulait que son élève se donnât de bonne grâce aux affaires, et observât les règles de la sagesse et de la retenue dans sa conduite. C'est par cet endroit qu'il s'attira la colère d'Héliogabale, qui fut assez lâchement cruel pour lui porter le premier coup de sa propre main, parce qu'aucun soldat n'osait commencer l'exécution. Cette horrible ingratitude dévoila pleinement le mauvais cœur du nouveau prince, et le rendit l'objet de la détestation publique.

Non moins digne de blâme dans ses amitiés que  dans ses haines, Héliogabale accorda toute sa faveur et toute sa confiance à Eutychien, flatteur et imitateur de ses vices, homme sans aucun sentiment de pudeur, bouffon et farceur de profession, en sorte que le surnom même lui en fut donné, et qu'on le désignait aussi communément par le nom de Comazon, qui signifie en grec farceur, que par son vrai nom. Héliogabale combla ce misérable de dignités et d'honneurs. Il le fit préfet du prétoire, consul avec lui, et, ce qui était sans exemple, trois fois préfet de la ville. Il n'écoutait que lui et ses semblables ; et Mæsa elle-même, à qui il devait tant, et dont la morale n'était nullement austère, perdit une partie de son crédit auprès de lui, parce qu'elle entreprit de lui faire quelques remontrances.

Héliogabale prit à Nicomédie un consulat qu'il compta pour le second, parce qu'il s'était attribué celui de Macrin. Dion observe que ce prince, contempteur de toutes les bienséances, parut contre l'usage, le jour des vœux annuels, trois janvier, avec la robe triomphale. Ses excès en ce genre furent poussés bien plus loin, au rapport d'Hérodien. Il dédaignait tous les habillements et toutes les étoffes à la mode des Grecs et des Romains. La laine était trop vile pour lui ; il lui fallait de la soie teinte en pourpre, et relevée en broderie d'or. On sait combien la soie était alors une marchandise rare et précieuse. Le luxe même le plus hardi n'osait encore l'employer qu'en le mêlant avec d'autres matières, si l'on en excepte quelques femmes, qui en avaient porté rarement des étoffes pleines. Héliogabale fut le premier des Romains qui adopta cette mollesse jusque là inconnue aux hommes. La forme des vêtements dont il usait ne répugnait pas moins aux mœurs romaines. Il s'habillait en prêtre du Soleil, et non en empereur : une robe à la phénicienne, un collier, des bracelets, une manière de tiare ou de couronne toute brillante d'or et de pierreries ; et en cet équipage il célébrait publiquement les fêtes de son dieu chéri, et il exécutait les danses qui faisaient parti de la cérémonie.

Mæsa, qui avait du jugement et du sens, conçut combien ce violement de tous les usages pouvait nuire à son petit-fils. Elle lui représenta, que se disposant d'aller à Rome, il choquerait tous les yeux par un habillement qui serait regardé comme étranger et barbare, indigne de la gravité d'Ain homme et d'un empereur, et pardonnable seulement à la mollesse des femmes. La conséquence qu'il tira de ces avis de son aïeule est singulière. Il en conclut qu'il devait façonner les yeux romains à sa manière de se vêtir, avant que de se montrer à eux en personne. Dans cette vue il se fit peindre en pied avec ses ornements sacerdotaux, ayant à côté de lui la figure du dieu dont il était le prêtre ; et il ordonna que ce tableau fût placé dans le sénat au lieu le plus apparent, au-dessus de la statue de la Victoire, que tous les sénateurs, à mesure qu'ils entreraient, lui offrissent de l'encens et des libations de vin. Hérodien ne nous dit point quel fut l'effet de cette précaution bizarre ; mais il est aisé de penser qu'elle ne fit que lutter l'indignation des Romains, en exposant à leurs regards ce qu'ils ne connaissaient encore que sur le rapport de la renommée. Pour achever de les irriter, il commença à leur manifester alois son zèle insensé pour le culte de son dieu, dont il ordonna à tous les prêtres de prononcer et d'invoquer le nom dans leurs sacrifices avant celui de toute autre divinité.

Comme Mæsa souhaitait beaucoup de retourner à Rome, où elle avait autrefois brillé, et où elle allait reparaître avec un prodigieux accroissement de grandeur, il est probable qu'Héliogabale s'y rendit le plat tôt qu'il fut possible. A son entrée dans sa capitale, il fit au peuple les largesses accoutumées en pareil cas et donna des jeux magnifiques.

L'ambition de Massa l'empêcha de se dire à elle-même[2], ce qu'elle avait si bien remontré à son petit-fils. Elle ne craignit point d'irriter et de blesser les esprits par une nouveauté encore plus choquante que la parure d'Héliogabale. Elle entra et fit entrer sa fille avec l'empereur au sénat ; elle dit son avis comme membre de la compagnie ; elle fut nommée à la tête du sénatus-consulte, comme ayant assisté à la rédaction. C'est un exemple unique dans l'histoire romaine. Jamais ni Livie ni Agrippine elle-même n'avaient attenté rien de pareil ; et dans la suite nulle princesse ne s'autorisa de ce qui avait été accordé à Mæsa et, à Soæmis, pour revendiquer les mêmes prérogatives.

Les affaires d'état ne touchaient pas beaucoup Soæmis, qui vivait, selon l'expression de Lampride, en courtisane. Elle était faite pour le frivole ; et son fils la servit dans son goût, en établissant sur le mont Quirinal un sénat de femmes dont il la nomma présidente. Il se tenait en ce lieu dès auparavant des assemblées de dames en certains cas de cérémonie. Métamorphosées en sénat, ces assemblées décidèrent de ce qui regardait les ajustements des femmes, la distinction des voitures dont il serait permis à chacune de se servir selon la différence des conditions, le cérémonial des salutations entre elles, et autres affaires de cette importance.

Les affaires dont s'occupait l'empereur n'étaient pas plus sérieuses. Il n'eut rien plus à cœur, dès qu'il fut arrivé, que d'y établir le culte du dieu qu'il révérait sur les ruines de tout autre culte. Il ne se contentait pas de lui donner la préférence sur les autres dieux, et même sur Jupiter Capitolin ; ce n'était pas pour lui de les dégrader tous, et de les faire valets de chambre du sien, ses intendants, ses secrétaires ; il voulait qu'aucun autre dieu que ce nouveau venu ne fût honoré dans Rome ; et pour cet effet, dans le temple qu'il lui construisit sur le mont Palatin, il concentra tous les objets les plus sacrés de la vénération des Romains. Il y fit transporter la pierre Pessinonte, qui était appelée la grande mère des dieux, le Palladium, le feu éternel de Vesta, les boucliers de Numa. Il eut encore intention d'y réunir les cérémonies religieuses des Juifs et des Samaritains, et même, par le plus sensé de tous les projets, le rit chrétien, ennemi irréconciliable de tout culte profane. Il ne pouvait pas réussir dans ces dernières vues. Les païens furent plus traitables, et Héliogabale eut la satisfaction d'assembler autour de son dieu tout ce qu'il y avait de phis grand dans l'empire, le sénat et l'ordre des chevaliers qui l'environnaient en amphithéâtre, les gardes prétoriennes qui l'accompagnaient pendant qu'il faisait à fonctions de son sacerdoce. Il en résulta néanmoins dans les esprits un vif sentiment d'indignation, mais qui cédait à la politique.

Je n'étalerai point ici le luxe et la profusion qui régnaient dans les ornements du temple et dans la pompe des sacrifices, les hécatombes des taureaux, les amas de parfums, le vin le plus vieux et le plus exquis répandu par tonnes et coulant par ruisseaux avec le sang des victimes, les entrailles des animaux immolés portés dans des bassins d'or par les plus illustres personnes de l'état, qui étaient forcés de se tenir honorés de ces vils ministères. Héliogabale lui-même, oubliant tort décence, se donnait en spectacle vêtu de sa robe sacerdotale à la Phénicienne, ayant le tour des yeux peint, les joues colorées de vermillon, et déshonorant, dit Hérodien, par ce fard artificiel, le beau et gracieux visage qu'il avait reçu de la nature. En cet état il dansait et chantait, marchant à reculons devant la statue du dieu portée en procession. Les réjouissances publiques, les illuminations, les largesses de viande, d'animaux, de vases d'or et d'argent, d'étoffes précieuses rendaient la fête complète.

Ces comédies n'étaient pas un pur jeu de la part du prince. La persuasion réelle, ou, si nous voulons parler plus juste, la superstition y entrait pour beaucoup. On ne peut guère, ce semble, attribuer qu'à ce motif la circoncision, à laquelle il se soumit, et la loi qui s'imposa de s'abstenir de chair de porc. Je ne sais si l'on doit croire qu'il eut même la pensée de se faire eunuque, pour imiter les prêtres de Cybèle : mais il n'y a point de raison de se refuser au témoignage des historiens, qui assurent qu'il portait sur lui des amulettes sans nombre et de toutes les espèces ; qu'il pratiquait des cérémonies magiques ; et que joignant, comme il est ordinaire, la cruauté à l'impiété, il immolait des enfants, dans la vue de chercher l'avenir dans leurs entrailles.

Un trait moins odieux, mais ridicule et extravagant au suprême degré, c'est qu'il voulut marier son dieu. Il eut d'abord la pensée de lui donner Pallas pour épouse ; mais cette déesse guerrière n'était pas un parti convenable pour un dieu tout pacifique, et même voluptueux : il rejeta donc ce projet, et se fixa à la Vénus céleste de Carthage, déesse originaire de Phénicie, où elle était honorée sous le nom d'Astarté. D'ailleurs, elle passait pour être la même divinité que la Lune, et nul arrangement n'était plus sortable que de marier la Lune au Soleil. La statue de Vénus céleste fut donc, apportée de Carthage à Rome ; et Héliogabale prit pour sa dot tout l'or et toutes les richesses qui se trouvaient dans son temple. Il célébra le mariage du dieu et de la déesse avec toute la magnificence possible, et il voulut que tous les peuples et toutes les villes de l'empire leur fissent des présents de noces.

Il usa de pareilles exactions à l'occasion de ses propres mariages, où se fait sentir la même folie et la même extinction de pudeur que dans tout le reste de sa conduite. En moins de quatre ans qu'il régna, il épousa quatre femmes. La première fut Cornelia Paula, dame d'une rare beauté et d'une grande naissance. Elle avait été mariée à Pomponius Bassus[3], dont j'ai porté la condamnation et la fin funeste. Un des crimes de cet infortuné sénateur était d'avoir une belle femme. A peine eut-il été mis à mort, qu'Héliogabale épousa Paula, sans donner le temps à cette dame d'achever le deuil de son mari. Il lui donna le titre d'Augusta, et il fit à ses noces une dépense prodigieuse. Non seulement les sénateurs, mais leurs femmes et les chevaliers romains reçurent tous des présents. Le prince fit distribuer aux citoyens du peuple six cents sesterces[4] par tête, et mille[5] aux soldats. Il donna des combats de gladiateurs, des combats de bites, dans lesquels cinquante-un tigres furent tués à la fois. Après tout œ grand appareil de réjouissances, Héliogabale renvoya ignominieusement Paula, la réduisant à la condition privée, et la privant de tous les honneurs qu'il lui avait déférés.

Il conçut ensuite ou voulut paraître avoir conçu me passion effrénée pour une vestale qui se nommait Affilia Sévéra. La plus puissante amorce qui l'attirât était sans doute l'illégitimité et l'impiété de l'entreprise ll alla lui-même arracher sa proie par force du temple de Vesta, et il osa écrire au sénat : Que d'un grand prêtre tel qu'il était, et d'une prêtresse, naîtraient des enfants agréables aux dieux. C'est ainsi qu'il se glorifiait, dit l'historien Dion, d'une action digne des plus grands supplices, et pour laquelle il méritait d'être battu de verges dans la place, et ensuite étranglé dans la prison.

Il ne garda pas longtemps cette vestale déshonorée : il prit bientôt une troisième femme, puis une quatrième, et enfin il revint à Sévéra.

Ces dérèglements outrés ne sont encore rien en comparaison des infamies monstrueuses dont se souilla d'ailleurs Héliogabale, et qui lui procurent cet avantage, qu'un écrivain modeste ne peut en faire le récit. Quel moyen de raconter la vie d'un prince qui fit le métier de courtisane, qui se maria comme femme, qui, habillé en femme, travaillant en laine, voulait être appelé madame et impératrice ?

Son mari était un certain Hiéroclès, esclave carien d'origine, et conducteur de chariots dans le cirque. Ce misérable acquit un pouvoir qui surpassait celui de l'empereur même. Il vendait toutes les grâces[6] ; il promettait aux uns, menaçait les autres, et tirait de l'argent de tous en les trompant. J'ai parlé de vous à l'empereur, disait-il aux avides courtisans ; vous obtiendrez telle charge ; ou au contraire : Vous avez beaucoup à craindre. Souvent il n'était rien de tout cela, et néanmoins Hiéroclès ne laissait pas de se faire bien payer. Il vendait de la fumée, pour me servir de l'expression usitée alors parmi les Romains ; il se faisait un gros revenu de son crédit : artifice qui réussit, dit l'historien, non seulement auprès des mauvais princes, mais aussi auprès de ceux qui, ayant de bonnes intentions, négligent les affaires. Sa mère, qui était encore esclave à la naissance de sa faveur, fût amenée à Rome en pompe avec un cortège de soldats, et mise au rang des dames dont les maris avaient été consuls. Héliogabale était tellement soumis à Hiéroclès, qu'il se laissait 'battre par lui et frapper au visage jusqu'à en porter les marques ; et il tirait vanité de ces mauvais traitements, comme de témoignages d'un amour passionné. Il voulut en récompenser l'auteur en le faisant César, et son attachement pour cet infâme fut une des principales causes de sa ruine.

Hiéroclès craignit pourtant un rival. Aurélius Zoticus, natif de Smyrne, fils d'un cuisinier, plut à Héliogabale ; mais son crédit fut de peu de durée : Hiérodès le lui fit perdre par une voie que la pudeur ne permet point de rapporter. Zoticus fut chassé de Rome et d'Italie, et sa disgrâce lui fut avantageuse : elle lai sauva la vie, au lieu qu'Hiéroclès périt dans la révolution qui mit sur le trône Alexandre Sévère.

Après ce qui vient d'être dit, je ne tiens compte d'observer qu'un prince si impudent dans ses actions l'était aussi dans ses discours. Je n'insisterai point non plus sur certaines indécences qui seraient des taches énormes dans la vie de tout autre prince, mais qui, dans celle d'Héliogabale, méritent à peine d'être relevées. Il conduisait des chariots dans les jeux du cirque, auxquels présidaient ses préfets du prétoire, les premiers sénateurs, sa mère, son aïeule et d'autres dames ; et dans l'exercice de cette vile fonction il saluait, comme s'il n'eût été qu'un simple cocher, les arbitres du prix et les soldats : il demandait son salaire, et recevait dans la main quelques pièces d'or. Il dansait non seulement sur le théâtre, mais dans les moments d'occupations les plus sérieuses, donnant ses audiences et haranguant le peuple.

Ces travers lui ont été communs avec quelques-uns de ses prédécesseurs ; mais son luxe insensé fut poussé à des excès qui effacent les Vitellius et les Néron ; et plusieurs des traits que Lampride nous en administre, dans un long article, lui paraissent à lui-même incroyables. N'ajoutons point foi à ce qui passe la possibilité de la nature : à cette seule exception près, tout est croyable d'un monstre en qui l'extravagance le disputait à la corruption.

Il commença de bonne heure ; et n'étant encore que particulier, c'est-à-dire avant l'âge de quatorze ans, il disait déjà qu'il prétendait être un Apicius. En effet, les tapis de ses lits de table étaient d'étoffes d'or ; il ne marchait jamais qu'avec un cortège de soixante voitures. En vain son aïeule Mæsa le reprenait, lui représentant qu'il ruinerait ses affaires, et qu'il se mettait en danger de se réduire au plus triste état. Mon plan, répondait- il, est d'être moi-même mon héritier.

Devenu empereur, il lâcha la bride à toutes ses fantaisies. Toute l'occupation de sa vie fut de chercher de nouveaux plaisirs. Il proposait des prix à ceux qui inventeraient des ragoûts jusque là inconnus. S'ils réussissaient, une robe de soie, présent alors très-riche et d'un grand prix, était leur récompense. Si leur sauce ne plaisait point, ils étaient condamnés à ne manger rien autre chose, jusqu'à ce qu'ils eussent réparé leur faute par une meilleure et plus heureuse invention. On n'attend pas de moi que je donne un détail exact de toutes les folies du luxe d'Héliogabale ; je choisirai ce qui me semblera de plus frappant.

Ses lits, soit de table, soit de chambre à coucher, étaient d'argent massif. II se faisait servir des plats remplis de foies de surmulets, de cervelles de grives et d'oiseaux étrangers, de têtes de perroquets, de faisans et de paons. Doit-on s'en étonner, pendant qu'il nourrissait ses chiens de foies d'oies, et les lions de sa ménagerie de perroquets et de faisans ? Jamais il ne dépensa pour son souper moins de cent mille sesterces[7], souvent le triple.

Amateur de l'extraordinaire et du bizarre, il se plaisait à faire un seul repas en cinq maisons d'amis différentes et situées en différents quartiers. Chacune de ces maisons devait fournir son service. On allait de l'une à l'autre, et un repas durait ainsi un jour entier.

S'il se trouvait près de la mer, il ne mangeait point de poissons ; à une grande distance, sa table était couverte de poissons de mer. Quelquefois, dans des villages au milieu des terres, il nourrissait les paysans de laitances de murènes. La cherté et la difficulté étaient pour lui des ragoûts ; et il aimait qu'on lui grossît le prix des viandes, disant que ce surhaussement lui aiguisait l'appétit.

C'est bien de lui que l'on peut dire qu'il savait dissiper et non pas donner[8]. Il faisait souvent jeter par les fenêtres les mêmes mets que l'on servait sur sa table, et en pareille quantité. Au lieu de confitures sèches ou autres semblables bagatelles, que l'on donne souvent aux convives pour emporter chez eux, ceux d'Héliogabale recevaient des eunuques, des chevaux de selle avec leurs harnais, des carrosses ou des chars à quatre chevaux, mille pièces d'or, cent livres pesant d'argent. S'il faisait des largesses au peuple, ce n'était pas en monnaies d'argent ou d'or qu'il distribuât : il exposait au pillage des bœufs gras, des chameaux, des ânes, des cerfs[9]. Le pillage excitait des batteries où il périssait souvent bien du monde, et dont le prince se faisait un divertissement ; car il se plaisait à mal faire, et l'esprit tyrannique se mêlait dans ses folies.

Il appelait à ses repas de débauche les premiers de la ville, et il les forçait de boire au-delà de toute mesure. Au contraire, il se réjouissait à tourmenter par la faim ses parasites, dont il faisait couvrir la table de mets en ivoire, ou en cire, ou en verre, ou en bois peint. Quelquefois il les étouffait sous les tas de violettes et d'autres fleurs, qu'il faisait accumuler en une si énorme quantité, que ces malheureux y demeuraient ensevelis sans pouvoir en aucune façon s'en tirer.

Je crains de fatiguer le lecteur par ces misères, qu'il ne m'était pas permis de supprimer totalement, parce qu'elles font voir jusqu'où peut être poussé l'abus du pouvoir suprême et de l'opulence impériale, mais qu'il est inutile de suivre dans les plus menus détails, parce que les traits que j'ajouterais à mon récit n'ajouteraient rien à l'instruction.

Je ne puis néanmoins me dispenser de dire un mot de ce qui regarde le luxe d'Héliogabale dans ses habillements et sur sa personne. Il porta des tuniques d'étoffes d'or enrichies de pierreries, dont le poids était si considérable, qu'il ne pouvait s'empêcher de s'en plaindre, et de dire qu'il succombait sous le fardeau de la magnificence. Il ornait ses souliers de pierres gravées par les plus grands maîtres : comme si le travail de ces savants artistes, qui a besoin d'être vu de très-près, eût pu briller et se faire admirer sur ses pieds.

Il voulut aussi ceindre son front d'un diadème décoré de pierres précieuses. Il trouvait que cet ornement relevait la beauté de son visage, et lui donnait un air plus féminin. Il s'en servit effectivement dans l'intérieur de son palais ; mais il n'osa paraître en public avec cette marque de royauté trop détestée des Romains.

Jamais il ne porta de linge blanchi, disant que cet usage ne convenait qu'à des mendiants : jamais il n'usa deux fois des mêmes souliers, ni, dit-on, de la même bague. Il faisait sabler de poudre d'or et d'argent les portiques par où il devait passer pour aller à son cheval ou à son carrosse. Il prodiguait les pierreries jusque sur ses voitures, pour lesquelles les embellissements d'or et d'ivoire lui paraissaient trop communs.

Finissons ce fastidieux dénombrement d'extravagances par observer que, bien loin d'en rougir, Héliogabale semblait en savourer l'ignominie. Fabius Gurgès et le fils du premier Scipion l'Africain étaient renommés dans l'histoire pour les désordres de leur jeunesse ; et l'on disait que leurs pères, pour essayer de les corriger par la honte, les avaient fait paraître aux yeux du public avec une sorte d'habillement singulier. Le prince dont nous parlons affecta cet habillement, tournant en ornements pour lui ce qui avait été une correction pour de jeunes débauchés.

J'observerai que certaines inventions de luxe, que cet empereur si décrié mit le premier en usage, se conservèrent après lui. Lampride en fait la remarque en trois différents endroits[10], et nous donne ainsi lieu de conclure que le luxe a de si puissants attraits pour les hommes, qu'il se perpétue même d'après les exemples les plus capables de le décréditer.

On juge aisément de quelle manière et à quel genre de personnes les places et les charges étaient données sous Héliogabale. J'ai déjà remarqué qu'il n'eut pas honte de faire préfet du prétoire, préfet de la ville, et consul avec lui, le farceur Eutychien. Mais, en général, il avilit et souilla toutes les dignités par la bassesse et par les vices infâmes de ceux qu'il choisissait pour les remplir. Il fit ses affranchis gouverneurs de provinces, lieutenants de l'empereur, proconsuls ; il prit sur les théâtres, dans le cirque et sur l'arène, les officiers du palais impérial. Des cochers, des danseurs, devenaient les premiers personnages de l'état. Au défaut d'autres recommandations, l'argent pouvait tout. Le prince vendait, soit par lui-même, soit par ses esclaves et par les ministres de ses voluptés, tous les emplois civils et militaires. On était admis dans le sénat par le mérite de son argent, sans distinction d'âge, de naissance, ni même de revenus et de biens fonds.

Ce prince, perdu de vices et noyé dans l'infamie, eut pourtant la pensée d'acquérir la gloire des armes, en faisant la guerre aux Marcomans. Mais c'était une saillie momentanée d'un esprit léger, qui se passa sans aucun effet, et s'en alla bientôt en fumée.

Voilà ce que les auteurs nous fournissent de plus de remarquable sur le gouvernement et la conduite personnelle d'Héliogabale. Il ne me reste plus à raconter que sa chute, qui fut annoncée, selon Dion, par plusieurs présages, et en particulier par un prétendu prodige dont le récit ne fait pas beaucoup d'honneur an jugement de l'historien.

Un génie, dit ce crédule écrivain, se disant Alexandre le Grand, et imitant son équipage et son armure, se manifesta subitement, sans que je puisse dire en quelle manière ni avec quelles circonstances, sur les bords du Danube. De là il traversa la Mésie et la Thrace, accompagné de quatre cents hommes qui voyageaient en ministres de Bacchus, vêtus de peaux, ayant des thyrses en main, et ne faisant mal à personne. Il fut partout honoré et bien traité. On lui préparait des hôtelleries, on lui fournissait abondamment les vivres ; et nul n'osa l'arrêter ou lui résister, ni officiers, ni soldats, ni intendants, ni gouverneurs. Il déclara qu'il voulait passer en Asie ; et on le conduisit en pompe, au jour qu'il avait marqué, jusqu'à Byzance. Il aborda à Chalcédoine ; mais là, ayant offert de nuit un sacrifice et enfoui en terre un cheval de bois, il disparut.

Afin qu'on ne doute point de cette merveille, Dion a soin de certifier qu'il était alors sur les lieux ; et il paraît persuadé que ce fantôme désignait Alexandre Sévère, qui allait bientôt succéder à son cousin Héliogabale. Pour moi, je ne vois ici qu'un aventurier, qui eut l'adresse de vivre quelque temps aux dépens du public, et à qui le souvenir récent de l'admiration folle de Caracalla pour Alexandre de Macédoine fit naître l'idée de prendre le nom de ce conquérant, et de copier, pour preuve de ressemblance, la fantaisie qu'il avait eue de se rendre l'émule de Bacchus. Ces sortes de prestiges ne peuvent pas durer longtemps ; et lorsque notre aventurier vit que le charme allait se rompre, il se renferma prudemment dans l'obscurité. Mais, sans nous amuser à un événement si peu sérieux, pas. sons à des objets plus dignes de nous occuper.

L'horrible conduite d'Héliogabale avait indisposé contre lui tous les esprits. Non seulement les sénateurs et les honnêtes gens de la ville, mais les soldats mêmes en étaient irrités. Dès le temps qu'il s'était fait connaître à Nicomédie par ses premiers désordres, ils avaient commencé à se repentir de leur choix ; et, depuis cette époque, les excès d'Héliogabale n'ayant fait que croître, la haine des soldats s'était augmentée dans la même proportion. Au contraire, ils étaient portés d'inclination pour son cousin, dont l'enfance aimable et vertueuse donnait les plus heureuses espérances.

Alexien, c'était le nom du jeune prince, était né vers l'an de J.-C. 208 ou 209, dans la ville d'Arcé en Phénicie, de Génésius Marcianus et de Mamée. Tout ce guenons savons de son père, c'est qu'il était syrien, et qu'il parvint au consulat. Mamée, sa mère, seconde fille de Mæsa, est très-célèbre. Née dans une famille livrée à la corruption, elle se préserva de la contagion du mauvais exemple. Il ne tint pas à sa mère que sa réputation ne souffrît une grande tache, et que son fils ne passât pour être né de Caracalla. Toute voie qui menait à la fortune était bonne à l'ambitieuse Mæsa. Mais ce discours, que l'intérêt rendait défia suspect, est réfuté par la netteté de la conduite de Marnée depuis le temps où elle est bien connue dans l'histoire ; et la sévérité des maximes dans lesquelles elle éleva son fils, doit opérer auprès des esprits raisonnables la justification de la mère.

On a même prétendu qu'elle était chrétienne ; et il faut convenir que les termes dans lesquels Eusèbe s'exprime à son sujet autorisent cette pensée. Il la traite de princesse très-pieuse envers la divinité : ce qui, dans la bouche d'un chrétien et d'un évêque, doit signifier la profession du christianisme. Il ajoute que, frappée de l'éclat de la réputation d'Origène, elle le manda pendant un séjour qu'elle fit à Antioche, et reçut de lui des instructions sur la gloire du Seigneur et sur la doctrine évangélique. Mais enfin il ne dit pas qu'elle ait embrassé la religion chrétienne ; et il ne faut pas toujours presser les paroles d'Eusèbe, qui, tout évêque qu'il était, avait l'âme très-mondaine. Ce qui ne peut être révoqué en doute, c'est qu'elle conserva de l'inclination pour les chrétiens, et qu'elle en inspira à son fils.

Elle l'éleva avec un très-grand soin, et elle lui donna d'excellents maîtres pour le former dès l'enfance à toutes les parties des beaux-arts et à tous les exercices militaires. Le jeune Alexien, qui avait un heureux naturel, se prêta de bonne g race à l'instruction ; et il se fit une règle, qu'il suivit toute sa vie, de ne passer aucun jour sans donner quelque temps et aux lettres et aux exercices qui se rapportent au métier des armes. Il réussit mieux dans l'éloquence grecque que dans la latine. Le grec était sa langue naturelle. Né en Syrie de pères syriens, il n'est pas étonnant qu'il ait pris moins de goût pour le latin, qui était pour lui une langue étrangère. Marnée eut encore plus d'attention à l'instruire dans la vertu que dans les lettres ; et elle trouva en lui une âme disposée à recevoir toutes les bonnes impressions. D'ailleurs il était beau de visage, bien fait de sa personne, robuste pour son âge ; il avait le regard vif et plein de feu. Ainsi il ne lui manquait rien de tout ce qui est capable de concilier l'affection.

Ce fut donc avec raison que Mæsa porta sur lui ses espérances, trompées par les affreux débordements d'Héliogabale. Elle voyait que l'indignation des soldats, se joignant à celle de tous les autres ordres de l'état, ne laisserait pas longtemps l'aîné de ses petits-fils sur le trône. Elle craignait le contrecoup qui retomberait sur elle-même, et qui la menaçait au moins de rentrer dans la condition privée. Pour prévenir ce danger, elle résolut de faire adopter Alexien par Héliogabale. Elle ne fut point arrêtée par le ridicule d'une adoption qui donnerait à un enfant de treize ans un père de dix-sept. Cette considération céda aisément à de plus importantes ; mais la difficulté était de faire consentir Héliogabale à une démarche qui devait lui déplaire, et dont il pouvait appréhender les suites. Elle l'y amena très-adroitement ; elle entra dans sa façon de penser. Vous devez, lui dit- elle, vous occuper des fonctions de votre sacerdoce, des mystères, des fêtes, de tout ce qui appartient au culte de votre dieu. Prenez un aide sur qui roule le soin des choses humaines, et qui, chargé de l'administration des affaires, vous laisse tout l'éclat et toute la douceur de la puissance impériale, en vous en sauvant les embarras et les désagréments. Cet aide, vous l'avez sous votre main : et pendant que vous avez un cousin, il ne serait pas raisonnable de penser à un étranger.

Héliogabale n'était pas un esprit fin ; il goûta à proposition de son aïeule : il se forgea dans ce nouvel arrangement une félicité qui satisferait ses plus chères inclinations. Plein de cette idée, il entra au sénat accompagné de Mæsa et de Soæmis, et déclara qu'il adoptait Alexien et le nommait César. Il se félicita même de pouvoir se donner tout d'un coup un tel fils ; et il protesta qu'il n'en désirait point d'autre, et qu'il était bien aise qu'un héritier unique préservât sa maison de troubles et de divisions intestines. Il ajouta que son nom dieu lui avait inspiré la démarche qu'il faisait, et que ce même dieu voulait que son fils adoptif fût appelé Alexandre. Il lui communiquait par l'adoption les noms de Marc Aurèle ; et il est bien probable que la vénération de Caracalla pour la mémoire du vainqueur de l'Asie et des Indes, fut le motif qui engagea Héliogabale à changer le nom d'Alexien en celui d'Alexandre. Il parait par les médailles que ce fut dans ce même temps que le nom de Sévère lui fut donné, sans doute pour rappeler le souvenir du prince auteur de toute la grandeur de cette maison. Le nouveau César fut désigné consul avec l'empereur pour l'année suivante.

La satisfaction qu'eut d'abord Héliogabale de cette adoption ne fut pas de longue durée. Comme revêtu de l'autorité paternelle sur Alexandre, il prétendit présider à son éducation ; et l'on peut juger ce que c'était qu'un plan d'éducation dirigé par Héliogabale. Il lui était arrivé de dire plusieurs fois qu'il ne souhaitait point d'avoir des fils, de peur qu'ils ne lui donnassent le déplaisir de se tourner au bien. Il s'était mis lui-même dans le cas qu'il appréhendait, par l'adoption de son cousin, dont toutes les inclinations se portaient à la vertu. Il entreprit donc de le pervertir. Il voulut le former sur son modèle, l'associer aux fonctions de son sacerdoce, lui faire exécuter des danses indécentes et lascives. Il trouvait une grande opposition de la part de Maniée, qui éloignait son fils de toutes actions et pratiques indignes du rang auquel il était destiné, et qui, 'continuant ce qu'elle avait heureusement commencé, nourrissait en lui les progrès de la sagesse par les leçons des maîtres les plus habiles et les plus vertueux. Elle prenait soin aussi de lui fortifier le corps, comme je l'ai dit, par des exercices convenables à un prince, lui faisant apprendre à lutter, à manier les armes à monter à cheval.

Héliogabale fut très-irrité de cette conduite de Marnée. Il chassa du palais tous les maîtres d'Alexandre, alléguant qu'ils lui corrompaient son fils, parce qu'ils le disposaient à devenir homme de bien. Quelques-uns des maîtres furent envoyés en exil, d'autres mis à mort. Parmi ces derniers, Lampride cite Silvius rhéteur. Le fameux jurisconsulte Ulpien en fut quitte pour une disgrâce, à laquelle mit bientôt fin la mort de son persécuteur ; et nous le verrons jouir de la plus haute faveur auprès d'Alexandre Sévère.

Héliogabale ne s'en tint pas là. Il prit absolument en haine son fils adoptif, et il essaya d'abord de s'en défaire par le poison ; mais la vigilance de Maniée rompit toutes ses mesures. Personne n'approchait de la personne du jeune prince, que ceux qu'elle avait elle-même choisis. Elle ne souffrait point qu'il Mt servi par les officiers du palais ; et il ne prenait rien, soit en nourriture, soit en breuvage, qui n'eût été préparé et ne lui fût présenté par des mains fidèles et attentives. Maniée s'attachait aussi à entretenir par des largesses secrètes les dispositions favorables où les soldats étaient déjà par rapport à son fils, pendant que Héliogabale, par la continuation des mêmes dérèglements, s'attirait de plus en plus leur mépris et lev haine, et ajoutait encore un nouveau degré à leur indignation par son acharnement contre Alexandre.

Mæsa secondait puissamment Marnée, et protégeait son ouvrage. Princesse habile et exercée depuis longtemps dans tout le manège de cour, c'était un jet pour elle que de déconcerter les mauvais desseins d'Héliogabale, qui cherchait toutes sortes de moyens de perdre Alexandre et sa mère, mais qui, vain, indiscret, léger, divulguait lui-même ses projets avant que de s'être donné le temps de les mûrir.

Après donc bien des tentatives inutiles pour faim assassiner ou noyer dans le bain le jeune prince, rebuté du peu de succès des entreprises furtives, Héliogabale se résolut à éclater ouvertement. Ayant pris la précaution de se retirer dans des jardins à une extrémité de la ville, il envoya ordre, d'une part au sénat, et de l'autre aux prétoriens, de dépouiller Alexandre du titre de César ; et en même temps il aposta des meurtriers pour le tuer, si dans le trouble ils pouvaient s'en procurer l'occasion.

Le sénat ne répondit aux ordres de l'empereur que par un profond silence et une consternation universelle. Mais les soldats agirent : et lorsqu'ils virent que les officiers du palais envoyés par Héliogabale couvraient de boue les inscriptions mises au pied des statues d'Alexandre, transportés de fureur ils partent dans le moment. Les uns vont au palais pour mettre la vie du jeune César en sûreté ; les autres, résolus de le venger, courent aux jardins où se tenait renfermé l'indigne empereur.

Les premiers trouvèrent Alexandre avec sa mère et son aïeule bien gardés par une troupe fidèle, et ils les amenèrent au camp. Ceux qui avaient dirigé leur marche contre Héliogabale le surprirent au dépourvu. Il attendait avec une pleine sécurité l'exécution de ses ordres, et ne songeant qu'à s'amuser, il se préparait à briller dans une course de chariots dont il prétendait remporter le prix. Effrayé du tumulte et du bruit qu'il entendit, il alla promptement se cacher, et envoya Antiochianus, l'un des préfets du prétoire, au-devant des soldats pour les apaiser. Ils étaient en assez petit nombre, et leur tribun Aristomachus, en retenant le drapeau dans le camp, avait engagé la plus grande partie de la cohorte à rester. Moins fiers, parce qu'ils n'étaient pas en force, ils écoutèrent les représentations d'Antiochianus, qui leur rappela le serment qu'ils avaient prêté à l'empereur, et les exhorta à ne point se souiller d'un crime horrible en répandant un sang si sacré. Ils se laissèrent fléchir, à condition qu'Héliogabale se rendrait au camp.

Il y vint humilié et tremblant : et les soldats, arbitres de leurs princes, dictèrent des lois à Héliogabale. Ils exigèrent qu'il éloignât de sa personne les indignes compagnons de ses désordres, les comédiens, les conducteurs de chariots, les gens de mauvaise vie, et tous ceux qui faisaient trafic de leur faveur et de ses grâces. Héliogabale consentait à tout, si ce n'est à leur livrer Hiéroclès. Il priait, il pleurait ; il se découvrait la gorge en criant : Frappez ; percez-moi plutôt moi-même. Accordez-moi la vie de ce seul ami, ou tuez votre empereur. Les soldats, qui s'étaient déjà relâchés une première fois, usèrent encore ici d'indulgence, et ils cessèrent de demander la mort d'Hiéroclès. Mais ils recommandèrent à leurs préfets de ne point souffrir que l'empereur continuât la vie licencieuse qu'il avait jusque là menée. Ils les chargèrent aussi de veiller à la conservation d'Alexandre, et d'empêcher que ce jeune prince ne vît aucun des amis d'Héliogabale, de peur que leur exemple ne devînt funeste à son innocence. Les prétoriens avaient raison dans tout ce qu'ils demandaient. Mais quel gouvernement que celui où les troupes donnent les ordres, et où les princes et leurs premiers officiers reçoivent la loi !

La réconciliation de l'empereur avec son fils adoptif ne dura qu'autant de temps que la crainte qui l'avait extorquée. Dès que le danger fut passé, Héliogabale reprit ses premiers desseins, et recommença à tendre des embûches à la vie d'Alexandre. Il ne voulut pas même se gêner pour cacher sa haine ; et le 1er janvier étant arrivé, où il devait prendre possession du consulat avec le jeune César, et aller avec lui en pompe au sénat, et de là au Capitole, il refusa longtemps de remplir ce cérémonial indispensable. Enfin sa mère et son aïeule, en lui montrant une sédition des soldats prête à éclater s'il s'opiniâtrait à témoigner une aversion si marquée pour son cousin, obtinrent de lui sur le midi qu'il se revêtît de la robe prétexte, et se rendît au sénat. Mais il n'y eut pas moyen de l'engager à aller au Capitole, et il fallut que le préfet de la ville offrît les sacrifices dans lesquels, en ce jour solennel, devait intervenir le ministère des consols.

Il n'était occupé que de la pensée de faire tuer Alexandre ; et craignant qu'après sa mort le sénat ne se déterminât à le remplacer par un autre choix, et n'élût un empereur, tout d'un coup il envoya ordre à tous les sénateurs de sortir de Rome. Il s'était accoutumé dès longtemps à mépriser cette compagnie auguste qui faisait la gloire de l'empire, et il traitait tout communément les sénateurs d'esclaves travestis en grands personnages. Ce fut pour eux une nécessité d'obéir sur-le-champ. On ne leur donna pas le temps de faire leurs apprêts de voyage, et ceux qui n'avaient point leurs voitures sous leurs mains furent obligés d'en louer. Le seul Sabinus, personnage consulaire, ne se pressa pas de partir. L'empereur en étant informé, donna ordre à un centurion d'aller le tuer. Heureusement il parla fort bas, et le centurion, qui était un peu sourd, crut être chargé seulement de conduire Sabinus hors de la ville : erreur qui sauva la vie à ce sénateur.

Héliogabale, en se débarrassant du sénat, n'avait écarté que le moindre danger, et il est étonnant qu'il ne vit pas que c'était surtout les soldats qu'il devait craindre. Il voulut les sonder en faisant répandre le bruit qu'Alexandre était menacé d'une mort prochaine, et sa tentative lui réussit très-mal. Les prétoriens à cette nouvelle entrèrent en fureur : ils refusèrent de lui envoyer à lui-même sa garde accoutumée, et ils demandèrent à grands cris qu'on leur montrât Alexandre, et qu'on l'amenât dans leur camp.

L'empereur céda, et prenant le jeune prince dans son char pompeux et tout brillant d'or et de pierreries, il vint au camp chercher la mort. Les prétoriens lui annoncèrent tout d'un coup leurs sentiments, en le recevant avec froideur, pendant qu'ils accueillaient de mille applaudissements son fils adoptif, ou plutôt son rival. La haine et la jalousie s'allumèrent dans le cœur d'Héliogabale, et oubliant bien mal-à-propos les ménagements timides dont il avait usé jusqu'alors, il entreprit de faire arrêter les plus audacieux des soldats, et ceux qui se distinguaient par l'ardeur de leur zèle pour Alexandre. Cet ordre fut le signal d'un combat. Quelques-uns obéissaient encore à Héliogabale, et se mettaient en devoir de lui livrer ses victimes ; les autres, en plus grand nombre, prirent hautement la défense de leurs camarades maltraités. Marnée et Sac-mis, qui étaient venues au camp, échauffèrent encore les esprits en se mettant chacune à la tête du parti de son fils. La victoire ne fut pas douteuse. Héliogabale, toujours lâche, prit la fuite au premier cri, et se bâta d'aller se cacher dans un honteux asile. Les ministres et les complices de ses débauches abandonnés par IM, éprouvèrent les premiers la fureur du soldat vainqueur, qui les fit périr par des supplices également cruels et proportionnés à l'infamie de leur conduite. On le chercha ensuite lui-même, et ayant été bientôt découvert, il fut tué avec sa mère qui le tenait étroitement embrassé.

Ainsi devinrent inutiles les précautions qu'il avait prises pour porter le luxe jusque dans les instruments et le genre de sa mort ; car prévoyant bien que sa fin serait funeste, il avait fait provision de cordons de soie pour s'étrangler, d'épées à lame d'or pour s'égorger, de vases d'un grand prix pour y avaler le poison qui terminerait ses jours. On dit même qu'il avait construit une très-haute tour, dont le pied était pavé de pierres précieuses, afin qu'en se précipitant il se brisât richement et magnifiquement la tête et les membres. C'était bien de la dépense pour finir par être massacré dans des latrines.

Ou lui coupa la tête, et à Soæmis, princesse aussi criminelle que malheureuse, et, pour tout dire en un mot, mère digne d'un tel fils. Leurs corps nus furent traînés par la ville avec toutes sortes d'ignominie. On ne nous dit point ce que devint celui de Soæmis. Pour ce qui est du cadavre d'Héliogabale, la populace outrageuse voulut l'enfoncer dans un des égouts de la ville : mais l'entrée s'étant trouvée trop étroite, il fut jeté dans la rivière. Il ne méritait pas une plus honorable sépulture.

Il n'était âgé que de dix-huit ans lorsqu'il périt, et il avait régné trois ans, neuf mois et quatre jours, à compter du jour de la bataille qu'il gagna contre Macrin : ainsi, sa mort doit tomber au 11 mars.

Jamais on n'a parlé de ce prince qu'avec horreur et mépris. Le sénat fit effacer son nom des fastes. Jamais ni Dion, ni Lampride ne lui donnent le nom d'Antonin, qu'il déshonorait par ses vices. Dion l'appelle Faux-Antonin, Assyrien, Sardanapale : et après sa mort, par une allusion insultante au dernier sort de son cadavre jeté dans le Tibre, on le surnomma Tiberinus.

Avec lui périrent Hiéroclès, les préfets du prétoire, le préfet de la ville Fulvius ; et aucun presque de ceux qui avaient eu part à ses crimes n'échappa au supplice. Aurélius Eubullus, natif d'Émèse, surintendant de ses finances, auteur de vexations criantes, et qui pour satisfaire L'avidité d'un seul s'était rendu l'ennemi de tous, fut déchiré et mis en pièces par le peuple et par les soldats.

On ne cite d'Héliogabale d'autres ouvrages publics que le temple de son dieu et des portiques autour des bains de Caracalla ; encore laissa-t-il imparfait ce dernier édifice, qui fut achevé par son successeur.

La colonie d'Emmaüs, fondée par Vespasien après la prise de Jérusalem, comme je l'ai rapporté, était tombée dans un état de dépérissement. Jule Africain, qui, à ce que l'on croit, en était natif, chrétien de religion, auteur célèbre d'une savante chronologie, dont Eusèbe nous a conservé de grands morceaux, fut député à Rome sur la fin du règne d'Héliogabale pour obtenir le rétablissement de cette colonie, et il l'obtint d'Alexandre Sévère son successeur. On peut douter si ce ne fut point alors qu'Emmaüs changea son nom en celui de Nicopolis.

 

 

 



[1] Deux cent cinquante livres.

[2] J'attribue principalement à l'aïeule d'Héliogabale ce que Lampride dit de sa mère, parce que les soins et les traits d'ambition paraissent mieux convenir au caractère de Mæsa qu'à celui de Soæmis. D'ailleurs le même Lampride rapporte expressément en deux endroits (12, 15) qu'Héliogabale menait son aïeule au sénat.

[3] M. de Tillemont distingue Paula de la veuve de Bossus. En examinant de près les termes de Dion, il m'a paru que cet historien en faisait une seule et même personne.

[4] Soixante-quinze livres.

[5] Cent vingt-cinq livres.

[6] J'attribue à Hiéroclès ce que Lampride dit de Zoticus, dont il sera bientôt parlé dans mon texte. Le crédit de celui-ci fut, selon Dion, de si courte durée, qu'il n'eut pas le temps d'en abuser.

[7] Douze mille cinq cents livres.

[8] C'est ce qui est dit d'Othon dans Tacite, Histoires, I, 30. Perdere iste sciet, donare nesciet.

[9] Le texte porte des esclaves, servos. Saumaise croit qu'on doit lire cervos, afin que toutes les parties du dénombrement se rapportent, et qu'il soit partout question d'animaux.

[10] LAMPRIDE, Héliogabale, 19, 22, 31.