EN MARCHE CONTRE COBOURG — TIRLEMONT ET GOIDSENHOVEN — BATAILLE DU 18 MARS — DÉFAITE DE LA GAUCHE FRANÇAISE — RETRAITE DE L'ARMÉE — CAUSES DE L'ÉVÉNEMENTL'ARMÉE française comptait 40.000 fantassins et 1.600 cavaliers. Son avant-garde fut confiée à Lamarche ; sa droite ou armée des Ardennes, à Valence ; son centre, au duc de Chartres ; sa gauche ou armée du Nord, à Miranda. Le général en chef voulait qu'elle assaillît les Impériaux sans délai avant l'arrivée de leurs renforts. Victorieuse, elle verrait les Belges .grossir ses bataillons, elle s'emparerait de Maëstricht, elle conquerrait la Hollande, cette Hollande que Dumouriez n'avait lâchée qu'à son corps défendant et avec l'espoir de la ressaisir bientôt. Mais Cobourg faisait le même calcul. Il craignait, lui aussi, que Dumouriez ne reçût des renforts, et son armée, réunie entre Saint-Trond et Landen, avait ordre d'occuper Tirlemont le 15 mars et d'attaquer les Français le la à Louvain. Le 15 mars, au matin, l'avant-garde autrichienne, commandée par l'archiduc Charles, entrait à Tirlemont où Lamarche n'avait mis qu'une poignée d'hommes, et sur-le-champ nos flanqueurs dé droite reculaient vers Louvain. Dumouriez sentit qu'il fallait réparer l'échec et reprendre Tirlemont sans retard. Le 16 mars, dans la matinée, il reprenait Tirlemont et venait se déployer sur la grande route qui mène à Saint-Trond, en appuyant sa droite au village de Goidsenhoven et sa gauche à la hauteur d'Oplinter. Dans le même moment l'armée impériale se portait en avant. Les deux adversaires allaient-ils se mesurer à l'improviste ? Ils jugèrent chacun que la partie commençait trop tôt et ils se bornèrent à se disputer Goidsenhoven, non sans obstination. Les carabiniers de l'Empereur et les dragons de Nassau firent une charge audacieuse ; le feu de l'infanterie française les repoussa. Dumouriez exultait. Mais ce qu'il voulait, c'était un second Jemappes, une belle victoire en rase campagne ; il comptait la gagner, comme le maréchal de Luxembourg cent années auparavant et sur le même terrain. Il employa toute la journée du 17 mars à la préparer. Cobourg avait placé ses troupes derrière la petite Geete, à cinq mille pas de cette rivière, sur la ligne des hauteurs qui s'étendent de Racour à Léau. Sa droite, commandée par l'archiduc Charles, occupait la petite ville de Léau qui n'avait que de très mauvaises murailles, Halle et Dormael. Son centre ou division Colloredo, sur deux lignes, tenait Overwinden. Sa gauche ou division de réserve, sous les ordres de Clerfayt, s'était établie entre Neerwinden et Overwinden en s'appuyant à Racour. De son côté, Dumouriez avait fait ses dispositions. Trois colonnes, commandées par Valence, formaient sa droite la colonne Lamarche devait prendre Racour ; la colonne Le Veneur, Overwinden ; la colonne Neuilly, Neerwinden. Le centre, commandé par le duc de Chartres, secondait le mouvement de la droite, et ses deux colonnes, colonne Diettmann et colonne Dampierre, devaient attaquer, l'une de front, et l'autre, par la gauche, ce village de Neerwinden que Neuilly assaillait par la droite. La gauche, commandée par Miranda, était. répartie en trois colonnes les colonnes Miaczynski et Ruault poussaient sur Dormael ; la colonne Champmorin entrerait à Léau et y resterait jusqu'à la fin de l'action. Si toutes les colonnes s'acquittaient de leur tâche, elles rejetaient les Autrichiens sur Liège et occupaient, au soir, face à Tongres, une ligne de bataille entre Léau et Saint-Trond. Le 18 mars, au matin, les troupes passent la Geete. La droite est la première à attaquer. Vers midi, la colonne Lamarche s'empare de Racour, puis se rabat sur Overwinden. A 2 heures, Lamarche et Le Veneur emportent Overwinden, et ce n'est qu'après de sanglants efforts que les Impériaux parviennent à ressaisir Overwinden et Racour. Cinq fois Racour est repris et perdu par Lützow qui conduit à l'assaut deux bataillons Esterhazy et les hussards de Blankenstein ; la position n'est enlevée qu'à une sixième attaque où Clerfayt se met lui-même à la tête des deux bataillons Esterhazy. Pareillement, Overwinden est repris trois fois et perdu trois fois par les deux brigades d'Alvinczy, la brigade Wenkheim composée de trois bataillons de grenadiers et la brigade Auersperg. Le prince de Cobourg, qui se rend à son aile gauche, remarque que des masses d'infanterie et de cavalerie postées entre Racour et Overwinden envoient sans cesse des troupes fraîches aux Français qui défendent les deux villages. Il décide d'aborder ces masses, de les disperser ; pendant que les cuirassiers de Nassau et de Zeschwitz culbutent la cavalerie, la brigade Boros, dragons de Latour et hussards de Blankenstein, enfonce la première ligne de l'infanterie. Mais la seconde ligne, inébranlable, arrête les escadrons impériaux par un feu violent et Boros a son cheval tué sous lui. La nuit termine le combat ; les Français, harassés, abandonnent Overwinden où, dit un témoin, ruisselle le sang. Au centre, même fureur, même acharnement. D'un premier élan, la colonne Neuilly enlève Neerwinden ; mais pendant qu'elle se, rejette sur la colonne Le Veneur pour la seconder, les Impériaux rentrent dans le village. Ils sont assaillis par les colonnes Diettmann et Dampierre qui, selon leurs instructions, pénètrent dans Neerwinden de front et par la gauche. Une lutte opiniâtre s'engage les généraux français, l'épée à la main, marchent en avant de leurs troupes, et l'un d'eux, Desforêts, tombe, atteint d'un coup de fusil à la tête. Les républicains reprennent Neerwinden et poussent sur les hauteurs d'alentour garnies de canon. Leur avantage ne dure pas longtemps. Accablés par le feu de l'artillerie autrichienne, menacés par l'infanterie de Colloredo qui s'avance à leur rencontre, ils lâchent Neerwinden et fuient vers la rivière. Dumouriez court à eux, les rassemble, les ramène au combat. Pour la troisième fois, Neerwinden est aux mains des nationaux. Mais bientôt et comme naguère, sous la grêle des boulets autrichiens et sous l'effort des troupes que Cobourg envoie à Colloredo, ils cèdent de nouveau Neerwinden. L'ennemi les poursuit, les presse, et Dumouriez a réuni à peine ses colonnes que les huit escadrons de la brigade Hoditz se précipitent sur elles. L'infanterie des Français se débande derechef ; leur cavalerie se disperse sans penser à faire résistance. Seuls, les dragons du 20e n'ont pas bougé. Valence, qui vient les animer, reçoit trois coups de sabre sur la tête et ses aides de camp Château-Renaud et Jaubert périssent à ses côtés. Les dragons soutiennent vaillamment le choc ; ils donnent au reste de la cavalerie le temps de se rallier ; ils chargent à leur tour les Impériaux et les frappent, non sur les cuirasses, mais à la gorge ; les deux demoiselles Fernig, aides de camp de Dumouriez, combattent avec ces dragons l'une blesse, l'autre tue un cuirassier de Nassau. Vainement une brigade de cavalerie autrichienne se rue en même temps sur l'infanterie de Diettmann ; elle recule sous la mitraille des canons et sous les balles du 99e, ci-devant Deux-Ponts, encouragé par la présence du chef d'état-major Jacques Thouvenot. Telle était, à la tombée de la nuit, l'issue de la lutte à la droite et au centre des Français. Si les Français laissaient à l'adversaire Racour, Overwinden et Neerwinden. ils n'avaient pas repassé la petite Geete. Mais l'aile gauche était vaincue, et sa défaite entraînait celle de l'armée. La colonne Miaczynski avait d'abord pris Dormael ; attaquée trois fois par Benjowsky, elle s'enfuit à la troisième. La colonne Ruault, débutant, elle aussi, par un succès, s'empara d'Orsmael et se déploya à droite et à gauche de la chaussée de Saint-Trond. Mais elle avait en face d'elle l'archiduc Charles, et le feu de l'artillerie autrichienne, de l'aveu des Français, était excessif, très bien suivi ; ses chevaux, ses canonniers tombaient, et des officiers d'infanterie faisaient l'emploi de servants. Enfin, Benjowsky se joignit à l'archiduc, et la colonne Ruault, chargée par le corps franc O'Donnell et par deux bataillons de Sztarray, chargée par les hussards d'Esterhazy et les dragons de Cobourg, se sauva vers le pont d'Orsmael. Ses généraux ne purent la rallier Guiscard périt, ainsi que Baron, aide de camp de Miranda ; Ruault et Ihler furent blessés ; l'archiduc conquit quinze canons. Restait la colonne Champmorin. Elle s'était divisée en deux parties. L'une, conduite par Champmorin, marcha sur Halle et engagea contre le prince de Wurtemberg une forte canonnade ; mais les fuyards de la colonne Ruault vinrent se jeter dans ses rangs ; elle aussi se mit en déroute ; elle aussi repassa la petite Geete dans le plus grand désarroi. L'autre partie de la colonne, commandée parle colonel Keating, était entrée dans Léau ; elle canonna le peu de troupes autrichiennes qu'elle avait devant elle, et au soir, lorsqu'elle sut la retraite de Champmorin, elle se hâta de traverser la petite Geete. L'aile gauche avait donc été refoulée au delà de la rivière. Fut-ce la faute de Miranda ? Il assura depuis que l'ennemi lui opposait deux fois plus de monde, qu'il avait attaqué vigoureusement l'adversaire, que jamais troupes n'avaient essuyé de combat plus meurtrier, qu'il avait laissé deux mille hommes sur le champ de bataille. En réalité, il avait l'avantage du nombre et il ne mit pas assez de vigueur dans son attaque. Il fit même une retraite précipitée il prescrivit à Miaczynski de se retirer jusqu'à Tirlemont ! Dumouriez n'apprit que très tard ce qu'était devenu Miranda. Des trois messagers que lui envoya son lieutenant, aucun ne le rencontra. Aussi, à la nuit tombante et lorsque expirèrent les derniers bruits de la bataille, il partit avec Thouvenot à la recherche de son aile gauche. Ce ne fut qu'à une demi-lieue de Tirlemont qu'il trouva des soldats de Miaczynski. Il entra dans Tirlemont ; Miranda, froidement, mandait l'événement à ses amis de Paris ; sans lui faire aucun reproche, Dumouriez lui commanda de rebrousser chemin. Sûr désormais de la défaite, le général en chef passa la nuit à Tirlemont, ralliant sa gauche, dictant les mouvements, du lendemain. Il avait chargé deux aides de camp, Rainville et Saint-Pater, de porter à la droite et au centre l'ordre de repasser la petite Geete ; l'un et l'autre s'égarèrent dans l'obscurité. Lorsque arriva Rainville, à la pointe du jour, le duc de Chartres commençait sa retraite. Quant à Le Veneur, à qui Valence avait laissé le commandement, il avait assemblé à minuit les officiers généraux qui furent tous d'avis de se replier, et, à 5 heures du matin, traversé la rivière, avant de recevoir le message de Saint-Pater. Le 19 mars, les Français prenaient la même position que le 16, la droite à Goidsenhoven et la gauche à Haekendover. Mais ils étaient vaincus, ils le savaient, et le découragement les avait saisis. On en eut la preuve dès le matin. Benjowsky occupait la hauteur de Wommersom. Vainement Dumouriez envoya contre lui quatre bataillons de Miaczynski qui n'avaient pas encore combattu et qu'il fit soutenir par de l'artillerie ; vainement, l'épée nue, il somma ces bataillons de marcher à l'ennemi. Ils refusèrent de bouger ; ils demeuraient immobiles, comme transis sous le feu des canons autrichiens établis à trois cents pas de leur front. L'armée avait perdu son énergie. Les troupes de ligne montraient encore une martiale attitude. Mais les volontaires disaient tout haut qu'ils se feraient tuer en France et non en Belgique ; des compagnies, des bataillons entiers se dirigeaient de leur chef vers la frontière Dumouriez dut, dans la nuit du i9. mars, repasser la grande Geete. Cobourg devait la victoire à ses troupes. L'artillerie autrichienne s'était surpassée, et les journaux de Paris prétendirent vaniteusement que les émigrés français la dirigeaient. La cavalerie avait fait de belles charges. L'infanterie n'avait pas cessé de combattre avec le plus grand sang-froid et de revenir obstinément à la charge ; aussi, à la fin de la journée, était-elle épuisée et rendue. La bravoure de l'armée, mandait Cobourg, son obéissance et sa discipline sont sans exemple. Dumouriez avait commis des fautes. Il avait mal choisi son point d'attaque au lieu de s'opiniâtrer contre Overwinden et Neerwinden, il aurait dû pousser plus à droite, sur Wamont, ce Wamont où, vers midi, il envoya un détachement qui recula devant les dragons de Latour il aurait ainsi débordé les Impériaux, les aurait tournés sur leur gauche et refoulés sur Saint-Trond ; mais, comme à Jemappes, il voulut attaquer de front les Autrichiens et les vaincre en bataille rangée. Il eut tort, en outre, de ne pas appeler de Hollande les troupes qu'il avait laissées au colonel Pierre Thouvenot et de Namur le corps commandé par d'Harville, pour jeter dans la mêlés tout ce qu'il avait de forces et accabler Cobourg sous la masse des bataillons. Il eut tort, enfin, d'assaillir l'étendue de la position au lieu de concentrer sa vigueur sur un seul point. Néanmoins, il paya de sa personne, il entraîna son armée et la maintint en face de l'ennemi. Pourquoi les Français montrèrent-ils à la droite et au centre une bravoure surprenante ? C'est que Dumouriez les échauffait de sa flamme. Aussi, les officiers autrichiens convenaient-ils que la bataille avait été douteuse pendant une demi-heure et que la retraite aurait eu lieu si Clerfayt n'avait pas, avec le corps de réserve, frappé des coups décisifs. Sans Mack, son chef d'état-major, Cobourg, étonné et comme étourdi par la fougue et la hardiesse des républicains, se serait peut-être replié dans la soirée ; Mack, appuyé par l'archiduc Charles, déclara que ce serait une honte de se retirer, qu'il fallait rester sur le champ de bataille et attaquer de nouveau les Français à la pointe du jour. Cobourg devait pourtant se rappeler que ces Français tant redoutés n'avaient pas l'expérience et la solidité des Impériaux. A Neerwinden comme à Aix-la-Chapelle les volontaires causèrent le désastre. Miranda et ses lieutenants Ruault et Champmorin se plaignaient de leur couardise. Les volontaires, écrivait Dumouriez, avaient de mauvais officiers. Dès le lendemain de Neerwinden il proposait de supprimer le mode d'élection qui, selon son expression, ne donnait pas le talent, ne commandait pas la confiance, n'obtenait pas la subordination. Le surlendemain, il publiait une proclamation à ses camarades il accusait la gauche d'avoir lâché son canon et la garde des ponts sans la gauche, les Français n'auraient pas exécuté leur retraite. Il voulait qu'on fît une loi sévère contre l'indiscipline et le brigandage ; les officiers qui fuiraient seraient chassés et rasés ; les officiers et les soldats qui fuiraient en criant qu'on était coupé ou trahi et ceux qui seraient convaincus de vol ou de meurtre seraient punis de mort. |