DUMOURIEZ

 

CHAPITRE XIII. — L'INVASION DE LA HOLLANDE.

 

 

VOYAGE DE DUMOURIEZ À PARIS — CHUTE DE PACHE — INVASION DES PROVINCES-UNIES — DUMOURIEZ RAPPELÉ DE HOLLANDE PAR LA DÉFAITE D'ALDENHOVEN — EXCÈS DES JACOBINS — MESURES DE DUMOURIEZ — LETTRE DU 12 MARS

 

LE 1er janvier 1793 Dumouriez arrivait à Paris. Il voulait faire abroger le décret du 15 décembre, faire adopter un plan de campagne, faire sauter Pache.

Désirait-il sauver Louis XVI ? Sans doute. Même coupable, disait-il, Louis XVI était assez puni par l'abolition de la monarchie déjà on l'avait tué civilement. Mais Dumouriez n'eut garde de parler trop haut et de se compromettre. Il pensait avant tout à la guerre, au rôle qu'elle lui offrait encore ; il écrivait à Thouvenot que les circonstances l'obligeaient à rester parfaitement neutre, qu'il laissait les deux factions, Gironde et Montagne, s'entre-déchirer, qu'il n'avait d'autre but que de rendre aux armées tous les services possibles.

Ce qui lui tenait surtout au cœur, c'était l'abrogation du décret du 15 décembre. Il tenta de convertir Cambon, déjeuna, dîna avec lui. Le financier de la République fut intraitable. Le décret lui semblait injuste, mais nécessaire il croyait que les Belges, une fois ruinés, se jetteraient dans les bras de la France. En vain Dumouriez objecta qu'ils se jetteraient au contraire dans les bras de l'Autriche, qu'on éventrait la poule aux œufs d'or en prenant d'un coup au clergé des Pays-Bas toutes ses richesses, qu'il fallait faire aux Belges des emprunts qui les attacheraient à la France, leur donner les fournitures militaires, les payer par des assignats qu'ils mettraient en circulation ; le décret révoqué, ils lèveraient des troupes qu'ils joindraient aux nôtres et demanderaient d'eux-mêmes leur incorporation à la République. Je me fais fort, disait Dumouriez, d'entretenir une armée avec les seules ressources de la Belgique et de prêter des millions au trésor de la France.

Le Conseil exécutif ne fit pas meilleur accueil au général. Les ministres approuvaient le décret du 15 décembre. Le Brun affirmait qu'il fallait en finir avec ces Brabançons fanatiques et idolâtres, que le décret serait le bréviaire des Français, et il refusait de rappeler de Bruxelles le commissaire national Chépy que Dumouriez jugeait trop fougueux.

Même insuccès au Comité de défense générale. Dumouriez y lut, dans les séances du 9 et 10 janvier, quatre mémoires mémoire sur le décret du 15 décembre qui susciterait les plus grands troubles en Belgique et rallierait les peuples à la cause des rois ; mémoire sur le Directoire des achats qui livrait la Belgique aux spéculations de quelques juifs ; mémoire sur le ministère de la guerre qui devait réintégrer d'utiles agents comme Malus et Petitjean ; mémoire sur le rôle du général qui devait avoir carte blanche et tenir dans sa main l'administration, la partie la plus nécessaire de la guerre. Le Comité discuta ces mémoires sans se prononcer pour ou contre. Aussi avancé que le premier jour, marquait Dumouriez le 19 janvier à Thouvenot : il n'y a aucun plan de campagne ; toutes les armées sont dans le même état de délabrement et on ne s'occupe que très peu de leur réparation. Quant à la Belgique, on va de l'avant pour la vexer et la pressurer.

Il partit le 26 janvier. Hassenfratz avait osé dire aux Jacobins, quelques jours auparavant, que nulle armée n'avait reçu plus d'approvisionnements que celle de Belgique et que le général avait prévariqué dans tous les marchés, volé des sommes considérables à la nation. Mais Dumouriez savait que Hassenfratz allait sauter avec Pache. Il avait fait publier par Grimoard sa correspondance avec le ministre et il écrivait dans la préface que l'ignorance et l'amour propre avaient réduit ses troupes au dénuement : Nous savons aujourd'hui qu'une armée peut être mal conduite par des géomètres, mal administrée par des poètes, mal approvisionnée par des juifs. Il avait exhalé sans réticence la douleur et la colère que lui inspirait la misère de ses bataillons. Il avait assuré que la France était perdue si Pache restait quinze jours de plus à la maison de la guerre.

Pache sauta. Tous les généraux, tous les commissaires de la Convention l'accusaient, et tant de plaintes, tant d'inculpations n'étaient sûrement pas, comme s'exprimait Dumouriez, le fruit d'une conjuration. Le 2 février, la Convention décréta que Pache serait changé. Le surlendemain elle nommait Beurnonville, Ajax-Beurnonville, le lieutenant de Dumouriez, son grand diable de fils aîné, et sur-le-champ Beurnonville, emphatique, outrecuidant, mais actif, sincèrement désireux de réparer les maux que son prédécesseur avait causés, purgeait les bureaux, rappelait l'ancienne administration des subsistances. Enfin, s'écria Dumouriez, on s'occupera du recrutement et des besoins de l'armée !

Plus que jamais la situation paraissait critique. La Convention avait, le 1er février, déclaré la guerre à l'Angleterre et à la Hollande. A vrai dire, cette déclaration d'hostilités n'étonnait personne. Le 9 janvier, dans une séance du Conseil exécutif, un patriote hollandais, Conrad de Kock, avait déjà proposé d'envahir sans retard la Zélande où le stathouder projetait de se réfugier, et Dumouriez, approuvant l'entreprise, avait dressé sur-le-champ le plan de campagne, donné ses instructions à ses lieutenants, Miranda, Duval, La Noue. Mais le Conseil exécutif hésitait, et Dumouriez, après mûre réflexion, recommandait l'extrême prudence. Que serait une guerre avec l'Angleterre et la Hollande ? Avait-on de très grands moyens militaires ? Il offrait d'aller à Londres en ambassade extraordinaire. Cette mesure n'était-elle pas noble, majestueuse, digne de la République ? Ne convenait-il pas d'expliquer au ministère britannique avec force et sans jactance la politique de la nation française ? Sa proposition fut acceptée. On demanda pour lui un saufconduit. En attendant, il se dirigea sur Anvers pour s'aboucher, au Moerdyk, sur un yacht de l'amirauté, avec l'ambassadeur d'Angleterre lord Auckland et le grand pensionnaire de Hollande Van de Spiegel. Ses amis le félicitaient de sa mission. Lui-même s'était comparé à Caton exigeant de Carthage un oui ou un non. Miranda l'égalait à Scipion qui se rendait à Zama pour décider le sort de la République et Emmanuel de Maulde, notre ministre à La Haye, le nommait le pacificateur du monde. La déclaration de guerre rompit cette négociation. Le Conseil exécutif arrêta qu'il n'y avait plus lieu à aucune conférence. Le 31 janvier, à la veille du vote de la Convention, Dumouriez reçut des ministres l'ordre de s'emparer de Maëstricht, de Venlo et des établissements maritimes de la Hollande.

Il en eut du dépit. Pourquoi ne pas filer la négociation ? Pourquoi ne pas gagner quelques semaines ? Mais il n'était pas homme à se décourager. Rien n'est prêt pour l'expédition. Les Prussiens, devançant de deux heures lés Français, entrent le 11 février dans Venlo. Si Venlo est pris, écrivait Dumouriez trois jours auparavant, la campagne sera manquée. Il s'obstine néanmoins. Il décide d'agir promptement et avec audace, de conquérir la Hollande en un tour de main, et par là, non seulement d'imposer aux ennemis, mais d'assurer la possession de la Belgique, de renforcer l'armée française de 20.000 Bataves, de trouver d'emblée tout ce qu'il n'a pas, armes, habits, munitions, vivres et argent. Il ordonne donc à Miranda d'investir Maëstricht ; il le stimule, l'éperonne, l'assure qu'il faut vaincre ou mourir, employer la fougue française, frapper des coups de désespoir, faire des choses incroyables, impossibles. Miranda objecte que le prince de Cobourg, le nouveau généralissime autrichien, viendra sans doute l'attaquer devant Maëstricht Dumouriez répond que les Autrichiens ne pourront entrer en campagne avant trois semaines, et Miranda investit Maëstricht tandis que La Noue, en l'absence de Valence, commande, de concert avec Stengel, Dampierre et Miaczynski, les troupes cantonnées entre la Roer et la Meuse.

Cependant Dumouriez prépare avec une hâte fébrile la conquête des Provinces-Unies. Il emprunte douze cent mille florins aux négociants d'Anvers. Il confère avec le Comité batave, avec Daendels, avec Kock, avec de Nyss, et pour mieux s'attacher les patriotes hollandais, il porte sur sa poitrine leur symbole favori, un petit chien-loup en argent avec l'inscription chacun mord à son tour. Il rédige une proclamation aux Bataves, leur dit qu'il arrive à la tête de 60 00o Français, les exhorte à secouer le joug du prince d'Orange, ce demi-despote qui livre leurs colonies et l'empire de l'Inde à l'insatiable Angleterre. Il appelle Petitjean qui l'aide à organiser le corps expéditionnaire il appelle le lieutenant-colonel La Martillière et le général La Bayette qui dirigeront l'artillerie ; il appelle le célèbre d'Arçon qui fera la guerre de sièges et qui se dit tout fier de travailler sous ses auspices. Il appelle et il prend pour chef d'état-major le frère cadet de Jacques Thouvenot, l'actif et habile colonel Pierre Thouvenot.

Tout autre se jetterait sur les Autrichiens qui sont derrière la Roer, pour les refouler au delà du Rhin et pour se rabattre ensuite sur Amsterdam par Nimègue. Tout autre se porterait sur Nimègue par Gueldre, Emmerich, Amersfoort, 'pour tourner Utrecht et gagner Muyden. Mais ne serait-ce pas donner le temps aux Hollandais de se mettre en défense ? Dumouriez choisit une route plus hasardeuse et plus courte. Laisser les places derrière lui sans les attaquer, traverser à Moerdyk le bras de mer du Hollandsch Diep qui n'a que deux lieues de large, débarquer à Dordrecht en plein cœur des Provinces Unies ; de Dordrecht courir sur Amsterdam par Rotterdam, Delft, La Haye, Leyde et Harlem ; établir en hâte un gouvernement, puis revenir sur Utrecht à la rencontre de Miranda et rejoindre ainsi par derrière son fidèle second qui aura pris Maëstricht et marché sur Nimègue tel est le plan de Dumouriez, plan téméraire, impraticable en apparence, mais qui peut réussir. Durutte, le futur général, n'approuvait-il pas la hardiesse de son chef qui voulait entrer en Hollande avec la rapidité de l'aigle et pénétrer, en évitant les inondations, au milieu du pays avant que le stathouder eût pensé même à se défendre ?

 

L'armée d'invasion ne comprend que 1.000 cavaliers et 15.000 fantassins, presque tous de nouvelle levée. Mais Dumouriez l'enflamme de sa propre ardeur ; d'Arçon, Valence, Beurnonville assurent, l'un, qu'il fera de nouveau triompher la République, l'autre que l'audacieux génie du général donne la certitude du succès, le troisième que son père s'élèvera comme Icare au-dessus des digues de la Hollande.

Le 16 février, le territoire néerlandais est envahi. Berneron, qui commande l'avant-garde, n'arrive pas assez tôt sur les bords du Moerdyk pour s'emparer des bateaux. Mais Dumouriez ramasse dans les canaux vingt-trois bâtiments pontés qu'il fait mettre en état, et pendant que sa réserve, sur les dunes, dresse des huttes de paille qu'elle nomme le camp des castors, il essaie, par passetemps, de prendre des forteresses grâce à la mollesse des commandants, il prend Bréda, Gertruydenberg, Klundert.

Il ne veut pas s'arrêter devant Bréda et ne compte pas s'en emparer. Garnison, canons, palissades, inondations, tout protège Bréda. Mais le gouverneur est âgé et n'a jamais guerroyé, il se laisse intimider par des sommations menaçantes, il capitule au quatrième jour, et la France regarde cette reddition comme miraculeuse.

De même, Geertruidenberg. Qu'importe que la place ait des forts extérieurs, une inondation, une garnison belle et solide ? Elle aussi a un vieux gouverneur incapable elle aussi capitule, et la France célèbre cette reddition qui tient du merveilleux.

De même, Klundert. Ce petit fort brûle sous les obus ; la poignée d'hommes qui le défend, se sauve dans la plaine ; elle est poursuivie, atteinte, se rend prisonnière. La Convention applaudit aux succès de Dumouriez ; Barbaroux écrit qu'une nouvelle carrière s'ouvre à sa gloire et Bancal le voit déjà dans Amsterdam. Ces sièges, ces prises, ne servent au reste qu'à couvrir le flanc gauche de Dumouriez et ne sont, comme dit le général, que des accessoires, des incidents qui masquent son passage. Il reçoit 6000 hommes de renfort ; il s'apprête à franchir le Moerdyk dans la nuit du 9 au 10 mars.

Trop tard ! Le 1er mars, l'armée autrichienne, commandée par Cobourg, a traversé la Roer et dispersé les cantonnements de l'avant-garde française. C'est le combat connu sous le nom de combat d'Aldenhoven ou d'Aix-la-Chapelle. Il décourage les troupes, les met dans le plus grand désordre. Miranda lève le siège de Maëstricht, abandonne Liège et ses magasins, recule sur Tongres, sur Saint-Trond, sur Tirlemont. Le 9 mars, il est à Louvain, et Valence a, dès le 2, envoyé à Dumouriez ce message de détresse : Notre rêve est fini en Hollande ! La Providence qui veille sur la France, fait que vous n'êtes pas embarqué. Venez ici ; il faut changer le plan de campagne les minutes sont des siècles !

Dumouriez ne bouge pas ! De même que l'année précédente, il a refusé de quitter la Flandre et de gagner Sedan, de même il refuse de quitter la Hollande et de gagner Louvain. Il répond à Valence et à Miranda qu'il ne peut renoncer à un énorme avantage qu'il veut traverser le Moerdyk, terminer la révolution batave, joindre à son armée l'armée hollandaise qui se bat à regret contre lui. Il assure les commissaires de la Convention qu'il n'a besoin que de deux semaines pour exécuter son dessein. Il envoie même à l'armée de la Belgique une proclamation qui l'exhorte à se venger de l'échec d'Aldenhoven et à se jeter baïonnette baissée sur les ennemis en chantant la Marseillaise : Mon œil veille sur vous, mes conseils guident vos généraux qui sont mes amis et mes élèves, rougissez d'avoir pu un moment manquer de fermeté et d'audace, relevez vos fronts républicains ! Il répète qu'il va prendre Willemstad et conquérir la Hollande, que la conquête de la Hollande sauvera et la Belgique et la France, que le salut de la patrie est en Hollande.

Miranda conseillait à Dumouriez de ne pas venir. Mais Valence jurait que, si Dumouriez ne venait pas, les deux armées du Nord et des Ardennes seraient perdues, que Dumouriez seul pourrait conduire et enlever les soldats, que Dumouriez seul rétablirait la confiance et redonnerait de l'ensemble aux opérations. Les commissaires de la Convention écrivaient que la situation des troupes était désolante, qu'elles cherchaient, qu'elles demandaient Dumouriez. L'ami du général, La Sonde, arrivait au Moerdyk et annonçait que la Belgique était en feu. Enfin, le 8 mars, le Conseil exécutif ordonnait à Dumouriez de se rendre sur-le-champ à l'armée de la Belgique. Dumouriez partit aussitôt.

 

Il était temps. Les excès des jacobins avaient exaspéré les Belges. Les agents du pouvoir exécutif, chargés de faire transporter à Lille l'argenterie des communautés soumises au séquestre, pillaient les églises. Les sans-culottes de Bruxelles, formés en légion, profanaient, dévastaient Sainte-Gudule. Des insurrections éclataient à Tournai, à Soignies, à Renaix, à Grammont, et les commissaires étaient dans les transes. Les Belges secouaient donc les torches de la haine sur les Français Ils faisaient le coup de feu contre nos soldats Les vêpres siciliennes allaient sonner dans le pays !

Dumouriez arrive. Son premier soin est de rassurer les Belges, de les protéger, comme il s'exprime, contre les injustices et la tyrannie, de les ramener à la France par la douceur, quelque chose qu'en puissent dire Cambon et ses satellites.

Le 10 mars, il expulse d'Anvers le commissaire national Publicola Chaussard, et lorsque Chaussard proteste contre cette lettre de cachet, contre ce fetva, et accuse Dumouriez de parler en vizir, je ne suis pas plus vizir que vous n'êtes Publicola, répond le général ; je suis le premier des agents du pouvoir exécutif ; je prendrai, s'il le faut, la dictature de la Belgique et, si j'assume une responsabilité terrible, je sauverai la République !

Le 11, il renvoie de Bruxelles à Douai le jacobin Moreton. Il chasse Chépy. Il casse la Légion des sans-culottes et jette en prison leur chef, le soi-disant général Estienne. Il se rend à la séance des administrateurs provisoires il les prie de revenir de leurs préventions et de traiter les Français en amis. Il lance trois proclamations, flétrissant la conduite des commissaires nationaux et ordonnant la restitution de l'argenterie des églises, invitant les corps administratifs à dresser des plaintes appuyées de procès-verbaux contre les vexations qu'ils ont subies, menaçant de brûler toute ville, tout village qui se soulèvera contre ses troupes, défendant aux clubs de s'immiscer dans les affaires politiques.

Ces mesures produisent le meilleur effet. Bien qu'elles soient irrégulières et légèrement teintées de despotisme, la plupart des Français de Bruxelles les approuvent. Dumouriez, selon ces Français, atteint son but et apaise les esprits, il rétablit l'ordre ; qu'il batte les Autrichiens, et il méritera que la République oublie l'illégalité de ses procédés. Les jacobins de Paris sont mécontents ; ils jugent que Dumouriez s'est servi de termes un peu lestes, ils accueillent la lecture de ses arrêtés par des murmures. Mais, dans la capitale même, d'autres applaudissent. Il a déployé, dit un journaliste, son grand caractère, opposé sa fermeté aux ennemis du dedans et rendu justice aux Belges.

Dès le 11 au soir, Dumouriez était à Louvain. Les commissaires de la Convention Camus et Treilhard lui reprochèrent ses ordonnances. Il leur répliqua en leur lisant la lettre qu'il venait d'écrire à l'Assemblée. C'est la lettre mémorable connue sous le nom de lettres du 12 mars. Il expose les causes de l'échec d'Aix-la-Chapelle et montre qu'il a dû sauver l'honneur de la nation et de la République, sauver l'armée menacée par les Belges. Ces malheureux Belges n'ont-ils pas été insultés dans leur religion, réunis à coups de sabre et de fusil par des hommes de trouble et de sang, opprimés par des commissaires violents et iniques qui faisaient enlever l'argenterie des églises ? Ils se sont donc insurgés à la voix de leurs prêtres et de leurs moines qui traitaient les Français de fuyards et de brigands.

Les commissaires se turent. Dumouriez était indispensable. Depuis son arrivée, l'unité de commandement existait. Miranda et Valence, qui se jalousaient et se dénigraient l'un l'autre, s'inclinaient devant lui. Les soldats reprenaient courage et confiance ; ils se pressaient autour de lui ; ils lui baisaient les mains, les bottes, son cheval même.

Il se hâta de réparer les pertes que l'armée avait faites et qu'il jugeait immenses. Il rappela le parc d'artillerie qui s'était enfui jusqu'à Anderlecht. Il fit venir les meilleurs bataillons de la garnison de Bruxelles. Il renvoya en France les centuries' ou compagnies de cent hommes de garde nationale des vieillards, des enfants armés de piques et de couteaux, que les commissaires de la Convention avaient levées dans les départements de la frontière.