I. Les alliés ; dégoût de la guerre et désir d'en finir. Conférences de Vienne. Mission de Spielmann. Le quartier général prussien. Lucchesini. Manstein. Plan de Dumouriez. — II. Lombard. Mémoire de Fortair. Westermann au camp de Hans. Echange de Lombard contre Georges. — III. Manstein et Heymann au camp de Dampierre (23 septembre). Points essentiels. Naïveté de Kellermann. Proclamation de la République. Mission de Westermann à Paris. — IV. Nouvelles démarches de Manstein. Entrevue du 25 septembre. — V. Thouvenot au camp de Hans (26 septembre). Cartel d'échange. Curieuses paroles de Thouvenot. — VI. Tentatives d'embauchage. Le décret sur les déserteurs. Schneider à ses anciens camarades du régiment de Clerfayt. Massenbach à Dampierre. Trahison de Dillon. — VII. Second mémoire de Dumouriez (27 septembre). Intervention de Lucchesini. Déclaration ou troisième manifeste de Brunswick (28 septembre). Réponse de Dumouriez. Nouvelle lettre de Manstein (29 septembre). Rupture de la négociation.I. Pendant que l'armée des alliés envahissait la Lorraine et la Champagne, leur diplomatie discutait toujours la grande question des indemnités. Mais le vieux Kaunitz ne dirigeait plus le cabinet autrichien ; il avait donné sa démission et depuis le 19 août, le vice-chancelier comte Philippe Cobenzl était chargé du département des affaires étrangères. Cobenzl réunit deux fois, le 3 et le 7 septembre, un conseil auquel assistèrent le grand maître de la cour Starhemberg, le grand chambellan Rosenberg, le ministre Colloredo, le référendaire des affaires étrangères Spielmann. On convint dans ces deux conférences qu'il fallait établir entre les contractants une entière égalité et qu'en conséquence la cour de Vienne réclamerait, comme au mois de juillet, l'échange de la Belgique contre la Bavière et la cession des margraviats franconiens d'Anspach et de Bayreuth. Si Frédéric-Guillaume refusait de céder les margraviats, on demanderait soit une conquête française, le Sundgau, soit une partie de la Pologne, les palatinats limitrophes de la Galicie. La discussion fut très vive. Rosenberg, Colloredo, Cobenzl votèrent pour l'annexion de la Haute-Alsace ; on y mettrait partout des ecclésiastiques bien pensants, on rendrait à la noblesse du pays son influence et ses droits, on briderait ainsi la population. Mais Starhemberg et Spielmann déclarèrent qu'il fallait tout prévoir. La France ne songerait-elle pas à reprendre son bien ? Ne tenterait-elle pas tôt ou tard de reconquérir l'Alsace ? Cette province était française de cœur ; elle montrait des dispositions dangereuses et semblait attachée à la Révolution ; elle était éloignée du centre de l'empire des Habsbourgs ; il faudrait y entretenir de nombreuses garnisons. Enfin, observait Kaunitz qui de sa retraite donnait encore des conseils, aurait-on l'assentiment de l'Angleterre et de l'Espagne, si l'on faisait des acquisitions aux dépens de la France ? Ne valait-il pas mieux chercher en Pologne un agrandissement ou, comme on disait, un arrondissement ? On rejetterait l'odieux du partage sur la Prusse et la Russie ; on ne prendrait qu'en protestant sa part du gâteau ; on agirait à la Frédéric, mais on sauverait les apparences et selon le mot de Marie-Thérèse, on garderait l'air de l'honnêteté. Ce qu'il y a de bien certain, écrivait Kaunitz, c'est que le roi de Prusse, ainsi que la Russie, ne trouvera qu'en Pologne l'augmentation de puissance à laquelle il vise ; il faut donc consentir à un nouveau démembrement pour nous remettre de niveau arec nos alliés ; c'est une jurisprudence que justifient la nécessité, la politique et l'équilibre des puissances. Mais l'empereur ne se rallia pas à l'opinion de Kaunitz ; comme-Cobenzl, Rosenberg et Colloredo qui formaient la majorité du conseil, il opta pour l'Alsace. Il fallait porter ces propositions au roi de Prusse. On confia cette mission au référendaire Spielmann. C'était un homme assez borné, mais exact, laborieux, initié à tous les arcanes de la chancellerie autrichienne ; le secrétaire Collenbach l'accompagnait[1]. Cobenzl donna les instructions suivantes à Spielmann : obtenir un armistice pendant lequel se noueraient les négociations ; traiter, puisqu'il le fallait, avec l'assemblée qui représentait la nation ; demander la restauration de Louis XVI ou, si le roi n'était plus en vie, l'avènement du dauphin et la régence de Monsieur. L'Assemblée, ajoutait Cobenzl, se réunira très probablement dans une ville du midi ; il faudra permettre aux départements occupés par nos troupes d'élire leurs députés, mais exercer notre influence sur les élections et proposer aux suffrages des hommes modérés qui porteront à l'Assemblée nos propositions d'armistice[2]. Cobenzl prévoyait le cas où le dauphin serait immolé par le parti populaire ; en ce cas, disait-il, Monsieur ferait valoir ses droits à la couronne, on le mettrait en avant, on lui laisserait peu à peu le rôle principal ; mais on ne l'aiderait que s'il déférait aux exigences des alliés ; dès qu'on aurait obtenu l'indemnité, on abandonnerait le nouveau roi aux difficultés de sa situation ; il régnerait sur le nord et l'est de la France ; le midi se gouvernerait à sa guise et s'organiserait en états confédérés[3]. Spielmann partit avec l'ambassadeur de Prusse à Vienne, le comte de Haugwitz. Il arriva le 28 septembre à Luxembourg. Les nouvelles qu'il apprit en chemin, le convainquirent qu'il fallait finir au plus vite une campagne ruineuse et régler sur le champ la question de l'indemnité. On doit, écrivait-il dix jours après Valmy, faire aux Français le meilleur marché possible ; que le roi n'ait pas une liberté parfaite et n'ait qu'une quasi liberté ; qu'il ne soit que le stathouder d'une république fédérative ; mais que l'Autriche sorte au plus tôt de ce jeu coûteux. C'était l'avis de Cobenzl et du cabinet autrichien. Le vice-chancelier ne cessait de récriminer contre l'Europe qui laissait le roi de Prusse et l'empereur s'engager dans une guerre difficile, sans leur prêter le moindre appui. Les autres puissances, disait-il, après avoir fait les plus grandes promesses et crié le plus haut contre la lenteur des cours de Vienne et de Berlin, ont tiré leur épingle du jeu. On nous a excités de tous les côtés, et maintenant nous restons seuls, nous soutenons seuls une entreprise qui dévore et l'argent et les hommes, une entreprise qui n'a d'autre but que le bien de tous les états ![4] Au quartier-général prussien, même lassitude de la guerre[5], même désir de transiger avec la Révolution, même défiance de ses alliés et même crainte de leur donner trop d'avantages. On était dégoûté de cette campagne ingrate et pleine encore d'inconnu ; on comprenait dans quelle aventure on s'était engagé ; on maugréait contre l'Autriche et la Russie. La cour de Vienne persistait dans ses exigences et demandait toujours ces margraviats franconiens que Frédéric-Guillaume ne voulait céder à aucun prix. Catherine II ne tenait pas ses promesses ; elle laissait ses deux voisins aux prises avec la Révolution et ne songeait qu'à ses propres affaires ; à toutes les représentations qu'on lui faisait, elle ne répondait qu'un mot : la Pologne. Son poste, disait-elle, était pris, et son rôle assigné ; elle se chargeait de veiller sur les Polonais. On lui réclamait les 15.000 hommes qu'elle devait envoyer sur le Rhin ; mais elle objectait que ces renforts n'arriveraient qu'à la fin de la campagne. On lui proposait de soutenir la coalition de ses subsides ; elle offrait la somme dérisoire de quatre cent mille roubles. On insistait ; elle répliquait qu'elle avait donné beaucoup d'argent aux princes français, et son chancelier Ostermann ajoutait qu'il fallait savoir gré à la Russie de s'occuper seule des affaires de Pologne, sans demander l'appui des deux cours. On lui demandait de s'expliquer sur la question de l'indemnité ; elle répondait qu'elle ne prendrait une résolution, que lorsque l'Autriche et la Prusse seraient d'accord sur ce grave objet[6]. Dans cette situation, Frédéric-Guillaume n'avait plus rien de sa flamme première et n'était pas fâché de terminer une guerre où ses troupes ne faisaient que maigre besogne. Six mois auparavant, ce monarque fier et emporté refusait d'entendre un émissaire de Dumouriez ; mais le silence de la Russie, les exigences de l'Autriche et la faiblesse de ses armements, la misère croissante de sa propre armée, la journée malheureuse du 20 septembre avaient abattu son orgueil. D'ailleurs son entourage l'excitait à négocier. Le promoteur de l'alliance austro-prussienne et l'un des grands artisans de la guerre, Bischoffswerder, malade, assombri par les mauvais débuts de la campagne, se tenait à l'écart. Mais le duc de Brunswick, le marquis Lucchesini qui remplaçait Schulenbourg, le lieutenant-colonel Manstein, premier aide-de-camp du roi, avaient hâte d'abandonner la partie. L'Italien Girolamo Lucchesini avait fait en Prusse la fortune la plus brillante[7]. Lauréat du collège de Modène, élève de Spallanzani qui le comparait à Pic de la Mirandole, condisciple et intime ami de Pindemonte qui lui rappelle dans une de ses poésies ses triomphes scolaires, il avait voyagé en Allemagne, en Hollande, en France, en Angleterre. Chambellan du grand Frédéric auquel il sut plaire par l'agrément de sa conversation et les grâces de son esprit, puis chargé de plusieurs missions à l'étranger par Frédéric-Guillaume II, il fit nommer le candidat de la Prusse, Dalberg, coadjuteur de l'archevêque de Mayence, conclut le traité d'alliance de Varsovie (29 mars 1794), prit part aux congrès de Reichenbach et de Sistowa. Il était en Pologne, lorsque Frédéric-Guillaume le fit venir à l'armée. Ce fut lui qui signa les mesures de réaction proposées par le baron de Breteuil (14 septembre). Il avait suivi les troupes prussiennes très lentement et non sans quelque crainte pour sa personne. Deux jours après la canonnade de Valmy, il était à Termes, près de Grandpré ; il n'osa pousser plus loin et reprit le chemin de Verdun, Mais un courrier, dépêché par le roi, lui porta l'ordre de se rendre en toute hâte au quartier général de Hans où l'on avait besoin de ses talents diplomatiques. Il arriva le 24 septembre après une course des plus pénibles[8]. Il était beau-frère de Bischoffswerder, mais il désapprouvait l'alliance de la Prusse avec l'Autriche et la regardait comme une folie. La guerre entreprise contre la France lui paraissait imprudente et il désirait en laisser tout le poids à la cour de Vienne ; il est important, disait-il, que nous n'allions pas en avant, et je mettrai tous mes soins à l'empêcher[9]. Le lieutenant-colonel Manstein était, comme Lucchesini, anti-autrichien. Il se croyait à la fois homme de guerre et diplomate ; aussi censurait-il amèrement la stratégie de Brunswick et la politique de Bischoffswerder. Il aimait, de même que son roi, la table et les plaisirs ; mais il affectait la dévotion et l'austérité ; sa tenue était toujours correcte, son air sévère, son abord froid et réservé ; Brunswick l'appelait l'homme noir et Massenbach, le moine ; Dumouriez le nomma, peut-être ironiquement, le vertueux Manstein. Il répétait à Frédéric-Guillaume qu'il fallait ne pratiquer d'autre politique que celle de l'intérêt. Le roi croyait, en prenant les armes pour Louis XVI, défendre une noble cause ; Manstein lui représentait qu'un souverain doit s'affranchir de ces idées chevaleresques. Frédéric-Guillaume était attaché à l'alliance autrichienne ; Manstein lui remontrait que l'Autriche seule retirait tous les fruits de l'expédition ; elle n'avait, disait-il, envoyé qu'une poignée d'hommes, et pendant que la Prusse s'affaiblissait dans une périlleuse campagne qui vidait son trésor et décimait son armée, elle intriguait dans l'est de l'Europe et ne cessait de se fortifier et de s'agrandir[10]. Comme Manstein et Lucchesini, le duc de Brunswick désirait en finir. On sait qu'il n'avait jamais auguré favorablement de l'expédition, et le perspicace Lucchesini remarquait en lui un singulier empressement de vouloir terminer la guerre par une négociation quelconque[11]. Prussiens et Autrichiens voulaient donc négocier. Déjà, le 14 septembre, Brunswick avait envoyé Massenbach aux avant-postes de Marcq pour demander une entrevue à Dumouriez ; c'était une avance détournée[12]. Déjà le prince de Hohenlohe-Kirchberg avait fait des ouvertures au général français ; ce vieux soldat, blanchi sous le harnais, uniquement préoccupé de son devoir militaire, et n'obéissant qu'à sa consigne, agissait évidemment sur l'ordre du cabinet de Vienne ; il m'a provoqué plusieurs fois à des conférences, écrivait Dumouriez, mais j'ai rejeté fort loin les insinuations autrichiennes[13]. Il ne voulait traiter qu'avec la Prusse. Il partageait la prédilection de tous ses contemporains pour la monarchie du grand Frédéric. Lorsqu'en 1757, au début de la guerre de Sept-Ans, il prenait avec son père le chemin de la Westphalie, il faisait des vœux pour le roi philosophe[14]. Lorsqu'après trente années d'intrigues, il saisissait le pouvoir et déclarait la guerre à l'Autriche, il s'efforçait par tous les moyens de gagner l'amitié de la Prusse. Mais, dans le ministère, il n'avait pas eu les coudées franches ; dans son camp et à la tête de la seule armée qui défendait la France et Paris, il était maître d'agir à sa guise et de faire grand[15]. Il préférait le métier de diplomate à celui de soldat. L'homme d'épée redevint homme de plume[16] ; il rédigea des mémoires ; il noua des intrigues ; il engagea une de ces négociations subtiles dans lesquelles il déployait avec une sorte de jouissance les ressources de son intelligence si variée et si souple, jouant tous les personnages, parlant tous les langages, tantôt énergique et affectant une rudesse guerrière, tantôt sentimental et déplorant avec emphase les fléaux de la guerre. Les Prussiens refuseraient peut-être de rompre avec l'Autriche et de s'allier à la France nouvelle. Mais si Dumouriez ne pouvait les séduire, il arrêterait leur marche et les retiendrait dans l'inaction. Pendant les pourparlers, leur armée s'enfoncerait dans le guêpier[17]. Il connaissait le découragement de ses adversaires ; il ne demandait que huit jours pour achever, sans tirer un coup de fusil, leur complet épuisement. A quoi bon tenter la fortune des armes ? Malgré le succès de Valmy, l'armée française n'était pas assez solide pour se risquer en rase campagne. Une attaque soudaine, un mouvement tournant des Prussiens avait encore chance de réussir. Il valait mieux, à la faveur d'une trêve, les amuser et les user. II. Le 20 septembre, pendant la canonnade de Valmy, quelques employés de la chancellerie prussienne, et avec eux le secrétaire de Frédéric-Guillaume, Lombard, restés à la ferme des Maisons-de-Champagne, étaient montés à cheval pour voir de loin la bataille. Cette curiosité leur coûta cher, ils furent tous massacrés ou faits prisonniers par la cavalerie du général Duval. Lombard avait eu la bonne idée d'abandonner ses compagnons avant l'arrivée des Français ; il se repentait de son imprudence et craignait d'avoir poussé trop avant. Il se hâtait de regagner les Maisons-de-Champagne, lorsqu'il aperçut, à peu de distance, une vingtaine de hussards qui venaient à lui. Il montait un mauvais cheval ; il préféra sauver sa vie en se rendant prisonnier que de recevoir des coups de fusil en se faisant poursuivre. Il s'arrêta. Qui vive, crièrent les hussards. — Tout ce que vous voudrez, répondit-il, je suis votre prisonnier. Ils enlevèrent à Lombard sa bourse, sa montre, sa bague, son cachet, ses éperons, et l'emmenèrent avec eux. Ils arrivèrent dans une plaine où quelques troupes étaient rangées en bataille. Lombard avait un habit bleu et un gilet rouge : il parla français ; son costume et son langage le firent prendre pour un émigré. Des volontaires se jetèrent sur lui. A la lanterne, criaient-ils, il faut lui couper la tête, lui arracher les entrailles ! Lombard protesta vainement qu'il était Prussien. Sa voix se perdait dans le tumulte. Heureusement, Duval n'était pas loin ; les hussards prirent le galop et menèrent Lombard au général. Duval calma les volontaires ; il sut bientôt qu'il avait devant lui le secrétaire du roi de Prusse ; il comprit l'importance de cette capture ; il traita Lombard fort poliment et le garda près de lui jusqu'à la fin de la journée. Vers le soir, Lombard fut conduit à Sainte-Menehould. Il n'était pas descendu de cheval depuis le matin ; il n'avait pris aucune nourriture ; il ne s'était reposé qu'un quart d'heure dans la ferme où Duval avait établi son quartier-général. Nous fûmes, dit-il, toute la nuit en route, parce que nous accompagnions quelques voitures chargées de blessés ; le vent, la pluie étaient horribles ; dépouillé de mon manteau, de mes gants, l'étourdissement seul, l'insouciance profonde où j'étais tombé et à laquelle je ne puis comparer aucune autre situation de ma vie, m'empêcha de succomber. Le lendemain, un aide-de-camp l'interrogea. Mais déjà Frédéric-Guillaume avait réclamé son secrétaire. Dumouriez fit donner à Lombard une belle chambre, la table, une garde d'honneur. Je n'en profitai pas, écrit Lombard ; je n'avais plus de besoin, je fus trois jours sans manger et sans dormir, et ne m'en apercevais pas. Dumouriez vint s'entretenir avec lui. Il lui fit de brillantes promesses. Lombard n'avait encore que vingt-cinq ans et devait diriger, sous le règne de Frédéric-Guillaume III, la politique extérieure de la Prusse ; il maniait le français et l'allemand avec une égale aisance. Dumouriez, qui démêla facilement ses aptitudes, essaya de le gagner. Prenez du service en France, lui disait-il, aussi bien pas un Prussien ne sortira vivant de notre territoire[18]. Lombard reçut encore dans sa prison la visite d'un aide-de-camp de Dumouriez, Fortair. C'était le confident du général, un de ses meilleurs amis, après Thouvenot, et l'un de ses principaux agents politiques[19]. Il remit à Lombard un mémoire destiné au roi de Prusse. Ce mémoire, que Fortair avait rédigé sur les notes de
Dumouriez, devait amorcer la négociation. Le
général représentait à Frédéric-Guillaume que la guerre entreprise par la
Prusse était onéreuse et que le monarque en faisait tous les frais. Il
exposait la situation de l'armée prussienne, éloignée de tout secours, violemment affectée par le dégoût, le flux de sang et le
germe de toutes les maladies destructives, certaine de périr de misère
et de faim si elle était assez malheureuse pour
faire encore quelques progrès sur le territoire français. Le roi se
laissait-il abuser à ce point par les agents de la maison d'Autriche ?
Ignorait-il les ressources incalculables de la France ? Ne savait-il pas que
la nation combattrait avec acharnement, jusqu'à ce qu'elle n'eût plus
d'ennemis, ou qu'elle pérît toute entière ? Poursuivre la guerre, c'était
augmenter le péril que courait Louis XVI et rendre à ses frères un mauvais
service. La marche du roi de Prusse ne peut
qu'aggraver la situation de Louis XVI, et l'amitié qu'il porte à quelque
autre personne ne pourrait réussir à couronner l'ambition de cette dernière.
Dumouriez exagérait à dessein les forces dont il disposait ; son armée,
disait-il, était forte de 75.000 hommes ; il avait 15.000 cavaliers et plus
de cent pièces de canon ; il recevait chaque jour des renforts qui venaient
de tous les départements. Il faisait, en passant, l'éloge de M. Dumouriez, général que l'universelle confiance a mis au plus haut
degré du pouvoir. Pourquoi le roi de Prusse s'obstinait-il à combattre
la France ? Les intérêts intimes des deux
nations leur commandaient de vivre en bonne
intelligence et amitié. Dumouriez proposait donc à Frédéric-Guillaume de se retirer d'abord de sa personne et ensuite d'entrer
en négociation sur le pied qui lui avait été proposé, lorsqu'il était
ministre des affaires étrangères. Alors,
ajoutait-il, le roi de Prusse retirerait son armée
de ce pas dangereux où elle se trouve et s'en servirait, ainsi qu'il y sera
infailliblement appelé par une nécessité impérieuse, à achever le vrai plan
de la monarchie prussienne, qui est de contrebalancer la maison d'Autriche,
et il cesserait de s'en servir, contre toute politique juste et raisonnable,
pour favoriser l'ambition de cette maison. L'abaissement de l'Autriche
était le premier intérêt de toutes les puissances
éclairées de l'Europe[20]. Lombard fut mis en liberté le 22 septembre. Mais Westermann était alors au camp de Sainte-Menehould. Il intervint de son propre chef dans la négociation. Il avait alors quarante et un ans. Sa jeunesse fut orageuse. Il servit successivement dans le régiment d'Esterhazy, dans la petite gendarmerie, enfin dans Royal-dragons. Il avait été, par trois fois, accusé de vol, et la troisième fois, convaincu d'avoir dérobé chez un restaurateur un plat d'argent armorié. La Révolution fit sa fortune. Greffier de la mairie de Haguenau et commandant de la garde nationale, il vint à Paris pour des affaires des communes de sa province[21] et fut le bras de cette insurrection du 10 août dont la tête était Danton. Il avait pris le commandement des Brestois et on le vit jeter bas son habit, relever jusqu'au coude ses manches de chemise et diriger la colonne d'assaut contre les Tuileries. Impétueux, téméraire, vrai chef d'avant-garde, il devait se signaler dans les guerres de la Vendée par d'heureux coups de main comme par une fureur de sabrer qui lui valut le surnom de boucher parmi les chouans, et il eut devant les juges du tribunal révolutionnaire un mot presque sublime : Je demanderai à me mettre nu devant le peuple, pour qu'on me voie ; j'ai reçu sept blessures, toutes par devant ; je n'en ai reçu qu'une par derrière, mon acte d'accusation[22]. Servan l'avait nommé, sur la demande de Pétion, colonel de la légion du Nord et adjudant-général à l'armée de Dumouriez. Les exemples de trahison, disait le conseil exécutif, qui ont livré nos places aux ennemis, les abus nuisibles qui se sont glissés dans les administrations militaires, et généralement les circonstances difficiles où sont nos armées, demandent une surveillance extraordinaire qu'il est impossible aux généraux d'exercer d'une manière assez sûre ; il fallait donc envoyer à l'armée des Ardennes un commissaire particulier pour remplir ce ministère de confiance[23]. Ce commissaire avait été Westermann. Il alla travailler à Sedan l'armée de Lafayette et porter à Valenciennes la nouvelle de la capitulation de Longwy ; il accompagna Dumouriez à Grandpré et à Sainte-Menehould ; il envoyait à Danton des correspondances de l'armée qu'il signait Westermann, commissaire national et que le ministre de la justice faisait lire aux Jacobins et reproduire dans le journal du club ou dans celui de Prud'homme ; dans l'intervalle, il avait fait un voyage à Paris. Il apprit que Dumouriez avait renvoyé le secrétaire du roi de Prusse. Il se mit à la poursuite de Lombard, l'arrêta de son autorité privée et le ramena à Sainte-Menehould. Dumouriez, assez mécontent, dut mettre Westermann dans la confidence ; il lui montra la lettre du roi de Prusse qui réclamait son secrétaire et lui communiqua le mémoire de Fortair. Westermann entra dans les vues du général, mais il demanda pourquoi l'on n'échangeait pas Lombard contre un Français prisonnier ; il rappela que les Prussiens avaient enfermé dans la citadelle de Verdun le maire de Varennes, Georges, ancien membre de la Constituante et un des plus ardents patriotes de la région de l'est[24], Dumouriez avait renvoyé Lombard sans conditions, par courtoisie et pour donner plus de prix à ses avances. Il fit ce que proposait Westermann. Lombard eut ordre d'écrire au camp prussien que sa vie répondait de celle de Georges et qu'il partagerait en tout le sort du maire de Varennes, mais qu'il ne serait renvoyé que par échange. Le secrétaire s'exécuta ; il transmit au roi de Prusse l'offre de Dumouriez, mais, ajoutait-il stoïquement, je supplie Sa Majesté de ne pas écouter sa bonté, de ne pas faire céder ses plans politiques à l'intérêt personnel d'un simple secrétaire et de m'abandonner à mon destin. Il fallait porter au quartier-général prussien la lettre de Lombard et le mémoire de Fortair. Westermann fut chargé de cette mission. C'était, après tout, un ami de Danton, et Dumouriez crut utile de l'employer. Le roi de Prusse le verrait peut-être avec déplaisir ; mais puisqu'il sortait de la fournaise, on ne manquerait pas de le considérer avec curiosité ; on l'interrogerait sur les événements de Paris et sur la captivité du roi. Il parlerait de la fermentation de la capitale, des résolutions énergiques du conseil exécutif, des levées de troupes qui se faisaient partout. Il était Alsacien et savait l'allemand ; il pourrait saisir au passage quelque renseignement utile ; il a, disait Dumouriez, l'esprit liant et fin. Westermann se rendit au camp ennemi le 22 septembre. Il fut présenté à celui qu'il appelait le tyran prussien. Il obtint que Lombard fût échangé contre Georges. Les princes français, raconte le secrétaire royal, crièrent en vain qu'on voulait leur arracher leur victime ; l'humanité du roi l'emporta, et ce bon maître consentit à tout pour me racheter. Le 23 septembre, dans la nuit, Lombard arrivait au quartier-général de Hans harassé, affamé, épuisé, mais sain, un peu honteux seulement de son imprudence, pénétré de reconnaissance pour le roi, le meilleur des maîtres, et riche de mille expériences sur lesquelles il ruminait encore sans pouvoir trop fixer ses jugements. Il courut aussitôt chez le duc de Brunswick. Le généralissime dormait dans la chambre qu'il partageait avec son fils aîné ; mais on devait l'éveiller dès que Lombard serait de retour. Le secrétaire royal s'assit au pied du lit où reposait le jeune prince qui ne se lassait pas de l'interroger : il raconta tout ce qu'il avait vu et entendu ; la conversation dura toute la nuit[25]. III. Une phrase du mémoire de Fortair frappa vivement Brunswick et Manstein. M. Dumouriez prend la liberté de conseiller au roi de Prusse, de se retirer d'abord de sa personne, et ensuite, d'entrer en négociation sur le pied qui lui avait été proposé par ce général lorsqu'il était ministre des affaires étrangères. On se rappelle les propositions de l'émissaire de Dumouriez, Benoit ; Schulenbourg refusa de l'entendre, mais il avait dit, en quittant Berlin, qu'on l'écouterait peut-être sur le territoire français[26]. Les Prussiens avaient envahi la France, et Dumouriez renouait avec eux les négociations rompues au mois d'avril ; il leur faisait de nouvelles ouvertures ; il semblait, selon le mot du prince de Reuss, venir au devant d'eux et s'offrir[27]. On crut qu'il avait le dessein secret de rétablir la
royauté renversée au 10 août et de devenir le connétable de la monarchie
restaurée. On caressait toujours, rapporte le prince royal, le vain espoir de
le rendre favorable à notre entreprise ; en pensa le gagner à la bonne cause
et connaître par lui les véritables dispositions de l'armée[28]. Dumouriez, écrit Gœthe, n'avait-il
pas été partisan du roi et de la Constitution ? Ne devait-il pas pour sa
propre sûreté et son salut, combattre l'état de choses existant ? C'eût été
un résultat considérable, s'il se fût allié aux alliés pour marcher
avec eux sur Paris[29]. Manstein et Heymann furent chargés de s'aboucher avec le général français. L'entrevue eut lieu le 23 septembre au quartier-général de l'armée du Centre, à Dampierre-sur-Auve. Les négociateurs prussiens dinèrent avec Kellermann et Dumouriez. Ce dernier raconte dans ses mémoires que Manstein lui fit mille compliments ; on connaissait, disait le lieutenant-colonel, les talents de Dumouriez et l'autorité qu'il avait sur son armée ; il pouvait terminer à la fois la guerre et l'anarchie ; il était le maître de la paix et, en se déclarant pour Louis XVI, il rendrait un grand service à sa patrie et à l'Europe. Colonel, aurait répondu Dumouriez, vous m'avez dit qu'on m'estimait dans l'armée prussienne ; je croirais qu'il n'en est rien si vous me proposez des choses qui me déshonorent. Ce qu'on sait, c'est que Dumouriez promit beaucoup en paroles[30] et amplifia les principes contenus dans son mémoire[31]. Quant à Manstein, il demandait, avant toutes choses, au nom de Frédéric-Guillaume, que Louis XVI fût mis en liberté et rétabli sur son trône ; à cette condition, disait-il, les Prussiens ne se mêleront en rien de la constitution ; ils font peu de cas des émigrés, ils n'ont avec eux aucun traité, ils les abandonneront sans nulle difficulté[32]. Après une longue conversation, Manstein mit par écrit les propositions du roi de Prusse et les signa. Points essentiels pour trouver le moyen d'accommoder à l'amiable tout mésentendu entre les deux royaumes de France et de Prusse. 1° Le roi de Prusse, ainsi que ses alliés, désirent un représentant de la nation française dans la personne de son roi, pour pouvoir traiter avec lui. Il ne s'agit pas de remettre les choses sur l'ancien pied, mais, au contraire, de donner à la France un gouvernement qui soit propre au bien du royaume. 2° Le roi ainsi que ses alliés désirent que toute propagande cesse. 3° L'on désire que le roi soit mis en entière liberté[33]. Dumouriez donna à Manstein un reçu de cette pièce qu'il lui promit de transmettre sur-le-champ au conseil exécutif provisoire. On convint ensuite que les avant-postes cesseraient leur feu pendant la durée des pourparlers. Pourquoi tirailler les uns sur les autres et se faire un mal inutile ? Kellermann jugeait les propositions de Manstein fort acceptables. Il me paraît, disait-il, que le roi de Prusse est très dégoûté de cette guerre et qu'il n'entend en aucune manière vouloir troubler notre constitution ; il abandonne entièrement les émigrés. Adoptons ce qu'il nous propose ; il demande la liberté de Louis XVI comme avant l'affaire du 10 août, afin de traiter directement avec lui sur le pied de la constitution ; il suffit donc de renvoyer Louis XVI aux Tuileries pour satisfaire la volonté de la Prusse. Ce souverain, ajoutait Kellermann, a pris des engagements avec ses alliés ; il est jaloux de son honneur et craint d'être accusé de perfidie par les autres puissances ; il faut employer tous les moyens pour le gagner, et, plein de l'idée de terminer à l'amiable, le vainqueur de Valmy écrivait à Servan qu'on devait suivre la négociation commencée, qu'elle attirerait la Prusse dans les intérêts de la France et romprait cette monstrueuse alliance avec l'Autriche qui serait dès lors la victime de ses trames[34]. Dumouriez était plus avisé. Il savait que ni le conseil exécutif provisoire, ni la Convention nationale ne consentiraient à tirer Louis XVI de sa prison et à l'installer de nouveau dans son palais des Tuileries. Il se garda bien d'écrire, comme le naïf Kellermann, que les propositions de Manstein étaient de nature à pouvoir être adoptées. Il prévoyait que la République, qui, depuis le 10 août, existait de fait, serait officiellement proclamée par la nouvelle assemblée. La Législative n'avait-elle pas juré, dans la séance du 4 septembre, et hautement proclamé dans une adresse aux Français que ses membres prêtaient, comme citoyens et comme individus, le serment de combattre de toutes leurs forces les rois et la royauté ? Merlin de Thionville n'avait-il pas dit aux Girondins dans les derniers jours de la Législative qu'on décréterait la République par acclamation dès la première séance de la Convention[35] ? L'événement justifia la prévision de Dumouriez. En rentrant à son camp de Sainte-Menehould, après la conférence de Dampierre, il apprit que la Convention avait proclamé, le 21 septembre, sans discussion et avec d'unanimes applaudissements l'abolition de la royauté[36]. Il n'y a plus à traiter avec le roi de Prusse, déclarait-il à Kellermann, à moins qu'il ne change ses propositions et qu'il reconnaisse le pouvoir représentatif du peuple souverain qui ne sera pas un roi ; mais il aura bien de la peine à s'y résoudre. Il s'empressa de mander au ministre des affaires étrangères que le premier acte de la Convention avait été très juste et très vigoureux[37]. Il lui fit connaître les propositions de Manstein en ajoutant qu'on ne pouvait les accueillir, ni même les considérer comme la base des négociations futures ; mais elles prouvaient la détresse des Prussiens, et pendant qu'ils attendraient la réponse du conseil exécutif, ils achèveraient de s'affaiblir. Je crois, écrivait-il à Lebrun, le roi de Prusse très embarrassé et très fâché d'avoir été si avant et qu'il désirerait trouver un moyen pour sortir d'embarras. Mais, si je le tiens encore en panne pendant huit jours, son armée sera entièrement défaite d'elle-même sans combattre. Il engageait donc Lebrun et ses collègues à lier conversation. Sans doute la proclamation de la République coupait court à tous les pourparlers, et les points essentiels de Manstein n'étaient pas admissibles ; mais le conseil exécutif ou le ministre des affaires étrangères pouvait répondre aux propositions de Frédéric-Guillaume et cette réponse contiendrait les bases d'une négociation nouvelle qui, comme la précédente, traînerait la guerre en longueur. En attendant, disait superbement Dumouriez, je continuerai à tailler ma plume à coups de sabre. Westermann fut chargé de porter au conseil exécutif la lettre de Dumouriez, le mémoire de Fortair et les propositions de Manstein. Il devait rendre compte de sa visite au camp prussien et de la conférence de Dampierre, montrer aux ministres le pain noir dont se nourrissaient les Prussiens, affirmer l'issue heureuse de la lutte[38]. IV. Manstein s'imaginait avoir gagné Dumouriez et sauvé Louis XVI. Le duc de Brunswick partageait ses illusions. Il fit appeler Nassau-Siegen et lui révéla, sous le sceau du secret, que le roi de France serait mis en liberté, qu'il viendrait peut-être au camp de Sainte-Menehould pour traiter en personne avec son frère le roi de Prusse. Dumouriez, disait Brunswick, promet de travailler de tout son pouvoir à la délivrance de Louis XVI ; on restaurera la monarchie ; on fera, en échange, quelques concessions ; on abandonnera la noblesse et le clergé, mais on stipulera une amnistie générale pour les émigrés ; les princes resteront bannis du royaume, mais on leur donnera des pensions considérables à manger hors de France[39]. Désireux de poursuivre ses succès diplomatiques, Manstein invita Dumouriez à dîner avec lui le 25 septembre au quartier général de Hans. Il offrait de le présenter au roi de Prusse. Dumouriez avait d'abord accepté ; puis il se ravisa. Je n'irai point, mandait-il à Lebrun, parce que ce serait une imprudence et parce que le premier acte de la Convention détruit tous les moyens de négocier. Il écrivit à Manstein qu'il regrettait de ne pouvoir faire sa cour à Sa Majesté prussienne ; mais, pendant la conférence on avait tiré quelques coups de canon sur son avant-garde et cherché à la déposter du campement qu'elle voulait prendre ; il ne pouvait quitter ses troupes puisqu'on les attaquait en son absence. D'ailleurs la décision de la Convention à son début avait été la déchéance du roi et l'abolition de la monarchie. Il fallait attendre des nouvelles de Paris avant d'entamer des négociations qui pourraient être infructueuses, si elles n'étaient pas autorisées par la nation assemblée. Dumouriez terminait sa lettre en assurant à Manstein qu'il se félicitait d'avoir fait connaissance avec un homme d'un caractère aussi sage et d'un esprit aussi juste ; il s'affligeait, comme lui, des calamités d'une guerre si contraire aux principes de la philosophie, de la raison et de l'humanité ; mais il avait l'espoir que cette lutte, commencée pour des préjugés, finirait par détruire tous les préjugés[40]. Il est donc faux que Dumouriez ait, dans la première conférence de Dampierre, remis à Manstein, pour toute réponse à ses propositions, l'exemplaire du Moniteur qui contenait le décret de la Convention. Ce coup de théâtre n'eût pas lieu. Ce fut au camp de Hans, par un message de Dumouriez, que Manstein reçut cette nouvelle inattendue : Vous pouvez vous imaginer, écrit le prince de Reuss à Spielmann, notre consternation et notre incertitude ; les uns conseillaient d'attaquer les Français sur-le-champ ; les autres, et surtout le général en chef, déclaraient qu'il ne restait plus qu'à couvrir Verdun et Longwy[41]. Mais Manstein, prenant tout sur lui, prétendit que
Dumouriez n'abandonnait pas l'espoir de délivrer Louis XVI et voulait rester en connexion ; il fallait, au lieu de rompre
ou d'attendre le retour de Westermann et la réponse du conseil exécutif,
poursuivre l'œuvre de séduction commencée. Il répondit à Dumouriez qu'on
avait tiré par méprise sur son avant-garde dont les mouvements faisaient
supposer une attaque. Il lui réitéra son invitation, le pria de tenir sa
promesse, l'assura qu'on s'abstiendrait pendant son absence de toute
hostilité. Il se livrait, dit Lucchesini, à l'espoir illusoire d'attacher le général français plus
ou moins à notre cause et de contribuer efficacement par son secours à opérer
un changement de système en France. Dumouriez n'avait garde de détromper le crédule colonel. Mais il refusait de se rendre au camp prussien. Il écrivit successivement trois lettres à Manstein ; dans la première, il objectait qu'une députation de ses soldats l'avait prié de ne pas quitter son camp et qu'il devait déférer au vœu de son armée ; dans les deux autres lettres, toujours emphatiques et flatteuses, il invitait Manstein à dîner avec lui une seconde fois ; nous entrerons ensemble dans une des maisons de Dampierre, et nous causerons à fond sur les intérêts de deux nations faites pour s'aimer et pour être alliées[42]. Manstein accepta. Il vint dîner à Dampierre le 25 septembre. Kellermann, Valence, les ducs de Chartres et de Montpensier assistaient à ce repas. Dumouriez remit au lieutenant-colonel un exemplaire du Moniteur, qui rendait compte de la première séance de l'assemblée. Il ne lui cacha pas que le roi de Prusse devait accepter les faits accomplis et traiter avec la Convention. Manstein ne se récria pas. Je crois, écrivait Dumouriez, que, malgré la répugnance du monarque prussien, on me rapportera de nouvelles propositions[43]. On avait, durant cette conférence, causé d'un échange des prisonniers de guerre. Manstein voulait comprendre les émigrés dans le cartel qui serait établi. Mais Dumouriez répliqua vivement qu'il ne traiterait qu'avec les Prussiens ; les émigrés étaient des Français armés contre leur patrie, faisant la guerre en leur propre nom, avec des troupes de dénomination française, mousquetaires, gendarmes, régiment du Roi, etc. ; il ne pouvait entrer avec eux en accommodement. On convint, en se séparant, que l'adjudant-général Thouvenot irait le lendemain au quartier général de Hans ; Manstein avait demandé qu'il eût les pouvoirs nécessaires pour traiter de l'échange des prisonniers et d'autres choses importantes[44]. V. Thouvenot fut reçu le 26 septembre par le duc de Brunswick[45]. Comme Manstein, le généralissime voulut, au nom de la justice et de l'humanité, comprendre les émigrés dans le cartel d'échange. Mais Thouvenot répondit qu'une nation ne pouvait traiter qu'avec une autre nation et non avec des rebelles. Le duc demanda ce que deviendraient les émigrés prisonniers. Ils doivent, répliqua Thouvenot, s'attendre à toute la sévérité des lois et peut-être, selon les circonstances, à l'indulgence de la nation constituée en république. Brunswick n'insista plus et ne stipula que pour les troupes prussiennes, autrichiennes et hessoises. On convint d'échanger homme pour homme et grade pour grade, et de mettre en liberté dans l'espace de quarante-huit heures tous les prisonniers non militaires, quels qu'ils fussent[46]. Lorsque les articles du cartel furent arrêtés et signés de part et d'autre, Brunswick demanda quelle impression avait produite sur l'armée la proclamation de la République. Thouvenot répartit que l'armée n'était composée que de citoyens soumis aux lois de l'Assemblée et qu'elle avait accueilli le décret aux cris de Vive la nation. Mais, Monsieur, s'écria Brunswick, que deviendra le roi ? C'est le sort de Louis XVI qui nous préoccupe ; qu'on lui donne une place dans le nouvel ordre de choses[47] et nous quitterons votre territoire. Thouvenot observa qu'il fallait traiter directement avec la Convention qui représentait la nation entière. Vous ne pouvez, disait l'officier, révoquer en doute l'existence de cette nation, ses armées sont en face des vôtres, il n'est pas plus difficile de traiter avec elle que de lui faire la guerre. A cet instant entra Lucchesini. Il déclara qu'il était très difficile de négocier avec la Convention, parce qu'il fallait auparavant la reconnaître ; mais le roi de Prusse ne pouvait-il traiter avec l'armée ? L'armée, répondit Thouvenot, se bat et défend le territoire, elle ne s'occupe pas de la politique ; toutes les affaires étrangères à la partie militaire ne peuvent être portées qu'à la nation elle-même qui les traite par ses délégués. Mais permettez-moi, Messieurs, un dilemme : ou nous vous battrons, ou vous nous battrez, ou nous nous observerons sans pouvoir nous entamer. Si nous vous battons, et nous en avons l'espoir, car des hommes libres sont des lions chez eux, vous êtes perdus. Si vous nous battez, il renaîtra de la première défaite autant de soldats français que de citoyens, et lors même que vous nous auriez réduits à l'état le plus déplorable, l'énergie de la nation française subsisterait toujours comme le ressort qu'une force étrangère a momentanément comprimé ; dès que vous seriez partis, il reprendrait toute son élasticité. Si nous ne sommes battus ni l'un ni l'autre, vous vous serez affaiblis par les maladies et les désertions ; vos finances seront en désordre ; il en résultera pour vous des maux incalculables. Thouvenot ajouta ces curieuses paroles : Le civisme augmente en raison de la distance des frontières ; à la hauteur où vous êtes, la teinte d'aristocratie est entièrement délayée, et le civisme le plus pur vous prépare autant d'ennemis que d'habitants. Si, par une suite des hasards de la guerre, vous avanciez sur Paris, alors Paris cesserait d'être Paris, et au moment de votre arrivée, Paris serait à deux cents lieues de Paris[48]. — Mais, dit Brunswick, on rapporte qu'à mesure que nous avançons, le danger du roi augmente. — La nation, répliqua Thouvenot, a été assez grande, assez généreuse pour pardonner plus d'une fois les trahisons du roi ; elle ne se démentira pas ; elle abolit la royauté, mais sûrement elle a prévu ce que deviendrait le monarque dont elle prononçait la déchéance. Notre position respective ne ressemble pas mal à deux lignes parallèles qu'une force d'impulsion — qui vous a trompée — détermine à se rapprocher pour se couper sous un certain angle ; nous voulons que l'angle soit droit, vous voulez qu'il soit aigu ; laissez-nous faire, nous détruirons l'impulsion étrangère, et les lignes se placeront comme elles doivent l'être. VI. Dumouriez faisait arme de tout ; il ne se bornait pas à négocier avec Brunswick ; il excitait les troupes prussiennes à la désertion. Les tirailleries ayant cessé sur le front du camp, les soldats des deux armées s'étaient rencontrés et causaient ensemble. Ils se trouvaient sans cesse mêlés, dit Nassau-Siegen, et je ne concevrai jamais comment le duc de Brunswick pût souffrir un tel désordre[49]. On se traitait avec la plus grande cordialité ; les Français partageaient leur pain avec leurs ennemis : une sorte de camaraderie familière s'établissait entre les sentinelles ; elles étaient convenues qu'elles auraient le droit, lorsque le vent ou la pluie leur fouetterait le visage, de se retourner sans rien craindre de l'adversaire[50]. Les Prussiens, écrivait un volontaire de la Somme, se livrent aux épanchements de la plus affectueuse fraternité et manifestent aux nôtres des regrets très vifs sur la guerre entreprise entre les deux nations[51]. Un jour, des soldats de l'armée de Dumouriez, Alsaciens d'origine, se présentèrent sans armes aux avant-postes. Ils assurèrent qu'ils venaient en amis, qu'ils aimaient les Prussiens comme des frères et ne détestaient que les Autrichiens. On leur ordonna de s'éloigner : ils obéirent, mais ils laissèrent, en forme d'adieu, des exemplaires du décret qui promettaient cent livres de pension aux déserteurs. Ce décret avait été traduit en allemand et imprimé à Strasbourg. Il était affiché partout, au delà de la Lauter et du Rhin, sur les murs, sur les arbres qui bordaient les routes, à la porte des cabarets et dans leurs latrines. Biron menaçait les aubergistes, s'ils l'arrachaient, de brûler leur maison. On le collait, en guise d'étiquette ou de réclame, sur des bouteilles d'eau-de-vie qu'on abandonnait aux abords des avant-postes ennemis. Les paysans de la Flandre, soudoyés par Beurnonville, le mettaient dans l'intérieur de chaque miche de pain qu'ils vendaient aux Autrichiens. Toutes les marchandises expédiées en Allemagne étaient enveloppées dans le fameux décret, et des milliers d'exemplaires renfermés dans de gros ballots, furent envoyés de Strasbourg aux armées ; la profusion à cet égard, disait Roland, ne peut être susceptible d'excès[52]. On répandait, outre le décret, des brochures contre l'Autriche. La plupart avaient été imprimées sur l'ordre de Roland qui se disait, dans son langage parfois ampoulé, chargé de l'administration des forces morales et prétendait les faire agir de front et d'accord avec les forces physiques[53]. Une de ces brochures, sortie des presses de l'imprimerie nationale, était intitulée Schneider à ses anciens camarades du régiment de Clerfayt. Camarades, disait le prétendu Schneider, les mauvais traitements, la dureté d'officiers inhumains m'ont enfin fait passer en France. Je viens de demander à la municipalité du lieu que j'habite, une jolie chaumière entourée de plusieurs arpents de terre, appartenant à un ci-devant comte qui a quitté sa patrie pour la combattre avec vous et la ravager par le fer et le feu. Je vous réponds, camarades, que si le ci-devant comte s'avise de reparaître pour, me disputer le terrain, ma carabine lui fera bonne réponse. On est bien fort sur son fumier. Si dans notre régiment j'en valais bien un autre pour aller au leu, ici je puis vous assurer que je me sens en valoir cent. Accourez, laissez-là vos officiers d'enfer qui vous ont meurtri le dos de leurs coups, vos slagueurs (sic), vos ducs, vos rois, votre empereur et venez vivre dans ce doux climat où tous les hommes sont égaux. Si vous voulez porter les armes, vous aurez, au lieu de pain noir et sablonneux, du pain blanc et sain, le double de votre paye, et le droit de choisir parmi vous des chefs, et la perspective de monter rapidement à tous les grades. Ah ! camarades, on vous cache soigneusement tant d'avantages pour vous retenir sous le bâton de vos maîtres qui ne le sont pourtant que parce que vous n'avez pas le cœur de vous croire des hommes comme eux, et vous vous livrez, pour servir leurs haines particulières, à toutes les horreurs et les misères d'une guerre, où vous serez à la longue exterminés tous. Car, sachez-le, ce ne sont plus des soldats gagés à un homme que vous allez combattre ; c'est toute une nation indignée qui va déborder sur vous comme une mer en furie[54] ! Cette propagande ou, comme on disait au camp prussien, ce système de visites et d'insinuations irrita Frédéric-Guillaume et le duc de Brunswick. Le 24 septembre, Massenbach se rendit au quartier général de Kellermann pour déclarer que les sentinelles prussiennes accueilleraient désormais à coups de fusil tout Français qui ferait des tentatives d'embauchage. Le major a raconté son ambassade dans ses Mémoires. Dès qu'il fut arrivé aux avant-postes de Dommartin-la-Planchette, un officier lui banda les yeux et le mena au général Stengel[55]. Massenbach savait que Stengel était Palatin de naissance ; il connaissait sa famille, il le nomma son cousin, et Stengel qui était jovial, dit Massenbach, causa bientôt avec le major sur le ton le plus enjoué. Il l'accompagna jusqu'au camp de Dampierre-sur-Auve. Le mouchoir qui serrait le front de Massenbach était si mince et si faiblement noué que l'officier prussien pouvait tout voir. Il observa qu'on lut faisait parcourir le front du camp et que les Francais avaient lâché les écluses de l'Auve et de l'Yèvre. Il fut présenté à Kellermann qui le retint à dîner. Les ducs de Chartres et de Montpensier, Dillon, La Barolière, Schauenbourg étaient au nombre des convives. On causa de la canonnade du 20 septembre et de la situation politique de la France. Après le diner, Dillon attira Massenbach dans l'embrasure d'une fenêtre et lui dit qu'il regrettait de voir la Prusse engagée dans la guerre. Il avait vu Berlin et les manœuvres de Potsdam, il connaissait personnellement Frédéric-Guillaume et Brunswick. Dites de ma part au roi et au duc, ajouta Dillon à toute voix, que Louis XVI ne peut être sauvé que si la coalition reconnaît la République et fait la paix avec elle. Puis, plus bas, il reprit : Si vous ne faites pas la paix, la monarchie et la noblesse sont à jamais perdues. Si vous faites la paix, la République, n'ayant plus d'ennemis au dehors, sera déchirée par les partis, et la nation fatiguée finira par rétablir la royauté. En tout cas il ne faut pas songer un instant à ramener les comtes de Provence et d'Artois ; toute la France les méprise et les hait. Dillon se tut ; il regardait autour de lui, comme s'il craignait d'être entendu ; enfin, il ouvrit une croisée, se pencha au dehors, et faisant signe au major d'approcher : Regardez donc, la belle contrée ! Le major s'était mis à la fenêtre : Dites au roi, chuchota Dillon, qu'on projette à Paris une invasion en Allemagne ; on sait qu'il n'y a pas de troupes sur le Rhin[56]. Cette confidence n'était pas une ruse à la Thémistocle et Dillon n'était pas le seul officier royaliste de l'armée française qui donnait secrètement aux Prussiens d'utiles avis. Nassau-Siegen, ramenant un prisonnier au camp de Dampierre, fit demander un officier, autrefois son ami. Je ne vous connais plus, lui dit à haute voix cet officier, et ce n'était pas la peine de m'appeler ; puis, tout bas : Pourquoi n'interceptez-vous pas nos convois qui viennent de Châlons ? Tout serait fini[57]. VII. Au milieu de ces allées et venues d'officiers des deux partis, Dumouriez poursuivait son dessein avec chaleur. Il ne perdait pas l'espoir de gagner Frédéric-Guillaume à l'alliance française. Détacher le roi de Prusse, tel était le mot qui revenait à tout instant dans ses dépêches et qui devait être désormais le schibboleth de la diplomatie révolutionnaire. Son collègue Kellermann, qu'il tenait au courant de la négociation, ne doutait pas que Frédéric-Guillaume ne devint bientôt un des meilleurs amis de la République, s'il pouvait se tirer avec honneur des engagements qu'il avait pris avec ses alliés[58]. Jusqu'à présent, écrivait Dumouriez le 26 septembre, je ne suis que la raquette qui reçoit et qui renvoie les propositions. Mais, comme les Prussiens paraissent me témoigner une confiance exclusive parce que j'ai été ministre des affaires étrangères, je pourrai, si la République le juge à propos, et si l'on m'envoie des bases, travailler activement à profiter des circonstances. Frédéric-Guillaume, ajoutait-il, devait : 1° reconnaitre la République et traiter avec elle ; 2° rompre la convention de Pilnitz ; 3° évacuer le territoire français après avoir rendu les deux forteresses de Verdun et de Longwy ; 4° rester neutre dans la lutte de la France contre l'Autriche et promettre de ne pas regarder cette guerre comme une guerre d'Empire ; 5° se borner à intercéder en faveur de Louis XVI sans rien exiger à cet égard ; 6° laisser se terminer par une discussion juridique l'affaire des princes possessionnés. Qu'on se mît d'accord sur ces six points, et les deux nations seraient prochainement unies par un traité d'alliance qui donnerait presque sans combattre la liberté aux peuples de la Belgique[59]. Il voulut brusquer l'affaire et, en renonçant aux ambages diplomatiques, amener le roi de Prusse à se prononcer. Le 27 septembre il envoyait à Manstein une nouvelle lettre. J'ai l'honneur, disait-il, de vous envoyer, vertueux Manstein, douze pains, douze livres de café, douze livres de sucre que je vous supplie d'offrir à Sa Majesté. Il faisait l'éloge de Frédéric-Guillaume, de son cœur et de ses grandes qualités ; la France aimait ce monarque et l'estimait ; tous les Français gémissaient sur l'alliance qu'il avait faite avec une cour légère et perfide. Mais, s'il continuait la guerre, ne serait-il pas inhumain et injuste ? Nos malheurs, ajoutait Dumouriez, ont amené une révolution qui a entrainé l'abolition de la monarchie ; ou il faut traiter avec nous, ou il faut nous détruire, et on n'efface pas de la surface du globe une nation courageuse de vingt-six millions d'hommes ! Cette lettre était accompagnée d'un second mémoire de Dumouriez sur les dangers que courait la Prusse en s'unissant à l'Autriche et sur le profit qu'elle tirerait d'une alliance avec la République française. Il était impossible, écrivait le général, de relever le trône. Pourquoi le roi de Prusse ne traiterait-il pas avec la République ? Voulait-il être l'instrument de l'Autriche qui ne faisait que le compromettre et ne lui fournissait qu'un faible contingent ? Voulait-il sacrifier son armée et ses trésors à l'ambition d'une puissance toujours plus redoutable à ses alliés qu'à ses ennemis, toujours avar et avide, manquant de franchise et de courage, ne connaissant d'autres armes que la politique subtile et tortueuse ? Un tel renversement de tous les principes n pouvait durer. Est-il impossible, disait crûment Dumouriez, de rompre avec des brigands ? Oui, le roi de Prusse abandonnerait des alliés indignes de lui. L'illusion du point, d'honneur ne l'emporterait pas sur ses vertus, sur son humanité, sur ses vrais intérêts. Il jouerait le plus beau rôle qu'un roi puisse jouer ; il se ferait de la nation française un allié généreux, puissant, invariable, qui lui donnerait tous ses secours et son sang même. La France avait aboli la royauté parce qu'elle n'avait eu depuis Henri IV que des rois faibles et lâches, gouvernés par des maîtresses et des confesseurs, par d'insolents ministres et de vils courtisans. Mais elle aimait, elle estimait le roi de Prusse ; ses troupes ne pouvaient se résoudre à le regarder comme leur ennemi ; dans l'intérêt de sa gloire et principalement dans l'intérêt de deux peuples magnanimes, Frédéric-Guillaume abandonnerait les émigrés, ces véritables rebelles qu'il tolérait dans son armée, et surtout ces barbares Autrichiens dont il était la dupe[60]. Mais les choses n'étaient pas aussi avancées que le croyait Dumouriez et il se trompait étrangement sur les dispositions du roi de Prusse. Frédéric-Guillaume se regardait comme le représentant du droit divin et défendait la cause de Louis XVI parce qu'elle était commune à tous les rois. Pouvait-il s'allier à la République, à ceux qu'il n'avait cessé de nommer des factieux et des révoltés, à ces maudits hommes du 10 août, et comme disait Gœthe, à ces jacobins détestés que le manifeste avait voués à la mort[61] ? Pouvait-il, sans déshonneur, manquer à la parole qu'il venait à peine de donner et rompre une alliance tout fraîchement conclue ? L'ambassadeur d'Autriche, le prince de Reuss, était au camp de Hans ; mais les Prussiens ne lui cachaient rien ; ils l'informaient de tout ce qui se passait ; ils lui amendaient son avis et, pour ainsi dire, son autorisation. Manstein n'avait ouvert sa négociation avec Dumouriez qu'après avoir obtenu la permission du prince de Reuss, et l'ambassadeur autrichien reconnaît lui-même qu'au milieu de ses embarras et dans la triste situation de l'armée, la loyauté du roi, du duc de Brunswick et du marquis de Lucchesini est pour lui une grande consolation[62]. Lucchesini était arrivé le 24 septembre au quartier général. Il comprit aussitôt que Dumouriez cachait son jeu. Il n'hésita pas à déclarer que Manstein s'engageait imprudemment et qu'il était fort en train de se laisser tromper par un fourbe[63]. Dumouriez avait-il de pleins pouvoirs ? Etait-il autorisé par le conseil exécutif à traiter avec l'ennemi ? Pouvait-on négocier avec un gouvernement, né la veille d'une révolution et qu'une autre dévolution renverserait peut-être le lendemain ? Ce qu'on voulait, avant toutes choses, au camp prussien, c'était la délivrance de Louis XVI et le rétablissement de la monarchie. Mais Dumouriez avait-il fait dans ses lettres la moindre allusion à la restauration de la royauté ? Son adjudant-général Thouvenot avait-il, dans l'entrevue du 26 septembre, prononcé un seul mot en faveur de Louis XVI ? N'avait-il pas assuré, au contraire, que la Convention était souveraine et que l'armée avait accueilli la proclamation de la République avec l'allégresse la plus vive ? Croyez-moi, disait Lucchesini, il n'y a rien à gagner dans ces négociations qui ne sont au fond qu'un combat d'astuce de Dumouriez contre la probité de Manstein[64]. Pendant ces pourparlers, le Français se retranche et se fortifie, il gagne du temps, il retarde notre attaque et en diminue les chances, il énerve notre armée en la rendant inactive, il la provoque à la désertion, il alarme nos alliés, il fait croire que nous désespérons du résultat final de la guerre et que nous sommes prêts à trahir nos engagements ; on sait déjà que Dumouriez et le roi de Prusse négocient ; on dira bientôt qu'ils sont, d'accord. Tels étaient les sentiments du quartier général prussien le 27 septembre. Brunswick et le roi reconnaissaient leur illusion ; ils accusaient Manstein de légèreté ; ils comprenaient, avoue Lucchesini, que ces envois, ces insinuations, ces conférences n'avaient profité qu'aux Français. A cet instant, arrivait le second mémoire de Dumouriez. Le roi de Prusse le lut, en présence de Lucchesini, de Brunswick et du prince de Reuss. L'ambassadeur d'Autriche fut outré d'indignation ; ce mémoire, s'écriait-il, est ce qu'il y a de plus bas, de plus pervers, de mieux fait pour échauffer la bile d'un homme d'honneur ! Le roi, le due et le marquis partageaient son irritation. A chaque mot, s'augmentait la fureur de Frédéric-Guillaume. Quoi ! On lui faisait la leçon ! On osait lui dire qu'il sacrifiait le bien de l'État à l'illusion du point d'honneur ! On lui conseillait de lâcher son allié et de s'associer à la Révolution ! La franchise de Dumouriez ne lui paraissait que de l'effronterie et de l'insolence. Brunswick ne cachait pas son chagrin et son embarras. Lucchesini triomphait ; cette fois, disait-il, vous êtes désabusés ; le voilà, ce Dumouriez sur lequel on comptait ; n'avais-je pas prévu qu'il abuserait de la facilité qu'on lui montrait à entrer en pourparlers avec lui ? Il se démasque, il change de langage, le jacobin reparaît et exprime les principes de son parti sans la moindre retenue[65] ! La colère du roi se déchargea sur Manstein. Il lui reprocha, dans les termes les plus durs, d'avoir entamé une négociation qui devait aboutir à de semblables propositions, et son mécontentement, rapporte Lucchesini, fut exprimé d'une manière assez énergique pour affliger sensiblement M. de Manstein. Sous le coup de cette rude semonce, le colonel-diplomate écrivit aussitôt à Dumouriez ; il mit dans sa réponse assez de sécheresse et de froideur pour arrêter court les effusions sentimentales du général français et ses offres d'alliance. Je viens de remettre à Sa Majesté, disait-il à Dumouriez, les comestibles que vous m'avez envoyés pour elle ; quoique le roi se trouve dans une position à ne manquer de rien, il a bien voulu agréer, pour cette fois, cette marque d'attention que vous venez de lui donner, cependant j'ose vous prier de ne plus vous donner de pareilles peines. Quant au mémoire qui a été joint à votre lettre d'aujourd'hui, je dois vous renouveler, Monsieur, mes instantes prières de ne pas revenir sur l'article des liaisons actuelles de la Prusse avec la cour de Vienne. Chacun a ses principes ; celui du roi mon maître est de demeurer fidèle à ses engagements ; ce principe ne pourra qu'augmenter la bonne opinion que la nation française a de ce prince[66] et qu'il ne démentira jamais, soit qu'il se trouve dans le cas de continuer la guerre, ou qu'il puisse se livrer. à la douce satisfaction de rétablir la paix. Mais cette démarche de Manstein n'était pas assez éclatante. Il ne suffisait pas, selon le mot de Lucchesini, de répondre à l'outrageant mémoire de Dumouriez par le mépris du silence ; il fallait rompre absolument avec des gens dépourvus d'ailleurs de tout pouvoir légal et montrer à l'Autriche et à l'Europe, par un acte vigoureux, que la Prusse ne pactisait pas avec la Révolution. Le marquis observa que la proclamation delà République heurtait de front les principes exposés dans le manifeste du 25 juillet ; la France, disait-il, défie sans ménagement la cause que nous représentons ; en face même de nos troupes qui campent sur son territoire et au milieu de ses foyers, elle abolit la royauté ; il faut lui répondre par un nouveau manifeste qui soit une preuve d'animadversion et de désaveu formel. Il rédigea donc ; au nom du duc de Brunswick, une déclaration à la nation française[67]. Lucchesini — ou le duc de Brunswick, qui se servait de la plume élégante du marquis — rappelait les événements qui s'étaient passés en France depuis les deux manifestes de juillet. Paris avait été le théâtre de scènes d'horreur et d'attentats dont l'histoire des nations policées n'offre presque point d'exemple. Quelques factieux avaient fait du peuple de la capitale l'instrument aveugle de leur volonté ; ils avaient détruit la Constitution, cette même Constitution qu'on avait si longtemps proclamée comme le vœu de la nation entière ; ils avaient suspendu le roi de toutes ses fonctions : dernier crime de cette assemblée qui attirait sur la France les deux terribles fléaux de la guerre et de l'anarchie ! Une Convention venait de se réunir ; mais, elle aussi, elle était saisie de cet esprit de vertige, funeste avant-coureur de la chute des empires[68], et le premier décret qu'elle avait porté était l'abolition de la royauté ! Un petit nombre d'individus, dont plusieurs même sont des étrangers[69], s'est arrogé le droit de balancer l'opinion de quatorze générations qui ont rempli les quatorze siècles d'existence de la monarchie française ! Mais l'empereur et le roi de Prusse avaient la ferme résolution de rendre à Sa Majesté très chrétienne sa liberté, sa sûreté et sa dignité royale. Invariablement attachés au principe de ne point s'immiscer dans le gouvernement intérieur de la France, ils persistaient également à exiger que Sa Majesté très chrétienne, ainsi que toute sa famille, fût immédiatement mise en liberté, que la dignité royale fût rétablie sans délai dans la personne de Louis XVI et de ses successeurs, que cette dignité fût désormais à l'abri des avanies. Brunswick sommait la nation d'obéir à cette demande péremptoire ; il la menaçait, en cas de refus, de nouveaux et plus terribles malheurs ; supprimer la royauté, c'était ôter le moyen de rétablir et d'entretenir les anciens rapports entre la France et les souverains d'Europe, c'était perpétuer les effets d'une guerre funeste, exposer la nation à tous les maux qui marchent à la suite des armées. Le roi de Prusse approuva cette déclaration et le duc de
Brunswick la signa (28 septembre).
Lucchesini était fier de son œuvre. Il l'annonçait au ministère prussien avec
l'écœurante vanité d'un Trissotin ou d'un Vadius. Que de finesse, que de
circonspection dans cette délicate réponse ! Le ton
de modération, disait-il avec complaisance, n'échappera
pas à l'attention de Vos Excellences. J'ai dû me borner à insister sur la
liberté du roi, la sûreté et le rétablissement de sa dignité, — points
qui pourront être accordés en tout cas sans entraîner implicitement l'idée de
son autorité ; — j'ai évité soigneusement de rien
dire qui puisse nous compromettre par rapport à cette formation subite d'un
état républicain ; enfin, les termes employés nous laisseront toute la
liberté et la facilité d'appliquer leur sens aussi bien à un avenir heureux
qu'à un état de succès imparfaits et insuffisants pour l'exécution de nos
vues[70]. En réalité, la déclaration était plus conforme à l'orgueil du roi de Prusse qu'à sa situation, et l'état de son armée ne justifiait pas ses altières exigences. Même dans le camp prussien on jugea le manifeste du 28 septembre très imprudent. Le duc de Brunswick, disait Gœthe, a la démangeaison d'écrire et, comme les auteurs qui lisent leurs productions à tout venant et mal à propos, il n'a pu s'empêcher de montrer à Dumouriez son nouveau chef-d'œuvre[71]. Massenbach savait que Lucchesini avait rédigé la déclaration ; voilà bien nos diplomates, s'écriait-il, toujours grands faiseurs de manifestes et toujours beaux diseurs ! Breteuil trouva le mot juste : Le duc a fait une nouvelle déclaration à laquelle il ne manque que d'avoir battu l'ennemi[72]. Manstein fut chargé d'envoyer à Dumouriez ce nouveau manifeste. Il le somma de le publier sur-le-champ et l'avertit que le quartier général allait, pour plus de sûreté, le faire imprimer aussitôt. L'importance et l'authenticité de cette pièce exigent que vous la portiez aussi promptement que possible à la connaissance de la nation à laquelle elle est adressée. Elle le sera de notre part par la voie de l'impression, et l'on avertira la nation française que l'original de cette déclaration vous a été adressé aujourd'hui par moi. Dumouriez trouva la déclaration si impérative, si dure, si déplacée[73] qu'il la lut deux fois, sans dissimuler sa surprise et sa colère. Le duc de Brunswick, dit-il au porteur du message, me prend sans doute pour un bourgmestre d'Amsterdam ; annoncez-lui que la trêve cessera demain matin et que j'en donne l'ordre devant vous. Il écrivit, séance tenante, un billet laconique à Manstein. Ce n'était pas ainsi qu'on traitait avec une grande nation et qu'on dictait des lois à un peuple souverain ; les Français ne penseraient plus qu'à combattre ; on voulait leur arracher la liberté qu'ils avaient conquise ; on ne tarderait pas à s'en repentir. Je vais, ajoutait-il, faire passer l'écrit du due de Brunswick à la Convention nationale ; je vais le faire lire dans mon camp, et partout il sera reçu avec le même sentiment d'indignation. La négociation était terminée. Nous n'avons plus, mandait Dumouriez à Paris, de base pour négocier. Tout est dit, marquait de son côté Lucchesini au ministère prussien, et il n'y a plus qu'à finir brusquement tous pourparlers ultérieurs. Mais le duc de Brunswick préparait sa retraite ; il lui semblait indispensable de prolonger la trêve, ne fût-ce que d'un jour. Manstein revint à la charge. Il écrivit à Dumouriez le 29 septembre ; il lui paraissait que le général français n'avait pas voulu entrer dans le sens de la déclaration, ni saisir le véritable esprit qui l'avait dictée ; il proposait un nouveau rendez-vous pour le lendemain, 30 septembre, à midi, aux avant-postes des deux armées. Dumouriez répondit que Brunswick avait écrit, non pas un mémoire particulier, mais un manifeste ; que ce manifeste portait avec lui la menace et la guerre, qu'il rompait le fil de la négociation, et détruisait tout ce qu'on avait dit depuis quatre jours dans les conférences de Dampierre ; tant que cette pièce subsisterait, il ne pourrait voir Manstein. Que penseriez-vous, ajoutait-il, d'une nation qui, sans avoir été vaincue, se plierait devant un manifeste et traiterait sur les conditions de l'esclavage, lorsqu'elle s'est déclarée républicaine ? D'ailleurs il avait fait imprimer la déclaration, il l'avait répandue dans son armée, il l'avait envoyée à Paris ; il ne pouvait plus qu'attendre les ordres de son souverain qui était le peuple français rassemblé en Convention nationale par ses représentants[74]. Le même jour, Dumouriez mandait à Lebrun : Ces gens-là sont insolents, mais ils ont besoin de la paix. La grande difficulté pour eux est de savoir comment ils pourront garder le decorum dans cette négociation. Je suis bien persuadé que le manifeste du duc de Brunswick sera annulé et qu'on reviendra à des propositions plus raisonnables. Pourtant je crois que décidément le roi de Prusse n'abandonnera pas l'Autriche[75]. Mais sa tactique prudente avait eu plein succès. La négociation qu'il ouvrit dès le surlendemain de Valmy et qu'il prolongea pendant huit jours, ruina l'armée prussienne. Cette semaine d'inaction valait mieux qu'une bataille gagnée. Les envahisseurs, désormais réduits à une défensive inerte, avaient pris le parti d'abandonner la Champagne et de se retirer sur la Meuse. |
[1] Vivenot, Quellen, II, 180-192. En même temps le cabinet de Vienne donnait pleins pouvoirs pour régler les affaires de France au comte de Mercy-Argenteau ; c'était l'homme qui connaissait le mieux la France et qui avait vu la Révolution naître, grandir et dégénérer en monstruosité (Cobenzl à Reuss, 9 septembre) ; il devait se rendre dans la ville la plus voisine du camp prussien ; on lui adjoignit le baron de Thugut.
[2] Cobenzl à Spielmann, 20 septembre (Vivenot, Quellen, II, 216219). Il oubliait que les élections avaient eu lieu dès le 2 septembre dans les départements envahis (dans la Moselle, à Metz ; dans la Meuse, à Gondrecourt ; dans la Marne, à Reims ; dans les Ardennes, à Sedan).
[3] Comparez ce que disait Schulenbourg à Verdun, Invasion prussienne, p. 291-292.
[4] Vivenot, Quellen, II, 238-239, Spielmann à Cobenzl, 30 septembre ; 222, Cobenzl à Mercy, 22 septembre, 228-229 ; Ph. Cobenzl à Louis Cobenzl.
[5] Si le roi (Louis XVI) était emmené dans le midi, écrit Breteuil à Fersen le 12 septembre (Fersen, II, 371), l'armée prussienne ne le suivrait pas ; tout ce que nous en pourrions obtenir serait de nous laisser une partie à notre solde.
[6] Vivenot, Quellen, II, entretiens de L. Cobenzl avec Ostermann et Markoff ; lettre de Ph. Cobenzl à L. Cobenzl et à Spielmann, 212-214, 228 et à l'empereur (19 novembre) 369-370.
[7] Il est né à Lucques le 7 mai 1751 ; cf. sur Lucchesini H. Hüffer, aus dem Nachlass Lombards und Lucchesinis, 1882, p. 7-8 ; prince de Ligne, Mém., I, 34-35 ; Ségur, Mém., II, 123 ; Sybel, I, 367.
[8] Lettre de Lucchesini, Ranke, Ursprung, app., 371.
[9] Hausser, I, 431 ; comparez
Malmesbury, Diary, III, 20.
[10] Sybel, I, 564 ; Massenbach, Mém.,
I, 232 ; Malmesbury, Diary, III, 45.
[11] Hausser, I, 386.
[12] Cf. Valmy, p. 128-133.
[13] Dumouriez à Lebrun, 24 septembre (arch. guerre).
[14] Dumouriez, Mém., I, 1, 14.
[15] Il disait ce mot à Choiseul, en partant pour la Pologne. Voir sur les négociations de Dumouriez pendant son ministère. Invasion prussienne, p. 16-19.
[16] Cf. Valmy, p. 19 ; Dumouriez, disait Prudhomme, écrit trop pour un général ; nous savons depuis longtemps qu'il est toujours la plume à la main, qu'il entretient des correspondances avec tout l'univers, et que, jour et nuit, on le voit sans cesse écrire, écrire, écrire (Révolutions de Paris, n° 194, p. 85). Fraîchement sorti du ministère des affaires étrangères, rapporte Rochambeau (Mém., I, 429), il se servit habilement de sa plume et de son épée pour dérouter tous les plans du roi de Prusse.
[17] Dumouriez à Biron, 25 septembre (arch. guerre). La lumière est faite aujourd'hui sur les dessous obscurs de cet épisode. Sybel, Hausser, Ranke, en Allemagne ; A. Sorel, en France, ont fait, d'après toutes les pièces, le récit de la négociation de Manstein ; en recommençant ce récit, nous entrerons davantage dans le détail et ajouterons à ce qu'on connaît déjà de nouvelles particularités (rôle de Lombard et de Heymann, de Westermann, de Kellermann, de Thouvenot, etc.).
[18] Lettre de Lombard, du 9 novembre 1792. Fils d'un maître perruquier d'origine dauphinoise et de la Bernoise Suzanne Salomé Monod, Lombard était né le 1er avril 1767 à Berlin ; il mourut à Nice le 28 avril 1812.
[19] Cf. sur Fortair, Valmy, p. 28. Claude-Marie Fortair était né le 2 février 1757 ; il avait été élève du corps du génie et servait dans la garde nationale parisienne depuis le 12 juillet 1789 ; ce fut le 29 août 1792 que Dumouriez le nomma son aide-de-camp. (Arch. nat. F7 4598, brevet de Fortair.)
[20] Arch. guerre, 22 septembre.
[21] Interrogatoire de Westermann, 19 avril 1793, devant le comité militaire (Arch. nat., AF, II, 22, p. 177]. Il prétend qu'il était lors de la révolution de 89, grand bailly du directoire de la noblesse et avant volontaire de cavalerie dans le régiment d'Esterhazy, et sortant dudit régiment, il est entré dans les gendarmes de la garde où il a été trois ans surnuméraire.
[22] Comparez sur Westermann, Et. Barth, Notes biographique sur les hommes de la Révolution à Strasbourg, 1877-1883, p. 539-541 ; Claretie, Camille Desmoulins, 237-239 ; Taine, Conquête jacobine, 259 ; sur son rôle au 10 août le Moniteur du 24 décembre (témoignage de Carra, de Bourdon de Seine-et-Oise et de Legendre) ; sur son rôle en Vendée les Mém. du général Turreau (p. p. Lescure, 1877, p. 207) et Beauchamps, Guerre de la Vendée, 1807, II, p. 194-195. Turreau dit que la Révolution n'a pas eu de charlatan qui eût aussi peu de talents et autant d'impudence que Westermann.
[23] Procès-verbaux du Conseil exécutif. (Arch. nat.)
[24] Sur Georges, voir Invasion prussienne, p. 261-265.
[25] Voir sur le rôle de Westermann dans ce premier acte de la négociation, ses dispositions devant le tribunal révolutionnaire et les notes de Topino-Lebrun, publiées par Chardoillet, p. 25 ; sur le rôle de Lombard ses lettres du 28 septembre et du 10 octobre et surtout celle du 24 septembre, reproduite dans le texte original français par H. Hüffer (aus dem Nachlass Lombards und Lucchesinis, p. 25-26).
[26] Voir Invasion prussienne, p. 19.
[27] Vivenot, Quellen, II, 234. Bouillé (Mém., 336) avait dit à Brunswick et au roi qu'il serait peut-être avantageux de renouer cette négociation qui pourrait mener à un arrangement raisonnable.
[28] Réminiscences, 162.
[29] Gœthe, 100 ; Caraman assura le prince de Reuss que Breteuil approuverait tout (Vivenot, Quellen, II, 234). Pourquoi, dit Servan, dans ses notes au Mém. de Dumouriez (p. V), si Dumouriez voulait k sauver le roi, n'accéda-t-il pas en Champagne à une paix. avec le roi de Prusse, conseillée par l'ex-ministre Breteuil ? Après avoir chassé Calonne, il (Breteuil) venait de se mettre à la tête des affaires des princes, et il désirait la paix, afin de pouvoir travailler avec plus d'efficacité à assurer la vie du roi et celle de la famille royale.
[30] Journal de Lucchesini, Hausser, I, p. 382.
[31] Dumouriez à Lebrun, 24 septembre.
[32] Kellermann à Servan, 24 septembre (Arch. guerre).
[33] Heymann, de son côté, prononça le nom du duc d'Orléans et déclara que les alliés seraient rassurés s'ils voyaient ce prince sur le trône. Le duc de Chartres était présent. Heymann lui demanda son avis. Comment, lui répondit le jeune prince, avez-vous pu croire que nous écouterions de pareilles sornettes ! Néanmoins Heymann demanda s'il pouvait écrire au duc d'Orléans. Le duc de Chartres prit sa lettre et l'envoya à son père. L'émigré priait le duc d'Orléans de conférer avec lui, en présence de Biron, et sollicitait un passeport pour se rendre à l'endroit désigné. Mais le duc venait d'être élu a la Convention et s'était attaché aux Jacobins ; il avait reçu naguère de la Commune le nom d'Egalité ; toute négociation avec lui était impossible. Il monta le 26 septembre à la tribune et déposa sur le bureau la lettre de Heymann ; il n'avait, disait-il, aucune correspondance avec les émigrés et les ennemis de la patrie ; il ne ferait donc aucune réponse au message qu'il avait reçu. Voir sur cette épisode Vatout, Le Palais-Royal, 1838, p. 223-224 ; Beaulieu, IV, 173 ; Fersen, II, 41 ; Ranke, Ursprung, 314 et le procès-verbal, écrit par Vergniaud et non reproduit dans les journaux, de la séance du 26 septembre (Arch. nat. C II et Vatel, Vergniaud, II, 145-146). Comparez encore le Courrier des quatre-vingt-trois départements, 29 septembre, p. 115. On assure, et nous pourrions peut-être le certifier, que le roi de Prusse a invité M. de Chartres à venir dîner avec lui à son camp. Le porte-parole est Heymann. Chartres a répondu pour son père et pour lui qu'il faisait trop de cas de l'estime et de la confiance de la nation française, pour se permettre une démarche qui pourrait le rendre suspect, et dont il ne trouvait ni le motif ni l'excuse dans son cœur.
[34] Id., même lettre de Kellermann à Servan.
[35] Mathieu Dumas, Souvenirs, II, p. 476.
[36] La Convention, écrivait Rühl à Custine, a ouvert ses séances par un coup d'éclat en décrétant que la royauté est abolie en France, quod Deus bene vertat ! (22 septembre, Arch. guerre).
[37] Il disait à Clavière : Je suis enchanté qu'enfin nous ayons sauté le pas de la République. Actuellement il n'y a plus d'incertitude. Les modérés n'ont qu'à lire Plutarque et à changer de peau comme le serpent. (26 septembre.)
[38] Dumouriez à Lebrun, 24 septembre (Arch. guerre). Westermann apportait en même temps à la Commune une caisse et un fusil enlevés aux Prussiens. La vue de ces armes, dit le Moniteur du 7 octobre, a répandu l'allégresse dans tous les cœurs. Des applaudissements multipliés ont accueilli le citoyen Westermann ; on a ordonné la mention honorable au procès-verbal du civisme de cet officier, et le conseil a arrêté que le fusil et la caisse seraient placés en trophée sur le piédestal qui servait au buste de Louis le dernier.
[39] Nassau-Siegen (Feuillet de Conches, VI, p. 358-359).
[40] Dumouriez à Manstein, 25 septembre ; à Kellermann, 25 septembre ; Hausser, I, 382.
[41] Reuss à Spielmann, 26 septembre ; Vivenot, Quellen, II, 233.
[42] Reuss à Cobenzl, Vivenot, Quellen, II, 234 ; Haüsser, I, 383.
[43] Dumouriez à Servan, 26 septembre (Arch. guerre).
[44] Dumouriez, Mém., I, 305 ;
Haüsser, I, 383.
[45] D'après la Chronique de Paris (28 septembre, p. 1088) on avait ramassé toutes les vaches éparses dans le camp pour faire voir à l'officier français que l'armée prussienne ne manquait de rien.
[46] Cartel d'échange, 26 septembre (Arch. guerre), ratifié deux ours plus tard par les généraux en chef.
[47] Ce passage de la conversation, cité par Lebrun à la Convention, excita l'hilarité ; on rit de la naïveté, disait le Patriote français du 2 octobre, et l'histoire de Denys de Corinthe revient à la mémoire.
[48] Thouvenot publia le récit de cette conférence ; cette pièce est intitulée Résultat de la conférence qui a eu lieu entre MM. le duc de Brunswick, le comte de Lucchesini et le lieutenant-colonel Thouvenot ; on la trouvera dans les Révolutions de Paris de Prudhomme, n° 169, 29 septembre, 6 octobre, p. 67-70 ; cf. la lettre de Lebrun à la Convention, Moniteur du 2 octobre.
[49] Nassau-Siegen, 362.
[50] Gœthe, 102 et Dumouriez, Mém., I, 305.
[51] Courrier des quatre-vingt-trois départements, lettre du fils de Rivery, député de la Somme (29 septembre, p. 115).
[52] Arch. guerre, Roland à Custine, 4 septembre ; Biron à Servan, 20 septembre et à Dumouriez, 4 octobre (il envoyait 4.000 exemplaires à Dumouriez le 18 septembre) ; Beurnonville à Couthon, Thermomètre du jour, 2 septembre et Moniteur, 20 août.
[53] A Custine, 4 septembre. L'imprimeur Reynier reçut du 3 au 22 septembre 4.275 livres pour impression de diverses brochures et avis qui devaient être distribués aux soldats autrichiens. (Roland à ses concitoyens, Mém. de Mme Roland, notes, II, 429). En outre Roland donna 600 livres aux citoyens Parraud et Frédéric Simon pour traductions d'écrits patriotiques et de pamphlets propres à éclairer nos voisins et leurs armées. Il fit aussi réimprimer, pour 571 livres, les Observations sur l'Autriche de Favier.
[54] Brochure de quatre pages, sur deux colonnes, en allemand et en français, 1792. Le texte allemand renferme quelques divergences ; la comparaison de la fin est ainsi transformée wie cine Mutter, der man ihr Junges beraubt hat. Cf. Laukhard, III, 178 ; il donne le texte d'une autre brochure Les Français sont les frères de tous ceux qui veulent être libres comme eux... venez partager avec nous la gloire de donner la liberté à tous les peuples de l'Europe, etc. Carra fit également une adresse aux soldats étrangers, qui fut traduite en allemand, imprimée à 50.000 exemplaires et envoyée aux armées. Que vos bataillons lèvent la crosse de vos fusils en haut, nous irons vous serrer dans nos bras. (Annales patriotiques, 5 septembre).
[55] Voir sur Stengel, Valmy, p. 63 et dans le Moniteur du 13 mars 1793 (séance du 10) les discours de Lacroix et de Rühl ; il disait à Lacroix : Je suis né sujet de l'électeur palatin ; si la neutralité est rompue, je demande à être employé ailleurs, de peur de paraître suspect.
[56] Massenbach, Mém., I, p. 120-121 ; cf. Gouvion Saint-Cyr, p. LXXXII.
[57] Nassau-Siegen, 357-358 ; Fersen, II, 50.
[58] Kellermann à Servan, 27 septembre (Arch. guerre).
[59] Dumouriez à Servan, 26 septembre et à Lebrun, même jour. Envoyez-moi, dit-il à Lebrun, des bases claires et précises, et je vous jure que je mènerai lestement cette négociation avec le roi des Bulgares. Vous savez que je vous aime bien. Votre titre de républicain ajoute un grain de sel à notre liaison.
[60] Tous les journaux du temps ont publié ce mémoire.
[61] Gœthe, Camp. de France, 180.
[62] Reuss à Spielmann, 26 septembre et 2 octobre (Vivenot, Quellen, II, 233 et 242).
[63] Mot de Breteuil à Fersen. Fersen, II, 382-383.
[64] Ranke, Ursprung, 372.
[65] Reuss à Cobenzl, Vivenot, Quellen, II, 235 ; Lucchesini au ministère prussien, 3 octobre (Hausser, I, 386, note 1) et 29 septembre (Ranke, Ursprung, 320 et append., 372, lettre du 29 septembre). On se sert, dans ce récit, autant que possible des expressions mêmes des documents.
[66] Cette ironie qui sentait son Frédéric — remarque A. Sorel — trahit la collaboration de Lucchesini à la correspondance de Maastein.
[67] Lettres de Lucchesini du 3 octobre et du 29 septembre ; Hausser, I, 386 et Ranke, Ursprung, Append., 372.
[68] Lucchesini est un bel esprit, un phénix de collège, et se souvient de son Racine.
[69] Allusion à Anacharsis Cloots et autres. La Chronique de Paris (p. 1183) rapporte l'entretien suivant. Manstein disait à Dumouriez : Comment voulez-vous que nous puissions traiter avec vous ? Vous n'avez point de roi. — Nous avons la Convention nationale, qui est chargée d'exprimer la volonté de la nation. — Oui, mais comment est-elle composée ? Par exemple, vous avez là un Cloots, Prussien qui serait pendu s'il était chez nous. Dumouriez lui répondit : C'est parce qu'il mérite d'être pendu chez vous qu'il a mérité d'être élu chez nous.
[70] Ranke, Ursprung, 372 ; cf. Reuss à Cobenzl (Vivenot, Quellen, II, 235) ; les conclusions de Lucchesini lui semblent justes, et son style assez pénétrant pour faire impression sur un homme qui n'est pas encore entièrement corrompu.
[71] Gœthe, Camp. de France, 119.
[72] Massenbach, Mém., I, 124 ; Breteuil à Fersen, 2 octobre (Fersen, II, 378). Ce fut Brissot qui lut le manifeste à la Convention, dans la séance du 1er octobre ; il fut interrompu par des éclats de rire (Moniteur et Patriote français du 2 octobre. On a ri de ces inepties) ; cf. le jugement de Manso, Greschichte des preussischen Staates, I, 248 ; so rauh im Ton und so ungemäss den Umstanden.
[73] Mém., I, 307.
[74] Voir tous ces documents dans le Moniteur du 6 octobre.
[75] Dumouriez à Lebrun, 29 septembre (arch. guerre).