PROCLAMATION — LES CAMPS DE BRUILLE ET DE MAULDE — DÉCRETS DE LA CONVENTION — LES SENTIMENTS DE L'ARMÉE — DAVOUT — FUITE DE DUMOURIEZ — PROCLAMATION DE COBOURG — DÉBANDADE DE L'ARMÉEDUMOURIEZ ne perdit pas de temps. Dès le 2 avril, au matin, l'armée apprit l'arrestation des commissaires. Elle devait ainsi s'exprimait Dumouriez dans une courte proclamation émettre son vœu contre les agitateurs et les assassins, rendre à la patrie le repos qu'elle avait perdu par les crimes de ses représentants, lui rendre la constitution qui seule donnait aux Français la liberté et qui seule pouvait les garantir de la licence et de l'anarchie. Cette proclamation fut suivie, quelques heures plus tard, d'un supplément ou note deux fois, ajoutait Dumouriez, deux fois il avait sauvé la France à la tête de l'armée qu'il ramenait sur la frontière par une retraite savante ; il voulait mériter mieux encore de la patrie, et ses braves compagnons feraient connaître franchement leur opinion au pays. Il écrivit en même temps aux administrateurs du Nord la nation subissait sous le nom sacré de liberté un insupportable esclavage ; il allait donc marcher sur Paris et proclamer la constitution de 1791 ; né dans le département du Nord qu'il avait délivré des ennemis, il serait le libérateur de la France entière. A cette France entière il adressa un long et chaleureux appel. Il avait, disait-il, sauvé la nation ; mais dès le mois d'octobre Marat, le plus scélérat des hommes et l'opprobre des Français, l'avait calomnié dès la fin de novembre, on avait résolu sa ruine, on l'avait accusé de vouloir être duc de Brabant, stathouder, dictateur, et Pache avait laissé ses troupes manquer de tout. Il était allé à Paris pour remédier au mal il n'avait reçu que menaces et insultes. Battu à Neerwinden, il avait opéré une honorable retraite, et ce qui demeurait de l'armée ne respirait que pour une liberté sage et pour le règne des lois. Mais les Marat, les Robespierre, la secte des jacobins conspiraient sa perte et celle des généraux qu'ils emprisonnaient à Paris pour les égorger, ou, selon le mot qu'ils avaient forgé, pour les septembriser. Des commissaires étaient venus le sommer de paraître à la barre de la Convention il les avait arrêtés pour avoir des otages contre les crimes de Paris, et il marchait sur Paris. Que les Français jugent sainement la situation. N'avaient-ils pas décidé que la France était et resterait une monarchie ? N'avaient-il pas juré en 1789, en i'79o et en 1791 une constitution qui donnait des lois ? N'avaient-ils pas aboli le despotisme d'un seul ? Et ils voudraient du despotisme plus odieux de sept cents hommes dénués de mœurs et de principes, qui n'avaient obtenu la députation que .par des crimes ou des cabales ! Ils voudraient d'une assemblée de représentants enflammée par des tribunes qui, elles-mêmes, étaient soufflées par les jacobins ; d'une assemblée dont quatre cents à cinq cents membres gémissaient et décrétaient sous le glaive des satellites de Marat et de Robespierre ! Qu'avait-on vu depuis que la France était sans roi ? Les massacres de septembre, les dénonciations, les proscriptions, des bandes de prétendus fédérés courant les départements et les dévastant ; Louis XVI immolé sans procédure juridique, sans tribunal ; le décret du 10 novembre provoquant les nations et assurant l'appui de la France à celles qui se désorganiseraient ; le décret du 15 décembre aliénant les cœurs du peuple belge qui se serait, sans Dumouriez, révolté contre les vexations et les forfaits des jacobins la vie des citoyens à la merci des juges iniques du tribunal révolutionnaire ; une foule de décrets inspirés par l'orgueil, par l'avidité, par le désir de conserver le pouvoir ; les places les plus importantes accordées à des hommes incapables et indignes ; les membres de la Convention se méprisant, se détestant, se calomniant, se déchirant les uns les autres ; des Comités qui dévoraient tout ; une trésorerie nationale qui ne rendait aucun compte ; la guerre absurdement conduite ; les troupes de ligne et les volontaires de 1791 qui devaient être renforcés, incomplets, presque nus ; la cavalerie et l'artillerie dépourvues du nécessaire ; de nouveaux corps composés de satellites du 2 septembre et de coupeurs de têtes ; une assemblée ignorante qui ordonnait aux généraux d'aller prendre Rome et conquérir l'Espagne ; des commissaires spoliateurs et pareils à ces affreux proconsuls contre lesquels s'indigne Cicéron ; l'escadre de la Méditerranée se brisant sur les roches de la Sardaigne et la flotte de Brest se faisant battre par les tempêtes ; les Anglais interceptant les grains ; les départements prenant les armes pour résister à l'oppression. Les Français n'avaient donc qu'un point de ralliement, la constitution de 1791 qui leur rendrait la liberté et la gloire, et cette constitution, l'armée de Dumouriez la rétablirait pendant la trêve, car les ennemis consentaient à suspendre leur marche pendant que Dumouriez mettrait fin aux discussions intérieures. La constitution et la paix ! Voilà le noble ouvrage qu'accompliraient les troupes de ligne et les braves volontaires de 1791 qui abhorraient l'anarchie ! Aux proclamations se joignirent des actes. Dumouriez essaya de s'assurer des forteresses, de Condé, de Valenciennes, de Lille. Il avait mis à Condé le général Neuilly, l'un de ses lieutenants les plus dévoués ; il chargea le grand prévôt de l'armée, Lescuyer, de prendre Valenciennes, le général Miaczynski, de prendre Lille. Lescuyer fut lent et maladroit. Dumouriez lui avait
ordonné d'arrêter le commissaire de la Convention Bellegarde et de l'amener
aussitôt au quartier général. Lescuyer arrive à Valenciennes le 2 avril, à 2
heures du matin, avec quatre hussards de Berchiny. Au lieu de courir chez
Bellegarde, il va trouver Ferrand qui commande la place et lui annonce qu'il
est chargé d'arrêter un commissaire. Pourquoi pas
les autres ? — Comment les autres ? — Oui, Cochon et Lequinio qui viennent d'arriver. Là-dessus,
Lescuyer écrit à Dumouriez qu'il arrêtera trois commissaires, qu'il n'ose
toutefois les arrêter dans Valenciennes même, qu'il les laissera sortir de la
ville, qu'alors il se jettera sur eux avec ses quatre hussards et des
gendarmes nationaux fournis par Ferrand. Mais Ferrand, qui craint de se
compromettre et désire se ménager une issue, fait dire secrètement aux commissaires
qu'ils auraient tort de s'éloigner. A 8 heures du matin, Lescuyer communique
à Ferrand la réponse du général en chef Neuilly se rend à Valenciennes avec
des forces supérieures ; dès qu'il y sera, Lescuyer ne devra plus hésiter.
Or, Lescuyer hésite. Les volontaires de la Charente veillent aux abords de
l'auberge des commissaires, et des groupes animés commentent dans les rues
l'arrestation de Beurnonville et des quatre députés. Lescuyer redoute,
dit-il, de soulever le peuple, de provoquer une scène terrible, et il demande
à Dumouriez de nouveaux ordres. La journée se passe. Ferrand se range du côté
des commissaires il leur révèle la mission de Lescuyer, leur avoue que
l'imprimeur Prignet a mis sous presse la proclamation de Dumouriez ; et les
commissaires, Cochon, Bellegarde, Lequinio, prennent incontinent d'énergiques
mesures. Ils vont, accompagnés de Ferrand, chez Prignet, et saisissent la
proclamation. Ils vont aux casernes ; ils haranguent les soldats, ils
prononcent la suspension de Dumouriez : Soldats,
Dumouriez a fait arrêter le ministre de la guerre, son supérieur, et quatre
représentants de la nation ; il ne peut plus commander ; comme Lafayette et
Cromwell, il veut s'établir un trône ; abhorrez tous les tyrans, soyez
attachés à la République, reconnaissez vos représentants, vos frères et vos
amis ! A ce moment survient Neuilly, à la tête de deux régiments de
cavalerie et de trois bataillons d'infanterie. Sans s'effrayer, les députés
ordonnent que les portes soient fermées, que les troupes bivouaqueront au
dehors, et en leur nom, le général Champollon proclame à minuit, à la
barrière de la ville, la destitution du traître Dumouriez. Neuilly s'échappe,
et Lescuyer, comptant sur le silence de Ferrand, payant d'audace, prête
serment aux commissaires. Pendant que Lescuyer et Neuilly échouaient à Valenciennes, Miaczynski échouait à Lille. Il avait 4000 hommes sous ses ordres et il devait, de concert avec Duval, proclamer la constitution de 1791, livrer aux Autrichiens les commissaires de la Convention qui seraient dans la ville, marcher sur Douai et emprisonner Moreton qu'il remplacerait par d'Hangest, puis pousser sur Cambrai, ôter le commandement au lieutenant-colonel Bouchotte, annoncer aux habitants que leur compatriote Dumouriez voulait les tirer de l'infâme tyrannie des Robespierre et des Marat ; enfin, dépêcher à Péronne une avant-garde de 400 cavaliers. Mais Miaczynski allait être arrêté dès les premiers pas il trouverait à Lille, outre Duval qui refusait de trahir ses serments, deux jacobins ardents et déterminés, le commandant temporaire La Valette et le procureur-syndic Sta. Il eut d'ailleurs l'imprudence de révéler sa mission aux officiers de chasseurs, Saint-Georges et Alexandre Dumas, qu'il vit, le matin du 2 avril, à Orchies, et qui, la veille, avaient escorté Beurnonville et les quatre commissaires. Saint-Georges et Dumas, piquant des deux, devancèrent Miaczynski à Lille. Lorsqu'il se présenta, les portes étaient closes ; il ne put entrer qu'avec une centaine de cavaliers ; les administrateurs du district le firent arrêter, et il ne fut remis en liberté que lorsqu'il eut juré de servir la République et enjoint à ses troupes de se rendre, à portée du canon de la place, au camp de la Madeleine où le colonel Macdonald les commanderait. Dumouriez, qui perdait tout espoir de s'emparer de Lille, tenta du moins de rappeler à lui les 4.000 hommes de Miaczynski. Il chargea de cette entreprise Philippe Devaux qu'il nomma maréchal de camp. Mais Macdonald, de sa propre main, arrêta Devaux. Mon ami, dit-il à Devaux, je ne sais ce qu'on te veut, mais j'ai ordre de t'arrêter. Comme Miaczynski et Lescuyer, Devaux mourra sur l'échafaud. Par suite, avortait un raid qu'on n'a su que de nos jours. Dumouriez avait ordonné à Frégeville de se rendre à Cambrai avec le Ier régiment de hussards, de gagner en secret et aussi rapidement que possible Pont-SainteMaxence et la forêt de Bondy, d'enlever du Temple la reine et la famille royale or, comme disait Dumouriez, pour exécuter ce projet, il fallait avoir Valenciennes ou Lille. Restaient les deux armées, l'armée du Nord qui tenait le camp de Bruille et l'armée des Ardennes qui tenait le camp de Maulde. Dumouriez les entraînerait-il ? Rosières commandait le camp de Bruille. Le 2 avril, il assembla ses principaux officiers, les quatre généraux de brigade Stettenhoffen, Kermorvan, Chancel, d'Avaine et les trois adjudants généraux, Pinon, Pille, Chérin. Il leur demanda ce qu'il fallait faire. Stettenhoffen dit que Dumouriez était un gueux, et le lendemain, il écrivait que sa santé délabrée ne lui permettait plus de servir. Les autres, Kermorvan, Chancel, d'Avaine, hésitaient. Mais les trois adjudants généraux se prononcèrent sans ménagement contre Dumouriez. Le plus ardent était Chérin ; il rappela que l'arrestateur des commissaires avait l'année précédente accueilli la nouvelle du 10 août avec allégresse et montré la plus grande haine pour la royauté, et il proposa de se saisir du rebelle. Rosières n'était pas homme à prendre un si vigoureux parti ; il fit lire dans le camp la proclamation du général en chef. Averti de l'opposition des adjudants généraux, Dumouriez ordonna de les arrêter. Dès le 2 avril, Pille était chargé de fers et livré à Clerfayt qui l'envoyait à Maëstricht. Le lendemain soir, ce fut le tour de Chérin ; mais il put échapper. Quant à Pinon, il avait, avec l'ordonnateur Vaillant, rejoint les commissaires à Valenciennes. L'accueil de l'armée du Nord dédommagea Dumouriez. Le 2 avril, à trois heures de l'après-midi, il se rendait au camp de Bruille. Les soldats l'acclamèrent. Le 5e bataillon de Saône-et-Loire déclara, dans une adresse signée de son premier lieutenant-colonel Chapuis, de l'adjudant-major et de vingt-six officiers, sous-officiers et soldats, que Dumouriez sauverait encore la patrie, que l'obéissance de ses troupes lui garantissait la victoire, que ses ennemis étaient les ennemis de l'armée qui les détestait sans les craindre. La 5e compagnie des chasseurs de la Meuse assura qu'elle regardait Dumouriez comme son chef légitime, qu'elle lui obéirait passivement, qu'elle ne voulait d'autre constitution que celle de 1791. Au soir, à Saint-Amand, chez Mme de Genlis, dans un grand souper, Dumouriez et ses officiers burent au succès du pronunciamento. Les mandats d'arrêt lancés contre eux par le Comité de sûreté générale et envoyés à Beurnonville avaient été interceptés. Durant le repas, ces lettres de cachet passèrent de main en main, et les convives s'indignaient. Valence qui, jusqu'alors, gardait une espèce de neutralité, éclata. Voilà pourquoi on avait pris la Bastille ! Un Comité, à qui nulle loi, nul décret ne donnait ce droit, faisait jeter à l'Abbaye des hommes qui versaient leur sang pour la patrie Et l'armée, fatiguée des vexations qu'elle éprouvait, ne marcherait pas, à la voix de Dumouriez, contre une assemblée qui perdait le temps en querelles honteuses ! Le lendemain, 3 avril, Dumouriez, plein de foi dans son étoile, se rendit au camp de Maulde, à l'armée des Ardennes. Le Veneur y commandait, sous les ordres de Valence, et il était fort perplexe. Il aimait Dumouriez ; il lui avait, disait-il, des obligations. Mais pouvait-il agir contre sa conscience, participer à un fatal complot à un grand attentat, et s'il résistait à Dumouriez, ne serait-il pas arrêté sur-le-champ et envoyé comme otage à l'ennemi ? Il jugeait sa position affreuse. Depuis vingt-quatre heures il avait éludé sous divers prétextes les ordres qu'il recevait du quartier général. Il finit par se mettre au lit en disant qu'il était malade et il. chargea son aide de camp Hoche de porter à la Convention une lettre qui retraçait ses embarras et ses troubles. La situation, écrivait-il, est terrible pour le citoyen fidèle dont toutes les démarches sont observées et qui court les plus grands risques s'il donne à connaître sa façon de penser. Dumouriez ne trouva donc pas Le Veneur à la tête des troupes. Mais il leur avait adressé une proclamation il leur donnait ce mot d'ordre Enfants, suivez-moi et ce mot de ralliement Je réponds de tout ; il leur dénonçait les commissaires de la Convention, ces intrigants qui voyageaient aux frais du trésor public pour désorganiser l'armée par de calomnieux rapports et envoyer les généraux à la guillotine ; il les exhortait à le seconder : La postérité dira de nous sans la brave armée de Dumouriez, la France serait un désert aride ; elle l'a sauvée, régénérée ; soyons les dignes fils de si glorieux pères ! Il passa quatre heures au camp de Maulde. Le duc de Chartres et Valence l'accompagnaient. Valence caressait les officiers, serrait la main aux soldats, causait familièrement avec tous, leur montrait le duc de Chartres en disant qu'un décret d'arrestation était lancé contre ce jeune et vaillant Égalité ; qu'on voulait faire de la France une Bastille, mener tous les généraux à la boucherie. Dumouriez harangua les bataillons l'un après l'autre, les excitant contre la Convention, les engageant à détruire l'anarchie et à rendre au pays le repos et la paix. Le 5e bataillon de Paris semblait douteux ; Dumouriez dit au lieutenant-colonel Chopplet qu'on ne ferait pas de mal aux commissaires et que Beurnonville n'était pas fâché de son arrestation. Lorsqu'il sortit du camp, il se croyait sûr de son armée, s'étonnait même d'y trouver tant de bonne volonté. Pendant ce temps la Convention lançait décrets sur décrets. Elle avait appris, le 3 avril, la rébellion de Dumouriez. Sur la proposition de Thuriot, elle déclara que Dumouriez était traître à la patrie puisqu'il avait juré la perte de la liberté et le rétablissement du despotisme. Elle défendit d'obéir au traître ; elle ordonna que les Français qui le reconnaîtraient comme général, seraient punis de mort et leurs biens confisqués au profit de la République. Dumouriez fut mis hors la loi. Tout citoyen était autorisé à lui courir sus ; celui qui le saisirait et l'amènerait à Paris, mort ou vif, recevrait une récompense de trois cent mille livres. Les pères et les mères, les femmes et les enfants des officiers de l'armée commandée par Dumouriez seraient gardés à vue comme otages par chaque municipalité. La femme de Dumouriez alors à Saint-Quentin la femme et les enfants de Valence, la citoyenne Montesson, femme du feu duc d'Orléans, la femme de Philippe-Égalité furent arrêtés ; Philippe-Égalité et Sillery, gardés à vue ; Miaczynski, traduit à Paris et enfermé dans la prison de l'Abbaye. Les commissaires avaient été, ainsi que le ministre de la guerre, mis sous la sauvegarde de l'armée dont la Convention invoquait les sentiments d'honneur et de loyauté. L'assemblée déclara, en outre, qu'ils n'étaient pas prisonniers de guerre et, par représailles, elle fit transférer à Paris des officiers autrichiens de grande famille, parmi eux, un comte d'Auersperg et des comtes de Linange. Une proclamation rédigée par La Source appela les soldats de l'armée de la Belgique à se rallier autour de l'oriflamme de la liberté. Menaceraient-ils la patrie ? Deviendraient-ils les satellites d'un scélérat ambitieux, d'un chef perfide qui voulait les tromper, les avilir, les perdre, d'un traître qui violait la souveraineté du peuple en saisissant les députés que la Convention leur envoyait ? Non. Ils étaient l'avant-garde de la nation ; la nation entière était derrière eux, prête à protéger de sa puissance ceux qui sauraient la servir et à écraser de sa foudre ceux qui oseraient être rebelles. Ils mériteraient la couronne civique ; ils livreraient Dumouriez qui projetait de leur donner un roi, ce Dumouriez dont le nom était voué à l'infamie et la tête à l'échafaud ; ils défendraient ce Paris que Dumouriez calomniait et.qui respectait les lois ; ils défendraient cette Convention que Dumouriez leur représentait comme divisée en deux factions et où il n'y avait d'autres débats que ceux d'un patriotisme ombrageux ; ils ne seraient pas les aveugles instruments des conspirateurs et des tyrans. Huit commissaires furent dépêchés aux armées du Nord et des Ardennes ils mettraient les places fortes de la frontière en bon état ; ils prendraient toutes les mesures de sûreté générale ; mais d'abord ils établiraient les plus promptes communications entre les diverses parties des deux armées et y maintiendraient les principes de la République. Deux d'entre eux se rendraient à Valenciennes pour se porter de là sur les points où ils jugeraient leur présence nécessaire ; trois autres, à Lille et à Douai pour se joindre à Carnot ; deux autres, à Péronne pour y former tant avec les recrues qu'avec les soldats échappés du camp de Dumouriez un noyau d'armée. On s'était plaint que les commissaires n'eussent pas une marque distinctive on méconnaissait leur caractère ; on ne voyait en eux que des secrétaires et des commis. Il fut résolu qu'ils n'auraient plus le nom de commissaire trop commun et qui n'imposait pas assez ; ils s'appelleraient désormais représentants du peuple, et ils porteraient un costume chapeau rond surmonté de trois plumes aux trois couleurs, sabre pendu à un baudrier de cuir noir, écharpe en ceinture avec une frange jaune. Le lieutenant-colonel Bouchotte, commandant temporaire de Cambrai, remplaça Beurnonville. Les commissaires avaient loué son civisme. Il fut élu, le 4 avril, ministre de la guerre à l'unanimité des suffrages. En attendant que Bouchotte vînt, le ministre des affaires étrangères Le Brun avait pris le portefeuille et, pour faire oublier ses liaisons avec Dumouriez, déployait un grand zèle. Il décerna un mandat d'arrêt contre Valence. Les Girondins l'imitèrent. Le général les désignait lorsqu'il parlait de la saine partie de la Convention et ils craignaient de passer pour ses complices. Brissot s'écria qu'il avait l'horreur des rois enracinée dans l'âme, qu'il propageait depuis longtemps les principes du républicanisme, qu'il périrait plutôt que de transiger avec Dumouriez. Le rédacteur du Patriote français, Girey-Dupré, demanda la mort de l'homme qui voulait jouer les Alcibiade ou les Monk lorsque César marchait contre Rome, disait le journaliste, tandis que les tribuns déclamaient et qu'en vain Pompée frappait du pied la terre pour en faire sortir des légions, Caton formait Brutus au tyrannicide Point n'était besoin des discours et des décrets de la Convention. Ses commissaires dans le département du Nord agissaient sans attendre ses volontés, de leur chef, avec une décision rapide et une remarquable énergie. Deux étaient à Douai Carnot et Lesage-Senault. Ils investirent des plus amples pouvoirs les conseils généraux du Nord et du Pas-de-Calais et les requirent de rallier les citoyens à la Convention, le seul centre d'autorité qui pût exister d'imposer à tous la cocarde nationale ; de prohiber le chapeau relevé d'un seul côté et garni de taffetas noir, dit chapeau à la Dumouriez ; d'arrêter les suspects ; de prendre mort ou vif ce Dumouriez qui poussait la félonie plus loin que Lafayette. Ils firent une proclamation aux généraux et aux soldats les généraux devaient se retirer avec l'artillerie et les bagages sous le canon des places, et les soldats, livrer Dumouriez, le monstre le plus odieux qui eût jamais désolé la terre. Les commissaires de Valenciennes, Bellegarde, Cochon, Lequinio, furent les plus agissants. Ils sommaient Valence de se saisir de Dumouriez et le duc de Chartres de mériter son nom d'Égalité. Ils péroraient dans les casernes et les rues ; ils haranguaient les détachements qui venaient les rejoindre ; ils entraînaient par leur fermeté les commandants des forteresses, Tourville, Ferrand, Dampierre, Neuilly, Langlois. De Maubeuge, Tourville leur écrivait qu'il cessait de correspondre avec Dumouriez. A Valenciennes, Ferrand ordonnait à la garnison de n'obéir qu'à la Convention qui seule représentait le peuple français. Au Quesnoy, Dampierre se prononçait hautement il refusait, disait-il, de s'attacher au char d'un homme ;' il ne considérait que l'intérêt de la patrie ; il jurait au Conseil exécutif de maintenir la République. A Condé, le commandant temporaire Langlois mandait aux députés qu'il regardait Dumouriez comme déchu, et Neuilly, dont ils exigeaient la soumission, lisait leur proclamation à ses troupes. A vrai dire, Dampierre ne se déclara que le 4 avril, et Neuilly, ainsi que Langlois, cachaient avec soin les intelligences qu'ils avaient avec les commissaires. Dumouriez croyait donc réussir. Il affirmait à Cobourg que son armée se prêtait entièrement à ses vues, et il la mettait en ordre sous de nouveaux chefs Vouillers commandait l'armée des Ardennes et La Marlière, l'avant-garde ; Des Bruslys dirigeait l'état-major. Dumouriez ne pouvait néanmoins compter que sur la ligne. Il l'avait toujours préférée aux volontaires ; à la fin de mars il ne manquait pas de dire qu'elle offrait plus de ressources que les bataillons nationaux, qu'elle, au moins, faisait face à l'ennemi, qu'elle seule était capable de résister. L'infanterie et la cavalerie ne l'abandonnèrent qu'à la dernière extrémité ; elles promettaient de le suivre à Paris, de le défendre contre les anarchistes qui causaient leurs revers. Même après la fuite du général, elles semblent engouées de lui et les représentants témoignent que la cavalerie écoutait froidement, sans y mêler sa voix, les cris de Vive la République ! Mais les canonniers, ainsi que les volontaires, devaient se tourner contre Dumouriez. L'artillerie était résolument républicaine ; elle avait dans ses rangs plus de clubistes et de discoureurs que les autres corps ; elle se piquait d'être célèbre dans le monde et elle voulait être célèbre par le civisme autant que par les talents ; Dumouriez l'a nommée très justement la garde prétorienne de la Révolution. Ce furent les bataillons nationaux qui, en 1793 comme en 1792, aux camps de Maulde et de Bruille comme au camp de Sedan, décidèrent l'affaire. N'étaient-ils pas, selon l'expression des commissaires, les enfants chéris de la liberté ? Davout, lieutenant-colonel du 3e bataillon de l'Yonne, assurait que l'âme de Le Peletier Saint-Fargeau avait passé dans la sienne et que la République surnagerait à toutes les trahisons. Le fils du conventionnel Le Cointre, capitaine de canonniers au Ier bataillon de Seine-et-Oise, animait ses compagnons contre Dumouriez. Dans la soirée du 3 avril, sept volontaires du 2e bataillon de Saône-et-Loire, le lieutenant David, le sergent-major Leblond, le fourrier Montigny, les sergents Bonnefont, Dubois, Luquet et Prost, se présentèrent au Petit-Château ; ils avaient écrit à la craie sur leurs chapeaux les mots La République ou la mort. David lut une adresse qui sommait Dumouriez de faire connaître ses intentions ; ils furent arrêtés et envoyés avec le capitaine Le Cointre aux avant-postes autrichiens ; deux d'entre eux, Bonnefont et Prost, réussirent à se sauver. Déjà des pelotons se détachaient doucement de l'armée et se glissaient vers Valenciennes. Des jeunes gens, a dit Lequinio, venaient, fondant en larmes, se jeter dans nos bras et nous rendre l'anxiété de leurs bataillons. Madame de Genlis jugeait les dispositions du soldat équivoques, et le duc de Chartres prévoyait une révolte. Dumouriez eut même l'idée de désarmer les volontaires ; mais l'animosité était déjà grande entre les habits bleus et les habits blancs ; ce désarmement aurait fait couler le sang et n'était-ce pas allumer dans son propre camp la guerre civile, cette guerre qu'il déplorait, qu'il voulait étouffer à Paris et en France ? Dans les troupes de ligne, la défection commençait. De Lille, de Douai, de Valenciennes, des émissaires venaient les travailler sous leurs tentes. Le Comité de sûreté et de défense générale de Lille dépêchait au camp de Maulde un sous-lieutenant du 19e bataillon des fédérés, Perrin, qui répandait un appel du Comité lillois Après avoir brisé les chaînes des rois et de tous les aristocrates, porterez-vous les fers de Dumouriez ? Soldats, marcherez-vous sous le drapeau d'un perfide qui veut vous mener à l'infamie en égorgeant vos frères ? Non, vous êtes Français, républicains. Ce tyran sera la victime que vous conduirez sous la hache de la loi, au pied de l'autel sacré de la patrie, et son sang y sera le sceau de notre liberté ! Roisin, alors en mission dans le Nord, envoyait de Douai le décret de la Convention qui mettait à prix la tête de Dumouriez. Les commissaires de Valenciennes jetaient à pleines poignées les assignats et les proclamations proclamation du 2 avril qui suspendait Dumouriez et défendait de lui obéir ; proclamation du 3 avril qui rappelait à l'armée que la Convention représentait la France et que les Français devaient se dépouiller de toute idolâtrie proclamation du 4 avril qui engageait tout militaire, de quelque grade que ce fût, à se saisir de la personne du général et à mériter par cet acte de patriotisme un nom glorieux dans l'histoire de la Révolution ; note de l'ordonnateur Vaillant exhortant les soldats à se rendre sous les étendards de la République à Valenciennes où ils auraient le nécessaire, le vivre et la paye. Ces appels furent entendus. Les commissaires parlaient de la patrie, de la République, de la Convention. Or, patrie, République et Convention n'étaient pas encore des mots qui sonnaient creux ; c'étaient des mots sacrés, qui faisaient une impression profonde sur les cœurs. La Convention incarnait la nation, et l'on a écrit plaisamment, mais avec justesse, que les soldats auraient dit à Dumouriez : Père général, obtenez-nous un décret de la Convention pour marcher sur Paris, et vous verrez comme nous mettrons en capilotade ces bougres de l'assemblée. La République excitait leur enthousiasme. Ne leur donnait-elle pas l'avancement que leur refusait la monarchie ? Aussi le nom de républicain était-il pour eux un titre d'honneur ; en face des Autrichiens et des Prussiens qu'ils appelaient les satellites des despotes, ils se regardaient comme les champions, comme les chevaliers des droits de l'homme ; dans leur attachement au nouveau régime, dans leur ferveur républicaine, ils tenaient les jacobins et les montagnards pour les plus sincères et les plus fermes amis de la liberté et de l'égalité. Enfin, au-dessus de la République et de la Convention l'armée plaçait la patrie. Elle crut un instant que l'assemblée mandait Dumouriez à sa barre parce qu'il avait perdu la bataille de Neerwinden et abandonné la Belgique. Mais elle sut bientôt que Dumouriez livrait aux Impériaux le ministre de la guerre, les commissaires de la Convention, Pille, Le Cointre, les volontaires de Saône-et-Loire. Elle le vit recevoir à tout moment des parlementaires autrichiens. Elle apprit qu'il avait conclu une suspension d'armes. Elle lut dans les proclamations des représentants de Valenciennes, du commissaire Vaillant, du Comité lillois qu'il s'unissait à l'Autriche, qu'il s'arrangeait avec les tyrans, qu'il projetait de joindre son armée à celle des Impériaux. Dumouriez était donc un traître ! Le traître avait demandé un dernier entretien au colonel Mack ; l'entrevue fut fixée à Boussu, à mi-chemin de Mons et de Condé, dans l'après-midi du 4 avril. Avant d'aller au rendez-vous, le général voulut s'assurer définitivement de Condé. S'il comptait sur la cavalerie qui stationnait dans la place, il se défiait de l'infanterie, notamment du 1er bataillon de Seine-et-Oise qui passait pour très républicain et du 6e régiment, le seul des régiments de ligne qui fût hautement jacobin. Il avait donc résolu de venir en personne purger, cette garnison, et il informa l'armée qu'il partait pour Condé, qu'il reviendrait dans la soirée ; il pensait, ajoutait-il, que les soldats prendraient avec énergie le seul moyen qui leur restait pour conquérir la paix intérieure et extérieure. Il n'avait que peu de monde avec lui le duc de Chartres, Pierre Thouvenot, Montjoye, les demoiselles Fernig, son neveu Schomberg, son secrétaire Quantin, huit hussards de Berchiny et des domestiques dont le fidèle Baptiste. S'emparer de Condé dans la matinée, se concerter avec Mack dans l'après-midi, se rendre à Saint-Amand dans la soirée pour donner aux troupes l'ordre décisif d'occuper la position d'Orchies qui les éloignait du dangereux voisinage de Valenciennes et qui menaçait à la fois Lille, Douai et Bouchain tel était le programme de cette journée du 4 avril. A une lieue de Condé, à Odomez, un aide de camp de Neuilly lui annonce que Condé est en grande fermentation et l'engage à ne pas aller plus loin. Dumouriez renvoie l'aide de camp et prie Neuilly de venir à sa rencontre avec le 18e régiment de cavalerie. Un bataillon de volontaires, le 3e de l'Yonne, s'avance sur la route avec bagages et canons. Ils reconnaissent Dumouriez et, contre la coutume, passent sans un cri, sans un vivat. Dumouriez s'étonne de leur silence-et de leur mouvement qu'il n'a pas commandé. Où allez-vous ? — A Valenciennes. — Vous tournez le dos à Valenciennes et vous allez à Condé. Les soldats l'entourent, le menacent. Dumouriez, inquiet, se dirige vers une maison d'Odoméz pour écrire l'ordre au bataillon de rentrer au camp de Bruille. A peine s'est-il éloigné que les volontaires lui crient : Arrête, arrête, à bas les traîtres !, lui tirent des coups de fusil et le poursuivent à toutes jambes. Davout les conduit ; il sait que Dumouriez a livré Pille, son camarade et ami, aux Autrichiens ; de son propre chef, il a quitté Bruille pour se réfugier à Valenciennes, auprès des commissaires de la Convention. Mais le hasard amène sur son chemin le traître, le scélérat, le monstre car il le nomme ainsi il veut sauver la République, terminer la crise il se met aux trousses de Dumouriez. Le général s'est jeté dans la campagne, il rencontre le ruisseau de la Seuw que sa monture refuse de passer, il descend, traverse le ruisseau, enfourche un autre cheval que lui donne un domestique du duc de Chartres, arrive à l'Escaut, au bac de la Boucaulde, près du village de Wiers, et trouve une barque qui le porte, lui sixième, à l'autre bord. Le reste de la troupe, dont le colonel Thouvenot qui prend Baptiste en croupe, gagne le camp de Maulde au grand galop parmi les coups de fusil. Les volontaires de l'Yonne ont tué deux hussards, deux domestiques, blessé des chevaux et capturé Quantin. Ils auraient tué Dumouriez si l'un d'eux n'avait crié : En retraite ! ; ils reviennent sur leurs pas et laissent échapper le général. A travers les marais, Dumouriez avait atteint le château de Bury où l'attendait Mack. Il ne perdait pas courage. Baptiste et deux officiers l'avaient rejoint ; ils assuraient que les troupes de ligne étaient exaspérées contre les volontaires. Il déclara qu'il irait le lendemain au camp de Maulde pour exécuter son plan, et il pria Mack d'obtenir de Cobourg une proclamation. Cobourg, disait-il, devait dans cette proclamation affirmer les desseins véritables de Dumouriez, affirmer qu'il voulait l'intégrité du territoire français, qu'il restituerait à la France les places où il mettrait garnison cette proclamation était l'unique ressource, le seul moyen de salut qui restait ; on ne saurait la publier trop tôt et la répandre à trop d'exemplaires. Mack, convaincu, laissa Dumouriez rédiger sur-le-champ la proclamation. Cobourg annonçait aux Français qu'il venait, avec le vertueux Dumouriez, établir un gouvernement sage et solide, finir les attentats, les bouleversements et les malheurs de la France ; que ses soldats s'uniraient aux soldats français en amis et en compagnons d'armes pour restaurer un roi constitutionnel ; il donnait sa parole d'honneur de ne pas faire de conquête ; il regarderait comme un dépôt sacré les places qui lui seraient remises et il les rendrait dès que Dumouriez ou le nouveau gouvernement les réclamerait. Mack emporta la proclamation, Cobourg la signa. Les places où il entrerait ainsi, n'offraient-elles pas aux Impériaux un abri ? Si l'Autriche les rendait plus tard, n'aurait-elle pas eu le temps d'en connaître le fort et le faible ? Si la cour de Vienne le désapprouvait, quoi de plus facile que de le désavouer ? Peu d'instants après avoir quitté Mack, le 5 avril, à 3 heures du matin, Dumouriez allait au camp de Maulde, et Mack admira son courage. Mais Dumouriez eut tort de prendre une escorte autrichienne et de mener avec lui quelques dragons de La Tour, dont un officier. N'avait-il pas dit à Mack qu'il s'efforcerait d'éviter jusqu'à l'apparence de l'intervention étrangère ? C'est une sottise, remarquaient les commissaires de Valenciennes, et qui achève de ruiner son projet. Pourtant, il trouva d'abord bon accueil. Aux avant-postes de Mortagne où campait le 71e, ci-devant Vivarais, il nomma les soldats ses enfants, les pria de tenir ferme et de ne pas abandonner leur père, leur promit qu'ils ne manqueraient de rien. Les Impériaux, disait-il, sont désormais nos amis ; ils en veulent, non pas à nous, mais aux prétendus patriotes, aux danseurs de carmagnole, aux coupeurs de gorges ; nous irons à Paris, nous rétablirons un roi avec la constitution de 1791 et, si nous ne sommes pas assez forts, Cobourg nous offre 40 00o hommes qui marcheront avec nous. Le régiment lui répondit par les cris de Vive M. Dumouriez, vive le roi ! et l'officier autrichien, arborant la cocarde tricolore, ajouta Vive le roi et la première constitution française ! Le 99e, ci-devant Royal Suédois, salue Dumouriez par les mêmes cris : Vive M. Dumouriez, vive le roi ! et, avec le 71e, fusils et canons chargés, mèche allumée, descend à Mortagne. Là, plusieurs bataillons, tant de ligne que de volontaires, sont sous les armes. Dumouriez les harangue : mais, si les uns répondent Vive le roi ! les autres murmurent ou restent silencieux. Que les républicains, dit le général, partent librement, mais que les royalistes demeurent avec moi ; j'ai de l'argent, rien ne leur sera refusé. Et, pour bien marquer qu'il est l'ennemi de la République, il fait reconnaître, en tête du 71e, au nom du roi Louis XVII, un nouveau lieutenant-colonel. De Mortagne, il se rend au camp de Maulde. Aux bataillons qui se rangent en cercle, d'une voix déjà faible et enrouée, il narre les événements de la veille il a failli être assassiné, il a dû fuir pour la première fois de sa vie, il a été sauvé de la mort par les dragons de La Tour, et montrant ces hommes qui l'escortent, sans eux, dit-il, je ne sais pas ce que je serais devenu ; ce sont les plus braves gens du monde ; ils sont, comme nous, las de la guerre ; comme nous, ils ne veulent que la paix. Renvoyons la Convention qui a sans doute de bons sujets, mais où deux cents scélérats tiennent le glaive sur la tête de cinq cents autres. Sinon, mes camarades, tous les rois se ligueront contre notre pays pour en faire un cimetière. Oui, la France ne peut se tirer de l'anarchie sans un roi. Il faut marcher sur Paris et, si nous ne sommes pas assez forts, j'ai 40.000 hommes prêts à me suivre. Nous reprendrons la constitution de 9i chacun rentrera chez soi : j'ai juré moi-même et je jure encore de n'occuper aucune place dans aucun temps. Soldats, vous pensez tous comme moi et vous ne me quitterez pas. Je vous donne la journée pour vous décider. Mais pendant qu'il parle, il voit se former des groupes de mécontents, il voit les visages se refrogner, des regards s'assombrir, et au même instant, il apprend que l'artillerie quitte Saint-Amand et part pour Valenciennes. Il est 11 heures du matin. Dumouriez, avec Valence, court à Saint-Amand. Il s'adresse aux artilleurs : Oui, j'ai fait arrêter les commissaires de la Convention et je regrette que Cambon ne les ait pas suivis il faut accepter la constitution de gi et reconnaître un roi ; vous êtes environnés d'assassins qui ne cherchent qu'à répandre le sang et à promener les têtes sur des piques. Valence le seconde : Camarades, j'ai servi quatre ans dans l'artillerie et je vous connais ; voulez-vous vivre dans le brigandage et l'anarchie ? Mais les canonniers ne répondent pas, ne poussent pas un cri ; ils attellent leurs pièces et font leurs préparatifs de départ. Désespéré, Dumouriez s'éloigne. Aussitôt Bollemont, directeur du parc, et les deux lieutenants-colonels Songis et Boubers donnent l'ordre de partir. Toute l'artillerie prend le chemin de Valenciennes. La nouvelle gagne le camp de Maulde. Les volontaires, surtout les Parisiens, et parmi les Parisiens, ceux du 10e bataillon ou des Amis de la patrie et du bataillon de la Commune et des Arcis, annoncent hautement qu'ils suivront l'artillerie ; ils envoient des députations aux troupes de ligne. Le 17e, le 43e, le 45e, le 71e le 99e hésitent encore. Nous n'avons rien à craindre, disent les uns, Dumouriez est brave et ne nous trahira pas. — Si, répliquent les autres, il nous trahit. Avez-vous vu les dragons de La Tour ? Voyez-vous ces voitures de vivres et de fourrages qui vont vers Tournai ? C'en est fait. Volontaires et troupes de ligne délaissent le camp de Maulde. Détachements par détachements, l'armée se rend à Valenciennes, son point de ralliement et son quartier général, à Valenciennes où l'appellent les représentants de la nation, à Valenciennes où flottent, loin de l'étranger, les drapeaux de la République. Le Veneur, menacé d'arrestation, s'est enfui. Mais La Marlière, Diettmann, Becker s'efforcent de mettre un peu d'ordre dans cette retraite, et, à la voix de Becker, le 56e et le 58e forment l'arrière-garde. Les troupes du camp de Bruille devancent celles du camp de Maulde. Dans la nuit du 4 au 5, Rosières écrit aux commissaires qu'il respecte les lois, qu'il veut mourir pour la République, et avec Kermorvan, Chancel et d'Avaine, il mène trente-six bataillons à Valenciennes. D'autres — six bataillons de volontaires, un bataillon de ligne, le 6e cavalerie et le 7e hussards — se rendent à Douai. Le colonel du 7e hussards a fait sonner à cheval après avoir permis à quiconque le voudrait, de sortir des rangs, et tous ses hommes lui ont répondu par le cri de Vive La République ! En vain Dumouriez tente de rallier les troupes de ligne qu'il rencontre, leur reproche leur ingratitude, les accuse d'inconstance et de légèreté ; officiers et soldats lui répondent qu'ils ne combattront pas leurs camarades. Il n'a plus avec lui que deux escadrons de Berchiny, un escadron des hussards de Saxe, un escadron des dragons de Bourbon et cinquante cuirassiers. C'est avec cette poignée d'hommes qu'il franchit la frontière à Rumegies. J'ai toujours pour dernière ressource, avait-il dit à Dubuisson, un temps de galop vers les Autrichiens. Ceux qui firent avec lui ce temps de galop et qu'on appela les émigrés de Dumouriez, pour les distinguer des émigrés de Lafayette, et des émigrés de la première édition, étaient les lieutenants généraux Marassé, Valence, le duc de Chartres ; les maréchaux de camp Vouillers, Dumas de Saint-Marcel, Ruault, de Bannes, Berneron, Neuilly, Segond, Jacques Thouvenot ; ,les colonels Pierre Thouvenot, Montjoye, Nordmann ; les commissaires des guerres Soliva et Beauvallon ; le médecin en chef Menuret ; les aides de camp Romme, Rainville, de Nyss, les demoiselles Fernig. Il avait confié le trésor de l'armée au colonel Colomb qui commandait le 47e régiment ci-devant Lorraine, et Jacques Thouvenot pria Colomb de suivre Dumouriez pour rentrer en France sous trois jours. Colomb mena le trésor à Valenciennes. Voilà, s'écriait un des commissaires, la pièce finie ! |