LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

HONDSCHOOTE

 

CHAPITRE PREMIER. — BOUCHOTTE.

 

 

I. Le premier Comité de Salut public. - Danton, Delacroix et Delmas. Attaques contre Bouchotte. - Démission du ministre. - Nomination de Beauharnais et son refus. - Nomination d'Alexandre et rapport du décret qui nomme Alexandre. - Bouchotte défendu par les Jacobins. - Campagne contre le premier Comité. - Marat, Laveaux, Hébert, Vincent et Robespierre. — II. Le second Comité. - Ses principes. - Sa vigueur. - Patriotiser l'armée. - Bouchotte soutenu par le second Comité. - Mesures contre les nobles et les suspects. - Les journaux. - Le Père Duchesne. - Les commissaires du pouvoir exécutif. - Mérites de Bouchotte. - Ses plans et annotations. - Ses réponses aux plaintes et aux objurgations. - Son activité. - Confusion. - Suspensions et destitutions. - Promotions. - Vincent et la Commune.

 

I. Le premier Comité de salut public ou Comité de Danton, élu le 16 avril 1793, ne comptait d'abord que neuf membres, nommés dans l'ordre suivant : Barère, Delmas, Bréard, Cambon, Danton, Robert Lindet, Guyton-Morveau, Treilhard et Delacroix. Mais il devait s'augmenter ; si Bréard et Treilhard en sortirent bientôt, si Mathieu ne fit qu'y paraître, Hérault, Ramel, Saint-Just, Couthon y entrèrent le 30 mai, Berlier le 5 juin, Jeanbon Saint-André et Gasparin le 12 juin, Mallarmé le 27 juin[1].

Ceux qui se chargèrent du département de la guerre furent Delacroix, Delmas et Gasparin. Le 29 juin, le Comité considérant que les circonstances exigeaient la plus grande activité, décidait que Danton et Delmas surveilleraient les opérations du ministre Bouchotte ainsi que l'exécution des décrets et arrêtés relatifs aux armées. Danton se laissait suppléer par Delacroix, et ce furent Delacroix et Delmas qui prirent connaissance du travail des promotions dressé par Bouchotte et l'adjoint Muller, qui, de concert avec le ministre, dépouillèrent sur les registres de correspondance les notes données aux officiers supérieurs. Delmas lisait à la Convention un rapport sur le mode d'organisation des 40.000 hommes de la nouvelle levée et de 30.000 hommes de cavalerie ; il obtenait que l'armée de la Vendée serait formée de compagnies où entreraient des hommes tirés des régiments de ligne et des bataillons de volontaires de 1791 ; il présentait à l'Assemblée la liste des officiers qui composeraient l'état-major des onze armées de la République. Delacroix rédigeait les décrets qui défendaient aux administrations d'arrêter la marche des troupes, des transports, des convois, et qui prescrivaient la levée de 25.1 01 cavaliers, la revue extraordinaire de tous les corps, la création de huit nouvelles compagnies d'artillerie à cheval et des compagnies départementales de canonniers nationaux[2].

Le premier Comité n'aimait pas Bouchotte et le traitait avec mépris, parfois avec brutalité. Il ordonnait un jour d'envoyer dans des départements insurgés une troupe de gendarmes nationaux à qui le ministre fournirait des chevaux. Bouchotte ou son adjoint demandèrent assez niaisement s'il fallait fournir des selles en même temps que des chevaux ; sur quoi Danton, qui pourtant n'écrivait guère, prit la plume et, de sa propre main, libella ce billet qu'il fit signer par deux de ses collègues :

Les représentants du peuple composant le Comité de salut public au ministre de la guerre et à ses adjoints :

Allez vous f... f.... Que le diable vous confonde, s'il vous faut des ordres pour donner des selles quand il vous a été enjoint de fournir des chevaux ! Faut-il aussi des ordres pour que vous donniez des brides ?

DANTON, ROBERT LINDET, CAMBON FILS AINÉ[3].

 

Aussi, le premier Comité fut-il bientôt fatigué de Bouchotte qu'il jugeait mou et dénué d'énergie. Barère assurait que la République périrait par le ministère de la guerre et que le mal était là ; Bréard, que l'organisation de ce ministère perdrait l'État et qu'il fallait la transformer au plus vite ; Gasparin, qu'il était impossible d'aller avec Bouchotte qui, bien intentionné, n'avait pas l'activité nécessaire pour suivre la violente rotation de la machine ; Cambon, que Bouchotte était inerte et ignorant en matière d'approvisionnements : quand on lui demande combien il y a de fusils à sa disposition, quels sont les moyens qu'il prend pour les faire réparer et transporter, on est quinze jours sans avoir sa réponse, et tout languit. Plusieurs membres de la Convention joignaient leurs plaintes à celles du Comité. Pelet déclarait que Bouchotte ne cessait de désorganiser ; Génissieu, qu'il méprisait les lois et devait être destitué ; Defermon, qu'il démontrait chaque jour son incapacité ; Lidon, que son département était dans un état de stagnation qui exigeait un prompt changement ; Haussmann, que Bouchotte était d'une ineptie inconcevable et que ses fautes compromettaient le sort de la République ; un autre, que jamais ministre n'avait passé de marchés plus onéreux. A diverses reprises, les représentants du peuple près l'armée du Nord combattirent Bouchotte. Les commissaires Beffroy, Courtois et Duhem disaient au Comité : Le ministre et ses bureaux se f... de nous. Ils avaient beau écrire ; le plus souvent, Bouchotte ne répondait pas ou, s'il répondait, ses lettres n'étaient ni promptes ni satisfaisantes. L'inertie des bureaux, assurait Beffroy, et l'inaptitude du ministre paralysent tout[4].

Le 27 mai, Bouchotte offrit sa démission, et, trois jours plus tard, la Convention chargea le Comité de lui indiquer un sujet. L'insurrection dirigée contre les Girondins vint a. la traverse. Mais, le 11 juin, Bouchotte priait de nouveau, suppliait la Convention de lui donner un successeur : il avait de puissants motifs pour quitter son poste ; il trouvait de grands obstacles, et le courant était si considérable, qu'il ne lui restait presque pas de temps pour méditer sur les objets les plus importants. Le surlendemain (13 juin), le Comité proposait Beauharnais à l'Assemblée. Bouchotte, disait Barère, ne pouvait tenir les rênes de son département avec l'énergie qu'exigeaient les besoins pressants du moment, et son activité ne répondait pas à son patriotisme ; Beauharnais, connu par son civisme comme par ses talents militaires, avait été chef d'état-major et s'était préparé par cette sorte de noviciat au ministère de la guerre ; après avoir conduit une armée, il en conduirait onze, et, de la direction immédiate des troupes de la région du. Rhin, il passerait aisément à la direction centrale et suprême de toutes les forces de la République.

Beauharnais, agréé par la Convention, refusa de se jeter dans les orages de la Révolution. Le 21 juin, le Comité désignait au choix de l'Assemblée Alexandre, commissaire ordonnateur en chef à l'armée des Alpes, homme d'une probité sévère et d'un républicanisme prononcé. Mais Thuriot affirma qu'Alexandre n'avait pas les talents que réclamait l'emploi, qu'un seul homme ne pouvait d'ailleurs embrasser tous les détails de l'administration de la guerre ni vérifier les pièces présentées à sa signature, ni même lire la moitié des lettres qui lui étaient adressées, et il proposa de partager le fardeau que Bouchotte avait jugé trop pesant, entre Alexandre et deux autres. Bréard convint que le ministère était en effet trop compliqué pour un homme seul et il demanda que le ministre fût dispensé dorénavant du soin des subsistances et des fournitures de l'armée. Finalement, la Convention chargea le Comité d'examiner s'il ne fallait pas donner au département de la guerre trois ministres au lieu d'un.

Le lendemain (22 juin), le Comité déclarait qu'un seul ministre suffisait, et derechef il proposait Alexandre dont il garantissait le patriotisme. L'Assemblée nomma Alexandre. Mais aussitôt un député s'écria qu'Alexandre était six mois auparavant courtier à la Bourse, et Billaud-Varenne confirma le fait : plusieurs membres du Comité de la guerre avaient attesté la veille qu'Alexandre était agent de change au 10 août. Vainement Fabre d'Eglantine assura qu'Alexandre commandait le bataillon du faubourg Saint-Marceau à l'attaque des Tuileries, que tous les généraux voulaient l'avoir près d'eux à cause de son zèle et-de son activité, que les meilleurs ministres de l'ancien régime, Louvois et d'Argenson, n'avaient pas été lieutenants-colonels, ni même capitaines. La Convention annula le décret qu'elle venait de porter[5].

Bouchotte resta. Il avait dans la Convention de chauds partisans. Lequinio ripostait à ses adversaires qu'une cabale se montait pour le perdre et que des administrateurs malveillants se liguaient pour rejeter sur lui leurs propres fautes. Billaud-Varenne conseillait à l'Assemblée de diviser le ministère en trois parties et de conserver Bouchotte en lui donnant deux adjoints. Enfin, les Jacobins exigeaient le maintien d'un homme de leur bord. Ils avaient accueilli la nomination de Beauharnais par des cris de fureur, et bien que Couthon prétendît que le jeune général, quoique ci-devant, avait reçu l'éducation d'un sans-culotte, Parein et Grammont écrivaient de Tours à Vincent que ce choix décourageait les jacobins des départements : Comment, vous n'avez pas pu trouver un patriote pour occuper cette place qui, dans les circonstances actuelles, ne devait être donnée qu'à un sans-culotte ! Que faites- :vous donc à Paris ? Que fait Montagne ? Dort-elle ou est-elle corrompue ? Avez-vous oublié que vous faites la guerre aux nobles, et vous nous élevez un noble au ministère ! Réal et Varlet s'indignaient en pleine Commune de Paris qu'un aristocrate, un ancien membre des Feuillants, fût chargé d'un des plus hauts emplois de la République. Le club protesta bruyamment et, dans la séance du 14 juin, Hanriot, Legendre, d'autres encore, crièrent que Beauharnais appartenait à la caste nobiliaire et ferait le troisième volume de la contre-révolution ; qu'il était bon général, mais mauvais administrateur ; qu'on ne l'avait pas jeté tout exprès sur la terre pour être ministre ; que le Comité semblait croire qu'il fallait être noble pour diriger les bureaux de la guerre, mais que la Société allait se réunir à l'Évêché et prendre de vigoureuses mesures. Gasparin, effrayé de cette violente sortie, craignait déjà que le club ne vînt demander à la Convention le rapport du décret[6].

Une campagne ardente s'ouvrit contre le Comité. On publia qu'il avait fait son temps et que l'heure était venue de le changer à cause de sa tiédeur et de son modérantisme ; il avait, disait-on, manqué de nerf dans la répression de l'insurrection normande et transformé le département de l'Eure en une autre Vendée. On lui reprocha de dédaigner Bouchotte, de contrarier et d'entraver dans sa marche ce brave républicain, de s'élever avec humeur contre toutes ses propositions. On l'accusa de pousser les nobles, ces esclaves blanchis par l'ambition, de garder Custine à la tête de l'armée du Nord, et, le 19 juin, des commissaires du club des Jacobins allèrent inviter le Comité à chasser tous les ci-devant des fonctions civiles et militaires et à répudier pour toujours les scélérats de cette caste infernale. On se moqua de Delmas qui s'appropriait les mémoires militaires de Dillon et les débitait comme siens, non sans se rengorger et en assurant qu'il étudiait dès ses jeunes ans Turenne et Montecuccoli ; ce Delmas, ajoutait-on, affectait l'empire de la guerre ; il faisait à son gré les nominations et les destitutions ; il recommandait au ministre des contre-révolutionnaires[7].

Marat. Laveaux, Hébert, Chabot, Vincent, attaquèrent sans ménagement la plupart des membres du Comité. Marat ne soutenait pas Bouchotte ; suivant lui, le ministère était une charge trop lourde pour les épaules d'un seul, et l'on devait le diviser entre plusieurs hommes éclairés, actifs et probes qui chacun auraient soin d'une armée. Mais il incriminait le Comité ; selon Marat, le Comité se composait de gens sans vues et sans énergie ; il était incapable de faire le bien ; il gênait les opérations de Bouchotte ; Cambon n'avait contre le ministre que des motifs personnels tirés de quelque petite passion ; Barère, politique fin et rusé, habitué à nager entre deux eaux, et l'ennemi le plus dangereux de la patrie, celui qui paralysait toutes les mesures de vigueur, désirait évidemment qu'un patriote ne fût pas au timon des affaires[8].

Laveaux défendait Bouchotte avec passion. Le Comité, écrivait le journaliste, trouvait des torts à Bouchotte, parce que Bouchotte était patriote et que, sous un ministre patriote, la Révolution allait son train ; le Comité s'endormait ; le Comité méritait le nom de Comité de la ruine publique ; le Comité renfermait des intrigants qui montraient un petit bout de pavillon aristocratique ; le Comité voulait sauver la patrie, mais il était faible et se conduisait comme les satrapes de l'ancien régime ; il accordait beaucoup à la sollicitation, à la protection ; il avait de l'orgueil et de la morgue ; il répétait tous les jours qu'an doit voir les choses en grand, sans s'amuser aux détails ; il exposait des idées hardies et rendait de beaux décrets ; il établissait d'excellents principes et prenait des mesures salutaires ; mais il n'avait aucune suite dans ses plans et ne pensait pas au mode d'exécution ; pourquoi laissait-il à la tête des armées les complices de Dumouriez, et notamment Custine[9] ?

Hébert faisait cause commune avec Marat et Laveaux. Est-ce que le Comité, s'écriait le Père Duchesne, est d'accord avec Custine et manigance avec ce bandit la ruine de la République ?[10]

Mais c'était surtout dans le club des Jacobins que grondaient la menace et l'outrage. Gateau déclarait qu'il n'y avait, au Comité, que des insouciants et des traîtres qui méprisaient toutes les accusations portées contre Custine. Chabot demandait que le Comité fût renouvelé : on ne conserverait que trois membres, les seuls véritablement patriotes, les seuls dont le civisme ne fût pas suspect, Jeanbon Saint-André, Saint-Just et Couthon ; mais les autres étaient usés ; Mathieu tenait les discours les plus inciviques ; Ramel refusait d'armer les sans-culottes et croyait que les propriétaires sauveraient la chose publique ; Cambon ne pactisait pas avec les Brissotins, mais il voyait tout avec une loupe, et les objets lui paraissant trop gros, l'effrayaient à la distance de cent pas ; Guyton était honnête homme, mais tremblait toujours comme un quaker ; Delmas faisait nommer des sujets incapables ou perfides[11].

Le plus acharné des adversaires du Comité était Vincent, secrétaire général du ministre Bouchotte, révolutionnaire enragé, dévoré d'ambition, résolu coûte que coûte à garder sa situation, méditant de soustraire l'administration de la guerre à toute autorité, de renverser le Comité et d'investir de la suprême puissance le Conseil exécutif, pratiquant, suivant l'expression du conventionnel Gay-Vernon, le système d'avilir les représentants. Le Comité avait, après l'échec de Famars, chargé un de ses chefs de bureau, Teissier, de faire une enquête sur les événements et de s'informer exactement de la situation de l'armée du Nord : dans une séance du club, Vincent dénonça Teissier qui prenait un ton dictatorial envers le ministre et voulait lui forcer la main, l'obliger à placer ses créatures. Il accusa le Comité de ne s'être prononcé pour Bouchotte contre Custine qu'après de longs délais et comme à regret. Dans un mémoire qu'il lut aux Jacobins, il attaqua la plupart des membres du Comité, même Danton, avec une extrême virulence. Il prétendit que les meneurs et faiseurs passaient leur temps à calomnier Paris au lieu de sévir contre les traîtres, qu'ils ne voyaient pas volontiers les nominations patriotiques du ministre, qu'ils favorisaient les contre-révolutionnaires et s'apitoyaient en dépit du bon sens sur le renvoi des aristocrates. Il les traita d'êtres insipides ou vendus dont l'âme était pourrie. Quoi ! ils avaient conservé ce Custine qui, dans une lettre fameuse, qualifiait Brunswick d'altesse sérénissime et de pacificateur du monde ! Hommes froidement atroces qui connaissez tant de crimes et en avez le détail effrayant sous les yeux, vous différez encore d'arracher ce brigand de l'armée ! Nation française, en quelles mains est ton salut ! Quels sont tes mandataires ! Ils ont la lettre de ce nouveau Dumouriez, et c'est ce poison à la main que le Comité appelé de salut public, l'a fait proclamer général des deux armées ! Il reprochait au Comité de ne pas répondre à Bouchotte qui lui dénonçait Devrigny, investi tout récemment par Custine et par les représentants du pouvoir redoutable de désarmer les escadrons incomplets : Citoyens, jugez de tels patriotes, de tels représentants. Serrons-nous enfin à la barre de la Convention. Rendons publique toute cette trame et qu'un grand acte de justice nationale frappe indistinctement tous les coupables ! Il concluait avec une singulière audace : Une telle conduite est bien digne d'un Cambon qui ne cesse de calomnier la sublime insurrection du 2 juin, d'un Barère qui, à cette même tribune, voulait la force armée à la réquisition de la Convention, l'anéantissement des Comités révolutionnaires, l'insurveillance des postes et les fers pour le municipal qui aurait eu le courage de troubler la correspondance des contre-révolutionnaires ! Elle est bien digne de cet homme qui a tant proposé au Comité de faire nommer Custine général des deux armées du Nord et des Ardennes, malgré sa trahison à celle du Rhin, qui a fait porter au ministère l'ex-vicomte Beauharnais dont la nomination mort-née avait réjoui les contre-révolutionnaires, et ensuite avec le brissotin Grouvelle, son ami, le modéré et plat Alexandre ? Elle est digne de Delmas, de cet homme voué à la vie et à la mort à Beurnonville — je tiens sa lettre à ce contre-révolutionnaire —. Elle est digne enfin de ces hommes qui avilissent assez leur patrie pour penser avec Machiavelqui parlait aux despotesque l'on ne peut se passer de cette caste infâme qui ensanglante la patrie, qu'il faut se servir de ses vices mêmes pour sauver la République, comme si le combat de la raison et de la vertu pouvait être soutenu par le crime ! Il faut étouffer les ambitieux dans une République, et c'est en élever à chaque instant, que d'exhumer de l'oubli des hommes qui haïssent tout ce qu'ils sont forcés d'estimer et qui n'ont jamais su que mépriser leurs semblables. C'est d'ailleurs dédaigner dans les armées les braves à la valeur et à l'intrépidité desquels la République doit ses triomphes. Je ne sache pas qu'elle en doive encore de grands aux généraux nobles ![12]

Robespierre désapprouvait de pareilles invectives. Toutefois, lui aussi plaidait pour Bouchotte et jugeait que le ministre, plus instruit qu'actif, plus propre à délibérer dans un Conseil qu'à régler les opérations des armées, joignait le patriotisme aux talents et le plus pur civisme aux lumières. Quant au Comité, Robespierre ne le défendait qu'avec mollesse. Sans doute, disait-il, ce Comité ne devait pas encourir la proscription puisqu'il avait rendu de grands services, découvert des complots, développé des vues sages et profondes, donné l'impulsion à d'avantageuses mesures, et d'ailleurs la perfection est impossible, et il serait impolitique de jeter de la défaveur sur une réunion d'hommes chargés des plus graves intérêts et des affaires les plus importantes de l'État. Mais, remarquait Robespierre, tous les membres du Comité n'étaient pas également éclairés et vertueux ; ils avaient commis des erreurs et des fautes, et l'on n'a pas assez fait pour la patrie quand on n'a pas tout fait[13].

Le 10 juillet, deux jours après ce discours de Robespierre, un député proposait à la Convention de renouveler aussitôt le Comité. Drouet et Bentabole appuyèrent la proposition et demandèrent que le Comité fût réduit à neuf membres et nommé à haute voix ; moins il serait nombreux, mieux il ferait le travail, et s'il était élu par l'appel nominal qui est la vraie pierre de touche du patriotisme, on connaîtrait les véritables patriotes de l'Assemblée. Drouet ajoutait que quelques membres de l'ancien Comité ne méritaient pas la confiance, et Camille Desmoulins, toujours étourdi, n'intervenant qu'à contretemps, outrant les choses, pressé de frapper le vaincu, assurait que le Comité causait beaucoup de mal par son ignorance, par son incapacité, par son ineptie et ne savait ni déjouer les trahisons, ni empêcher les plus humiliants désastres, comme la surprise du camp de Famars. La Convention décréta que le Comité ne comprendrait que neuf membres qui seraient nommés dans la séance du soir à haute voix. Ce furent Jeanbon Saint-André, Barère, Gasparin, Couthon, Hérault de Séchelles, Thuriot, Prieur de la Marne, Saint-Just et Robert Lindet[14]. Ni Danton, ni Delacroix, ni Delmas n'étaient réélus. L'Assemblée n'avait choisi que d'ardents jacobins, des Montagnards, et, comme disait le Père Duchesne, des bougres à poil. Barère était renommé, malgré Marat qui le traitait de royaliste déguisé et qui l'invitait à se prononcer une bonne fois en faveur du nouveau régime ; mais suivant le mot de Drouet, il avait de l'esprit et il serait toujours l'homme principal du Comité, celui qui se chargerait des affaires secrètes, des commissions dangereuses, des rapports difficiles[15]. Robespierre se réservait. Il gouvernait le Comité par Saint-Just et par Couthon ; il y siégea le 26 juillet sans y être encore adjoint, et y entra le 27, à la place de Gasparin qui se retirait en alléguant la faiblesse de sa santé[16].

 

II. Le second Comité ne fut pas au-dessous de sa tâche, comme l'avait été le premier Comité. Pas de lenteurs ni de délais, pas d'irrésolutions. Il agit avec décision et fermeté. La vigueur seule, écrivait-il aux représentants, peut nous sauver et il leur recommandait de ne jamais fléchir, d'user sans ménagement de l'immensité du pouvoir national dont ils étaient investis. Notre gouvernement, disait Gasparin du premier Comité, n'a pas assez de ressort ; il faut absolument un centre à notre machine si nous voulons qu'elle aille ; notre situation militaire n'est pas bonne et j'en attribue la cause aux tiraillements produits par les volontés individuelles[17]. Le second Comité eut le ressort qui manquait au premier ; il fut le centre de la machine ; il ne souffrit pas les tiraillements produits par les volontés individuelles. D'emblée, il prit le parti du ministre contre le général, de Bouchotte contre Custine.

Le premier Comité avait négocié. Danton faisait décréter que la Convention ne s'immiscerait en aucune manière dans le gouvernement des autres puissances ;- il jetait partout, comme s'exprimait Cambon, des germes diplomatiques, et il se flattait d'annoncer bientôt à l'Assemblée des propositions de paix honorables et la dissolution de la ligue de ces rois qui, bien qu'unis contre la France, n'oubliaient pas leurs prétentions réciproques et la vieille haine qu'ils se portaient mutuellement. Lorsque Dampierre était mort, n'avait-on pas trouvé dans sa poche une lettre de Proli qui, l'invitait, au nom de quelques membres du premier Comité, à parlementer avec les alliés et à leur insinuer adroitement de se retirer après avoir reconnu la République[18] ? Le second Comité fit la guerre à outrance. Il modifia les instructions données à Forster et à Petry qui durent prendre dorénavant un ton belliqueux et menaçant[19]. Il arrêta de ne plus envoyer de ministres plénipotentiaires et d'ambassadeurs, mais de n'avoir auprès des puissances étrangères, à l'exception de deux peuples libres, les Américains et les Suisses, que des agents secrets, des secrétaires de légation, des chargés d'affaires qui n'emporteraient pas d'instructions écrites et n'auraient que des pouvoirs et lettres de crédit. Il décida que la lutte serait sans pitié : on devait faire ; disait Laveaux, un désert, non pas d'hommes, mais de vivres autour de la France, enlever ou brûler tous les magasins, toutes les provisions ; aller municipaliser Pétersbourg et le Kamtchatka, sous prétexte de la République universelle, ne peut que nous perdre[20].

L'attention du second Comité se tournait surtout dans /es mois de juillet, d'août et de septembre, vers la frontière du Nord. Lorsqu'il apprit la reddition de Condé, il essaya de sauver Valenciennes qui tenait encore et il arrêta que le ministre renforcerait l'armée du Nord de 13.000 hommes d'infanterie et de 6.000 de cavalerie. Le 1er août, dès qu'il sut la capitulation de Valenciennes, il ordonna que Bouchotte enverrait aussitôt que possible au camp de Paillencourt les chevaux qui manquaient à l'artillerie, 3.000 sabres de cavalerie 3.000 brides et mors. Il fit décréter par la Convention qu'un camp serait formé entre Paris et l'armée du Nord. Il enjoignit d'approvisionner Lille et demanda l'état exact des munitions de guerre et de bouche que renfermait la forteresse. Il dépêcha le 7 août un courrier extraordinaire au commandant de Bouchain pour connaître la situation de cette ville et les positions de l'ennemi. Il chargea deux membres de l'administration des subsistances de parcourir les armées et tout d'abord l'armée du Nord pour vérifier et contrôler les états des magasins, les états de revue et les états des rations, constater les délits, appréhender les prévaricateurs, noter les agents recommandables par le talent et la probité. Il nomma deux commissaires spéciaux, Deschamps et Bécard, qui prirent le titre de commissaires du Comité de salut public et qui devaient recueillir des renseignements sur les places du Nord ainsi que sur les armées belligérantes et venir tous les huit jours, chacun à son tour, rendre compte au Comité de ce qu'ils avaient vu et entendu. Enfin, le 14 août il s'adjoignit Carnot et Prieur de la Côte-d'Or, deux officiers du génie qui dirigeraient la guerre ; Prieur aurait le matériel, Carnot le personnel, et, comme on disait, le moral. Carnot avait été désigné par Barère qui se vante dans ses Mémoires d'avoir fait ce présent à la France. Il se trouvait à Cassel le 6 août, lorsqu'il reçut une lettre du Comité qui l'appelait à Paris. Le 11, après avoir communiqué des vues importantes sur l'armée du Nord et signé des arrêtés comme s'il était déjà membre du Comité, il reprenait le chemin de la Flandre, conférait avec Houchard et, le 14, regagnait Paris pour tenir désormais, suivant l'expression de Delacroix, le fil de tous les plans militaires et pour organiser la victoire[21].

Mais le Comité ne croyait pas que la victoire fût possible si l'armée n'était républicanisée. Il résolut d'éloigner des camps tous les nobles, de ne mettre à la tête des troupes que des patriotes avérés, des sans-culottes d'état et de principes, des hommes qui combattaient pour leurs propres droits. Ne lisait-on pas dans les gazettes que puisqu'on faisait la guerre aux nobles, ils ne devaient pas la diriger ? Barère ne nommait-il pas les nobles des traîtres commencés ? Couthon ne s'écriait-il pas qu'il fallait se guérir de la manie d'employer ces comtes, ces marquis, ces ci-devant qui étaient, de fait ou d'intention, les ennemis du nouveau système, et ne plus se servir que de plébéiens et de ceux que l'ancien régime appelait avec mépris des officiers de fortune ? Vainement Du Bois du Bais conseillait d'éviter les grandes commotions qui suivraient une mesure de proscription universelle, et, sans dédaigner les dénonciations, de ne pas les accueillir toutes. Vainement Le Cointre écrivait que les armées sans chefs se dissipent et s'anéantissent, et que le Comité remplissait les prisons de généraux, et n'osait les punir s'ils étaient coupables, ni leur rendre justice s'ils étaient innocents. Vainement les représentants conservaient des officiers nobles qu'ils ne savaient comment remplacer. Les successeurs, disait le Comité, sont dans les cantonnements ; on les aurait trouvés, si on les avait bien cherchés[22].

Le Comité usa de tous les moyens pour détruire dans l'armée les souvenirs de la monarchie. Les officiers des vieux régiments ne se résignaient pas à quitter l'habit blanc, et il fallut ordonner à ceux de l'armée du Nord de s'habiller de bleu pour le 10 ou le 15 août au plus tard, selon qu'ils appartenaient au camp principal ou aux divisions éloignées. Ils obéirent de mauvaise grâce. Presque tous conservèrent sur leur nouvel uniforme les boutons blancs avec le numéro du régiment et les épaulettes en argent. Plusieurs, et notamment ceux du 17e, ci-devant Auvergne, avaient même au retroussis de l'habit une grenade ou un autre signe qui rappelait la couleur de leurs anciens revers. On dut, le 21 août, leur enjoindre de porter, dans le délai de quinze jours, les épaulettes jaunes et les boutons jaunes avec la légende République française[23].

Pour mieux patriotiser l'armée, le Comité garda Bouchotte et le maintint envers et contre tous. Le 25 juillet, Dartigoeyte invitait la Convention à mettre au ministère un homme qui fût digne de la confiance publique et à congédier cet ignorant de Bouchotte qu'une intrigue, une espèce de magie, fixait encore à la maison de la guerre[24], bien qu'il eût donné sa démission depuis deux mois. Boucher Saint-Sauveur répondit que Bouchotte était patriote, et Barère, que le Comité aimerait mieux nommer de bons adjoints que de changer le ministre. Malgré Boucher et Barère, la Convention résolut de dresser, le jour suivant, une liste de candidats. Mais deux députations se présentèrent à sa barre : l'une, dépêchée par les Cordeliers, engagea l'Assemblée à laisser au ministère de la guerre l'intègre et civique Bouchotte ; l'autre, envoyée par la Société républicaine du Dix-Août, pria la Convention d'arracher au commandement des armées les nobles, ennemis nés de la liberté, et de ne pas écarter Bouchotte : on employait contre lui les mêmes manœuvres que contre Pache ; mais l'Assemblée résisterait à toutes les insinuations et placerait des patriotes et non des scientifiques à la tête des administrations. Robespierre appuya les pétitionnaires, vanta la probité sévère du ministre, assura qu'il ne serait jamais un Beurnonville et qu'il saurait rompre les trames ourdies par de nouveaux Dumouriez, qu'il avait la confiance des patriotes et la haine des aristocrates, qu'une aveugle prévention lui attribuait les fautes de ses agents et de ses ennemis ; si la Convention, conclut Robespierre, voulait donner quelque assiette au gouvernement et de la suite, de la consistance aux opérations de la guerre, elle annulerait le décret qui prononçait implicitement le renvoi de Bouchotte. La Convention annula le décret au milieu des applaudissements répétés du public, et le 28 juillet, sur le rapport du Comité, elle décidait que le ministre de la guerre était autorisé, non seulement à remplacer et à suspendre provisoirement les officiers généraux et les officiers des états-majors, mais à choisir dans tous les grades, sans être astreint aux dispositions des lois précédentes.

Pourtant Bouchotte fut encore attaqué. Le 12 août, Gossuin annonçait que les ennemis cernaient Cambrai et marchaient sur Péronne. Bouchotte, disait-il, ne faisait rien par lui-même, ne prenait conseil que des clubs, ne tentait rien pour arrêter l'invasion[25]. Delacroix s'unit à Gossuin ; il s'étonna qu'on n'eût pas accepté la démission de Bouchotte et affirma que le ministre n'avait pas de talents militaires, n'avait pas les connaissances nécessaires pour seconder utilement les armées. Mais, séance tenante, Barère répliqua que le Comité voyait dans Bouchotte un homme d'un talent considérable, d'un sûr républicanisme, d'une exacte probité, et que, même sous le fameux siècle de Louis XIV, l'administration de la guerre n'avait pas la tâche immense de Bouchotte qui mettait 500.000 soldats en mouvement. Six semaines plus tard, le 25 septembre, Barère plaidait derechef pour Bouchotte, protestait que le ministre n'était peut-être pas assez énergique et révolutionnaire, mais qu'il possédait la première des qualités, une qualité préférable à toutes les autres, le patriotisme.

Une nouvelle attaque eut lieu contre Bouchotte dans les derniers jours de 1793. Par trois fois, Bourdon de l'Oise le dénonça ; il affirma que ses commis allaient aux Cordeliers et ailleurs calomnier les députés, que ses agents entravaient les mesures des représentants, et il demanda la suppression des ministères et de ce Conseil exécutif, puissance monstrueuse qui rivalisait avec la Convention et le Comité. Mais Bouchotte avait, au contraire, prescrit à ses agents de se renfermer strictement dans les limites de leur mission et de ne pas lutter de pouvoir avec ceux à qui l'autorité immédiate était déléguée. Barère fit son panégyrique et déclara qu'il s'était engagé très avant dans la voie de la Révolution, qu'il avait la passion de la liberté, qu'il se rendait assidûment au Comité pour recevoir ses ordres. Robespierre appuya Barère ; le Comité, remarquait-il, surveillait tous les ministres, et le caractère de Bouchotte opposait aux conspirations une insurmontable barrière[26].

Robespierre couvrit non seulement le ministre, mais un des adjoints du ministre, Daubigny. Ce Daubigny était du même pays que Saint Just qui témoignait un jour qu'il ne connaissait pas de meilleur ami, de plus ardent patriote et de citoyen plus estimable. Le 7 janvier 1794 ; au nom du Comité des marchés, Charlier montrait à la Convention des effets destinés aux soldats, une paire de bas si mauvaise qu'elle pouvait à peine se porter une fois et une capote d'hiver faite d'étoffe très légère et doublée de toile d'emballage. L'Assemblée décréta que les fournisseurs seraient arrêtés et, à la requête de Bourdon de l'Oise, que Daubigny, chef du bureau de l'habillement, paraîtrait devant le tribunal révolutionnaire. Mais Robespierre proclama le zèle de Daubigny et les services que ce coopérateur du Comité rendait à la patrie ; il certifia que Daubigny ignorait de pareilles dilapidations et opina que l'incident n'était pas assez approfondi, que l'assemblée ne devait pas frapper sans mûr examen un agent du gouvernement et paralyser ainsi le gouvernement lui-même. Il eut gain de cause.

Bouchotte était donc l'homme du second Comité, et le Comité le tint dans sa dépendance, le semonça. le stimula, l'obligea de présenter tous les dix jours un tableau analytique des travaux de son ministère pendant la décade, et tous les quinze jours, par bref état, le contrôle des régiments et des bataillons[27]. Lorsque le commandant de Cambrai écrivit que l'administration de la guerre n'avait pas encore répondu depuis deux mois à ses demandes pressantes, Couthon et Jeanbon Saint-André reprochèrent durement à Bouchotte la négligence impardonnable de ses bureaux et lui enjoignirent de chasser les malveillants, les traîtres qui ne 'essaient d'entraver la marche des opérations[28].

Le ministre obéit docilement au Comité. Ce fut sur l'ordre du Comité qu'il s'efforça de sans-culottiser l'armée du Nord ou, comme on disait alors, de la démuscadiner, de purger et de nettoyer les états-majors. Les trahisons sans cesse renaissantes des officiers, lui écrivaient Robespierre, Hérault et Carnot, doivent vous faire sentir combien il est important de prendre sur leur compte tous les renseignements qu'exige le salut de la patrie. Bouchotte déclara, avec le Comité, que les ci-devant avaient la République sur les lèvres et non dans le cœur, qu'ils étaient les secrets ennemis de la Révolution, qu'ils opposaient au mouvement populaire une force d'inertie, et il les sacrifia sans miséricorde. Les grades, répétait-il, ne devaient être donnés qu'à de véritables sans-culottes, et le patriotisme suppléerait aux talents. Lorsque, à Maubeuge, les soldats du 38e régiment d'infanterie chassaient leurs officiers nobles, riaient au nez du général Gudin qui menaçait de les désarmer et protestaient qu'ils se feraient plutôt hacher en morceaux que de rendre les armes, Bouchotte applaudissait à leur civisme et encourageait son agent Viger à propager ce républicanisme dans les autres régiments[29]. Le tact du soldat, assurait-il, est trop fin pour envelopper dans la proscription un officier dont les principes sont purs, et l'armée ne peut être réellement bonne que lorsqu'elle sera purgée des aristocrates, royalistes, feuillants et modérés ; l'esprit révolutionnaire se met au courant des événements ; il suit les mouvements de la masse et il les dirige pour le plus grand bien de la République. Il mandait au général Barthel de porter son attention sur les commandants des places et des cantonnements et de n'en laisser aucun qui fût suspect. Tout ce gui est suspect doit être changé : tel était le mot d'ordre que donnait aux bureaux le secrétaire général Vincent[30].

Ce fut à l'instigation du Comité que Bouchotte envoya des papiers publics aux armées. Déjà Fabre d'Églantine, criant que les adversaires de la Révolution travaillaient à égarer ses défenseurs, proposait de fonder une gazette militaire. Déjà paraissaient des journaux qui semblaient, par leur titre, uniquement destinés au soldat : le Postillon des armées, bulletin général de la France et de l'Europe et le Bulletin général des armées et de la Convention nationale ; mais, comme l'indique le sous-titre, ils s'adressaient aux lecteurs de toutes les classes. Déjà quinze cents exemplaires du Bulletin de la Convention étaient expédiés à l'armée du Nord et, sur l'ordre des représentants, ce journal était affiché quotidiennement à la porte des casernes et dans les camps, à un poteau placé au centre de chaque bataillon. Bouchotte répandit parmi les troupes l'Ami du peuple, le Journal de la Montagne, le Républicain ou Journal des hommes libres, le Père Duchesne, le Journal universel, le Batave, le Rougyff, l'Anti-fédéraliste et le Journal militaire. Il n'acheta que soixante-quinze collections de l'Ami du peuple à Marat qui les lui fit payer au prix coûtant. Mais, le 24 mai, il abonnait le ministère de la guerre pour 2.000 exemplaires au Républicain — qu'un de ses agents, il est vrai, jugeait plus que modéré, — pour 2.000 exemplaires au Journal de la Montagne, et pour 3.000 exemplaires au Père Duchesne. Le 13 septembre, il prenait 42.000 exemplaires à Hébert. Tous les jours, de son propre aveu, 8 à 10.000 feuilles étaient envoyées aux armées, et le ministre qui calculait les abonnements dans la proportion d'une feuille par jour et par cent hommes, consacrait mensuellement à cette dépense 30 à 35.000 livres en assignats, c'est-à-dire 12.000 livres en numéraire[31].

On reproche ordinairement à Bouchotte d'avoir propagé ces papiers nouvelles, surtout le Père Duchesne, et de les avoir payés sur les fonds de la guerre. Il a essayé de se justifier. Ne fallait-il pas avertir les soldats engoués de généraux qui ne cessaient de faire des reculades ? Ne fallait-il pas les mettre en garde contre le principal agent de la chose publique, s'il abusait du pouvoir qui lui était confié, et s'il attentait à la loi ? Ne fallait-il pas leur parler de la patrie et leur rappeler sans affectation les objets transcendants auxquels ils devaient s'attacher et se rallier ? N'était-ce pas servir la cause populaire que de leur montrer l'aristocratie sous ses odieuses et véritables couleurs ? D'ailleurs, le ministre ne faisait qu'exécuter les volontés du gouvernement. Il n'était qu'un simple abonné, et il était abonné parce qu'on lui enjoignait de l'être. Le Comité n'avait-il pas, après le 31 mai, manifesté l'intention d'envoyer des journaux aux armées ? La Convention n'avait-elle pas mis à la disposition du Conseil exécutif 16 millions, et, sur cette somme, des arrêtés du Conseil n'avaient-ils pas réservé au ministre Bouchotte 1.200.000 livres dont il rendit compte et reçut décharge[32] ? Ce n'est donc pas de sa propre inspiration et avec les fonds de la guerre que Bouchotte a payé les journaux.

Et si les feuilles politiques, dit-il encore, produisaient un mauvais effet, pourquoi les représentants du peuple ne s'opposaient-ils pas à cette distribution ? Duquesnoy récrivait-il pas qu'elles étaient une nourriture bienfaisante qui soutenait le bon esprit du militaire, et ne prenait-il pas assez d'abonnements au Rougyff pour prolonger la vie du grossier journal de son ami et compatriote Guffroy[33] ? Le Comité ne décidait-il pas au mois de novembre d'abonner les clubs à cinq journaux rédigés dans le sens de la Révolution républicaine, au Moniteur, au Journal Universel, à l'Anti-fédéraliste, au Républicain et... au Père Duchesne ? N'arrêtait-il pas, le 26 floréal suivant, de continuer l'abonnement des armées au Républicain et au Journal Universel[34] ? Bouchotte a donc raison d'alléguer qu'il avait besoin d'un ordre supérieur pour supprimer l'envoi des journaux et qu'il n'aurait pu ordonner cette suppression sans se mettre beaucoup de personnes à dos.

Mais le ministre de la guerre devait-il répandre des gazettes qui calomniaient les généraux et ruinaient la discipline ? Il affirme qu'il ne désirait pas diminuer la considération des chefs et l'obéissance des soldats. Il reconnaît l'inconvénient de ce temps-là, les écarts, les personnalités des journaux, et prétend que c'était au ministre de l'intérieur à punir cette licence et à réprimer les écrivains. Mais des commissaires de la Convention, Beffroy, Bollet, Duhem ne blâmaient-ils pas les agents du ministre qui semaient, avec les feuilles de Hébert et de Laveaux, des soupçons odieux sur les généraux ? Enfin, pourquoi Bouchotte prenait-il, de son plein gré, au milieu de septembre, 9.000 abonnements de plus au Père Duchesne, à ce Père Duchesne dont le langage dégoûtant et ordurier, dit Camille Desmoulins, avilissait la République et faisait croire à l'Europe que la France était peuplée de barbares et de Vandales, comme si ses saletés étaient celles de la nation, comme si un égout de Paris était la Seine ? Pourquoi, de son chef, sans ordre du Comité, cessait-il, le 1er octobre, d'envoyer dans les camps le Journal de la Montagne ? Ne fut-ce pas sous l'impulsion de Vincent qui se vengeait ainsi de Laveaux, devenu son ennemi Ne fut-ce pas sur le conseil impérieux de Vincent qui chauffait avec la braise de Bouchotte les fourneaux de son ami Hébert[35] ?

Des commissaires dits du pouvoir exécutif, Celliez, Varin, Defrenne[36],furent chargés de distribuer les journaux à l'armée du Nord, et Prosper Sijas, l'adjoint du ministre, leur donnait ordre de remettre eux-mêmes dans tous les bataillons les feuilles qu'ils recevaient chaque jour du département de la guerre : Cette mesure, disait Sijas, est d'autant plus urgente, que la plupart des états-majors sont infectés d'aristocratie ; c'est à nous, bons républicains, à fortifier l'esprit public et à terrasser tous les scélérats qui veulent nous replonger dans les fers. Mais les agents avaient une autre mission plus importante, celle de surveiller le matériel et le personnel. Bouchotte leur recommandait de s'attacher à connaître ceux qui servaient bien la République et ceux qui la trompaient on ne lui étaient d'aucune utilité, de mettre l'ivraie de côté, de chercher dans tous les rangs de l'armée et d'arracher à leur poste les citoyens qui joignaient les talents militaires à un pur civisme. Ce fut sur leurs rapports que Bouchotte prononça ses suspensions. Il avait en eux la plus grande confiance, il lisait leurs lettres avec une extrême attention et les analysait, les annotait soigneusement. Une ligne, un mot de Celliez, de Varin, de Defrenne décida souvent du sort d'un officier. Lorsqu'un décret du 23 août supprima les commissaires du pouvoir exécutif, Bouchotte déclara que le Comité devait de toute nécessité obtenir l'abrogation de cette mesure, que le ministre manquerait de renseignements exacts sur les officiers tant qu'il n'aurait pas dans les camps des agents qui, armés d'un pouvoir, se défendraient de la malveillance. Il se plaignit au président de la Convention. Ne fallait-il pas des commissaires pour hâter la fabrication des piques et la fonte des cloche  pour contrôler et accroître le travail des manufactures d'armes, pour propager l'esprit public, et leur rappel n'allait-il pas décupler le labeur du ministre ? Le 14 septembre, la Convention décréta que les ministres pourraient envoyer des agents aux armées à condition de renseigner tous les hu t jours le Comité de salut public sur leur nombre et l'objet de leur mission. Le 30, Bouchotte présentait au Conseil exécutif la liste de ses agents. C'étaient, pour l'armée du Nord, Celliez, Varin, Châles et Berton. Il leur donna des instructions nouvelles : ils seraient l'œil du ministre ; ils s'efforceraient de découvrir les trahisons, les intrigues et les abus, de sonder les généraux et les états-majors, de savoir s'ils appartenaient à la noblesse ou s'ils avaient été partisans de la tyrannie et des factions, créatures de Lafayette, de Dumouriez, de Custine, de Houchard ; ils visiteraient les hôpitaux et les prisons, vérifieraient l'état des fortifications, surveilleraient la confection des habits, enverraient des informations sur les besoins des troupes et la position de l'ennemi[37].

Mais Bouchotte ne se contentait pas de dépouiller la correspondance de ses agents personnels. Il lisait les lettres des représentants, des généraux, des commissaires des guerres, les résumait, et envoyait à ses adjoints les demandes et les réclamations, à mesure qu'elles lui passaient sous les yeux. Lorsqu'il reçoit, après la défaite de Famars, les plans de Custine, de Tardy, de Sauviac et de Gobert, il les examine et les discute. Il étudie dans de longs exposés et avec une minutieuse attention les projets qui lui viennent de tous côtés, calcule exactement à quelle époque arriveront les secours qu'il envoie, essaie de deviner, en consultant les cartes, ce que fera l'adversaire, recherche les causes des échecs et les moyens de porter remède aux inconvénients[38].

Il prêchait la défensive. Plus de ces promenades qu'on a faites à perdre haleine en suivant l'ennemi. L'essentiel, c'est de repousser les coalisés du sol de la République, c'est de protéger tout le pourtour du territoire ; les troupes ne sont pas manœuvrières ; elles doivent éviter la plaine et se borner à une guerre de postes. Pourtant, il ne répudiait pas l'offensive, lorsque les circonstances y prêtaient, et il conseillait de profiter d'un coup de fortune pour aller de l'avant et se saisir d'une forte barrière. Mais il ne voulait pas que la victoire fût achetée par de cruels sacrifices et par une grande effusion de sang ; il en coûtait trop d'attaquer les alliés de front ; il valait mieux les tourner, et une fois battus et opérant leur retraite, les pourchasser avec vigueur et leur infliger tout le mal qu'on peut attendre de l'impulsion française[39].

Ses vues sont toujours sages et sensées. Il présentait des plans de campagne sans les imposer. Il désirait que les généraux ne fussent pas gênés, qu'ils eussent leurs coudées franches, et s'il les engageait à traverser une rivière, il les laissait déterminer eux-mêmes le lieu du passage ; il leur indiquait le but en leur abandonnant le choix des moyens. Ses réflexions n'étaient nullement impératives ; il n'avait pas l'intention de prescrire les mouvements de si loin et du fond de son cabinet ; c'est au général qui est sur les lieux, à juger du possible. Mais, lorsque Custine méditait de dégarnir l'Alsace aux dépens de la Flandre et alléguait que Mayence tiendrait jusqu'au milieu du mois d'août, Bouchotte répondait froidement que la forteresse n'avait pas assez de munitions de bouche pour résister aussi longtemps, et il montrait au général ses propres états d'approvisionnements[40].

Il encouragea les chefs, remonta leur moral, tâcha de les rendre plus résolus et plus audacieux. Nos ennemis, écrivait-il à Houchard, ne sont pas innombrables, et lorsqu'ils se portent en masse sur un point, ils sont de moins dans un autre[41].

Il prit quelquefois d'excellentes mesures. Après la désertion de Dumouriez, il dépêcha dans les places principales du Nord des agents chargés de rallier et de rassembler les sous-officiers et les soldats qui gagnaient l'intérieur[42]. Il défendit aux militaires qui portaient des dépêches au gouvernement, de rester vingt-quatre heures à Paris sans sa permission, et aucun d'eux ne put y venir, même pour les affaires de son bataillon, même avec le consentement de son général, si le Conseil d'administration n'avait pas envoyé au ministre une demande de congé[43]. Il exhortait son monde à l'économie, s'élevait avec force contre les prodigalités. Qu'on ne donne que ce qui est nécessaire et qu'il n'y ait pas de dilapidations. S'il expédiait des poudres, il rappelait que les canonniers avaient souvent, dans de précédentes occasions, tiré hors de portée. Nous n'avons rien de plus précieux que les poudres, ajoutait-il, et il priait l'artillerie d'en faire un judicieux usage, de ne pas doubler ou tripler inutilement les charges[44]. Le premier, il se servit de la poste pour le transport des troupes, et l'entreprise, qui parut singulière, s'exécuta avec une remarquable précision. Le premier, il employa dans la correspondance militaire le tachygraphe ou télégraphe inventé par Chappe[45].

Sa taciturnité, la simplicité de son extérieur, ses façons un peu niaises le firent prendre pour un homme totalement incapable. Mais il possédait de grandes qualités d'administrateur, une infatigable activité, une application continuelle et raisonnée. Le premier Comité le salut public le surnommait la statue de pierre et le ministre d'Égypte. Le Comité, répliqua Bouchotte à cette satire, a donc su apprécier le sang-froid du ministre, sa sobriété de paroles et sa puissance de travail[46].

Les généraux et les représentants se plaignirent fréquemment de Bouchotte. Carnot disait une fois qu'on n'entendait plus parler de lui, qu'il semblait ne pas exister. Mais Carnot, devenu membre du Comité, comprit ces mots du ministre, que les circonstances avaient quadruplé le labeur et que, sur toute la surface de la République, la machine militaire était désorganisée[47].

Aux remontrances et aux objurgations, Bouchotte répondait qu'il était à chaque instant arrêté par les sollicitations des municipalités et des administrations départementales toujours inquiètes et toujours insatiables. On ne peut marcher rapidement, écrivait-il[48], à cause de la multiplicité des affaires, des demandes indiscrètes des citoyens qui voient toute la République dans leur commune, et des contre-ordres ; tout cela est une suite presque inévitable dans une Révolution ; il faut que nous marchions avec tous nos embarras ; le patriotisme est plus occupé de les diminuer que de se roidir contre eux. En vain, on parle raison aux administrateurs et leur dit que, dans une défense aussi étendue, il n'est pas possible qu'il y ait quelques points de la République qui ne souffrent, que l'essentiel est de garnir telle ville de première importance, de tenir telle position essentielle, et qu'en maintenant ces points, l'on sauvera la République, puisque l'ennemi ne pourra pas faire d'établissement solide. Ce sont paroles perdues ; chacun ne voit que sa localité.

Il répondait que la nation n'était pas servie pour son argent, que l'esprit de lucre dominait, que, de toutes parts, se commettaient des dilapidations, que les fournisseurs ne se pressaient pas et ne se souciaient que de leur propre bénéfice : Ils ne veulent que gagner ; ils prennent leurs aises pour faire leurs livraisons et n'ont pas l'humeur assez bienveillante pour songer à la République en même temps qu'à leurs affaires[49].

Il répondait qu'il n'avait pas à sa disposition d'immenses ressources, qu'il donnait des ordres et de longue date, mais que les besoins étaient si étendus qu'on ne pouvait les satisfaire tous à la fois, qu'il agissait de son mieux, qu'il envoyait les habits, les munitions, les armes avec autant de célérité que le comportaient les soins que nécessitaient les autres armées et dans la proportion de ce que la République possédait. Isoré le priait d'approvisionner de poudre la forteresse de Lille ; le ministre répliquait qu'il ne perdait pas de vue les demandes du conventionnel, mais, ajoutait-il, nous ne sommes pas riches de ce côté-là. On le sommait de découvrir des fusils : Tous nos moyens réunis, déclarait-il, sont bien inférieurs au nombre d'hommes que nous avons à armer. Les représentants à l'armée des Pyrénées-Orientales réclamaient des effets d'artillerie ; Bouchotte leur montrait le relevé des ordres donnés et des lettres échangées à ce sujet : Vous serez, disait-il, à même de juger que je n'ai pas cessé de m'en occuper un seul instant ; les retards tiennent à des causes accidentelles qui ne dépendent pas de ma bonne volonté[50].

Situation difficile s'il en fut jamais ! La confusion régnait partout. Au 11 octobre, le ministre n'avait pas encore l'état exact de tous les corps de troupes, et inutilement, à quatre reprises différentes, en janvier, en avril, en juillet, en août, il avait exigé des Conseils d'administration des bataillons le registre de contrôle[51]. Bouchotte avait beau écrire, soit sur de grandes feuilles, soit, plus souvent sur des billets et de petits bouts de papier : ceci doit être prompt. Il ne pouvait rien contre le désordre universel, et il reconnaît qu'avec leurs six cents employés, les divisions du ministère n'avaient pas même le temps de mettre les affaires au courant[52]. Le 15 septembre, il s'émeut, s'écrie qu'il reçoit tous les jours des nouvelles infiniment pressantes sur la nécessité d'approvisionner promptement Maubeuge, prend sur le champ des mesures... et Maubeuge faillit être affamé.

Il ne cessait d'envoyer des instructions, de recourir à cette formule : Donnez des ordres en conséquence. Il stimulait, il poussait ses auxiliaires, leur prescrivait, à l'entrée de l'hiver et à l'instant ou les demandes allaient se multiplier, de jeter un coup d'œil sur toutes les armées et de prévenir tous les besoins. Lorsqu'il apprenait que l'armée du Nord avait manqué de pain durant deux jours, il remarquait que les chemins étaient affreux mais qu'un pareil dénuement avait lieu d'étonner. Il faisait aiguillonner par des circulaires la vigilance des commissaires des guerres ; il enjoignait aux accusateurs et aux juges de police militaire de punir les charretiers et tous ceux qui commettaient de grands abus dans la livraison des fourrages ; il menaçait l'administration des subsistances et la requérait de surveiller ses agents, de leur imposer travail et bonne volonté, ou de les destituer. Il se plaignait très vivement à l'administration d'habillement, résumait avec force les trois griefs qu'il avait contre elle : 1° pénurie, 2° mauvaise qualité, 3° cherté de ses fournitures, et assurait que les doléances et récriminations qui retentissaient partout, provoqueraient de sévères informations et des punitions[53].

Mais il n'avait pas assez de prestige, assez d'autorité pour obtenir l'obéissance complète et immédiate. Ne dit-il pas qu'il n'est qu'un mannequin à signatures, un viseur d'un millier de rapports, un donneur d'ordres de détail qui absorbent tout son temps et qu'il ne devrait que délibérer dans le Conseil pour l'exécution des lois et des mesures générales nécessaires à. l'action du gouvernement ? Ne dit-il pas encore qu'il voudrait lier à la responsabilité les chefs des bureaux, les principaux commis et jusqu'aux expéditionnaires, lier à la responsabilité les commissaires des guerres, les régisseurs, les entrepreneurs, et qu'il n'en a pas les moyens ?

Bouchotte fit donc ce qu'il put. On ne doit pas oublier qu'il conserva Miot dans les bureaux de son ministère, et le futur comte de Mélito rapporte dans ses Mémoires que Bouchotte travaillait avec lui plusieurs fois par jour, lui témoignait une entière confiance et ne lui parlait pas politique. Il suspendit un grand nombre d'officiers, mais il ne les suspendit que provisoirement. Il ne prononça que rarement la destitution. Le ministre, écrivait-il plus tard, a très peu destitué ; ses actes étaient ordinairement des suspensions qui laissaient plus de facilité à revenir là-dessus, s'il y avait eu erreur. Il perdit Custine ; mais Custine l'avait outragé personnellement et se révoltait contre l'autorité ministérielle. Il destitua La Marlière ; mais La Marlière, d'ailleurs vaniteux et avide de popularité, désobéissait au Conseil exécutif et semblait compromettre la sûreté de Lille. Miot atteste que Bouchotte fut, par ses sentiments, tout à fait étranger aux condamnations des généraux et qu'il détourna le coup fatal de bien des personnes qui ne crurent jamais lui devoir la vie. Ce fut Bouchotte qui sauva Canclaux en déclarant que le général cessait son service et présentait un mémoire pour obtenir sa retraite. Il sauva Jourdan. Il sauva Desaix, frère de deux émigrés et dénoncé par le club de Riom, et, sur les sollicitations de Pichegru qui ne pouvait se passer de son lieutenant, lui laissa le commandement d'une aile de l'armée du Rhin. Enfin, il a, suivant ses propres termes, concouru aux victoires en appelant à la tête des troupes d'habiles généraux. S'il ruina les états-majors, il les reconstitua, les réorganisa sur-le-champ, et souvent avec bonheur. Durant les mois de juillet, d'août et de septembre 1793, les suspensions pleuvaient dru comme grêle ; mais de même, les promotions. Châles reprochait à Bouchotte de multiplier les déplacements ; mais Bouchotte pouvait dire qu'il s'occupait activement des remplacements de manière qu'il n'y eût point de lacune. Son choix se portait particulièrement sur les jeunes gens qui sont plus propres à servir la Révolution que ceux qui plient sous de vieilles habitudes. Il nommait, le 3 septembre, Gratien, Proteau, Desjardin, Despeaux, Brun, Cordellier, généraux de brigade, et Drut, Duquesnoy, Alexandre Dumas, Élie, Bidoit, généraux de division ; — le 13 septembre, Hoche, général de brigade, et Balland, Chancel, Doppet et Souham, généraux de division ; — le 20 septembre, Ernouf, Marchant, Schlachter, Legrand, Morlot, généraux de brigade, et Colaud, Desbureaux, Favereau et Maisonneuve, généraux de division ; — le 22, Fromentin et Leclaire, généraux de division ; — le 23, Pellapra et Dommartin, généraux de brigade, et d'Espagne, adjudant général chef de brigade. Si, le 24, il suspend presque tout l'état-major des armées de la Moselle et du Rhin, il fait, le 25, une fournée de généraux de division : Mayer, Michaud, Jacob, Mengaud, Offenstein, et de généraux de brigade : Mouzin, La Sabatie, Guinet, Pinteville, Deverchin, Lorge, Richard, Malye, Jacob, Sabardin, Telt, Vaillant, Vachot, Dorsner, Ortlieb, Sautter, Fébure, Blanc, Pergaud, Blondeau, Clerc. Le 30, il nomme généraux de brigade : Bournet, Robert, Canuel, Chambon et Vimeux[54].

 

Tel a été Bouchotte, intègre, nullement ambitieux, serviteur actif et infatigable du Comité[55], absorbé par son immense travail, ne cessant de noircir le papier de son écriture menue et serrée, et, du fond de son cabinet qu'il ne quittait pas, envoyant des ordres de tous côtés, et de tous côtés prodiguant les exhortations. Au milieu de tout cela, écrivait-il à Houchard, rien ne doit relâcher notre zèle et notre dévouement pour servir nos concitoyens ; il existe Une vérité, c'est que la nation veut être libre, et, dans cette volonté, il y a des ressources intarissables. Calme, imperturbable, craignant de perdre la moindre parcelle de son temps, il vaquait à sa besogne sans riposter aux attaques des journaux et aux pamphlets des partis, sans se plaindre des inculpations de ces ardents députés qui, suivant son expression, croyaient signaler leur patriotisme en formant des accusations, sans maugréer contre la surveillance qu'exerçaient les commissaires de la Convention. A l'occasion, il tenait tête aux représentants, et lorsqu'ils combattaient la nomination d'Alexandre Dumas, il priait le Comité de conserver l'unité de gouvernement et demandait que les décrets de l'Assemblée fussent la base des actions civiles et politiques. Mais il reconnaissait volontiers que les conventionnels ne faisaient que leur devoir en contrôlant ses actes, et ce contrôle, il ne le redoutait pas : le fonctionnaire probe gagne toujours à être examiné. Il engageait les représentants à suivre de près les opérations militaires, à se rendre aux Conseils de guerre, à interdire aux généraux les négociations. Il louait leur conduite militaire qui devait produire un bien bon effet sur le soldat. Les administrateurs du Bas-Rhin, incarcérés par Saint-Just et Le Bas, se plaignaient à lui ; il leur répondit que les deux envoyés du Comité étaient de grands amis du système populaire, qu'ils jouissaient de la confiance des patriotes et n'avaient pris une mesure rigoureuse que parce qu'ils la jugeaient nécessaire au salut public[56].

Son principal tort fut de livrer les bureaux de la guerre aux ultra-révolutionnaires ou hébertistes et de payer par des condescendances trop fréquentes la protection que lui donnait la Commune de Paris. La Commune, dit un de ses subordonnés, trouvait en lui, à quelques égards, un second Pache. Ne choisit-il pas pour collaborateurs le gendre de Pache, Xavier Audouin, et ceux que Pache avait employés, Vincent, Ronsin, Sijas, Jourdeuil ? N'était-il pas un familier de Pache et n'avait-il pas avec son devancier plusieurs affinités et ressemblances, laborieux comme lui, réservé, silencieux, un peu sournois ? Les amis de Camille Desmoulins le priaient un jour d'adoucir le ton de Hébert : il les renvoyait au département de l'intérieur en ajoutant qu'il ne se mêlait pas de la presse ; mais ignorait-il la campagne de Hébert contre Camille ? Il a dit plus tard qu'il n'insérait pas d'articles dans les gazettes, que les journaux ne recevaient les nouvelles de l'armée que lorsqu'elles avaient été lues à la Convention, qu'il ne voulait irriter personne, qu'il ne donnait pas d'argent à Hébert pour calomnier certains députés. qu'il n'était d'aucun parti. Mais était-ce n'être d'aucun parti que de répandre dans les armées près de douze cent mille exemplaires du Père Duchesne ? Hébert ne faisait-il pas aux Jacobins le panégyrique de son abonné qui ne respirait que pour le bonheur de ses concitoyens et n'avait pas commis la plus légère faute ? Le sincère et sérieux Miot, si favorablement disposé pour son chef, n'a-t-il pas affirmé le dévouement de Bouchotte à la Commune et assuré que le ministre prouva maintes fois son attachement à cette faction ? Dans la journée du 2 juin, Cambon ne criait-il pas à Bouchotte : Ministre de la guerre, nous ne sommes pas aveugles ; je vois très bien que des employés de vos bureaux sont parmi les chefs et les meneurs de tout ceci ![57]

Il est vrai que Bouchotte dut, après la trahison de Dumouriez, rappeler la plupart de ceux qu'avait écartés son prédécesseur Beurnonville. On demandait que les bureaux de la guerre fussent, selon un mot de Brune, de formation toute civique. Le public, rapporte Bouchotte, se plaignait qu'on ne se servît pas de patriotes. Mais, s'il n'était pas véritablement hébertiste, s'il ne fut pas impliqué dans la procédure de Hébert et de Ronsin, s'il ne fut même pas assigné comme témoin et s'il a raison de dire que ses ennemis ne l'auraient pas ménagé s'il avait donné prise, il ouvrit la maison de la guerre à des hommes qui mettaient au-dessus du bien public l'intérêt de leur propre parti. Tu te plains, écrivait-il à Duquesnoy, de certains de mes adjoints et de la méchante qualité des gens qui m'entourent, quoique je sois l'homme du monde le moins entouré, et il jurait qu'il avait pris ses renseignements, qu'il ne soutenait ni le vice ni les vicieux. Il affirmait pareillement à Cavaignac que s'il y avait dans la foule de ses commis des malhonnêtes et des inciviques, les intentions en masse étaient bonnes. Mais il fit de Vincent son secrétaire général, son second, presque son alter ego, et lui-même reconnaît que Vincent était peu travailleur et ne s'imposait que par son sans-culottisme, par son habitude de partage, par son exagération. Or, on sait jusqu'où Vincent poussait l'exagération. Il ne se contentait pas d'être arrogant et de faire revivre dans les bureaux, suivant le témoignage de Philippeaux, la morgue et l'insolence de l'ancien régime. Vincent conviait le club des Cordeliers à parcourir les rues de Paris et à massacrer les aristocrates dans leur domicile, après avoir planté devant leur porte un drapeau noir, signe de la vengeance populaire. Il déclarait que les placards les plus horribles étaient plus républicains que tous les écrits de Mably, et Mercier le qualifie d'atroce, le compare au cannibale. Un contemporain qui le vit dans la prison du Luxembourg, le représente petit de taille, violent, emporté, injuriant ses codétenus, accablant d'invectives furieuses le général O'Hara, et un jour, dans un accès de rage, saisissant un couteau, se jetant à un gigot cru qui pendait à la fenêtre, en coupant une tranche et criant comme un frénétique : Que ne puis-je ainsi manger la chair de mes ennemis ![58]

Voilà la tache de Bouchotte. Il eut des mérites indéniables ; il entra pauvre au ministère, en sortit pauvre, et il dit fièrement que les députés qui l'avaient proposé pour cette place connaissaient bien sa moralité tout comme sa répugnance à y venir. Mais il fut le protégé de Vincent, et, quels qu'aient été ses services, ils n'effaceront pas ce mot de Camille Desmoulins, que Vincent était le Pitt de Georges Bouchotte.

 

 

 



[1] Recueil Aulard, III, 116, 182 ; IV, 381, 510 ; V, 48, 100, 119.

[2] Moniteur 12 juillet ; séances des 13, 16 et 22 avril, 4, 13, 15, 27 mai, 3 juin, etc.

[3] Tableau historique, I, 375.

[4] Rec. Aulard, IV, 57 ; séances de la Convention du 25 mai, des 8 et 13 juin ; lettre de Gasparin à La Marlière, 15 juin (A. N. w. 297) ; Beffroy, Courtois et Duhem au Comité, Beffroy an Comité, 11 juin (A. G.).

[5] Rec. Aulard, IV, 482, 526 ; Moniteur, séances des 13, 21, et 22 juin. Alexandre (Charles-Alexis) était né le 8 décembre 1755 à Paris. Agent de change en 1786, il fut successivement capitaine des canonniers au bataillon de Saint-Marceau, commandant du bataillon (1791), chef de la première légion de Paris, et joua un grand rôle dans toutes les affaires qui eurent lieu du mois d'avril 1791 à la fin de septembre 1792 ; il disait lui-même qu'il avait occupé à Paris la seconde place dans la garde nationale et que le seul qui fût au-dessus de lui (Saunier) avait été fait maréchal de camp. Après avoir été commissaire du pouvoir exécutif à Chantilly et rempli sa mission avec intelligence, il obtint, le 8 novembre 1792, une place de commissaire-ordonnateur à l'armée des Alpes et, quelques jours plus tard, le 24 novembre, celle de commissaire-ordonnateur en chef à la même armée. Destitué (15 avril 1195), réintégré (13 juin 1795), réformé (31 août 1795), de nouveau réintégré (19 avril 1796), ordonnateur en chef à l'armée du Nord et de Sambre-et-Meuse (10 décembre 1796) et à l'armée des Alpes ('25 avril 1797), chef de division au ministère de la guerre (octobre 1797), ordonnateur de la 18e division militaire à Dijon (9 octobre 1798), réformé (7 février 1802), Alexandre fut membre du Tribunal (an VIII-1er germinal an X), puis chef de division à l'administration générale des droits réunis, et, en 18(5, directeur des contributions directes du Haute Rhin. Il mourut le 27 septembre 1825. Rœderer le qualifie, dans sa Chronique de cinquante jours (éd. Lescure, 1875, p. 19) de digne émule de Santerre.

[6] Cf. les discours de Lequinio (séance du 8 juin) et de Billaud-Varenne (22 juin) ; de Réal et de Varlet, 15 juin (Moniteur du 17) ; Mège, Correspondance de Couthon, 251) ; Le Publiciste, n° 223 (21 juin) ; Journal de la Montagne, 16 juin ; Gasparin à La Marlière, 15 juin.

[7] Séances de la Convention, 4 juillet (Moniteur du 6 et du 7) ; des Jacobins, 14 et 19 juin (Journal de la Montagne des 16 et 21).

[8] Le Publiciste, n° 223, 224, 237, 242.

[9] Journal de la Montagne, 21 et 23 juin, 3 juillet.

[10] Le Père Duchesne, n° 257.

[11] Journal de la Montagne, 8 et 10 juillet.

[12] Mémoire de Vincent, lu sans doute à la fin du mois de juin (A. G.) ; cf. sur sa querelle avec Teissier la séance des Jacobins du 14 juin, et Rec. Aulard, IV, 330.

[13] Journal de la Montagne, 17 juin et 8 juillet ; Hamel, Robespierre, III, 54.

[14] Jeanbon et Barère, 192 voix ; Gasparin, 178 ; Couthon, 176 ; Hérault, 175 ; Thuriot, 155 ; Prieur, 142 ; Saint-Just, 126 ; Lindet, 100 (Rec. Aulard, V, 224).

[15] Le Publiciste, n° 242 ; Fersen II, 95.

[16] Rec. Aulard, V, 371 et 393. Il est probable que Gasparin, qui donna sa démission te 24, quitta le Comité, non parce qu'il était malade, mais parce qu'il ne put sauver La Marlière, son ami, que Bouchotte avait appelé le 22 à Paris.

[17] Gasparin à La Marlière, 15 juin. (A. N. w. 297) ; Rec. Aulard, V, 575.

[18] Déposition de Sambat et aveu de Proli au procès des Hébertistes, Buchez et Roux (Hist. parlem., XXXI, 385 et 389).

[19] Cf. Valenciennes, 37.

[20][20] Rec. Aulard, VII, 29 (arrêté du 21 septembre) ; cf. Journal de la Montagne, 30 septembre.

[21] Rec. Aulard, V, 344 (cf. Moniteur du 27 juillet), 440, 442, 486, 497 544, 555 ; VI, 13 ; cf. sur la nomination de Carnot les Mém. de Barère, II, 105-106 ; Mém. sur Carnot par son fils, 1893, I, p. 311, et Charavay, Carnot, II, 451-453.

[22] Barère, discours du 25 sept. ; Mège, Correspondance de Couthon, 250 ; du Bois du Bais au Comité, 31 juillet ; Le Cointre au Comité, 12 août (A. G.) ; Rec. Aulard, V, 474.

[22] Ordres du 31 juillet (signé Des Bruslys) et du 21 août (du camp de Gavrelle) ; Viger à Bouchotte, 25 août (A. G.). Cf. Bigarré, Mém., 190 : cet habit blanc que j'avais eu de la peine à quitter en 1793. On tenta même d'effacer, sans y réussir, les fleurs de lys et les couronnes empreintes dans le creux de la lame des sabres des hussards (Colaud à Des Bruslys, 4 août).

[23] Ordres du 31 juillet (signé Des Bruslys) et du 21 août (du camp de Gavrelle) ; Viger à Bouchotte, 25 août (A. G.). Cf. Bigarré, Mém., 190 : cet habit blanc que j'avais eu de la peine à quitter en 1793. On tenta même d'effacer, sans y réussir, les fleurs de lys et les couronnes empreintes dans le creux de la lame des sabres des hussards (Colaud à Des Bruslys, 4 août).

[24] C'est ainsi qu'on nommait alors le ministère de la guerre.

[25] Gossuin, a dit Bouchotte, était député du Nord, alors foulé par les ennemis ; il voulait donner signe de vie à son département et il remuait le bout de sa langue, tandis que le ministre préparait la victoire d'Hondschoote.

[26] Ordres de Bouchotte, 30 sept. et 23 nov. (A. G.) ; séances de la Convention, 20 nov., 4 et 17 déc. (Moniteur des 2, 6 et 19 déc.).

[27] Bouchotte disait plus tard qu'il avait envoyé au Comité, chaque décade, le compte comprenant toutes les opérations et la correspondance du ministre. Le département de la guerre ne pouvait errer que pendant dix jours sans que le Comité en eût connaissance Jamais le Comité n'a argué les comptes décadaires. Cf. le décret du 4 déc. 1793 (Rec. Aulard, IX, 151).

[28] Le Comité à Bouchotte, 22 juillet (A. G.) ; cf. Rec. Aulard, V, 486, et VIII, 243 ; dès le 6 novembre, tous les soirs, à dix heures, le Conseil exécutif se réunit au Comité pour délibérer avec lui sur l'état de la République.

[29] Le Comité (Couthon et Jeanbon) à Bouchotte, 22 juillet ; le Comité (Robespierre, Hérault et Carnot) à Bouchotte, 26 août ; Bouchotte à Houchard, 19 août ; à Berthelmy, 20 août ; à Gudin, 23 août ; à Viger, 25 août ; à Barthel, 4 août ; Viger à Bouchotte, 21 août ; ordre signé de Vincent, 1er oct. (A. G.). cf. sur le remplacement des officiers nobles Wissembourg, 68-59 et Valenciennes, 187-189. Le 20 août, la Société populaire de Saint-Omer écrivait à la Convention qu'il était temps de sauver la France et de ne plus se laisser abuser par le charlatanisme, qu'il fallait opposer aux rois des républicains et non des hommes d'une casse corrompue et corruptrice, que Custine et Biron avaient passé la moitié de leurs jours dans le palais des rois et qu'ils seraient avantageusement remplacés par des sans-culottes qui auraient blanchi sous le casque et le harnais.

[30] Mais qu'aurait dit le Comité de salut public s'il avait su que Bouchotte était... noble et avait été... Allemand ? Bouchotte, en effet, entra au service dans le régiment étranger de Nassau en 1773 sous le nom de Bouchotte de Buchholz, et se fit alors naturaliser Nassovien pour obtenir une sous-lieutenance. Le 12 juillet 1774, le prince de Nassau-Sarrebrück écrit au ministre de la guerre, comte du Muy : Les bons comptes et les témoignages avantageux de l'application et du zèle infatigable du sieur Bouchotte de Buchholz, volontaire à mon régiment d'infanterie, et naturalisé Nassovien par des lettres expédiées à cet égard, m'obligent à demander son avancement, et le prince ajoute que le sieur Buchholz a suivi le régiment en Corse et gagné l'amitié de ses chefs par sa bonne conduite et attachement au service. On sait que le père de Bouchotte était payeur des gages du Parlement de Metz et que les payeurs des gages jouissaient des mêmes privilèges que les conseillers dont la charge donnait la noblesse au premier degré. Aussi Bouchotte eut-il en 1775 sa sous-lieutenance ; le ministère jugea que le sieur de Buchholz, jouissant de la noblesse acquise par son père et étant naturalisé sujet du prince de Nassau, avait toutes les qualités requises pour obtenir le grade d'officier dans le régiment de son Altesse. (A. G.)

[31] Discours de Fabre aux Jacobins, 16 juin (Journal de la Montagne, 18 juin) ; Aulard, Etudes et leçons, 1893, p. 213 ; Tourneux, Bibliogr. de l'hist. de Paris pendant la Révol., II, p. 656 et 65f ; Charavay, Carnot, II, 204 ; Avenel, Lundis révolutionnaires, 1875, p. 321 ; journal de Marat, n° 229, 29 juin (lettre de Bouchotte et réponse de Marat qui déclare avoir touché un mandat de 1.500 livres) ; ordre de Bouchotte, 24 mai, concernant le Républicain, la Montagne et le Père Duchesne ; ordre du 12 septembre de porter, à compter de demain, l'abonnement au Père Duchesne, à 12.000 exemplaires ; Celliez à Bouchotte,15 juillet (A. G.). Plusieurs journaux touchèrent ensemble, le 12 juin, à la trésorerie, une somme de 50.000 livres (journal de Marat, n° 229). Hébert fournit en tout au ministère de la guerre 1.188.000 exemplaires du Père Duchesne, au prix de deux sous la feuille, et reçut d'abord 90.000 livres, puis 14.400 livres, puis encore 14.400 livres, c'est-à-dire 118.000 livres en assignats (chiffres exacts donnés par Bouchotte et opposés aux chiffres faux de Camille Desmoulins ; cf. Buchez et Roux, Hist. parlem., XXXI, p. 237).

[32] Cf. le mémoire de Bouchotte (Buchez et Roux, XXXI, 234-238) ; ses deux brochures Bouchotte à ses concitoyens, 3-7 et 3 ; Avenel, Lundis révol., 323 ; rapport de Courtois, 125 ; Rec. Aulard. III, 467 et V, 150 ; décrets du 16 avril (6 millions pour dépenses secrètes) et du 29 juin (10 millions pour assurer les subsistances des départements et déjouer les intrigues des contre-révolutionnaires). Les arrêtés du Conseil qui allouent des fonds à Bouchotte, sont du 22 mai, du 2 juillet et du 30 ventôse an II.

[33] Duquesnoy au Comité, 29 août (A. G.) ; Rougyff, n° 116 et 150, 24 avril et 27 mai 1791.

[34] Aulard, Etudes et Leçons, 235-237 ; Rec. Aulard, VIII, 388-389 ; rapport de Courtois, 126.

[35] Valenciennes, 191 ; ordre du 4 octobre, signé Vincent : L'adjoint suspendra le départ du numéro de la Montagne ; son abonnement a cessé à compter du 1er octobre. (A. G.)

[36] Outre Celliez (qui avait pour secrétaire Compère), Varin et Defrenne — cf. sur ce dernier Valenciennes, 188-189, et sur Celliez et Varin qui ne se quittaient guère, Retraite de Brunswick, 69 et 143 et Valenciennes, 186-194. — il faut citer encore Huguenin, Ancard, Viger, Crosne, Deschaseaux, Machault et Teinturier. Presque tous avaient quitté Paris à la suite d'une décision prise le 13 mai par le Conseil exécutif : Huguenin et Defrenne pour l'armée du Nord, Ancard pour le camp de Cassel, Celliez et Varin pour le camp de Péronne (ils allèrent surtout au camp de César), Crosne pour Maubeuge, Machault et Deschaseaux pour Maubeuge et Charleville. Le 1er juin, Bouchotte autorisait Crosne, Defrenne, Deschaseaux et Viger acheter toutes les armes de guerre qu'ils trouveraient dans le Nord, hors des manufactures nationales, et à les diriger sur Paris. Crosne alla à Dunkerque, à Cambrai, à Lille. Deschaseaux se rendit à Strasbourg. Machault, parti de Paris le 12 juillet, visita Lille, Dunkerque, Cambrai, Maubeuge. Philippe Viger, chargé le 28 mai, par le Conseil exécutif, de vérifier la quantité d'armes de toute espèce qui se trouvaient dans les arsenaux et manufactures de l'armée du Nord, demeura quelque temps à Maubeuge et envoya plusieurs rapports sur la division. Teinturier, qui fut un instant, avec Defrenne, l'auxiliaire de Lavalette à Cambrai, ne tarda pas à s'éloigner, et Defrenne écrivait, le 7 juillet, qu'il ne l'avait jamais vu. Tous ces agents furent rappelés par le décret du 23 août. Mais une décision de Bouchotte, du 19 septembre, envoya dans le Nord et les Ardennes : pour le recrutement, Méchin et Villers ; pour l'armement, Viger et Defrenne (Descamps et Probst avaient la même mission, l'un dans la Moselle, l'autre en Alsace) ; pour surveiller les manufactures de Charleville et de Maubeuge, Deschaseaux et Machault. Crosne était resté à Lille et, dit Lavalette dans une lettre du 10 octobre, y établit, grâce à son intelligence et à son civisme, le plus bel atelier d'armes qui se soit vu ; mais bientôt, écrivait le représentant Châles (13 novembre), Crosne, prêtre de son métier, lui en guerre ouverte avec Lavalette et sa présence à Lille devint une occasion de troubles ; Bouchotte répondit à Châles, quatre jours plus tard, que Crosne n'était plus employé, qu'il n'avait pas été nommé agent et que les commissaires de la Convention lui avaient confié l'atelier de réparation d'armes.

[37] Bouchotte au Comité, 26 et 29 août ; aux commissaires du Conseil exécutif, 31 juillet ; instruction de septembre (A. G.) ; Rec. Aulard, VI, 73, 419 ; VII, 133.

[38] Correspondance du ministre (A. G.) ; projet de secourir Landau et le département de la Mayenne ; réflexions sur les causes qui ont empêché le succès du plan concerté pour la Vendée (collection Charavay).

[39] Sur le système défensif ; moyen de rétablir la frontière du Nord (collection Charavay).

[40] Instruction pour le général en chef de l'armée du Nord et des Ardennes (collection Charavay) ; Bouchotte à Lamarche, 13 mai (A. G. et Charavay, Carnot, II, 237) ; cf. ses lettres à Dampierre (Valenciennes, 48) et à Custine (id., 130).

[41] Bouchotte à Houchard, 23 août (A. G.).

[42] Bouchotte au Comité de sûreté générale, 6 mai (A. G. et Rec. Aulard, III, 131).

[43] Bouchotte à Lamarche, 13 mai (Charavay, Carnot, II, 239).

[44] Charavay, Carnot, II, 237.

[45] Miot de Mélito, Mém. 1873, I, p. 35-36 ; Miot organisa le transport des Mayençais en Vendée, et il assure qu'il substitua le nom de télégraphe à la dénomination imparfaite de tachygraphe proposée par Chappe.

[46] Mémoire de Bouchotte analysés dans l'Amateur d'autographes du 1er juin 1863. Jean-Baptiste-Noël Bouchotte, né le 25 décembre 1774 à Metz, volontaire au régiment de Nassau (1er mai 1773) et sous-lieutenant à ce régiment (18 janvier 1775), sous-lieutenant au Royal-Nassau hussards (23 juillet 1175), réformé comme Français (voir plus haut en note) et attaché au régiment Royal-Cravates avec un traitement de 600 francs en attendant une sous-lieutenance vacante (12 juillet 1776), lieutenant en second dans le 2e régiment de chevau-légers qui avait pris le nom de cavalerie des Évêchés (24 août 1784), devient capitaine de remplacement au régiment des hussards d'Esterhazy (1er février 1785), capitaine au titre définitif (17 mai 1788) et chef d'escadron ou lieutenant-colonel par ancienneté, à la suite de l'abandonnement de Cazenove (26 janvier 1793). Il avait reçu le commandement de Cambrai le 10 avril 1792, mais il fit campagne dans le camp en avant de Lille et assista au siège de Lille. On s'est souvent étonné qu'un simple chef d'escadron ait été nommé ministre par la Convention. C'est que Bouchotte fut recommandé par les commissaires qui l'avaient connu dans la Flandre et qui vantaient son patriotisme (Rec. Aulard, I, 131), par Bellegarde, Delmas, Duhem, Duquesnoy et notamment par Merlin de Douai qui le nommait son ami. C'est que l'on crut qu'il avait fait échouer les desseins de Dumouriez sur Cambrai, et, en effet, une lettre de Dumouriez, lue à la Convention le soir du 3 avril, chargeait Miaczynski de prendre le commandement de la place. Bouchotte était depuis six mois désigné au choix de l'Assemblée. Il avait eu 22 voix le 3 octobre 1792 et venait après Pache (434 voix) et Du Chastellet (42 voix) ; il n'eut pas une voix à l'élection du 4 février 1793, mais il était inscrit comme candidat ; le 14 mars, il fut le concurrent de Beurnonville ; le 4 avril, il réunit l'unanimité des suffrages. Durant son ministère, le 14 août 1793, il fut promu chef de brigade, non par lui-même, mais par son régiment. Le 29 juin, le Conseil d'administration du 3e hussards lui demandait s'il conservait son ancien grade. Bouchotte répondit, le 12 juillet, qu'il ne désirait d'avancement que par la loi et au tour d'ancienneté, qu'il gardait son grade de chef d'escadron et attendait avec patience un emploi supérieur. Le 31 août, du bivouac de Saint-Imbert, le Conseil d'administration proposait à la place de chef de brigade vacante par la destitution de Carové le chef d'escadron Bouchotte auquel cette place revenait en vertu de son ancienneté de service, et le ministre de la guerre Bouchotte était prié d'expédier en conséquence le brevet de chef de brigade au citoyen Bouchotte ! Arrêté le 4 thermidor an II, par mesure de sûreté générale, il subit une détention de seize mois. Mais, dit-il lui-même, l'accusateur public près le tribunal de Chartres, après quatre mois de recherches, fut obligé d'écrire, dans une lettre lue à la Convention le 7 vendémiaire an IV, qu'il ne pouvait faire acte d'accusateur sans pièces et sans témoins. Compris dans l'amnistie du 4 brumaire, il alla vivre à Metz et devint administrateur municipal ; mais, en l'an VI, le Directoire le destitua sous prétexte qu'il avait voulu se populariser en demandant une nourriture suffisante pour les prisonniers civils et qu'on retranchât des termes menaçants d'une invitation à payer des contributions non encore totalement perçues. Le 18 septembre 1799, Bouchotte, remis en activité par le Directoire, était employé dans le grade d'adjudant-général, et, le 25 septembre suivant, envoyé à l'armée du Rhin. Mais il ne rejoignit pas. Il demandait le grade de général de brigade avec une inspection de cavalerie, et il fut proposé par le ministre. Bonaparte refusa. Vainement, à diverses reprises, Bouchotte sollicita le généralat, réclama du moins le sixième du traitement de ministre comme traitement de réforme : Il est, écrivait-il, des choses de décence ; un ancien ministre ne doit pas être exposé à se loger au mois, à courir pour avoir à diner et à chercher des distractions au café ; il lui faut un chez lui où il puisse prendre ses repas et se faire des occupations utiles. Vainement il objecta qu'il n'avait rien fait pour lui-même durant son administration et que le ministre, tiré du militaire, était toujours, à son avènement, investi du grade d'officier-général, qu'Albarade avait été nommé contre-amiral, que lui, Bouchotte, aurait obtenu le grade correspondant dans Farinée de terre, s'il avait paru le désirer : Ma modération ne peut être un tort, elle ne peut effacer un droit. Vainement il désira (16 oct. 1809) servir comme adjudant-général à l'état-major général du corps d'armée commandé par Augereau. Réformé d'abord sans traitement (20 avril 1791), puis avec traitement de réforme (1797-1799), il eut le traitement d'activité comme adjudant-général (17 sept. 1799-21 sept. 1801), ensuite comme adjudant-commandant (21 sept 1801-21 sept. 1804), et, enfin, une solde de retraite de 5.000 francs qui fut convertie le 1er avril 1811 en pension de colonel. Il n'était pourtant pas satisfait. A la Restauration, il demanda, inutilement d'ailleurs, la croix de Saint-Louis qui atteste d'anciens services et qui est un signe de la protection de Sa Majesté, et il faisait les vœux les plus respectueux pour la conservation de Louis XVIII et pour la prospérité et la perpétuité du règne des Bourbons Il demanda, en 1830, une augmentation de pension, et Jourdan, ainsi que la députation de la Moselle, appuyèrent sa pétition en alléguant qu'il était âgé et chargé de famille. Le ministre lui répondit justement (2 oct. 1831) que l'Empire, en fixant sa pension, avait pris en considération sa qualité d'ancien ministre qui était jointe dans le brevet à celle d'adjudant-commandant et que son grade militaire ne pouvait, en aucun cas, déterminer une pension de plus de 3.000 francs. Bouchotte mourut le 7 juin 1840 au ban Saint-Martin.

[47] Charavay, Carnot, II, 230 ; Bouchotte à Marat, il mai (L'Amateur d'autographes, 1er juin 1863).

[48] Bouchotte à Houchard, 5 sept. (A. G.).

[49] Bouchotte à Houchard, 25 août (A. G.) ; cf. Rec. Aulard, VI, 208.

[50] Bouchotte à Custine, 12 juin, et à Houchard, 12 août ; Isoré à Bouchotte, 14 nov., et réponse de Bouchotte ; lettre du 4 lévrier 1794 (A. G. et collection Charavay).

[51] Jourdeuil aux Conseils d'administration, 29 août (lettre qui rappelle les demandes du 31 décembre 1792, du 20 avril et du 15 juillet 1793. A. G.).

[52] Bouchotte à l'adjoint de la 4e division, 8 oct. (A G.). Cf. le mot du Comité (Rec. Aulard, VIII, 360) que les bureaux de la guerre sont surchargés de travail. Pour le nombre des employés du ministère, voir La Chesnaie (Les bureaux de la guerre sous la Terreur, 1887). Le cahier étudié par La Chesnaie, donne une liste de 454 noms ; mais il date du mois de juin et le 19 novembre, dans une lettre à Ysabeau, Bouchotte parle de 609 employés. La liste des 454, dit La Chesnaie (p. 10), appareil, comme un refuge des naufragés de toutes les carrières et un radeau de sauvetage.

[53] Correspondance de la fin de 1793 (15, 20, 25, 29 sept., 1er oct., 10 et 17 brumaire, etc. A. G.).

[54] Miot, Mém., I, 36 ; proposition de Bouchotte relative à Caudaux, 29 sept. (A. G. cf. Rec. Aulard, VII, 113) ; lettres de Bouchotte du 17 et du 19 nov. (cette dernière à Ysabeau) ; mot de Châles (Rec. Aulard, VI, 194). Dans une pétition du 9 ventôse an IX, apostillée le 13 par Augereau (collection Charavay), Bouchotte a écrit ces lignes : Bouchotte mit tous ses soins à procurer des généraux instruits et dévoués à la République. Le général Bonaparte fut nommé général de brigade à cette époque, à l'âge de 23 ans. Les généraux Moreau, Du Gommier, Desaix, Augereau, Jourdan, Marceau, Masséna, Hoche, Brune, Lefebvre, Vaubois, Colaud, Hatry, Marescot, Eblé, Dagobert, Pérignon, Abbatucci, Mortier, Delmas et Dumonceau reçurent des grades de général en chef, de division ou de brigade. L'on pourrait citer cent autres noms qui se sont distingués, quoique pas au même degré, et qui ont été compris dans les promotions de généraux.

[55] On reproche à Bouchotte la nomination de Rossignol et de Bousin. Mais Rossignol ne fut-il pas le fils aîné du Comité et, dans une lettre à Robespierre (Rapport de Courtois, 126), Bouchotte ne dit-il pas justement : La nomination de Ronsin au généralat de l'armée révolutionnaire, ainsi que de son état-major, fut l'objet de l'opinion publique ; le Comité, pour s'en assurer, envoya la liste aux Jacobins, où ils furent agréés ? D'ailleurs, le décret du 4 décembre (Rec. Aulard, IX, 155) réserva la nomination des généraux en chef à la Convention, et le ministre ne put faire aucune promotion d'officiers généraux sans présenter la liste au Comité qui l'acceptait ou la rejetait.

[56] Bouchotte à Houchard, 5 et 15 septembre (A. G.) ; au Comité, 4 novembre ; aux administrateurs du Bas-Rhin, 23 novembre (collection Charavay) ; Buchez et Roux, Hist. parlem., XXXI, 235.

[57] Miot, Mém., I, 35 ; Buchez et Roux, XXXI, 236 ; Moniteur du 24 décembre ; Mém. de Garat, p. Maron, 1862, p. 231-232, 264.

[58] Voir les deux brochures de Bouchotte à ses concitoyens et ses lettres à Robespierre dans le Rapport de Courtois, 125, à Duquesnoy, 17 déc. (A. G.) et à Cavaignac, Pinel et Monestier, 4 février 1794 (collection Charavay). Cf. sur Vincent le cahier analysé par La Chesnaie dans les Bureaux de la guerre sous la Terreur, 7, 11-12 ; Jemmapes, 141 ; Mercier, Le nouveau Paris, 1862, II, p. 201 ; Almanach des prisons, an III, p. 65-66. François-Nicolas Vincent, né en 1767, fils d'un concierge de prison, clerc de procureur, s'était signalé dans le club des Cordeliers par son caractère que Danton jugeait impétueux et violent. Il se vantait d'avoir été l'organe des Cordeliers toutes les fois que cette avant-garde de la Révolution avait proposé des mesures rigoureuses aux Jacobins. Membre de la Commune du 10 août, électeur de 1792, et chef de bureau de la garde nationale à la mairie, il entra, sous l'administration de Pache, au ministère de la guerre comme chef de bureau des renvois et fut chargé spécialement par Pache de surveiller les employés, leur bon service et leur exactitude. Renvoyé par Beurnonville, il rentra le 14 avril 1793. Il déclare, dans sa notice, qu'il est recommandé par les Cordeliers et les vrais Montagnards, Legendre, Audouin, Pache, etc. Hébert assure (Mém. du 24 décembre) qu'il avait la confiance de Marat et communiquait à l'ami du peuple toutes les pièces qui servirent à prouver la scélératesse des généraux conspirateurs.