LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

HONDSCHOOTE

 

CHAPITRE VII. — HONDSCHOOTE.

 

 

Aspect du pays. — Les six corps de l'armée. — Soldats et généraux. Vandamme, Hédouville, Landrin, Dumesny, Leclaire. — Combat d'Arnèke (5 septembre). — Marche des colonnes françaises. — Landrin devant Wormhoudt et Esquelbecq. — Inaction de Dumesny. — Vandamme à Reninghelst. — Hédouville à Poperinghe, à Rousbrugge, à Oost-Cappel. — Houchard et Jourdan à Houtkerque. — Colaud à Proven. Jourdan à Herzeele et à Bambecque. — Reculade de Prüschenk et de Dachenhausen. — Marche sur Rexpoëde et prise de ce village. Retraite de Freytag. — Le maréchal hanovrien capturé, puis délivré par Wallmoden. — Surprise de Rexpoëde et fuite de l'armée française sur Bambecque (6 septembre). — Journée du 7 septembre : préparatifs d'attaque, Vandamme et Diepenbroick. — Bataille du 8 septembre. — Hédouville vers Bergues, Landrin à Dunkerque, Dumesny devant Ypres. — Échec de Dumesny. — Les trois colonnes : Colaud, Jourdan et Leclaire. — Tentatives de la colonne Jourdan. — Le représentant Delbrel. — Blessure de Jourdan. — La charge. — Péripéties. — Retraite de Wallmoden. — Ce que fit Houchard et ce qu'il aurait dû faire. Réflexions sur la bataille d'Hondschoote.

 

Le pays où les Français allaient combattre les Anglo-Hanovriens n'a pas changé d'aspect. Il est encore, tel qu'il était alors, entièrement plat, et ne présente pas, de Cassel à la plage, une colline, une éminence considérable. Entre les Dunes et le canal de Bergues à Furnes, il est plus bas que le niveau de la haute mer : mais les Dunes le protègent contre l'invasion des flots. Cette plaine immense est très coupée. Des bouquets d'arbres, des bois, des haies, des fossés arrêtent et retardent la marche d'une armée. Le pays, dit justement Berthelmy, est abominable ; on ne voit pas à quatre pas devant soi ; on ne se bat pas ; on se poignarde. Il y a des routes, des chaussées pavées et bonnes en toute saison, comme la route de Dunkerque à Lille par Bergues et Cassel, comme la chaussée qui mène de Bergues à Hondschoote en suivant le bord du canal. Cependant, les chemins de la campagne, nombreux d'ailleurs, tortueux, difficiles à distinguer les uns des autres, sont impraticables durant l'hiver et même après de fortes pluies, dans la belle saison. L'artillerie et la cavalerie ne peuvent sur un pareil terrain, rendre de grands services, et peut-être offrent-elles plus d'obstacles que d'avantages. Ajoutez qu'une foule de rivières ou de ruisseaux traversent la région dans tous les sens. Le plus remarquable de ces cours d'eau, l'Yser, coule de l'ouest à l'est, et passe à Esquelbecq, à Wormhoudt, à Wilder, à Bambecque et à Rousbrugge ; sa rive gauche, couronnée par un petit coteau d'une pente très douce, domine légèrement sa rive droite ; il est large de trois à quatre mètres, mais guéable en beaucoup d'endroits, et les villages ont des ponts de pierre qui ne furent pas détruits en 1793. C'est entre l'Yser et le canal de Bergues à Furnes que se livrèrent les engagements qui précédèrent la bataille d'Hondschoote[1].

L'armée française qui s'avançait pour débloquer Dunkerque, s'étendait sur une ligne de dix lieues, de Bailleul à la mer. Elle comptait six corps :

3.600 hommes guidés par Vandamme ;

10.000 formant l'avant-garde sous les ordres d'Hédouville ;

10.000 au corps de bataille mené par Jourdan ;

9.000 à la droite, sous le commandement de Dumesny ; 6.000 à la gauche sous la conduite de Landrin ;

4. 000 qui composaient la réserve confiée à Leclaire.

C'étaient 42.000 hommes, ardents, exaltés, mais encore neufs pour la plupart et indisciplinés. Les chefs n'avaient que les qualités de leurs soldats, et, comme à presque tous ceux que la Révolution mit à la tête de ses premières armées, le génie de la guerre, les conceptions d'ensemble, les idées hardies leur faisaient défaut. Houchard, nous le savons, avait le caractère hésitant et indécis. Berthelmy et Gay-Vernon étaient instruits, sensés ; ce furent eux qui dirigèrent l'expédition ; et Gay-Vernon régla les détails de la marche. Ils manquaient toutefois d'expérience : ils craignaient, comme Houchard, de subir un revers, et n'osaient entreprendre de vastes mouvements. Les généraux qui commandaient les différentes colonnes n'étaient pas moins craintifs, troublés par la pensée de leur responsabilité ; Houchard et Berthelmy les avaient bien jugés[2]. Seul, Jourdan avait de la vigueur et de la résolution.

Mais Vandamme, à peine âgé de vingt-trois ans et déjà signalé par son bouillant courage, était trop jeune, imprudent et ne jouait un rôle important que parce qu'il connaissait le pays.

Hédouville n'avait que de la vaillance et il ne fit que des sottises[3].

Landrin, ancien canonnier, et chef d'un bataillon de volontaires, devait sa fortune à une note élogieuse de Celiez et de Varia : il avait, disaient les deux commissaires, un rare mérite, de grandes lumières, un patriotisme aussi sûr que prononcé, et il ferait un excellent général d'artillerie. Bouchotte le promut immédiatement divisionnaire, et Landrin, tout étonné de ce soudain avancement, entra le 12 août en fonction. Sa chute fut rapide comme son élévation. Dès le 13 septembre, il était à son tour suspendu par les représentants à la suite d'une scène scandaleuse, pour avoir outragé le commissaire du Comité de salut public, Deschamps. Le malheureux, emprisonné, privé d'emploi, finit, dans sa misère, par accepter une place de capitaine d'infanterie[4].

Dumesny n'était qu'un brave soldat sans beaucoup d'intelligence et de discernement sans cet esprit d'initiative et d'audace qui sied au général[5].

Leclaire, enfant de troupe ou, comme on disait, alors, enfant du corps au régiment d'Anhalt où il conquit tous les grades jusqu'à celui de capitaine, major en 1789 au régiment de Bouillon, et, depuis la Révolution, lieutenant-colonel, colonel, général de brigade, avait pris part à tous les combats des premières campagnes, La Croix-aux-Bois, Grandpré, Valmy, Jemappes, et, après avoir commandé l'aile gauche de l'expédition de Hollande, était revenu dans la Flandre pour assister aux batailles du 1er et du 8 mai, à l'affaire de Famars et à la retraite du camp de César. Il avait du zèle, de l'énergie, du coup d'œil, mais une mauvaise santé[6].

Mais, quelles que fussent les imperfections et les défaillances des Français, l'armée de Freytag devait être battue. Non seulement elle ne comptait que 10 .000 hommes, c'est-à-dire quatre fois moins de monde que l'agresseur ; mais elle occupait une position trop étendue. Nous étions très mal, témoigne Scharnhorst qui commandait une batterie hanovrienne, et Houchard aurait pu nous détruire totalement. Freytag, comme les généraux de son temps, voulait tout garder, tout assurer, et en réalité, ne gardait, n'assurait rien. Mû par le désir de couvrir chaque poste et de fermer chaque issue, il avait éparpillé ses forces, sans imaginer que ses détachements succomberaient l'un après l'autre à une attaque soudaine. Il n'avait d'ailleurs aucune idée du péril imminent. Le 4 septembre, Scharnhorst écrivait qu'il ne doutait plus du succès, que la prise de Dunkerque terminerait la campagne de 1793, et il proposait à sa femme de passer l'hiver avec lui ; il irait la chercher à Cologne et la ramènerait dans ses cantonnements à travers le Brabant et la Flandre. Mais déjà s'annonçait le futur échec. Le 5 septembre, sur l'ordre du duc d'York, Freytag faisait assaillir le village d'Arnèke. Sous le feu des tirailleurs français, les Hanovriens de Diepenbroick et de Fabry n'avancèrent qu'avec peine sur un terrain coupé ; ils durent donner l'assaut au cimetière, et ils ne conquirent Amélie qu'après avoir essuyé des pertes relativement considérables. Ils eurent 200 des leurs hors de combat. Le capitaine Schlüter fut tué, et le général Fabry, blessé. Scharnhorst et l'Anglais Calvert désapprouvèrent cette échauffourée : L'attaque, disait Scharnhorst, était irréfléchie et inutile ; ce fut notre première disgrâce et elle enhardit les Français.

Le 6 septembre, à trois heures du matin, les colonnes françaises s'ébranlèrent.

Vandamme devait prendre Reninghelst, puis faire sa jonction avec Hédouville ; — Hédouville, se porter sur Poperinghe, nettoyer les bois et tenter à Rousbrugge le passage de l'Yser ; — Jourdan, se diriger sur Houtkerque ; — Dumesny, partir de Bailleul, tourner à droite, brûler ou enlever Ypres ou du moins couper les communications de cette ville avec Poperinghe ; — Landrin, opérer une fausse attaque sur le village de Wormhoudt et s'en saisir le lendemain à l'aube du jour ; — Leclaire, suivre Landrin et longer le canal de Bergues à Hondschoote.

Landrin, chargé de contenir Wallmoden à Wormhoudt et à Esquelbecq, s'acquitta strictement de ses instructions. Il aborda les deux villages, fut repoussé sur tous les points ; mais il avait exécuté les démonstrations prescrites par Houchard, et il se garda de faire davantage.

Dumesny ne bougea pas. Il aurait dû marcher après que les chasseurs du Mont-Cassel auraient défilé devant lui. Une faute de l'état-major lui fournit un prétexte pour rester dans l'inaction. Le 5, au soir, Gay-Vernon avait appelé Vandamme ; il lui montra la route sur la carte, lui expliqua les mouvements, et, sans lui donner rien d'écrit, le pria de transmettre à Dumesny les intentions du général en chef. Mais, lorsque Vandamme se présenta, Dumesny déclara qu'il n'obéirait pas à un ordre purement verbal, et il demeura toute la journée du 6 dans son camp de Bailleul.

Vandamme se passa de Dumesny. Il chassa les avant-postes hanovriens de Westoutre et de Reninghelst, et les rejeta sur Ypres.

Hédouville enleva Poperinghe et força deux bataillons hanovriens qui défendaient la ville, à battre en retraite sur Vlamertinghe. Puis, se portant sur Proven et s'unissant en cet endroit aux troupes de Colaud, il s'empara de Rousbrugge, traversa 1'Yser, et, au soir, avant neuf heures, il était à Oost-Cappel. Que pouvait contre la masse des Français la poignée de Hanovriens du colonel de Linsingen ? Elle dut, malgré sa vive résistance, reculer sur Rexpoëde et de là sur Hondschoote.

Au corps de bataille où se trouvaient, avec Jourdan, Houchard et les représentants Delbrel et Levasseur, la lutte tournait autrement qu'on ne l'avait cru. Elle était favorable aux républicains, mais après combien de péripéties curieuses et de dramatiques angoisses ! Dès sept heures du matin, Français et Hanovriens étaient aux prises. Colaud[7] qui menait l'avant-garde, attaqua les villages de Watou et de Houtkerque avec vigueur, et s'en rendit maitre. Les ennemis se retirèrent, les uns par la route de Proven sur le bois de Saint-Six, les autres sur Herzeele.

Houchard devait se joindre incontinent à Hédouville pour marcher sur Rousbrugge, Oost-Cappel et Hondschoote. Mais Ernouf remarqua qu'on laisserait Herzeele sur la gauche, que ce poste était garni de troupes et venait d'être renforcé par les fuyards de Houtkerque, qu'il fallait selon les règles de la prudence s'emparer de Herzeele avant de pou.ser outre. Houchard suivit le conseil d'Ernouf. Il décida que Jourdan se dirigerait sur Herzeele avec '1.000 hommes, tandis que l'avant-garde de Colaud irait sur Proven. Lui-même se mit à la tète de cette avant-garde et la conduisit à Proven. Puis il courut à Herzeele.

Le combat y était opiniâtre. Le colonel Prüschenk tenait les abords du bourg avec le bataillon des chasseurs hessois, deux compagnies de Laudon-Vert et un escadron de dragons. Mais, après avoir pris un canon et pénétré jusque dans le bois entre Herzeele et Winnezeele, le bataillon hessois, accablé, lâcha pied. Bientôt Herzeele fut enveloppé de tous côtés. Le colonel Prüschenk commanda la retraite vers Bambecque. Les Hessois, s'abritant derrière une petite élévation de terrain, se replièrent sur la rive gauche de l'Yser sans essuyer de perte. Les compagnies de Laudon-Vert furent refoulées dans les broussailles et abandonnèrent une pièce d'artillerie. La cavalerie dut se faire jour le sabre à la main.

Néanmoins Prüschenk défendit encore le passage de la rivière. Il avait trouvé à Bambecque un bataillon d'infanterie et deux escadrons qui formaient le détachement du général Dachenhausen, et le pont qui conduit au village était couvert par un ouvrage armé de plusieurs bouches à feu. Les républicains se présentèrent. devant le pont et le canonnèrent avec deux pièces de 8. Mais leur attaque fut ralentie par un orage affreux qui dura près de deux heures. Un aide de camp de Jourdan vint dire que la pluie empêchait le combat, que les soldats avaient consommé leurs cartouches, que l'ennemi s'obstinait, qu'il semblait impossible d'en avoir raison, et qu'on ferait bien de quitter la partie. Berthelmy s'indigna : Il faut vaincre à tout prix, s'écriait-il, et s'il n'y a plus de cartouches, qu'on se serve des baïonnettes ! Il proposa de tourner le pont, et son avis fut écouté. Un bataillon du 36e passa l'Yser à gué au-dessous de Bambecque et prit l'adversaire en flanc. Berthelmy était au premier rang ; il avait avec lui des tambours qui battaient la charge. Prüschenk évacua Bambecque et, ainsi que le général Dachenhausen, recula sur Rexpoëde. Sa troupe était épuisée. Le bataillon des chasseurs hessois comptait plus de quarante tués ou blessés, et parmi ces derniers, le colonel Prüschenk qui avait reçu quatre coups de fusil, le capitaine Ochs et le lieutenant Lentulus.

Les Français n'étaient pas moins harassés. Battus de l'orage, brisés par la fatigue de cette lutte qui durait depuis le matin, ils murmuraient à la vue des chemins horribles où ils devraient s'engager. Houchard déclara qu'on en resterait là, que la possession de Bambecque était un grand et sérieux succès, qu'il allait de Bambecque lier facilement ses avant-postes à ceux d'Hédouville qui s'établissaient à Oost-Cappel. Mais les représentants lui répondirent que, puisque les Hanovriens étaient en déroute, il fallait suivre son avantage et pousser sur Rexpoëde. Des officiers de l'état-major objectèrent que ce mouvement n'avait pas d'objet, qu'il valait mieux se diriger sur Hondschoote par Oost-Cappel, qu'il se faisait tard, qu'il serait dangereux d'atteindre Rexpoëde à la nuit, qu'on prendrait nécessairement de mauvaises dispositions, qu'on se trouverait entre deux camps ennemis et que les alliés qui connaissaient le pays, profiteraient sans doute de l'obscurité pour attaquer l'armée française dans ses quartiers. Houchard partageait cette opinion. Il craignit toutefois d'être blâmé par les conventionnels s'il n'assaillait pas Rexpoëde avant la nuit. Le corps de bataille marcha sur Rexpoëde.

L'endroit est tellement entouré de haies qu'on le croirait situé au milieu d'un bois. Dachenhausen mandait à Freytag qu'il comptait s'y maintenir avec les troupes qu'il avait amenées de Bambecque. Elles ne firent qu'une faible résistance et se replièrent aussitôt vers Killem et Hondschoote. Les Français, plus las que jamais, entrèrent à Rexpoëde. La nuit venait. L'orage avait éclaté de nouveau. Les soldats cherchèrent un asile dans les maisons.

La plus grande partie de la cavalerie se réunit au milieu du village. Quelques escadrons restèrent au dehors. Houchard avait, avec Ernouf, placé les postes ; nous serons attaqués, disait-il à Delbrel.

Presque au même instant, le maréchal Freytag avait résolu de battre en retraite. Quoiqu'il eût repoussé les attaques de Landrin contre Esquelbecq et Wormhoudt, il remarquait avec une inquiétude croissante les progrès des républicains sur la gauche de sa ligne de défense : ils ne se contentaient pas de rompre son front à Bambecque ; ils menaçaient de le prendre à revers par Rousbrugge et Oost-Cappel. Les ennemis, rapporte Scharnhorst, nous environnaient de tous côtés ; pas un endroit, pas une direction en arrière, à droite, à gauche, où nous ne fussions assaillis et n'entendions la fusillade : mais partout on tint assez ferme jusqu'à ce qu'il fît sombre, et alors on se mit à se tirer d'affaire aussi bien que possible. Freytag décida donc que son armée reculerait sur Hondschoote. Tous les détachements qui campaient autour de Bergues, se réuniraient à Maison-Blanche. Le reste qui se rassemblait à Wilder, se porterait sur Rexpoëde, et formerait deux colonnes, l'une, composée surtout d'infanterie et commandée par le général Von dem Busche, l'autre qui emmenait avec elle l'artillerie et que Freytag conduisait en personne ; la première de ces colonnes prendrait le chemin de West-Cappel ; la seconde ; la routé de Wilder.

Freytag était parti vers onze heures du soir. II ne savait pas que Rexpoëde était aux mains des Français, et les officiers qui devaient lui annoncer la retraite de Dachenhausen, ne l'avaient pas rencontré. Aussi, marchait4l sans trop de précaution en avant de l'artillerie, avec le prince Adolphe d'Angleterre, ses aides de camp, le général Trew et le capitaine Scharnhorst, 24 dragons et 100 hommes de la garde. Soudain, à quelques mètres de Rexpoëde, il est assailli par un escadron de cavalerie française. Tout le monde, dragons, garde, officiers, se disperse, s'enfuit vers les canons. Le général Trew se sauve à travers la campagne. L'officier d'ordonnance du maréchal tombe percé d'un coup de sabre. Un dragon de sa suite a le crâne fendu. Freytag, blessé à la tète, perdant son sang, défaille et s'affaisse dans un fossé. Le prince Adolphe d'Angleterre, blessé pareillement et un instant prisonnier, ne doit son salut qu'au dévouement du capitaine d'Uslar et du lieutenant de Wangenheim qui sacrifient leur vie pour délivrer leur prince : Uslar est tué et Wangenheim gravement atteint. L'escorte s'était arrêtée sur le chemin entre des haies ; mais elle refusait de se battre dans les ténèbres. Trois fois on essaie de la faire charger ; trois fois elle s'élance pour tourner bride aussitôt et s'abriter jusqu'au milieu des canons. On appelle six escadrons qui sont derrière ; mais comment les porter en avant sur une voie étroite que les voitures encombrent, et autour de laquelle tourbillonnent les Français ? Pourtant le colonel Mylius accourt avec son fer bataillon de la garde hanovrienne. Mais, au fracas de cette échauffourée, Houchard commandait à Jourdan de ne laisser que trois bataillons dans Rexpoëde et d'envoyer les autres en arrière du village sur la route de Bambecque. Les bataillons qui sortent du bourg, poussent à la rencontre de Mylius, et l'accueillent par un feu de mitraille. Les fantassins hanovriens plient de tous côtés. La colonne de Freytag, privée de son chef, égarée dans l'obscurité, ignorant le nombre des ennemis qui l'attaquent, se rabat sur la gauche, hors de portée des balles. Infanterie, cavalerie, artillerie errent par les champs dans le plus grand désordre. Les Français, rassurés, certains d'avoir refoulé l'adversaire, et ne pouvant le poursuivre en pleine nuit, ne pensent plus qu'au repos et allument des feux de bivouac. Freytag, revenu de son étourdissement, se relève, se dépêtre du fossé où il gisait, et cherche à rejoindre ses troupes. Il passe devant un bivouac, puis devant un autre, entend les soldats parler français, se rejette en arrière et arrive à un troisième bivouac, prête l'oreille ; pas un bruit, pas un mot ; il s'approche doucement ; il croit trouver des compatriotes. Ce sont des Français. Pris, entraîné à Rexpoëde, il se garde bien de se nommer. Ceux qui le conduisaient étaient des jeunes gens imberbes, et ils considéraient avec respect ce vétéran tout meurtri de sa chute et couvert du sang qui ruisselait sur son visage. Au bout de quelques moments, l'un d'eux lui demande sa bourse. Freytag tend sa bourse pleine d'or. Monsieur, c'est trop, dit le Français, donnez ce que vous voudrez, et il rend la bourse à Freytag, qui distribue une poignée de ducats. On entre à Rexpoëde, on enferme le captif dans une maison, et l'on place deux sentinelles à la porte. Mais bientôt se présentent d'autres soldats, puis d'autres encore ; ils se précipitent sur Freytag, le dépouillent complètement, le maltraitent, le piétinent. Pour échapper à de nouvelles violences, il finit par gagner la porte et reste sur le seuil entre les deux factionnaires.

Il allait être délivré. Wallmoden, resté à Wilder pour défendre le pont, avait voulu rattraper Freytag. Les fuyards qu'il rencontre, le colonel de Spörken et le lieutenant-colonel Kuntze, lui disent que les Français sont à Rexpoëde, et que le maréchal a disparu. Il prend incontinent son parti. Sans s'inquiéter de la colonne de Freytag, il vole à la colonne de Von dem Busche qui se dirige sur West-Cappel, ordonne à ce général de se mettre à la tête du 2e bataillon de grenadiers hanovriens et de quelques compagnies autrichiennes de Laudon-Vert et du régiment Brentano, et d'enlever Rexpoëde coûte que coûte. Les soldats ont été tout le jour au combat, ils ont longtemps cheminé par la boue et l'averse, ils n'ont plus que huit cartouches par homme. Mais Wallmoden les encourage, leur rappelle leur devoir, leur montre qu'il faut sauver des camarades, qu'il faut à tout prix emporter Rexpoëde pour arracher Freytag à la captivité, pour rallier et dégager sa colonne compromise, qu'il faut s'ouvrir par la force l'unique voie de retraite qui reste à l'armée. Guidé par un paysan, Von dem Busche traverse West-Cappel, atteint sous une pluie battante la chaussée de Bergues, puis oblique vers Rexpoëde ; il commande à sa troupe de garder le silence ; il pousse dans les champs, à droite et à gauche de la route, deux canons dont le roulement trahirait sa marche ; à minuit, il est aux abords de Rexpoëde. Il brique ses pièces sur le cimetière où il voit un grand nombre de Français réunis autour d'un immense feu de bivouac. Criblés de mitraille, attaqués à l'improviste sur leurs derrières, les carmagnoles courent aux armes. Ils tournent deux pièces d'artillerie légère contre les assiégeants ; mais les Austro-Hanovriens tuent les canonniers et, conduits par le général Von dem Busche et le major de Drieberg, ils s'élancent, culbutent tout ce qu'ils trouvent sur leur passage et envahissent le village.

Houchard, Delbrel et plusieurs officiers de l'état-major étaient entrés dans la maison d'un potier où ils avaient trouvé de la bière et du pain de munition, précieuse aubaine, comme disait le conventionnel, pour des gens qui n'avaient pu se réconforter et se rafraîchir depuis le matin. On buvait gaiement dans la sécurité la plus profonde, et l'on s'entretenait des événements de la journée lorsqu'éclata la canonnade, suivie, d'une (clameur qui retentissait de, toutes parts : aux armes ! Il fallait fuir. Les Hanovriens étaient déjà devant la maison du potier. Coquebert de Montbret fut capturé à l'instant où il mettait le pied à l'étrier. Houchard, Delbrel et les autres n'eurent que le temps de sauter en selle et de rejoindre le gros de la division qui bivouaquait sur la route de Bambecque.

Le général en chef envoya sur-le-champ à Hédouville l'ordre de marcher d'Oost-Cappel sur Rexpoëde. Mais ses deux messagers tombèrent entre les mains de l'ennemi. Pourtant, Rexpoëde n'était pas pris encore. Jourdan faisait face aux Hanovriens avec les trois bataillons qui restaient dans le village. On combattait au milieu de l'obscurité la plus épaisse, on se heurtait avant même de s'être aperçu, on n'avait d'autre point de mire que le feu de l'adversaire. Mais les républicains, décontenancés par la soudaineté de l'attaque, et comme frappés de stupeur, ne luttaient que très mollement. La plupart, amassés sur la place, ne songeaient qu'à se garantir des projectiles. Jourdan s'efforça vainement de les entraîner. Il vit bientôt que toute résistance serait inutile. Mais il était seul, sans état-major, sans officiers d'ordonnance, et il n'osait prescrire la retraite. Il courut demander à Houchard ses instructions. Le général en chef lui permit d'évacuer Rexpoëde et de reculer sur Bambecque où lui-même allait se retirer avec toutes ses troupes. Jourdan se hâta de retourner à Rexpoëde ; mais pendant son absence, si courte qu'elle eût été, les Hanovriens s'étaient rendus maîtres du village, et les nationaux, saisis de panique, fuyaient dans une affreuse confusion sur Oost-Cappel. Dès ses premiers pas, Jourdan reçut à bout portant une décharge de mousqueterie. Il rebroussa chemin sans savoir ce qu'étaient devenus ses bataillons, et gagna Bambecque où déjà se répandait le bruit de sa mort.

Freytag était sauvé. Ses sentinelles l'avaient abandonné dès le commencement de l'action. Il rentra dans la maison. Un sergent-major et cinq soldats vinrent successivement s'y cacher. Mais le lieutenant Von dem Busche, fils et aide de camp du général, et l'enseigne Arentschildt s'étaient juré de retrouver Freytag. Ils frappèrent à la porte et reconnurent la voix du maréchal ; ils pénétrèrent en criant aux Français de se rendre : Ne leur faites pas de mal, dit Freytag, ils m'ont bien traité ; mais les autres qui étaient ici auparavant m'ont foulé aux pieds, moi, un vieillard ! Il était las et souffrait de sa blessure. On le coucha sur un caisson et l'emmena à Furnes.

Cette affaire de Rexpoëde fut décisive. Elle ouvrait aux alliés le chemin d'Hondschoote que les Français auraient pu lui couper. Wallmoden avait pris le commandement. Il mit en ordre les colonnes et les conduisit le lendemain matin à Hondschoote, après avoir fait filer durant la nuit l'artillerie et les bagages. Mais il fallut, pour pousser les canons, débarrasser la route des blessés qui l'obstruaient, et Scharnhorst se souvint toute sa vie des cris déchirants qu'il entendit et de la douleur qu'il éprouva lorsqu'il dut jeter dans les fossés ses compatriotes qui respiraient encore.

Houchard, Jourdan, les représentants attendirent le jour à Bambecque dans la plus vive anxiété. Le général en chef, ignorant qu'il avait cédé devant un millier d'hommes, et se croyant en présence de tout un corps d'armée, s'étonnait de n'être pas poursuivi. Le désordre était indescriptible. Les bataillons débandés refluaient dans la direction de Cassel. On essayait de les retenir. Mais les soldats, sûrs de n'être pas reconnus dans les ténèbres, détalaient aussi vite qu'ils pouvaient à travers la pluie et la boue. Delbrel, Berthelmy et les officiers de l'état - major passèrent la nuit à courir autour de cette traînée de fuyards. A force d'exhortations et de menaces, ils parvinrent à rallier la division. Pour la concentrer et la débourrer, la tirer des chemins exécrables où elle pataugeait depuis plusieurs heures, Houchard recula de Bambecque sur Herzeele.

Telle fut la journée du 6 septembre. Tandis que Dumesny demeurait oisif à Bailleul, que Landrin faisait une démonstration sur Esquelbecq et Wormhoudt, que Vandamme prenait Reninghelst, que Hédouville et Colaud s'emparaient de Rousbrugge et d'Oost-Cappel, Jourdan et Houchard, après avoir occupé Bambecque et Rexpoëde, se repliaient sur Herzeele, comme s'ils étaient vaincus, et, malgré la supériorité du nombre, ils n'avaient pu détruire ou capturer un seul détachement de l'armée d'observation.

 

La journée du 7 septembre n'eut presque aucun résultat. Houchard était obligé d'interrompre l'expédition, de débrouiller le chaos de la division du centre qui, après l'avantage de la veille, était confuse et mêlée comme après une défaite, de rendre du cœur à ces troupes novices, si promptes à s'effrayer, si insouciantes, si gaspilleuses. Il avait prescrit que chaque homme eût des vivres pour quarante-huit heures et cent cinquante cartouches. Dans la matinée du 7, les bataillons de Jourdan n'avaient plus ni pain, ni eau-de-vie, ni munitions ; ils avaient vidé, le jour précédent, leur sac et leur giberne.

Hédouville était intact, et, à huit heures du matin, il quittait Oost-Cappel, attaquait l'arrière-garde de Wallmoden qui marchait de Rexpoëde sur Hondschoote. Cette arrière-garde formait l'extrême droite de l'armée d'observation. Elle était partie trop tard, et Hédouville pouvait lui fermer le chemin d'Hondschoote, la recopier au nord vers le canal de Furnes. Mais les Hanovriens, animés par le courage du désespoir, réussirent à se frayer un passage, et à rejoindre leurs compatriotes dans l'après-midi.

Vandamme fut plus hardi qu'Hédouville. Il avait passé par Rousbrugge, passé par Rexpoëde où il fit halte pour rassembler ses troupes, puis par West-Cappel. Là, il rencontra le convoi que Wallmoden envoyait à Furnes. Il l'inquiéta et le harcela, s'empara de plusieurs voitures de bagages et d'un détachement de dragons. Enhardi par ce succès, Vandamme poussa sur Hondschoote, à quatre heures du soir. Un feu de mousqueterie et d'artillerie s'engagea des deux parts. Vandamme assure qu'il était très vif et très soutenu, que balles, biscaïens et boulets tombaient comme grêle, que ses tirailleurs entrèrent néanmoins dans la première rue d'Hondschoote. Mais ce que Vandamme ne dit pas, c'est qu'il recula devant une charge audacieuse des -Hanovriens. Fatigué, désireux d'en finir, le général Diepenbroick ordonne soudain à ses bataillons de mettre la baïonnette au bout du fusil, s'élance sur les républicains et leur enlève trois canons. La nuit venait, et Vandamme se retira sur Killem où il fit cuire du pain et tuer des bestiaux pour son avant-garde affamée.

 

Le 8, se livra la bataille. Wallmoden pouvait l'éviter ; mais, sur les ordres de York, il l'accepta. Dans l'après-midi du 7, le général Werneck et le marquis de fouillé l'avaient instamment prié, au nom du duc, de lutter encore, et un régiment hessois, le régiment Erbprinz ou du prince héritier, détaché de l'armée de siège et commandé par le général-major Cochenhausen, était venu le renforcer. Le corps d'observation s'établit donc en avant d'Hondschoote. Il appuyait sa droite au canal de Bergues et sa gauche aux jardins du village de Leysele. La ville d'Hondschoote, derrière le centre de la position, n'était nullement propre à la défense parce qu'elle est ouverte presque de tous côtés. Mais Wallmoden garnit d'infanterie et d'artillerie les buttes, les remparts qui tombaient en ruines, les vieilles maisons du dehors et le cimetière. Il fit construire à la hâte de petites redoutes sur ses deux flancs. Au centre, sur une éminence où s'élevait un moulin à vent, il mit une batterie de huit pièces et de quatre obusiers, et cette batterie dominait le seul chemin que les pluies n'eussent pas défoncé, la seule voie praticable aux Français, la chaussée pavée qui mène de Killem à Hondschoote. Toutefois, le terrain, plein de buissons et de bouquets d'arbres qui donnent au pays l'aspect d'un véritable bocage, n'était pas favorable aux coalisés, et les Français furent surpris que l'adversaire n'eût pas élagué les haies qui leur offraient un couvert. En outre, sur ce sol coupé, la cavalerie ne servait à rien ; aussi Wallmoden l'avait-il placée en arrière, à droite de la route de Furnes.

Houchard avait fait, la veille, des dispositions d'attaque. Cette fois encore, il commit des fautes. Au lieu d'appeler à lui les divisions d'Hédouville, de Landrin et de Dumesny, il envoya l'une vers Bergues, l'autre à Dunkerque, et la troisième sur Ypres. Le général d'Hédouville était à Oost-Cappel : Houchard lui enjoignit de se porter aux environs de Bergues, et, s'il ne rencontrait pas d'ennemi, de s'établir entre Oost-Cappel et Leysele pour participer à la bataille. Le général Landrin avait, après la  retraite des Hanovriens, occupé sans coup férir Esquelbecq et Wormhoudt : il eut mission de renforcer la garnison de Dunkerque. Le général Dumesny, qui restait à Bailleul sous prétexte qu'il n'avait pas d'ordre écrit, reçut les mêmes instructions qu'auparavant : il devait bombarder Ypres et s'en saisir, si l'occasion était propice. Houchard croyait qu'Hédouville reviendrait à temps pour jouer son rôle dans l'action, que Landrin empêcherait le duc d'York d'envoyer du secours au corps d'observation, et que Dumesny faciliterait les opérations de l'armée française en couvrant sa droite. Il eût bien mieux fait de garder sous sa main ces trois divisions qui grossissaient ses forces et qui l'eussent aidé dans la journée du 8 à cerner Wallmoden et à recueillir tous les avantages de la victoire. Ni Hédouville, ni Landrin, ni Dumesny ne firent rien d'utile. Hédouville arriva trop tard et n'assista pas à la bataille. Landrin mena très mollement les sorties de la garnison dunkerquoise et laissa deux bataillons hessois se jeter dans Hondschoote. Dumesny échoua piteusement dans son entreprise. Le 8, il poussait sur Ypres après avoir refoulé les tirailleurs qui lui disputaient le village de Vlamertinghe et le soir, à la faveur des buissons, deux de ses officiers, l'un du génie, l'autre de l'artillerie, reconnaissaient les abords d'Ypres et le corps de la place. Le lendemain, au matin. durant cinq heures, trois batteries, l'une de 16 et de 12, l'autre de 18,1a troisième d'obusiers, canonnaient Ypres. La ville était défendue par vingt-quatre pièces et n'avait pour toute garnison que 700 Hanovriens qui manquaient de cartouches, et un bataillon autrichien de Stuart, commandé par le colonel de Salis. Mais Dumesny ignorait la faiblesse numérique des assiégés et il crut aux espions qui lui annonçaient faussement que des masses considérables venaient de Menin sur sa droite et sa gauche. Dès le 9 septembre, il ordonnait la retraite qui s'exécuta à huit heures du soir, sous la pluie et parles mauvais chemins. Encore eut-il le chagrin de voir ses troupes se livrer au désordre. Vainement les officiers les sermonnaient en mêlant à leurs remontrances d'énergiques sacre-dieux. Le soldat, écrit le commissaire des guerres Chivaille, s'est beaucoup trop occupé du pillage et les chefs n'ont pas toujours été écoutés quand ils ont voulu l'arrêter ; si l'on ne fait pas un exemple éclatant, je ne sais ce que nous deviendrons quand nous entrerons en Belgique[8].

Mais, bien que privé des divisions Hédouville, Landrin et Dumesny, Houchard avait encore assez de monde pour battre l'adversaire. Le 8, à trois heures du matin, il ébranlait le centre de l'armée. A neuf, il débouchait au hameau des Cinq-Chemins, à 1.200 mètres environ au sud d'Hondschoote. Il s'étonna que ce poste, qui lui semblait de grande importance, ne fût pas défendu, et il interrogea les habitants pour savoir si les alliés occupaient Hondschoote et combien ils étaient. Les paysans lui répondirent qu'on ignorait le nombre des ennemis, que personne ne pouvait approcher de leur camp, mais qu'ils se trouvaient sûrement à Hondschoote.

Gay-Vernon alla reconnaître la position et s'en approcha tellement qu'il put compter les bouches à feu que renfermaient les batteries. Il revint dire que Wallmoden avait sans doute usé de prudence en n'établissant ni avant-postes, ni défenses extérieures, que ce général craignait l'enlèvement de ses vedettes qui auraient renseigné les Français, qu'il se tenait sur ses gardes et occupait fortement les endroits accessibles, mais que le terrain montait en pente douce vers Hondschoote et que l'armée pousserait facilement jusqu'à cent toises des retranchements en se couvrant des haies et des bois.

Les rapports de Gay-Vernon ne suffisaient pas à Houchard. Il fit lui aussi sa reconnaissance, et à la vue du sol coupé d'arbres, de broussailles et de fossés, à la vue des canons et des redoutes, il déclara que l'attaque serait très difficile. Il aurait dû tourner la gauche des Hanovriens qui n'avait d'autre appui que le village de Leysele. L'aspect imposant de cette aile où Wallmoden avait posté une partie de sa grosse artillerie, l'abusa. Il résolut de diriger ses efforts sur la ligne entière et, comme avait fait Dumouriez à Jemappes, de l'attaquer vivement sur tous les points.

Colaud devait combattre à la droite et marcher entre Killem et Beveren. Jourdan aborderait le centre et emporterait la chaussée de Killem. A gauche, Leclair, sorti de Bergues, suivrait la rive du canal, se joindrait à Vandamme qui flanquait la gauche de Jourdan, et de concert avec lui, enfoncerait la droite des coalisés. 21.009 Français s'avançaient contre 13.000 Anglo-Hanovriens ; mais Wallmoden, ne pouvant se servir de sa cavalerie, ne disposait en réalité que de 9.000 fantassins.

Dix canons furent amenés au centre, en tête de la colonne de Jourdan, et tonnèrent contre la batterie que Wallmoden avait installée en avant d'Hondschoote. Le feu de l'artillerie française était habilement dirigé. Quelques canonniers hanovriens furent blessés, non seulement par les boulets, mais par les éclats de bois que les projectiles enlevaient des maisons voisines et jetaient dans les batteries. Toutefois Houchard ne lançait pas encore l'infanterie. Il attendait que la colonne de Colaud, guidée par Berthelmy, eût atteint l'emplacement qu'il lui avait assigné. Mais cette colonne fit un grand circuit et deux heures se passèrent avant pi elle fût en ligne. L6 centre trépignait d'impatience. Bientôt des enfants perdus sortirent des rangs et engagèrent la fusillade. Houchard les laissa faire ; puis, voyant qu'ils se repliaient, détacha plusieurs centaines de tirailleurs. A leur tour, ces tirailleurs n'eurent pas l'avantage. La colonne de Jourdan, émue par leur reculade, émue aussi par le canon qu'elle essuyait à demi-portée, se mangeait le sang. En vain Delbrel remontrait à Houchard qu'il était dangereux de garder immobile sous le feu une troupe qui brûlait du désir de combattre, que les choses s'aggravaient, que l'action qui paraissait de petite conséquence, prenait de considérables proportions. En vain il disait que la mousqueterie retentissait des deux côtés, que les divisions de droite et de gauche assaillaient les avant-postes ennemis, qu'il ne fallait pas différer l'attaque. Houchard n'osait prescrire un mouvement décisif. Delbrel, entendant des murmures et voulant donner aux soldats l'exemple du courage passif, alla se mettre à la tête de la colonne, entre deux canons, et resta là, s'exposant au péril, bravant la mort avec crânerie, offrant par son panache tricolore et par le cheval blanc qu'il montait un point de mire aux artilleurs hanovriens. Mais enfin la division n'y tient plus ; elle ne saurait durer en place ; de son propre chef, elle se précipite, frémissante. Presque tous les bataillons se débandent et s'éparpillent en tirailleurs. Rien ne peut d'abord résister à leur élan. Ils se servent avec adresse, pour se couvrir, des fossés, des haies, des buissons. Ils enlèvent des épaulements ; ils approchent peu à peu des Hanovriens déployés en longues lignes, et, malgré les salves de peloton qui les accueillent, menacent le flanc gauche de la position.

Wallmoden, inquiet, fait avancer une partie de son infanterie. Le général major de Cochenhausen était posté à quelques centaines de pas à gauche d'Hondschoote avec le premier bataillon du régiment Erbprinz et deux compagnies de Brentano Il eut ordre de se jeter au-devant des tirailleurs républicains et de les refouler. Cochenhausen marcha sur-le-champ, et ces huit compagnies qui s'ébranlaient gravement et avec un calme imperturbable, mirent en déroute le centre de l'armée française. De toutes parts les nationaux étaient en fuite. Le péril sembla si grand que Houchard réunit les drapeaux et les envoya sur les derrières sous la garde d'un bataillon.

Exaspéré, Delbrel reprochait au général ses tergiversations. Houchard, embarrassé, répondait que l'affaire était très chaude, qu'il ne croyait pas l'adversaire aussi fort, et au bout de quelques minutes, lâcha le mot de retraite. Le représentant éclata : il déclara que l'armée ne reculerait pas ; qu'elle était trop engagée pour se retirer ; qu'on avait tout à craindre d'un mouvement rétrograde ; que les troupes, pour la plupart de récente levée, ne pourraient pas se replier lentement et sans confusion ; que le signal de la retraite serait le signal du sauve qui peut ; bref, concluait Delbrel, il fallait pousser en avant ; l'attaque était l'unique ressource, le seul espoir de salut qui restait ; pourquoi ne pas se fier à la valeur et à l'impétuosité des Français ? Levasseur et Jourdan l'approuvèrent. Houchard céda. Trois bataillons avaient gardé leurs rangs et ne s'étaient pas encore dispersés, comme les autres. Il appela cette demi-brigade pour arrêter la marche victorieuse de Cochenhausen. Il pria Jourdan de rallier sa division aussi bien que possible et de tenter un nouvel assaut. Il dépêcha un officier à la division de gauche qui devrait fondre vigoureusement sur l'ennemi lorsqu'elle entendrait battre la charge au centre. Il recommanda pareillement à Jourdan de n'attaquer que lorsque la charge battrait à la droite. Lui-même courut à cette droite pour lui donner l'impulsion. Le représentant Levasseur l'accompagnait.

Delbrel restait avec Jourdan à la division du centre. Tous deux calculaient que Houchard était depuis longtemps à la division de droite, et ils attendaient fébrilement le signal de l'attaque générale. Mais la charge ne battait pas. Les troupes ralliées par Jourdan ainsi que les trois bataillons de réserve, s'étaient élancées derechef en tirailleurs et, après avoir gagné du terrain, pliaient pour la seconde fois sous le feu des compagnies de Cochenhausen qui ne cessaient d'avancer, fermes et flegmatiques, malgré les obstacles du sol. Jourdan et Delbrel s'efforcent inutilement de retenir et de ramener les fuyards. Bientôt ils se trouvent seuls en avant de la ligne française. Ils n'avaient pas néanmoins perdu courage et ils agitaient les moyens de rallier une troisième fois la division du centre et d'opérer une troisième attaque. Jourdan proposa de battre la charge sans plus attendre, de faire donner le bataillon qui gardait les drapeaux et de se servir de la cavalerie qui demeurait inactive pour arrêter les fugitifs et les pousser au combat. Que le bataillon qui garde les drapeaux, disait-il, débouche au pas de charge et forme une tête de colonne qui impose aux tirailleurs ennemis ; nos fuyards, rassurés, reviendront à nous ; la colonne ira se grossissant comme une boule de neige, et, si nous battons la charge, la division de gauche nous secondera. Delbrel applaudit à cet avis. Mais le général ajoutait qu'il avait les bras liés par les ordres de Houchard ; on lui avait commandé de ne rien entreprendre au centre avant que la droite eût commencé l'attaque ; s'il échouait, on imputerait le revers à sa désobéissance. Delbrel se détermina sur-le-champ ; quel que fut l'événement, il croyait bien faire et voulait, dans cet instant critique, se dévouer au salut de l'armée. Vous craignez la responsabilité, dit-il avec vivacité à Jourdan ; eh bien je prends tout sur moi et je vous donne l'ordre formel d'attaquer aussitôt ; mon autorité prime celle du général en chef, et vous ne pouvez balancer. Puis, se radoucissant : Vous m'avez mis dans la nécessité de vous parler en supérieur ; je vais maintenant agir en subordonné : je serai raide de camp, l'adjudant qui vous manque. Il courut chercher la cavalerie et la mit aux trousses des fuyards. Il amena le bataillon qui gardait les drapeaux. Mais il ne trouva plus Jourdan à l'endroit où il l'avait laissé : le général, légèrement blessé par un boulet qui lui effleura la poitrine, avait dû se retirer.

Tout semblait désespéré, et Houchard avoue que le combat devenait toujours plus rude. L'infanterie de Cochenhausen n'avait pas interrompu sa marche lente et menaçante. La batterie qui ripostait à la batterie du moulin d'Hondschoote allait être compromise. Les canonniers ne savaient que faire : s'ils ne bougeaient pas, leurs pièces tomberaient peut-être aux mains de l'ennemi, et, s'ils rétrogradaient, ils décidaient la défaite ; quelle est l'infanterie qui ne se dissipe pas lorsqu'elle voit la retraite de sou artillerie ? Par bonheur, la charge se fit entendre dans ce moment à la droite. On la battit au centre. On la battit à la gauche. Les carmagnoles s'élancèrent de nouveau, la baïonnette au bout du fusil. Delbrel les menait, et les soldats, s'animant les uns les autres par les cris de Vive la Nation, Vive la République, suivaient avec enthousiasme le plumet du conventionnel. Ils se jetèrent dans un large fossé dont les bords étaient couverts d'une haie épaisse. Ils criblèrent de balles la colonne de Cochenhausen qui s'arrêta brusquement. A cet instant revenait Houchard, le sabre au poing, en tête d'un superbe régiment de cavalerie, le 17e qu'il avait tenu jusqu'alors en réserve et qui comptait plus de cinq cents chevaux. Le régiment arrive au grand trot et se déploie dans le meilleur ordre. Il fond sur le flanc des compagnies autrichiennes de Brentano, il l'enfonce et fait prisonniers le colonel de Wolf ainsi qu'une centaine d'hommes, il entoure à droite et à gauche le lei bataillon du régiment Erbprinz. Ce choc rétablit tout ; l'artillerie française reprend cœur ; les bataillons épars se reforment derrière elle. La colonne de Cochenhausen se retire dans les jardins d'Hondschoote en laissant sur le terrain une quantité de tués et de blessés, une pièce de canon qui n'a plus de servants, et l'intrépide Cochenhausen à qui un coup de mitraille a fracassé les deux jambes. Et pourtant, les Austro-Hessois ne se rebutèrent pas. Ils se rallièrent, et de nouveau le 1er bataillon Erbprinz et les deux compagnies autrichiennes, renforcés de deux autres compagnies de Brentano, réapprovisionnés, pourvus de poudre et de balles, se portèrent à la rencontre des Français. Le ter bataillon Erbprinz reconquit la pièce de canon qu'il avait perdue. Mais la masse des républicains ne cessait de grossir ; la ligne des alliés mollissait, fléchissait peu à peu ; les nationaux se montraient sur la chaussée de Killem en nombreux essaims, les uns poussant de grands cris, les autres chantant la Marseillaise ou la Carmagnole. Wallmoden avait mis au débouché de cette chaussée tous ses bataillons de grenadiers hanovriens et en arrière, près de la batterie qui balayait la route, le 2e bataillon du régiment Erbprinz. Les grenadiers n'avaient plus de munitions. Sur l'ordre de Wallmoden, le 2e bataillon Erbprinz, encore frais et intact, quitta la batterie à laquelle il servait de soutien et vint sur la première ligne relever les grenadiers. Il fit feu, puis, à la voix de son chef, le major Mallet, marcha baïonnette baissée sur les tirailleurs français qui ne discontinuaient pas d'avancer, et leur arracha des prisonniers, et notamment le major de Düring. Les grenadiers hanovriens suivirent le bataillon Erbprinz, et, cette fois encore, les républicains reculèrent. Mais ce fut le terme des vaillants efforts des alliés. Quatre heures d'un combat persistant les avaient épuisés, et bien que le parc de réserve les eût ravitaillés à divers intervalles, ils avaient consommé toutes leurs cartouches. A midi, la gauche de la grande batterie qui couvrait Hondschoote, était emportée par le bataillon des grenadiers nationaux du Pas-de-Calais qui pénétraient au cœur de la position en même temps que les gendarmes de Paris et les chasseurs du Mont-Cassel qui formaient l'avant-garde de la division de gauche.

Les deux colonnes de droite et de gauche s'étaient en effet ébranlées, comme celle du centre. A la droite, Colaud reçut une blessure grave et Levasseur eut son cheval tué sous lui. Un autre général, le Belfortain Mengaud, eut la cuisse traversée par un coup de feu[9]. Une redoute fut prise deux fois par les républicains et reprise deux fois par les Hanovriens. Cette division, livrée à elle-même, ne fit pas de très grands progrès et une partie seulement entra dans Hondschoote à la fin de la lutte.

Mais l'attaque de la colonne de gauche fut vigoureuse. La division d'Hédouville ne donna pas. Ce général, comme on pouvait s'y attendre, chemina près de la moitié du jour sur la route de Bergues sans voir l'ennemi, et lorsqu'il se rabattit vers Hondschoote où grondait la canonnade, l'action était terminée. Vandamme et surtout Leclaire firent ce qu'Hédouville aurait dû faire. Leclaire était sorti de Bergues avec 3.000 hommes, selon son instruction, et, longeant le canal, poussait droit sur Hondschoote. Après avoir refoulé derrière la petite Moëre un détachement qui gardait Warhem et qui n'opposa qu'une faible résistance, il arriva à une redoute. Cette redoute, construite en avant du port d'Hondschoote, derrière une flaque d'eau, et armée de deux canons, protégeait la droite des alliés. Les volontaires de l'Orne, qui marchaient au premier rang, eurent peur et se sauvèrent. Le 24e de ligne, autrefois Brie, et les gendarmes à pied de Paris vinrent à la rescousse. Mais les bataillons hanovriens de Diepenbroick tenaient ferme et sur plusieurs points chargèrent l'assaillant à la baïonnette. Le 3e bataillon de grenadiers enleva même deux canons. Enfin, la bravoure des soldats du 2e et de ces gendarmes de Paris qui passaient pour le corps le plus indiscipliné de l'armée, eut le dessus. Ils traversent la flaque d'eau où ils enfoncent par instants jusqu'à la poitrine, ils atteignent la redoute, ils l'escaladent en montant sur les épaules les uns des autres et en faisant des échelons avec leurs sabres et leurs baïonnettes qu'ils fichent dans le talus. La redoute fut prise.

Pressé sur son flanc droit et craignant que les Français ne vinssent envelopper son flanc gauche, lui couper la route de Furnes et le rejeter dans la grande Moëre, Wallmoden prescrivit la retraite. Elle se fit en deux colonnes. Le 2e bataillon du régiment Erbprinz défendit le débouché de la chaussée de Killem, puis les avenues d'Hondschoote jusqu'à ce que toute l'armée eût gagné les deux chemins qui mènent à Furnes, l'un par Bulscamp, l'autre par Hogesstade. On combattit encore au milieu de la ville, sur la place, au grand corps de garde et dans les maisons environnantes. La résistance des Hessois et des Hanovriens était opiniâtre, et suspendit quelque temps la poursuite. Le capitaine d'artillerie Scharnhorst se signala par sa valeur et son sang-froid. Il sauva deux canons en appelant à lui quatre officiers dont le général Diepenbroick, en ralliant autour des pièces quatre cents hommes d'infanterie, en couvrant d'un feu de mitraille les premiers républicains qui s'approchaient, en repoussant par trois fois les tirailleurs qui le prenaient de flanc. Il ne s'éloigna que lorsque le reste du corps d'observation eut quitté Hondschoote : il emmenait, pour ne pas laisser ce trophée dans les mains du vainqueur, une pièce d'artillerie dont l'avant-train était brisé, et, s'il dut abandonner les blessés, le doux et généreux capitaine qui s'était fait jurer par les siens de ne jamais l'oublier sur le champ de bataille, mit du moins sur son cheval un pauvre Hanovrien gravement atteint et incapable de marcher.

A trois heures du soir, expiraient les derniers bruits de cette sanglante journée[10]. Les colonnes françaises entraient, chacune de leur côté, dans Hondschoote. Les rues et la place se remplissaient de soldats. Delbrel prévit la confusion qui résulterait de cet amoncellement de troupes en un même endroit. L'armée eut ordre de traverser la ville sans s'arrêter et de se porter au dehors, sur le chemin de Furnes. Le général en chef avait pris les devants. Il était en deçà d'Hondschoote avec quatre canons et les bataillons qu'Hédouville s'était enfin décidé, mais trop tard, à conduire sur le lieu du combat. Le 2e régiment de hussards et un bataillon d'infanterie pourchassèrent l'ennemi ; ils ne dépassèrent pas Houthem où Wallmoden avait rompu le pont.

 

Houchard aurait pu fermer la route aux alliés et leur donner le coup de grâce s'il avait poussé hardiment sa pointe et marché sur Furnes sans balancer. Son chef d'état-major, Berthelmy, n'avait-il pas promis de jeter les Anglais dans la mer ? Ne disait-il pas à la Convention, en annonçant la victoire d'Hondschoote, que, si le siège n'était pas levé, les Anglais le paieraient cher, qu'ils seraient obligés de mettre bas les armes, sans quoi ils seraient hachés ou mourraient d'eau salée ? En courant à Furnes dès le soir du 8 septembre, les Français refoulaient sur Thourout les débris du corps d'observation et barraient à l'armée de siège la seule voie qui lui restait. Il est vrai que l'entreprise présentait quelques risques : il fallait franchir trois canaux ; il fallait accabler Wallmoden ; il fallait s'étendre de Furnes à la mer et attaquer le duc d'York qui se battrait peut-être en désespéré.

Mais, si les Hanovriens de Wallmoden avaient déployé toute la bravoure dont les forces humaines sont capables, et, comme dit Dohna, s'ils n'abandonnaient le champ de bataille qu'après la résistance la plus obstinée et ne cédaient qu'à la terrible supériorité du nombre, leur retraite s'était exécutée dans un désordre inexprimable. Sur 9.000 hommes d'infanterie, 85 officiers et 2.500 soldats étaient tués, blessés ou prisonniers[11]. Des bataillons perdaient la moitié de leur monde, et le régiment Erbprinz, le dernier qui fût resté dans Hondschoote, plus du sixième de son effectif. Les survivants, découragés, harassés, manquant de nourriture et de munitions, se traînaient avec peine sur les chemins. Les généraux, les aides de camp, le chef d'état-major n'avaient pas dormi depuis deux nuits. Scharnhorst confesse que l'armée de Wallmoden, pressée vigoureusement, courait un péril immense : Une nouvelle bataille, écrit-il, aurait eu des suites extrêmement tristes, et si les républicains avaient toujours menacé notre flanc gauche, même s'ils n'avaient engagé qu'une canonnade, nous aurions abandonné Furnes, Dixmude, Nieuport, pour nous retirer sur Thourout. Avec un peu de diligence et d'audace, Houchard refoulait donc Wallmoden jusqu'aux portes de Brugues et enlevait comme d'un tour de main la Flandre occidentale. En cette occasion, conclut gaiement Scharnhorst, les Français ont été plus amis qu'ennemis.

Quant au duc d'York, les coalisés avouent que sa situation était critique. L'Annual Register de 1793 assure que Houchard ne sut pas saisir le moment et ne fit pas son devoir, qu'il aurait pris le duc d'York, s'il avait voulu. Les bulletins anglais rapportent que la plus grande confusion régnait dans le camp du prince, que les soldats voyaient avec inquiétude briller sur un terrain de plusieurs milles le long du canal de Furnes les feux des Français ; on craignait très sérieusement, disent-ils, que Houchard n'eût l'idée de passer la grande Moëre dans les endroits où elle était praticable, de forcer le pont de Ghyvelde et de couper ainsi l'armée de siège en deux tronçons. L'émigré Arnaudin, attaché à l'état-major de York, reconnaît que si les républicains avaient brusquement traversé la grande Moëre qui, dans la partie du nord, offrait un passage très facile, ils auraient empêché la jonction de York et de Wallmoden, et que le duc, cerné de toutes parts, n'aurait eu d'autre ressource que de se faire jour baïonnette baissée ou de capituler. Remercions, s'écrie un Hessois, remercions la Providence que les talents de Houchard n'aient pas égalé ceux de Turenne, de Marlborough, d'Eugène ou de Frédéric II ; que n'aurait pas souffert l'armée combinée !

Mais Houchard était satisfait de ses avantages : l'attaque d'Hondschoote avait réussi, et cette lutte qui lui inspirait les plus vives alarmes, se convertissait, disait-il, en une victoire de la plus grande conséquence. Il voyait les Anglo-Hanovriens en déroute ; il voyait Dunkerque débloqué, débarrassé des soldats de la tyrannie. Les vœux de la nation n'étaient-ils pas remplis ? Les alliés, en fuyant, épargnaient à l'armée républicaine la peine d'un second combat et laisseraient en sa possession leurs magasins et leurs bouches à feu. Que de beaux et glorieux résultats ! Pourquoi les compromettre ? Carnot ne lui recommandait-il pas d'éviter une action décisive pour peu qu'elle fût douteuse ?

Les représentants n'étaient pas du même avis. Delbrel et Levasseur pensaient que Houchard aurait dû marcher sur Fumes. Delbrel ne dit rien. Il avait, quelques instants auparavant, au fort de la bataille et dans l'imminence d'un désastre, donné des ordres impérieux ; mais il déclarait volontiers qu'il n'avait pas de connaissances militaires, qu'il n'était que le premier soldat de l'armée et qu'il ne traverserait jamais les desseins des généraux qui sont seuls responsables de leurs opérations et doivent concevoir librement leurs plans. Levasseur fut plus hardi, plus tranchant. Il proposa de mener les vainqueurs d'Hondschoote sur la chaussée de Furnes leur couper la retraite à l'Anglais. Houchard lui répliqua qu'il n'avait pas assez de monde et Gay-Vernon, appuyant Houchard, affirma que les chemins étaient impraticables et qu'on ne pourrait y conduire le canon, qu'on devait tout craindre de troupes indisciplinées et que, si l'on essuyait un revers, on perdrait l'artillerie, qu'il valait mieux attendre au lendemain pour prendre parti. Si les chemins, s'écria Levasseur, sont mauvais pour nous, ils le sont aussi pour les alliés, et où passe leur artillerie, passera bien la nôtre ! Mais Houchard et Gay-Vernon persistèrent dans leur opinion. Vous n'êtes pas militaire, répétait Houchard au représentant. Il ajoutait que ses bataillons étaient extrêmement fatigués, qu'ils avaient besoin de quelques heures pour manger et se reposer, qu'ils feraient, en se portant sur Furnes, une de ces marches de nuit qui sont si dangereuses, et il rappelait Rexpoëde et la douloureuse expérience de l'avant-veille. Berthelmy l'approuvait sur ce point. La nuit approche, remarquait-il, et l'affaire de Rexpoëde a montré que les combats de nuit ne conviennent pas aux républicains ; en de telles occasions, le courage agit moins que le silence, et, dans l'obscurité, les Français ne savent s'abstenir de bruit, ni serrer leurs rangs. Pourtant, le chef d'état-major voulait qu'on fit quelque chose : il fallait, selon lui, essayer de gagner Furnes et pourchasser les vaincus ; la chaussée était baignée d'eau, et deux canons suffisaient à en défendre l'accès ; mais puisque les ennemis s'engageaient sur cette chaussée, on pouvait les y suivre ; on en serait quitte pour se retirer si l'on trouvait des obstacles insurmontables. Houchard se fâcha. : Vous êtes trop jeune, répondit-il à Berthelmy, pour m'apprendre à faire la guerre. Cependant, il alla reconnaître avec Gay-Vernon les bords de la grande Moëre. On lui conseilla d'envoyer de l'autre côté un corps de 4.000 cavaliers et chasseurs à pied qui serait commandé par Vandamme, et Gay-Vernon assure qu'il lui dit vingt fois mille pour une : Jetez-vous sur le flanc des Anglais, faites passer la Moëre à un corps de cavalerie qui aura de l'infanterie en croupe ; c'est le seul moyen d'écraser le duc d'York. Le général hésitait. La circonstance était importante, et, dans de pareils moments, il ne donnait un ordre que si les commissaires de la Convention l'autorisaient ou le soutenaient de leur présence, et, par malheur, Delbrel et Levasseur, restés à Hondschoote où ils débrouillaient le pêle-mêle des bataillons, ne se trouvèrent pas là pour fixer son âme incertaine et lui imposer la résolution qu'il n'osait prendre. Comme à son ordinaire, Houchard tâtonna. Il questionna les gens du pays : il recueillit des renseignements divers et contradictoires ; les uns attestaient que la traversée était facile ; d'autres, qu'elle serait très malaisée parce que la grande Moëre avait grossi depuis deux jours. Finalement, Houchard, craignant de perdre ce qu'il avait de cavalerie, adopta un demi-moyen : il chargea Vandamme de passer la Moëre avec soixante cuirassiers[12] !

Telle fut la bataille d'Hondschoote qui dura trois jours, le 6, le 7 et le 8 septembre. Il est peut-être utile de ramasser, de résumer les observations qu'elle a déjà suggérées dans ses diverses phases au cours du récit. Le mouvement qui la commença et qui porta l'armée française sur l'Yser fut habile, mais décousu, sans suite, sans cohérence, et les attaques particulières ordonnées par le général en chef furent conduites avec lenteur et irrésolution. Houchard aurait dû jeter la masse de ses troupes sur Herzeele et Bambecque, marcher aussitôt sur Hondschoote, prendre à revers la ligne des détachements épars de Freytag. Au contraire, il fractionna ses forces, forma de petits corps séparés, et n'obtint pas sur le point essentiel un succès décisif. Maître d'Herzeele et de Bambecque, il se dirigea sur Rexpoëde, au lieu de pousser sans retard sur Oost-Cappel où il rejoignait Hédouville, et de là sur Hondschoote pour couper la retraite de Freytag au seul endroit où elle pouvait s'opérer. Maître de Rexpoëde, il devait faire des dispositions pour s'y maintenir, et s'il avait gardé solidement le village et usé de toutes les précautions, il aurait arrêté Wallmoden : il n'ignorait pas que l'ennemi chercherait à ressaisir Rexpoëde et à s'ouvrir la route indispensable d'Hondschoote. 11 passa le 7 septembre à remettre son armée en ordre. Mais pourquoi ne profitait-il pas de cette journée pour reconnaître le poste où s'était installé Wallmoden ? Pourquoi envoyait-il Hédouville sur Bergues dans une direction où, selon toute vraisemblance, on ne trouverait plus l'adversaire ? N'est-il pas évident que, si Hédouville s'était établi le lendemain, dans la matinée, entre Oost-Cappel et Leysele, il aurait pu déborder la gauche des Hanovriens, leur tomber sur le dos, intercepter leurs communications ? Et pourquoi Houchard détachait-il Landrin sur Dunkerque ? Pourquoi s'affaiblissait-il ? Avait-il à craindre pour ses derrières ? Était-il si nécessaire d'observer, de comprimer le duc d'York ? La garnison de Dunkerque ne suffisait-elle pas à cette tâche ? Et n'était-ce pas sur Hondschoote et sur le chemin de Furnes qu'il fallait asséner le grand coup ? Enfin, le 8 septembre, pourquoi Houchard, prenant le taureau par les cornes, tournait-il son principal effort sur le centre des alliés qu'il ne réussit à enfoncer et à rompre qu'après trois attaques ? Pourquoi s'obstinait-il à emporter la chaussée de Killem ? Pourquoi ne fondait-il pas sur la gauche des Hanovriens pour la précipiter dans les Moëres ? En manœuvrant de la sorte, ne les aurait-il pas anéantis ? Et, s'il marchait rapidement sur Furnes, n'avait-il pas chance de devancer le duc d'York et de le faire passer sous les fourches caudines ? On objectera qu'il eût été impossible de poursuivre Wallmoden et d'accabler York tout ensemble. Mais l'armée française était deux fois supérieure en %nombre à celle des Anglo-Hanovriens et animée de l'ardeur de la victoire. Houchard n'avait qu'à pousser le corps d'observation, à le canonner, à le refouler ; après avoir achevé Wallmoden, il occupait Fumes et barrait les issues au duc d'York. Il a donc commis des fautes, mais non un crime, comme disaient plus tard les représentants, et, après tout, il a délivré Dunkerque. Qu'on l'ait blâmé, destitué, soit : il ne méritait pas l'échafaud[13].

 

Houchard, parlant de ces trois jours d'engagements qu'on peut nommer l'expédition d'Hondschoote, écrivait, qu'une chose faisait ombre au tableau : la confusion épouvantable qui avait lieu dans toutes les actions. Une quantité de mauvais soldats quittaient leurs rangs pour s'enfuir à travers les haies et se cacher dans les fossés, et il fallait mettre de la cavalerie sur .les chemins afin d'arrêter ces déserteurs ; encore n'arrivait-on pas à les ramener tous au combat. Cependant, Houchard avouait qu'à Hondschoote, cette fois-ci, les troupes avaient été assez bien disciplinées. Il louait l'artillerie et la cavalerie : l'artillerie avait donné des preuves de la plus grande intrépidité ; la cavalerie s'était distinguée par son obéissance et son amour du bon ordre. Bref, concluait-il dans son rapport, les carmagnoles ont bien mérité de la patrie, et il n'y a rien de tel que les vrais sans-culottes[14].

La bataille était en effet honorable pour l'armée française. Elle marquait un progrès dans sa façon de combattre. Dès le début de la guerre, et comme d'instinct, l'infanterie avait reconnu qu'elle ne saurait lutter avec profit qu'en se dispersant. Hondschoote l'affermit dans cette croyance. On avait vu des soldats en guenilles abrités derrière des buissons, décimer les beaux bataillons qui leur faisaient face et qui n'étaient pas à couvert. Que pouvaient contre ces innombrables fusiliers, légers, alertes, si prompts à se dérober, si prompts à reparaître, la constance héroïque des coalisés, leur incessant feu de peloton, le long développement de leurs lignes, leur marche imposante mais un peu lourde, trop conforme aux règlements, dépourvue de cette vivacité, de cette impétuosité, de cette fougue agressive qui ne laisse pas d'ébranler le cœur des plus braves ? Timides d'abord, hésitants, inquiets, les fantassins de la République allaient être audacieux et téméraires. Hondschoote est une des premières affaires où se montrent ces grandes bandes, ces fourmilières de tirailleurs qui, par la multiplicité de leurs feux, par la hardiesse et la rapidité de leurs mouvements, devaient déconcerter, ruiner la vieille tactique. Les généraux français, dit un vaincu d'Hondschoote, s'efforçaient déjà d'organiser le désordre[15].

En réalité, ce succès ne changea presque rien dans la situation. Mais l'impression morale qu'il produisit, fut immense. Il inaugurait une nouvelle période de glorieux avantages ; il rompait cette longue chaîne de défaites qui commençait six mois auparavant au 1er mars ; il effaçait le souvenir d'Aldenhoven, de Neerwinden, de Raismes et de Famars. C'était comme la revanche désirée. C'était la seconde bataille rangée que gagnaient les troupes de la République, et cette éclatante victoire rejoignait, pour ainsi dire, celle de Jemappes, se nouait avec elle. La Fortune, écrit un Anglais, était fatiguée d'un parti qui perdait à plaisir les occasions d'obtenir ses faveurs, et elle passa décidément de l'autre côté.

 

 

 



[1] Cf. sur Hondschoote, qu'il faut prononcer Honscoote comme Houchard l'écrivait bonnement — la correspondance de Calvert, la Gesch. der Kriege in Europa, II, 78-15, le récit du Hessois dans l'Hoyer's Magazin, 1802, II, 5, p 38-40 ; Ditfurth, Die Hessen, 109-124 ; Sichart, Gesch der hannov. Armee, IV, 267-292 ; Lehmann, Scharnhorst, I ; Von dem Knesebeck, Scenen aus dem Revolutionskriege, dans Archiv des historc hen Vereins für Niedersachsen (année 1845, p. 131-139) ; la traduction de cet article par Gasmann, sous le titre La bataille d'Hondschoote, épisode des guerres de la Révolution (Hazebrouck, 1857), et, parmi les documents français, l'ouvrage de Gay-Vernon fils, le Vandamme de Du Casse (1870, I, 96-47), les lettres de Berthelmy publiées par le Moniteur et ses divers mémoires (A. N. W, 29 ; ; Seilhac, Les volontaires de la Corrèze, p. 110-111 ; Clément Simon, Bulletin de la Soc. des lettres, sciences et arts de la Corrèze, I, p. 592-593) ; les lettres de Houchard et notamment une courte relation du général intitulée : Expédition de Houchard contre les troupes combinées (11 sept ) ; ainsi que son mémoire du 29 septembre à Bouchotte ; le travail consciencieux de l'officier d'état-major de Boisdeffre (A. G.) ; les Notes historiques du modeste Delbrel ainsi que les lettres de Levasseur et ses dépositions au tribunal révolutionnaire dans le procès de Houchard. Lettres et dépositions ont plus de valeur que les Mémoires de Levasseur. Peut-on se fier aux notes du représentant qui formaient un volume et qu'Achille Roche a délayées en quatre tomes ? Peut-on se fier à l'homme qui déclare, le 14 novembre, à la Convention, que l'intrépide Houchard s'est, à Hondschoote, caché derrière une haie et que si Houchard avait fait comme lui, la victoire eût été bien plus considérable ?

[2] Cf. plus haut, chapitre VI.

[3] Joseph de Hédouville naquit le 6 mai 1744 au Petit Louppy dans la Meuse, mais sa famille était domiciliée à Brandonvillers dans la Marne. Il fut successivement lieutenant au régiment de Monthureux, des milices de Lorraine (9 novembre 1757), et après avoir été réformé en 1159, lieutenant au bataillon de milice de Saint-Dizier (16 juin 1761), puis cadet volontaire à la légion de Hainaut en 1762, garde du corps du roi dans la compagnie de Villeroy de 1764 à 1761J, lieutenant au régiment provincial de Troyes der mai 1776), et capitaine au même régiment der mai 1773). De 1789 à 1791, il commanda la garde nationale du canton de Lignon. Le 4 septembre 1791 il était élu capitaine au 3e bataillon des volontaires de la Marne. Envoyé à l'armée du Nord, il devint capitaine d'une compagnie franche qui fut le noyau de la légion des Ardennes. Il était chef de cette légion depuis le 15 octobre 1792, lorsque Dampierre le nomma général de brigade (9 avril 1'793). Le Conseil exécutif le confirma dans ce grade (15 mai 1793), mais le 16 septembre suivant, Hédouville était suspendu. Il fut traduit au Tribunal révolutionnaire — où il se qualifia de cultivateur et de noble obligé de travailler pour subsister et acquitté (16 nivôse an II) ; le tribunal déclara qu'il avait compromis les intérêts de la République notamment à Wervicq et à Menin, mais qu'il n'avait pas agi avec des intentions criminelles et par trahison. Hédouville réclama vainement un service actif. On l'admit au traitement de réforme (29 nivôse an VII). Il obtint pourtant une place d'administrateur de l'hôpital militaire à Luxembourg, puis à Mayence, enfin à Ajaccio. Mais il ne tarda pas à être de nouveau admis au traitement de réforme (6 prairial au XI), et retraité (7 juillet 1811). Il mourut à Sandrupt, dans la Meuse, le 23 juin 1818.

[4] Celliez et Varin à Bouchotte (26 juillet) ; ordre du jour, signé Thüring, 12 août ; Foucart et Finot, Il, 127. Landrin (Jean Noël) né à Paris le 22 mai 1752, avait servi dans l'artillerie à Saint-Domingue, dès l'âge de 15 ans (1767) et après le licenciement du corps (1773) dans la milice bourgeoise. Il était employé chez un négociant de Paris à l'époque de la Révolution. Le 20 septembre 1792 il fut élu capitaine de la compagnie des canonniers des Enfants-Rouges, attachée au 1er bataillon de Saint-Denis. Le 15 avril 1793 il devenait chef de ce bataillon. Le 30 juillet suivant, il était général de division. Mais, accusé d'avoir fait désarmer et démonter Deschamps, commissaire du Comité, et de l'avoir tramé comme un criminel, taxé de dureté et de despotisme, qualifié d'âme damnée de Moreton et de Beurnonville, inculpé par Canton, il fut suspendu le 13 septembre par Trullard, Berlier et Hentz, mandé le 17 à Paris par Bouchotte pour rendre compte de sa conduite, interrogé par le ministre qui ne changea rien à la décision des représentants (8 novembre) et arrêté le 6 décembre sur la réquisition de l'adjoint du 40 bureau, à la suite d'une fausse dénonciation du Comité révolutionnaire de la section de l'Homme arasé. Emprisonné durant neuf mois à la maison d'arrêt des Ecossais, libéré le 28 thermidor, il se retira près de Saint-Just, à Maignelay. Mais il était, dit-il, courbé sous une affreuse misère, et ne désirait que son ancien poste de capitaine. Trullard, Berlier, Hentz déclarèrent alors qu'ils l'avaient suspendu à cause de sa brusquerie, que la conduite démesurée tenue à son égard par quelques agents l'avait aigri et qu'il serait utilement employé, non comme général, mais dans l'artillerie qui était son arme. Le 7 germinal an III, le Comité levait la suspension de Landrin et décidait de l'employer comme capitaine d'infanterie, puisqu'il n'avait servi dans l'artillerie que comme simple canonnier aux colonies et comme officier dans une compagnie de canonniers d'un bataillon de volontaires. Landrin répondit à Pille le 22 floréal an III qu'il acceptait avec satisfaction le grade de capitaine d'infanterie. Il fut envoyé au 1er bataillon de la 54e demi-brigade à l'armée du Rhin. Destitué un instant, par erreur (parce qu'on le crut nommé du 15 germinal au 15 thermidor alors qu'il était nommé par un décret du 7 fructidor an III), rétabli dans son grade à la recommandation d'un membre des Anciens, Rousseau, son compagnon de prison, il quitta le service après l'arrêté du 7 prairial an V, selon lequel les officiers pouvaient opter entre le traitement du grade dont ils étaient actuellement pourvus et le traitement de réforme de leur ancien grade. Landrin se démit de ses fonctions de capitaine et obtint le traitement de réforme de général de division.

[5] Voir sur lui le numéro du 14 mai 1893 de la Révolution française (notice d'Et. Charavay). Son nom est presque toujours orthographié Dumesnil (cf. Valmy, 216, et Jemappes, 92). Il s'appelait en réalité Salomon et appartenait à la noblesse ; son père était écuyer et seigneur de Bourg-Charente. Entré au service comme lieutenant dans le régiment de Mailly, il prit le surnom de Dumesny pour ne plus le quitter. Il reçut une blessure à Rossbach. Lorsque éclata la Révolution il n'était encore que capitaine. Lieutenant-colonel du 90e (6 novembre 1191), colonel du 540 (27 mai 1792), général de brigade (15 mai 1793), il assista à la canonnade de Valmy, à la bataille de Jemappes, à la retraite de Liège, à la défaite de Neerwinden où il fut grièvement blessé. Après avoir consacré quatre mois à sa guérison, il vint, le 1er juillet 1793 au camp de César. Le 28 août, il combattait à Wervicq et commandait la colonne d'attaque. Arrêté le 25 septembre suivant et suspendu le 27, mis en liberté le 22 août 1794, réintégré et promu divisionnaire (13 juin 1795), il fut, après divers commandements, réformé le 25 novembre 1797 et se retira à Angoulême.

[6] Leclaire (Théodore-François-Joseph), était né le 18 octobre 1752 à Dandermonde ou Termonde, dans le Brabant, sous le drapeau français (son père mourut capitaine de l'armée royale). Il passa les trente premières années de sa vie au régiment d'Anhalt devenu plus tard Salm-Salm, puis le 62e, et y fut successivement enfant du corps, sous-lieutenant (17 juillet 1764), lieutenant en premier (16 octobre 1768), lieutenant de grenadiers à la nouvelle formation (8 juin 1776), capitaine en second (4 juillet 1777), premier capitaine en second (1er septembre 1784). Il appartint ensuite au régiment de Bouillon qui devint le D8e, et y fut major (5 novembre 1786), lieutenant-colonel (1er janvier 1791) et colonel (12 juillet 1792). L'année 1793 le vit général de brigade (8 avril) et général de division (22 septembre). Niais il était malade, souffrait des nerfs, ne pouvait plus résister aux fatigues du cheval, et d'autre part, Colliez l'accusait d'avoir tenu des propos inciviques au camp de Paillencourt et d'avoir dit que tous les républicains étaient des coquins, le qualifiait d'aristocrate et d'ami de l'ancien régime, de Lamarche, d'hier et de toute la clique. Leclaire resta sans emploi jusqu'à 1797. Inspecteur général de l'infanterie à l'armée de Sambre-et-Meuse (25 décembre ;1798), commandant d'armes à Lille (13 octobre 1800), commandant de la place de Strasbourg (3 décembre 1804), il mourut dans cette dernière ville le 13 janvier 1811. C'était, disait Houchard, un officier d'un vrai mérite.

[7] Colaud (Claude-Silvestre), que Celliez et Varin jugeaient bon patriote et bon soldat, était un officier de cavalerie, tout à fait dénué d'initiative, sans ambition, sans antre pensée que d'obéir strictement et de se battre. Nul n'a refusé l'avancement avec autant d'obstination. Il accepta le commandement des flanqueurs, mais en déclarant qu'il ne serait pas général, qu'il n'avait jamais servi qu'aux avant-postes et dans les troupes légères à cheval. On le chargea de commander une division d'infanterie. Il se fâcha, s'indigna, s'écria qu'il voulait être en sous-ordre, qu'il se moquait des compliments qu'on lui faisait, qu'il connaissait ses moyens et n'avait pas assez de talent pour assumer une si grosse responsabilité et s'acquitter seul de l'ouvrage de trois généraux, qu'il donnerait sa démission et ferait la campagne comme simple hussard. (Colaud à Des Bruslys et à Berthelmy, 4, 11, 20, 31 août ; cf. Celliez et Varin à Bouchotte, 26 juillet A. Or.) Pourtant, sur l'injonction Ides représentants, il se soumit et accepta provisoirement le grade de général avec la division que Houchard lui confiait. Il naquit le 11 décembre 1754 à Briançon, mais il fut élevé à Bastia où son père était négociant. Enrôlé aux dragons du Roi (16 mars 1177), brigadier (10 juin 1779), fourrier (25 juin 1780), maréchal des logis chef (14 juillet 1781), adjudant (4 septembre 1782), il passe ensuite aux chasseurs d'Alsace comme sous-lieutenant (20 mai 1788), puis avec la Révolution, le voilà lieutenant (25 janvier 1792), capitaine (27 juin 1792), lieutenant-colonel (18 novembre 1792) et aide-de-camp du général Valence, colonel de la légion du Centre (26 janvier 1793). Dampierre le nomme général de brigade (4 mai 193), et le Conseil exécutif le confirme dans ce grade trois mois plus tard (30 juillet 1793). Après Hondschoote, il devient général de division (20 septembre 1793). Il avait été, à la bataille du 8 septembre, atteint par un biscaïen à la cuisse gauche ; mais, disait Berthelmy, il était blessé au gras de la jambe et n'aurait besoin que de deux mois pour son entière guérison (Berthelmy à Bouchotte, 13 septembre). Le 6 janvier 1794, il écrivait aux représentants Vidalin et Bollet qu'il était chargé par Jourdan et d'après l'ordre du ministre, de l'instruction des troupes légères qui tenaient garnison à Reims et à Châlons. On lui reconnaissait une pureté sans tache et une sobriété exemplaire. Moreaux jugeait qu'il remplissait fort bien l'emploi de général de division. Caffarelli du Falga lui donnera la note suivante : Principal auteur des brouilleries survenues à l'armée, homme à humeur, frondeur impitoyable du gouvernement et peut-être même de la Révolution, ayant la réputation d'un homme probe et délicat en tout, timide et tâtonneur clavant l'ennemi, passant pour bon général, partisan de Kléber.

[8] Foucart et Finot, II, 113-116 ; Schels, 20 ; relation d'Arnaudin déposition de Levasseur : Hédouville aurait dû se trouver à Hondschoote, et Houchard l'en avait éloigné.

[9] François-Xavier Mengaud, né à Belfort le 9 avril 1752, était fils d'un avocat au parlement d'Alsace. Au sortir du collège, il entra aux gardes du corps du comte d'Artois. Il revint à Belfort en 1781. Elu, en octobre 1789, commandant d'un corps de volontaires à cheval, et, en janvier suivant, colonel des deux corps de la garde nationale, député en cette qualité aux fédérations à Dôle, à Strasbourg et à Paris, procureur syndic de la commune, juge au tribunal du district, il présidait le club de Belfort lors de la désertion de Louis XVI et prononça à cette occasion un discours propre à inspirer l'horreur de la royauté. Elu capitaine de grenadiers, et le lendemain, chef du 2e bataillon des volontaires du Haut-Rhin, il lit les campagnes do l'armée du Rhin jusqu'au 14 août 1793. Appelé à l'armée du Nord avec la 36e brigade, il fut nommé à Arras chef de cette brigade par les représentants Elie Lacoste, Peyssard et Delbrel, en remplacement du citoyen Ferette destitué. Mais, au même instant, le colonel Saint-Laurent arrivait, avec un brevet du Conseil exécutif, pour prendre le commandement de la brigade. Mengaud, culbuté de cette place, et déjà pourvu d'un successeur au 2e bataillon des volontaires du Haut-Rhin, perdait ses deux emplois en huit jours et se trouvait, comme il dit, dans une inquiétante position. Mais les représentants lui ordonnèrent d'exercer les fonctions de général de brigade, et ce fut en cette qualité qu'il commanda à Herzeele et à Hondschoote. Transporté à Cassel après sa blessure, Mengaud y reçut une lettre du Conseil exécutif qui le nommait général de division par arrêté du 25 septembre. Mengaud fut ravi : Un être bienfaisant, écrivait-il, protège les patriotes ; le Conseil a bien trouvé le moyen de me consoler ; je n'aurai pas l'humiliation de voir un officier de ligue (Saint-Laurent) me prendre ma place ; je la quitte pour devenir sen chef. Mais sa joie se mêlait de surprise ; il n'avait pas eu, avant d'être divisionnaire, le brevet de brigadier, et il se demandait s'il était général de brigade ou général de division. Revenu à Belfort lorsqu'il entra en convalescence, Il reçut une lettre datée du 30 juillet qui le nommait général de brigade : J'ai appris, marquait-il à Audouin, que j'étais général divisionnaire avant de savoir que j'étais porté au grade de général de brigade ; cela te prouve l'exactitude qui règne dans les postes. Le ministre lui demandait des pièces ; Mengaud répondit qu'il n'avait rien ; les généraux sous lesquels il avait servi, étalent guillotinés ou destitués : Custine ne vit plus ; Houchard peut-être l'a suivi ; Munnier est arrêté à Strasbourg ; Neuvinger est prisonnier ; je ne sais où est La Farelle. Nommé au mois de germinal an II à l'armée du Rhin qu'il ne put rejoindre à cause de sa blessure, réformé, puis remis en activité et chargé du commandement de la 6e division militaire à Besançon (9 thermidor au VII), employé à l'armée d'Italie (8 décembre 1799) et commandant à Tortone (4 juillet 1800), réformé de nouveau (22 août 1800), sous-préfet de Belfort du 25 janvier 1805 au 22 août 1814, Mengaud mourut dans sa ville natale le 30 décembre 1830 (A. G.).

[10] Le combat, écrivait Berthelmy à Bouchotte, le 8 septembre, a fini à deux heures du soir.

[11] Cochenhausen prisonnier mourut deux jours après la bataille ; c'est le général hessois que Vandamme fit enterrer avec les honneurs de la guerre (Du Casse, I, 53) ; cf. Dohna III, 332 ; et Lehmann, Scharnhorst, I, 124.

[12] Delbrel, Notes hist., 58 ; Gay-Vernon, Custine et Houchard, 272-213 ; Seilhac (Mém. de Berthelmy, 111) et les pièces des archives nationales, interrogatoire de Houchard (ainsi que son mémoire du 29 sept. A. G.) et de Gay-Vernon ; Mém. de Berthelmy, 23 frimaire (et Bulletin de la Société de la Corrèze, I, 562) ; déposition de Levasseur. Le témoignage du représentant concorde assez avec le passage correspondant de ses Mémoires. Le mot, emprunté aux Mémoires, vous n'êtes pas militaire, doit être vrai ; Levasseur semble l'avoir sur le cœur, et de là vint son acharnement contre Houchard.

[13] Voir surtout le mémoire de Boisdeffre.

[14] Mém. de Houchard (11 septembre). Le 17 septembre, la Convention décrétait que l'armée du Nord avait bien mérité de la patrie, et elle chargeait son président d'écrire une lettre de satisfaction aux citoyens de Bergues et de Dunkerque, à l'armée du Nord, et aux généraux Jourdan et Colaud grièvement blessés après avoir contribué à la victoire. Elle accorda à la commune d'Hondschoote une indemnité qui s'éleva, d'après le procès-verbal de répartition du 24 nivôse an III, à 379.730 livres (Foucart et Finot, II, 132).

[15] Ditfurth, I, 123 ; Knesebeck, 132 ; Calvert, 125. On ignore la perte des Français. Mais on sait exactement que dans les trots journées du 6, du 7 et du 8 septembre, le 2e bataillon du 67e régiment d'infanterie eut 10 tués, 122 blessés, 32 disparus, et le 2e bataillon des Vosges 7 tués et 45 blessés (Foucart et Pinot, II, 117-119). Un des bataillons qui se distinguèrent le plus particulièrement, fut le 56 des volontaires de la Somme. Un soldat dé ce bataillon, Modeste Digeon, vint porter à la Convention deux drapeaux que ses camarades avaient pris. Le 5e de la Somme, écrivait Berthelmy, avait perdu son drapeau et ses canons dans une surprise de l'ennemi (à Oost-Cappel), Il a réparé ses torts à l'affaire d'Hondschoote et racheté par son courage la faute qu'on avait à lui reprocher (Berthelmy à Bouchotte, 18 sept. A. G.). Un décret de la Convention, du 27 septembre, accorda un drapeau à ce bataillon.