LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

HONDSCHOOTE

 

CHAPITRE IX. — MENIN.

 

 

Projet d'écraser les Hollandais et de se débarrasser de ces lourdauds. — Orange veut quitter Menin. — Ordre de Cobourg. — Attaque du 12 septembre. — Bataille du 13. — Victoire complète. — Pillages. — L'armée hollandaise annihilée pour le moment.

 

York et Wallmoden s'étaient réunis à Furnes, sans que Houchard fit le moindre effort pour inquiéter leur retraite, et prévenir leur jonction. Après de longues réflexions, le général français avait résolu, non pas d'aborder les Anglo-Hanovriens qu'il croyait supérieurs en nombre, mais de fondre derechef sur les Hollandais et de les déloger de tous les camps et postes qu'ils occupaient sur la Lys. Il se rappelait les conseils que donnait Carnot dans la lettre du 5 septembre : S'il était vrai que les ennemis eussent levé le siège de Dunkerque, nous pensons qu'après vous êtes emparé du cours de la Lys, au lieu de tourner à gauche pour vous porter sur la Flandre maritime, comme les ennemis s'y attendent, vous pourriez, au contraire, après avoir attiré leurs forces de ce côté, tourner brusquement sur votre droite, pour attaquer Tournay et dégager le Quesnoy. Tel fut le plan de Houchard. Il décida de garder la défensive dans la Flandre maritime et de prendre l'offensive dans la Flandre occidentale, d'écraser les Hollandais, d'assaillir ensuite le camp de Cysoing et les Autrichiens de Beaulieu, puis de se rejeter sur Cobourg : Fait à fait que j'avançais, a-t-il dit, que j'aurais battu tous les corps détachés des ennemis, je me grossissais et j'arrivais sur Cobourg avec 70.000 hommes.

Il demeura donc deux jours à Hondschoote : il empêchait les Anglais de rebrousser sur Dunkerque pour ressaisir leurs canons ; il donnait le temps aux Dunkerquois de rentrer dans la ville les munitions et les pièces d'artillerie abandonnées par l'assiégeant ; enfin, il masquait les mouvements de ses lieutenants, Dumesny, Hédouville et Béru, qui devaient infliger au prince d'Orange une sanglante et suprême leçon. Dumesny et Hédouville marchaient sur Menin par Poperinghe et Wervicq. Béru, venu de Lille, longeait la rive droite de la Lys et se dirigeait sur Bousbecque et Halluin ; nous allons, écrivait-il au représentant Châles, tomber sur les Hollandais et nous débarrasser de ces lourdauds[1].

Dès qu'il avait su la bataille d'Hondschoote, le prince héréditaire d'Orange, redoutant un nouveau choc des Français, s'était déterminé à quitter sa position de Menin qui dispersait et émiettait ses forces[2]. Il voulait reculer sur Courtrai ; y concentrer ses troupes, et déjà son frère cadet qui campait à Wervicq avec cinq mille hommes, avait reçu l'ordre de le rejoindre. Mais les Autrichiens se méfiaient des Provinces Unies, et n'oubliaient pas qu'elles projetaient naguère de se détacher de la coalition. Lorsque Cobourg apprit que les Hollandais se repliaient vers Courtrai, il s'imagina qu'ils allaient s'abstenir désormais de toute hostilité. Il somma le prince d'Orange de rester à Menin, lui fit d'amers reproches et mêlant aux remontrances les prières et les promesses, assura le prince qu'il le seconderait.

Le corps hollandais, parti le 10 septembre, à trois heures du matin, avait atteint Wevelghem à deux lieues de Courtrai, et à une lieue de Menin. Mais le prince d'Orange obéit au généralissime. Le même jour, il regagnait son camp. Il disposait de 13 à 14.000 hommes. 5.000, formant 13 bataillons et 10 escadrons, étaient postés à Wervicq sous le commandement du prince de Hesse-Darmstadt 1.600 garnissaient Halluin et les redoutes dont cette ville était entourée. Trois détachements gardaient, l'un, Gheluvelt, l'autre, Mouscron, le troisième Courtrai et les bagages. Beaulieu, chargé d'appuyer les Hollandais et de couvrir avec eux Marchiennes, Orchies, Cysoing, Bouvines et Lannoy, avait 6.000 Impériaux à Lauwe non loin de la Lys.

Le 12, Dumesny, Hédouville et Béru commençaient leur attaque. Ils n'eurent pas l'avantage. Hédouville fut repoussé devant Wervicq, après s'être emparé de Commines et de Messine. Béru ne put que refouler les avant-postes de la brigade qui défendait Halluin.

Mais le 13, les républicains remportaient une victoire complète. Le prince Frédéric d'Orange qui remplaçait le prince de Hesse-Darmstadt blessé la veille, fut assailli dans Wervicq par Hédouville. Au bout d'une lutte de quatre heures, il dut céder au nombre et battre en retraite. Les Français entrèrent dans Wervicq au pas de charge et au cri de Vive la République.

Trois escadrons impériaux, envoyés par Beaulieu en reconnaissance et conduits par Kray, arrivaient à cet instant sur le lieu de l'action. Le prince Frédéric d'Orange, enhardi, ramena les siens au combat. Sa cavalerie se joignit aux escadrons autrichiens. Deux bataillons d'infanterie essayèrent de reconquérir Wervicq. Mais les Impériaux s'engagèrent dans des marais et s'exposèrent imprudemment au feu d'une batterie ; ils tournèrent bride et entraînèrent avec eux les débris de la cavalerie hollandaise. Les deux bataillons qui tentaient, sous les ordres du prince de Nassau-Weilbourg, de reprendre Wervicq, eurent une semblable fortune. Une batterie française les salua par des volées de mitraille. Des soupiraux des caves, des fenêtres des maisons, du haut des toits on leur tira des coups de fusil. Le prince de Nassau-Weilbourg fut blessé ; le prince Frédéric d'Orange, accouru pour rétablir l'affaire, fut très grièvement atteint et jeté à bas de cheval. Les Hollandais s'enfuirent dans la plus grande confusion. Le prince héréditaire d'Orange, averti du désastre, mais comptant que Beaulieu lui prêterait appui, envoya sur-le-champ à l'aide de son frère quatre bataillons et quatre escadrons, les derniers qu'il eût sous la main. Ces renforts devaient s'avancer à gauche de la chaussée de Menin à Ypres pour tomber sur le flanc de la colonne républicaine et arrêter sa poursuite.

Ils s'égarèrent et allèrent se heurter aux vainqueurs près du village de Gheluwe. Ils furent enveloppés. Deux bataillons seulement réussirent à s'ouvrir un chemin et à gagner Ypres par Gheluvelt. Le reste fut dispersé ou fait prisonnier.

Tandis que Hédouville et Dumesny se rendaient maîtres de Wervicq, Béru enlevait Halluin. Il bombarda la ville durant une heure, puis forma ses troupes en deux colonnes qui s'élancèrent au pas de charge. La garnison hollandaise ne les attendit pas ; elle se précipita vers le pont qui mène à Menin. Ce pont était couvert par des redoutes. Mais les Français serraient de près les fugitifs ; ils entrèrent pêle-mêle avec eux dans les redoutes ; ils passèrent le pont ; ils s'emparèrent de Menin : Rien, dit Levasseur, ne peut résister à la valeur française : c'est un torrent qui entraîne tout ce qui s'oppose à son passage. Vainement le prince héréditaire d'Orange dépêcha l'un de ses lieutenants, le général d'infanterie prince Waldeck, à Beaulieu pour lui demander du secours. Beaulieu était à la tête de sa division qu'il avait mise en ordre de bataille. Il déclara que si elle intervenait, elle serait englobée dans la déroute des Hollandais. Pourtant, sur les instances de Waldeck, il consentit à faire un léger mouvement et à protéger la retraite du prince d'Orange, en occupant à Dadizeele une position qui menaçait la droite des carmagnoles. Orange lui reprocha de demeurer spectateur du combat et de lui refuser toute assistance par haine des Provinces Unies. Beaulieu répondit que, dans ce pays couvert, les issues étaient tellement obstruées qu'il n'avait pu soutenir qu'Une partie de l'armée hollandaise, celle qui se sauvait vers Courtrai et Bruges, que sa colonne avait été embarrassée à chaque pas par les chariots et les équipages des fuyards, qu'il avait mis plus d'une heure à ranger sa division.

Les Hollandais lâchaient pied de tous côtés. Ceux de Halluin et de Menin détalaient vers Dadizeele et, de là, vers Rousselaere. Ceux de Wervicq se jetaient vers Menin et, y rencontrant l'ennemi qui les accueillait par des salves de mousqueterie, se rabattaient à gauche pour gagner pareillement Rousselaere. Abandonné par ses alliés comme par ses propres troupes, mais outré de colère et de désespoir, le prince héréditaire d'Orange voulait lutter encore ; il finit par se résigner, et, sur les conseils de son quartier-maître général, le comte Bentinck, quitta le champ de bataille. Il se rendit à Courtrai, emmena les troupes qui gardaient les bagages, rallia à Haerlebecke le détachement qui tenait Mouscron et qui n'avait pris aucune part à l'action, puis de Haerlebecke revint sur Rousselaere, de là sur Deynze et enfin sur Gand.

De même qu'à Furnes, à Linselles, à Tourcoing, l'armée républicaine commit des horreurs, et Béru éprouva, dit-il, la douleur de voir cette belle journée déshonorée par des excès. Inutilement les généraux et les représentants s'efforcèrent d'empêcher les déprédations. Les voleurs étaient les premiers à crier au vol, et parmi les soldats qui se joignaient aux conventionnels pour appréhender les détrousseurs, se trouvait un dragon qui cachait sous son manteau une pièce de toile. Conduit sur la place, accusé par Levasseur qui porta plainte au nom de la République, condamné par Béru et les officiers de l'état major à dix années de fers, le dragon fut déshabillé et passa devant les rangs du 2e bataillon de la Gironde qui le couvrit de huées et applaudit à son jugement. Si la loi, mandait Levasseur au Comité, eût permis de le fusiller, cet exemple eût arrêté la fureur du pillage[3].

Mais le succès des républicains était complet, et lord Sheffield avouait que l'armée hollandaise était annihilée pour le moment. Victoire, écrivait Hédouville à Osten, nous avons leurs canons en notre pouvoir, Wervicq, Menin ; ils sont f....., tous ces despotes, et sont prisonniers dans les mains de nos bataillons ! Les commissaires de l'Assemblée, Levasseur et Châles, avaient guidé les troupes, partagé leurs dangers et animé leur courage. Châles était à la tête de la colonne Dumesny et reçut à la jambe un éclat d'obus. Le 2e bataillon de Paris qui souffrit le plus, et le 4° bataillon batave qui combattait avec fureur ses compatriotes, méritèrent, au témoignage des représentants et de Béru, les plus grands éloges. Un chasseur du 6e, Léon Brunei, de Troyes, avait pris un drapeau qu'il remit à Levasseur : le représentant donna l'accolade à ce brave Champenois.

Les Hollandais perdaient 40 bouches à feu, 88 officiers et 3.000 soldats, dont 1.200 prisonniers. Ils s'éparpillaient dans les bois et les villages de la Flandre, et ne purent .être rassemblés qu'au bout de quelques jours, et, selon le mot d'un contemporain, que par pièces et morceaux. Même à Gand, les vaincus de Menin ne se croyaient pas en sûreté. A toutes les questions qu'on leur faisait, ils répondaient : Misérables Français ! La Haye se préparait à célébrer avec pompe l'anniversaire de la révolution de 1787 lorsqu'arriva la nouvelle du désastre ; les fêtes se changèrent en deuil ; à la joie bruyante qu'excitaient encore la prise de Valenciennes et les petits avantages de Linselles et de Tourcoing, succéda dans les rues un morne silence.

Par malheur, comme disait Pierre Dupont, les Français ne pouvaient profiter de cette journée pour prendre une offensive décidée, et ils allaient évacuer Menin, deux jours après l'avoir conquis[4].

 

 

 



[1] Berthelmy raconte (Bulletin de la Soc. de la Corrèze, I, p.. 582) qu'il a pressé l'expédition de Menin et il invoque sur ce point le témoignage de Levasseur : J'allai chez Houchard à huit heures du soir pour l'inviter à ne pas perdre du temps ; Levasseur partit dans la nuit même pour se trouver au combat.

[2] Cette mauvaise position, dit Langeron, ne lui offrait nulle gloire et d'éminents dangers.

[3] Cf. sur le pillage de Menin les lettres de l'Anglais Calvert, 135, qui assure que les ennemis ont donné le plus diabolique exemple de leur prétentieuse philanthropie et fraternité, qu'ils ont vidé l'intérieur de chaque maison et détruit méchamment ce qu'ils ne pouvaient emporter. Voir aussi dans le Magasin de Hoyer, II, 5, p. 46, le récit d'un Hessois : Menin a été entièrement pillé ; des hordes tartares ne peuvent faire de ravages aussi barbares que ces hommes sans frein ; partout des maisons brûlées ; des gens dépouillés de tout, presque nus, pleurant, se tordant les mains. Un Belge écrit de Lille, le 16 septembre, au Rougyff (n° 25) que le pillage et le désordre font le malheur de l'armée française.

[4] Mémoire de Houchard ; relation d'Arnaudin ; Levasseur et Béru au Comité, 13 sept. (A. G.) ; Moniteur du 17 septembre (lettres de Bentabole, de Houchard, de Berthelmy, de Béru) ; Hédouville à Osten, 13 sept. ; Dupont à Belair, 15 sept. ; Batave des 21, 28 sept. et du 1er oct. ; Schels, 20-22 ; Witzleben, Il, 298.303 ; Calvert, 131 ; Auckland, III, 118 (Sheffield à Auckland) ; Crossard, I, 65-67 ; Foucart et Finot, II, 136.