C. ASINIUS. - C. ANTISTIUS. AN R. 774. DE J.-C. 23.Tibère comptait déjà la neuvième année d'une fortune constamment favorable depuis qu'il était parvenu à l'empire. L'état était tranquille, sa maison florissante, car il mettait la mort de Germanicus au rang de ses prospérités. Sous les consuls Asinius et Antistius, les disgrâces commencèrent à fondre sur sa famille, soit par son propre fait, soit par l'appui qu'il donna à celui qui en était l'ennemi et le destructeur. On voit bien que je veux parler de Séjan, qui, pour se frayer un chemin à la souveraine puissance, empoisonna Drusus, ruina Agrippine et les princes ses fils aînés, et reçut enfin, mais trop tard, la juste peine de tant de crimes. Le récit de ce noir projet, suivi persévéramment par Séjan pendant un grand nombre d'années, sera mieux saisi, si rien n'en interrompt le fil. C'est pourquoi je commence par le dégager de tous les faits qui y sont étrangers. Tibère renouvela encore cette année sa feinte usée et rebattue, de vouloir visiter les provinces. Il alléguait même des raisons qui l'y obligeaient, la multitude des soldats vétérans, la difficulté de faire des recrues, parce que l'on manquait de sujets qui s'enrôlassent volontairement ; et que s'il s'en offrait quelques-uns, c'étaient des libertins et des vagabonds, qui n'avaient le plus souvent ni courage ni honneur. Il a été observé dans l'Histoire de la république, que l'ancienne milice romaine n'était composée que de citoyens qui eussent du bien, et pour qui une fortune au moins médiocre fût une raison de s'intéresser au salut de l'état ; et quoiqu'il y eût déjà près de cent trente ans que Marius se fût écarté de cette règle, il paraît par la réflexion de Tibère qu'on ne l'avait pas encore entièrement perdue de vue. A l'occasion de ce qu'il venait d'exposer au sénat, Tibère déduisit sommairement les forces que la république entretenait sur pied, et leur distribution dans les provinces ; et la notion que nous en donne ici Tacite, en y comprenant les rois alliés de l'empire, n'est pas seulement curieuse, mais utile pour la suite de l'histoire. L'Italie était appuyée de deux flottes, l'une à Misène sur la mer de Toscane, l'autre à Ravenne sur la mer Adriatique ; et pour l'assurer vers l'Occident, Auguste avait préposé à la garde des côtes un nombre de vaisseaux de guerre pris à Actium, les plaçant à Fréjus, dont le port, alors très-bon, est comblé depuis plusieurs siècles. Cette troisième flotte était moindre que les deux précédentes. A ces forces maritimes, qui étaient purement romaines, il faut ajouter les escadres alliées, c'est-à-dire composées de vaisseaux fournis par les sujets de l'empire. Elles étaient distribuées dans tous les endroits convenables sur les côtes de la Méditerranée. Les Romains avaient encore deux flottes d'une autre espèce, et consistant en simples barques, sur le Rhin et sur le Danube, par le moyen desquelles ils se rendaient maîtres du cours de ces deux grands fleuves. Pour ce qui est des forces de terre, le plus grand corps qu'ils en tinssent assemblé, était sur le Rhin, huit légions, qui veillaient également sur les Gaules et sur la Germanie. L'Espagne, qui n'avait été entièrement pacifiée que sous Auguste, était occupée par trois légions. Juba régnait dans la Mauritanie, qui lui avait été donnée par le peuple romain. L'Afrique proprement dite n'avait régulièrement qu'une légion. Pour la guerre de Tacfarinas on y en avait fait venir de Pannonie une seconde, qui fut bientôt après renvoyée à la province à laquelle elle appartenait. Deux légions en Égypte, quatre en Syrie. L'Ibérie, l'Albanie et quelques autres petits états dans ces régions orientales avaient leurs rois, qui les gouvernaient sous la protection de l'empire. La Thrace était partagée entre Rhymétalcès et les enfants de Cotys. Cinq légions gardaient la rive du Danube, trois en Pannonie, deux en Mésie. La Dalmatie en avait aussi deux qui se trouvaient à portée, soit de se joindre à celles du Danube, soit de venir promptement au secours de l'Italie, s'il en était besoin. Rome n'était pourtant pas sans défense : trois cohortes dites de la ville, et les neuf[1] cohortes prétoriennes en assuraient la tranquillité. Ainsi l'empire romain en pleine paix entretenait vingt-cinq légions, faisant cent vingt-cinq mille hommes ; auxquelles si l'on ajoute les douze cohortes destinées à la garde de la ville et de l'empereur, le total des troupes montera à près de cent quarante mille hommes. Il faut y joindre les troupes auxiliaires ou alliées qui doublaient ce nombre. Il est bon d'observer que ce n'est que depuis Auguste que l'usage s'était introduit d'entretenir ainsi perpétuellement des troupes sur pied. Tant que le gouvernement républicain subsista, on n'armait que pour les guerres, à mesure qu'elles naissaient ; et quand elles étaient finies, on licenciait les légions. Néanmoins, indépendamment du changement arrivé dans le gouvernement, l'étendue de l'empire, et le voisinage des nations barbares, auraient constamment mis les Romains dans la nécessité de garnir de troupes au moins leurs frontières. Une autre observation, non moins importante, c'est que les légions demeuraient attachées aux provinces dont elles avaient la garde. Elles y passaient l'été en campagne, et la mauvaise saison dans des camps qu'elles appelaient camps d'hiver. Car le soldat romain campait toujours, et ne logeait jamais dans les villes. De ces camps d'hiver, qui ne changeaient point, se sont formées plusieurs villes, qui subsistent encore aujourd'hui, comme Santen dans le pays de Clèves, Vienne en Autriche, et beaucoup d'autres. Je reviens à mon objet. Tacite, après avoir donné le dénombrement des forces romaines sous Tibère, nous présente un tableau en raccourci du gouvernement de ce prince jusqu'à la neuvième année de son règne, qui est l'époque de son changement funeste, ou plutôt dans laquelle il commença à ne se plus gêner, et à donner une plus libre carrière à l'esprit tyrannique qui était son penchant naturel. Il témoignait une grande considération pour le sénat, devant lequel se traitaient toutes les affaires publiques, et les plus importantes de celles qui regardaient les particuliers. Les premiers sénateurs avaient toute liberté de parler et de s'étendre ; et s'ils se laissaient aller à la flatterie, il les arrêtait lui-même, et les remettait sur la voie. Dans la distribution des charges, il envisageait la noblesse de la naissance, les services rendus dans la guerre, les talents utiles dans la paix, et l'on convenait assez que nul n'en était plus digne que ceux qu'il y élevait. Les consuls, les préteurs, jouissaient de l'éclat extérieur de leur dignité ; les magistrats d'un ordre inférieur exerçaient le pouvoir de leurs charges ; et les lois, si l'on en excepte celles de lèse-majesté, étaient dirigées à leur véritable fin, c'est-à-dire au maintien de l'utilité publique. Les revenus de la république se donnaient à ferme, comme autrefois, à des compagnies de chevaliers romains. L'empereur faisait administrer ses domaines et ses finances propres par des hommes d'une probité pic-faite, et qu'il ne connaissait souvent que sur la renommée ; et lorsqu'il les avait mis en place, il les y conservait, passant Même en cela toute mesure, puisqu'il les laissait vieillir dans leurs emplois. La cherté des vivres était grande et fatiguait beaucoup le menu peuple, mais sans qu'il y eût de la faute du prince. Au contraire il remédiait, autant qu'il lui était possible, par ses soins et par ses largesses, aux inconvénients qui naissaient de la stérilité des terres, ou des difficultés de la navigation, et des naufrages. Quatre ans auparavant, Tacite[2] rapporte que dans une disette Tibère fixa le prix du blé, et qu'il donna aux marchands une gratification de deux sesterces[3] par boisseau. Il ne voulait point que les provinces fussent surchargées de nouveaux impôts, ni qu'on les vexât pour le paiement des anciens. Il réprimait l'avidité et la cruauté des magistrats, et ne souffrait point que les sujets de l'empire fussent maltraités dans leurs personnes, ni exposés à perdre leurs biens par les rapines et les injustices. Ses domaines dans l'Italie étaient fort bornés, ses esclaves tenus dans la modestie, sa maison renfermée dans un petit nombre d'affranchis ; et s'il avait des intérêts à démêler avec les particuliers, la justice ordinaire en décidait. Au reste, à tant de parties louables manquaient les grâces. Il faisait le bien d'un air sauvage et avec un appareil de terreur. Mais enfin il le faisait tant que vécut son fils. Tacite en attribue la cause à Séjan, qui dans une faveur naissante et non encore solidement affermie voulait se faire connaître par de bons endroits, et qui d'ailleurs, s'il donnait lieu à des plaintes, craignait la vengeance de Drusus, dont il se savait souverainement haï. L'année du consulat d'Asinius et d'Antistius, à l'exception de la mort de Drusus, dont nous remettons à parler ailleurs, n'offre aucun événement bien considérable. Les villes de Cibyre en Asie, et d'Égira en Achaïe, ayant été fort maltraitées par des tremblements de terre, obtinrent de Tibère et du sénat une exemption de tributs pour trois ans. Vibius Sérénus, proconsul de la Bétique, homme violent et emporté, fut condamné comme coupable d'actes de cruauté et de tyrannie, et relégué dans Me d'Amorgus, l'une des Sporades. On accusa Carsius Sacerdos d'avoir fourni des blés à Tacfarinas ennemi du peuple romain : il fut trouvé innocent et absous. C. Gracchus enveloppé dans la même accusation s'en tira aussi heureusement, mais ce ne fut pas sans difficulté. Il était fils de Sempronius Gracchus, dont nous avons raconté la mort au commencement du règne de Tibère, et il avait suivi encore enfant son père en exil dans l'île de Cercine. Il y fut très-mal élevé parmi des bannis, des gens sans lettres, et en qui l'ignorance était accompagnée de la bassesse des sentiments. Ayant perdu toute ressource par la mort de son père, il se vit réduit, pour subsister, à faire un petit commerce de menues marchandises, qu'il transportait d'Afrique en Sicile, et réciproquement ; et cependant une telle misère ne put écarter de lui les dangers d'une haute fortune. Si Ælius Lamia et L. Apronius, qui avaient été proconsuls d'Afrique, n'avaient protégé son innocence, il aurait été la victime d'un nom aussi malheureux qu'illustre, et de l'infortune de son père. La licence des pantomimes devenait intolérable. Ils causaient toutes sortes de désordres, séditions dans la représentation des jeux, corruption dans l'intérieur des familles. Les préteurs en avaient porté leurs plaintes au sénat : mais c'est tout ce qu'ils pouvaient faire, parce qu'Auguste, comme nous l'avons remarqué ailleurs[4], avait ôté en grande partie aux magistrats le droit d'animadversion sur les gens de théâtre. Tibère n'était pas si indulgent à beaucoup près : la seule politique l'avait obligé d'abord à user de ménagements. Mais enfin il proposa au sénat de réprimer l'insolence des histrions ; et il fut rendu un décret pour les chasser de l'Italie. Il faisait encore part de toutes les affaires au sénat, jusque-là qu'ayant reçu des plaintes de la part des peuples de l'Asie contre Lucillius Capito son intendant dans cette province, il voulut que le sénat prit connaissance de cette affaire, et il déclara en termes exprès qu'il ne lui avait donné que l'inspection sur ses esclaves et sur ses revenus en Asie. Que si Capito avait tranché du préteur, et employé le ministère des soldats, il avait passé ses ordres, et qu'il fallait faire justice aux alliés de l'empire. On instruisit sur ce pied le procès de Capito, et il fut condamné. Telles étaient alors les bornes étroites dans lesquelles on renfermait le pouvoir des intendants de l'empereur, surtout dans les provinces où ils avaient des supérieurs, propréteurs ou proconsuls. Dans la suite ils étendirent beaucoup leurs droits. L'Asie, vengée des injustices de l'intendant Capito, et précédemment de celles du proconsul Silanus, en témoigna sa reconnaissance par une adulation impie, que l'usage autorisait en vain. Elle demanda et obtint la permission de bâtir un temple à Tibère, à Livie et au sénat. Néron, l'aîné des fils de Germanicus, rendit grâces à ce sujet pour les peuples de l'Asie au sénat et à son aïeul par un discours[5], qui fut écouté avec des transports de joie. On croyait voir Germanicus, on croyait l'entendre. En effet le jeune prince avait un air de modestie et de dignité, qui convenait tout-à-fait à sa naissance, et qui tirait encore un nouveau lustre des dangers auxquels l'exposait la haine bien connue de Séjan contre lui. La permission de construire le temple ayant été accordée à l'Asie en commun, il y eut ensuite grande contestation sur le choix de la ville qui en serait honorée. On vit à Rome, trois ans après, les députations de onze villes d'Asie, qui se disputaient ce glorieux privilège, et qui alléguaient chacune leurs moyens de préférence. Le sénat prononça en faveur de ceux de Smyrne. La mort de Lucillius Longus affligea beaucoup Tibère. C'était un ami de tous les temps, et le seul de l'ordre des sénateurs qui lui eût tenu compagnie dans sa retraite à Rhodes. Aussi, quoique homme nouveau, reçut-il après sa mort les plus grands honneurs qui pussent être déférés à un citoyen, une pompe funèbre aux dépens du public, et une statue dans la place bâtie par Auguste. J'ai déjà eu occasion de remarquer l'attention de Tibère à conserver et à relever, suivant l'exemple d'Auguste, la dignité du sacerdoce des vestales. Il en donna une nouvelle preuve cette année par une gratification de deux millions de sesterces[6] qu'il fit accorder à Cornélie, qui venait d'être choisie pour remplacer Scantia. On ordonna en même temps que, lorsque Livie assisterait aux spectacles, elle prendrait place au milieu des vestales. SER. CORNELIUS CETHEGUS. - L. VISELLIUS VARRO. AN. R. 775. DE J.-C. 24.Sous les consuls Céthégus et Visellius, le peuple romain se vit enfin délivré d'une guerre longue et peu honorable contre le brigand Tacfarinas. Jusque-là les généraux, lorsqu'ils s'étaient persuadé en avoir assez fait pour mériter les ornements du triomphe, avaient laissé là l'ennemi. Déjà l'on voyait dans Rome trois statues couronnées de lauriers pour les victoires remportées sur Tacfarinas, et, aussi puissant que jamais, il ravageait encore l'Afrique. Il avait même augmenté ses forces par la jonction d'un grand nombre de Maures qui désertaient le royaume de Ptolémée fils de Juba, prince jeune, inappliqué, et gouverné par ses affranchis ; en sorte que ses fiers sujets, dédaignant d'obéir à des ministres encore flétris des fers de la servitude, préféraient sans difficulté la guerre et les armes. Le roi des Garamantes fournissait à Tacfarinas des lieux de sûreté pour recéler son butin, et il l'aidait aussi dans ses pillages, non pas en marchant avec lui en corps d'armée, mais par des détachements de troupes légères, que la renommée grossissait, parce qu'elles venaient de loin. Bien plus, tout ce qu'il y avait de gens turbulents et pressés par la misère dans la province romaine accouraient autour au Numide avec d'autant plus de confiance, que Tibère, supposant qu'après les exploits de Blésus en Afrique il n'y restait plus d'ennemis, avait ordonné que la neuvième légion fut ramenée en Pannonie : et Dolabella, successeur de Blésus, n'avait pas osé la retenir, craignant plus les ordres du prince que les hasards de la guerre. Tacfarinas profita aussi de cette circonstance pour répandre le bruit parmi les siens, que les Romains avaient encore sur les bras d'autres ennemis, et que tel était le motif qui les forçait de se retirer peu à peu de l'Afrique ; en sorte qu'il serait aisé d'écraser le petit nombre de ceux qui y étaient demeurés, si tous les amateurs de la liberté de la nation se réunissaient pour faire un puissant effort. Il assembla donc toutes ses forces, et vint assiéger la ville de Thubusque. A cette nouvelle, Dolabella prend avec lui ce qu'il avait de troupes sous la main, et marche à l'ennemi : et tout en arrivant, par la seule terreur du nom romain, et par l'avantage que lui donnait son infanterie sur des peuples qui ne savaient se battre qu'à cheval, il fait lever le siège. Après quoi il fortifia les postes avantageux du voisinage, et étant informé que les chefs des Musulans méditaient une révolte, il se saisit de leurs personnes, et leur fit trancher la tête. Ensuite il forma son plan pour travailler à terminer la guerre ; et comme l'expérience des expéditions précédentes lui avait appris qu'il ne s'agissait pas d'attaquer avec de grandes forces réunies un ennemi qui courait la campagne, et qui ne faisait que voltiger, ayant envoyé ordre au roi Ptolémée de venir le joindre avec des troupes levées dans son pays, il partagea ses Romains en quatre corps, dont il donna le commandement à des lieutenants-généraux et à des tribuns, et il distribua pareillement les Maures en plusieurs camps volants, commandés par des chefs de leur nation. Lui-même il était présent à tout, et se transportant d'un de ces corps à l'autre, il en dirigeait par ses ordres tous les mouvements. Peu de temps après ces mesures prises, il reçut avis que les Numides s'étaient établis à demeure et avaient dressé leurs cabanes près d'un fort demi-ruiné, qu'ils avaient brûlé autrefois, et que l'on nommait Muée, se croyant bien en sûreté dans un lieu qui de toutes parts était environné de vastes forêts. Dolabella part dans le moment avec des troupes de cavalerie et d'infanterie, qui avaient ordre de ne porter que leurs armes pour faire plus de diligence, mais qui ne savaient rien du dessein de leur général. Au point du jour les Romains arrivent, et éveillent les Barbares par le bruit des trompettes et par des cris menaçants. Ils s'avancent en bon ordre, l'infanterie pressant ses rangs, la cavalerie distribuée sur les ailes : tout est préparé pour le combat. Au contraire les Numides, surpris au dépourvu, ne peuvent pas même faire usage de leurs chevaux, qui étaient ou au piquet enchaînés par le pied[7], ou errants dans les prairies voisines : point d'armes, nul arrangement, nul concert ; c'était un troupeau plutôt qu'une armée, et les Romains n'avaient que la peine de les entraîner, de les tuer, de les prendre. Le soldat, irrité par le souvenir des fatigues qu'il a essuyées, et charmé de pouvoir enfin en venir aux mains avec des ennemis qui avaient toujours évité le combat, assouvit sa vengeance en versant des flots de sang. Dolabella voulait finir la guerre. Il fait courir par les compagnies un ordre de s'attacher à Tacfarinas, que tous connaissaient depuis tant d'années qu'ils étaient occupés à le poursuivre. Le Numide ne put échapper, mais il voulut mourir en brave homme : et voyant ses gardes dissipés, son fils prisonnier, et les Romains répandus tout autour de lui, il se jeta tête baissée au milieu des traits, et évita la captivité, en cherchant la mort dans le combat. Ainsi fut terminée cette guerre qui durait depuis trop longtemps. Dolabella demanda les ornements du triomphe, et Tibère les lui refusa pour ne point faire ombre à la gloire de Blésus, oncle de Séjan. Mais Blésus den fut pas plus estimé, et le refus d'un honneur bien mérité augmenta la gloire de Dolabella qui, avec une armée moindre en nombre, avait fait d'illustres prisonniers, tué le chef des ennemis, et mis fin à la guerre. Sa victoire reçut encore un nouvel éclat dans le public, par le spectacle, très-rare dans Rome, d'une ambassade des Garamantes, qui venaient faire satisfaction pour les secours donnés à Tacfarinas. En considération des services que Ptolémée avait rendus dans cette guerre, on renouvela un ancien usage dont le souvenir était presque effacé, et on lui envoya par un sénateur les présents[8] que le sénat avait autrefois coutume de faire aux rois étrangers, c'est-à-dire un sceptre d'ivoire, et une toge de pourpre relevée en broderie. L'ambassadeur avait ordre de le reconnaître solennellement roi allié et ami du peuple romain. Cette même année, l'Italie craignit une révolte d'esclaves. L'auteur du tumulte fut un certain T. Curtisius, qui avait été soldat dans une des cohortes prétoriennes. Cet homme audacieux se trouvant près de Brindes, dans an pays tout rempli d'esclaves, que l'on occupait à paître les troupeaux, et à travailler à la terre, et qu'une vie dure et laborieuse rendait presque féroces et capables de tout oser, tint d'abord des assemblées clandestines : ensuite il afficha même publiquement des placards pour appeler les esclaves à la liberté. Heureusement dans ce même temps arrivèrent à Brindes trois vaisseaux de guerre destinés à escorter les vaisseaux marchands qui voguaient sur ces mers. Curtius Lupus questeur, qui était sur les lieux, mit à terre les soldats de ces vaisseaux, et en ayant formé une petite troupe il dissipa la conjuration naissante, avant qu'elle eût eu le temps d'acquérir des forces. L'empereur se hâta aussi d'envoyer le tribun Staïus avec un bon corps de soldats ; et cet officier prit et amena à Rome le chef de la révolte et ses principaux complices. Ainsi fut rétablie la tranquillité et l'assurance dans la ville, qui était déjà fort alarmée, à cause du nombre infini d'esclaves qui l'inondait, pendant que les familles du peuple de condition libre diminuaient de jour en jour. Cette multitude d'esclaves introduite par le luxe était un des grands maux et des grands dangers de l'empire. Sénèque[9] rapporte que quelqu'un ayant proposé dans le sénat de distinguer les esclaves d'avec les personnes libres par la différence de l'habillement, cet avis fut rejeté. On comprit, dit-il, à quel péril nous nous exposions, si l'on mettait nos esclaves en état de nous compter. Voilà tout ce que nous fournit d'événements hors de Rome l'année dont j'écris actuellement l'histoire. Le reste roule presque uniquement sur des objets tristes, accusations et condamnations, la plupart injustes. L. Pison, de qui j'ai rapporté, d'après Tacite[10], des traits de fierté tout-à-fait remarquables, et soufferts dans le temps par Tibère avec une grande patience, éprouva enfin que ce prince dissimulé avait bonne mémoire. Q. Granius l'accusa de discours tenus dans le secret contre le respect dei à la majesté de l'empereur : et il avance de plus qu'on trouverait chez lui du poison, et qu'il venait au sénat portant une épée sous sa robe. Ces derniers reproches étaient trop violents pour être crus, et l'on n'y eut aucun égard. Les autres griefs en grand nombre dont l'accusateur le chargeait, furent écoutés. Pendant l'instruction du procès, la mort survenue tout à propos déroba Pison à une condamnation inévitable. On ne plaindra pas le sort de Cassius Sévérus, cet orateur médisant qui s'était fait exiler sous Auguste. Il avait pour séjour l'île de Crète, et il pouvait y vivre tranquillement. Mais dominé par son goût satirique, il continua d'y composer des libelles, qui réveillèrent les anciennes inimitiés, et lui en attirèrent de nouvelles. Sur les plaintes que le sénat en reçut, intervint un second jugement, par lequel la peine d'exil fut prononcée en forme contre Cassius, ses biens furent confisqués, et on le transféra de l'île de Crète dans celle de Sériphe, qui n'est qu'un rocher. Il y vieillit dans la dernière misère, n'ayant pas même des habits pour se couvrir. Tibère fit dans le même temps un autre acte de justice. Plautius Silvanus précipita par la fenêtre sa femme Apronia, sans que l'on sût le motif qui l'avait porté à ce crime. Aussitôt L. Apronius son beau-père le mena devant l'empereur, à qui Plautius répondit d'une manière confuse et troublée, comme s'il eût été encore accablé de sommeil, voulant faire croire que sa femme s'était tuée volontairement. Tibère prit son parti sur-le-champ : il se transporta au logis de Plautius, visita la chambre, et y trouva des preuves et des traces de la résistance qu'Apronia avait faite, et de la violence avec laquelle elle avait été poussée. Il exposa l'affaire dans le sénat : elle fut mise en règle ; et Urgulania, grand'mère de Plautius, envoya un poignard à son petit-fils. Comme elle était la confidente intime de Livie, on ne douta point qu'elle n'eût agi par les ordres secrets de l'empereur. Plautius voulut se percer de son épée ; et n'ayant pu réussir à se tuer, il se fit ouvrir les veines. Numantina, qui avait été auparavant mariée avec lui, fut accusée de lui avoir aliéné l'esprit par dm maléfices et des sortilèges : mais il n'y eut rien de prouvé contre elle, et elle fut déclarée innocente. Le spectacle atroce d'un père accusé par son fils effraya peu après le Sénat. Ils se nommaient l'un et l'autre Vibius Sérénus. Le père au sortir du gouvernement de la Bétique, avait été comme je l'ai dit, relégué dans l'île d'Amorgus. On l'en ramena pour répondre à cette accusation ; et il parut dans l'état le plus triste et le plus déplorable, chargé de chaînes ; pendant que le jeune homme ajusté dans le meilleur goût, d'un air où brillait la gaieté et la confiance, faisant en même temps l'office de délateur et de témoin, étalait le plan ou plutôt le roman d'une conjuration formée par son père contre le prince, et de prétendues prises pour faire soulever les Gaules. Il impliquait dans l'affaire Cécilius Cornutus ancien préteur, par qui il prétendait que des sommes d'argent avaient été fournies à son père. Cornutus ne pouvant supporter l'ennui d'une procédure criminelle, dont tant d'exemples lui faisaient croire que l'issue ne pouvait être qu'une condamnation ignominieuse, se donna la mort à lui-même. C'était un fâcheux préjugé contre l'accusé. Mais il ne perdit point courage, et se tournant vers son fils, il secouait ses chaînes, et invoquait les Dieux vengeurs de l'impiété des fils à l'égard de leurs pères. Il les priait de lui rendre son exil, où il pût vivre loin d'une telle noirceur, mais de signaler leur justice par le supplice d'un fils ingrat et dénaturé. Il assurait que Cornutus était innocent, et qu'il avait eu tort de s'alarmer. La preuve en fera claire, ajouta-t-il, si l'on nomme mes autres complices. Car ce n'est pas sans doute avec l'aide d'un seul associé, que j'ai projeté le meurtre de l'Empereur et le soulèvement d'une grande Province. Alors l'accusateur nomma Cn. Lentulus et Seius Tubero, deux des plus illustres Sénateurs, intimes amis de Tibère, l'un extrêmement âgé, l'autre très-infirme. Lentulus, qui était présent, rit d'une si folle imputation. Tibére en eut honte, et dit: Je ne serais pas digne de vivre, si Lentulus aussi souhaitait ma mort. Cependant comme il haïssait l'accusé, il fit donner la question à des esclaves, qui ne chargèrent point leur maître. Alors l'accusateur troublé par les remords de son crime, et par l'indignation du peuple, qui le menaçait tout haut du roc Tarpéien, ou du supplice des parricides, s'enfuit secrètement de la ville. On courut après lui et on le joignit à Ravenne, d'où il fut ramené à Rome, et forcé de poursuivre son accusation. Toute preuve lui manquait : mais il avait un appui dans la vieille haine de Tibère contre l'accusé, qui après avoir autrefois prêté son ministère pour la condamnation de Libon, n'en ayant pas été récompensé selon ses espérances, s'en était plaint amèrement par une lettre adressée à l'Empereur lui-même, dans laquelle il prenait un ton trop fier et trop haut pour ne pas déplaire à des oreilles superbes, et disposées à s'offenser aisément. Tibère rappela alors ce grief après huit ans : et il prétendit trouver du crime dans la conduite que Sérénus avait tenue depuis cet intervalle, quoique, disait-il, l'opiniâtreté de ses esclaves en ait dérobé la preuve judiciaire. On alla ensuite aux voix ; et quelques sénateurs ayant opiné à la mort, Tibère, qui sentit combien une telle rigueur, contraire à toutes les lois, le rendrait odieux, s'y opposa. Asinius Gallus fut d'avis de reléguer l'accusé dans l'île de Gyare ou dans celle de Donuse. L'empereur rejeta encore ce sentiment, disant que ces deux îles n'avaient point d'eau, et qu'il fallait accorder les besoins de la vie à celui à qui l'on permettait de vivre. Ainsi Sérénus fut ramené dans l'île d'Amorgus. A l'occasion de la mort volontaire de Cornutus, quelques-uns proposèrent d'ordonner que les récompenses promises par la loi aux accusateurs n'eussent point lieu, lorsqu'un accusé de lèse-majesté préviendrait la condamnation en se donnant la mort à lui-même. Il est aisé de concevoir que le sénat entrait volontiers dans cette idée. Mais Tibère, oubliant ses ménagements accoutumés, d'un ton ferme et même dur, se déclara pour les accusateurs. On veut donc, dit-il, anéantir les lois, et jeter la république dans le plus extrême danger. Renversez les lois plutôt que d'écarter ceux qui en sont les défenseurs et les gardiens. Ainsi, dit Tacite[11], les délateurs, cette peste publique, que les peines même les plus sévères n'ont pas la force de réprimer, étaient au contraire invités et amorcés par l'espoir des récompenses. Il est pourtant vrai que communément un accusé qui se tuait lui-même frustrait au moins eu partie l'avidité de ses accusateurs. Alors ses biens n'étaient point sujets à la confiscation, et passaient à ses héritiers : son testament était exécuté ; et par conséquent nulle portion de ce qu'il avait possédé ne tournait au profit des accusateurs. La loi ne leur assignait la dépouille que de ceux qu'ils avaient fait condamner. Dès qu'il n'y avait point de condamnation prononcée, leur proie leur échappait. Mais tout cela suppose que la mort volontaire de l'accusé arrêtait les poursuites. C'est ce qui arrivait le plus ordinairement, et le sénat dans ces temps malheureux eût souhaité en faire une loi générale. Tibère au contraire prétendit se réserver le droit, soit de satisfaire pleinement sa vengeance, soit de récompenser abondamment les accusateurs ; et pour cela de faire continuer les procédures, quand il le jugerait à propos, jusqu'à ce qu'il intervint un jugement final, qui eût les mêmes effets sur les biens de l'accusé, que s'il était, encore vivant. C'est ce que nous avons vu pratiquer à l'égard de Scribonius Libo et de Cn. Pison. Il n'est pas jusqu'aux récompenses d'honneur, statues, ornements du triomphe, que Tibère, au rapport de Dion, ne prostituât aux délateurs : c'est-à-dire, qu'il saisissait le plus léger prétexte de prétendus services rendus à l'état, pour décorer de ces distinctions des hommes qui ne les avaient réellement méritées que par la voie des accusations. Il en résulta un tel avilissement de ces honneurs, qu'il se trouva des gens de mérite qui les refusèrent, de peur d'être confondus avec ceux qui les acquéraient si indignement. Au milieu de tant de tristes événements accumulés les uns sur les autres, ce fut une consolation et un sujet de joie, quoique faible et passagère, de voir Tibère pardonner à C. Cominius chevalier romain, convaincu d'avoir fait contre lui des vers satiriques. Il accorda la grâce du coupable aux prières de son frère, qui était sénateur. On lui applaudit : mais en même temps on s'étonnait de ce que connaissant le bien, et sachant quelle gloire suivait la clémence, il préférait la rigueur et la dureté. Car il n'est point difficile de distinguer quand les louanges données aux princes partent du cœur, ou sont l'effet de la flatterie et de la feinte. Lui-même, qui dans toute autre occasion paraissait étudié, et ne tirait ses mots qu'avec peine et l'un après l'autre, s'il s'agissait de faire un acte de bonté, il s'énonçait d'une façon plus aisée et plus coulante. Il traita avec sévérité P. Suilius, autrefois questeur de Germanicus. C'était une âme vénale, qui exerçant les fonctions de juge avait reçu de l'argent des parties. Pour ce crime on se contentait de le bannir de 'Italie. Tibère voulut qu'il fût enfermé dans une île, insistant avec tant de force, qu'il jura même qu'il y allait de l'intérêt de la république. On trouva alors de l'excès dans ce procédé. La suite le justifia, lorsque sous l'empire de Claude l'on vit le même Suilius, devenu tout-puissant auprès de ce prince imbécile, abuser indignement de son crédit, et le vendre au plus offrant. Firmius Catus, infidèle ami de Libon, à l'égard duquel il avait joué le double rôle de corrupteur et de traître, fut accusé dans ce même temps et convaincu d'avoir imposé de faux crimes de lèse-majesté à sa propre sœur. Ici Tibère fit un personnage tout différent. Il modéra la sévérité des sénateurs, qui condamnaient Firmius à l'exil ; et déguisant sous de faux prétextes la reconnaissance pour le service qu'il avait autrefois reçu de lui, il fit en sorte qu'on le dégradât simplement du rang de sénateur. Après avoir exposé ces faits, Tacite arrête un moment le fil de sa narration, pour faire en quelque façon des excuses à ses lecteurs sur la matière ingrate dont il occupe leur attention : ordres inhumains, accusations continuelles, amitiés trompeuses, innocents punis des supplices destinés aux coupables, les mêmes causes toujours aboutissant à une semblable fin ; tout se ressemble, tout est capable d'ennuyer. Que l'on ne compare point nos annales, dit-il, avec les ouvrages de ceux qui ont écrit l'histoire de l'ancienne république. Ils avaient des sujets riches à traiter, des guerres importantes, des prises de villes, des rois mis en fuite et faits prisonniers : ou s'il leur fallait parler de l'intérieur du gouvernement, les querelles des consuls contre les tribuns du peuple, les lois agraires, la jalousie et les dissensions entre le peuple et le sénat, leur offraient un champ où leur éloquence avait de quoi briller. Pour nous, ajoute-t-il, notre travail est resserré dans des bornes étroites, et ne nous présente aucune gloire à recueillir : un calme parfait, ou interrompu seulement par quelques secousses légères, l'aspect de la ville toujours morne et sombre, un prince nullement curieux d'étendre ses limites, voilà à quoi nous sommes réduits. La réflexion de Tacite est très-juste. Il est certain qu'une telle matière prête peu, et qu'entre les mains d'un écrivain vulgaire elle deviendrait aisément fatigante. Mais le pinceau de Tacite anime et rend intéressant tout ce qu'il exprime : et si la principale utilité de l'histoire est de faire connaître les hommes, nul historien n'a mieux atteint que lui ce but, puisque nul n'a sondé plus profondément, ni développé avec plus d'habileté tous les replis du cœur humain. Il remarque en effet que son ouvrage peut être lu utilement par ceux qui avaient à vivre sous le gouvernement des empereurs romains. Car, dit-il, le petit nombre est seul capable de discerner par sa propre prudence l'honnête de vicieux, l'utile du nuisible : la plupart ont besoin de s'instruire par les exemples des autres. J'ajouterai que, comme le fond du caractère des hommes demeure toujours le même, les leçons que fournissent les écrits de Tacite conviennent à tous les pays et à tous les siècles. C'est aux lecteurs judicieux à en faire une application sage, ayant égard aux différences essentielles qui se trouvent entre un gouvernement tout militaire, et une autorité fondée sur les lois ; entre une puissance toujours inquiétée sur la légitimité de son origine, et par cette raison sujette à prendre ombrage de la vertu même, et un sceptre dont les droits, aussi anciens que la nation qu'il gouverne, sont confondus avec ceux de la patrie. Il est bon d'observer que Tibère, ayant achevé la dixième année de son empire, n'en demanda pas la continuation, comme Auguste, parce qu'il ne l'avait pas reçu, comme lui, pour un temps limité : mais il ne laissa pas de célébrer à cette occasion des jeux et des fêtes ; et son exemple servit de règle à ses successeurs. COSSUS CORNÉLIUS LENTULUS. - M. ASINIUS AGRIPPA. AN R. 776. DE J.-C. 25.Le premier fait que Tacite rapporte sous l'année qui eut pour consuls Cossus Cornélius et Asinius Agrippa, c'est l'accusation de Crémutius Cordus, à qui l'on fit un crime de ce que dans les annales données par lui au public il avait loué Brutus, et appelé Cassius le dernier des Romains. C'était l'éloge que Brutus lui-même avait fait de Cassius, en déplorant la mort d'un collègue si digne d'estime. II y avait sans doute de la hardiesse à Crémutius Cordus de traiter si honorablement les deux plus grands ennemis de la maison des Césars. Ce n'était pourtant pas là son véritable crime. Il avait offensé Séjan par quelques mots pleins d'une liberté caustique. Il lui était échappé de dire que Séjan n'attendait pas qu'on l'élevât sur les têtes des Romains, et qu'il se hâtait d'y monter de lui-même. A l'occasion d'une statue de ce favori placée dans le théâtre de Pompée, qui avait été brûlé comme je l'ai rapporté plus haut, et que Tibère faisait rétablir : C'est maintenant, s'écria Crémutius, que l'on peut dire avec vérité que ce théâtre périt. Séjan ne lui pardonna pas ces mots piquants, et il lâcha sur lui deux de ses clients, ou, pour parler avec Sénèque, deux de ses chiens au grand collier, qu'il tenait apprivoisés pour lui seul et farouches pour tout autre, en les nourrissant de sang humain. Ces deux accusateurs de Crémutius se nommaient Satrius Secundus et Pinarius Natta. Tibère ne dissimulait pas non plus son indignation contre un écrivain téméraire, qui avait osé louer des hommes que l'on ne traitait plus que de brigands et de parricides. Crémutius, voyant sa perte résolue, prit le parti de mourir ; et par conséquent n'ayant plus rien à ménager, il plaida sa cause dans le sénat avec fermeté et avec courage. Messieurs, dit-il, on m'attaque sur mes paroles ; tant mes actions sont innocentes ! Encore ces paroles qu'on me reproche ne regardent-elles point les personnes sacrées qu'exprime la loi contre le crime de lèse-majesté. On m'accuse d'avoir loué Brutus et Cassius, dont plusieurs ont écrit l'histoire, sans qu'aucun ait manqué d'en parler honorablement. Crémutius prouve ce qu'il avance par les exemples de Tite-Live, de Pollion, de Messala. Il allègue l'éloge de Caton composé par Cicéron sous les yeux du dictateur César, qui se contenta d'y répondre par une espèce de plaidoyer contraire. Il cite encore diverses pièces qui s'étaient conservées, lettres d'Antoine, harangues de Brutus, vers de Catulle, tous ouvrages remplis d'opprobres diffamants contre Auguste et contre César. Mais ces grands hommes, ajoute-t-il, ont usé de patience : ils ont laissé subsister ces écrits. Et dans la conduite qu'ils ont tenue, je ne crains point de dire qu'il est entré autant de sagesse que de modération. Car ce qu'on méprise en ce genre tombe dans l'oubli : si vous en paraissez piqué, on juge que c'est la vérité qui vous offense. Au reste, ce qui a toujours été le plus libre, le plus à l'abri de toute critique, c'est de s'exprimer franchement sur le compte de ceux qui, n'étant plus au nombre des vivants, doivent être soustraits à toute prévention de faveur ou de haine. Suis-je d'intelligence avec Brutus et Cassius actuellement armés, et occupant les plaines de Philippes ; et appuyé-je leurs armes par des harangues audacieuses, qui soufflent le feu de la guerre civile ? Il y a soixante-dix ans qu'ils sont morts ; et ils ne subsistent plus que par leurs images et leurs statues, que le vainqueur même n'a pas détruites, et par le souvenir qu'en perpétuent les écrivains. La postérité rend justice à chacun : et s'il faut que je sois condamné, non-seulement les noms de Brutus et de Cassius ne seront pas pour cela abolis, mais le mien vivra avec eux. Il sortit du sénat dans la résolution de se laisser mourir de faim. Mais il avait une fille nommée Marcia, de qui il était tendrement aimé, et qui s'opposait à son dessein. Il se détermina à la tromper. Il prit donc le bain, et ensuite s'étant fait apporter dans sa chambre de quoi manger un morceau, comme c'était assez l'usage après le bain, il fit retirer les esclaves, jeta par la fenêtre ce qu'on lui avait apporté, pour donner lieu de croire qu'il avait mangé, et s'abstint de souper comme n'ayant point d'appétit. Le second et le troisième jour il en fit autant. Au quatrième l'état de faiblesse où il était tombé le décelait. Alors, voyant Marcia désolée, Ma chère fille, dit-il en l'embrassant, voici la seule chose que je vous aie cachée de ma vie. Mais c'en est fait. J'ai pris la route de la mort, et j'ai fait plus de la moitié du chemin. Vous ne devez, ni ne pouvez me rappeler à la vie. Il fit ensuite boucher tous les jours de sa chambre, et s'ensevelit ainsi dans les ténèbres. Lorsque la nouvelle du parti qu'il avait pris se fut répandue dans la ville, ce fut une joie publique de voir les délateurs, ces loups avides, frustrés de leur proie. Ils s'adressent aux consuls par l'avis de Séjan ; ils se plaignent que Crémutius leur échappe par une mort volontaire ; ils veulent interrompre l'exécution d'un dessein auquel ils l'avaient forcé. Pendant qu'on délibère, pendant que les accusateurs présentent requête sur requête, déjà Crémutius, dit Sénèque, avait prononcé sa sentence d'absolution et s'était mis en sûreté. Tacite ni Sénèque ne nous apprennent point si l'on fit le procès à sa mémoire, si ses biens furent confisqués. Leur silence donne lieu de penser que sa mort termina les poursuites. Seulement ses livres furent condamnés au feu par le sénat[12]. Sa fille les cacha soigneusement ; et au bout de quelques années, elle les fit reparaître, et les rendit au public. Sénèque et Tacite les avaient entre les mains ; et s'ils ont péri, ce n'a été que par le désastre commun qui a enlevé tant de précieux monuments de la littérature. Aussi Tacite, avec la liberté dont il fait partout profession, se moque-t-il de l'aveuglement de ceux qui par la puissance dont ils jouissent dans le temps présent s'imaginent pouvoir éteindre le flambeau de la vérité pour les siècles à venir. Au contraire, dit-il, la défense accrédite les talents contre lesquels on sévit ; et quiconque s'est porté à cette rigueur, n'en a tiré d'autre fruit que l'ignominie pour lui-même, et la gloire pour les écrivains proscrits et condamnés. La rage d'accuser était si grande, que Drusus second fils de Germanicus ayant été nommé à fa charge de préfet de la ville pendant les jours des féries Latines, titre sans exercice, ombre de magistrature sans fonction, lorsque le jeune prince montait pour la première fois sur son tribunal, un certain Calpurnius Salvianus se présenta à lui pour demander la permission d'accuser Sex. Marius. Tibère fut choqué lui-même de l'indécence de ce procédé, et exila Salvianus. Mais Vibius Sérénus, cet impie accusateur de son père, intenta impunément une fausse accusation contre Fonteïus Capito, ancien proconsul d'Asie. Il succomba : l'accusé prouva son innocence : il n'en arriva aucun mal au calomniateur[13]. La haine publique faisait sa sureté. Car, dit Tacite, les accusateurs déterminés devenaient presque des personnes sacrées et inviolables : ceux qui ne faisaient le métier qu'en petit et en sous-ordre, en portaient quelquefois la peine. Dans le même temps l'Espagne ultérieure fit demander au
sénat par ses députés la permission d'élever un temple à Tibère et à Livie,
suivant l'exemple récent de la province d'Asie. Tibère, qui ne se repaissait
point de chimères, et qui avait toute la force d'esprit nécessaire pour
mépriser les vains honneurs, saisit cette occasion de s'expliquer sur les
motifs qui l'avaient fait condescendre au désir des Asiatiques, et de réfuter
ceux qui l'avaient accusé de s'être laissé aller à la vanité. Messieurs, dit-il, je sais
que plusieurs ont trouvé que je m'écartais de mes principes, en ne m'opposant
point dernièrement à la demande des villes d'Asie. C'est pourquoi je suis
bien aise de vous faire l'apologie du silence que je gardai alors, et de vous
exposer ma résolution par rapport à l'avenir. Auguste ayant permis à ceux de
Pergame de lui construire un temple, à lui et à la ville de Rome, moi qui
fais profession d'observer toutes ses actions et toutes ses paroles comme
autant de lois que je dois suivre, je me conformai d'autant plus volontiers à
un exemple si respectable pour moi, que l'on associait le sénat au culte que
l'on prétendait me rendre. Mais si un prince est excusable d'avoir reçu de
pareils honneurs une fois, d'un autre côté se laisser consacrer comme une divinité
dans toutes les provinces, c'est un excès que l'on taxerait justement de
vanité et d'orgueil : et l'encens offert à Auguste perdra son prix, si la
flatterie en multiplie et en prodigue l'honneur. Je vous prends à témoin, P.
Conscrits, de la déclaration que je fais ici, que je me reconnais simple
mortel, sujet à toutes les faiblesses de la condition humaine, et suffisamment
honoré de tenir la première place entre les hommes. Je souhaite que la
postérité se souvienne que telle est ma façon de penser : et elle rendra à ma
mémoire tout l'honneur, que je désire, si elle me juge digne de mes ancêtres,
attentif à veiller sur vos intérêts, ferme et constant dalle les dangers, et
préférant le bien public à la crainte de susciter contre moi d'injustes
inimitiés. Voilà les temples et les autels dont je suis jaloux, et qui,
érigés dans vos cœurs, subsisteront à jamais ; au lieu que ceux qui sont construits
en pierre, si le jugement de la postérité devient contraire, sont méprisés et
regardés comme des sépulcres. Ainsi tous mes vœux se réduisent à demander aux
dieux et aux déesses, qu'ils m'accordent jusqu'à la fin de ma vie la tranquillité
de l'esprit et l'intelligence des lois divines et humaines, et à prier les citoyens,
les alliés, et tous les hommes, de conserver un souvenir honorable de mon nom
après ma mort. Je ne sais s'il est aucun autre exemple d'un païen qui dans le cas de Tibère ait parlé avec autant de sagesse et de jugement. Tout ce qui resterait à souhaiter, ce serait qu'il eût formé bien sincèrement les vœux qu'il exprime. Cependant peu approuvèrent la modestie de son discours : quelques-uns pensèrent qu'il ne rejetait les honneurs divins, que parce qu'il se défiait qu'on les laissât subsister lorsqu'il ne serait plus : d'autres trouvèrent dans ce refus de la bassesse d'âme. Et la sagesse humaine est si courte, l'orgueil le plus insensé lui est si naturel, que Tacite, cet écrivain si plein de sens, ne paraît pas improuver le jugement de ces derniers. Il étale avec complaisance les motifs sur lesquels ils se fondaient. Les plus vertueux d'entre les mortels, disaient-ils[14], souhaitent tout ce qu'il y a de plus élevé. C'est ainsi qu'Hercule et Bacchus chez les Grecs, Quirinus parmi nous, ont été mis au rang des dieux. Auguste est louable d'avoir espéré parvenir à de semblables honneurs : et son attente a été remplie par les temples que lui ont élevés toutes les provinces. Les autres biens abondent autour des princes : il en est un seul qu'ils doivent désirer avec une avidité insatiable : c'est de laisser un grand nom après eux. En méprisant la gloire, on méprise les vertus. Ainsi faisait-on, je ne dis point l'apologie, mais le panégyrique d'une folie sacrilège, qui transfère à de faibles mortels le culte dû au Dieu créateur et souverain. Cette année, Tibère commença à s'occuper sérieusement du dessein de se retirer à la campagne, et d'y vivre loin de Rome. Séjan l'y exhortait, dans la vue de se rendre plus pleinement maître des affaires et de la personne même de l'empereur ; et une aventure fort désagréable pour Tibère donna un grand poids aux discours de son ministre. Votiénus Montanus, Narbonnais de naissance, homme célèbre par son esprit, s'il eût su en retenir la fécondité dans de justes bornes, et l'Ovide des orateurs[15], était accusé de lèse-majesté, et son procès s'instruisait dans le sénat. Parmi les témoins on en produisit un qui était dans le service, et qui avec une franchise de soldat, ne songeant qu'à charger l'accusé, dit tout ce qu'il savait, sans songer qu'il répétait des propos très-injurieux à l'empereur. On eut beau vouloir l'interrompre, et faire du bruit pour l'obliger à se taire, il n'en insistait qu'avec plus de force ; en sorte que Tibère fut informé de tout ce qu'on disait de lui dans le particulier ; il entendit les titres odieux qu'on lui donnait, les jugements désavantageux que l'on portait de sa conduite et de son gouvernement. Il en fut tellement frappé, qu'il s'écria qu'il voulait se justifier sur-le-champ, ou du moins pendant l'instruction du procès ; et les prières de ceux qui étaient autour de lui, les flatteries de tous les sénateurs, eurent bien de la peine à le calmer. Il se tranquillisa un peu dans le moment, mais il n'oublia pas ce qu'il avait entendu, et le souvenir qu'il en conservait le dégoûta beaucoup des assemblées du sénat. Votiénus fut condamné, et relégué dans les îles Baléares où il mourut peu de temps après. Tibère, qui était d'un caractère opiniâtre, ayant appris par la voie que je viens de dire qu'on lui reprochait sa rigueur contre les accusés, se piqua d'en montrer plus que jamais. Une dame nommée Aquillia étant poursuivie comme coupable d'adultère, le consul désigné, Lentulus Gétulicus, la condamnait à la peine portée par la loi[16]. L'empereur voulut qu'elle fût exilée ; et il effaça Apidius Mérula du tableau des sénateurs, pour n'avoir pas juré l'observance des ordonnances d'Auguste. Deux ans auparavant, il avait aggravé par une nouvelle peine la condition des exilés, dont Auguste s'était contenté de restreindre la licence et le luxe dans des bornes assez étroites. Tibère y ajouta la privation de la faculté de tester. Lentulus Gétulicus, père du consul désigné dont nous venons de parler, et L. Domitius, moururent cette même année. Lentulus ne tirait pas uniquement son lustre d'une haute naissance, de l'honneur du consulat et des ornements du triomphe, récompense de ses victoires sur les Gétules. Ce qui doit le relever surtout aux yeux des justes estimateurs du mérite, c'est une pauvreté soutenue longtemps avec dignité, et ensuite des richesses acquises sans injustice, et gouvernées avec sagesse. Domitius est bien moins estimable, quoique avec une illustration plus brillante encore. Il a été parlé dans l'Histoire de la république, de son aïeul tué à la bataille de Pharsale ; de son père, qui, après la bataille de Philippes, fut quelque temps maître de la mer, et qui s'étant ensuite joint à Antoine le quitta peu avant la bataille d'Actium pour passer du côté d'Auguste. Celui dont il s'agit épousa l'aînée des filles d'Antoine et d'Octavie, et il en eut pour fils Cn. Domitius, marié depuis à Agrippine, et père de l'empereur Néron. Il se signala dans la guerre. Il passa l'Elbe, et pénétra plus avant dans la Germanie qu'aucun de ses devanciers : en conséquence de quoi il fut décoré des ornements du triomphe, Mais ses mœurs et sa conduite n'offrent rien que de blâmable. Dans sa jeunesse, il se piqua du honteux honneur d'être un excellent cocher. Arrogant, prodigue, intraitable, il força, étant simple édile, le censeur Plancus de lui céder le haut du pavé. Dans les jeux qu'il donna comme préteur et comme consul, il produisit sur la scène des chevaliers romains et des dames d'un nom illustre. Il fit aussi exécuter des combats de gladiateurs qui durèrent plusieurs jours, mais avec tant de cruauté, qu'Auguste, après l'en avoir repris inutilement dans le particulier, publia une ordonnance pour arrêter cet excès. Son fils fut encore plus vicieux que lui. L. Antonius mourut aussi à Marseille, héritier infortuné d'un grand nom. Il était fils de Jule Antoine, qui fut puni de mort par Auguste pour cause d'adultère avec Julie. Sa mère était Marcella, fille d'Octavie, et par conséquent il appartenait de très-près à Auguste. Ce prince le relégua tout jeune à Marseille sous prétexte de l'y envoyer faire ses études. L. Antonius y mourut, comme je viens de le dire, en exil. Cependant on honora sa mémoire par de pompeuses funérailles ; et ses Cendres, en vertu d'un décret du sénat, furent portées dans le tombeau des Octaves. Les provinces nous fourniront un petit nombre de faits, pour la plupart assez peu considérables. Les habitants de Cyzique furent de nouveau privés de la liberté qu'Auguste leur avait ôtée[17], et ensuite rendue. On leur reprochait de la négligence par rapport aux cérémonies religieuses instituées dans leur ville en l'honneur d'Auguste, et des actes de violence contre des citoyens romains. Les Lacédémoniens et les Messéniens se disputaient la possession du temple de Diane surnommée Limnetis. Ils furent entendus contradictoirement dans le sénat, et sur l'autorité des anciens titres les Messéniens gagnèrent leur procès. Ceux de Ségeste en Sicile demandèrent le rétablissement du temple de Vénus sur le mont Éryx, qui tombait en ruine. Ils faisaient valoir leur parenté avec les Romains, et l'origine commune qu'ils tiraient les uns et les autres de Troie et d'Énée. Tibère écouta leur discours avec satisfaction ; et comme appartenant par le sang à la déesse Vénus, tige de la maison des Jules, il se chargea de la reconstruction de son temple. Les Marseillais présentèrent requête pour obtenir la confirmation du legs universel qu'avait fait à leur république Vulcatius Moschus, exilé de Rome, et agrégé par eux au nombre de leurs citoyens. Ils alléguaient l'exemple du fameux Rutilius, que ceux de Smyrne avaient fait citoyen de leur ville après qu'il eut été exilé. La cause des Marseillais fut jugée bonne, et le legs confirmé. En Espagne, L. Pison, préteur de la province, fut assassiné par un paysan de la nation des Termestins. Le meurtrier le tua d'un seul coup ; et comme il avait un excellent cheval tout prêt, il se sauva à bride abattue, gagna les montagnes, et, s'enfonçant dans des routes perdues, il échappa aisément à ceux qui le poursuivaient. On ne savait d'abord qui il était. Son cheval, qu'il laissa lorsqu'il fut dans les montagnes, ayant été pris, le fit reconnaître. On le trouva, et on lui donna la question pour le forcer de nommer ses complices. Mais dans le temps même qu'on le tourmentait, il criait à haute voix dans sa langue qu'inutilement voulait-on le contraindre de parler ; que ceux qui étaient du secret pouvaient sans crainte rester sur le lieu, et être témoins des supplices qu'on lui faisait souffrir ; qu'aucune violence de douleur ne lui arracherait la vérité. Le lendemain, on se préparait à l'appliquer une seconde fois à la torture. Mais pendant qu'on l'y menait, il fit un effort pour se tirer subitement des mains de ses gardes, et se frappa si rudement la tête contre la muraille, qu'il en mourut sur-le-champ. On crut que le meurtre de Pison était l'effet d'une conspiration des Termestins, qu'il traitait avec une rigueur que des Barbares ne pouvaient supporter. CN. LENTULUS GÉTULICUS. - C. CALVISIUS. AN R. 777. DE J.-C. 26.La Thrace agitée par des mouvements de révolte, et réduite à la soumission par Poppéus Sabinus, valut à ce général les ornements du triomphe sous les consuls Lentulus Gétulicus et C. Calvisius. Les Thraces en général étaient une nation féroce : mais surtout ceux qui habitaient les montagnes ne respiraient que la guerre, et ne pouvaient se façonner à la servitude. Ils avaient été de tout temps accoutumés à ne rendre même à leurs rois qu'une obéissance de caprice ; et s'ils donnaient des secours de troupes aux Romains, c'était pour des guerres voisines et sous des chefs de leur nation. Ils ne voulurent donc point souffrir qu'on leur enlevât leurs meilleurs hommes pour les faire servir dans les armées romaines ; et ce qui les alarma surtout, c'est que le bruit s'était répandu que, séparés les uns des autres, et mêlés avec des soldats d'autres nations, on les emmènerait dans des pays fort éloignés. Cependant, avant que de prendre les armes, ils envoyèrent des députés à Poppéus pour lui déclarer qu'ils étaient amis du peuple romain et disposés à lui obéir, pourvu qu'on ne les fatiguât point par de nouvelles surcharges : mais que, si on prétendait les traiter en esclaves, ils avaient des armes, une nombreuse jeunesse, et des courages fermes, qui ne connaissaient point de milieu entre la liberté et la mort. En même temps ils montraient leurs forts guindés sur de hauts rochers, et dans lesquels ils avaient retiré leurs vieillards et leurs femmes, et ils menaçaient d'une guerre difficile, périlleuse et sanglante. Poppéus leur répondit avec douceur, en attendant qu'il fat assez puissant pour se faire craindre. Lorsque Pomponius Labeo lui eut amené une légion de Mésie, et que Rhymétalcès fut venu le joindre avec un corps de Thraces qui étaient demeurés fidèles, ayant réuni ces forces à celles qu'il avait sous la main, il marcha aux ennemis. Il les chassa sans peine des lieux découverts, où les plus hardis d'entre eux s'étaient postés, et il y établit lui-même son camp. Mais il éprouva plus de difficulté lorsqu'il lui fallut attaquer un fort bâti sur la croupe d'une montagne, et défendu par une grande multitude de ces rebelles, les uns armés, les autres suppléant par leur courage au défaut des armes. Son camp n'en était pas éloigné ; et comme il vit les plus fiers des ennemis se montrer hors de leurs murs en chantant et en dansant à la manière des Barbares, il détacha sur eux des tireurs d'arc, qui, s'étant trop approchés, furent mis en désordre par une sortie brusque et imprévue : et ils couraient risque d'être enveloppés sans la précaution que le général romain avait prise de tenir toute prête pour les secourir une cohorte de Sicambres, peuple germain, non moins impétueux et non moins bruyant que les Thraces. Il comprit que c'était une nécessité d'assiéger en forme des gens résolus à se bien défendre ; et il se porta plus près du fort, laissant dans ses anciens retranchements les Thraces auxiliaires, qui n'étaient pas propres à l'aider dans les opérations d'un siège. Il leur permit de ravager les campagnes, d'y porter le fer et le feu, d'enlever tout le butin qu'ils pourraient, pourvu que leurs pillages se renfermassent dans la durée du jour, et qu'ils passassent la nuit dans le camp, en y faisant bonne garde. Ces ordres furent d'abord exécutés ; mais bientôt ces Thraces, devenus riches par le pillage, voulurent jouir de leur opulence. Le vin et la bonne chère rivaient un puissant attrait pour cette nation. Ils s'y livrèrent avec excès, et conséquemment à la négligence ; et au lieu de corps de garde et de sentinelles qui veillassent à la sûreté du camp, on ne voyait que des hommes étendus par terre, et plongés dans un sommeil causé par l'ivresse. Les ennemis furent informés de ce désordre, et ils en profitèrent habilement. S'étant partagés en deux corps, et ayant choisi le temps de la nuit comme le plus favorable à une surprise, ils vinrent en même temps attaquer le camp romain et fondre sur ceux qui dévastaient tout le pays. L'entreprise contre le camp des Romains n'était proprement qu'une fausse attaque par laquelle ils voulaient les occuper à leur propre défense, et leur dérober la connaissance du péril que couraient leurs alliés. Ils y réussirent, et ils eurent toute la facilité qu'ils pouvaient souhaiter pour tailler en pièces leurs infidèles compatriotes. Ils les trouvèrent ou couchés le long de leurs retranchements, ou dispersés çà et là dans la campagne ; et ils en firent un grand carnage, auquel ils se portèrent avec d'autant plus de fureur, qu'ils les regardaient comme des déserteurs et des traîtres, unis aux oppresseurs de la patrie pour la réduire en servitude. Ils satisfirent ainsi leur vengeance, mais c'est tout le fruit qu'ils retirèrent de ce combat. Le général romain n'en pressa pas moins vivement le siège. Il dressa ses batteries, fit jouer ses machines, et, coupant aux assiégés toute communication avec les dehors, il mit la disette parmi eux. Ils souffraient surtout de la soif, n'ayant qu'une seule fontaine pour le grand nombre' qu'ils étaient, soit de gens armés, soit de bouches inutiles. Leurs bêtes de somme et leurs chevaux enfermés avec eux, périssaient faute de fourrages ; et les corps morts de ces animaux, mêlés avec ceux des hommes qui mouraient de leurs blessures ou par la soif, non-seulement présentaient un spectacle horrible, mais infectaient l'air et répandaient la contagion. A tant de misères la discorde vint encore mettre le comble. Les uns découragés se déterminaient à se rendre : le désespoir portait les autres à la fureur ; et ceux-ci se partageaient encore en deux sentiments, quelques-uns voulant se tuer eux-mêmes, et d'autres, en plus grand nombre, aimant mieux chercher la mort dans un combat contre l'ennemi. Chacun de ces partis avait son chef. Dinis, vieillard respectable, à qui une longue expérience avait appris à connaître la puissance des Romains dans les armes et leur clémence dans la victoire, non-seulement conseillait de se soumettre, mais il en donna l'exemple, et il se remit au pouvoir des vainqueurs avec sa femme et ses enfants. Il fut suivi de tout ce qu'il y avait de faible dans la place par le sexe ou par l'âge, et de ceux qui préféraient, dit Tacite, la vie à la gloire. Tarsa et Turésis, qui étaient à la tête des deux autres partis, exécutèrent aussi eux-mêmes ce qu'ils conseillaient aux autres. Tarsa, criant à haute voix que dès que l'on était résolu de ne point survivre à la liberté, la voie la plus courte pour aller à la mort était la meilleure, et qu'il fallait terminer dans le moment ses craintes et ses espérances, se perça lui -même de son épée ; et il s'en trouva quelques-uns qui l'imitèrent. Turésis, accompagné de ceux qui voulaient au moins vendre chèrement leur vie, ayant attendu la nuit, fit une sortie vigoureuse, et livra un rude assaut au camp des Romains. Poppéus s'y était préparé, et il avait donné partout de bons ordres. Mais la furie, naturelle des Thraces, animée par leur désespoir, leur fit faire des prodiges, et ils forcèrent en quelques endroits les retranchements. Ils ne purent cependant s'y maintenir. La valeur et la bonne conduite triomphèrent enfin d'une aveugle rage : et après que le combat eut duré toute la nuit, les Thraces, repoussés jusqu'à leur fort, se virent obligés de mettre armes bas et de se rendre. D'autres châteaux voisins se soumirent pareillement il en restait quelques-uns encore à réduire. Mais les froids hâtifs et rigoureux du mont Hæmus obligèrent les Romains de se retirer et de laisser leur conquête imparfaite ; ce qui n'empêcha pas Poppéus d'obtenir, comme je l'ai dit, les ornements du triomphe. Cette année, Tibère exécuta enfin le dessein qu'il roulait depuis longtemps dans son esprit, d'abandonner Rome pour n'y plus revenir[18]. Il prit le prétexte de deux temples à dédier, l'un à Jupiter dans la ville de Capoue, l'autre à Auguste dans celle de Nole ; et il partit pour la Campanie. Les conseils de Séjan, comme je l'ai dit, contribuèrent à lui faire prendre cette résolution. Mais puisque après la mort de ce ministre il resta encore dans sa retraite pendant six ans entiers, il est clair qu'il avait des motifs indépendants de toute impulsion étrangère. Tacite cherche ces motifs ; et le premier qu'il présente, c'est que Tibère, honteux des excès de cruauté et de débauche auxquels il se portait, cachait ses vices par la solitude pendant qu'il les rendait publics par ses actions. D'ailleurs il était d'un caractère naturellement sombre, et pendant le séjour qu'il fit à Rhodes il avait pris l'habitude de vivre renfermé. Quelques-uns ont cru que la difformité de sa personne, dans un âge qui n'était pas encore extrêmement avancé, lui déplaisait beaucoup, et l'avait engagé à éviter de se montrer. Il ne passait pas alors soixante-sept ans, et déjà, quoiqu'il fat d'un tempérament très-robuste, la vieillesse l'avait maigri et voûté, ce qui allait fort mal avec sa taille démesurément grande. Ajoutez que sa tête était toute dégarnie de cheveux, et qu'il avait des ulcères au visage qui l'obligeaient d'y mettre des emplâtres. Un dernier motif fut la hauteur de sa mère, qu'il trouvait plus insupportable à mesure qu'il avançait. Il dédaignait de partager avec elle l'autorité du gouvernement, et il ne pouvait l'en exclure, parce qu'il lui devait l'empire. Elle prenait soin, de son côté, de lui reprocher son bienfait, et de le faire ressouvenir que c'était elle qui avait empêché Auguste de lui préférer Germanicus. Tout cela jetait de l'aigreur dans le commerce de la mère et du fils, et ils en vinrent à une rupture à l'occasion que je vais dire. Livie priait Tibère de mettre au rang des juges un nouveau citoyen, qu'elle protégeait[19] ; et comme elle revenait souvent à la charge, enfin il lui déclara qu'il n'y consentirait qu'à condition que sur le tableau qui contenait les noms des juges on écrirait que la nomination de celui-ci était une faveur extorquée par sa mère. Livie fut outrée ; et dans sa colère elle tira du lieu destiné à conserver ce qu'elle avait de plus précieux, et elle lui lut un ancien billet d'Auguste, par lequel ce prince se plaignait à elle de la dureté et de l'humeur intraitable de son fils. Le trait était offensant ; et Tibère fut tellement indigné de voir qu'elle eût gardé si longtemps ce billet, et qu'elle en eût fait un usage si aigre contre lui, que cette aventure acheva de le déterminer à quitter Rome pour toujours. Il partit avec un très-petit cortège, n'emmenant qu'un seul sénateur, Coccéius Nerva, personnage consulaire et grand jurisconsulte ; quelques chevaliers, parmi lesquels il n'y en avait que deux qui tinssent un rang distingué dans l'ordre, Séjan et Curtius Atticus. Il se fit accompagner d'un petit nombre de gens de lettres, Grecs la plupart, dans la conversation desquels il prétendait s'amuser[20]. Car il était lui-même très-lettré, mais plein de travers en ce genre comme dans tout le reste, obscur et affecté dans son style, goûtant, non les grands auteurs, mais des écrivains dont les noms sont à peine connus, amateur de la mythologie jusqu'à la puérilité, en sorte qu'il fatiguait ceux qui faisaient profession de cette étude par des questions tout-à-fait ridicules, leur demandant qui était la mère d'Hécube ; quel nom portait Achille lorsqu'il était dans l'île de Scyros en habit de fille, et autres futilités semblables, que l'on ne sait point, et qu'il serait fort inutile de savoir. A son départ le bruit se répandit que selon la position du ciel et les prédictions des astrologues, il ne reverrait jamais Rome[21] ; et cette opinion causa le malheur d'un grand nombre de personnes, qui en conclurent qu'il mourrait bientôt, et qui conséquemment ne se gênant point, et se donnant la liberté de parler et d'agir, eurent tout le temps d'éprouver sa cruauté. Car il vécut encore onze ans, sans néanmoins rentrer dans Rome, quoique souvent il s'en soit approché, jusqu'à venir au pied des murailles. Sur quoi Tacite, toujours crédule à l'astrologie et à la divination, admire combien il s'en fallut peu que l'art ne se trouvât en défaut. On doit plutôt s'étonner qu'il ait prédit juste. L'âge de Tibère, et son aversion pour sa capitale, étaient les sources où les astrologues avaient puisé leurs merveilleuses lumières ; et lorsqu'ils le virent pousser sa carrière plus loin qu'ils n'avaient pensé, ils furent sans doute plus surpris que personne de l'accomplissement de leur prédiction. Tibère en sortant de Rome avait défendu par un placard affiché publiquement, que personne ne vînt troubler son repos : en quelque endroit qu'il portât ses pas, des soldats disposés en haie empêchaient qu'on ne l'approchât. Il se promena ainsi par toute la Campanie[22]. Mais enfin ne se trouvant pas encore assez solitaire, et gêné par la vue des villes et des hommes, après qu'il eut fait la dédicace des deux temples dont j'ai parlé, il abandonna la terre-ferme l'année suivante, et passa dans l'île de Caprée. M. LICINIUS CRASSUS. - L. CALPURNIUS PISON. AN R. 778. DE J.-C. 27.Cette île, que le long séjour de Tibère a rendue si fameuse, était tout-à-fait convenable au dessein qu'il avait de se cacher. Elle est environnée d'écueils, et accessible par un seul endroit, de sorte que personne n'y peut aborder sans être vu. Du reste c'est une demeure délicieuse : les hivers y sont doux, parce qu'une montagne la met à l'abri des vents du nord ; dans l'été l'air y est rafraîchi par les zéphyrs : elle a en face le golfe de Naples, dont la côte offrait une vue charmante, avant que les ravages du mont Vésuve l'eussent défigurée. Le circuit de l'île est de quarante mille pas selon Pline[23] ; Tibère y avait fait bâtir douze maisons de plaisance, qui avaient chacune leur nom. J'ai dit que c'était principalement la solitude, et la difficulté de l'abord, qui lui avaient donné du goût pour le séjour de cette île. L'aventure d'un malheureux pêcheur en est la preuve. Cet homme ayant grimpé par des rochers fort escarpés pour venir présenter à l'empereur un grand et beau surmulet qu'il avait pria, et s'étant offert inopinément à ses yeux, Tibère effrayé ordonna que l'on frottât le visage du pêcheur avec son poisson ; et comme celui-ci, pendant qu'en exécutait sur lui cet ordre tyrannique, se félicitait au moins de n'avoir point apporté une grosse écrevisse de mer, gal avait pareillement prise, l'inhumanité de Tibère fut telle, qu'il profita de l'avis pour augmenter la rigueur da supplice, en substituant au surmulet l'écrevisse, qui mit le visage du pêcheur tout en sang. Tibère avait cherché cette retraite pour cesser de se contraindre. Il était fatigué de la gêne où il avait retenu jusque-là ses passions et ses vices. Il voulut vivre à son aise ; et autant qu'il avait paru appliqué aux affaires, autant se livra-t-il alors à un loisir de paresse, qu'il n'interrompit que pour faire du mal. Il renonça si pleinement à tout soin utile pour l'administration de la république, que depuis ce temps il ne remplit point les places vacantes dans les compagnies de juges, il ne changea ni officiers militaires, ni gouverneurs des provinces qui étaient directement sous sa main, il laissa plusieurs années l'Espagne et la Syrie sans proconsuls, il souffrit que les Barbares insultassent de tous côtés les frontières, avec autant de honte que de danger pour l'empire. Son unique affaire était le plaisir. Il érigea même un nouvel office dans sa maison sous ce titre, et il chargea de l'intendance de ses plaisirs un chevalier romain nommé Césonius Priscus. De tout temps il avait aimé le vin et la table, et dès ses premières campagnes il s'était attiré à ce sujet des brocards. Devenu empereur, il ne se corrigea pas. Suétone rapporte que dans le temps même qu'il était question dans Rome d'une réforme des mœurs, Tibère passa deux jours et deux nuits sans interruption à table avec Pomponius Flaccus et L. Pison. Il récompensa ensuite ses compagnons de débauches, eu faisant l'un gouverneur de Syrie, et l'autre préfet de la ville ; et il n'eut pas honte de découvrir son motif dans les provisions qu'il leur donna, où il les traitait d'amis agréables, d'amis de toutes les heures. Dans son séjour de Caprée il lâcha la bride à ce penchant si indigne, je ne dis pis d'un prince, mais d'un homme un peu soigneux de sa réputation. On peut juger de ce qu'il faisait en ce genre par la manière dont il honorait ceux qui s'y distinguaient, ou qui savaient vanter les bons morceaux. Il fut curieux de voir et considéra avec admiration un certain Novellius Torquatus de Milan[24], qui, se piquant d'un genre de mérite plus digne d'un porte- faix que d'un ancien préteur comme il était, avalait d'un seul trait trois conges, c'est-à-dire près de dix pintes de vin. Il préféra pour la questure à des candidats très-illustres un homme sans nom, qui sur son invitation avait vidé dans un repas une amphore de vin, contenant plus de vingt-quatre de nos pintes. Un autre reçut de lui une gratification de deux cent mille sesterces[25] pour un dialogue dans lequel il introduisait le champignon ou mousseron, le bec-figue, l'huître, et la grive, qui se disputaient le prix. Je ne parle pas d'une autre sorte de débauches encore plus honteuses, et des infamies par lesquelles ce vieillard impur a décrié pour jamais le nom de l'île de Caprée. Suétone, qui a permis à sa plume de tracer le détail de ces horreurs, en a été blâmé avec raison par les plus graves écrivains, et il a mérité d'avoir Bayle pour apologiste. Pendant que Rome était en pleine paix, un malheur subit et instantané fit périr un plus grand nombre de Romains que n'en eût emporté une sanglante défaite. A Fidènes un certain Atilius affranchi voulut donner un combat de gladiateurs[26] ; et comme ce n'était ni tentation de ses richesses, ni le désir de se faire un nom et d'acquérir du crédit, mais l'espoir d'un gain sordide qui le conduisait, il mit une coupable économie dans la construction de son amphithéâtre, et ne fut soigneux ni d'établir des fondements solides, ni de bien assurer la charpente. La passion si vive des Romains pour les spectacles était alors irritée par l'austérité de Tibère, qui les sevrait de ces plaisirs. D'ailleurs la proximité du lieu invitait. Ainsi tout le peuple de Rome, hommes et femmes, gens de tout âge, accoururent en foule à Fidènes. L'édifice ne put supporter cette charge énorme. Il fondit en partie, et entraîna les spectateurs par sa chute : de grandes pièces tombèrent en dehors, et écrasèrent ceux qui s'étaient amassés tout autour. Le désastre fut affreux. Plusieurs périrent sur-le-champ, et ils évitèrent au moins de longs tourments par une prompte mort On plaignait davantage le sort de ceux qui blessés dangereusement, estropiés d'une partie du corps, conservaient un reste de vie, et qui, outre leur propre douleur, souffraient encore de celle de leurs femmes et de leurs enfants, qu'ils voyaient sous leurs yeux, ou dont ils reconnaissaient la voix et les cris lamentables. Lorsque la nouvelle de ce funeste accident se fut répandue, un nombre infini de personnes vinrent sur le lieu chercher ou pleurer, l'un son père, l'autre son frère ou son ami. L'alarme fut extrême dans Rome : quiconque savait absent quelqu'un à qui il s'intéressât, tremblait pour lui, et les craintes passaient de beaucoup la réalité du mal, dont pourtant l'excès est effrayant. Car le nombre de ceux qui furent tués ou blessés par la chute de cet amphithéâtre se monta à cinquante mille. Les grands ouvrirent leurs maisons pour le soulagement des malheureux 'qui avaient besoin d'être pansés, et. ils leur fournirent des chirurgiens et des remèdes. Pendant ces jours l'aspect de la ville, quoique triste, rappelait le souvenir des anciens temps, où après une grande bataille, les blessés étaient distribués dans les maisons des sénateurs, et soignés à leurs dépens. Pour prévenir de semblables désastres, le sénat rendit un arrêt qui défendait à quiconque ne posséderait pas le fonds de quatre cent mille sesterces[27] de donner des combats de gladiateurs, et qui réglait les précautions convenables pour la solidité des fondations des amphithéâtres. Atilius fut puni par l'exil. La douleur de ce cruel accident était encore toute récente, lorsque Rome fut affligée de nouveau par un horrible incendie, qui consuma tout le quartier du mont Cælius. Le peuple, toujours superstitieux, regardant cette année comme malheureuse, s'en prit à l'absence du prince : on disait qu'il était parti sous de mauvais auspices. Tibère apaisa ces bruits par sa libéralité. Il dédommagea les propriétaires des maisons brûlées, et cela, sans attendre les prières ni les sollicitations, sans aucune considération particulière pour les personnes. Des hommes qui n'avaient ni protection ni connaissance à la cour étaient mandés, et recevaient les sommes nécessaires pour rebâtir leurs maisons. Une munificence si digne d'un prince fit grand honneur à Tibère, et il lui en fut rendu de solennelles actions de grâces dans le sénat. Pour perpétuer même la mémoire du bienfait de l'empereur, on proposa de changer le nom du mont Caelius, et d'ordonner qu'il fût appelé le mont Auguste. Cette dénomination ne fit pas fortune. Jusqu'ici tout était dans l'ordre ; mais la flatterie s'en mêla. Une statue de Tibère, placée dans la maison d'un sénateur nommé Junius, avait échappé aux flammes, sans doute parce que la première attention s'était portée vers un objet qu'il eût été extrêmement dangereux de négliger. On érigea cet événement en merveille divine. On remarqua qu'il en était autant arrivé à Quinta Claudia, dont la statue, deux fois épargnée par les flammes d'un incendie[28], avait été consacrée dans le temple de la mère des dieux. On en concluait que les Claudes étaient aimés du ciel, et que l'on devait honorer par une vénération religieuse le lieu où les dieux avaient donné un témoignage si éclatant de leur bienveillance pour l'empereur. Telle était la bassesse du sénat romain. AP. JUNIUS SILANUS. - P. SILIUS NERVA. AN R. 779. DE J.-C. 28.L'année qui suivit la retraite de Tibère dans l'île de Caprée, nous offre la preuve de ce que nous avons dit d'après Suétone touchant l'indifférence de ce prince par rapport aux courses des Barbares, et à l'ignominie du nom romain. Les Frisons se révoltèrent, et l'origine de leurs mouvements est remarquable. Flatterie da sénat. Révolte des Frisons. Perte qu'es-scient les Romains. C'était une nation pauvre, de qui Drusus n'avait exigé d'autre tribut que des cuirs de bœufs, dont on faisait usage pour les boucliers et pour les machines de guerre. Ils payaient tranquillement cette redevance, jusqu'à ce que l'esprit d'exaction et d'avidité prit à tâche de leur aggraver un joug qu'ils portaient patiemment. On n'avait point fixé quelle devait être ni la force et l'épaisseur, ni la grandeur des cuirs qu'ils devaient fournir. Un certain Olennius, autrefois premier centurion d'une légion, ayant été chargé du gouvernement de la Frise, choisit les peaux de bœufs sauvages comme les modèles auxquels seraient comparés les cuirs de tribut. C'était astreindre les Frisons à une condition impossible, vu que les forêts de la Germanie étaient peuplées de bêtes d'une grandeur énorme, au lieu que.les bœufs des troupeaux restaient toujours fort petits. Étant donc hors d'état de satisfaire à la nouvelle loi qui leur avait été imposée, ils livrèrent d'abord leurs bœufs mêmes, ensuite ils cédèrent leurs terres en paiement ; enfin la rigueur fut poussée jusqu'à les contraindre de donner leurs femmes et leurs enfants en esclavage. De là les murmures, les plaintes ; et comme on n'y avait aucun égard, ils recoururent aux armes, se saisirent des soldats qui venaient lever le tribut, et les pendirent à des arbres. Olennius n'évita lui-même leur fureur que par la fuite, et en se sauvant dans le fort du Flevum[29], situé, comme le nom paraît le porter, sur l'embouchure la plus orientale du Rhin, et muni d'une bonne garnison. Les Frisons vinrent l'y assiéger : mais à l'approche d'Apronius, commandant de la basse Germanie, qui descendait le Rhin avec des forces considérables, ils levèrent le siège, et se préparèrent à défendre leur pays. Apronius y entra, ayant jeté des ponts sur les marécages qui en rendaient l'abord difficile et périlleux. Bientôt il joignit l'ennemi, et livra un combat, dans lequel il fit une faute capitale : car au lieu d'envoyer tout d'un coup un corps de troupes capable de produire un grand effet, il ne détacha que de petits pelotons de cavalerie et d'infanterie légère, qui venant les uns après les autres ne manquaient point d'être battus, et de porter ensuite le désordre et le trouble parmi ceux qui avançaient pour les soutenir. Il fallut qu'ensuite la cinquième légion marchât tout entière contre les rebelles, et tirât de leurs mains tous ces différents détachements qui couraient risque d'être détruits. Les Frisons furent repoussés ; mais la perte ne laissa pas d'être considérable du côté des Romains, qui laissèrent sur le champ de bataille plusieurs de leurs officiers, tribuns, préfets, et centurions. Cet échec ne fut pas le seul qu'ils souffrirent de la part des Frisons. A quelque distance de là neuf cents soldats furent entièrement taillés en pièces. Dans un autre endroit quatre cents se virent réduits à se tuer les uns les autres, pour ne pas tomber au pouvoir des ennemis. Et les choses en demeurèrent là. Apronius négligea de tirer vengeance de ces affronts et de ces pertes. Tibère les dissimula, de peur d'être obligé d'employer quelque général qui eût de la capacité et de la tête. Le sénat, toujours exposé à la cruauté du prince, et frappé de ses propres dangers, faisait peu d'attention à des maux éloignés, qui ne regardaient que la frontière. Cette année Tibère maria Agrippine, fille de Germanicus, à Cn. Domitius, en qui la noblesse du sang paternel était encore relevée par l'honneur qu'il avait d'appartenir à la maison impériale du côté de sa mère, fille aînée d'Octavie. Mais il dégradait cette haute naissance par un caractère féroce et par des mœurs détestables. A peine sorti de l'enfance, lorsqu'il accompagnait en Orient le jeune C. César, il tua un de ses affranchis, qui n'avait pas voulu boire autant qu'il le lui ordonnait. En conséquence de ce crime on l'éloigna de la personne du prince ; mais il n'en devint pas plus modéré. Dans une bourgade sur le chemin d'Appius, courant à bride abattue, il écrasa un enfant qu'il voyait, plutôt que de s'arrêter ou de se détourner. A Rome, dans la place publique, il arracha un œil à un chevalier romain, qui contestait contre lui avec une liberté dont il se tint offensé. Injuste et perfide, il achetait dans des ventes publiques et ne payait point : dans sa préture il frustra de leur salaire les conducteurs des chariots du Cirque. Enfin, accusé de crime de lèse-majesté, de divers adultères, et d'inceste avec sa propre sœur Domitia Lépida, sur la fin de la vie de Tibère, il n'échappa la condamnation que par la mort de cet empereur. On sait qu'Agrippine ne le cédait en rien aux vices d'un tel mari. Ainsi il avait raison de dire que de lui et de cette princesse il ne pouvait naître qu'un monstre funeste à tout le genre humain : et sa prédiction ne fut que trop exactement vérifiée par les crimes de toute espèce et par l'horrible cruauté de Néron leur fils. Le mariage d'Agrippine avait été précédé de la mort de Julie sa tante, petite-fille d'Auguste, reléguée par son aïeul, comme il a été dit ailleurs, pour cause d'adultère, dans l'île de Trémiti, non loin des rivages de la Pouille. Elle passa vingt ans dans cet exil, soulagée par les libéralités de Livie, qui, dit Tacite[30], après avoir ruiné par des machinations secrètes toute la famille de son mari, affectait publiquement de la sensibilité pour des malheurs dont elle était la cause. Mais Julie elle-même ne fut-elle pas par sa mauvaise conduite la véritable cause de son infortune ? Et s'il y avait de la vanité et de l'ostentation dans les secours que lui fournissait Livie, cette vanité même ne vaut-elle pas mieux qu'une dureté qui l'aurait laissée languir dans la misère ? C'est apprendre aux hommes, et en particulier aux princes, à faire mal, que de ne leur savoir pas gré de leurs bonnes actions, et d'aller chercher dans leurs intentions secrètes de quoi les décrier. Je placerai ici la mort de Q. Hatérius, quoique arrivée deux ans auparavant. Il vécut jusqu'à l'âge de près de quatre-vingt-dix ans, et il remplit cette longue carrière avec plus de réputation d'esprit et d'éloquence que de dignité et de noblesse de sentiments. On se rappelle quelques traits de son génie flatteur. Son éloquence eut un grand éclat de son vivant ; mais elle ne soutint pas cette brillante renommée dans ses écrits après sa mort. Son talent était 'une facilité et une volubilité étonnante de discours. Il disait tout ce qu'il voulait, en termes choisis et avec une grande abondance de pensées. Il parlait sur-le-champ, et jamais il n'hésita, jamais il ne s'arrêta ; il marchait d'un pas toujours égal, depuis la première période jusqu'à la péroraison. Incapable de se modérer lui- même, il avait besoin, selon l'expression d'Auguste[31], d'être enrayé. Aussi, connaissant par où il péchait, il empruntait le secours d'un affranchi, qui, se tenant à côté de lui pendant qu'il parlait, l'avertissait quand il avait suffisamment insisté sur un moyen, et quand au contraire il lui était permis de remanier encore la même idée : et, ce qui est merveilleux, Hatérius avait toujours son esprit à commandement pour suivre pas à pas le guide qui le menait pour ainsi dire en lesse. On conçoit aisément comment un orateur de ce goût parut au-dessous de lui-même, lorsqu'il fut question, non plus de l'entendre, tuais de le lire. Il avait plus de feu que de jugement et de solidité : et de même que le travail et la réflexion produisent des fruits durables, la légèreté et la rapidité du style d'Hatérius, en perdant le prix que lui donnait l'action, perdit la plus grande partie de son mérite, et se fana, comme une fleur, avec lui. RUBELLIUS GEMINUS. - C. FUNIUS GEMINUS. AN R. 780. DE J.-C. 29.Sous les consuls Rubellius et Fufius, Livie mourut âgée de quatre-vingt-six ans. Elle portait depuis la mort d'Auguste les noms de Julia Augusta, que l'empereur son mari lui avait donnés en l'adoptant par son testament. Ainsi, à la noblesse des Claudes, dont elle descendait, et à celle des Livius, dans la maison desquels son père était entré par adoption, elle réunissait celle des Jules, qui était devenue la plus éclatante de l'univers. Sa vertu ne souffre aucune atteinte dans l'histoire, si œ n'est qu'on veuille blâmer son mariage avec Auguste, contracté dans des circonstances qui prêtent à la critique et aux soupçons. Du reste, Tacite lui rend témoignage qu'elle fut comparable pour la régularité de sa conduite aux plus vertueuses dames des anciens temps, quoiqu'elle eût dans ses manières plus de gaîté et d'enjouement qu'elles n'eussent peut-être approuvé : mère impérieuse, épouse complaisante, et d'une adresse parfaitement assortie avec le caractère artificieux de son mari et la dissimulation de son fils. La ressemblance de ce portrait, qui est de la main de Tacite, se trouve encore attestée par des traits que rapportent les autres historiens. Suétone dit que l'empereur Caligula, qui ne péchait point du tout par défaut d'esprit, pour exprimer jusqu'où Livie portait la finesse et la ruse, l'appelait souvent un Ulysse en jupe[32]. Selon Dion, quelqu'un lui ayant demandé par quel secret elle était venue à bout d'acquérir un si grand crédit sur l'esprit d'Auguste, Mon secret est bien simple, répondit-elle. J'ai toujours vécu sage. J'ai étudié tout ce qui pouvait lui plaire. Je n'ai jamais témoigné de curiosité indiscrète, ni par rapport à ses affaires, ni par rapport à ses galanteries, que j'ai même affecté d'ignorer. Le même écrivain lui donne la louange d'avoir été l'asile de bien des sénateurs dans les mauvaises affaires qui leur étaient suscitées, d'avoir élevé les enfants de quelques-uns, d'en avoir aidé d'autres à marier leurs filles : usage bien noble de son pouvoir et de ses richesses. L'ambition fut son vice. Qu'elle l'ait poussée jusqu'à détruire par le fer ou par le poison tout ce qui mettait obstacle à l'élévation de son fils, c'est ce qui ne m'a point paru prouvé dans l'histoire. Mais on ne peut douter qu'elle n'ait désiré avec une extrême passion de le faire empereur, et qu'elle n'ait profité pour cette fin, soit des accidents fortuits, soit des désordres et des vices qui enlevèrent à Auguste une partie de sa famille, et qui lui rendirent l'autre odieuse. Au reste, l'ambition immodérée de la mère fut bien punie par l'ingratitude du fils, qui, sans parler des autres désagréments qu'il lui donna, ne la vit qu'une seule fois depuis qu'il eut quitté Rome jusqu'à sa mort, c'est-à-dire pendant un espace de près de trois ans, et qui eut enfin la dureté de ne pas venir la visiter dans la maladie dont elle mourut. Il n'assista point à ses funérailles, dont la pompe fut modique, et il s'en excusa dans une lettre au sénat sur la multitude et l'importance de ses affaires, pendant qu'il trouvait du temps pour ses plaisirs, auxquels la mort de sa mère n'apporta aucune interruption. L'éloge funèbre de Livie fut prononcé de dessus la tribune aux harangues par C. César, son arrière-petit-fils, qui fut depuis l'empereur Caligula : et c'est à peu près à quoi se réduisirent les honneurs rendus à sa mémoire. Car pour ceux que le sénat avait décernés en grand nombre, et, à ce qu'il parait, de toute l'inclination du cœur, Tibère prit soin de les diminuer beaucoup, et il défendit expressément qu'on la consacrât au rang des divinités, disant que ce serait aller contre les intentions de sa mère. Il n'était pas plus religieux, mais il avait le cœur moins bon que Claude, qui dans la suite accorda les honneurs divins à Livie, dont il était petit-fils. Tibère ne voulut pas même souffrir qu'on érigeât un arc triomphal à Livie, quoique le sénat l'eût ordonné. Mais comme il sentit toute l'indécence d'une opposition faite de sa part à un pareil décret, il imagina un expédient, qui fut de se charger lui-même de la construction de ce monument. Il ne commença pas même l'ouvrage, et ainsi l'arrêt du sénat demeura sans exécution. Le testament de Livie fut pareillement négligé et compté pour nul par son fils. Bien loin d'acquitter les legs qu'elle avait faits aux personnes qui s'étaient attachées à elle, Tibère s'appliqua à les maltraiter : et il y eut un chevalier romain de cette cour, qu'il condamna à la pompe, comme qui dirait parmi nous aux galères. Galba depuis empereur était d'un rang à ne pas éprouver un pareil traitement. Mais Tibère le frustra d'un legs très-considérable que lui avait fait Livie, en alléguant que la somme n'était pas écrite en toutes lettres. Sur ce prétexte il la réduisit à la dixième partie, et enfin il ne paya rien du tout. Il montra cette disposition maligne et ingrate dès la première lettre qu'il écrivit au sénat depuis la mort de Livie. Il s'y plaignait de ceux qui par de fades complaisances s'insinuent auprès des femmes. C'était à Fufius actuellement consul qu'il en voulait. Car Fufius avait eu grande part à l'amitié de Livie : homme d'esprit agréable, et accoutumé à égayer la conversation par des plaisanteries piquantes contre Tibère. Les puissants, dit Tacite, n'oublient point ce genre d'offense, et aussi en coûta-t-il peu après la vie à Fufius. La domination de Tibère devint plus dure et plus tyrannique que jamais, lorsque Livie ne fut plus. Elle parait encore bien des coups, parce que Tibère n'avait pu entièrement secouer le joug d'une vieille habitude de déférence pour les volontés de sa mère, et Séjan n'osait la traverser. Par sa mort ils se trouvèrent tous deux délivrés d'un frein qui les gênait : et sur-le-champ éclatèrent les ordres injustes et inhumains contre la veuve et le fils aîné de Germanicus. Mais ce fait suppose toute la suite des intrigues de Séjan, qu'il est temps maintenant de développer. |
[1] Dion en compte dix.
[2] TACITE, Annales, II, 87.
[3] Cinq sous = 40 centimes selon M. Letronne.
[4] Voyer livre Ier.
[5] TACITE, Annales, IV, 15.
[6] Deux cent cinquante mille livres = 409.260 fr. selon M. Letronne.
[7] C'est ainsi que Freinshemius explique l'expression de Tacite prœpeditis equis ; et il confirme son interprétation par deux passages de Xénophon, qui attestent que cet usage se pratiquait chez les Assyriens et chez les Perses.
[8] Voyez Histoire de la République Romaine, des exemples de pareils présents envoyés ou donnés par les Romains à Ptolémée Philopator et à Masinissa, tous deux ancêtres du Ptolémée dont il s'agit, qui descendait des rois d'Égypte par Cléopâtre, et de Masinissa par Juba son père.
[9] SÉNÈQUE, De clem., I, 24.
[10] TACITE, Annales, IV, 21.
[11] TACITE, Annales, IV, 30.
[12]
SÉNÈQUE, Consol.
ad Marc., I.
[13] TACITE, Annales, IV, 36.
[14] TACITE, Annales, IV, 38.
[15] SÉNÈQUE, Controverses, IV, 28.
[16] Il parait que la loi d'Auguste qui est indiquée ici, ne prononçait dans le cas d'adultère que la peine de la relégation, qui était plus douce que celle de l'exil proprement dit. Le personne reléguée ne perdait ni la qualité ni les droits de citoyen romain, qui étaient étés par rami, ou interdiction du feu et de l'eau.
[17] Voyez Auguste sous les années 732 et 737.
[18] TACITE, Annales, IV, 57.
[19] SUÉTONE, Tibère, 51.
[20] SUÉTONE, Tibère, 70.
[21] TACITE, Annales, IV, 58 ; SUÉTONE, Tibère, 40.
[22] TACITE, Annales, III, 67 ; SUÉTONE, Tibère, 40.
[23] PLINE, III, 17.
[24] PLINE, XIV, 22.
[25] Vingt-cinq mille livres = 40.926 fr. selon M. Letronne.
[26] TACITE, Annales, IV, 62.
[27] Cinquante mille livres = 81.832 fr. selon M. Letronne.
[28] Valère Maxime, I, 8, nous donne la date de ces deux prétendues merveilles, et rapporte la première à l'année de Rome que nous comptons 741, et l'autre à l'an 754.
[29] Voyez ce qui a été dit touchant le Rhin joint à l'Issel, sous l'an 740.
[30] TACITE, Annales, IV, 71.
[31] SÉNÈQUE, Controverses, IV.
[32] SUÉTONE, Caligula, 23.