LES MÉTÈQUES ATHÉNIENS

LIVRE TROISIÈME. — LES RÉSULTATS DE LA POLITIQUE D'ATHÈNES.

SECTION II. — PROFESSIONS EXERCÉES PAR LES MÉTÈQUES.

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

CHAPITRE PREMIER. — LES BAS-FONDS DE LA POPULATION MÉTÈQUE.

Parmi ces étrangers qui, de toutes les parties du monde grec et du monde barbare, venaient chercher fortune à Athènes, la plupart demandaient leurs moyens d'existence au travail, et fournissaient à la classe laborieuse un contingent considérable. D'autres au contraire comptaient y trouver un moyen plus facile et plus rapide d'arriver à la fortune. Il y avait même dans cette foule des hommes qui n'étaient venus se fixer à Athènes que pour échapper à la justice de leur pays.[1] C'est sans doute dans ces bas-fonds que se recrutaient les sycophantes, car des métèques se livraient eux aussi à ce métier lucratif.[2] Le Phrynondas dont Aristophane faisait, dans son Amphiaraos, le nom synonyme de « scélérat, » était, paraît-il, un étranger, sans doute un de ces délateurs à la fois méprisés et redoutés.[3] L'acteur Néoptolémos, que Démosthène accuse d'avoir servi d'espion à Philippe, était probablement aussi un métèque : d'origine libre, puisqu'il possédait en Macédoine des immeubles, il était fixé à Athènes, puisqu'il y était astreint aux liturgies.[4]

D'autres exerçaient des professions peu honorables, comme celle de loueur de joueuses de flûte (on sait ce qu'étaient en général ces joueuses de flûte). On connaît la mésaventure du métèque Antidoros, qu'un sycophante avait dénoncé comme louant ses joueuses de flûte plus cher que la loi ne le permettait.[5]

Enfin, s'il faut en croire Eschine, d'autres métèques descendaient plus bas encore, et c'est à eux que l'orateur engage les débauchés à s'adresser, au lieu de chercher à corrompre des citoyens.[6]

Quant aux femmes métèques, c'est, à n'en pas douter, parmi elles que se recrutaient presque toutes les courtisanes : de même qu'à Rome les mots affranchie et courtisane avaient fini par devenir presque synonymes,[7] à Athènes, la plupart des courtisanes dont les noms nous sont parvenus étaient des étrangères. Elles devaient même en majorité être d'origine servile, comme cette Démétria du dème d'Epiképhisia, joueuse de cithare, ancienne affranchie d'un citoyen de Mélité, qui avait gagné le procès en apostasie que son patron lui avait intenté.[8]

Sauno, que son épitaphe qualifie d' « excellente acrobate, » αγαθὴ κυκλίστρια, était sans doute aussi une de ces étrangères.[9] Zobia, qu'Aristogiton, après avoir vécu à ses dépens, avait traînée devant le tribunal des Polètes, paraît aussi devoir être rangée dans la même catégorie de femmes.[10] Enfin la fameuse Phryné était une étrangère (elle était originaire de Thespies), ainsi que cette Nééra dont Apollodoros nous a raconté les aventures galantes.[11]

Dans les lettres d'Alciphron, qui, quoique postérieures de plusieurs siècles, nous retracent d'une façon si amusante les mœurs corrompues et la vie luxueuse et brillante des Grecs de la période hellénistique, les courtisanes métèques tiennent une grande place. Dans l'une de ces lettres, Alciphron nous montre Hyacinthis, de Phénéos en Arcadie, devenue à Athènes une des reines du Céramique[12] ; ailleurs, c'est une autre étrangère, d'Hermione, qui, établie au Pirée,[13] attire chez elle les jeunes gens, et débauche et ruine les riches négociants étrangers dont elle guette l'arrivée.[14]

Les étrangers fournissaient donc leur large contingent à la tourbe de gens sans aveu et de femmes de mauvaise vie que l'on trouvait à Athènes, au Pirée surtout, comme dans toutes les grandes villes maritimes et commerçantes. Mais en somme, dans cette population étrangère si nombreuse, les éléments utiles l'emportaient de beaucoup sur les éléments douteux, et nous allons voir que l'activité laborieuse des métèques s'est exercée, pour le plus grand profit d'Athènes, dans toutes les branches de l'industrie et du commerce.

 

CHAPITRE II. — OUVRIERS ET INDUSTRIELS.

§ 1.

« Autrefois, » dit Aristote, « les ouvriers (τὸ βάναυσον) se recrutaient parmi les esclaves ou les étrangers ; et il en est encore de même aujourd'hui pour la plupart d'entre eux.[15] » Nous avons montré qu'au cinquième et au quatrième siècles beaucoup de citoyens à Athènes exerçaient des professions manuelles ; mais il n'en est pas moins vrai que l'élément servile et l'élément étranger devaient effectivement l'emporter en nombre, comme le dit Aristote. Beaucoup de citoyens exploitaient diverses industries au moyen d'esclaves, comme le montre l'exemple bien connu du père de Démosthène.[16] Mais il semble que l'élément étranger libre l'emportât encore, au moins dans les industries principales.

On peut affirmer par exemple que les diverses industries du bâtiment étaient exercées surtout par des ouvriers métèques. Dans les divers comptes de constructions qui nous sont parvenus du cinquième et du quatrième siècles, sur un total de 130 entrepreneurs ou simples ouvriers, figurent seulement 50 citoyens, contre 80 métèques. Ces comptes sont les comptes relatifs à la construction de l'Erechthéion,[17] à la réfection du même temple, qui avait été incendié,[18] à la réfection du temple de Zeus Soter au Pirée,[19] à la réfection des monuments du culte d'Éleusis, à Éleusis et à Athènes,[20] enfin à la construction d'un aqueduc à l'Amphiaraion d'Oropos.[21] Le plus ancien de ces documents est de 415 environ, le plus récent paraissant dater de la fin du quatrième siècle.

Les métèques dont les noms figurent sur ces documents peuvent se répartir en trois' catégories principales. La première se compose des entrepreneurs : entrepreneurs de maçonnerie, de décoration, de démolition, de transport des matériaux, etc. ; la seconde, de fabricants et de fournisseurs de matériaux de toute sorte, pierres, tuiles, cordes, outils, etc. ; la troisième, d'artisans de tous les métiers, maçons, menuisiers, serruriers, y compris les artisans d'un genre plus relevé, mais que les Grecs ne distinguaient pas des simples ouvriers, les ornemanistes, sculpteurs, doreurs et peintres-décorateurs.

Nous n'avons pas ici à entrer dans le détail de ces travaux, et nous nous bornerons à indiquer la part prise par les métèques à la construction et à la décoration de l'Erechthéion. On trouve parmi eux, en fait d'ouvriers proprement dits, des maçons et des manœuvres employés à la construction même (nos 7. 110. 122. 124. 137. 230. 5. 62. 106. 128 ; ces quatre derniers ont construit le fronton oriental du temple) ; — des tailleurs et des scieurs de pierres et des marbriers, occupés à canneler les colonnes 8. 14. 21. 24. 59. 72. 91. 229) ; — des menuisiers (135. 141). D'autres sont employés à la décoration du monument : les uns sont de simples ornemanistes, à qui l'on confie l'exécution des sculptures d'ornement (65. 81. 144. 226. 233) ; les autres, de véritables sculpteurs, comme Mynnion d'Agrylé (6), Agathanor et Soclos d'Alopécé (9. 22), Praxias de Mélité (147) : c'est à eux que l'on doit la frise du temple, dont les bas-reliefs se détachaient sur un fond de marbre noir d'Éleusis. Enfin on y voit figurer encore un doreur (149).

Les comptes relatifs à la restauration des monuments consacrés au culte d'Éleusis mentionnent quelques ouvriers des mêmes catégories, et, de plus, des serruriers (73. 104), des peintres en bâtiment et des peintres-décorateurs (27. 130).

Enfin les entrepreneurs métèques ont joué dans ces diverses constructions un rôle considérable : on n'en compte en effet pas moins de 10 sur un total de 80 noms de métèques ; les uns sont chargés de constructions ou de démolitions (13. 29. 68. 96) ; un autre, d'un transport de matériaux (234) ; d'autres, de l'exécution de peintures décoratives (131.136). Les salaires qui leur sont alloués montrent d'ailleurs que les entreprises étaient très fractionnées, et que chaque entrepreneur ne devait employer qu'un petit nombre d'hommes : l'un d'eux, Simias d'Alopécé (20) a sous ses ordres cinq travailleurs, qui paraissent être des esclaves. Deux seulement de ces entrepreneurs ont pour caution un citoyen, ce qui semble indiquer qu'on leur avait confié des travaux d'une certaine importance (19. 131).

Les diverses industries métallurgiques comptaient également parmi les métèques un certain nombre de représentants. Nous avons déjà rencontré un doreur ou fondeur d'or (χρυσοχόος) (149) employé aux travaux d'ornementation de l'Erechthéion ; les dédicaces des affranchis émancipés en mentionnent un autre (95) ; un troisième, Gourgos (?), dont l'inscription funéraire porte le même titre, était très probablement aussi un métèque.[22] Parmi les affranchis émancipés figure encore un fondeur en cuivre ou forgeron (χαλκεύς) (201). Enfin deux inscriptions funéraires, en vers toutes les deux, nous font connaître un autre, fondeur en cuivre (χαλκόπτης), Sosinos de Gortyne,[23] et un μεταλλεύς du Laurion, Atotas de Paphlagonie, sans doute un fondeur en plomb et en argent, qui paraît avoir été un personnage d'importance.[24]

En dehors des fondeurs de métaux, d'autres métèques fabriquaient divers objets de métal. Nous possédons un décret du thiase d'Aphrodite Syrienne au Pirée, rendu en l'honneur d'un de ses membres, Stéphanos, fabricant de cuirasses (θωρακοποιός), qui avait été successivement épimélète, puis hiérope du thiase.[25] Stéphanos lui aussi devait être un riche métèque, non pas un simple ouvrier, mais un fabricant dirigeant un atelier. Il est intéressant de retrouver à Athènes, à la fin du quatrième siècle, cette industrie exercée par un étranger originaire sans doute de l'île de Cypre, où elle avait été florissante dès une si haute antiquité.[26] Dans les comptes des épistates des monuments d'Éleusis figurent encore deux fabricants de clous (18. 66) et deux fabricants d'autres objets en fer (23. 42). Enfin on sait que Képhalos, l'ami de Périclès et le père de Lysias, possédait au Pirée une importante fabrique de boucliers, que ses fils exploitèrent également après sa mort, et qui n'occupait pas moins de 120 esclaves.[27] La fabrication des boucliers paraît d'ailleurs avoir été une des industries les plus florissantes d'Athènes : le fameux banquier Pasion avait aussi une fabrique de ce genre, qu'il loua un talent à son successeur Phormion.[28]

§ 2.

On admet généralement que la plupart des céramistes appartenaient à la classe des métèques[29] : « Fabriquer des lampes, » dit Andocide, « c'est faire œuvre d'étranger et de barbare.[30] » Dans les comptes d'Éleusis figurent deux métèques fabricants de tuiles (40. 119). Quant aux fabricants et aux peintres de vases, beaucoup d'entre eux devaient même être des esclaves : c'est ce qu'indiquent des noms comme Σχύθης, Αύδος.[31] Beaucoup d'autres noms de céramistes connus, qui sont de véritables noms, et non plus des ethniques, s'appliquent certainement |à des étrangers, probablement de condition libre : Amasis indique une origine égyptienne ; Kachrylion, Brygos, Douris, paraissent également être des noms étrangers. De sorte que beaucoup de ces vases peints si élégants, de dessin et de style si purement attiques, sont sortis des mains d'artistes d'origine barbare. Cela montre à quel point ce style s'imposait aux artistes venus des points les plus divers, et combien était puissante l'influence de l'école attique.

Outre les sculpteurs de la frise de l'Erechthéion et les peintres de vases, qui sont à nos yeux de véritables artistes, les inscriptions nous font connaître encore d'autres métèques artistes, deux toreutes ; l'un, dont le nom est mutilé, était du dème de Kydathéné (111) ; l'autre (252) est le célèbre Mys, le contemporain de Parrhasios, qui lui fournissait des dessins.[32] L'inscription nous apprend qu'il était fils d'Hermias, et isotèle : il n'est pas invraisemblable de supposer que c'est à son talent qu'il avait dû cette faveur.

On voit que, même en laissant de côté les artistes étrangers si nombreux qui ont vécu à Athènes sans que nous sachions positivement s'ils y avaient la condition de métèques, et en nous restreignant à ceux que les textes désignent expressément comme tels, les métèques ont tenu dans l'école artistique attique une place considérable. Il n'est pas douteux que les comptes de constructions du Parthénon et des Propylées offrissent le même mélange, et probablement la même proportion, de citoyens et d'étrangers. On est donc en droit de dire qu'Athènes eût été hors d'état, sans le secours de ces précieux auxiliaires, d'élever à elle seule les monuments qui faisaient l'admiration de la Grèce.

Aux ouvriers et aux industriels proprement dits, on peut rattacher tous les métèques qui exerçaient des métiers manuels. On en trouvait naturellement dans tous les corps de métiers, et même parmi les cultivateurs, où, à vrai dire, ils devaient être assez rares. Les inscriptions relatives aux phiales consacrées par les affranchis en mentionnent sept, six laboureurs (46. 48. 175. 221. 254. 259) et un vigneron (171).

Au contraire, beaucoup de petites industries paraissent avoir été entre les mains des métèques : les inscriptions et les auteurs nous font connaître des métèques corroyeurs (107.260), cordonniers ou savetiers (4.127.142.228), boulangers (30), cuisiniers (69. 255), fabricants de cordes (184. 197), de paniers (11), foulons,[33] tisserands de bourre à matelas,[34] coiffeurs,[35] pêcheurs,[36] portefaix (222. 257),[37] âniers et muletiers (38. 198. 253).

D'autres enfin servaient dans l'armée athénienne comme mercenaires : nous avons déjà vu que les archers à pied et à cheval se recrutaient en partie parmi les métèques. Une inscription nous fait connaître un métèque artilleur (καταπαλταφέτης) (224) : on comprend qu'il fallût, pour le maniement de la catapulte, des hommes habitués à ce service, et on devait y affecter des mercenaires ; une inscription funéraire nous en fait connaître un autre, originaire de la Mysie, et qui était sans doute aussi un métèque.[38]

Les femmes métèques, celles de la classe pauvre au moins, travaillaient aussi de leurs mains : les Athéniennes de la même condition le faisaient d'ailleurs également, comme on le voit par le discours de Démosthène contre Euboulidès. Il semble cependant, d'après les termes mêmes dont se sert l'orateur, qu'elles ne le fissent qu'à la dernière extrémité, et que ce ne fût pas dans les habitudes à Athènes.[39] Au contraire, les femmes métèques paraissent avoir exercé d'assez nombreux métiers, et d'une façon régulière : les inscriptions mentionnent des cordonnières (204), des couturières (54), et surtout des tisseuses de laine (15. 50. 58. 105. 108. 109, etc., en tout, dix-sept). Il faut ajouter que toutes sont d'anciennes affranchies, d'origine servile par conséquent.

Mais l'industrie par excellence des femmes étrangères était le métier de nourrice : Démosthène, dans le discours contre Euboulidès, dit expressément que les femmes athéniennes n'exerçaient ce métier que lorsqu'elles y étaient forcées, indiquant ainsi qu'il était d'ordinaire réservé aux étrangères. Les inscriptions nous font en effet connaître plusieurs nourrices métèques, dont une de Corinthe,[40] une de Cythère,[41] et une fille d'isotèle, Mélitta.[42]

En résumé, il y avait à Athènes toute une catégorie de métèques, hommes et femmes, qui vivaient du travail manuel et exerçaient les diverses industries, grandes et petites, nécessaires à la cité. Les auteurs le disaient, les inscriptions le montrent dans le détail ; nous pouvons ainsi nous rendre un compte suffisamment exact de l'activité des métèques sur ce terrain, et comprendre les services qu'ont rendus à Athènes ces étrangers, depuis les plus humbles maçons qui ont travaillé aux murs de l'Erechthéion, jusqu'aux grands industriels comme Képhalos et aux grands artistes comme Mys.

 

CHAPITRE III.NÉGOCIANTS.

§ 1.

Les métèques qui se livraient au commerce étaient plus nombreux encore que ceux qui se livraient à l'industrie : parmi les Phéniciens de Syrie ou de Cypre par exemple, si quelques-uns étaient venus exercer au Pirée leurs industries locales, fabrication de cuirasses ou autres, la plupart étaient des trafiquants, qui faisaient un service régulier d'échanges entre leur pays et l'Attique. Aussi Hesychius fait-il de métèque le synonyme de négociant.[43]

Parmi ces commerçants étrangers fixés en Attique, les uns étaient des marchands au détail, des revendeurs (κάτηλοι), qui tenaient boutique soit au Pirée, soit en ville. Nous savons qu'il y avait à Athènes, des deux côtés du Céramique, des portiques où se tenaient les marchands, athéniens et étrangers.[44] Les inscriptions des affranchis émancipés contiennent plusieurs noms de revendeurs, hommes et femmes (26. 134. 148. 156. 185. 192) ; sur cinq, un habite le Pirée, trois Mélité, un des dèmes urbains les plus populeux, et le dernier, Alopécé, qui était un dème suburbain. Nous ne savons trop ce que vendaient ces χάπηλοι ; il est probable que, sauf des objets de luxe, on trouvait dans leur boutique à peu près de tout, épicerie, mercerie, comestibles et boissons, comme chez les bakalis de la Grèce moderne. Quelques-uns vendaient pourtant des spécialités, de l'étoupe (203), de l'encens (138. 193), du sésame (17. 139. 154), des légumes (60).

Un autre affranchi émancipé, Philon, est qualifié de marchand de salaisons (ταριχοπώλης) (77). Son ancien patron est un certain Chaeréphilos fils de Pheidon, en qui nous pensons, avec Rhangabé,[45] qu'il faut reconnaître le célèbre marchand de salaisons de ce nom, celui à qui les Athéniens donnèrent le droit de cité[46] : Philon serait donc un de ses affranchis et de ses employés.

Chaeréphilos lui aussi avait certainement été métèque, ainsi que ses fils, et la récompense que leur avait accordée le peuple montre de quelle importance était son commerce d'importation de salaisons ; la salaison, c'est-à-dire le poisson salé, qui venait principalement des pays du Nord, était, comme elle l'est encore aujourd'hui en Grèce, un des aliments les plus répandus, surtout dans la classe pauvre.

Aussi Chaeréphilos n'appartient-il plus à la catégorie des κάτηλοι: c'est un négociant en gros, qui fait le commerce par mer, le commerce d'importation, un ἔμπορος (cf. 261). Le commerce maritime était en effet en grande partie entre les mains des métèques, et notamment le commerce des céréales, qui fournissait à l’Attique le blé que son sol était loin de produire en quantité suffisante. M. G. Perrot a montré toute l'importance de ce commerce des céréales en Attique aux cinquième et quatrième siècles, et a indiqué le rôle considérable que jouaient à ce point de vue les métèques.[47] Nous n'avons pas à revenir sur les points si bien établis dans cette belle étude, et nous nous bornerons à relever dans les plaidoyers civils qui nous sont parvenus sous le nom de Démosthène les noms de quelques-uns de ces négociants et armateurs qui trafiquaient entre le Pirée et les pays producteurs de blé, la Sicile, l'Égypte, Cypre, l'Eubée, la Chersonèse, la Chalcidique, et surtout le Pont-Euxin, le véritable grenier d'Athènes. Parmi ces plaidoyers civils, il en est quatre (dont l'attribution à Démosthène paraît également fausse) relatifs à des affaires de prêts à la grosse aventure.[48]

Dans le premier, figure le métèque Protos, qui frète au Pirée un navire pour faire un voyage du Pirée à Syracuse, et retour : le fret de retour devait être du blé pris en Sicile. Le navire d'ailleurs n'appartenait pas au port du Pirée, mais à celui de Marseille, d'où étaient originaires le capitaine Hégestratos et le second Zénothémis.

Dans le second, on voit Chrysippos et son frère, négociants établis à Athènes, consentir un prêt à la grosse à Phormion pour un voyage au Bosphore, aller et retour : les deux prêteurs et l'emprunteur sont également métèques, de même que Théodoros le Phénicien, auprès duquel Phormion contracte un autre emprunt.[49] Quant à Chrysippos, il est sans doute originaire du Bosphore, où il a un esclave qui lui sert de consignataire, et un associé.[50] C'est dans ce plaidoyer que figure aussi, comme arbitre privé, un isotèle, Théodotos,[51] que l'on retrouve comme témoin dans le plaidoyer d'Androclès contre Lacritos.[52] Chrysippos et son frère étaient à la tête d'une maison de commerce des plus importantes : c'est ce que prouvent les epidoseis considérables qu'ils avaient faites en trois occasions différentes, et qu'ils ne manquent pas de rappeler aux jurés. Lors du soulèvement de Thèbes et d'Athènes contre Alexandre en 335, les deux frères avaient donné un talent d'argent ; quelque temps auparavant, le prix du blé s'étant élevé jusqu'à seize drachmes, ils avaient introduit au Pirée plus de 10.000 médimnes de grains, et les avaient distribués au prix ordinaire de cinq drachmes le médimne. Enfin, un an avant leur procès, les Athéniens ayant fait venir du blé pour la nourriture du peuple, ils avaient donné encore un talent.[53] Outre ces mérites, ils en font encore valoir un autre : c'est qu'ils passent leur vie à amener du blé à Athènes.[54] L'argument peut paraître assez naïf, et les jurés devaient savoir à quoi s'en tenir sur le désintéressement des marchands de blé, citoyens ou étrangers ; mais il montre que ceux-ci avaient conscience de l'importance de leur rôle et du besoin absolu que l'on avait d'eux : leur métier, ils ont soin de le proclamer bien haut, est une sorte de fonction, indispensable à l'État.

Dans le troisième discours, celui d'Androclès contre Lacritos, le demandeur, qui est Athénien, a affaire à un métèque originaire de Phasélis, Artémon, à qui il avait prêté à la grosse 3.000 drachmes. Il s'agissait de faire un voyage en Chalcidique et au Bosphore, et de rapporter 3.000 amphores de vin de Mendé. Le navire était commandé par un certain Hyblésios, sans doute un étranger, comme son associé Apollonidès, qui était d'Halicarnasse ; tous deux étaient copropriétaires du navire.[55] Artémon ayant refusé de payer sa dette, Androclès le cita en justice, lui d'abord, puis, comme il vint à mourir, son frère et héritier Lacritos, comme lui établi à Athènes, élève d'Isocrate, et lui-même sophiste et professeur d'éloquence.[56] Outre Androclès, un métèque, Antipatros de Kition, avait aussi consenti un prêt sur le navire même et sur le fret de retour.[57] Enfin on voit encore figurer dans l'affaire un autre Phasélite, Apollodoros, sans doute un associé d'Artémon.

Dans le quatrième plaidoyer, celui de Darios contre Dionysodoros, les demandeurs, Darios et son associé Pamphilos, sont certainement des métèques,[58] et leurs adversaires, Dionysodoros et Parméniscos, en sont très probablement aussi ; tous paraissent d'origine égyptienne. Il s'agit encore ici d'un chargement de blé, que les uns sont allés prendre en Égypte, les autres leur ayant consenti à cet effet un prêt de 3.000 drachmes.

Enfin, si les décrets honorifiques rendus en faveur de métèques ne laissent pas en général reconnaître les professions qu'ils exerçaient, il en est au moins un qui concerne un de ces grands marchands de blé d'Athènes ou plutôt du Pirée : c'est le décret conférant la proxénie à Héracleidès de Salamine de Cypre.

§ 2

Un des plaidoyers composés par Lysias, le discours contre des marchands de blé, nous montre à quel point la situation de ces marchands de céréales, surtout des métèques, pouvait parfois être périlleuse.[59] Il est dirigé contre des négociants métèques qu'il accuse d'avoir contrevenu aux lois qui réglaient l'importation des céréales. On sait toutes les précautions dont Athènes avait entouré ce commerce, dont sa vie matérielle dépendait.[60] D'abord, il y avait tout un collège de magistrats spéciaux, les sitophylaques, qui devaient tenir registre du blé importé et veiller sur la vente même de la farine et du pain. Cette mesure assurément n'avait rien d'oppressif, car les sitophylaques n'avaient pas le droit d'imposer aux négociants un tarif maximum. L'État en effet n'agissait sur les cours que par voie indirecte, en formant dans les temps de disette une caisse spéciale destinée à des achats de grains qu'il revendait à bas prix.

Mais il y avait d'autres mesures qui devaient peser assez lourdement sur les importations. Il était défendu, et défendu sous peine de mort, de transporter des céréales ailleurs qu'au Pirée ; de même qu'il était défendu de prêter à la grosse sur tout navire qui n'aurait pas pour destination le Pirée. Une fois la cargaison déchargée au Pirée, il était permis, il est vrai, d'en réexporter une partie, mais pas plus d'un tiers, le reste devant être consommé en Attique. Il était encore défendu, et sous peine de mort aussi, pour prévenir les accaparements, d'acheter à la fois plus de cinquante charges (φορμοί) de blé. Enfin, la loi prétendait limiter le bénéfice des marchands de blé à une obole par médimne.

Tous ces règlements n'étaient pas seulement vexatoires ; ils étaient pour la plupart, comme l'a montré M. Perrot, impraticables, et donnaient lieu, de la part des négociants, à des fraudes continuelles. Lysias prétend que si la cité a créé, en dehors des agoranomes, chargés de la surveillance générale des marchés, les sitophylaques pour surveiller spécialement les marchands de blé, c'est qu'elle y a été obligée par la mauvaise foi et la friponnerie de ces marchands.[61] D'après lui, leur amour du gain est tel qu'ils n'hésitent pas à spéculer sur les malheurs d'Athènes ou même à inventer des désastres et à faire courir les bruits les plus sinistres.[62] Dans son discours, comme le remarque très justement M. Perrot, se trouvent déjà toutes les déclamations modernes contrôles spéculateurs et les accapareurs. Androclès lui aussi, dans le discours contre Lacritos, n'a pas assez d'injures pour ces spéculateurs ; à l'en croire, non seulement tous ces étrangers se sont mis d'accord pour le voler, mais ils n'ont fait cette fois que ce qu'ils font régulièrement. Il commence par une attaque en règle contre tous les Phasélites, qu'il dénonce aux juges comme les plus malhonnêtes et les plus processifs de tous les hommes[63] : « La conduite de ces Phasélites n'a rien qui doive vous étonner, juges : c'est l'habitude chez eux. Ils sont très habiles à se faire prêter des fonds sur votre place, mais dès qu'ils les ont reçus et qu'ils ont souscrit le contrat maritime, ils oublient aussitôt les contrats, les lois, l'obligation de rendre ce qu'ils ont reçu. Rendre, pour eux, c'est perdre le leur. Aussi, au lieu de rendre, ils inventent des sophismes, des déclinatoires, des prétextes ; on ne saurait pousser plus loin l'improbité et la mauvaise foi. Il y a une preuve de ce fait : de tous ceux qui viennent en grand nombre dans votre port, grecs et barbares, les Phasélites ont toujours à eux seuls plus de procès que tous les autres ensemble. Voilà comme ils sont tous. »

Il va sans dire qu'il ne faut pas attacher plus d'importance que de raison à cette boutade d'un plaideur, d'autant plus que les commentateurs anciens et les jurisconsultes modernes sont d'accord pour déclarer mauvaise la cause d'Androclès.

Il n'en est pas moins vrai que parfois ces dénonciations avaient des conséquences terribles : le discours de Lysias nous montre que, dans les temps de disette ou de cherté du pain, les tribunaux populaires n'hésitaient pas à frapper des peines les plus graves de malheureux commerçants coupables d'avoir voulu se soustraire à des règlements tyranniques. Mais il faut dire que les citoyens qui se livraient au même commerce étaient exposés aux mêmes dangers que les métèques, et que la fureur populaire ne faisait en pareil cas aucune distinction : la preuve en est que des sitophylaques mêmes, accusés de complicité avec les marchands, partagèrent leur malheureux sort et subirent la peine de mort.[64]

Il ne faudrait pas voir cependant trop en noir le sort des métèques qui se livraient à ce commerce des céréales ; ces rigueurs n'étaient après tout que des exceptions ; et en temps ordinaire les marchands et les spéculateurs profitaient certainement d'une large tolérance, qui leur permettait de réaliser des bénéfices importants.

D'ailleurs la loi entendait aussi les protéger au moins contre les accusations injustes, contre les dénonciations des sycophantes : le discours d'Epicharès contre Théocrinès, faussement attribué à Démosthène, et qui est peut-être de Dinarque, mentionne à ce sujet une loi spéciale votée sur la proposition de Mœroclès. Elle défendait de porter aucune dénonciation contre des marchands ou des gens de mer, sans être assuré de pouvoir faire la preuve des faits dénoncés ; la loi permettait d'agir par voie de délation (ἔνδειξις) et de prise de corps (ἀπαγωγή) contre tout sycophante qui l'enfreindrait.[65] Par cette loi, ajoute l'orateur, on a voulu que, si les marchands qui seraient en faute fussent punis, ceux qui n'y sont pas ne fussent pas exposés aux tracasseries des sycophantes.

C'était là à la vérité, pour les négociants métèques, une protection toute négative ; mais Athènes savait aussi à l'occasion reconnaître d'une façon plus positive les bons services de ceux envers qui elle se reconnaissait redevable. Les décrets rendus en faveur d'Héracleidès de Salamine nous montrent qu'il y avait pour les négociants métèques un sûr moyen de se concilier les bonnes grâces du peuple : c'était de contribuer à leurs frais, en temps de cherté du blé, à l'approvisionnement des greniers publics.

Enfin, si la cité leur imposait des règlements rigoureux, elle n'admettait pas qu'on les molestât et qu'on mît obstacle à leur commerce, pas plus hors d'Athènes qu'à Athènes. De même qu'elle les protégeait, à l'intérieur, contre les sycophantes, elle les défendait au dehors contre toutes violences et savait faire respecter les navires attachés à son port, qu'ils appartinssent à des citoyens ou à des métèques. C'est ainsi que les habitants d'Héraclée du Pont ayant molesté Héracleidès et lui ayant volé ses voiles, l'Assemblée du peuple décida qu'un ambassadeur irait les réclamer et enjoindre à Dionysos, le tyran de cette ville, de ne plus inquiéter dorénavant les négociants d'Athènes.

En somme, même pour cette catégorie de commerçants, que leur profession exposait, à Athènes comme partout et en tout temps, à des mesures vexatoires et parfois à des rigueurs iniques, les avantages l'emportaient de beaucoup sur les inconvénients : la preuve eu est que, s'ils cherchaient parfois à éluder les dispositions gênantes pour eux de la loi athénienne, jamais, tant qu'Athènes et le Pirée ont été florissants, ils n'ont songé à aller s'établir ailleurs. « Athènes, dit très justement M. Perrot, Athènes, qu'ils nourrissaient, les a parfois persécutés par ignorance ; cependant, pour qu'ils ne l'aient pas abandonnée, pendant environ doux siècles, il faut qu'ils y aient trouvé plus de profit encore, plus de sécurité et de bonheur que partout ailleurs. »

 

CHAPITRE IV. — BANQUIERS ET CAPITALISTES.

§ 1.

Le commerce de l'argent à Athènes a été, comme le commerce des céréales, l'objet d'une importante étude de M. G. Perrot, qui a montré quand et comment les premières banques se sont établies à Athènes, comment elles fonctionnaient, et a retracé l'histoire de la mieux connue de ces banques, celle de Pasion et de Phormion.[66]

Là aussi les métèques, étrangers ou affranchis, jouaient un rôle prépondérant : c'est parmi eux que se recrutaient la plupart des trapézites, dont quelques-uns, comme Pasion et Phormion, finissaient par obtenir le droit de cité et faire souche de citoyens.

Nous n'avons pas à entrer dans le détail des opérations de ces banquiers, ni à refaire l'histoire de Pasion et de Phormion et de leurs démêlés avec le fils de Sopaeos et avec Apollodoros ; toutes ces questions ont été approfondies autant que le permettent les documents, et exposées avec la plus grande lucidité par M. Perrot. Nous nous bornerons à ajouter quelques noms de banquiers à ceux dont M. Perrot a dressé la liste à la fin de son étude.[67]

Parmi les dix-sept noms de banquiers athéniens relevés par M. Perrot, trois, Kittos, Satyros, Timodémos, sont certainement d'origine servile, comme Pasion et Phormion ; mais il est très probable que la plupart des autres le sont aussi, sinon tous : il semble en effet que l'habitude de ces banquiers fût de transmettre leur banque à un de leurs affranchis, d'abord employé dans leurs bureaux en qualité d'esclave, comme Kittos, Satyros et Timodémos, et comme Phormion et Pasion eux-mêmes. Il faut ajouter à ces noms ceux d'Epigénès et de Conon, à qui, au rapport de Dinarque, on conféra le droit de cité,[68] sans doute en récompense de quelque epidosis considérable, et celui d'Eumathès, pour lequel Isée composa un de ses plaidoyers dont Denys d'Halicarnasse nous a conservé le début : il avait été revendiqué comme esclave par les héritiers de son ancien maître, quoique celui-ci l'eût affranchi.[69]

Beaucoup de ces banquiers métèques devaient avoir, comme Pasion, leur banque au Pirée, centre de toutes les affaires[70] ; Pasion paraît même avoir eu au Pirée non seulement sa banque, ou, comme nous dirions, ses bureaux, mais sa maison d'habitation.[71]

Les discours d'Apollodoros, fils aîné de Pasion, et le plaidoyer de Démosthène en faveur de Phormion contre Apollodoros nous fournissent des renseignements très précis sur les affaires de Pasion et de Phormion, et nous permettent de nous rendre compte de l'importance de cette banque.

Lorsque Pasion mourant voulut mettre en règle ses affaires, sa fortune ne s'élevait pas à moins de 60 talents, dont 20 en immeubles et 40 placés dans les affaires.[72] Ces chiffres nous montrent qu'une grande partie de la fortune mobilière de l'Attique devait être entre les mains des banquiers métèques, bien qu'aucune autre banque sans doute n'eût des capitaux et un chiffre d'affaires aussi élevés que ceux de la banque de Pasion. On ne saurait donc exagérer l'importance du rôle joué par ces étrangers : si les marchands de blé nourrissaient Athènes, les banquiers faisaient du Pirée le centre principal du commerce de l'argent en Grèce, et fournissaient à la république les capitaux qui lui permirent de supporter les crises les plus dangereuses.[73]

Les Athéniens, d'ailleurs, comprenaient fort bien quels services leur rendaient les banquiers. M. Perrot remarque très justement que jamais, à Athènes, les démagogues n'attaquèrent publiquement l'infâme capital ; et Démosthène n'était sans doute que l'interprète de l'opinion générale, lorsqu'il s'exprimait en ces termes : « Phormion possède auprès de ceux qui le connaissent un crédit qui égale, qui dépasse de beaucoup la valeur des sommes qu'il vous a fournies à diverses reprises, et, par ce crédit, il rend service à la cité en même temps qu'à lui-même[74] ».

Ce n'est pas à dire que l'on ne trouve pas, dans les écrivains et les orateurs, des déclamations contre les spéculateurs et les hommes d'argent : elles sont de tous les temps et de tous les pays. « Le métier de manieur d'argent, » dit Aristote, « est justement haï[75] ». Dans le discours de Démosthène contre Pantaenétos, on trouve aussi trace de ces préventions contre les capitalistes et les financiers, préventions que l'orateur essaie de détruire. Il est probable qu'en fait, la moralité des banquiers métèques n'était ni meilleure ni pire que celle des banquiers de tous les temps. L'affaire du fils de Sopseos, telle qu'elle est exposée dans le Trapézitique d'Isocrate, paraît convaincre Pasion d'escroquerie ; mais, outre que nous n'avons pas la défense de Pasion, bien des détails, dans la version même d'Isocrate, soulèvent une légitime défiance, et il est très possible que ce soit le banquier qui ait été, de la part de son client, l'objet d'une audacieuse tentative de chantage.[76] Ce qui tendrait surtout à le faire croire, c'est que le crédit de Pasion ne fit que croître après cette affaire, et que, bien des années plus tard, Démosthène put s'exprimer ainsi publiquement sur son compte : « Pasion obtint la confiance : c'est une chose merveilleuse et rare, chez les hommes qui travaillent sur le marché et qui s'occupent du commerce de l'argent, que de paraître à la fois actif et honnête[77] ».

Nous avons encore un autre exemple de probité donné par un banquier métèque : il s'agit de cet Eumathès pour lequel Isée composa un plaidoyer dans une action de revendication en liberté (εἰς ἐλευθερίαν ἀφαίρεσις). Le citoyen qui vint le défendre devant le tribunal raconta, pour faire valoir l'honnêteté de l'accusé, que, le bruit ayant couru à Athènes qu'il avait péri dans un combat naval alors qu'il remplissait les fonctions de triérarque, Eumathès avait convoqué ses héritiers, leur avait rendu un compte fidèle d'un dépôt que son client lui avait confié, et le leur avait remis intact.[78]

On voit qu'il ne faut pas prendre trop au sérieux la boutade du poète comique Antiphanès, un des plus anciens poètes de la comédie moyenne, dans son Ennemi des méchants. Faisant une énumération burlesque des fléaux d'Athènes, il déclare qu'il n'y a rien de plus odieux que les nourrices, les pédagogues, les accoucheurs, les métragyrtes, si ce n'est les marchands de poisson ; et encore ceux-ci doivent-ils céder le pas aux banquiers, race la plus haïssable de toutes.[79] Il y avait, dans tous les cas, d'honorables exceptions.

Outre les banquiers proprement dits, il y avait à Athènes, au Pirée surtout, une foule de spéculateurs, métèques pour la plupart, dont le négoce consistait à faire valoir leurs capitaux en les prêtant, surtout à la grosse aventure ; c'est à eux que l'on appliquait la dénomination de prêteurs (δανεισταί, τοκιστα ou χροστα).[80] Les discours contre Dionysodoros, contre Lacritos, contre Phormion, nous en ont déjà fait connaître quelques-uns : Pamphilos et Darios, Antipatros de Kition, Théodoros le Phénicien, dont il est question à diverses reprises dans ces trois discours, sont des spéculateurs, qui peut-être commerçaient aussi pour leur propre compte, mais qui surtout engageaient leurs capitaux dans des entreprises maritimes, pour en retirer de plus gros intérêts. Il en est de même sans doute pour l'Égyptien Mêlas, dont il est question dans un passage d'un discours d'Isée, et qui avait prêté à Dicaeogénès de l'argent qu'il n'avait jamais pu recouvrer.[81]

On sait en effet qu'aucune loi à Athènes ne fixait le taux de l'intérêt, et que les chances seules de l'entreprise le déterminaient ; il variait de 12 à 18 %, taux ordinaire, à 30 et même 35 % pour les prêts à la grosse aventure. Ce dernier taux, qui nous paraît exorbitant, s'explique parfaitement si l'on songe à tous les risques que couraient alors les bâtiments, et aussi au peu de sécurité qu'offraient, à ce qu'il semble, de pareils contrats, puisque dans tous les discours que nous avons cités, il n'est question que d'engagements non tenus, et de capitaux prêtés et non restitués.

Enfin d'autres métèques, n'ayant pas à eux des capitaux suffisants pour faire des affaires pour leur propre compte, s'occupaient de celles de personnages importants, auprès desquels ils faisaient fonction d'intendants. C'est ainsi que Timothée chargeait de ses intérêts un métèque originaire de Mégare, Philondas, qui, en son absence, lui servait d'intermédiaire vis-à-vis de son banquier Pasion.[82]

En un mot, les métèques occupaient dans le monde des affaires à Athènes, à tous les degrés, une situation prépondérante, et c'est en grande partie grâce à leur activité qu'Athènes et le Pirée devaient d'être la première place de commerce et le centre financier du monde hellénique.

§ 2.

Böckh veut que les métèques aient été pauvres pour la plupart, et que les fortunes comme celles de Dinarque, de Képhalos et de ses fils aient été parmi eux une exception.[83] Cette façon de voir ne nous paraît nullement fondée. Ce qui est vrai, c'est que toute une catégorie de métèques, ceux qui vivaient du travail manuel, devaient être pauvres ; tous les ouvriers et journaliers que nous font connaître les inscriptions vivaient évidemment au jour le jour, comme les plus pauvres des citoyens. Mais il nous paraît non moins certain qu'un grand nombre de métèques appartenaient à la classe riche, et les auteurs et les inscriptions nous fournissent pour toutes les époques une quantité de noms de métèques riches à ajouter aux deux seuls exemples que cite Böckh.

Ce sont tout d'abord ces négociants du Pirée, les importateurs de céréales surtout ; ce sont ensuite tous les banquiers et ces prêteurs à la grosse que l'on voit consentir pour un seul voyage des prêts de plusieurs milliers de drachmes, ce qui prouve au moins l'aisance, sinon la richesse. Ce sont encore tous ces métèques que les inscriptions nous signalent comme ayant généreusement contribué aux eisphorai et aux epidoseis, Eudêmos de Platées, Nicandros d'Ilion et Polyzélos d'Éphèse, Hermaeos, Euxénidès de Phasélis, etc.

Enfin on relève ça et là, dans les auteurs et les inscriptions, des indications qui nous montrent que la fortune était très répandue chez les métèques. Le métèque Képhisodoros, qui fut compromis dans l'affaire des Hermocopides, possédait au moins seize esclaves, d'une valeur totale de 2.500 drachmes environ[84] ; il faisait sans doute partie de cette brillante jeunesse dont Alcibiade était le roi. Agasiclès, au dire de Dinarque, s'était fait inscrire sur le registre des citoyens on achetant les voix des démotes d'Halimous.[85] Les inventaires des phiales consacrées par les affranchis délivrés de leurs patrons contiennent dix-huit noms de métèques qui avaient eux-mêmes des affranchis,[86] ce qui suppose évidemment une certaine aisance. Au temps même des successeurs d'Alexandre, une anecdote bien connue, rapportée par Suidas, nous montre qu'il y avait encore à Athènes des métèques riches et disposés à faire des sacrifices pour la cité.[87] Et à la même époque, Philippidès, un des poètes de la comédie nouvelle, se plaignait de l'insolence des parvenus métèques qui mangeaient dans de la vaisselle d'argent.[88]

Il y a donc eu, à toutes les époques, toute une classe de métèques riches, et l'on peut à ce point de vue comparer la situation des métèques athéniens à celle des juifs d'aujourd'hui dans les grandes villes d'Orient, où les uns sont réduits aux métiers les plus humbles, tandis que les autres ont entre leurs mains tout le haut commerce et tous les capitaux. Seulement il semble qu'à Athènes la proportion entre les premiers et les seconds fût tout autre : cela est certain au moins pour le cinquième siècle. Nous avons vu que le chiffre des hoplites métèques était considérable (près de 12.000) ; nous ne connaissons pas, il est vrai, le minimum de fortune exigible pour servir dans les rangs des hoplites ; mais l'obligation pour l'hoplite de s'armer à ses frais suppose toujours une certaine aisance. Il est malheureusement impossible de déterminer la proportion entre ces métèques qui servaient comme hoplites et les autres ; il est probable, avons-nous dit, que les métèques non astreints à ce service étaient encore plus nombreux que les hoplites. Il ne faudrait pas se hâter d'en conclure que la proportion des pauvres vis-à-vis des riches fût plus forte chez les métèques que chez les citoyens, pour lesquels nous avons admis 8.000 thètes pour 22.000 citoyens des trois premières classes, soit un peu plus d'un tiers. La plupart des citoyens étaient propriétaires fonciers, et leur fortune était apparente et impossible à dissimuler : celle des métèques au contraire, exclusivement mobilière, pouvait se dissimuler facilement, et beaucoup d'entre eux ne devaient pas hésiter à le faire, quand ils y avaient quelque intérêt. On peut donc admettre que la proportion entre riches et pauvres était à peu près la même chez les métèques que chez les citoyens, et il n'est pas impossible que les fortunes les plus considérables, comme celles de Pasion, se trouvassent chez les métèques.

Ce qui porterait à le croire, c'est que les métèques furent, sous le gouvernement des Trente, en butte à une véritable persécution. Les Trente, nous dit Xénophon, afin de se procurer l'argent nécessaire pour payer leurs garnisaires, décidèrent que chacun d'eux se saisirait de la personne d'un métèque, le mettrait à mort et confisquerait ses biens.[89] La richesse des métèques ne fut pas en réalité, comme nous le montrerons plus loin, la seule cause de cette persécution ; mais elle y contribua certainement pour beaucoup, et le dramatique récit de Lysias nous montre avec quelle avidité les tyrans se jetèrent sur cette riche proie : il semble qu'il y ait eu chez eux comme une rancune contre ces étrangers coupables de s'être enrichis à Athènes, comme s'ils l'eussent fait à leur propre détriment.

 

CHAPITRE V. — PROFESSIONS LIBÉRALES.

§ 1.

Il ne faudrait pas croire que les métiers manuels et le commerce aient absorbé toute l'activité des métèques athéniens : ils ont occupé dans ce que nous appelons les professions libérales une place qui ne fut guère moins considérable.

Parmi eux se recrutaient, tout d'abord, beaucoup de scribes, employés dans les bureaux des greffiers, qui, comme on le sait, étaient des magistrats. Cet emploi de scribe, fort modeste en lui-même, et que les Athéniens assimilaient aux métiers manuels, n'en donnait pas moins une certaine importance à ceux qui l'occupaient, vu la connaissance des affaires qu'ils y acquéraient,[90] et l'exemple du fameux scribe Nicomachos montre à quelle brillante fortune ils pouvaient parfois parvenir.[91] Dans les inventaires des phiales des affranchis figurent deux de ces scribes, qui étaient donc, comme Nicomachos, d'anciens affranchis, et dont l'un porte, comme lui, le titre de sous-greffier (76 et 242).

Les étrangers domiciliés à Athènes devaient fournir aussi beaucoup de médecins. Les inscriptions nous en font connaître deux : l'un est cet Evénor, originaire d'Argos en Acarnanie, qui fut successivement, par deux décrets que nous possédons, élevé à la dignité de proxène, puis fait citoyen, dans le dernier quart du quatrième siècle.[92] Il avait donc commencé par habiter Athènes en qualité de simple métèque. L'autre est Phidias de Rhodes, qui avait exercé les fonctions de médecin public sans appointements, et à qui l'on décerna, en 304, des éloges et une couronne de feuillage.[93]

Nous avons déjà parlé des artistes, peintres et sculpteurs. Quant aux architectes, il est à remarquer que tous ceux dont les noms figurent sur les comptes de constructions sont des citoyens. On employait donc de préférence, pour les travaux publics, des architectes citoyens : mais ce n'était pas une règle absolue, comme le prouve le rôle que joua dans la reconstruction du Pirée le célèbre Hippodamos de Milet. On sait qu'il entreprit, sur l'ordre de Périclès, la reconstruction de toute la ville du port, en dedans de l'enceinte de Thémistocle. Il y appliqua pour la première fois son système, qui consistait à soumettre à des principes généraux et à un plan d'ensemble la construction des villes, au lieu de laisser la fantaisie de chaque propriétaire s'y donner libre carrière. Il appliqua plus tard son système à Thurii, puis à Rhodes[94] : mais c'est le Pirée qui avait servi de type pour cette dernière ville., et les architectes d'Alexandrie s'inspirèrent certainement eux aussi des conceptions d'Hippodamos, qui avait donné le premier modèle d'une grande ville maritime appropriée aux besoins du temps.[95]

Hippodamos habitait lui-même le Pirée, où il possédait une maison : il jouissait donc de l’ἔγκτησις, et peut-être de l'isotélie, grâce sans doute à ses services et à la faveur de Périclès.[96] Ce n'était pas un pur artiste : savant et philosophe, il voulait ordonner, dans les cités, non seulement les rues et les maisons, mais aussi les rapports des citoyens entre eux. Il est le premier, dit Aristote non sans une intention railleuse, qui ait prétendu rédiger une constitution sans avoir mis lui-même la main aux affaires publiques.[97] Cette constitution d'Hippodamos, telle qu'Aristote la résume, paraît en effet l'œuvre d'un pur théoricien, et Aristote n'a pas de peine à montrer que ses spéculations à priori ne sauraient s'accommoder aux nécessites de la politique réelle.

Parmi les savants qui s'occupaient au contraire de sciences exactes et de leur application pratique, un astronome, le métèque Phaeinos, paraît avoir tenu une place considérable. Il vint, nous ne savons d'où, s'établir à Athènes, sans doute dès le commencement du cinquième siècle ; il installa sur le Lycabette un observatoire, et arriva le premier, par une série d'observations rigoureuses, à déterminer le solstice d'une façon plus précise qu'on ne l'avait fait jusqu'à lui. Il fut enfin, et c'est là pour la postérité son plus beau titre de gloire, le maître du célèbre Méton, qui ne fit que reprendre et achever les études commencées par lui.[98]

Si des savants on passe aux littérateurs, on constate qu'un grand nombre des poètes dramatiques qui ont illustré la scène athénienne étaient des étrangers, surtout parmi les poètes comiques de la moyenne et de la nouvelle comédie. Seulement les textes ne donnent à aucun d'eux la qualification formelle de métèque ; il est donc inutile de les énumérer ici, et nous nous bornerons à citer Philémon, le contemporain et l'émule de Ménandre, qui, originaire de Syracuse selon les uns, de Soloi selon les autres, finit, après plusieurs voyages à l'étranger, par venir s'établir au Pirée, où il mourut âgé de près de cent ans.[99]

Nous pouvons ajouter à ces poètes Damasias de Thèbes, métèque fixé à Eleusis, qui vivait dans la première moitié du quatrième siècle. M. Foucart a reconnu en lui, non pas un maître d'école comme on l'avait cru tout d'abord, mais un musicien, qui, lors de la fête des Dionysies, avait non seulement organisé à ses frais deux chœurs, l'un d'hommes, l'autre d'enfants, mais qui avait de plus composé pour eux des chants lyriques. C'est ce qui explique la valeur exceptionnelle de la couronne d'or que lui décornèrent les Éleusiniens.[100]

Il en est de même pour les philosophes que pour les poètes : on sait assez que la plupart des philosophes qui s'illustrèrent à Athènes étaient d'origine étrangère, depuis Anaxagore de Clazomène jusqu'à Zenon de Kition et à Métrodore de Lampsaque. La plupart des philosophes de l'école péripatéticienne notamment étaient, comme leur chef Aristote, des étrangers : seulement nous ne savons pas au juste quelle était à Athènes leur condition légale. Les testaments des philosophes conservés par Diogène Laërte, dont ou admet généralement l'authenticité, nous montrent seulement que Théophraste d'Erésos, disciple et successeur immédiat d'Aristote, avait, sinon le droit de cité, au moins l’ἔγκτησις γῆς καὶ οἰκίας.[101] Un seul philosophe nous est formellement donné comme métèque : c'est Xénocrate de Chalcis, disciple de Platon, dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises. Lycon « le philosophe, » deuxième successeur de Théophraste,[102] dont le nom figure sur une liste de souscription à une epidosis, était sans doute aussi métèque, et beaucoup d'autres aussi.

Cette affluence à Athènes de philosophes venus de tous les points du monde civilisé d'alors prouve assez et l'esprit de tolérance des Athéniens vis-à-vis des penseurs, et l'importance d'Athènes comme centre scientifique ouvert à tous : si elle n'a pas produit elle-même tous ces philosophes, elle leur a fourni un asile assuré, sans lequel probablement il n'aurait pu se fonder d'écoles durables comme l'Académie, le Lycée et le Portique.

§ 2.

Dans l'art oratoire enfin, les métèques ont tenu une place tout aussi honorable, et c'est l'un d'eux, Lysias, qui est justement considéré comme le maître de l'éloquence attique avant Démosthène.

L'accès de la tribune aux harangues leur étant interdit, c'est l'éloquence judiciaire qu'ils pratiquaient ; les logographes qui fournissaient des discours tout faits aux plaideurs incapables de les composer eux-mêmes se recrutaient en grande partie parmi les métèques.[103] Parmi les rhéteurs, les élèves d'Isocrate notamment, cités par les lexicographes, on relève bien des noms d'étrangers, comme Isocrate d'Apollonie ou d'Héraclée, qui fut le successeur du grand Isocrate, et prononça, en concurrence avec d’autres orateurs, l'oraison funèbre du roi Mausole[104] ; Théodecte de Phasélis, rhéteur et poète tragique à la fois, mort à Athènes[105] ; Philiscos de Milet, d'abord joueur de flûte célèbre, puis élève d'Isocrate,[106] etc. La plupart de ces étrangers, fixés à Athènes, étaient sans doute des métèques.

Les plaidoyers civils attribués à Démosthène mentionnent deux autres logographes qui sont certainement des métèques : c'est d'abord Lacritos de Phasélis, élève d'Isocrate, dont il avait payé les leçons, comme tous ses autres élèves d'ailleurs, mille drachmes ; il avait lui-même des élèves, et était à Athènes une manière de personnage. C'est contre lui que plaida Androclès, Lacritos étant le frère et l'héritier de son adversaire défunt Artémon.[107]

L'autre est Ctésiclès, dont il est question dans le discours d'Epicharès contre Théocrinès, où il est qualifié de logographe et de métèque.[108]

D'ailleurs ni Ctésiclès ni Lacritos, quoique ce dernier, au dire d'Androclès, fût un personnage, n'ont laissé d'autre souvenir que ces brèves mentions, tandis que trois autres métèques ont ou l'honneur d'être admis dans le canon des dix orateurs attiques : ce sont Isée, Lysias et Dinarque.

Des trois, Dinarque de Corinthe est le moins important : Denys refuse, avec raison, de le compter parmi ceux qu'il appelle εὑρεταί et aussi parmi ceux qu'il appelle τελειωταί[109] (6), ceux qui créent un genre, et ceux qui le portent à sa perfection. Il n'en eut pas moins à Athènes une grande réputation, à laquelle fut pour beaucoup, il est vrai, la disparition des grands orateurs, Lycurgue, Hypéride et Démosthène. C'est en effet après la chute de l'indépendance d'Athènes et sous le gouvernement de Démétrios de Phalère qu'il joua un rôle considérable : non seulement les discours qu'il composait lui rapportaient beaucoup d'argent, mais il exerça même, grâce à son intimité avec Démétrios, une certaine influence politique, bien qu'il soit toujours resté métèque. Aussi le rétablissement de la démocratie lui fut fatal : mis en accusation ainsi que beaucoup d'autres, il eut la maladresse de s'enfuir, et fut condamné à mort par contumace, tandis que ses co-accusés, plus courageux, comparaissaient et étaient acquittés. Ce n'est qu'en 292 que Démétrios Poliorcète lui permit de rentrer à Athènes, qui venait de tenter de se soulever contre lui : le roi voulait réagir alors contre cette démocratie ingrate dont il avait été le défenseur, et il jugeait utile de laisser rentrer les partisans de l'ancien régime oligarchique.[110] C'est alors que Dinarque intenta à son ami Proxénos, qu'il accusait de l'avoir dépouillé, un procès, le premier qu'il eût intenté lui-même, et dont l'issue nous est d'ailleurs inconnue, de même que le reste de la vie de l'orateur.

Ce qui fait en somme le principal intérêt des discours de Dinarque, c'est qu'il est le dernier représentant de la grande éloquence attique : or cet imitateur de Démosthène (κρίθινος Δημοσθένης, selon l'expression d'Hermogène) qui clôt la liste des orateurs attiques n'est pas un Athénien, c'est un métèque.

Isée et Lysias ont dans l'histoire de l'éloquence attique une bien autre importance que Dinarque.

Il ne nous semble pas qu'il y ait lieu de révoquer en doute l'assertion de l'auteur de la Vie des dix orateurs, à savoir qu'Isée était originaire de Chalcis et établi à Athènes. Si Hermippos, dans son livre Sur les disciples d'Isocrate, le disait Athénien, cela signifiait simplement, comme si souvent, qu'il avait quitté définitivement sa première patrie pour en adopter une autre. D'ailleurs, le rôle modeste dans lequel Isée se confina montre bien qu'il n'avait pas le droit de cité. Il est donc inutile de recourir à l'hypothèse de Schömann, qui fait de lui le fils d'un clérouque athénien de Chalcis.

Sa vie nous est d'ailleurs complètement inconnue ; quant à son œuvre, nous n'avons pas a l'étudier ni à l'apprécier ici, non plus que celle des autres orateurs métèques, et nous nous contenterons de renvoyer, pour Isée comme pour Lysias, aux belles études de M. G. Perrot.[111] Ce qui fait, comme l'a montré M. Perrot, l'importance et l'originalité d'Isée, c'est que, le premier, il se renferma strictement dans l'étude du droit : « Isée avait une vocation marquée pour le travail auquel il s'est consacré : il semble avoir pris un vif plaisir à comparer les lois, à en scruter, à en analyser les principes ; il paraît avoir voulu s'élever au-dessus de ses rivaux en pénétrant plus avant qu'aucun d'entre eux dans l'étude de la législation athénienne. Cet étranger a peut-être été l'homme qui a le mieux saisi l'esprit de ces lois que, métèque, il n'avait point qualité pour créer ou pour modifier par son suffrage.[112] »

D'autre part, il a certainement exercé une grande influence sur le développement du génie de Démosthène[113] ; et c'est à lui, à sa science d'avocat et de juriste, que Démosthène est redevable de cette connaissance approfondie des lois civiles et politiques d'Athènes, grâce à laquelle « au lieu de faire, comme l'ignorant et brillant Eschine, commerce de phrases vagues et sonores, il a pu nourrir toujours son éloquence de faits et de textes.[114] »

C'est à lui encore que Démosthène doit une autre qualité, non moins précieuse : « Il lui a enseigné à disposer ses arguments et ses preuves de manière à convaincre sans avoir l'air d'y prétendre ; il lui a livré le secret de ces interrogations vives et redoublées qui paraissent échapper à l'âme de l'orateur passionnée pour la vérité et révoltée d'avoir à combattre la fraude et le mensonge. Savant légiste, rhéteur consommé, habile et véhément avocat, Isée est bien le maître du grand orateur qui a porté le plus haut, dans l'antiquité, l'art et la puissance de la parole publique.[115] »

Lysias enfin est, comme valeur personnelle et comme importance historique, bien au-dessus et de Dinarque et même d'Isée. Nous aurons dans la dernière partie de cette étude à revenir et à insister sur le rôle politique joué par Lysias. Quant à son éloquence et à ses caractères propres, ils ont été en France l'objet de deux études, celle de M. J. Girard[116] et celle de M. G. Perrot, qui, faites à des points de vue un peu différents, ont épuisé le sujet, et grâce auxquelles Lysias est peut-être de tous les orateurs attiques celui que nous connaissons le mieux.

Or il se trouve que cet étranger, originaire de Syracuse, la première patrie de la rhétorique, après avoir été, lui aussi, un pur rhéteur, devint l'homme le plus éloquent de son temps. Ce logographe, qui ne porta qu'une seule fois la parole lui-même et en son propre nom, se révéla ce jour-là véritable orateur, par la clarté de sa composition, par son talent d'exposition, grâce auquel les auditeurs croyaient assister à la scène même qu'il leur racontait, par son pathétique sobre, concentré et d'autant plus saisissant, par son style enfin, si simple et si précis, en un mot si attique. Antiphon n'avait été eu somme qu'un rhéteur ; Andocide, qu'un talent incomplet et décousu ; Lysias fut vraiment le premier grand avocat et le premier grand orateur d'Athènes. Si Isée a été le maître de Démosthène, Lysias a été davantage encore : il a été son véritable précurseur, et le discours contre Eratosthène est le seul, dans toute l'œuvre des orateurs antérieurs à Démosthène, qui fasse entrevoir par avance la grande éloquence politique, celle de Démosthène luttant contre Philippe.

Chez les anciens, Lysias passait pour le plus pur représentant de l'atticisme et pour le chef de l'école attique : M. J. Girard a montré dans le détail combien cette façon de voir était fondée. Ce métèque a été, comme les artistes étrangers auxquels nous devons quelques-uns des chefs-d'œuvre de la céramique attique, Douris, Brygos, Kachrylion, etc., saisi et comme façonné par l'esprit attique au point d'en devenir l'interprète et le représentant le plus parfait.

Pour nous modernes enfin, Lysias est de tous les orateurs grecs, après Démosthène, celui que nous goûtons le mieux. Moins puissant à coup sûr que Démosthène, il a pour nous, par son horreur de la phrase et le tour dramatique de ses récits, un singulier attrait : nous sentons en lui, non plus un rhéteur comme Isocrate, mais un orateur d'action, auquel il n'a manqué qu'un plus vaste théâtre. « Plus juste pour Lysias que ses contemporains, » dit M. Perrot,[117] « la postérité restitue ce titre de fils légitime d'Athènes à celui qui tempéra ainsi la vivacité de la chaleur syracusaine par la solidité et la finesse du plus pur atticisme, et qui porta presque jusqu'à la perfection l'éloquence judiciaire. »

 

 

 



[1] Démosthène, XXIII, 39.

[2] Aristote-Kenyon, 43.

[3] Suidas, Φρυννδας.

[4] Démosthène, V, 6-8.

[5] Hypéride, frag. 1, 3. — Il y avait réellement une loi fixant leur tarif, qui était de deux drachmes par séance, et les astynomes étaient chargés de veiller à ce qu'elle fût observée (Aristote-Kenyon, 50). Il est évident d'ailleurs qu'il s'agit d'une vieille loi somptuaire, de Solon sans doute, et tombée en désuétude dans la pratique, comme le montre le passage d'Hypéride même, qui déclare ridicule l'action intentée à Antidoros. Ce texte d'Aristote éclaire le passage de Suidas (διάγραμμα διέγραφον γὰρ οἱ ἀγορανόμοι ὅτον ἔδει λαμβάνειν τὴν ἐταίραν ἐκάστην) : Böckh (Ι, 404) l'expliquait en admettant que les agoranomes fixaient la taxe à acquitter par chaque courtisane (taxe qu'elles acquittaient aussi à Cos : cf. Rev. étud. grecq., V, 100 et suiv.) ; il est plus probable que, comme le suppose M. Th. Reinach, Suidas n'a fait que trop généraliser les termes de la loi, qui ne parlait que des musiciennes, comme telles.

[6] Eschine, I, 95.

[7] Lemonnier, 274.

[8] Pour simplifier les renvois aux textes, nous avons donné à chacun des métèques dont le nom figure sur notre Tableau un numéro d'ordre ; c'est à ces numéros que nous renverrons : pour Démétria, n° 45.

[9] C. I. Α., II, 3, 4112. Le sens de dévideuse que M. Koumanoudis (Έπιγ. ἐπιτύμβιοι, 3292) donne pour le mot κυκλίστρια, on le rapprochant de termes analogues de la langue moderne, paraît peu vraisemblable.

[10] Démosthène, XXV, 57.

[11] Frag. hist. graec, III, 50 ; Pseudo-Démosthène, LIX, 49 et pass.

[12] Epistologr. graec, p. 83.

[13] On sait que le Pirée était, pour les Athéniens et pour les marins étrangers, une ville de plaisir, et, autant que le Céramique même, le rendez-vous général des femmes de mauvaise vie ; cf. Wachsmuth, II, 111, note 4.

[14] Epistologr. graec., p. 46.

[15] Pol., III, 3, 2. — L'ouvrage déjà ancien de Büchsenschütz, Besitz und Erwerb…, contient quelques pages (322 et suiv., 510 et suiv.) sur le rôle commercial et industriel des métèques. Voir aussi Frohberger, Handwerk und Fabrikwesen im allen Athen (Vierteljahrschrift für Volkswirtschaft, XIII, 2, p. 70 et suiv.), qui fait ressortir assez heureusement leur importance industrielle.

[16] Libanius (Biogr. Gr., éd. Westermann, 293) : « Έργαστήριον δ'οἰκετῶν μαχαιροποιῶν κεκτημένος. »

[17] C. I. Α., Ι, 321. 324 ; IV, 2, p. 74 (n° 321) ; IV, 3. p. 148.

[18] C. Ι. Α., II, 2, 829. — M. Dörpfeld veut qu'il s'agisse du temple qu'il a découvert sur l'Acropole (Mittheil., XII, 42 et suiv. ; 193 et suiv.) ; nous n'avons pas à discuter ici cette question controversée (cf. Petersen, ibid., p. 62 et suiv.).

[19] C. I. Α., II, 2, 834.

[20] C. Ι. Α.. II, 2, 834 b et c, add. ; Έφημ. ρχ., 1883, 118 et suiv.

[21] Έφημ. ρχ., 1891. 71.

[22] C. I. Α., II, 3, 3582.

[23] C. I. Α., II, 3, 2867.

[24] C. I. Α., II, 3, 3260 b ; cf. Bull. corr. hell., XII, 246.

[25] Bull. corr. hell., III, 510.

[26] Homère, I1., II, 19 et suiv.

[27] Lysias, XII, 19.

[28] Démosthène, XXXVI, 11.

[29] Cf. Rayet-Collignon, Céramique, 205 ; Pottier, Rev. archéol., 1889, I, 35 ; Studniczka, Jahr. d. deuts. arch. Inst., 1887, 144.

[30] Scol. Aristophane, Guêpes, 1007.

[31] Έφημ. ρχ., 1885, 54. D'après une conjecture ingénieuse de Studniczka, loc. cit., Skythès se serait marié en Attique, et aurait été compris parmi les métèques que Clisthène fit entrer dans la cité.

[32] Sur Mys, cf. Brunn, Gesch. der griech. Künstl., II, 277.

[33] Lysias, XXIII, 2.

[34] C. Ι. Α., II, 3, 2754 ; l'inscription est suspecte.

[35] C. Ι. Α., II, 2, 1036 : Όνήσιμος κουρεύς, thiasote.

[36] Athénée, VI, 227 a.

[37] Cf. Aristophane, Gren., 1406, et scol.

[38] C. I. Α., II, 3, 3234.

[39] Démosthène, LVII, 34. 35 ; cf. Lallier, p. 62.

[40] C. Ι. Α., II, 3, 3097.

[41] C. Ι. Α., II, 3, 3111.

[42] C. Ι. Α., II, 3, 2729 ; cf. Girard, Education, 74.

[43] Hésychius, "Εμπορος * « Μέτοικος. »

[44] Himère, Orat., III, 12.

[45] Antiq. hell., II, 882.

[46] Le texte du C. I. A. porte Χαιρέφιλον Φείδωνος Παι(ανιέα), et non Παλ(ληνέα) que croyait lire Rhangabé ; ce démotique prouve que l'inscription est postérieure à l'année oh Chaeréphilos reçut le droit de cité. Il faut dire cependant que dans un des fragments du discours d'Hypéride pour Chaeréphilos se trouve le mot Παλληνεύς (Hyp., fr. 229) ; d'après Harpocration, qui nous a conservé ce fragment, il s'agirait du dème attique de Palléné et non de la ville thrace de ce nom. Il est donc possible qu'il faille lire dans l'inscription Παλλ. et non Παι. tout en y voyant un démotique et non un ethnique. — L'identité du Chaeréphilos fils de Pheidon de l'inscription avec le grand marchand de salaisons n'est d'ailleurs guère douteuse : un des fils de ce dernier s'appelait Pheidon (Dinarque, I, 43), du nom de son grand-père paternel évidemment.

[47] Le commerce des céréales en Attique au quatrième siècle avant notre ère (Rev. hist., IV, 1 et suiv.).

[48] Pseudo-Démosthène, XXXII (Démon contre Zénothémis) ; XXXIV (Chrysippos contre Phormion) ; XXXV (Androclès contre Lacritos) ; LVI (Darios contre Dionysodoros).

[49] XXXIV, 6.

[50] Ibid., 8.

[51] Ibid., 18. 21.

[52] XXXV, 14.

[53] XXXIV, 39.

[54] XXXIV, 38 : « Ογε σιτηγοντες διατετελέκαμεν εἰς τὸ μτερον μπόριον. »

[55] XXXV, 20. 33.

[56] Ibid., 15. 41.

[57] Ibid., 32.

[58] LVI, 14 : «’'ω ἄνδρες Άθηναῖοι, τῶν ὑμετέρον πολιτῶν τινές, » dit Darios en s'adressant aux héliastes.

[59] Lysias, XXII, 5.

[60] M. Perrot (Commerce, p. 17 et suiv.) renvoie aux textes principaux.

[61] Lysias, XXII, 16.

[62] Ibid., 14.

[63] Dareste, Plaidoyers civils, I, 317.

[64] Lysias, XXII, 16.

[65] Pseudo-Démosthène, LVIII, 10-11. 53.

[66] G. Perrot, Le commerce de l'argent et le crédit à Athènes au IV· siècle avant notre ère. La banque de Pasion et de Phormion (Mémoires d'archéologie, d'épigraphie et d'histoire, 337 et suiv.). A la liste des travaux modernes indiqués par M. Perrot, il faut ajouter les trois ouvrages suivants, parus depuis : Gaillard, Les banquiers athéniens et romains, Genève, 1874, 1 vol. in-8° ; — Cruchon, Les banques dans l'antiquité, Paris, 1879, 1 vol. in-8° ; — Bernardakis, Les banques dans l'antiquité (Journal des Economistes, juin-août 1881).

[67] Page 444.

[68] Dinarque, I, 43. Cf. Schefer, III, 296.

[69] Isée, fr. 62.

[70] Pseudo-Démosthène, XLIX, 6 ; LU, 8. 14.

[71] Ibid., XLIX, 22.

[72] Démosthène, XXXVI, 5.

[73] Démosthène à la fin de son discours (XXXVI, 57) fait évidemment allusion à des emprunts d'Etat souscrits par Phormion aux conditions les plus avantageuses pour le trésor public ; cf. aussi Démosthène, XLV, 13.

[74] Démosthène, XLV, 13.

[75] Pol., I, 3, 23 : « Ελογώτατα μισεται βολοστατική ; » ce dernier mot même est un terme de mépris.

[76] Pour le détail, cf. Perrot, p. 405.

[77] Démosthène, XXXVI, 44.

[78] Isée, fr. 62.

[79] Athénée, VI, 226 D :

…μετ τούσγε, ν Δία, τραπεζτας * έθνος

τούτου γὰρ οδέν στιν ξωλέστερον.

[80] Démosthène, XXXIV, 50.

[81] Isée, V, 40.

[82] Pseudo-Démosthène, XLIX, 26.

[83] I, 625 : « Vermuthlich war der grösste Theil arm. »

[84] C. Ι. Α., I, 377 ; le nombre de ces esclaves devait même être plus considérable : l'inscription est brisée après le nom du seizième.

[85] Dinarque, fr. 58.

[86] Nos 33. 82 89. 94. 97. 98. 112. 115. 116. 191. 140. 158. 173. 202. 221. 222. 248. 283.

[87] Suidas, θερι.

[88] Athénée, VI, 230 A.

[89] Hell., II, 3, 21.

[90] Perrot, Droit public, 149 et suiv.

[91] Lysias, XXX, 27 : « Άντ μν δούλου πολίτης γιγένηται, ντί δὲ πτωχο πλούσιος, ντί δὲ πογραμματως νομοθέτης. »

[92] C. I. Α., II, 186. 187 ; sur Evénor, cf. Athénée, II, 46 D.

[93] C. Ι. Α., II, add. nov. 256 b.

[94] Strabon, XIV, 2, 9.

[95] Sur Hippodamos, cf. K. Fr. Hermann, De Hippodamo Milesio, Marbourg, 1841 : et Erdmann, Hippodamos von Milet (Philologus, XLII (1882), 193 et suiv.).

[96] Scol. Aristophane, Cheo., 327.

[97] Aristote, Pol., II, 5, 1 et suiv

[98] Théophraste, De sign. tempest., 4.

[99] Suidas, φιλήμων.

[100] Έφημ. ρχ., 1889, 71 ; — Haussoullier, Ann. Fac. Lett, de Bordeaux, VII, 232 et suiv.— Nous devons ce renseignement à l'obligeance de M. Haussoullier, qui a bien voulu nous communiquer des notes prises au cours de M. Foucart au Collège de Franco. M. Foucart rapproche le décret en l'honneur· de Damasias d'un décret délien du premier siècle avant notre ère en faveur du poète-musicien Amphiclès (Bull. corr. hell., XIII, 244), publié par M. G. Fougères. On sait d'ailleurs que la Béotie a produit des musiciens célèbres (Curtius, IV, 319). M. Foucart corrige donc l. 11 (τ)έλ(ε)σι en μέλεσι.

[101] Dareste, Les testaments des philosophes grecs (Annuaire de l'Assoc. des Etud. grec, 1882, 1 et suiv.).

[102] Diogène Laërte, V, 4, 65 ; — C. I. Α., II, 334.

[103] Les logographes, que Platon appelle avec mépris des fabricants de discours, ποιητα τν λγων (Euthyd., 305 c), rentraient pour les anciens dans la catégorie des βάναυσοι (scol. Eschine, 1, 94) : « 'οὐκ ν στεον οὐδ'ἐπαινετν τ λογογραφεν οδ τ συνηγορεν μισθο. » On comprendra facilement que nous rangions cependant cette profession au rang des professions libérales.

[104] Orat. att., II, 346.

[105] Ibid., II, 348.

[106] Ibid., II, 350.

[107] Pseudo-Démosthène, XXXV, 15. 41. 42.

[108] Ibid., LVIII, 19. 20.

[109] Denys, Dinarque 1 et suiv. ; Blass, III, 2, 260 et suiv.

[110] Droysen, II, 560.

[111] L'Eloquence politique et judiciaire à Athènes. — Cf. Blass, II, 1, 452 et suiv. ; — Moy, Etude sur les plaidoyers d'Isée, Paris, 1876 ; M. Moy adopte l'hypothèse de Schömann sur la condition légale d'Isée.

[112] Perrot, Eloquence, 334.

[113] Il n'y a pas lieu d'adopter les conclusions de M. Hoffmann (De Demosthene Isaei discipulo, Berlin, 1872), qui a essayé d'établir que Démosthène n'avait pas été l'élève d'Isée ; Denys (Isée, I, 4) affirme le fait d'après Hermippos, et c'est à tort que M. Hoffmann tire de ce passage une conclusion tout opposée à celle qui en découle naturellement.

[114] Perrot, Eloquence, 405.

[115] Ibid.

[116] Etude sur l'éloquence attique, Paris, 1874.

[117] Eloquence, 285.